À partir de la fin du XVe siècle, les grandes découvertes, qui marquent encore dans certaines chronologies le début de « l’époque moderne », élargissent singulièrement l’espace maritime : on découvre de nouvelles routes, de nouvelles terres, de nouveaux groupes humains, et bien sûr, les confins d’un nouvel Océan. L’Espagne a, naturellement, une place de choix dans ce processus et les récits de ses voyageurs et explorateurs peuplent la terre et l’océan de créatures fantastiques, mystérieuses voire terrifiantes. Face au géant Atlantique, la Méditerranée, au Siècle d’or, fait figure de vieille mer : c’est celle qui est déjà connue, qu’on a déjà parcourue, dont on connaît les rivages et les habitants, celle pour laquelle on a déjà combattu. Cependant, les événements récents – notamment la prise de Constantinople par les Turcs en 1453 et la chute de Grenade, qui marque la fin de la Reconquista en 1492 – ont complètement bouleversé la géopolitique de la région ; désormais, c’est autour de la Méditerranée que, pour l’Espagne, se cristallisera le « problème musulman ». Il s’incarne notamment, jusqu’au début du XVIIe siècle, dans la communauté appelée « morisque », constituée par les descendants des derniers Musulmans du royaume de Grenade, qui furent convertis de force au Christianisme dès les premières années du XVIe siècle. Ces morisques, ou « Nouveaux-Chrétiens », ne furent jamais totalement intégrés au reste de la société espagnole « vieille-chrétienne »1 : ils sont constamment soupçonnés d’apostasie et de sédition, et victimes de mesure d’exclusion et de discrimination. Ils représentent, pour la Couronne et l’Inquisition, un rebut inacceptable de l’Islam, et seront finalement expulsés de la Péninsule en 1609.
Le XVIe siècle assiste donc à une montée imparable des tensions entre les deux communautés, morisque d’un côté et vieille-chrétienne de l’autre. Le « problème musulman », tel qu’il se présente alors, fait de la Méditerranée une source permanente d’inquiétudes et de conflits à la fois extérieurs et intérieurs à l’Espagne. Sur le front extérieur, la Méditerranée est évidemment le théâtre de l’affrontement entre deux grands empires, et des batailles entre Espagnols et Ottomans pour Tunis ou Alger (1535 et 1541). Sur le front intérieur, elle est une porte d’entrée pour les Turcs, Maures et morisques renégats venus piller les côtes espagnoles, et une porte de sortie pour les morisques fuyant en Berbérie. Elle est enfin sillonnée par des galères algériennes ou ottomanes, qui s’ingénient à capturer le plus de Chrétiens possible, pour en demander une rançon ou bien obtenir leur conversion à l’Islam2. Les textes de l’époque montrent à quel point cette proximité entre les rivages espagnol (ou italien) et maghrébin était une préoccupation constante pour les Espagnols : les œuvres de Miguel de Cervantès, entre autres, en font état, par exemple dans les nouvelles exemplaires El amante liberal ou La española inglesa (1613), ou encore dans Los trabajos de Persiles y Sigismunda (1617), qui reprend ce schéma dans le chapitre 11 du livre III. Sur le plan législatif, les morisques de Valence furent les premiers à être concernés par le décret d’expulsion promulgué par Philippe III en 1609, précisément parce qu’ils étaient considérés comme les plus dangereux, à cause de la proximité du rivage barbaresque.
Ce chassé-croisé sur la mer Méditerranée, entre départs volontaires, exil forcé et captures imprévues, fait passer les hommes d’une rive à l’autre sans solution de continuité. En effet, malgré les discours qui tendent à envisager la Méditerranée comme une ligne de séparation radicale autour de laquelle les coutumes et les croyances diffèrent du tout au tout, il n’en est rien :
La historia del Mediterráneo en los siglos XVI y XVII es mucho más compleja que la división simplista entre dos enemigos irreconciliables que se diferencian en el credo religioso que practican. La política y los intereses del Estado llevaban un camino independiente que podía coincidir o no con el de la religión3.
Fernand Braudel a également questionné la pertinence de la notion d’imperméabilité de la « frontière liquide » qu’est la mer Méditerranée4. Cette complexité des échanges qui se tissent autour du bassin méditerranéen en font un lieu paradoxal, de partage et de conflits, un lieu-seuil, qui sépare autant qu’il unit.
Dans une autre perspective, celle des représentations, la mer Méditerranée est un espace non moins complexe : elle est l’héritière de siècles de mythification, depuis L’Odyssée où elle ne représente pas seulement le support géographique du trajet d’Ulysse. Elle est, aussi et surtout, semée d’épreuves emblématiques qui en font un lieu d’affrontement symbolique entre l’humain et le non-humain, le lieu du retour à soi-même, du retour à la civilisation, un lieu qui transforme le héros qui le parcourt. La tradition littéraire postérieure reprend ce motif dès le roman grec, où les péripéties des héros sont liées, bien souvent, à un voyage maritime malheureux, comme c’est le cas chez Héliodore et ses Ethiopiques. Pourtant, dans la plupart des formes littéraires qui reprennent ce topos, le voyage perd bien vite toute signification littérale. Ainsi, dans la novela de aventuras espagnole, héritière du roman grec puis du roman byzantin, il n’est qu’un prétexte à la mise en place de différents récits intercalés : comme le commente Ana Baquero Escudero au sujet de la Selva de aventuras de Jerónimo de Contreras (1565),
El viaje no conlleva peripecia y el interés se va a desplazar de éste, a los relatos incluidos que actuarán como singular medio de educación y aprendizaje para el peregrino5.
