« Vous les aimerez »1 est un cycle de trois rencontres avec une autrice et deux auteurs français qui s’est déroulé entre janvier et mars 2021. Je me suis chargée de l’animation et de l’organisation de cette activité littéraire dans le cadre d’un projet plus vaste intitulé « Lire Ados » : un atelier de lecture créative né en 2012 en collaboration et grâce au support de l’Alliance française de Cuneo (Italie).
Comme son nom l’indique, « Lire Ados » se développe autour de la lecture et s’adresse aux adolescents2. Depuis sa création, des classes de collégiens et de lycéens italiens et français qui étudient le français et l’italien comme langue étrangère y ont participé et y participent. L’idée à la base de cet atelier est la proposition de la lecture en langue originale d’œuvres françaises et italiennes contemporaines de jeunesse. La lecture est envisagée comme activité de découverte linguistique et littéraire et comme point de départ pour une ouverture culturelle. D’un point de vue linguistique et littéraire, pour la plupart des classes qui participent à l’atelier, ce projet constitue la première occasion de lecture en langue étrangère. Elle offre en plus la possibilité de rencontrer un écrivain, permettant aux élèves, comme l’affirme Nathalie Brillant Rannou à propos de son expérience dans des classes françaises ayant rencontré des auteurs, de repartir « avec le sentiment d’avoir rencontré une personne et non pas un simple nom d’auteur »3. D’un point de vue culturel, il s’agit d’une activité de médiation littéraire qui favorise l’ouverture à une littérature et une culture autres, à travers la découverte d’histoires, de personnages et… d’auteurs. Ce dispositif vise non seulement à conjuguer les univers du lecteur et du texte, du lecteur et de l’auteur, à travers l’expérience de la rencontre littéraire mais aussi à enrichir les connexions entre textualité et auctorialité4, entre textualité et socialité5.
L’objectif principal de ce cycle est en effet de dialoguer avec des auteurs, deux écrivains et une écrivaine, en explorant les notions d’auteur et d’auctorialité, en mettant l’accent tant sur leur identité d’écrivain ou d’écrivaine, sur leur processus d’écriture et sur les éléments qui caractérisent leur démarche créative et qui déclenchent leur choix littéraire (stylistiques, thématiques, etc.), que sur l’intentionnalité qui les lierait aux textes qu’ils ont produit6. Plusieurs questions que je leur ai soumises se sont intéressées à leur travail de création ou à la génétique des textes et l’accent a été mis « sur leur ‘fabrique’ »7 et sur certaines œuvres spécifiques pour que les rencontres présentent une entrée générique ou bien thématique.
À ces trois rendez-vous ont participé une autrice et deux auteurs, parmi tant d’autres, dont certaines œuvres sont lues au sein de notre atelier : Bernard Friot, Janine Teisson et Laurent Contamin. Leur production littéraire est extrêmement riche et variée et s’adresse à un lectorat hétérogène qui va des jeunes enfants aux adultes, en passant par les adolescents et les jeunes adultes.
En particulier, les trois rencontres ont été conçues pour proposer une approche à la fois générique et thématique de l’œuvre des trois auteurs. En premier lieu, elles se sont intéressées à des genres littéraires spécifiques tels que la poésie et la nouvelle (ou « histoires brèves ») pour Bernard Friot, le roman et l’autobiographie pour Janine Teisson, le théâtre pour Laurent Contamin. Cependant, étant donné l’ampleur et la diversité de la production de ces trois auteurs, les entrevues ont parfois élargi vers d’autres genres et ont également abordé d’autres typologies de texte. L’échange et la lecture d’extraits de la part de l’auteur même a favorisé un contact direct entre le lecteur et l’auteur et entre le lecteur et le texte littéraire.
En ce qui concerne l’approche thématique, par exemple, l’entrevue avec Janine Teisson s’est développée autour de la figure de la femme à laquelle toute son œuvre accorde une place centrale8. L’œuvre de ces auteurs a été le moteur central de chacune de ces rencontres, car, comme l’écrivent Jean-Marie Baldner et Alice Barbaza à propos des rencontres avec les artistes, « [n]ous postulons ici que sans parole sur et autour de l’œuvre, la rencontre avec ne peut avoir lieu »9. Dans le cas spécifique de nos rencontres avec les auteurs, je tiens à mettre en relief l’importance de l’échange qui s’est établi entre le créateur et son lectorat, en essayant de dépasser les difficultés et les limites qui parfois caractérisent ces événements organisés dans le cadre scolaire (difficultés organisationnelles, faible clarté des objectifs, etc.), mettant surtout en valeur leur richesse10. Le lecteur a été au cœur du cycle « Vous les aimerez » : quelle est la place que les auteurs lui accordent ? Quel est le rapport qui s’instaure entre créateur, œuvre et destinataire, c’est-à-dire entre auteur, texte littéraire et lecteur ?
En général, à ces rendez-vous littéraires, ont participé des lecteurs et des lectrices ayant lu au moins une œuvre de l’écrivain interviewé désirant ainsi poursuivre dans la découverte de son œuvre. Toutefois, j’ai eu le plaisir de constater également la présence de participants venus découvrir pour la première fois les auteurs. Selon Bernard Friot,
[l]a rencontre avec un écrivain peut donc être « utile » si elle renforce la pratique de lecture, qui ne se limite pas au moment où l’on ouvre le livre pour le lire, mais recouvre un ensemble de « gestes culturels » : fréquenter les lieux de lecture, choisir des livres, connaitre différents types de textes, échanger autour de ses lectures avec d’autres lecteurs, conseiller des livres, adapter sa lecture aux différents types de textes et à ses propres attentes par rapport à ces textes, etc.11.
Confirmation, découverture ou tremplin, ces rencontres ont ouvert les participants à de nouvelles lectures et à une expérience intellectuelle et culturelle enrichissante.
D’habitude, pendant plusieurs années, toujours en collaboration avec l’Alliance française de Cuneo et dans le cadre de la manifestation littéraire « Scrittorincittà » organisée dans la même ville italienne, chaque automne, nous avons proposé aux classes de l’atelier de lecture créative « Lire Ados » des rencontres avec des auteurs ou autrices de jeunesse. Cela se déroulait au début de l’année scolaire, avant que les classes n’aient lu un ou plusieurs livres de l’auteur même. La découverte de l’écrivain inaugurait l’atelier et les futurs lecteurs faisaient la connaissance du livre qu’ils auraient lu via les mots de l’auteur même. Ce rendez-vous automnal représentait l’élément déclencheur de l’activité. En 2021, après une année difficile à cause de la pandémie où toutes les rencontres en présentiel ont été limitées et le calendrier scolaire largement modifié, en particulier en Italie, nous avons envisagé un changement dans notre pratique et organisé des rencontres en ligne. Mais dans ce cas, non avant, mais pendant ou après la lecture de l’œuvre de la part des élèves. C’était l’occasion pour que les lecteurs rencontrent les auteurs. Certains élèves avaient déjà terminé la lecture du livre de l’auteur qu’ils auraient rencontré, tandis que pour d’autres cette rencontre avait lieu en cours de route12.
En général, dans le cadre de l’atelier « Lire Ados », au sein des classes, je propose de réaliser la lecture en petits groupes pour que, dès le début, l’activité soit collective, collaborative et stimule et favorise les échanges parmi les lecteurs comme activité de socialisation, avant qu’ils ne passent à la création. Après la lecture, les élèves-lecteurs ou lectrices sont en effet « appelés à réinterpréter le livre, à le faire revivre et à réaliser des activités créatives de nature différente […] ou bien ils sont confrontés à la découverte de la dimension littéraire de l’écrit à travers des activités d’écriture créative »13. Dans une activité d’actualisation du texte littéraire et de fictionnalisation14 mobilisant les imaginaires du lecteur, les élèves s’approprient15 le texte, le font leur et se font sujets lecteurs16. Si actualiser signifie « rendre actif et résonnant dans notre environnement présent, pour nos subjectivités présentes, un potentiel de signification porté par les œuvres héritées du passé (proche ou lointain) »17, on peut également (re)donner vie à un texte contemporain, en l’enrichissant de nos images, de nos perspectives, de nos subjectivités, de notre propre vécu, sans qu’il y ait de véritable déplacement historique, mais géographique, social, émotionnel, etc. La lecture subjective et l’échange avec les auteurs favorisent l’implication de la part du lecteur et son appropriation du texte littéraire. Si d’une part la parole de l’auteur permet de combler certains blancs laissés par le texte, de l’autre elle incite le rapprochement de la part du lecteur et son engagement personnel dans l’acte de lecture qui suivra.
Dans l’idée de modifier la représentation de la lecture encore trop souvent perçue par les jeunes comme activité principalement scolaire, ces rencontres n’ont pas été conçues dans un cadre purement académique. L’idée a été plutôt d’impliquer toute sorte de lecteurs : les lecteurs-élèves, oui, mais non seulement, l’intérêt des rencontres avec un grand public étant de « sortir du cadre de la classe et de l’école et ainsi élargir l’univers du lecteur ; constituer une communauté de lecteurs qui se rencontrent autour de lectures communes »18, comme le suggère Bernard Friot. Des étudiants, des universitaires, des passionnés de lecture et de littérature française, etc. ont également pris part aux événements, tous curieux de connaître ou de redécouvrir l’œuvre de ces trois auteurs.
Pour ma part, en tant que lectrice, je me suis plongée dans cette expérience avec un rôle de médiatrice et de « passeuse de livres » désirant éveiller des moments de partage et de créer les conditions pour cette communication19. Mes questions ont précédé celles du public, ces dernières « suscitées par de réels échanges »20. Dans la transcription des entrevues, certaines questions de la salle ont été sélectionnées et englobées aux miennes, pour éviter les redits ou les questions trop générales qui n’abordaient pas l’œuvre et le travail spécifiques de l’écrivain interviewé.
Comme nous le rappelle Isabelle Sagnet : « Daniel Pennac nous parle de « réveiller en lisant les plus obscurs besoins de comprendre ». Lire éveille la curiosité, le désir d’apprendre, de chercher du sens, et il est heureux que ces partages de lectures contribuent aussi à nourrir la soif des savoirs »21. Il s’agit, dans le cas de nos entrevues aussi, non seulement de rencontres entre un auteur et des lecteurs, mais aussi d’un dialogue qui va bien au-delà d’une simple communication entre ces deux instances : les œuvres parlent aux lecteurs, éveillent leur curiosité, animent leurs émotions, favorisent leurs interprétations et leur rapprochement du texte littéraire à travers la parole des auteurs.
C’est cette parole qui est au cœur des échanges, la parole d’auteurs qui se font ici passeurs de lecture et de livres.
Bernard Friot22 naît en 1951 près de Chartres, en Eure-et-Loir. Grand lecteur lorsqu’il était enfant, il se consacre à l’étude des lettres. Il devient ensuite professeur en collège et lycée, avant d’être formateur à l’école normale de Guebwiller, dans le Grand-Est.
Pendant les années 1980, il commence à écrire des histoires courtes et surprenantes, pour les enfants, et surtout pour ceux en difficulté qu’il côtoie ; il écrit avec eux et étudie leur manière de faire, de penser et de s’évader. C’est leur liberté quant aux codes littéraires et leur imagination débordante qui l’inspirent et le font repenser et réinventer l’écriture et ses techniques. Son expérience de lecteur et d’enseignant l’inspirent aussi. En particulier, grand lecteur et connaisseur de Gianni Rodari, il s’empare des techniques et des savoirs du pédagogue italien et les fait siennes, tant qu’en France il est considéré comme l’héritier de Gianni Rodari, et parmi les promoteurs, comme l’écrivain italien, d’une littérature de grande qualité pour les enfants.
Après des nombreuses visites dans les classes et des échanges avec les enfants, une institutrice lui conseille d’envoyer ses textes à des éditeurs de jeunesse, dont Milan, ce qui lui permet d’entrer dans le monde littéraire et éditorial pour les jeunes. Naissant ainsi les Histoires pressées, publiées pour la première fois par Milan en 1988 et premières d’une longue série. Dix ans plus tard, l’écriture et la traduction deviennent son métier à part entière ; très prolifique, il a publié plus de quatre-vingts livres dont certains ont été traduits dans une vingtaine de langues, destinés tant aux enfants qu’aux adultes. Il en a par ailleurs traduit de nombreux depuis l’allemand et l’italien.
Sophie Chanourdie, directrice littéraire chez Milan, le décrit comme un auteur « curieux, gourmand et voyageur (...), d’une créativité débordante et joyeuse qui se nourrit d’échanges et de rencontres, et qui ne s’arrête jamais à “ce qu’il est possible de faire” ». Il innove, tente, et pousse les limites pour toujours trouver un nouvel aspect qui intéresse son jeune public et ouvrir son écriture à des nouvelles possibilités.
À présent, il continue son chemin en France et autour du monde, à la rencontre d’enseignants, d’élèves et d’étudiants, de libraires, de (jeunes) lecteurs, avec toujours le même engagement : donner envie de lire à tous, surtout aux enfants. De ses nombreuses rencontres sont nés plusieurs livres comme ceux des histoires pressées. De même, de son activité d’animateur d’ateliers d’écriture, on vit le jour plusieurs ouvrages comme Un été de poésie, d’amour, de vie (rayez la mention inutile) (Milan, 2018), d’abord publié en italien sous le titre Dieci lezioni sulla poesia, l’amore, la vita (cancellate le parole che non servono) (Lapis, 2016), l’Agenda du (presque) poète (La Martinière jeunesse, 2007) ou encore La Fabrique à histoires (Milan, 2011).
Le pégagogue Gianni Rodari a été pour lui « un modèle d’écrivain engagé dans un projet éducatif au service de tous les enfants », en l’ouvrant à une écriture ouverte à tous et le faisant réfléchir sur l’« utilité sociale de l’écrivain ».
Parmi les prix qu’il a reçus, nous signalons le « Premio Andersen 2009 » pour Il mio mondo a testa in giù (traduction italienne des Histoires pressées), le « Premio ORBIL 2012 (Librerie indipendenti) » pour Ricette per racconti a testa in giù (traduction italienne des Histoires minute), le « Prix Poésie des lecteurs Lire et faire lire 2017 » pour À la lettre : un alphabet poétique, le « Premio Andersen 2019 » comme "Protagonista della cultura per l’infanzia" (Protagoniste de la culture pour l’enfance) ou encore le « Premio Liber Miglior libro dell’anno 2019 » pour Un anno di poesia (traduction italienne de l’Agenda du (presqu)e poète) et, en 2000, sa présence dans l’ « Honour List» de l’IBBY (International Board on Books for Young People), dans la catégorie « Traduction », pour Le collectionneur d’instants de Quint Buchholz, qu’il a traduit depuis l’allemand vers le français.
Œuvres de Bernard Friot (liste non exhaustive dans l’ordre chronologique)
Histoires pressées, Milan, collection Junior, 1988.
Nouvelles histoires pressées, Milan, collection Junior, 1991.
Encore des histoires pressées, Milan, collection Junior, 1997.
Un autre que moi, De La Martinière, 2003.
A mots croisés (poèmes), Milan, collection Junior, 2004.
Pour vivre. Presque poèmes, De La Martinière, 2005.
Pressé ? Pas si pressé, Milan, collection poche Junior, 2006.
Je t’aime, je t’aime, je t’aime : poèmes pressés, Milan, collection Junior, 2007.
Agenda du (presque) poète, La Martinière jeunesse, 2007.
Mon cœur a des dents, poèmes sous haute tension, Milan, collection Macadam, 2009.
La Fabrique à histoires, ill. de Violaine Leroy, Milan, 2011.
La vie sexuelle des libellules, et autres poèmes, Milan, collection Macadam, 2011.
La fille qui rit, Actes Sud Junior, collection D’une seule voix, 2011.
Peintures pressées, un musée imaginaire, Milan, 2013.
Histoires à jouer, ill. de Jacques Azam, Milan, 2013.
J’aime/Je déteste le français, ill. de Zelda Zonk, Milan, collection Cadet, 2014.
La Bouche pleine : encore des poèmes pressés, Milan, 2015.
Moi, je suis un cheval, ill. de Gek Tessaro, La Joie de lire, 2016.
À la lettre : un alphabet poétique, Milan, 2016.
C’est encore loin, la vie ?, Le Seuil jeunesse, 2015.
Dieci lezioni sulla poesia, l’amore, la vita, Lapis, 2016.
Poèmes à dire comme tu voudras, ill. d’Amélie Falière, Flammarion, 2016.
Paroles de baskets et autres objets bavards, Milan, 2017.
Un été de poésie, d’amour et de vie (rayez la mention inutile), Milan, 2018.
Des trous dans le vent, poèmes en promenades, Milan, 2019.
De zéro à neuf, poèmes, Centre de création pour l’enfance de Tinqueux, 2019.
Histoires pressées, à toi de jouer, Milan, 2020.
Histoires chuchotées au musée Carnavalet, ill. d’Anthony Huchette, Paris Musées, 2021.
Ici et là, et ailleurs aussi, ill. Jérémie Fischer, Le port a jauni, 2021.
Les po-poèmes, ill. Bernadette Després, Bayard jeunesse, 2023.