Il en est de même pour la littérature de voyage, au moins celle, très répandue et majoritaire à cette époque, qui concerne les voyages religieux, les pèlerinages : le plus important est alors le but du voyage, et non le trajet en lui-même. S’il existe donc une tradition littéraire autour de la Méditerranée, celle-ci n’en est pas toujours, pour autant, un lieu d’intérêt en soi : elle peut être simple support actanciel, voire pur symbole qui représente de façon métaphorique les tourments de la vie et la nécessité de purification de l’âme humaine, comme c’est le cas chez Jerónimo de Contreras.
Aussi cette mer Méditerranée se présente-t-elle à plus d’un titre comme un espace paradoxal, à la fois géopolitique, pragmatique, et chargé de connotations symboliques, un espace qui ne pouvait que fasciner Miguel de Cervantès, en particulier dans le Quichotte qui explore systématiquement l’ambiguïté du réel et de ses représentations.
La mer comme source permanente d’inquiétudes et de dangers apparaît à de nombreuses reprises dans les œuvres cervantines : elle est, certes, au cœur du Persiles, mais, comme le note Albert Mas, « Toute la gamme des aventures maritimes apparaît dans l’œuvre de Cervantès »6, et ce dès la Galatée (1585), qui est pourtant un roman pastoral7. Néanmoins, dans Don Quichotte (1605 et 1615), la mer est relativement peu présente, compte tenu de l’ampleur du roman. Le chevalier et son écuyer sont des hommes de la terre ferme, qui rencontrent très rarement l’eau. À ce titre, le roman illustre de façon significative la connexion soulignée plus haut entre espace maritime et question morisque : les seuls épisodes où il est question de la mer sont intrinsèquement liés au « problème musulman ». Dans la première partie, il s’agit des aventures de l’ancien captif chrétien Ruy Pérez, qui revient en Espagne accompagné de la Maure Zoraida et fait le récit de ses incroyables aventures à don Quichotte et sa troupe, réunis dans l’auberge de Juan Palomeque el Zurdo (chapitres 37 à 42) ; dans la seconde partie, c’est l’épisode de la morisque Ana Félix qui, à Barcelone, ouvre le roman sur l’espace maritime (chapitres 63 à 65). Un rapide relevé dans le texte cervantin nous donne un total de soixante occurrences du mot « mar » (ou « mares ») pour les deux parties du roman, dont vingt-neuf, c’est-à-dire presque la moitié, sont regroupées sur les sept chapitres consacrés à ces épisodes « morisques »8. Il est intéressant de constater que le motif de la mer, dans le Quichotte, est avant tout utilisé avec un sens métaphorique. On le trouve essentiellement dans des métaphores filées9, dans des expressions lexicalisées10, ou encore dans des compositions poétiques, qui exploitent donc ce motif dans un sens littéraire, figuré, et non littéral11.
Dans les épisodes qui nous intéresseront ici, la mer est convoquée, au contraire, dans son sens géographique et littéral : elle apparaît en tant qu’objet de la narration. Bien connue de l’ancien soldat et captif Cervantès qui l’a parcourue dans les années 1570 et 1580, c’est une représentation technique et, dans une certaine mesure, réaliste, qui nous en est proposée. L’auteur y injecte son savoir ainsi que les connaissances générales et partagées par ses lecteurs de la situation géopolitique de l’époque. Pourtant, l’eau elle-même n’est pas, comme nous le verrons, au cœur des épisodes. Sous la plume cervantine, cet espace redevient un lieu de mystère et de création, mais d’une création qui intègre et dépasse l’héritage littéraire et mythologique de la Méditerranée, qui ouvre la voie à une conception nouvelle de la fiction dont Cervantès pose les bases tout au long de son roman, et plus particulièrement encore dans les épisodes morisques. Quels sont les différents aspects de la représentation de l’espace méditerranéen dans le Don Quichotte ? Comment Cervantès, sans exclure les conflits historiques déjà mentionnés, mais, au contraire, en les intégrant parfaitement aux aventures de ses personnages, intronise-t-il une nouvelle conception de la fiction, à même de remplacer efficacement – c’est-à-dire, avec un impact tout aussi grand sur le lecteur – la « máquina mal fundada de estos caballerescos libros »12, selon le projet qu’il annonce dès le prologue de la première partie ? Cet article se concentrera sur l’épisode du Captif Ruy Pérez et de la Maure Zoraida, car c’est celui où le motif de la mer, dans sa dimension matérielle, est le plus exploité, dans les paramètres particuliers, ironiques et complexes, propres à Cervantès et au Quichotte. Nous reviendrons ensuite brièvement sur les réseaux de sens, que nous pourrions appeler « chaînes sémantiques », qui se créent entre les différentes occurrences du motif de la mer, et qui conduisent à remplacer le merveilleux des formes littéraires traditionnelles – désormais non opérantes – par un autre merveilleux, celui du quotidien, celui de la contemporanéité. En ce sens, les thèmes morisques sont un terrain d’expérimentation privilégié, puisque les personnages de Ruy Pérez, Zoraida, Ricote et Ana Félix sont les seuls à convoquer aussi clairement le substrat historique de l’Espagne du début du XVIIe siècle.
Au chapitre 38 de la première partie, c’est le héros du roman, don Quichotte lui-même, qui aborde, le premier, le thème de la mer, à travers le prisme qui lui est propre, celui du chevalier errant. Au cours de son long discours des Armes et des Lettres, il propose une théorisation abstraite de ce que sont le quotidien du soldat et la guerre, notamment sur mer :
Y si éste parece pequeño peligro, veamos si le iguala o hace ventaja el de embestirse dos galeras por las proas en mitad del mar espacioso, las cuales enclavijadas y trabadas, no le queda al soldado más espacio del que concede dos pies de tabla del espolón; y con todo esto, viendo que tiene delante de sí tantos ministros de la muerte que le amenazan cuantos cañones de artillería se asestan de la parte contraria, que no distan de su cuerpo una lanza, y viendo que al primer descuido de los pies iría a visitar los profundos senos de Neptuno, y con todo esto, con intrépido corazón, llevado de la honra que le incita, se pone a ser blanco de tanta arcabucería y procura pasar por tan estrecho paso al bajel contrario. Y lo que más es de admirar: que apenas uno ha caído donde no se podrá levantar hasta la fin del mundo, cuando otro ocupa su mismo lugar; y si éste también cae en el mar, que como a enemigo le aguarda, otro y otro le sucede sin dar tiempo al tiempo de sus muertes: valentía y atrevimiento el mayor que se puede hallar en todos los trances de la guerra13.
La description que fait le personnage d’un assaut militaire est ici entièrement dominée par l’impersonnalité. Don Quichotte en effet ne prend même pas la peine de préciser qui sont les deux adversaires : il se contente de parler de « dos galeras » indéterminées. Il utilise de nombreux pronoms indéfinis (« uno », « otro ») et ne fait état que de généralités à travers le récit des actions de ce soldat anonyme qui se constitue, avec l’emploi de l’article défini « el », en un prototype. Même si, selon Ricardo Castells, le discours de don Quichotte, alors qu’il pense faire l’apologie du chevalier médiéval, ne parle en fait que du soldat des temps les plus modernes14, il manque malgré tout au personnage principal l’expérience du terrain et du réel pour dépasser cette description prototypique des luttes maritimes. Ce second volet apparaîtra très vite, incarné par le personnage qui vient d’arriver, dans cette auberge où tout semble fonctionner par paire, comme en un jeu de miroirs dans lequel, depuis le séjour dans la forêt de Sierra Morena, chaque réalité reçoit un contrepoint : la version des faits de Cardenio est complétée par celle de Dorotea ; l’histoire fausse de la princesse Micomicona fait écho à l’histoire réelle de Dorotea ; les personnages de Dorotea et Cardenio trouvent leur pendant en ceux de Luscinda et don Fernando ; sans parler du rapport spéculaire évident qui s’instaure entre don Quichotte et Cardenio dès leur première rencontre. Ce jeu de miroirs se prolonge, d’ailleurs, après l’histoire du Captif, avec l’arrivée de son frère, l’Auditeur, au chapitre suivant : don Quichotte lui-même souligne la fonction de contrepoint de ce personnage, en déclarant « No hay estrecheza ni incomodidad en el mundo que no dé lugar a las armas y a las letras, y más si las armas y letras traen por guía y adalid a la fermosura »15. Le chevalier fait des deux frères les représentants par excellence des Armes pour l’un, des Lettres pour l’autre, dans une réplique dont le rythme systématiquement binaire et la structure en chiasme (« estrecheza ni incomodidad », « a las armas y a las letras » ; « las armas y letras », « guía y adalid »), en plus de rappeler le langage archaïque des livres de chevalerie16, vient encore renforcer l’idée de dédoublement, de contrepoint, figure apparemment majeure des épisodes de l’auberge.
Nous reviendrons sur quelques-uns de ces jeux de réflexion particulièrement significatifs pour cette étude ; intéressons-nous d’abord à l’arrivée du Capitaine captif, contrepoint au discours des Armes et des Lettres et à cette première représentation de la mer donnée au lecteur à travers les paroles de don Quichotte. Celui que la narration identifie comme « cristiano recién venido de tierra de moros »17, dès les premiers mots de son récit, s’oppose à ce que vient de dire le chevalier. En effet, tandis que celui-ci avait longuement insisté sur la pauvreté inhérente à l’état de soldat18, Ruy Pérez, en présentant son père, affirme :
Y la condición que tenía de ser liberal y gastador le procedió de haber sido soldado los años de su juventud; que es escuela la soldadesca donde el mezquino se hace franco, y el franco, pródigo, y si algunos soldados se hallan miserables, son como monstruos que se ven raras veces19.
À l’abstrait, le capitaine captif va substituer le concret, comme le lecteur s’en rend très rapidement compte lorsqu’il commence le récit de sa vie de soldat. Il prend bien soin d’en situer géographiquement toutes les étapes, comme nous le voyons par exemple au début de ses aventures :
Embarqueme en Alicante, llegué con próspero viaje a Génova, fui desde allí a Milán […] y estando ya de camino para Alejandria de la Palla, tuve nuevas que el gran Duque de Alba pasaba a Flandes20.