Ballade en fromagie, Aurore Paillusson (co-autrice), ill. Thomas Baas et Charlotte Fréreau, Milan, 2023.
Études sur l’auteur
BOUTEVIN, Christine, « Entretien avec Bernard Friot », in Eurolije, Médiations autour du livre pour la jeunesse en Europe. Recherches et pratiques, 2023, URL : https://eurolije.eu/entretien-avec-bernard-friot/.
D’ANGELO, Laura, « Poesie e storie per un mondo a testa in giù. Dialogo con Bernard Friot », in Insula europea, 2023, URL : https://www.insulaeuropea.eu/2023/10/30/poesie-e-storie-per-un-mondo-a-testa-in-giu-dialogo-con-bernard-friot/.
GHISALBERTI, Carla, « LA FABRIQUE À HISTOIRES, i racconti di Bernard Friot tra i banchi di scuola », in Libri Calzelunghe, 2016, URL : https://libricalzelunghe.it/2017/04/24/la-fabrique-a-histoires-i-racconti-di-bernard-friot-tra-i-banchi-di-scuola/.
MONGENOT, Christine (propos recueillis par), « Renouveler les rencontres avec les auteurs. Entretien Bernard Friot », in Le français aujourd'hui, 206 (3), 2019, Éditions Armand Colin, p. 123-132.
1. Chiara Ramero : Bernard Friot, tu écris de la poésie et autour de la poésie, tu es lecteur de poésie et, dans certaines de tes œuvres, je pense par exemple à l’Agenda du presque poète (La Martinière jeunesse, 2007)23, tu proposes la lecture de poèmes comme élément déclencheur, point de départ, source d’inspiration pour l’écriture. Tu dis souvent que la poésie est démocratique. Selon toi, pourquoi c’est un genre pour tous ?
Bernard Friot : La première chose, c’est que la poésie n’est pas un genre, mais un rapport à la langue. Ce n’est pas moi qui le dis, mais l’écrivain haïtien Lyonel Trouillot. Et je pense que c’est juste dans la mesure où on peut dire aussi que la poésie n’est pas seulement dans les poèmes. La poésie est une façon d’écouter la langue et c’est notre premier rapport à la langue, dans le sens que quand un enfant, déjà dans le ventre de sa mère, entend la voix, d’abord, il sent des vibrations et il entend des sons particuliers, les sons de la voix qui sont produits par le corps de la mère et qui atteignent son propre corps. Ensuite, quand il est né, l’enfant entend toutes sortes de bruits et, petit à petit, il va distinguer les voix. Et dans les voix, il va distinguer aussi des modes particuliers de dire. Or, on s’adresse beaucoup aux enfants dans les premiers mois, à travers des berceuses, des comptines, des petites poésies et c’est une façon particulière de parler.
Le premier rapport à la langue d’un enfant, c’est le rapport poétique, puisque l’enfant ne comprend pas les significations, le sens des mots, mais la musique, la matérialité de la langue. Et très tôt, un enfant produit des sons qui sont liés à la langue qu’il entend. Par exemples, dans les bandes dessinées françaises, un enfant qui pleure, il fait « ouin » en utilisant la voyelle nasale « in » qui n’existe qu’en français, tandis qu’un bébé italien, par exemple, va crier d’une autre façon.
La poésie est démocratique aussi parce que, comme le dit Denis Roche, « en dépit de l’opinion commune, la poésie est le genre le plus facile et le plus ouvert ». Quand on apprend une langue étrangère, on s’aperçoit qu’avec dix mots, on peut déjà écrire un poème. Parce que c’est de la parole concentrée, c’est la parole qui joue aussi non seulement sur la signification, mais sur le son des mots et sur toute la force de la parole. On peut communiquer très très tôt par la poésie quand on apprend une langue étrangère. Et puis aussi mon expérience, vraiment 1000 fois répétée, est que quand je fais des ateliers d’écriture avec des jeunes, avec des adultes ou avec des enfants, quelle que soit leur origine, quel que soit leur niveau social, quel que soit leur niveau scolaire, la poésie est égalitaire. Elle donne les mêmes chances à tous. Et c’est ça qui est extraordinaire, c’est que, pendant ces ateliers, tous arrivent à dire quelque chose de vrai d’eux-mêmes grâce à la poésie. C’est beaucoup plus facile qu’un récit qui demande construction, qui demande maîtrise d’autres compétences.
Et puis en poésie, il n’y a rien de juste et de faux. Certains mots, certains vers vont dire plus, produire plus d’effet chez le lecteur que d’autres, mais rien n’est juste ou rien n’est faux. Même la grammaire, en poésie, on peut la bousculer, la modifier, la réinventer.
2. CR : Par rapport à tes ateliers d’écriture autour de la poésie, dans ton œuvre Un été de poésie, d’amour et de vie (Milan, 2018), quel est le rôle que la poésie joue dans le déroulement de l’histoire ?
BF : C’est un livre qui a une histoire un petit peu particulière, parce qu’il m’a été demandé par un éditeur italien, Lapis, qui m’a demandé une histoire d’amour entre préadolescents. Et, bizarrement, m’est venue cette histoire de deux adolescents qui se rencontrent pendant un atelier d’écriture poétique. Il n’y a pas d’autre explication, sauf que c’est venu comme une évidence à un certain moment qui a probablement été aussi influencée par des moments que j’ai vécus, parce que, pour moi, écrire avec des enfants, des adolescents, des adultes pendant un atelier poétique, c’est bien plus fort qu’écrire seul un poème. Quand un ado lit un fragment de poème qui touche tout le monde, cela crée une émotion bien très forte. On a l’impression que ce qui a été écrit seul a été en réalité écrit avec tous les autres. Il s’agit aussi des moments où les adolescents ou les enfants découvrent un moyen de dire les nouvelles expériences qu’ils font. Par exemple, l’expérience de l’amour à l’adolescence est importante et il ne suffit pas de la vivre, il faut la dire. Il faut trouver les mots et les moyens pour la dire. Et beaucoup d’adolescents, je le sais, s’y essaient, quand ils font des expériences sentimentales et émotionnelles nouvelles. Donc c’était naturel de penser à cette histoire. Et pour moi, c’était le moyen de raconter ce qui se passe pendant les ateliers d’écriture, parce que la démarche est beaucoup plus importante que les activités. On peut trouver des manuels d’activités pour écrire la poésie, il y en a beaucoup. J’en ai moi-même écrits, mais expliquer comment ça se déroule, expliquer l’importance de l’écoute, expliquer qu’il faut mettre en confiance, qu’il faut apprendre à retravailler les textes qu’on a écrits, que le passage par l’oral, c’est bien plus important. Tout cela, j’ai pu le raconter à travers cette fiction. On comprend que ce n’est pas la technique qui est déterminante, mais ce sont des moments de vie en commun, à travers l’écoute, parce qu’un des éléments fondamentaux de la poésie, c’est l’écoute.
3. CR : Je pensais justement à la manière dans laquelle tu as raconté le déroulement d’un atelier à travers la fiction, c’est-à-dire l’histoire entre ces deux personnages adolescents. Et tu expliques comment ils se sont rapprochés de la poésie et de cette amitié qui se transforme le long de l’histoire. À travers cette fiction tu as parlé de l’amour, que je dirais être parmi les thèmes les plus fréquents dans tes œuvres : l’amour pour la langue, l’amour pour la littérature, l’amour pour l’écriture, l’amour entre les personnages. Dans tes Poèmes pressés (Milan, 2007) aussi, qui sont au cœur de la série des histoires pressées, l’amour joue un rôle central. Peux-tu nous en dire plus ?
BF : Alors d’abord le terme pressé c’est moi qui l’ai inventé quand j’ai écrit les Histoires pressées (Milan, 1988). Après, vu le succès des histoires, l’éditeur a utilisé le terme comme une marque et l’a ajouté chaque fois, d’où par exemple les « poèmes pressés ». Cependant, ce n’était pas du tout le titre que je voulais donner à ce recueil. Les Histoires pressées sont nées d’un travail avec des jeunes enfants de sept, huit, neuf ans que je voyais régulièrement quand j’étais enseignant, quand j’étais formateur d’enseignants du primaire. J’allais régulièrement dans une classe et j’ai commencé à écrire les histoires que me dictaient des enfants, individuellement. Je voyais qu’ils avaient envie d’écrire des histoires, mais qu’ils avaient du mal à tenir le stylo et avec l’orthographe. Moi, je leur servais de secrétaire, c’est ce qu’on appelait à l’époque la “dictée à l’adulte”. Ils me dictaient leur histoire et l’intérêt était qu’il y avait tout de suite une interaction avec eux. Si je ne comprenais pas quelque chose, je posais des questions et cela les aidait à construire des histoires plus cohérentes. J’ai beaucoup appris d’eux et j’ai pris l’habitude aussi d’écrire pour certains de ces enfants qui avaient du mal à lire des textes un peu longs : je leur laissais une histoire courte pour les encourager à lire. C’est petit à petit que j’ai développé un style un petit peu particulier, très concentré. Et c’est seulement après, quand une institutrice m’a conseillé d’envoyer ces textes à un éditeur, que c’est devenu un livre. Toutefois, on peut dire que ces textes sont nés dans le contact, dans le dialogue avec les enfants. Et je pense que, tout au long de mon travail d’écriture, ce rapport direct avec les lecteurs est resté important. Gianni Rodari disait que pour un écrivain pour enfants, c’est un devoir (c’est le mot qu’il utilisait) de les rencontrer et de travailler avec eux parce qu’on écrit pour eux, mais on écrit aussi à leur place. Ils ne sont pas encore capables d’écrire leurs livres. Les livres d’enfants sont écrits par des adultes, donc on doit leur servir de porte-parole.
4. CR : Est-ce qu’on peut te demander de lire un de tes Poèmes pressés ?
BF : On peut s’amuser parce qu’il y a un élément qui est important, qu’on a beaucoup développé avec le graphiste : la mise en page. C’est l’idée que le poème est comme une partition musicale et que, juste avec la typographie, on peut donner des indications musicales de hauteur et de volume.
Pour celui-là, il faut un peu le crier, il faut un petit peu de voix.
je le crie sur les toits
je le hurle à la lune
je grimpe aux murs en y pensant
je saute en l’air en le disant
je t’aime je t’aime à la folie
j’en ai des frissons dans le dos
les cheveux qui se dressent sur la tête
les dents qui claquent les genoux qui tremblent
yeux exorbités doigts de pied électrisés
hou là là c’est excitant,
exaltant étonnant époustouflant
vraiment
d’aimer
Je t’aime, je t’aime, je t’aime : poèmes pressés, Milan, collection Junior, 2007, p. 11
On n’est pas obligé de se prendre au sérieux quand on écrit de la poésie, ni quand on la lit. Cela était vraiment un défi, parce que l’amour évidemment c’est le thème un peu “tarte à la crème” de la poésie, mais je m’étais rendu compte qu’il y avait très peu de poèmes d’amour pour les jeunes. Ce qui est bizarre, c’est que ce livre est ensuite devenu un livre pour tous et que très souvent ce sont les adultes qui l’achètent pour des adultes. L’amour n’a pas d’âge et la poésie n’a pas d’âge.
5. CR : Tu as parlé de l’importance du coté graphique, de la forme, de l’esthétique de tes poèmes. Je pense aux calligrammes d’Apollinaire et à d’autres de tes poèmes et de tes recueils, comme par exemple le poème à la page 104 de tes Poèmes pressés. Ici l’amour et l’alphabet jouent un rôle fondamental dans la construction formelle et thématique du texte.
Ou encore dans ton À la lettre : un alphabet poétique (Milan, 2016), tout est construit autour des lettres de l’alphabet. Tu t’es donné des contraintes précises ?
BF : Celui sur la contrainte poétique ou la contrainte d’écriture est un discours sur lequel je suis un petit peu partagé.
amour
baiser
caresse
désir
embrasser
folie
galanterie
harmonie (hormones aussi)
incurable ou illusion ou inanition (car l’amour ça coupe l’appétit)
joie (parfois)
joue (baiser sur la)
je (et tu pour faire nous)
j’ai essayé de classer l’amour par ordre alphabétique
Hélas le k est un cas, une Katastrophe
Alors à k ça s’arrête là
Je t’aime, je t’aime, je t’aime : poèmes pressés, Milan, collection Junior, 2007, p. 104
Dans ce livre, je me suis beaucoup amusé à associer l’amour avec quelque chose de complètement différent : amour et gourmandise, amour et sport, amour et ordre alphabétique. Je ne me souviens plus comment sont venues les idées, sauf que j’avais envie, à l’intérieur d’un livre qui avait l’amour comme thématique, d’essayer des formes extrêmement différentes. Je n’utilise pas des formes, des règles qui existent déjà ; je me les donne. Je pense que chaque poème crée ses propres règles. Personnellement, j’ai un peu de mal avec les règles oulipiennes et avec les formes fixes, surtout quand elles sont utilisées en classe comme des mécaniques pour produire des textes qui se ressemblent tous. Au contraire, dans mes ateliers d’écriture, je fais des propositions, je ne dis jamais qu’il s’agit de consignes. Au contraire, j’explique bien que ce n’est pas une consigne et que si on ne respecte pas ma proposition, ça ne me gêne pas. C’est juste un stimulus pour écrire et ce qui importe c’est de voir ce qui en sort et la structure qui se crée. La structure du poème, elle apparaît dans l’écriture, elle n’est pas forcément décidée à l’avance. Est-ce qu’il va y avoir des rimes ou est-ce qu’il n’y en a pas ? Est-ce que la forme est fixe ou est-ce qu’elle est très libre ? Je conçois, je comprends qu’il y ait des gens qui écrivent de la poésie, qui aient besoin de formes fixes. Personnellement, ça m’intéresse beaucoup plus d’inventer des nouvelles formes et d’aller jusque jusqu’aux frontières de la poésie. Parfois, je me demande : « Mais est-ce que ce que j’ai écrit, c’est un poème ? » … parce que cela ressemble juste à une énumération, parce que c’est très proche de la prose, parce que parfois cela raconte une histoire. C’est la manière dont on lit un texte qui en fait un poème. Je peux lire comme un poème même un texte extrêmement banal. Quand je suis en Italie, je donne toujours cet exemple : quand je vois « Sali tabacchi valori bollati24 » sur les enseignes de marchands de tabac, pour moi, c’est de la poésie, parce qu’il y a des assonances, parce qu’il y a un rythme, et peu importe le sens.
Il y a beaucoup de phrases qu’on peut lire comme de la poésie. On oublie leur sens, mais on est attentifs à leur musicalité, au rythme qui est créé, aux sonorités. Et il y a beaucoup de textes que j’écris qui finalement ont peu de sens, mais qui font bouger les mots et interviennent à différents niveaux de compréhension. Il y a toujours de la sensualité dans la poésie ; elle touche les sens, l’oreille, elle évoque. On s’arrête sur les mots et on les mâchouille, et cela crée d’autres significations, des significations imprévues. Encore une fois, c’est le rapport qu’on les très jeunes enfants avec la langue. Ils adorent répéter des mots, parfois qu’ils ne comprennent pas, mais simplement parce que c’est agréable à dire.
6. CR : Plus en général, quel ton rapport à la lecture ?
BF : Je suis un lecteur très éclectique, c’est lié à mon histoire avec la lecture. Quand j’étais petit, on ne lisait pas beaucoup dans ma famille, mais on me laissait lire ce que je voulais, ce que je trouvais. Et parfois, je lisais des livres d’adultes, même quand j’étais enfant. Je lisais des bandes dessinées comme des romans classiques ou des romans d’espionnage et jamais personne ne m’a dit si c’était bien ou non ni ce que je devais lire ou ne pas lire. Pour moi, c’est vraiment important. Par rapport à la lecture, je ne me demande pas si c’est de la grande littérature ou de la petite littérature, parce que cela dépend de comment on lit.
Les derniers livres que j’ai reçus sont de vieux livres de cuisine. Par exemple, j’ouvre ce livre et j’y trouve des recettes, les bonnes recettes du Jardin des Modes, mais aussi des papiers découpés, d’autres recettes, des lettres. C’est incroyable, c’est toute une vie qui est là-dedans. On parle des livres, mais la lecture ne vient pas seulement du livre. Gianni Rodari disait que la lecture est un moment de vie, et ce qui est important, c’est ce qu’on vit avec un livre. Le livre n’est qu’un des éléments de la lecture. Si un ami très cher nous offre un livre qui, a priori ne nous intéresse pas, nous le lire, parce que nous avons une relation particulière avec cet ami. Tout dépend donc du moment auquel le livre arrive dans notre vie. Ce que je trouve intéressant, c’est que le lecteur transforme le livre. Chaque lecture est un moment de vie particulier : il y a le texte, mais il y a aussi le contexte. Ce livre ancien de recettes de cuisine c’est plus qu’un moment de vie, c’est un moment d’histoire que je vais lire comme un témoignage de vie, en essayant d’imaginer qui a utilisé ce livre.
Pour revenir à la question initiale, pour moi, la lecture c’est non seulement les histoires des livres, mais les histoires des gens qui les lisent.
7. CR : Tu as parlé de la lecture et l’importance de la manière dans laquelle on lit un texte. Je disais que tu es également un lecteur de poésie et cela me fait penser à ton œuvre intitulée le Carnet du presque poète (La Martinière, 2017) où tu proposes des vers à partir desquels tu fais des propositions d’écriture. Par exemple, suite à la lecture de quelques vers de Baudelaire, tu proposes à ton lecteur de fixer un arbre ou un objet et d’inventer une histoire à partir de là. Cette version de ton livre est la plus répandue à présent, mais elle vient d’un ouvrage précédent qui est l’Agenda du presque poète (La Martinière jeunesse, 2007).
BF : Oui, le Carnet n’est qu’une réduction de l’Agenda.
8. CR : Les deux versions sont nées de la collaboration avec l’illustrateur Hervé Tullet. Vous avez laissé l’artiste totalement libre de choisir les illustrations ou est-ce que vous les avez choisies ensemble ? Comment s’est passé ce processus de création ?
BF : C’était d’abord un souhait personnel de travailler avec lui. Quand la maison d’édition m’a proposé ce projet, je voulais que cela soit avec Hervé Tullet. Je désirais qu’il y ait une réponse graphique, que l’élément graphique soit vraiment intégré au texte parce que c’est un stimulus important pour l’écriture. Hervé a pris ces textes qui ne sont pas des poèmes mais des propositions d’activités et il a réagi à sa manière, graphiquement. Il a réalisé près de mille dessins et c’est ensuite la graphiste qui a fait un travail de tri et qui a tout assemblé. Finalement, j’avais peu de choses à dire, sauf certains détails parfois. Je savais qu’Hervé allait répondre à la demande et que le résultat ne serait pas simplement illustratif mais aiderait l’imaginaire à s’ouvrir aux propositions d’écriture. C’est un élément qui n’est pas intellectuel, qui est non seulement visuel mais qui est très sensoriel parce qu’il y a des couleurs et des formes qui font appel à la mémoire sensorielle qu’on utilise beaucoup quand on écrit de la poésie. Pour moi, ça a été un formidable cadeau qu’Hervé Tullet et la maison d’édition acceptent cette collaboration.
9. CR : Cette proposition d’activité me fait également penser à Paroles de baskets et autres objets bavards (Milan, 2017), où tu fais parler les objets. Comment proposer à tes lecteurs de trouver un élément déclencheur pour donner vie à l’écriture ? Pour toi, les éléments déclencheurs, les points de départ peuvent être des vers, des objets, etc. Cela signifie qu’à partir de toute chose, de tout objet on peut inventer des histoires ?
BF : Oui. Il n’y a pas que les objets qui peuvent stimuler l’écriture, mais ce qui m’a toujours frappé dans les objets, c’est qu’ils sont le produit des hommes, ils sont fabriqués par les hommes et ils sont utilisés par les hommes. Et donc quand je vois un carnet, je vois une histoire : il vient de quelque part, il est utilisé par quelqu’un, il a voyagé etc. Il me raconte quelque chose de ma vie parce qu’il m’a accompagné pendant un certain temps dans ma vie. Quand je vois une chaise, je pense à ceux qui l’ont fabriquée, à ceux qui se sont assis dessus. La chaise me raconte des histoires multiples et après je peux faire des associations. Paroles de baskets est né d’un atelier d’écriture que je menais avec des adultes. Je leur avais donné une consigne que moi je n’ai pas suivie : je leur demandais de faire parler un personnage et cela spontanément. De mon côté, j’ai fait parler un objet, j’ai écrit une ou deux histoires et j’ai voulu vérifier si cela fonctionnait avec des enfants. D’abord, j’ai demandé à des enfants de réagir au premier texte que j’ai écrit, et ensuite d’écrire eux-mêmes des textes commençant par la phrase « Un jour, un objet m’a dit… ». J’ai observé qu’ils se racontaient à travers l’objet choisi, que celui-ci était comme un masque, comme une marionnette. Si je fais parler mon oreiller, c’est de moi dont je vais parler. Raconter des histoires, c’est juste une façon particulière d’interpréter le monde. Je l’ai dit dans le premier texte de Peintures pressées (Peintures pressées, un musée imaginaire, Milan, 2013). Je dis : « Voilà, regardez, c’est une chaise ». Le fabricant de chaises va dire des choses sur la chaise ; le physicien en dira d’autres, calculera son poids de résistance ; le commerçant va avoir un certain discours sur la chaise et le décorateur aussi tout comme le peintre peut avoir un autre discours et le raconteur d’histoires, l’écrivain, il va aura sa propre vision de la chaise. Et tous ces discours sont justes. Ce qui est également intéressant, c’est qu’aucun des discours n’épuise la réalité de la chaise. C’est ça qui me qui m’intéresse. Et quand on me demande d’où viennent les idées, je réponds : « Regardez autour de vous ; les histoires sont partout ». Une basket, un stylo, une chaussette… La chaussette que j’enlève le soir, elle me raconte une part de mon histoire, de moi-même, surtout si elle est trouée et surtout si elle a perdu sa copine.
10. CR : C’est donc des objets que tu puises ton inspiration ?
BF : Je le dis tout de suite : l’inspiration, ça n’existe pas. En français, on emploie le verbe « puiser », comme s’il y avait une fontaine et on allait chercher l’inspiration. Non, moi je dirais qu’on utilise son imagination. Et l’imagination ? Le principe de l’imagination, c’est l’association. Encore une fois, si je reprends l’exemple de la chaise, je vois une chaise et je peux me demander qui s’est assis sur la chaise ou bien qui va s’asseoir sur la chaise et… c’est parti. J’ai déjà l’idée d’un personnage, il y a quelque chose qui peut se développer. C’est tout ce qu’on entend, ce qu’on sent, ce qu’on a vécu qui est la source des histoires. On puise dans ce matériau d’expérience et on crée des associations nouvelles. C’est aussi une certaine façon d’utiliser son cerveau. Il faut surtout ne pas avoir peur des idées bizarres qui nous viennent. Cela, je l’ai appris des enfants. Eux, ils font des sauts incroyables, ils passent d’un parapluie à une fusée. C’est le principe du jeu. Et nous, adultes, on a un petit peu peur de cela. On reste dans des histoires plus ordonnées, plus réalistes, peut-être. Il faut savoir jouer avec son imaginaire, c’est tout.
11. CR : Par rapport à l’écriture, quelle est ta méthode de travail ?
BF : Ma méthode de travail, c’est de ne pas en avoir. Quand je me suis vraiment consacré à l’écriture, j’ai essayé d’avoir des règles. J’écris quand ça vient. La seule méthode, c’est que c’est pas à pas. J’écris, j’écris, j’écris et il arrive un moment où un projet se dessine, il y a de la matière et je commence à l’organiser.
Quand j’écris un roman, c’est différent, car cela demande une autre discipline, c’est peut-être pour cela je préfère les formes brèves qui me permettent de passer d’un projet à l’autre ou bien de travailler sur des projets extrêmement différents. Je dois dire aussi que je n’ai pas l’obligation d’écrire, même pas financière et pour moi c’est extrêmement important parce que quand je suis obligé d’écrire, quand on me demande de rédiger un article ou de faire un travail d’écriture, tout est beaucoup plus difficile pour moi. Je préfère être libre, être désorganisé d’une manière organisée.
12. CR : Y a-t-il des éléments indispensables dans tes textes ?
BF : À mon avis, il s’agit davantage d’une question pour le lecteur, parce que c’est lui qui cherche quelque chose dans un texte. Moi, ce que j’essaie d’y mettre, ce qui est important pour moi quand j’écris, c’est qu’il faut que ça tombe bien. C’est comme pour un vêtement : il faut que cela m’aille bien. Je le sens. Il faut que je puisse lire le texte à haute voix de manière naturelle et facile. C’est en tous les cas un élément que je travaille beaucoup.
13. CR : Et la musique, est-elle présente dans ton écriture ?
BF : J’écris beaucoup avec la musique parce qu’elle m’aide à me concentrer et je pense que cela transparait dans les textes. J’aime beaucoup la musique classique, l’opéra aussi, et toutes les chansons à texte, de toutes les cultures. J’apprécie beaucoup quand on met mes textes en musique et j’ai travaillé avec des musiciens Par exemple, un des derniers livres que j’ai écrit, c’est une nouvelle version du Carnaval des animaux. Il s’intitule Le Carnaval gastronomique des animaux (Milan, 2020). Il y a l’amour peut-être dans mes livres, mais il y a tout autant la nourriture. La convivialité, elle passe aussi par la nourriture. Je dis toujours qu’on fait trois choses avec la bouche : on parle, on mange et on embrasse. Trois thèmes importants pour moi : le langage, la nourriture et l’amour.
14. CR : On dit que « le premier verre est donné par les dieux, le deuxième par le travail ». Qu’est-ce que tu y répondrais ?
BF : C’est tout à fait juste, c’est très juste. Écrire, c’est facile ; réécrire, c’est plus difficile, car c’est là que commence que commence le métier. Cependant, cela s’apprend, tandis que le premier mouvement ne s’apprend pas vraiment. Quant à la poésie, j’aime beaucoup retravailler les textes parce que dans la poésie, c’est au mot près, pour les histoires pressées aussi. C’est tellement intéressant de voir qu’en supprimant un mot, parfois on dit davantage. Pensons aux petits mots comme « mais », « et », « je » qui changent le rythme et ouvrent plus d’interprétations. Il y a cette autre phrase que j’aime bien : « En poésie, d’abord on trouve, et ensuite on cherche » qui signifie un peu la même chose. On écrit quelque chose, on a un matériau et ensuite on se demande comment l’organiser avec le danger que parfois, en retravaillant un texte, on le casse.
15. CR : Une dernière question : un projet en cours ou à venir ?
BF : Beaucoup ! J’ai terminé le troisième volume de la série « Un été de... » (en italien « Dieci lezioni sulla... ») et c’est Un été de lecture, d’amour et de vie qui sortira d’abord en italien à l’automne 2024. En avril 2024, sort un album écrit à partir d’illustrations de Guy Billout, un illustrateur qui vit depuis de nombreuses années aux États-Unis. C’est un défi d’écrire à partir d’illustrations qui n’ont pas de liens directs entre elles ! Et je rassemble du matériel pour un « Manuel de désobéissance orthographique » !
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« Je suis née dans un port, la vie m’est donc un voyage. L’écriture est ma boussole25 » affirme Janine Teisson, écrivaine française née en 1948 à Toulon, puis continue : « Je pense que la vie de chacun est un voyage au cours duquel on découvre sans cesse, et la mienne contient bien des pays ». Née dans le chef-lieu du département du Var, elle a ensuite vécu son enfance au Maroc, puis quinze ans en Afrique de l’Ouest, en Côte d’Ivoire, pour revenir ensuite dans le Sud de la France où elle habite à présent.
Entre les rencontres avec ses lecteurs nationaux et internationaux et les nombreuses lectures publiques de ses beaux textes, les voyages, tant géographiques que sur les ailes des mots, caractérisent sa vie d’écrivaine, même si elle a affirmé que le seul livre qu’elle a écrit après un voyage est Taourama et le lagon bleu (Syros, 1997), dont l’histoire est née dans l’avion, au retour de Polynésie. « J’ai écrit un conte La petite pierre de Chine sans jamais être allée en Chine ! Mais vous savez, les écrivains sont des voyageurs, même s’ils ne quittent pas leur bureau. Nous voyageons dans les mondes que nous inventons, dans l’âme de nos personnages, à travers les époques. Nous avons beaucoup de chance ! »26 m’a-t-elle avoué lors de l’un de nos premiers échanges.
Elle a exercé divers métiers (enseignante, couturière, éducatrice) avant de se consacrer à l’écriture. En 1993, elle publie son premier roman, La petite cinglée (Climats, 1993, Prix Antigone de la ville de Montpellier et du Premier Roman de Chambéry), trente ans plus tard, paraît : Martienne ? (Chèvre Feuille Etoilée), roman publié cette année, en 2023.
À ce jour, elle a publié une cinquantaine d’œuvres, tant pour les enfants et les adolescents que pour les adultes. Ses lecteurs ont de sept à cent sept ans, comme elle l’affirme dans une page consacrée à la présentation de l’auteur, à la fin du roman Au cinéma Lux.
Son écriture étant extrêmement riche et variée, elle a écrit des nouvelles, des récits auto-biographiques, des romans, des contes pour enfants, des poèmes, des contes érotiques, etc. Ses plus grands succès ont également pu connaître une renommée internationale grâce à leur traduction en plusieurs langues comme l’italien, l’espagnol, le portugais, l’allemand, le coréen, le chinois, etc.
Après une période consacrée à l’écriture pour la jeunesse, dont la variété et la richesse des thèmes traités lui ont permis de garder un contact privilégié avec l’enfance et l’adolescence, elle revient à la littérature adulte avec, en particulier, des romans policiers, la pièce de théâtre NON ! (Chèvre Feuille Étoilée, 2014), ou encore les recueils de poèmes Renaître et Icare mon amour (Chèvre Feuille Etoilée, 2020 et 2023). Nombre de ses œuvres sont inspirées de sa vie et de ses expériences personnelles, comme par exemple La valise oubliée (Syros, 1996) où elle raconte son expérience de clown ayant joué avec sa troupe dans un hôpital pour des enfants gravement malades et en situation de handicap, L’enfant plume (J’ai lu, 2000) qui met en mots les douleurs liées à l’anorexie, ou encore La salle de bain d’Hortense (Chèvre Feuille Étoilée, 2011) où elle exprime son attachement au Burkina Faso, tout comme son premier roman La petite cinglée (1993) où elle dévoile au lecteur son enfance, solitaire et silencieuse, avec à la fois délicatesse et courage.
En particulier, les personnages féminins qui peuplent ses œuvres racontent la vie avec force et détermination et tous, les personnages tant féminins que masculins, permettent au lecteur de découvrir l’ailleurs et l’Autre : « Et j’ai écrit, j’ai écrit, entre légèreté et tragique, entre tendresse et cruauté, naïveté et révolte, poussée par les vents du monde »27, affirme-t-elle.
Fascinée par les mots et « par le pouvoir que détient chaque être, de rechercher, de créer, de vivre le bonheur. Et ce pouvoir est si fort chez ceux qui la vie a blessés ! »28, ses œuvres abordent tous sujets, de l’amour à la guerre, de la maladie au handicap, en passant par l’enfance, l’adolescence, le voyage ou encore l’histoire.
Depuis 2015, Janine Teisson est responsable de la collection « D’un noir, l’autre » chez l’éditeur Chèvre-feuille étoilée.
Œuvres de Janine Teisson (par ordre chronologique, liste non exhaustive)29
La petite cinglée, Climats, 1993 (roman).
La valise oubliée, Syros, 1996 (roman de jeunesse).
Taourama et le lagon bleu, Syros, 1997 (roman de jeunesse).
Au Cinéma Lux, Syros, 1999 (roman de jeunesse).
L’enfant plume, J’ai lu, 2000 (récit).
Les prisonniers d’Icibas, Syros, 2000 (roman de jeunesse).
Marion la jalouse, Bayard Poche, 2002 (album de jeunesse).
Les rois de l’horizon, Syros, 2002 (roman de jeunesse).
Histoires de cœurs, Actes Sud Junior, 2003 (album de jeunesse).
La petite pierre de Chine, Actes Sud Junior, 2004 (conte).
Écoute mon cœur, Syros, 2006 (roman de jeunesse).
Au clair de la nuit (ill. Joanna Concejo), Motus, 2009 (poésie).
La pantoufle écossaise, Gallimard, 2009 (première lecture).
Liens de sang, Chèvre Feuille Étoilée, 2010 (roman).
La salle de bain d’Hortense, Chèvre Feuille Étoilée, 2011 (roman).
La métamorphose du rossignol, Chèvre Feuille Etoilée, 2014 (roman).
NON !, Chèvre Feuille Étoilée, 2014 (théâtre).
Thalasso-crime, Chèvre Feuille Étoilée, 2015 (roman).
Canimonde 2184, Chèvre Feuille Étoilée, 2016 (roman).
Elles ont aimé un homme plus jeune, 20 biographies de femmes, Éditions Glyphe, 2018 (biographie).
Des rubis dans le foie gras, Oskar, 2019 (roman de jeunesse).
Un amour sous les bombes, Oskar, 2019 (roman de jeunesse).
Amoureuse, Syros, 2019 (roman de jeunesse).
Germaine Tillion, un long combat pour la paix, Éditions Glyphe, 2020 (biographie).
Renaître, Chèvre Feuille Etoilée, 2020 (poésie).
Icare, mon amour, Chèvre Feuille Etoilée, 2023 (1ère éd. 2020) (poésie) .
Martienne ?, Chèvre Feuille Etoilée, 2023 (roman).
Études sur l’auteure
RAMERO, Chiara, « Entre France et France, entre jeunesse et âge adulte, trois auteurs lèvent le voile sur une face cachée de la vie humaine », in ABBATI, Orietta (dir.), Intrecci romanzi. Trame e incontri di culture, Torino, Nuova Trauben, 2017, p. 247-258.