Nous retrouvons ce même type d’indications très précises tout au long de son récit, notamment lorsqu’il est fait prisonnier : « En efecto, el Uchalí se recogió a Modón, que es una isla que está junto a Navarino […] »21. Ici, Ruy Pérez ne se contente pas de donner le lieu exact de la retraite de son maître, esquissant pour les Espagnols de l’auberge une carte des affrontements méditerranéens entre Chrétiens et Musulmans. Il précise également où se trouve ce lieu, grâce à une référence à Navarino, un endroit peut-être plus familier à ses auditeurs, ou en tout cas un endroit qu’il vient de citer22, ce qui permet à son public, mais aussi aux lecteurs, de se représenter à chaque instant le trajet qu’il parcourt et d’identifier plus facilement les lieux dont il parle. Ruy Pérez retrace ainsi ses errances sur la mer Méditerranée, en tant que soldat du roi Philippe II tout d’abord, puis en tant que galérien captif aux mains des Maures. Cette importance accordée au cadre spatial trouve son corollaire dans les multiples indications temporelles que nous donne le Capitaine, qui permettent de dessiner avec précision le contexte géopolitique de l’Espagne de la fin du XVIe siècle. Au-delà de la mention de la bataille de Lépante – évident écho autobiographique de la part de Cervantès –, au cours de laquelle Ruy Pérez a été fait prisonnier, son parcours en tant que soldat correspond aux grandes crises et aux grands enjeux militaires de cette période : il évoque, par exemple, la formation de la Sainte-Ligue par le pape Pie V, la prise de Tunis par don Juan d’Autriche ou encore la chute de la forteresse de la Goulette. Ruy Pérez nous livre ici un instantané extrêmement précis des luttes pour le bassin méditerranéen dans la deuxième moitié du XVIe siècle, qui contraste fortement avec la vision abstraite dépeinte par don Quichotte.
On constate donc un décalage assez surprenant entre les revendications de brièveté et de concision qui émaillent le récit de Ruy Pérez23, et la profusion de détails qu’il donne dans cette petite autobiographie militaire. Remarquons toutefois que malgré ce degré de précision qui donne un cachet très réaliste au récit, la mer, l’eau, sont, déjà, oblitérées : dans l’exemple cité plus haut, « embarqueme en Alicante, llegué con próspero viaje a Génova », Ruy Pérez passe en une demi-phrase d’Alicante à Gênes, alors que le voyage sur l’eau n’est évoqué que par le verbe « embarqueme ». Même si la surdétermination spatio-temporelle du récit du Captif s’oppose manifestement à l’abstraction floue qui caractérisait le discours de don Quichotte – ce qui constitue une des pierres angulaires de la nouvelle poétique mise en place dans les épisodes morisques –, le motif de la mer ne semble pas, pour l’instant, prendre une dimension autre qu’accidentelle.
En réalité, c’est surtout dans la troisième partie de son aventure, au moment de sa fuite en bateau et de son retour en Espagne accompagné de Zoraida, que la mer va prendre une importance considérable. Ruy Pérez se complaît à cette occasion dans des longueurs et des précisions nautiques qui, à première vue, n’apportent rien à l’intrigue ; pour ne donner qu’un seul exemple, il raconte le début de la navigation en direction des côtes espagnoles de la manière qui suit :
[…] comenzamos, encomendándonos a Dios de todo corazón, a navegar la vuelta de las islas de Mallorca, que es la tierra de cristianos más cerca. Pero a causa de soplar un poco el viento tramontana y estar la mar algo picada, no fue posible seguir la derrota de Mallorca, y fuenos forzoso dejarnos ir tierra a tierra la vuelta de Orán, no sin mucha pesadumbre nuestra, por no ser descubiertos del lugar de Sargel, que en aquella costa cae sesenta millas de Argel. […] Bien habríamos navegado treinta millas, cuando nos amaneció, como tres tiros de arcabuz, desviados de tierra, toda la cual vimos desierta y sin nadie que nos descubriese; pero con todo eso nos fuimos a fuerza de brazos entrando un poco en la mar, que ya estaba algo más sosegada; y habiendo entrando casi dos leguas, diose orden que se bogase a cuarteles en tanto que comíamos algo […]. Hízose así, y en esto comenzó a soplar un viento largo, que nos obligó a hacer luego vela y a dejar el remo, y enderezar a Orán, por no ser posible hacer otro viaje. Todo se hizo con mucha presteza, y así, a la vela, navegamos por más de ocho millas por hora, sin llevar otro temor alguno sino el de encontrar con bajel que de corso fuese24.
On conviendra que l’ancien captif ne fait guère preuve ici de l’esprit de synthèse qu’il revendique à la fin de son récit. Alberto Montaner Frutos, grâce aux indications données par Ruy Pérez, est capable de reconstituer de manière exhaustive non seulement le trajet, mais encore le type d’embarcation et même la vitesse à laquelle les Espagnols se déplacent sur l’eau, dans son article « La derrota compuesta del cautivo »25, confirmant ainsi l’aspect très concret que donne le capitaine à sa peinture de la mer Méditerranée, objet d’un savoir technique et d’une connaissance géographique sans faille. Notons cependant que ce savoir, soumis à une typique ironie cervantine, ne fait guère progresser l’action : malgré toute leur technicité, les captifs évadés sont sans cesse ramenés à un point de départ (Oran) qu’ils s’efforcent désespérément, presque tragiquement, de fuir. Aussi la mer, là encore, n’est-elle pas envisagée d’un point de vue uniquement technique : elle est au contraire le lieu d’un intense travail d’élaboration romanesque, qui différencie le récit cervantin d’autres versions de la même histoire, comme celle que Cervantès a lui-même donnée dans Los baños de Argel – la comedia s’arrête au moment où don Lope, Zahara, don Fernando, Costanza et leurs compagnons vont embarquer en direction de l’Espagne – ou encore la légende de la Vierge de Liesse, qui, sans être un précédent direct de la nouvelle cervantine, entretient un rapport de ressemblance/différence intéressant avec celle-ci26. Comme le synthétise Alberto Montaner Frutos, « el Cervantes marinero, lo mismo que el Cervantes cautivo, se pone al servicio del Cervantes novelista »27.