RAMERO, Chiara, « Le passé dans les romans pour adolescents de Janine Teisson : entre histoire et fiction », in KUROIWA, Taku, RAMERO, Chiara (dir.), The past as a source of imagination and inspiration : strategy, function, and diversity of historical narratives, Université du Tohoku, Graduate School of Arts and Letters, 2021, p. 47-68.
À propos de son œuvre
À propos de La Petite cinglé : « Il est des écrivains qui écrivent avec une lame. Janine Teisson est de ceux-là. » (Thierry Guichard, le Matricule des Anges)
À propos de L’enfant Plume : « Elle peut dire sa violence et son désespoir avec une remarquable pudeur, sans la moindre exhibition. » (Dr Annick Poquet-Issad, psychiatre)
À propos de Martienne ? : « Un livre de qualité, incontestablement, qui répond une nécessité » (René de Ceccatty)
1. Chiara Ramero : Janine Teisson, ta production est variée, diversifiée, riche. Tu as écrit des romans, des poèmes, une pièce de théâtre, des albums, des récits pour les enfants, etc. Tu as rédigé des récits autobiographiques et des biographies aussi, dont la première est Germaine Tillion. Un long combat pour la paix (Éditions Glyphe, 2020)30. Qui est cette femme ? Et pourquoi tu as voulu écrire sa biographie ?
Janine Tesson : Germaine Tillion est une femme qui est née en 1907 et morte en 2008, donc à 101 ans, et qui a été élevée de façon très moderne, dans le principe qu’une femme pouvait faire le métier qu’elle voulait. Elle a choisi l’ethnologie et elle est partie en Algérie dès les années 1930 pour étudier les tribus Chaouïas. Elle a fait ça toute seule à une époque où les femmes étaient plutôt vouées à se marier et à avoir des enfants. Puis, elle s’est engagée en 1940 dans la Résistance, parce que pour elle il était impossible de plier devant une idéologie aussi insupportable et dégradante que le Nazisme. Ce n’était pas tellement le fait d’être vaincu qui la révoltait, mais elle savait ce que c’était que le Nazisme et cela, pour elle, était insupportable. Elle a pris la tête du groupe du premier réseau de Résistance, qui était le réseau du Musée de l’Homme, mais elle a été trahie et emprisonnée à Ravensbrück, qui était un camp d’extermination par le travail. Là, elle se comporte en ethnologue : elle étudie le camp et combien peut rapporter une femme qui est complètement affamée, qui va travailler jusqu’à la mort, et à qui, c’est-à-dire à Himmler, puisque c’est lui qui possédait le camp de Ravensbrück. Elle fait la liste des femmes qui sont avec elle, des SS, des gardiens. Elle fait des relevés dignes d’une chercheuse qu’elle est. Et elle survit, elle témoigne, elle garde son humour, elle écrit même une petite opérette, Le Verfügbar aux Enfers, qui a été mis en scène et qui a été jouée pour l’anniversaire de ses 100 ans. Et elle dit qu’elle a survécu grâce à l’amitié de ses camarades. Et parmi ses camarades, il y avait une résistante italienne, née à Mondovì, qui est Lidia Rolfi. Moi, j’ai toujours été passionnée par la Résistance parce que mes parents, ils avaient vécu la Deuxième Guerre mondiale et pour eux, leur héros, je dirais presque même leur mythologie, c’était la Résistance. J’ai été baignée là-dedans et quand j’ai rencontré Germaine Tillion, résistante, aussitôt, ça m’a attirée.
Si on revient à sa vie, après avoir témoigné au procès de Hambourg, avoir représenté les femmes de Ravensbrück, en 1954, elle est retournée en Algérie. Et là, elle a découvert la situation horrible des Algériens, ce qu’elle a appelé la « clochardisation », c’est-à-dire le résultat d’une politique coloniale. C’était l’époque de la guerre d’indépendance de l’Algérie et elle voit dans les combattants algériens les frères de ses amis résistants, de ses camarades résistants, puisqu’ils donnent leur vie pour la liberté de leur peuple. Pour elle, il n’y a pas de différence et elle va tenter de faire comprendre au gouvernement français qu’il faut arrêter de faire parler les armes.
Elle résiste de toutes ses forces à l’opinion générale qui est « l’Algérie nous appartient, nous devons la garder », « ses combattants sont des terroristes », etc. Elle résiste et elle lutte toute sa vie contre ce qu’elle a pour adversaire, ses deux ennemis, c’est-à-dire la méchanceté et la bêtise. Moi, j’ai vécu au Maroc dans les années 1950 et je sais très bien ce qu’elle veut dire quand elle parle de l’apartheid à la française. Je sais ce que c’est parce que dans les années 1950 c’était encore la colonisation au Maroc. Et quand elle parle aussi d’un racisme institutionnel, je sais de quoi elle parle. Ce sont des choses qui me tiennent à cœur, qui me blessent en tant que Française. Je suis heureuse qu’actuellement la France commence à reconnaître ce qui s’est passé. Germaine Tillion disait : « Je ne connais qu’une race, la race humaine. » Et donc, pour moi, c’est une femme qu’il faut suivre et c’est une femme qui est toujours dans la pensée et toujours d’actualité. Jusqu’à 100 ans, elle a lutté pour les droits des femmes, pour leur éducation, contre l’excision, contre la guerre. Comme une grande majorité des français, moi, je ne la connaissais pas au début. C’est seulement parce que j’ai offert un de ses livres à ma fille qui avait fait des études d’ethnologie. J’ai lu ce livre et à partir de ce moment-là, j’ai été captivée par cette femme. Et comme je me suis rendue compte qu’il n’y avait pas de biographie de Germaine Tillion, j’ai fait toutes les recherches possibles et j’ai écrit ce qui reste jusqu’à maintenant l’unique biographie de Germaine Tillion. Je me suis littéralement attachée à elle, comme on s’attache à une amie. Je ne l’ai pas rencontrée, mais ses amies m’ont donné, m’ont montré des vidéos et au bout d’un moment je connaissais sa voix. Je la connaissais comme si je l’avais fréquentée. J’éprouvais de l’amitié pour elle. J’aimais son humour. J’ai toujours l’impression de l’avoir connue, alors que non, je ne l’ai pas connue, mais ça a été une très belle aventure pour moi d’écrire cette biographie.
2. CR : Je pense en tant que lecteur ou lectrice on a eu la même impression de connaître effectivement Germain Tillion à travers tes descriptions, à travers tout ce que tu racontes par rapport à cette femme extraordinaire. Cependant, où on rencontre le personnage ? As-tu ouvert le monde de Germain Tillion à la fiction ? Y a-t-il des éléments fictifs dans cette biographie ? C’est-à-dire, dans ce livre, où se termine la réalité et où commence la fiction ?
JT : La question que tu poses, Chiara, sur la fiction et la biographie, pour moi, ça a été une question terrible. Moi, j’étais une romancière et c’était la première biographie que j’écrivais. Et tout à coup, je me suis rendue compte que je ne pouvais pas du tout faire appel à ce qui est mon outil principal, c’est-à-dire mon imagination. J’étais obligée, j’étais tenue de respecter la vérité et de ne pas dépasser. C’était très frustrant pour moi, mais j’ai quand même glissé un peu de mon imagination dans ce récit, puisque le premier chapitre et le dernier chapitre sont de Janine Teisson, puisque j’ai imaginé ce qui se passait dans la tête de Germaine Tillion le 19 avril 2008, quand elle est morte. Personne ne pourra m’accuser d’avoir raconté des mensonges, puisque personne n’était dans sa tête. Et j’en ai profité.
3. CR : Si on reste toujours dans le cadre de la biographie, tu as rédigé deux livres qui sont effectivement des biographies, comme celle dont tu nous as parlé, mais il y a aussi un autre livre où tu racontes la vie de certains personnages féminins. C’est ce livre dont le titre est Elles ont aimé un homme plus jeune (Éditions Glyphe, 2018). Il s’agit d’un livre où tu présentes vingt biographies de femmes. Qui sont ces femmes ? Comment tu les as choisies ? Et pourquoi ? Et y a-t-il des éléments communs à ces toutes ces femmes ?
JT : Leur point commun, évidemment, il est dans le titre. Elles ont aimé un homme plus jeune. Voilà leur point commun. Comment j’ai découvert ces femmes ? C’est surtout que je me suis rendue compte, en lisant des biographies de femmes historiques, que beaucoup avaient aimé et épousé un homme plus jeune, un ou plusieurs. C’étaient des femmes d’envergure, des femmes de talent, des femmes qui avaient eu de belles carrières. J’ai commencé à les collectionner en 2012, à une époque où monsieur et madame Macron n’étaient pas connus. C’est venu avant, c’est comme ça. J’ai choisi vingt femmes parmi des centaines, parce que je pourrais écrire trois tomes sur le même sujet, si je voulais. Ce sont des femmes historiques, parce que je voulais que l’on connaisse le début et la fin de leur histoire d’amour avec le jeune homme et cela commence au Moyen Âge avec Diane de Poitiers. En réalité, je voulais commencer avec la femme de Mahomet et puis, finalement, je ne l’ai pas fait et j’ai commencé avec Diane de Poitiers, qui a vu naître son amant, Henri II, roi de France.
Et ça se termine par Gabrielle Russier, une professeure amoureuse de son élève qui s’est suicidée en 1969, à une époque où on emprisonnait les femmes qui aimaient les hommes plus jeunes. De cette histoire, André Cayatte a réalisé un film, Mourir d’aimer31, et Charles Aznavour a aussi fait une chanson32. Ensuite, en passant par Georges Sand, Helena Rubinstein, Marie Curie, Sarah Bernhardt, Edith Piaf, je suis passée d’une écrivaine à une chercheuse, à une peintre, à une femme d’affaires, à une photographe nazie. J’ai découvert à travers le couple qu’elles formaient avec des hommes plus jeunes que, dans ces couples, la domination millénaire de l’homme sur la femme n’existait pas. C’est la réponse à la question « Pourquoi ces femmes étaient-elles avec des hommes plus jeunes ? ». Je suppose que si elles avaient été avec des hommes plus âgés, elles n’auraient pas eu la liberté d’aller jusqu’au bout d’elles-mêmes ; elles auraient eu beaucoup plus de difficultés, puisque l’homme aurait essayé de jouer son rôle d’homme traditionnel. Mais dans ces couples, la situation n’est pas hiérarchique, elle n’est pas inversée. Ces femmes sont très respectueuses de la liberté du jeune homme. Elles l’aident beaucoup à s’épanouir. Il y a une grande connivence entre eux et j’ai découvert que la plupart des couples étaient quand même des couples démocratiques, ce qui est merveilleux, qui existe maintenant, mais qui, longtemps, n’a pas existé. Ça a été un vrai plaisir d’écrire ces biographies.
4. CR : Est-ce qu’il y aurait le même intérêt anthropologique et psychologique à écrire un livre sur les hommes qui ont aimé des femmes plus âgées ?
JT : C’est exactement ce que je pense faire, peut-être. Je me suis dit : « J’ai écrit un livre sur les femmes qui ont aimé des hommes plus jeunes, mais il faudrait peut-être écrire un livre sur les hommes qui ont aimé des femmes plus âgées », pour savoir pourquoi, comment, qui sont ces hommes. Parce qu’il y a peut-être un point commun entre eux aussi. Et c’est vrai que ces hommes, tous, ne recherchent pas à avoir une descendance. Ils recherchent l’amour et en particulier l’amour avec une personne de grande envergure. Déjà, ils ont ce point commun, mais c’est vrai que ce serait intéressant. Ça me remet dans ce projet auquel j’ai déjà pensé. Merci.
5. CR : L’amour est présent non seulement dans toutes les biographies que tu évoques dans Elles ont aimé un homme plus jeune, mais dans tous tes livres, comme dans L’enfant plume (J’ai lu, 2000). Nous ne sommes plus dans le cadre de la biographie, mais dans celui de l’autobiographie. Qu’est-ce que tu peux nous dire par rapport à ce livre ? Là aussi, il y a des femmes, il y a de l’amour. C’est une histoire d’amour, mais différente. Qui sont ces personnages féminins présents dans ce récit autobiographique ?
JT : L’enfant plume traite de l’anorexie. Et comme on le sait, l’anorexie est une maladie qui atteint surtout les femmes. Dans ce récit autobiographique, il va y avoir essentiellement des interrogations de femmes. Dans ce livre, qui est un récit autobiographique, c’est moi qui parle et je parle en tant que mère. L’amour que j’interroge, c’est l’amour de la mère, l’amour maternel pour son enfant, pour ses enfants. J’ai écrit un récit à la première personne et je raconte comment, pendant dix ans, j’ai accompagné ma fille qui était anorexique. Je n’ai pas voulu faire un récit comme un témoignage à la télévision ou des choses comme ça. C’est quand même un récit qui est très écrit et où l’écriture transfigure un peu, même beaucoup, les choses. Ma place dans ce récit est essentiellement celle de la mère. Jamais je ne parle à la place de ma fille, jamais. Dans ce livre, je raconte mes carences, mes souffrances de mère, mes recherches sur moi-même et mes échecs, beaucoup, mes victoires et toutes mes interrogations. J’interroge aussi la chaîne des femmes qui s’est déroulée avant d’arriver à ma fille, qui est le chainon qui va casser, justement.
Je m’interroge sur ma mère, ma grand-mère et moi-même et je me rends compte qu’aucune de ces femmes, moi y compris, n’a aimé être une femme, parce que la vie que l’on nous proposait ne nous convenait pas. Mais ni ma grand-mère, ni ma mère, ni moi n’avons eu le courage et les moyens de nous libérer au moment où il le fallait, très jeunes. Donc, le fait de rejeter cette vie de femme, ça a été transmis. Je l’ai transmis à ma fille et elle a failli en mourir. Et puis, comme je l’ai écrit dans ce livre, ce cheminement a été comme une double renaissance, c’est-à-dire que moi, je me suis réconciliée avec la femme que je suis et elle s’est réconciliée avec la jeune fille qui allait vers la femme. Et nous nous sommes toutes les deux réconciliées avec nous-mêmes. Finalement, ma fille a guéri, ce qui est merveilleux, ce qui n’est pas toujours sûr dans l’anorexie. Elle a toujours été indépendante. Elle a eu deux filles qu’elle a merveilleusement élevées, qui sont mes petites filles.
C’est un livre qui a été douloureux à écrire.
J’ai mis deux ans pour écrire ce livre et je l’ai fait lire à ma fille avant qu’il soit publié, pour qu’elle me donne son accord, bien sûr. Elle me l’a donné. Elle m’a dit qu’elle n’avait pas réalisé à quel point ses parents avaient souffert. Mais voilà, c’est aussi une aventure de vie. Je crois que certains livres sont des grandes aventures de la vie aussi.
6. CR : Si je peux me permettre, c’est un livre extraordinaire. C’est un livre qui parle de courage et de force. On parcourt cette existence difficile qui est racontée, on la vit en tant que lecteur, on accompagne ton existence et l’existence de ta fille. On lit un message de courage et d’espoir, on espère avec vous, jusqu’au moment où le dénouement heureux attendu arrive.
Dans tes livres on lit la vie.
Conseillerais-tu la lecture de ce récit à une fille anorexique ?
JT : Quand j’ai écrit ce livre, je pensais que j’aurais des réactions de la part des parents. Au contraire, les premières réactions que j’ai eues étaient des réactions de jeunes filles anorexiques qui me disaient, comme ma fille : « Je n’aurais jamais cru que j’infligeais une telle souffrance à mes parents » ou « Je suis en train de guérir et ça va me donner la force d’y arriver. » Ça ne peut pas être dramatique pour une jeune fille anorexique de lire ce livre. De toute façon, personne ne va l’obliger. Si elle ne veut pas le lire, elle le laissera. Si elle le lit, ça peut peut-être lui apporter quelque chose.
7. CR : Jusqu’ici, nous avons parlé de biographie, de récit autobiographique, mais est-ce que dans d’autres romans, que tu ne présentes pas forcément comme récits autobiographiques, il y a quelque chose de toi ?
JT : Dans La valise oubliée (Syros, 1996), il y a beaucoup de moi. La valise oubliée, c’est le premier roman que j’ai écrit pour la jeunesse. À l’époque, j’écrivais pour des adultes et, un jour, j’ai repensé à ce qui m’était arrivé quand j’avais ma petite troupe de clowns, puisque j’ai été aussi clown. Et je me suis dit : « Je dois écrire, je dois raconter ça aux enfants ». J’avais une troupe de clowns, ils étaient une douzaine de 8 à 15 ans et nous avions joué dans les maisons pour jeunes, dans les écoles, dans des petits théâtres. J’ai mêlé mon vécu à la fiction. J’ai mélangé ça et j’ai pu raconter ce que j’avais vécu tout en restant quand même en retrait, puisque je ne suis pas le personnage principal de ce petit roman. D’ailleurs, les élèves vont chercher, vont se demander qui je suis. On verra s’ils trouvent.
On était une troupe de clowns, on s’appelait la famille Cornichon. Moi, j’étais la mère Cornichon et les enfants étaient les enfants Cornichon. On a joué partout, même dans un hôpital. C’est ce que je raconte dans ce petit roman. Le personnage principal est un petit garçon, Johan, qui parle et on sait ce qui se passe dans sa tête. Lui, ça ne lui plaît pas tellement d’être clown, mais on l’oblige à sortir parce que son père a eu un accident, il a été blessé et il est déprimé. Et ils arrivent dans un hôpital. Je raconte un peu ou je m’arrête ?
8. CR : Peut-être une brève présentation ?
JT : Les enfants vont faire ce spectacle dans un hôpital, un hôpital pour enfants handicapés. Christine, qui est la chef de la troupe de clown, quand elle voit le public d’enfants gravement handicapés, perd tous ses moyens. Et ce sont les enfants qui font le spectacle, à leur façon. Un spectacle merveilleux, éblouissant, et qui vont aller vers tous ces enfants qui ont des graves handicaps. Au cours de ce spectacle, Johan a compris que quand les adultes perdent des pieds, quand ils flanchent, l’enfant peut les aider. Il décide que quand il rentrera chez lui, il parlera à son père.
9. CR : Est-ce qu’il y a, selon toi, un âge à partir duquel on peut parler aux enfants de sujets complexes ?
JT : Je crois que les enfants, ils peuvent tout comprendre, mais c’est à l’adulte de trouver les mots pour leur parler selon l’âge qu’ils ont. Il n’y a rien de pire pour un enfant que le silence sur des faits qui le troublent, qui l’inquiètent. On peut parler de tout, mais avec des mots choisis. C’est à nous de trouver ces mots. Les petits enfants vivent dans un monde où ils peuvent côtoyer des personnes handicapées ou des personnes qui ont des orientations sexuelles différentes de la direction habituelle, on leur parle de ça et c’est tout à fait normal pour eux. Il n’y a pas de problème. Si l’adulte n’a pas de problème avec ça, il saura en parler aux jeunes, quel que soit leur âge.
10. CR : La valise oubliée est un roman qui parle de handicap et de maladie. Tu traites ces sujets en parlant aux jeunes avec un langage accessible, qui les touche et qui véhicule un message positif, un message d’espoir. Tu abordes le handicap dans d’autres œuvres et en particulier dans un autre roman de jeunesse, cette fois-ci pour adolescents, Au cinéma Lux (Syros, 1999).
JT : Alors là, c’est difficile de parler d’Au cinéma Lux parce que c’est un roman qui est basé sur un secret et ce secret, on le découvre à la fin. C’est l’histoire d’un jeune homme et d’une jeune fille qui tombent amoureux dans un cinéma, mais ils ont un secret très lourd l’un et l’autre et ils n’osent pas le dévoiler à l’autre. Chacun est persuadé qu’il ne pourra pas être aimé quand le secret sera dévoilé. Je m’attacherai surtout à parler de Marine, qui est la jeune fille, une jeune fille qui est brisée, qui a perdu ses parents dans un accident, qui est atteinte physiquement et heureusement, elle a sa grand-mère. Moi, j’adore les personnages de grand-mère ou de vieilles dames qui sont là pour aider la jeunesse. Et cette grand-mère, discrètement mais fermement, elle va ramener Marine sur le chemin de la vie. Elle va lui redonner goût à la vie. Par exemple, dans un livre comme La salle de bains d’Hortense (Chèvre Feuille Étoilée, 2011), un roman pour adultes, on trouve Hortense qui a le même caractère que la grand-mère de Marine. D’une part, pour créer Marine, ce n’était pas si simple pour moi. J’ai été obligée de faire une plongée archéologique dans mon adolescence. Une adolescence très tourmentée. Dans cette plongée, j’ai trouvé le désespoir de l’adolescence, mais aussi l’élan de vie. J’ai trouvé le manque de confiance en soi, mais aussi l’audace. J’ai trouvé tout ça et je l’ai donné à Marine pour qu’elle soit un personnage vivant. Et pour créer sa mère grand, comme elle l’appelle, j’avais le modèle de ma grand-mère, parce qu’à l’époque, moi-même, je n’étais pas encore grand-mère. Maintenant, si je dois créer un personnage de grand-mère, je prendrai un peu exemple sur moi-même. Et donc, pour moi, dans presque tous mes livres, il y a un adulte qui est aidant. Le rôle de l’adulte, c’est ça, c’est de représenter la solidité, c’est le courage de vivre et le plaisir de vivre. Par exemple, c’est Jacques Prévert, un poète que j’aime beaucoup, qui a dit : « Il faudrait essayer d’être heureux, ne serait-ce que pour donner l’exemple ». Je crois que c’est ça la mission des adultes vis-à-vis des enfants.
11. CR : Si on revient à l’autobiographie, ces dernières années, tu as également écrit des recueils de poèmes que tu présentes comme autobiographiques. Pourrais-tu nous parler de ces travaux ?
JT : Pendant le premier confinement en 2021, je me suis rendu compte que quand la vie était trop cruelle, et même avant, quand la vie était particulièrement heureuse, le langage que j’employais, c’était le langage poétique, parce que la poésie, c’est le langage du cœur. Les deux recueils qui sont sortis en 2020 sont Icare, mon amour et Renaître et le premier a été réédité en 2023. Le premier est un recueil de poèmes d’amour dans lesquels il y a toutes les phases de l’amour : le désir, l’accord, le désaccord, l’absence, l’humour, la légèreté, le bonheur. Il y a des petits poèmes très courts, d’autres plus longs, et c’est un hymne à l’amour. Je ne vois pas une autre forme pour dire un amour quand il est très fort. Le deuxième recueil, Renaitre, c’est une suite de poèmes que j’ai écrit à partir de la nuit où ma maison a brûlé. Cela est arrivé il y a quelques années et au-delà des meubles que j’ai perdus, des robes, des photos, de tout, il y avait mes écrits. Mes écrits et mes personnages sont partis en fumée. J’ai écrit dans ces poèmes ma peur d’avoir perdu l’écriture dans cet incendie et mon désir de l’avoir ressuscité.
Je vous dis un de ces poèmes :
Ecriture phénix,
Déploie tes ailes,
Confie-moi les mots
C’est pour ça que j’appelle ces recueils de poésie autobiographique. Mais est-ce que la poésie n’est pas toujours autobiographique puisqu’elle vient des profondeurs de la personne ?
12. CR : Quand je pense à ta poésie, je pense à ton œuvre Au clair de la nuit (Motus, 2009). Il se présente sous forme d’album avec des illustrations qui représentent certains éléments de chaque poème. La première fois que j’ai lu ce livre, je t’ai vue dans plusieurs de ces poèmes, j’ai retrouvé certains de tes récits, certains des personnages que j’avais vus, par exemple, dans d’autres œuvres. Récemment, tu m’as dit qu’il y a quelqu’un de très important derrière certains de tes poèmes. Pourrais-tu nous en dire plus ?
JT : Ce que tu as retrouvé dans ce recueil de poèmes destinés à la jeunesse et que tu retrouves dans certains de mes livres, c’est ce qu’il y a d’enfance en moi, c’est-à-dire la légèreté, l’envie de sourire de tout. C’est vrai que dans ce recueil, Au clair de la nuit, je retrouve ce qui était important dans mon enfance, c’est-à-dire la Lune. Ma grand-mère nous faisait croire qu’elle parlait à la Lune et elle nous faisait croire que la Lune nous entendait. Elle nous disait : « Si tu as un secret à confier à quelqu’un qui ne le répétera jamais, dis-le à la Lune. », « Si tu es triste, parle à la Lune. » Dans mon enfance, la Lune, la clarté de la Lune, la Lune triste ou la Lune souriante ont eu beaucoup d’importance. C’est une partie de mon enfance. C’est ça aussi que tu as retrouvé dans ce recueil.
Au clair de la nuit (ill. Joanna Concejo), Motus, 2009, p. 42-43
13. CR : J’y ai retrouvé tout ce que tu m’as raconté et que j’ai lu dans tes autres livres et vu dans tes autres personnages.
Et dans tes poèmes et dans tes autres textes, y a-t-il quelques choses de tes lectures préférées aussi ? Peut-être des auteurs qui auraient influencé ton écriture ?
JT : C’est difficile de répondre à cette question parce que pour moi, vu mon âge, la littérature, c’est comme une caverne d’Ali Baba. Il y a des milliers de trésors et me dire quel est celui que tu vas choisir ? Quel est celui que tu préfères ? C’est très difficile. Mais il y a des auteurs qui m’ont marquée surtout dans ma formation d’écrivaine. Un des auteurs qui m’a le plus marqué, c’est William Faulkner. Et non pas que j’écrive comme lui, pas du tout, mais ça a été un éblouissement pour moi. Je me suis dit : « On peut écrire comme ça ? ». Et ça, c’était la liberté dans l’écriture. C’est une chose que je recherche aussi.
Il y a des tas d’auteurs que j’admire, que je trouve merveilleux, que j’ai plaisir à lire. Donc peut-être que demain, je vais en trouver un encore mieux que tous les autres. Et après-demain, un autre. Vous voyez ? Question sans réponse presque.
14. CR : Et une auteure ?
JT : J’ai beaucoup aimé Colette. Il y a plein de femmes qui écrivent merveilleusement actuellement, qui écrivent surtout sur des problématiques de femmes et ça, c’est très fort. On a des autrices francophones, mais qui viennent d’ailleurs ou qui ont des origines africaines et qui nous écrivent des livres stupéfiants. C’est merveilleux. Je trouve que la montée des écrivaines, des femmes, ça fait partie de tout le mouvement des femmes qui disent : « On existe. On a toujours existé, mais on nous a gommées, on nous a fait taire. Mais maintenant, on ne nous gomme plus et on ne nous fait plus taire. » C’est merveilleux. Quand j’étais en cours de français et quand on nous donnait une rédaction à écrire, une rédaction ça voulait dire que je pouvais dire sur un sujet donné tout ce que je voulais, comme je voulais. Et pour moi, c’était une fenêtre ouverte vers la liberté de m’exprimer, parce que je ne pouvais pas m’exprimer oralement et mon mode d’expression premier c’était l’écrit. Et quand j’ai découvert la littérature au collège, puis au lycée, c’était un émerveillement.
15. CR : Une dernière question : un projet en cours ou à venir ?
JT : Mon dernier livre a pour titre Martienne ?, une autobiographie écrite comme un roman. Le personnage principal est l’enfant, l’adolescente, la femme que j’ai été. Une créature tombée par hasard sur terre, pas très bien reçue, décalée, étrange, mais qui va s’accrocher à la vie et parcourir avec courage et humour ce périple qui la mènera du patriarcat au féminisme. Du mutisme a l’écriture.
Et puis j’ai commencé un nouveau livre pour la jeunesse. Son titre : Le rond point. Un jeune garçon africain qui a traversé le désert et la mer avec tous leurs périls vient se réfugier sur un rond-point au milieu d’une zone commerciale. Il explore ce nouveau monde comme Robinson Crusoé son île.
***
Laurent Contamin est auteur, acteur, metteur en scène, marionnettiste, formateur et animateur d’ateliers de théâtre et d’écriture.
Formé dans les années ‘90 au Studio 34 et au Théâtre de l’Est Parisien, avec Guy Rétoré, Jacques Hadjaje et Philippe Brigaud, ainsi qu’au Théâtre National de Chaillot, il a été artiste associé au Théâtre Jeune Public de Strasbourg, Centre Dramatique National d’Alsace dédié au jeune public et à la marionnette, de 2002 à 2006.
Il écrit également pour la radio et plusieurs de ses pièces ont été mises en ondes. Ses fictions et documentaires sont diffusés sur France Culture et France Inter. Pensons à la pièce pour la jeunesse Babel ma belle, mise en ondes sur France Culture en 2010, avant d’être publiée en 2011.
Sa production théâtrale est riche et variée et il collabore avec plusieurs maisons d’édition dont les éditions Théâtrales, Lansman, l’École des Loisirs, Les Cygnes, ou encore Le Bonhomme vert, en donnant vie à des œuvres tout public ou spécifiquement conçues pour les jeunes. Toutefois, son écriture ne se limite pas au théâtre et s’intéresse également à la nouvelle, à la poésie et au haïku – adressés, en particulier, aux enfants et aux adolescents.
Au Centre Dramatique National d’Alsace à Strasbourg, sensible au dialogue entre les différents langages scéniques, il écrit surtout pour la marionnette et le théâtre d’objets.
Son écriture se poursuit en résidences, de La Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon à la Villa Marguerite Yourcenar dans le Nord, en passant par la Silésie, le Var ou la forêt de Fontainebleau. Il écrit au Centre National des Arts du Cirque, à la Fondation Rohwolt en Suisse, à la Ledig House de New York, à l’Institut Canadien de Québec à l’occasion du 400ème anniversaire de la ville...
Artiste, il est également comédien et joue sous la direction d’André de Baecque, Grégoire Callies, Thierry Niang… En tant que metteur en scène, il monte, outre ses propres textes, Claudel, Saint-Exupéry, Bosco, Rilke, Kleist, Alfred de Musset, Murray Schisgal, William Shakespeare, Nathalie Sarraute, etc.
Le théâtre de rue, le cirque et la marionnette recouvrent également une place importante dans sa production artistique. En particulier, la marionnette, à travers le triangle corps-parole-objet, reprend les trois facettes principales de son métier, de son écriture, de son expérience de création et d’action artistique.
Il lui a été décerné de nombreux prix comme, par exemple, le Prix Nouveau Talent Radio SACD 2005, ou plus récemment le Prix EAT (Écrivains Associés du Théâtre) Jeunesse 2021, le Prix Kamari 2021 et le Prix d’écriture théâtrale de la presqu’île de Guérande, Le Jardin d’Arlequin 2023. Il est lauréat des Journées de Lyon des Auteurs de Théâtre et du Fonds SACD Théâtre.
Il anime également de nombreux ateliers d’écriture et/ou de théâtre aussi bien en milieu scolaire et universitaire, que dans des bibliothèques, des maisons d’arrêt, des conservatoires, des entreprises, des associations, des hôpitaux, des prisons, etc. Enfin, ces dernières années, il assure des formations et des masterclasses, en conservatoires, ou en collaborant avec l’École du livre jeunesse de Montreuil, l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et l’Université de Strasbourg.
Œuvres de Laurent Contamin (par ordre chronologique, liste non exhaustive)33
Théâtre et radio
Dédicace, Éditions L’Harmattan, 2004 (mise en ondes Jean-Mathieu Zahnd, France Culture 1999, mise en scène Olivier David, Ermont 2004).
Chambre noire, Éditions Lansman, 2006.
Tobie, Éditions Lansman, 2008 (mise en ondes Jean-Mathieu Zahnd, France Culture 2009, mise en scène Sabine Pernette, Paris 2011).
Les veilleurs de jour, Éditions du Bonhomme vert, 2009 (mise en scène Laurent Contamin, Strasbourg 2005).
Noces de papier, Éditions Lansman, 2009 (mise en scène Olivier David, Ermont 2010).
Babel ma belle, Éditions L’Agapante & Cie, 2011 (mise en ondes Juliette Heymann, France Culture 2010, mise en scène Lorena Felei, Pont l’Évêque 2023).
Sweet Summer Sweat suivi de L’autre chemin, Théâtrales, 2011 (mise en scène Lola Bret, Paris 2013).
Être (ou ne pas être, etc.), Éditions L’Agapante & Cie, 2014.
Hérodiade, Éditions L’Harmattan, 2014 (1ère éd. Éditions Ragage, 2007, mise en scène Urszula Mikos, Les Ulis 2006).
En attendant le Père Noël, Éditions Lansman, 2015 (mise en scène Olivier David et Jean-Pierre Cliquet, Ermont 2015).
Lisolo, Éditions Lansman, 2015 (mises en scène Gilbert Meyer, Strasbourg 2004, Olivier David, Ermont 2013 ; mise en ondes Nicole Marmet, RTBF 2017).
Sténopé, Éditions L’Harmattan, 2015 (1ère éd. Éditions Ragage, 2008, mise en ondes Myron Meerson, France Culture 2002).
La petite marchande d’histoires vraies, Éditions Christophe Chomant, 2015 (mise en scène Didier Perrier, Saint-Quentin 2016).
Une petite Orestie, Éditions L’Agapante & Cie, 2016 (1ère éd. Éditions Lansman, 2009).
Tête de linotte, L’École des loisirs, 2016 (mise en scène Patrick Simon, Les Ulis 2014).
Un verger pour mémoire, Éditions Lansman 2016 (mises en scène Thomas Ress, Illzach 2016, Delphine Lalizout et Olivier David, Paris 2024).
L’air du temps, Éditions Christophe Chomant, 2017.
Au jour naissant, L’École des loisirs, 2019.
Tant que nos cœurs flamboient, Editions Christophe Chomant, 2019 (mise en scène Laurent Contamin, Lisieux 2020).
Veillée d’armes, Éditions Lansman, 2021 (mise en ondes Jean-Mathieu Zahnd, France Culture 2011).
Le soleil de Moses, Éditions les Cygnes, 2021 (mise en scène Laurent Contamin, Amiens 2022).
Le parfum d’Edmond, Éditions Zébulo, 2021 (mise en scène Bénédicte Guichardon, La Réunion 2022).
L’amour rend aveugle, Les Cahiers de l’égaré, 2023.
À bon port, Éditions les Cygnes, 2023.
Nouvelles et poésie
Brèches, Éditions Eclats d’Encre, 2001.