On voit déjà avec ces remarques que le « réalisme » qui semble caractériser cette deuxième représentation de la mer Méditerranée tient surtout à ce que l’on pourrait appeler des effets d’optique : un foisonnement de dates, de lieux, d’indications techniques, qui, certes, contraste avec l’image topique proposée par don Quichotte, mais qui, pour autant, ne fait pas (ne cherche pas à faire) un emploi littéral du motif de la mer. Au contraire, c’est une appréciation poétique de cet espace qui est véhiculée. De fait, la Méditerranée est, pour Ruy Pérez, providentielle : elle lui rend sa liberté. Pour suivre la comparaison établie par Georges Cirot, la mer remplit chez Cervantès le rôle de la Vierge dans la légende, celui de la libératrice, même si les paramètres de représentation mis à l’œuvre dans ces deux textes sont complètement différents, pour ne pas dire opposés28. La mise en fiction de l’espace méditerranéen proposée par Cervantès conduit à faire de Ruy Pérez de Viedma un nouvel Ulysse : comme lui, le Capitaine captif arrive chez des hôtes qui, après le repas, le prient de leur conter ses aventures ; comme dans L’Odyssée, nous ne disposons que d’un seul point de vue, celui du conteur, puisque Zoraida n’a, littéralement, pas voix au chapitre ; comme le premier héros épique de la littérature occidentale, Ruy Pérez passe par une série d’étapes symboliques au cours de son périple maritime. Cependant, ce nouvel Ulysse ne navigue plus entre Charybde et Scylla, mais entre les écueils bien concrets de l’Espagne contemporaine. En effet, les évadés s’abritent tout d’abord non chez une mythologique Circé, mais dans un lieu traditionnellement associé à la Cava Rumía, « que en nuestra lengua quiere decir ‘la mala mujer cristiana’, y es tradición entre los moros que en aquel lugar está enterrada la Cava, por quien se perdió España »29. Non moins mythique que la magicienne Circé, la figure de Florinda a néanmoins une place très importante dans ce qui s’apparente à un « roman national » de l’Espagne du XVIIe siècle, et acquiert, bien sûr, une signification particulière dans le cadre de l’évasion des Espagnols, accompagnés et guidés par Zoraida, qui se présente comme le revers de la Cava30. La deuxième épreuve affrontée par les fugitifs se cristallise autour du sujet brûlant de la foi, lorsque Agi Morato est abandonné sur une plage et tente désespérément de retenir sa fille, toute tournée vers sa dévotion mariale31. Enfin, les Espagnols rencontrent sur les flots « un bajel redondo, que, con todas las velas tendidas, llevando un poco a orza el timón, delante de nosotros atravesaba »32, et dont l’équipage se révèle être français. Pour la troisième fois, l’Ulysse des temps modernes et ses compagnons se heurtent donc aux enjeux de l’Espagne la plus contemporaine, puisque, comme Zoraida elle-même l’a rappelé quelques pages plus tôt, les Français sont les ennemis des Espagnols33. D’autre part, si, comme le dit Alberto Montaner Frutos, ces corsaires sont des Protestants34, nous voilà une fois de plus placés face à la question religieuse, une question qui a déchiré l’Empire de Charles Quint, une question d’actualité brûlante dans cette Espagne de la Contre-Réforme.
Ce parcours significatif qui fait de Ruy Pérez un nouvel Ulysse, fortement ancré dans la contemporanéité, débarrassé de son éternité mythologique, n’est pas encore achevé lors de son arrivée à l’auberge : tout comme le héros de L’Odyssée, il doit affronter une épreuve de reconnaissance afin de (re)gagner tout à fait son identité, épreuve qui pourra avoir lieu – du moins partiellement – lorsque le frère de Ruy Pérez, en un nouveau retournement de situation inespéré, arrive à l’auberge. Il est d’ailleurs intéressant de constater que c’est là le seul moment où le personnage est appelé par son nom, au lieu de « el cautivo » ou « el capitán » : « Llamábase –respondió el cura– Ruy Pérez de Viedma »35. En ce sens, le parcours maritime est, là aussi, riche d’implications : la mer y garde la fonction symbolique et purificatrice qu’elle remplissait déjà dans la littérature traditionnelle, mais, de nouveau, Cervantès joue de cette représentation pour mieux la complexifier. En effet, George Camamis souligne que dans le Diálogo de la captividad de Diego de Haedo (1612), les captifs sont vus comme des morts civils36, ils n’existent plus dans la société, ils en sont comme rayés ; le retour de captivité s’apparente alors à un retour à la vie. Dans ce processus, la mer, dans le récit de Ruy Pérez, remplit la fonction des eaux baptismales, et le trajet maritime agit comme un second baptême qui rendra l’ancien captif à la société chrétienne. C’est dans ce contexte que la reconnaissance de Ruy Pérez par son frère, représentant de l’Espagne officielle et vieille-chrétienne37, prend toute son importance. Néanmoins, Cervantès fait de la mer Méditerranée le berceau d’une renaissance problématique, en ce qu’elle reste inachevée. Il s’agit là d’une des caractéristiques des nouvelles intercalées dites « morisques » – peut-être même du récit intercalé tel que le conçoit Cervantès dans le Quichotte : la fin est ouverte, et soulève autant d’interrogations qu’elle en résout. Ainsi, la question de la réintégration de Ruy Pérez dans sa société d’origine reste en suspens, sans parler de l’arrivée fracassante de Zoraida, « mora en el traje y en el cuerpo, pero en el alma muy grande cristiana, porque tiene grandísimos deseos de serlo »38, au cœur des montagnes du Léon. De fait, selon Julia Domínguez, cette province s’associe aux valeurs les plus traditionnelles de l’Espagne vieille-chrétienne : c’est « la vieja Castilla, la cuna e inicio de la Reconquista »39. Partant de ce constat, on imagine sans peine que Zoraida aura du mal à se faire une place dans cette communauté si spécifique, mais encore que Ruy Pérez lui-même peinera à s’y réintégrer, puisque son voyage de l’autre côté de la Méditerranée, certes forcé, lui a néanmoins apporté une forme d’ouverture d’esprit le poussant à accepter l’altérité et des codes sociaux inconnus, ou tout du moins à composer avec eux. Comme l’explique Julia Domínguez, le capitaine s’est vu dans l’obligation de reconfigurer les mécanismes de représentation interne qui lui permettent de comprendre le monde et de communiquer avec lui – ce qu’elle appelle « mapas cognitivos » –, afin de s’adapter à la société algéroise et survivre à l’épreuve de la captivité. Cependant, une fois de retour en Espagne, ces nouvelles « cartes cognitives » ne lui seront plus d’aucune utilité :
el cautivo se erige como centro de su espacio textual, pero fuera de él es un personaje marginal, un exiliado, no pertenece a España porque no comparte la ideología dominante de su país después de su viaje y sus experiencias40.