Carnets extimes, Éditions Eclats d’Encre, 2010.
Partage des Eaux, Éditions Eclats d’Encre, 2012.
En attendant Dersou, FL Éditions 2017.
Cent haïkus pour le climat, Éditions du Cygne, 2017.
Il est interdit aux poissons de grignoter les pieds des tortues, Éditions D’Ici et d’ailleurs, 2019 (1ère éd. Éditions Le Jardin d’Essai [archive], 2010).
Les murmures de Haute-Claire, Éditions du Sabot rouge, 2020.
Contes botaniques, Éditions D’Ici et d’Ailleurs, 2020.
Lilou les Oiseaux, Éditions du Sabot rouge, 2023.
Essais
« À côté, là où silencieusement ça prend corps », Vives Lettres n. 15 (Espaces textuels espaces scéniques), Université Marc Bloch de Strasbourg, 2004, p. 79-92.
« La marionnette de A à Z », in AA.VV., Provocations marionnettiques, Éditions du Théâtre Jeune Public de Strasbourg, 2004, p. 37-43.
« Merveilleuse marionnette ? », Manip n. 16, 2008, p. 8.
« Détruire, dit-elle (la marionnette) », in AA.VV., Partitions, Figures, Éditions Lansman, 2008, p. 49-54.
« Un abécédaire ludique et néanmoins édifiant ! » in AA.VV., Écrire du théâtre pour être joué par des jeunes, Promotion-Théâtre, Éditions Lansman, 2011, p. 9-17.
« Des feux venus du ciel », in AA.VV., La Comtesse de Ségur et nous, Le Jardin d’Essai, 2012, p. 45-49.
« Ecrire pour la marionnette », Manip n. 37, 2014, p. 8.
« Ratures, flèches et collages », Revue Va !, 2016, p. 38-40.
« Écrire en laboratoire une pièce à caractère scientifique destinée au jeune public », in AA.VV., Au théâtre des sciences : faire se rencontrer sur scène arts et cultures scientifiques, Etudes Universitaires d’Avignon, 2023, p. 301-320.
1. Chiara Ramero : Laurent, tu as écrit et écris des pièces de théâtre, tant pour les jeunes que pour les adultes, et tu es également acteur et metteur en scène – et la liste de tes collaborations avec d’autres artistes et professionnels est longue.
Un jour, tu as écrit :
Quand je regarde en arrière mon parcours artistique depuis une vingtaine d’années, j’y vois une activité polymorphe faite à la fois d’écriture, de mise en scène, de jeu, de théâtre tout public, de théâtre jeune public.
De texte, de danse, de marionnette. De scène, de radio, de théâtre de rue, de salles de classe, de parcs et jardins... De pratique, de réflexion. Dedans (l’institution), dehors. Reliant processus de création et actions de médiation culturelle et de pédagogie. En résidence, en liberté34.
Mais quand tout a commencé ? Comment tu t’es rapproché du théâtre ?
Laurent Contamin : C’est vraiment par hasard, parce que je n’étais pas du tout destiné au théâtre au départ. En famille, on allait au théâtre une fois par an, voir une comédie, mais ce n’était pas trop dans notre culture familiale, même si notre père nous faisait parfois des petits spectacles de marionnette quand on était petits. Ensuite, quand j’étais au lycée, je n’étais pas très bon en français. Là où j’étais le moins mauvais, c’était en sciences et j’ai donc fait des classes préparatoires scientifiques. Pendant deux ans, j’ai travaillé énormément et je n’ai pas eu le temps de réfléchir. Puis, je me suis retrouvé dans une école d’ingénieur, me spécialisant en électronique appliquée aux télécommunications. Là, je me suis rendu compte que ça ne m’intéressait pas du tout. C’était un peu ennuyeux parce que j’avais 20 ans : il était un peu tard pour commencer à se poser la question de l’orientation.
Dans cette école d’ingénieur, il y avait une troupe de théâtre étudiante qui cherchait désespérément un comédien pour tenir un rôle, afin de boucler la distribution de la pièce. Pour m’intégrer, pour rendre service, j’ai accepté. En réalité, j’ai eu vraiment un coup de foudre pour le théâtre. D’un coup, je me suis dit : « Il y a quand même quelque chose qui m’intéresse dans la vie : c’est le théâtre. » Au début, j’ai été un peu surpris moi-même, mais très vite (je suis un peu boulimique) je me suis inscrit à des cours de théâtre le soir, j’ai repris contact avec la troupe de mon ancien lycée… Bref, tous les soirs, je faisais du théâtre et la journée je faisais des télécommunications.
En parallèle de ça, je me suis un peu mis à écrire et assez vite il s’est avéré que c’était vraiment la dramaturgie qui m’intéressait. J’ai quand même fini (je ne sais pas comment !) mon école d’ingénieur et puis j’ai fait une école de théâtre, pour devenir comédien. Ça a été mon premier métier.
Ensuite, j’ai commencé à jouer et aussi à montrer à des amis ce que j’écrivais. Ils l’ont joué. J’ai également envoyé une de mes pièces à France Culture, qui m’a ensuite passé des commandes, tout comme une compagnie. Puis, une maison d’édition m’a publié. Puis une autre. Petit à petit, l’écriture s’est mise à prendre de plus en plus de place dans ma vie. Et comme il n’y a que 24 heures dans une journée, fatalement, j’ai un peu moins joué, un peu moins mis en scène.
Aujourd’hui, l’écriture, je dirais, c’est la moitié de ma vie. Et l’autre moitié, effectivement, je joue, je fais un peu de mise en scène, j’enseigne le théâtre et je fais pas mal d’actions culturelles, d’ateliers d’écriture.
Mais si vous m’aviez dit il y a 30 ans que je serais là à parler d’écriture avec vous, je n’y aurais pas cru.
2. CR : Merci beaucoup d’avoir retracé ton parcours et raconté comment tu t’es rapproché du théâtre.
Tu parlais d’animation, parce que tu travailles aussi comme animateur d’écriture et de théâtre. Tu parles souvent de ton travail de création et d’action artistique. Comment tu arrives à concilier les deux et comment tu t’es rapproché de ce monde qui est plutôt lié à l’enseignement du théâtre ?
LC : Il y a deux choses.
Premièrement, pour les cours de théâtre, j’ai obtenu un diplôme d’état pour pouvoir donner quelques cours de théâtre, parce que ça m’intéressait... Comme j’écris du théâtre, que j’en mets en scène, ça m’intéresse toujours d’essayer de le transmettre, parce que je trouve qu’en essayant de transmettre les choses, on les comprend mieux. C’était ça ma motivation.
Deuxièmement, la transmission de l’écriture, ça a été un peu un hasard. Ce sont des établissements scolaires ou universitaires qui m’ont contacté – ou encore des prisons, des hôpitaux, des bibliothèques.
Et puis, comme ça s’est bien passé, le bouche-à-oreille a fait que je suis beaucoup sollicité maintenant. J’ai plutôt tendance à un peu faire le tri dans les demandes, mais ça m’intéresse bien d’animer des ateliers d’écriture : ça m’oblige à aller sur des terrains où je n’irai pas forcément. Par exemple, quand j’enseigne l’écriture dans un hôpital ou dans une prison : j’ai la possibilité de rencontrer des gens que je ne rencontrerais pas si je ne faisais pas ça. Et puis, c’est souvent en lien avec mon travail.
3. CR : Peux-tu nous donner quelques exemples ?
LC : Je vais vous donner trois exemples.
Une fois, en prison, on m’a proposé d’animer un atelier boxe et écriture. Je me suis dit « Qu’est-ce que c’est que ça ? Boxe et écriture ? ». En fait, il y avait un animateur sportif qui donnait les cours de boxe le matin et on me demandait d’animer ensuite un atelier d’écriture en lien avec ce qu’il faisait en boxe avec les détenus. Ça m’a obligé à m’interroger et je me suis dit : C’est très intéressant parce que : attaque, contre-attaque, défense, esquive, c’est du dialogue de théâtre. Si on lit un auteur comme Bernard-Marie Koltès ou d’autres, on lit des matchs de boxe faits avec la parole. Cela m’a obligé à essayer de proposer des exercices d’atelier d’écriture en imaginant des mouvements de boxe au niveau du dialogue et m’a beaucoup servi pour ma propre écriture.
Une autre fois, j’ai animé un atelier de théâtre dans une classe pour des enfants de six-sept ans et on ne m’avait pas prévenu qu’il y avait un enfant qui ne parlait pas – ou plutôt il parlait, mais ne répondait pas aux questions. Au départ, je n’avais pas compris et j’ai un peu insisté, tant et si bien qu’il s’est mis à pleurer. Une petite fille est venue lui caresser la main. Et puis, petit à petit, l’enseignante m’a expliqué que cet enfant n’était pas autiste, mais avait un problème par rapport au langage qui m’a beaucoup intéressé et qui m’a inspiré pour cette nouvelle intitulée Les murmures de Haute-Claire (Éditions du Sabot rouge, 2020)35. Mon héros, c’est un enfant qui ne parle pas.
Un troisième exemple : cette année36, je donne des ateliers de poésie dans un collège à Paris et je suis vraiment émerveillé par ce que les jeunes écrivent. Pour moi, c’est un exercice d’émerveillement : ils m’apprennent. Ils écrivent mieux que moi.
Tous ces ateliers d’écriture, ce sont des allers-retours permanents car on s’apprend dans les deux sens. Pour moi, ça m’évite de ronronner, d’être dans le confort, d’écrire toujours ce que je sais écrire. Ça m’oblige à découvrir de nouveaux terrains, de prendre des risques, d’essayer des protocoles d’écriture que je n’ai pas encore expérimentés. Ça m’oblige à « rester jeune ».
4. CR : D’après ce que tu dis, il y aurait un lien étroit entre l’expérience, c’est-à-dire l’action, et l’écriture. Ce que tu expérimentes, tu les transformes souvent en œuvre littéraire, n’est-ce pas ?
LC : Oui. Pas toujours, mais des fois, c’est vrai que c’est très formateur pour moi de découvrir comment, quand je propose un protocole d’écriture, les jeunes s’en emparent, peut-être le transgressent, en font quelque chose de beaucoup plus intéressant. De mon côté, ça va me booster pour essayer aussi d’écrire comme ça. Quand un enseignant de français fait appel à un écrivain, l’écrivain a une grande liberté parce qu’il n’est pas tenu à la question du programme, des fiches de projet, de l’inspection, etc. En général, on me dit : « Vous allez venir trois fois deux heures pour qu’ils découvrent que ci, que ça… » et mon idée, c’est qu’ils découvrent surtout qu’en fait écrire, c’est facile, c’est amusant et c’est intéressant. Ils ont souvent l’impression, quand ils sont en cours de français, du contraire, à savoir que l’écriture, c’est difficile, c’est ennuyeux et ça ne sert à rien. Moi, je suis écrivain, je me présente à eux avec quelques livres et je leur dis que je vais leur expliquer comment j’écris et qu’on essaiera de faire la même chose en classe. L’idée est de leur amener une trousse à outils et d’essayer d’écrire ensemble et, ensuite, de lire leurs textes. Je précise toujours qu’on va faire de la littérature, non du français, mais de la littérature. Je n’ai pas de stylo rouge, ce n’est pas grave s’il y a des fautes d’orthographe, etc. Et c’est très surprenant parce que souvent ce sont les mauvais de la classe qui écrivent les plus belles choses. Ils ont des choses à dire et ils arrivent à les dire, en se rendant compte que cela n’a pas été si difficile. De fois, quand à la fin du cours ils lisent à voix haute leurs textes, spontanément, les autres élèves applaudissent. Je pense que sur l’image que les jeunes ont d’eux-mêmes, il y a vraiment là des bouleversements qui se jouent.
5. CR : Ces expériences, très touchantes, nous font comprendre à quel point l’écriture peut être proposée à tous les niveaux.
LC : J’aime bien proposer mes ateliers à partir du cours moyen, du cycle 3, c’est-à-dire plutôt neuf ans. On peut également avec des élèves plus petits, mais c’est vrai qu’en dessous de huit-neuf ans, c’est plus difficile.
6. CR : Tu m’as souvent parlé de tes écritures en résidence. Est-ce que tu peux nous parler de cette expérience d’écriture ?
LC : Il y a le site internet de la « Maison des écrivains et de la littérature37 » qui répertorie toutes les résidences. En France, on a encore un peu de chance, car il y a encore un service public de la culture – en diminution, mais qui persiste. Le principe des résidences, c’est qu’elles sont des maisons qui accueillent des écrivains, un ou plusieurs en même temps, qui n’ont rien d’autre à faire qu’écrire et qui en plus, parfois, sont payés pour cela. C’est dans un cadre souvent très inspirant, très calme, avec un beau paysage. Moi, j’aime bien... En général, au quotidien, je suis un peu dispersé. Quand j’écris quelque chose, souvent, je fais d’autres choses aussi : je joue, je répète, j’écris autre chose, etc. Mais par moments, j’ai besoin de faire une sorte de sprint final. Comme un coureur, il y a un moment particulier, c’est la dernière ligne droite et à ce moment-là, c’est vrai que j’aime bien passer un mois ou deux dans ces résidences, parce que je sais que pendant huit heures par jour, je vais vraiment ne pas avoir d’idées parasites. Je vais pouvoir me consacrer uniquement à mon projet. J’aime bien aller en résidence pour finir mes projets. Par exemple, l’écriture de ma pièce Au jour naissant (L’École des loisirs, 2019) je l’ai finie à la villa Marguerite Yourcenar, qui était la maison de l’écrivaine, à la frontière avec la Belgique, dans le nord de la France, près de Lille. Il s’agit d’une maison qui peut accueillir trois auteurs à la fois.
7. CR : Est-ce que tu peux nous présenter cette pièce ?
LC : Souvent, mes pièces partent d’éléments hétéroclites. Il y a différentes choses qui, a priori, n’ont pas beaucoup de rapport les unes avec les autres, mais il y a un moment où pour moi, c’est comme des électrodes. En les mettant ensemble, ça fait « tilt » et je me dis : « Il faut que je creuse ça ». Pour Au jour naissant, il y avait vraiment un élément qui était important pour moi : depuis longtemps, je voulais parler d’un pays qu’on connaît peu, l’Érythrée. C’est un pays qui est sur la rive Sud-Ouest de la mer Rouge, qui appartenait avant à l’Éthiopie et qui, depuis les années ‘70, est dirigé par un dictateur, le même dictateur depuis 50 ans. C’est un petit pays, il y a cinq ou six millions d’habitants, mais qui vivent comme en prison : dans ce pays la liberté n’existe pas. Et beaucoup sont soldats. Actuellement, ils sont en guerre et ils n’ont pas le droit de partir. Le service militaire est obligatoire et ils ne peuvent pas choisir le métier qu’ils veulent. Il y a des micros partout, des espions, c’est terrible. Et on n’en parle pas beaucoup parce que ce n’est pas comme la Corée du Nord qui a l’arme atomique. Ça nous arrange bien qu’ils gardent un peu de cette zone qui est déjà très fragile avec le Yémen qui est en guerre, avec l’Égypte qui a failli l’être, avec l’Ethiopie ou la Somalie. On se dit que ce n’est pas mal qu’il y ait un peu une dictature. Là, au moins, ça ne bouge pas. J’avais beaucoup envie de parler de ce pays, pour simplement qu’on en parle. C’est tout. Ce n’est pas pour faire de la propagande, mais ça m’énervait qu’on n’en parle pas. Et puis, j’avais envie de parler du thème du passage qui peut être aussi celui de l’enfance à l’adolescence, ou bien celui de l’amitié à l’amour, d’un pays à un autre, de la fin d’une maison, de l’arrivée de l’été.
Il y a quand même des Érythréens qui arrivent à s’enfuir et qu’on retrouve parmi les réfugiés, en Israël, en Italie, en France en Angleterre ou encore plus loin. Ce sont des réfugiés qui parlent peu parce qu’ils ont peur des espions – et qu’il y ait des représailles sur leur famille. C’est vraiment la peur qui verrouille tout.
Et donc, voilà, j’ai imaginé l’histoire d’un garçon et d’une fille, Logan et Perle, qui sont des amis depuis toujours. Ils ont 13-14 ans. Et puis, ils vivent un été qui n’est pas comme les autres pour plein de raisons : parce qu’ils habitent sur le littoral, dans une maison qui est très usée, qui va être démolie cet été-là ; parce que c’est aussi l’été où leur amitié est en train de se transformer en autre chose de plus fort que l’amitié ; et aussi parce que cette année-là, il y a un réfugié érythréen qui est passé par cette maison.
Si je dois résumer, cette pièce est un petit peu la photographie de tous ces passages.
Je vous lis un extrait, c’est un petit monologue de Logan :
Elle, c’est Perle. On se connaît depuis qu’on est nés. Tous nos étés ensemble, depuis toujours, dans la maison du phare. Le reste de l’année, la vieille dame est fermée. On l’appelle la vieille dame, la maison, parce qu’elle a plus de cent ans. Mon père et moi, on garde un œil dessus - surtout l’hiver, avec les tempêtes, des fois qu’elle s’envolerait. Demain, la maison va être démolie - trop mauvais état - les tempêtes et la vieillesse. Quand j’ai compris que ce serait notre dernier été, à Perle et moi, j’ai beau avoir quatorze ans, j’ai pleuré comme un môme, mes dernières larmes38.