D’autre part, nous savons, et la biographie de Cervantès nous le confirme, que le retour d’un ancien captif en Espagne était rarement de tout repos : l’auteur lui-même, malgré un séjour en captivité exemplaire ponctué pas moins de quatre tentatives d’évasion, dut faire face à la calomnie et se défendre de toute accusation de fraternisation avec les Turcs – voire pire, d’apostasie – en rédigeant la Información de Argel. Face aux accusations que présentait contre lui le dominicain Juan Blanco de Paz, Cervantès dut en effet travailler à sa défense au moment de son retour en Espagne, ne serait-ce que parce qu’il désirait occuper une charge publique, et que cela était impossible pour quiconque avait été accusé d’hérésie. Comme le fait remarquer Natalio Ohanna41, la Información de Argel ne cite pas explicitement les accusations portées par Juan Blanco de Paz ; nous pouvons néanmoins déduire des déclarations des témoins et amis choisis par Cervantès que si Blanco de Paz n’avait pas assez de preuves pour l’accuser d’apostasie, il pouvait en revanche dénoncer les relations qu’il avait entretenues avec des renégats :
el trato continuo con apóstatas era de por sí una conducta lo suficientemente turbia como para merecer la atención de un tribunal, para el que eran de capital interés los casos provenientes de regiones infestadas de herejía42.
L’enjeu est donc capital pour Cervantès : il s’agit avant tout de prouver que sa foi chrétienne est restée inébranlable. Dans cette optique, le récit de Ruy Pérez, qui lui aussi a fraternisé avec un renégat, peut-il s’assimiler à cette forme de discours, presque juridique, destiné à préserver son intégrité de tout soupçon ? Ce plaidoyer suffira-t-il à adoucir son retour à la société castiza de ce « lugar de las montañas de León »43 qu’il a quitté vingt-deux ans plus tôt et auquel il revient transformé ? Ruy Pérez est bien un nouvel Ulysse, mais un Ulysse qui, sur la mer Méditerranée, a affronté les sirènes de l’Espagne contemporaine sans que nous sachions si son odyssée sera couronnée de succès, dans les temps incertains dans lesquels il évolue, et, surtout, dans l’espace fictionnel ambigu que Cervantès a choisi pour sa nouvelle. Déjà, la représentation médiatisée que Ruy Pérez propose de la mer met en regard l’épopée traditionnelle et une nouvelle forme de fiction, complexifiée par le recours systématique à l’histoire moderne. Ce glissement de l’une à l’autre s’exprimera de manière bien plus explicite au terme de l’épisode d’Ana Félix à Barcelone, significativement baptisé « nueva aventura de la hermosa morisca »44, qui place les héros, pour la première et seule fois dans le roman, face à l’immensité maritime, juste avant la tragique défaite de don Quichotte sur la plage.
Sans analyser ce deuxième épisode morisque, revenons sur les réseaux de sens qui se tissent entre les différents emplois du motif de la mer dans les deux parties du Quichotte ; il s’agit de ce que l’on pourrait appeler des « chaînes sémantiques », c’est-à-dire des motifs, des épisodes, qui se font écho, se répètent, se modifient d’une partie à l’autre ou d’un chapitre à l’autre, et qui conduisent à passer des « cosas de encantamento » de la littérature traditionnelle à celles de la modernité. L’expression « cosas de encantamento » est employée par don Quichotte au chapitre 37 de la première partie, alors que Sancho, désespéré, vient lui raconter la transformation de la princesse Micomicona en la vulgaire, et bien moins noble ou puissante, Dorotea. Son maître ne se montre pas surpris le moins du monde :
No me maravillaría de nada de eso –replicó don Quijote–, porque, si bien te acuerdas, la otra vez que aquí estuvimos te dije yo que todo cuanto aquí sucedía eran cosas de encantamento, y no sería mucho que ahora fuese lo mismo45.