8. CR : Merci de nous avoir présenté l’histoire et Perle via les yeux de Logan.
Comme les pièces dont on va parler plus tard, Tobie (Éditions Lansman, 2008) et Babel ma belle (Éditions L’Agapante & Cie, 2011), Au jour naissant est une pièce théâtrale de jeunesse. À propos de l’écriture pour la jeunesse, dans la première page de Tobie, tu donnes une petite définition de ce qu’est pour toi le théâtre pour la jeunesse.
Je cite :
C’est du théâtre pour la jeunesse, ce que vous allez voir ou lire. « Pour la jeunesse », ça veut dire… on va parler de ce qui intéresse la jeunesse de chacun, à savoir l’amour.
Oui / quoi / et alors ?
C’est à peu près le seul sujet intéressant. Je veux dire qui nous mobilise / nous concerne.
Ce qu’il y a d’enfance et de jeunesse et de désir en nous de vivre, quel que soit notre âge, non ?
Les vieux n’y comprennent rien à tout ça alors ils disent / vous verrez ils diront / que c’est une pièce trop compliquée pour la jeunesse.
Ils vous diront / vous n’avez sûrement rien compris. Eh bien laissez-les dire. On sait bien / on saura bien / vous et moi, qu’il n’y a rien de plus simple que l’histoire qui va démarrer maintenant : l’histoire de Tobie, Sara et moi39.
Cette pièce, qui raconte l’histoire de Tobie, de Sara et du personnage principal, Raphaël, parle d’amour, mais non seulement. Est-ce que tu peux revenir sur ceux qui sont les éléments principaux de ton écriture pour la jeunesse et nous dire si tu penses à ton lecteur ou à ton spectateur quand tu écris ?
LC : C’est difficile de me mettre dans une case parce que, par principe, j’essaie toujours d’écrire ce que je n’ai jamais encore écrit. Je n’ai pas envie d’écrire plusieurs fois la même pièce sous des titres différents. Ce qui est sûr, c’est que ce qui me motive dans mes personnages, dans l’écriture, dans les situations dramatiques, c’est la liberté et que la liberté, elle se conquiert et que souvent dans mes pièces, grâce au principe même du théâtre qui permet de faire passer les personnages d’une situation à une autre, la situation d’arrivée est plus libre que celle de départ. La liberté a gagné, on va dire. C’est vraiment cela qui me passionne, que ce soient mes pièces pour adultes ou celles pour la jeunesse. Je crois qu’il n’y a pas vraiment de différence entre les unes et les autres.
C’est vrai que quand j’écris pour la jeunesse, j’ai souvent l’idée d’une pièce où les personnages sont des enfants ou des adolescents, mais ce n’est pas calculé de ma part de me dire : « Tiens, ma prochaine pièce, je vais écrire une pièce pour enfants ». Et alors, à la question de savoir si je pense à mon lectorat ou à mon public, je répondrais plutôt que dans un premier temps, non. Ma manière d’écrire, c’est qu’il y a d’abord la partie immergée de l’iceberg : je laisse venir les idées hétéroclites, comme je disais. Et puis ça mûrit, ça mijote, ça s’imprègne. Les personnages deviennent de plus en plus clairs pour moi, et à un point tel, c’est peut-être un peu exagéré, mais pas tant que ça, que j’ai vraiment l’impression qu’il y a un moment où ce sont les personnages qui écrivent la pièce. Moi, je suis juste le bras de mes personnages, avec le stylo au bout, mais je laisse vraiment mes personnages venir à la lumière... D’ailleurs, avant d’écrire, je m’échauffe comme si j’allais jouer au théâtre. Je ne différencie pas beaucoup les auteurs des acteurs. Quand on joue ou quand on écrit, on doit toujours être au moment où la parole va sortir du personnage, à la source de la parole, comme un geyser, là où la parole est rendue nécessaire. Et moi, j’écoute mes personnages ; je laisse vraiment mes personnages trouver leur combat de boxe, leurs nécessités, leur parole sortir, l’action sortir, etc.
Et dans un deuxième temps, je prends du recul : je passe un peu, pour prendre une métaphore cinématographique, de la caméra subjective à la salle de montage. Là, effectivement, avec tous mes rushs, tout ce que j’ai écrit, tout ce qui est sorti des personnages, j’essaie quand même de me dire : « Il faut que ça tienne en pièce de théâtre ; il y a quand même des choses à respecter, des codes de théâtre à respecter ». J’essaie de me mettre à la place d’un spectateur de 12-13 ans. Qu’est-ce que je veux qu’il ait comme information à ce moment-là ? Qu’est-ce que je veux qu’il devine ? Toutefois, j’aime beaucoup également l’idée de me dire que tout le monde va voir une pièce différente. Je n’aime pas fermer le sens. J’aime bien laisser beaucoup de zones floues... Moi, par exemple, j’aime beaucoup quand je vais dans une classe, je rencontre des jeunes qui ont lu une même pièce et je vois qu’ils ne sont jamais d’accord entre eux parce qu’ils ont l’impression d’avoir lu trente pièces différentes. Pour moi, ça, c’est super. Une fois, après la représentation d’une pièce, il y avait une rencontre avec le public et je me rappelle qu’une dame a évoqué des éléments qu’elle avait vus dans un passage. En réalité, il n’y avait pas du tout ces choses-là dans ma pièce, mais ce n’est pas grave si elle les a vues.
9. CR : Le travail coopératif et collaboratif de la part du lecteur, comme le disait Umberto Eco, et donc ici du spectateur. Si on pense à ton autre pièce Tobie, comment est-elle née ? Qu’est-ce qui t’a inspiré cette histoire ? Des jeunes peut-être ?
LC : La pièce Tobie est née, pareil, de différentes choses hétéroclites. J’avais envie d’écrire une pièce sur le couple, pour la jeunesse. Et puis, à la télévision, j’ai vu un reportage. À l’époque, c’était la guerre en Irak. Je ne sais plus quelle guerre, il y en a eu tellement en Irak. Et ils interviewaient un jeune soldat américain, très jeune, de 18 ans, qui était très fier parce qu’il avait la Bible dans le tank, dans le char d’assaut et qu’il allait tuer des Irakiens. Je me dis qu’il était vraiment stupide, parce que dans son livre, dont il était si fier, il y a justement une histoire irakienne. Et cette histoire irakienne, c’est l’histoire de Tobie et Sara. C’est une très vieille histoire qui se racontait en Chaldée, et qui est ensuite rentrée dans la culture juive, parce que quand le peuple hébreu a été déporté à Babylone au VIIIᵉ siècle avant Jésus-Christ, évidemment, toutes les histoires sont venues et on pense qu’au IIᵉ siècle avant Jésus-Christ, un scribe d’Alexandrie a écrit cette histoire. Je me suis dit que le fondamentalisme religieux, c’est une plaie parce que ça déconnecte tellement l’intelligence des gens qu’on arrive à des situations absurdes où un jeune homme va tuer les descendants des écrivains du livre dont il se réclame.
Et voilà d’où est née de désir d’adapter, aujourd’hui, cette très vieille histoire de Tobie et Sara. Il y a un autre auteur de théâtre qui l’avait déjà adapté au théâtre, Paul Claudel, en 1951, mais pour les adultes. Pour ma part, j’ai voulu m’amuser à faire une adaptation beaucoup plus contemporaine, un petit peu rock’n’roll, avec un ange un peu spécial, on va dire.
On a souvent l’impression, quand on regarde les informations à la télévision, que ces pays comme l’Irak, l’Afghanistan, etc., sont des pays lointains, qui n’ont pas de culture ; alors qu’ils ont des cultures beaucoup plus anciennes que la nôtre et auxquelles j’aimerais bien rendre hommage.
En outre, dans mes pièces, il y a souvent une rencontre, celle entre un fait divers, c’est-à-dire l’actualité, et un fond mythologique ou historique. Par exemple, dans Babel ma belle, c’est la situation actuelle des réfugiés en regard de l’histoire de la tour de Babel ; dans Tête de linotte, ce sont les frères Grimm ; dans Au jour naissant, c’est l’histoire de la reine de Sabah. Il y a toujours des choses vraiment très lointaines, intemporelles, universelles qui rencontrent l’actualité.
Voilà l’origine de mon histoire de Tobie et Sara.
10. CR : Une relation étroite entre réel et fiction ?
LC : J’ai essayé d’être très fidèle à l’histoire d’origine. Après, j’en ai extrait des choses qui m’ont fasciné. Par exemple, quelque chose qui m’a fasciné, sur lequel j’ai mis l’accent du coup, mais qui est quand même présent, dans une moindre mesure, dans l’histoire d’origine, ce sont les quatre éléments : l’eau avec le poisson, le feu avec l’histoire des abats qu’on brûle, la terre avec le sable, l’air avec l’oiseau qui fiente sur l’œil de Tobie, comme si les quatre éléments du cosmos devaient s’allier pour que ce garçon et cette fille se rencontrent. Je trouvais assez beau le rapport entre quelque chose de très intime qui est leur première nuit ensemble et quelque chose de très grand qui est le cosmos. Ensuite, j’ai quand même voulu afficher clairement avec ce personnage de Raphaël le fait qu’on était au théâtre, que ça se passait au théâtre, ce qui n’est pas le cas, bien sûr, du texte originel.
Ça crée, du coup, une sorte de mise en abyme : ce qui aide à montrer que c’est une histoire universelle, qu’on n’est pas obligé de créer un espace-temps enfermant, de reconstituer l’Irak sur la scène du théâtre. Et puis en écrivant, des univers graphiques m’inspirent aussi. Pour Tobie, je me suis inspiré de l’univers de Chagall (les noces, les animaux…), pour Au jour naissant, c’était les littoraux nocturnes de Winslow Homer…
11. CR : Dans tes pièces, tu pars donc souvent de faits divers ou historiques, mais t’inspires-tu aussi de ta propre histoire personnelle aussi ? Est-ce qu’il y a quelque chose de toi dans tes œuvres ?
LC : Janine Teisson a dit très justement : « Comme ça sort de moi, d’une certaine manière, tout est autobiographique »40. Il y a toujours quelque chose d’autobiographique, ça peut être conscient, ça peut être inconscient, mais de fait, n’importe quel créateur, un peintre qui peint un tableau, un compositeur qui crée une musique, un écrivain qui écrit un livre, forcément il s’agit d’un travail assez personnel, qu’on le veuille ou non. Je ne pense pas avoir une vie très intéressante qui mérite d’être le moteur d’une pièce de théâtre. Je ne cherche pas du tout à faire de l’autobiographie, mais il y en a sans doute malgré moi, dans les nécessités que j’ai à un moment de ma vie d’écrire cette pièce-là plutôt qu’une autre. Par exemple, quand j’ai écrit Tobie, j’étais en réflexion sur la question du couple. Antoine de Saint-Exupéry dit une phrase très juste : « Être amoureux, ce n’est pas se regarder dans les yeux l’un de l’autre, c’est regarder ensemble dans la même direction. » Pour qu’un couple réussisse, j’ai l’impression qu’il ne faut pas être deux, mais il faut que ça soit toujours ouvert à autre chose : un projet ? Un enfant ? Une maison ? Une passion ? J’ai l’impression qu’un couple, en fait, c’est un triangle. C’est pour cela que ça m’intéressait le triangle Tobie, Sara, Raphaël, parce que je me posais beaucoup de questions sur comment être deux et comment vivre à deux.
Dans Au jour naissant, le lieu où se passe la pièce, c’est du côté du Cap Griz-Nez, là où les réfugiés tentent de traverser la mer vers l’Angleterre : ce sont les lieux où j’ai passé mes étés d’enfance, d’adolescence – et effectivement, la maison de ces étés-là, elle a été démolie, et je l’ai vidée de tout ce qu’elle contenait…
12. CR : Certains de tes lecteurs de Tobie ont trouvé ton écriture « énigmatique ». Souhaitais-tu déconcerter tes lecteurs ?
LC : Pourquoi est-ce que c’est « énigmatique » ? Je ne sais pas. En tout cas, le théâtre, c’est la vie et la vie est énigmatique. Naître, c’est très énigmatique. Vivre, c’est très énigmatique. Mourir, c’est très énigmatique. Être heureux, c’est très énigmatique. Être amoureux, c’est très énigmatique. C’est normal que le théâtre reflète un certain mystère.
C’est vrai que je fais peu de théâtre vraiment documentaire, encore qu’une de mes dernières pièces sur le Chili en 1973 (Tant que nos cœurs flamboient, Ed. Christophe Chomant, 2019) est vraiment du théâtre documentaire où il n’y a pas de mystère du tout. Sinon, c’est vrai que peut-être c’est pour cette liberté de réception du public dont je parlais tout à l’heure qu’il y a souvent des doubles sens, ou que tout n’est pas dit. Il y a beaucoup de choses qui sont dans les blancs. En fait, une pièce de théâtre, on croit que c’est dans le noir de l’écriture qu’elle s’écrit, mais c’est beaucoup dans le blanc de la page. Mais « énigmatiques », je ne sais pas. Je laisse parler mes personnages ; ce sont mes personnages qui s’expriment comme ça. Moi, je ne cherche pas à déconcerter le lecteur. Je ne suis pas sadique !
Dans Tobie, c’est vrai que c’est un niveau de langage parfois poétique, mais très hétérogène. Moi, j’aime beaucoup l’impureté et le métissage. J’aime bien les grumeaux : donc des parties poétiques peuvent jouxter des parties très triviales aussi, très contemporaines. J’aime bien quand c’est un peu sale. Je me méfie de la propreté.
13. CR : Parmi tes nombreuses expériences, il n’y a non seulement l’écriture, mais aussi un travail artistique qui s’intéresse, par exemples, au théâtre d’objets et aux marionnettes.
LC : La marionnette, pour moi, ça a été vraiment une découverte extraordinaire. C’est le hasard, car c’est toujours le hasard qui me fait avancer.
C’est un metteur en scène, Grégoire Callies41, qui m’a fait découvrir et qui m’a fait faire de la marionnette. Entre les années 1997 et 2007, j’ai beaucoup manipulé des marionnettes : à gaine chinoise, à gaine lyonnaise, de type bunraku, à tringles, à tiges, du théâtre d’objets… Cela m’a vraiment réconcilié parce qu’avant ça, je me disais que j’étais acteur, auteur, metteur en scène, et cette pluralité d’activités n’était pas si reconnue en France à l’époque. À présent, les choses ont changé, parce qu’il y a des gens connus comme Joël Pommerat, Olivier Py, grâce à qui la situation a évolué, mais à l’époque, ce n’était pas très bien vu et je complexais un peu à cause de cela. J’avais les trois casquettes d’acteur, d’auteur et de metteur en scène, et en fait c’est vraiment la marionnette qui a fait l’unité, qui les a réconciliés, parce que, quand on fait de la marionnette, on délègue son jeu à l’objet, mais en fait on joue. On est obligé de jouer. On projette son jeu, mais on joue, donc on est acteur, de fait. On est aussi metteur en scène parce que, comme il y a cette distance avec la marionnette, on délègue le jeu, on met en scène sa marionnette. Et puis, tout cela est mystérieux mais je pense que c’est vraiment du fait que la marionnette se manipule, comme son nom l’indique, avec la main et qu’on est dans le signe, je pense que c’est une écriture aussi. Le langage « marionnétique » est une écriture. Alors quand on est marionnettiste, on est à la fois acteur, metteur en scène et écrivain, et on le sent immédiatement dans son corps. Ce n’est pas théorique, c’est que d’un coup c’est une évidence, corporellement, organiquement, charnellement, que tout ça, ces trois casquettes, c’est le même métier. Mais d’ailleurs, je crois que l’origine de tout, c’est le mot latin auctor, et je crois qu’à l’époque, ça pouvait dire tout cela.
Grâce à la marionnette, j’ai accepté de me dire que tout cela correspondait à un même métier. On a un corps, on est dans un espace, on est dans un temps et on est une parole.
Tobie a été monté en marionnettes par Sabine Pernette. Je crois que c’était un choix très judicieux qu’elle a fait : il n’y avait que deux comédiens et une comédienne qui jouaient en théâtre d’acteur les rôles des jeunes (Tobie, Raphaël et Sara), et tous les rôles des vieux (les parents), ils les manipulaient avec des marionnettes. C’est comme si la génération des seniors avait moins de pouvoir sur scène. Elle avait moins de potentiel sur scène et les jeunes prenaient l’énergie de la scène.
marionnettes Tobie
marionnettes Tobie
14.CR : Tes œuvres sont conçues davantage pour être lues ou pour être vues ?
LC : Effectivement, le texte de théâtre a un double statut. C’est un objet littéraire en tant que tel, au même titre qu’un roman ou qu’une poésie, et donc il est sujet à être lu. Il n’y a aucun problème avec la lecture de la pièce de théâtre. Et une pièce de théâtre, c’est aussi une partition pour un spectacle.