Le chevalier fait ici allusion à un souvenir pour le moins douloureux pour Sancho, celui de la berne qu’il a subie lors de leur premier séjour à l’auberge, au chapitre 17, et que don Quichotte a immédiatement expliquée en ayant recours, comme de coutume, aux mauvais enchanteurs :
Ahora acabo de creer, Sancho bueno, que aquel castillo o venta que es encantado sin duda, porque aquellos que tan atrozmente tomaron pasatiempo contigo, ¿qué podían ser sino fantasmas y gente del otro mundo?46
D’abord sceptique face à cette interprétation, le bon Sancho doit ensuite convenir que son maître a eu raison47. Nous voilà donc face aux enchanteurs éculés des livres de chevalerie, responsables tant de la berne que de la transformation de la princesse, enchanteurs que Dorotea et sa troupe se plaisent à mettre en scène pour don Quichotte. Or, le motif de la berne-enchantement ne s’arrête pas là, et va se constituer en chaîne sémantique significative dans la seconde partie, puisque lorsque les protagonistes arrivent à Barcelone, le malheureux Sancho subit à nouveau cette farce sur la galère. Cette fois-ci, nous dit le texte, « el pobre Sancho perdió la vista de los ojos, y sin duda pensó que los mismos demonios le llevaban »48. Il conclut d’ailleurs, quelques lignes plus loin, en voyant les galères se mettre en mouvement : « éstas sí son verdaderamente cosas encantadas, y no las que mi amo dice »49. L’insistance contenue dans la phrase espagnole, avec le pronom démonstratif « éstas », le « sí » emphatique, l’adverbe « verdaderamente », enfin la reprise du groupe nominal « cosas encantadas » par le pronom « las », est significative : les enchantements traditionnels des livres de chevalerie, auxquels on ne croit qu’à moitié, ont fait place à d’autres « cosas encantadas », celles de la modernité, qui s’incarne dans cette ville de Barcelone, étape décisive dans la folle et anachronique chevauchée de don Quichotte50. Comme on le voit, c’est la mer Méditerranée, si connue et pourtant toujours renouvelée, qui, dans cet épisode, devient le lieu idéal de cristallisation de ces nouvelles « cosas encantadas ».
Mettons à présent en regard la façon dont le motif même de la mer et de l’ouverture maritime se met au service de la volonté cervantine de renouvellement de la fiction dans les deux parties du roman. Dans la première partie, le mot « mar » est mentionné trois fois avant le discours des Armes et des Lettres51, dans l’épisode de Dorotea :
Si así es –dijo el cura–, por la mitad de mi pueblo hemos de pasar y de allí tomará vuestra merced la derrota de Cartagena, donde se podrá embarcar con la buena ventura; y si hay viento próspero, mar tranquilo y sin borrasca, en poco menos de nueve años se podrá estar a vista de la gran laguna Meona, digo, Meótides, que está a poco más de cien jornadas más acá del reino de vuestra grandeza.
Pues ¿cómo se desembarcó vuestra merced en Osuna, señora mía –preguntó don Quijote–, si no es puerto de mar?
En tanto que los dos iban en estas pláticas, dijo el cura a Dorotea que había andado muy discreta, así en el cuento como en la brevedad de él y en la similitud que tuvo con los de los libros de caballerías. Ella dijo que muchos ratos se había entretenido en leellos, pero que no sabía ella dónde eran las provincias ni puertos de mar, y que, así, había dicho a tiento que se había desembarcado en Osuna52.
Or, cette fausse princesse Micomicona, venue d’un faux pays exotique, se verra remplacée à partir du chapitre 38 par une vraie princesse, venue d’un vrai pays exotique, Zoraida. En effet, si l’on en croit Jaime Oliver Asín53, la Zoraida cervantine est inspirée de la fille d’Hāŷŷī Murād, Zahara, épouse du sultan marocain ‘Abd al-Malik, dont Cervantès a pu entendre l’histoire malheureuse lorsqu’il était captif à Alger. Sans même aller jusqu’à cette identification, la richesse et la beauté de la jeune Maure, ainsi que le rôle providentiel qu’elle joue dans la vie de Ruy Pérez, suffisent à lui conférer les traits merveilleux d’une princesse. À la mer indéfinie, mal située voire simplement inexistante de la fausse Micomicona, ouverte sur un ailleurs fantasmagorique et tout aussi maladroitement localisé, se substitue alors la mer Méditerranée, concrète, surdéterminée, comme nous l’avons dit, capable de trouver le merveilleux au cœur même du quotidien et de l’histoire espagnole, et surtout de l’installer de manière durable dans le cœur des lecteurs. C’est ce que nous montrent les réactions des personnages présents dans l’auberge : outre les commentaires qui suivent le récit du Captif, louant « la novedad y extrañeza del mismo caso » (I, 42, p. 439), la façon dont don Fernando demande à Ruy Pérez de leur raconter son histoire est également significative :
Don Fernando rogó al cautivo les contase el discurso de su vida, porque no podría ser sino que fuese peregrino y gustoso, según las muestras que había comenzado a dar, viniendo en compañía de Zoraida54.
Le gérondif viniendo a ici une valeur explicative : c’est parce que Ruy Pérez est accompagné de Zoraida, cette créature fascinante venue de par-delà la Méditerranée, que son arrivée suscite la curiosité, (presque) toujours gage d’une bonne histoire à venir dans le Don Quichotte. Nous assistons donc au déplacement du merveilleux des livres de chevalerie, qui ne fonctionne plus, vers la précision de l’Histoire, non moins merveilleuse mais aux prises avec le réel contemporain. Ce schéma de la fausse princesse venue d’un faux pays exotique / vraie princesse venue d’« aquellas partes, donde a cada paso suceden cosas de grande espanto y de admiración »55 trouve son pendant dans la seconde partie : la fausse – et décevante – aventure de la fille de don Diego de la Llana, prenant place sur une fausse île56, se complétera par la vraie et « nueva » aventure d’Ana Félix, au sein d’une ville ouverte à tous les vents de la Méditerranée57. Là encore, les formules romanesques traditionnelles se ravivent au contact de la réalité morisque et d’un emploi renouvelé du motif de la mer, transformant la « burla » ourdie sur les galères à l’attention de don Quichotte et Sancho, en « vera » du monde espagnol du XVIIe siècle.