Par exemple, J’ai écrit pour du théâtre de rue, de la marionnette, de la danse, du cirque. J’ai écrit deux pièces pour des artistes de cirque. Le cirque, les mouvements du corps dans l’espace, il s’agit vraiment d’un un autre langage. Alors mon langage textuel doit « négocier » avec cet autre langage pour ne pas que ça se télescope. Souvent, les pièces que j’ai écrites dans ce cadre-là étaient vraiment spécifiques à cette mise en scène-là de théâtre de rue, de cirque ou de danse, etc. Et d’ailleurs n’ont pas été publiées. Quand une pièce est publiée, généralement, l’éditeur est vigilant à ce que ce ne soit pas juste le texte d’une partition scénique, mais que ce soit vraiment une œuvre littéraire.
15. Revenons à Tobie. Y a-t-il un personnage auquel tu t’identifies en particulier ?
LC : J’aime beaucoup Raphaël, parce que c’est un peu l’intermédiaire, l’interface entre les personnages et le public, donc c’est un peu moi, le dramaturge. Je l’aime bien aussi parce que par rapport à l’histoire d’origine, c’est celui que j’ai le plus transformé. Les trois jeunes, je les ai vraiment beaucoup transformés par rapport à l’histoire d’origine. En ce qui concerne Raphaël, j’en ai fait un ange presque un peu érotique : sans aller jusqu’au Théorème de Pasolini, c’est quand même un ange qui est moins sage que celui de la Bible. J’aime bien cette ambiguïté qu’il a. Il suscite les rencontres, et en même temps cela l’énerve parce qu’on ne lui obéit pas. Il est très humain. C’est un ange très humain et c’est grâce à cela que la pièce est possible, parce que si ça avait été un ange comme dans la Bible, la pièce aurait été très ennuyeuse.
Raphael
16.Tu as parlé de Babel ma belle. Pourrais-tu nous présenter cette pièce et nous dire si dans cette œuvre aussi il y a un personnage auquel tu es particulièrement attaché ?
LC : Babel ma belle est née d’un fait divers qui s’est passé près de chez moi, dans un square, où il y avait des réfugiés, notamment Afghans. Souvent, aussi, des Chinois qui faisaient du tai-chi et qui donnaient des cours gratuitement et, dans un autre coin, des enfants. Tout cela était assez harmonieux. Il y avait une cohabitation qui se faisait bien entre ces différences... Et moi, je m’étais dit souvent, en passant, que c’était vraiment la tour de Babel. Ça m’y faisait penser.
Puis, un matin, toutes les tentes des réfugiés avaient disparu et le jardinier m’avait raconté que, la nuit précédente, la police était venue et avait fait partir tout le monde. L’épisode m’avait particulièrement énervé parce qu’évidemment, en faisant ça la nuit, les protestations des autres personnes du square ont été évitées. C’était un peu lâche, de faire ça la nuit. J’ai eu envie de l’écrire.
J’ai juste imaginé deux personnages principaux qui sont un enfant du square qui a une maman un petit peu speed et un adolescent afghan. C’est l’histoire de l’amitié entre eux. Au centre, il y a Rémi qui, ayant son père qui travaille à la radio, utilise ce média pour essayer de retrouver la trace de son ami qui a disparu.
Dans cette pièce, j’aime beaucoup Monsieur Traoré, qui fréquente le square lui aussi, c’est un ami de Rémi et il l’aide à retrouver Sahil. Je trouve que la rencontre entre Monsieur Traoré et Madame Gardecka est assez touchante parce qu’ils viennent tous les deux de loin, elle de Pologne et lui du Mali. C’est peut-être une histoire d’amour qui commence entre eux, entre cette dame, qui est là depuis très longtemps et qui est arrivée de Pologne on ne sait pas quand, et ce monsieur qui vient du Mali. Le hasard de la vie, le fait qu’ils connaissent Rémi tous les deux, qu’ils fréquentent le même square, fait que peut-être une grande histoire d’amour commence entre eux.
Rémi
17. CR : Est-ce que tu envisages d’écrire la suite de cette histoire ?
LC : Non, je laisse chacun écrire la suite. Volontairement, je n’ai pas écrit de fin, d’une certaine manière, pour pouvoir laisser les jeunes faire leur fin eux-mêmes. C’est assez intéressant parce que, sur cette pièce, je fais beaucoup d’ateliers d’écriture où on écrit la fin. Ce n’était pas calculé comme ça au départ, mais c’est vrai que ça donne lieu à des ateliers d’écriture intéressants.
18.CR : Y a-t-il des enseignements que tu voudrais transmettre aux enfants qui liraient l’histoire de Rémi ?
LC : Non, je ne cherche pas à donner des enseignements. Je laisse les publicitaires faire ça. Moi, ce qui m’intéresse, c’est que chacun se laisse toucher, pour une raison ou une autre, par un personnage, par un moment de la pièce ou par une situation, que ça fasse son chemin en lui et qu’il en retire ce qu’il veut en retirer. Je ne cherche pas du tout à faire passer des messages. J’ai trop de respect pour la liberté de réception de ce que j’écris pour imposer une vision. Si je voulais faire passer un message, j’écrirais le message et je ne m’amuserais pas à faire une pièce. Si je prends un an à écrire une pièce, c’est que je ne cherche pas à faire passer de message – même s’il y en a peut-être !
19.CR : Tu nous as parlé des œuvres conçues en résidence. Et certaines sont nées d’une commande. Pourrais-tu nous parler de Tête de linotte (L’École des loisirs, 2016) et de Cent haïkus pour le climat (Éditions du Cygne, 2017) ?
LC : Ces deux œuvres ont un point commun, car il s’agit de commandes venues du milieu scientifique. Malgré tout, mon passé scientifique fait que je suis parfois repéré comme étant un peu « l’auteur scientifique ».
Pour Cent haïkus pour le climat, c’était le Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement42 à Paris, au moment de la COP 21 sur le réchauffement climatique, qui m’a passé commande. Au début, on voulait que j’écrive une pièce de théâtre sur le réchauffement climatique. Toutefois, il y avait vraiment une injonction à faire passer des messages via le théâtre qui me gênait, justement : on en revient à la question précédente. J’ai donc proposé, puisque le lien du haïku avec les saisons est très fort, qu’avec le dérèglement climatique on dit qu’il n’y a plus de saisons, que c’est une écriture économe en encre et en papier, d’écrire des haïkus en lien avec le réchauffement climatique.
Pour Tête de Linotte, c’était un laboratoire de neurobiologie43 qui souhaitait que je fasse une pièce pour que les jeunes découvrent un petit peu comment fonctionne le cerveau. C’était assez scientifique et j’ai fait une résidence aussi dans le même laboratoire où j’ai pu observer des expériences avec les souris, les poissons, les mouches, etc., voir les électrodes, le cerveau qui clignote dans tous les sens sur les écrans, et interroger les chercheurs pour faire tomber aussi beaucoup de préjugés qu’on a sur le fonctionnement du cerveau. J’ai réalisé une pièce de théâtre avec trois personnages pour déconstruire toutes les fausses idées qu’on a.
20. CR : Une dernière question : un projet en cours ou à venir ?
LC : Quand on écrit, on est souvent à cheval sur trois temps : le passé, le présent et le futur. Me concernant : je viens de publier deux livres, A bon port et Lilou les oiseaux, respectivement une pièce pour adolescents et un roman pour pré-ados, et donc je suis pas mal sollicité par mes éditeurs pour aller faire des dédicaces dans des salons du livre, des librairies, faire des rencontres dans des classes autour de ces livres, etc. Ça, c’est de l’écriture, on pourrait dire, passée, mais que je me dois d’aider à rendre visible. Ça prend pas mal de temps, mais c’est important de le faire. Le projet présent, en cours d’écriture, c’est une adaptation scénique, pour une petite dizaine de comédiens, d’une des Métamorphoses d’Ovide. La pièce devrait être créée en novembre 2024 à Paris, pour un public adulte. Quant au projet à venir : je pense que je reviendrai à l’écriture poétique, parce que ça fait longtemps que je n’ai pas pris un vrai temps pour travailler sur des formes courtes, denses, en m’affranchissant de la question d’une histoire à raconter, d’une intrigue. La poésie offre une liberté que je m’imagine bien m’accorder en 2024-2025. Donc, dans mes temps morts, parfois, je commence à réfléchir à un projet poétique pour plus tard, j’en précise les contours, j’en creuse la nécessité. Voilà, je marche sur ces trois jambes-là, celle du passé, celle du présent, celle du futur.
Merci à Bernard Friot, Janine Teisson et Laurent Contamin pour leur disponibilité et pour le partage de leurs expériences et de leurs réflexions.
[1] Le cycle de rencontres littéraires « Vous les aimerez » est né grâce à une collaboration avec l’Alliance française de Cuneo (Italie) et La minute française. Je tiens à remercier chaleureusement Manuela Vico, présidente de l’Alliance française de Cuneo (https://www.alliancecuneo.eu/), Alice Gallouin, créatrice de la plateforme La minute française (https://laminutefrancaisecom.wordpress.com/), et Jordane Lonardi, stagiaire auprès de l’Alliance française de Cuneo en 2021, pour leur précieuse collaboration.
[2] Voir à ce propos, le site internet de l’atelier de lecture créative « Lire Ados », URL : https://chiararamero.wixsite.com/atelierdelecture.
[3] Nathalie BRILLANT-RANNOU, « Jeux et enjeux des rencontres avec les écrivains, analyse à partir des réactions des élèves », Lettres ouvertes, 16, 2003, p. 77, in Olivier DEZUTTER, Marie-Christine BEAUDRY, Mélissa DUMOUCHEL, Myriam LEMONCHOIS, Érick FALARDEAU, « La rencontre avec un écrivain en contexte scolaire québécois : points de vue d’élèves et d’enseignants », Le français aujourd’hui, 206 (3), 2019, p. 22, URL : https://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2019-3-page-11.htm.
[4] Voir à ce propos, Pierre SÈVE, « Auteur/Auctorialité », in Nathalie BRILLANT-RANNOU, François LE GOFF, Marie-José FOURTANIER, Jean-François MASSOL (dir.), Un dictionnaire de didactique de la littérature, Paris, Éditions Champion, 2020, p. 37.
[5] Voir à ce propos, Jean-Marie PRIVAT, « Médiations littéraires », in ibid., p. 82.
[6] P. SÈVE, op. cit., p. 37.
[7] Anne-Marie MERCIER-FAIVRE, Christine MONGENOT, « Le roi vient quand il veut : les auteurs à la rencontre des publics scolaires », Le français aujourd’hui, 206 (3), 2019, p. 4, URL : https://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2019-3-page-3.htm.
[8] Pour cette raison, nous avions fait le choix de proposer cette rencontre le 12 mars, autour du 8 mars, Journée internationale des femmes.
[9] Patrick GERMAIN-THOMAS, Chantal LAPEYRE-DESMAISON, « La place de l’artiste dans la classe », Le français aujourd’hui, 219 (4), 2022, p. 7.
[10] Voir à ce propos A.-M. MERCIER-FAIVRE, C. MONGENOT, op. cit., introduction au numéro 206 du Français aujourd’hui, « L’auteur dans la classe », de septembre 2019, ainsi que toutes les contributions proposées.
[11] Bernard FRIOT, « Renouveler les rencontres avec les auteurs. Entretien », Le français aujourd’hui, 219 (4), 2022, p. 125.
[12] C’est pour cela que les questions soumises aux auteurs se concentrent sur certaines œuvres fréquentées dans le cadre de l’atelier « Lire Ados ». Cependant, je voulais également ouvrir les participants à d’autres œuvres probablement encore inconnues pour eux, à d’autres thèmes, à d’autres choix que ceux qu’ils connaissaient déjà.
[13] Chiara RAMERO, « Un atelier de lecture en FLE : à la découverte de la langue et de la culture françaises grâce à la littérature de jeunesse », in Argyro PROSCOLLI, Christos NIKOU, Sophoklis TSAKAGIANNIS (coord.), Regards croisés sur la place du français dans des sociétés en mutation, actes du 3e Congrès international de la FIPF, Athènes 4-8 septembre 2019, Athènes, National and Kapodistrian University of Athens Press, 2021, p. 742.
[14] Voir en particulier, Gérard LANGLADE, « L’activité « fictionnalisante » du lecteur », in Brigitte LOUICHON, Béatrice LAVILLE (dir.), Les enseignements de la fiction, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2007, p. 163-176.
[15] Pour un approfondissement de la notion d’« appropriation littéraire », Bénédicte SHAWKY-MILCENT, L’appropriation des œuvres littéraires en classe de seconde, thèse de doctorat, Université Grenoble Alpes, 2014, URL : https://theses.hal.science/tel-01677062 ; id., La lecture ça ne sert à rien ! Usages de la littérature au lycée et partout ailleurs…, Paris, Presses universitaires de France, 2016, p. 8-12.
[16] Voir à ce propos Annie ROUXEL, Gérard LANGLADE (dir.), Le Sujet lecteur. Lecture subjective et enseignement de la littérature, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004 ; Jean-François MASSOL (dir.), Le sujet lecteur-scripteur de l’école à l’université. Variété des dispositifs, diversité des élèves, Grenoble, UGA Editions, 2017.
[17] Yves CITTON, Jean-François MASSOL, « Actualisation », in N. BRILLANT-RANNOU, F. LE GOFF, M.-J. FOURTANIER, J.-F. MASSOL (dir.), op. cit., p. 218.
[18] B. FRIOT, op. cit., p. 128.
[19] A.-M. MERCIER-FAIVRE, C. MONGENOT, op. cit., p. 5.
[20] B. FRIOT, op. cit., p. 129.
[21] Isabelle SAGNET, « Partager des lectures d’albums : l’importance de la transmission », Quand les livres relient, 2012, p. 173.
[22] Cette présentation de l’auteur a été rédigée en partie en collaboration avec Jordane Lonardi qui m’a également aidée dans l’organisation de la rencontre avec Bernard Friot qui a été réalisée le 12 février 2021 dans le cadre du cycle « Vous les aimerez » né grâce à une collaboration avec l’Alliance française de Cuneo (Italie) et La minute française. Cette entrevue est tirée, en partie, de cette interview. Ici l’enregistrement de la rencontre : https://www.youtube.com/watch?v=B7agY0zRTI0.
[23] Pour un souhait de precision, j’évoque entre parenthèses l’éditeur et l’année de publication des oeuvres mentionnées lors de cet entretien.
[24] Il s’agit de la phrase inscrite sur l'enseigne des bureaux de tabac italiens : « Sels, tabacs, timbres ».
[25] Pour cette citation et la suivante, https://janineteisson.fr/biographie.html.
[26] Extrait tiré d’un mail que Janine Teisson m’a envoyé le 30/09/2013.
[28] Janine TEISSON, Au cinéma Lux, Paris, Syros, 2007, [p. 117].
[29] Cette bibliographie de l’auteure a été rédigée en collaboration avec Jordane Lonardi qui m’a également aidée dans l’organisation de la rencontre avec Janine Teisson qui a été réalisée le 12 mars 2021 dans le cadre du cycle « Vous les aimerez » né grâce à une collaboration avec l’Alliance française de Cuneo (Italie) et La minute française. Cette entrevue est tirée, en partie, de cette interview. Ici l’enregistrement de la rencontre : https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=RWMP4kQ0dvY.
[30] Pour un souhait de précision, j’évoque entre parenthèses l’éditeur et l’année de publication des œuvres mentionnées lors de cet entretien.
[31] Ce film a été réalisé en 1971.
[32] « Mourir d’aimer » est une chanson de Charles Aznavour parue en 1971.
[33] Cette bibliographie de l’auteur a été rédigée en collaboration avec Jordane Lonardi qui m’a également aidée dans l’organisation de la rencontre avec Laurent Contamin qui a été réalisée le 16 avril 2021 dans le cadre du cycle « Vous les aimerez » né grâce à une collaboration avec l’Alliance française de Cuneo (Italie) et La minute française. Cette entrevue est tirée, en partie, de cette interview. Ici l’enregistrement de la rencontre : https://www.youtube.com/watch?v=jAj7EAOgu8s.
[34] Citation tirée de son site internet : www.laurent-contamin.net/.
[35] Pour un souhait de précision, j’évoque entre parenthèses l’éditeur et l’année de publication des œuvres mentionnées lors de cet entretien.
[36] En 2021.
[38] Laurent CONTAMIN, Au jour naissant, L’École des loisirs, 2019, p. 12-13.
[39] Id., Tobie, Éditions Lansman, 2008, p. 5.
[40] Entrevue avec Janine Teisson, le 12 mars 2021, dans le cadre du cycle « Vous les aimerez ». Ici l’enregistrement de la rencontre : https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=RWMP4kQ0dvY.
[41] Grégoire Callies est directeur de la compagnie du Théâtre du Chemin Creux et ensuite du Théâtre Jeune Public de Strasbourg.
[42] La pièce a été écrite à la suite d’une résidence d’écrivain au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (Plateau de Saclay, Essonne), à l’initiative du climatologue Gilles Ramstein (hiver 2015/2016).
[43] La pièce a été écrite en résidence d’écrivain à l’institut de neurobiologie Alfred-Fessard (Plateau de Saclay, Essonne), dans le cadre d’une commande du Groupe 3.5.81 (2014).