C’est à la naissance d’une nouvelle poétique, qui trouve le merveilleux, le romanesque, au cœur même du quotidien et plus particulièrement encore dans les soubresauts de l’histoire contemporaine, que le lecteur assiste au cours de ces pages dédiées au motif de la mer. Cette nouvelle façon de concevoir la fiction est canonisée par don Quichotte, le seul, semble-t-il, qui ait l’expertise et, pourrait-on dire, le recul littéraire pour le faire. Nous pouvons en effet avancer que beaucoup de personnages, dans le roman, se conduisent suivant des schémas adoptés de la littérature traditionnelle, se rêvant qui en chaste bergère (Marcela), qui en amoureux fou de douleur (Cardenio) ou encore en héros d’un roman byzantin (don Antonio Moreno). Pourtant, bien que tous agissent selon ces schémas d’imitation, seul don Quichotte est déclaré fou ; en réalité, il semble surtout être le seul à avoir la clairvoyance littéraire, le recul analytique, et presque l’honnêteté intellectuelle de citer ses sources à chaque instant. Sa grande connaissance de la littérature lui permet de reconnaître son statut de modeste imitateur, et de prendre suffisamment de distance critique vis-à-vis de lui-même pour identifier les précédents de sa conduite. Cette capacité analytique en fait le seul personnage à même d’introniser la nouvelle modalité de fiction à laquelle Cervantès donne forme au fur et à mesure du roman. C’est bien la raison pour laquelle il joue le rôle du Prologue, avant que le capitaine Ruy Pérez de Viedma ne commence à parler : le discours des Armes et des Lettres est qualifié par la narration de « preámbulo », annonçant par-là qu’il ne s’agit que du premier volet d’un diptyque appelé à se compléter très vite58. Revenons également sur le dénouement de ce récit intercalé, très significatif là encore. L’anagnorèse entre les deux frères, qui achève de faire de Ruy Pérez un Ulysse des temps modernes, est signalée dans le texte par une succession de propositions introduites par l’adverbe « allí », qui provoquent un effet d’accumulation voire de saturation :
Allí en breves razones se dieron cuenta de sus sucesos, allí mostraron puesta en su punto la buena amistad de dos hermanos, allí abrazó el oidor a Zoraida, allí la ofreció su hacienda, allí hizo que la abrazase su hija, allí la cristiana hermosa y la mora hermosísima renovaron las lágrimas de todos59.
Cette avalanche de réjouissances en viendrait presque à rompre la vraisemblance, si minutieusement maintenue, pourtant, tout au long du récit du Captif. Cervantès dévoile ici au lecteur, par le caractère automatique de l’accumulation, la nature fictionnelle de ce dénouement. Il signale ainsi que nous nous trouvons dans une sphère littéraire, et que, tel un deus ex maquina, il a tissé sa toile de manière si ingénieuse qu’il a pu amener ses personnages à ce résultat sans perdre le lecteur à aucun moment, et sans relâcher l’exigence de vraisemblance qui conditionne son approbation. Le texte nous dit ensuite : « Allí don Quijote estaba atento, sin hablar palabra, considerando estos tan extraños sucesos, atribuyéndolos todos a quimeras de la andante caballería »60. S’il ne manque pas d’attribuer tous ces événements au caractère extraordinaire de sa profession de chevalier errant – suscitant par-là le sourire, voire le rire, du lecteur –, son interprétation, cependant, n’en est pas pour autant erronée, puisque Cervantès, au moment du dénouement, souligne la nature fictionnelle de cette Odyssée des temps modernes. Don Quichotte, absorbé dans ses fantaisies chevaleresques, est en fait le seul à comprendre ce qui s’est joué dans l’histoire qui a précédé : la création d’une nouvelle forme de littérature, qui prend appui sur l’histoire contemporaine, mais qui en même temps a toute sa place dans un livre de fiction.
C’est également le sens du rapprochement qu’il opère entre l’aventure d’Ana Félix et celles de don Gaïferos et Mélisandre à l’orée du chapitre 64 dans la seconde partie – quelques lignes avant sa défaite définitive et tragique face au chevalier de la Blanche-Lune :
Dijo don Quijote a don Antonio que el parecer que habían tomado en la libertad de don Gregorio no era bueno, porque tenía más de peligroso que de conveniente, y que sería mejor que le pusiesen a él en Berbería con sus armas y caballo, que él le sacaría a pesar de toda la morisma, como había hecho don Gaiferos a su esposa Melisendra61.
L’allusion au désastreux épisode des marionnettes de maese Pedro62 a bien sûr une résonance comique pour le lecteur, mais cet écho burlesque n’épuise pas le sens de la référence. En effet, en mettant en regard l’aventure créée par Cervantès et le socle littéraire carolingien, don Quichotte donne à cette nouvelle poétique toute la dignité et toute l’ampleur d’une littérature universellement reconnue. Chaque épisode morisque se place donc sous le patronat de don Quichotte lui-même, garant de l’illusion fictionnelle tout au long du roman, critique littéraire expérimenté, qui préface le récit du Captif et conclut celui d’Ana Félix, inscrivant ainsi au cœur de son épopée chevaleresque les voies de son propre dépassement.
Si Cervantès ne fait pas un emploi « réaliste », littéral du motif de la mer, il le convoque en réalité comme espace référentiel qui fait surgir un contexte spatio-temporel très précis, daté et situé même à l’intérieur de la fiction63, celui de la « question morisque » qui a obsédé l’Espagne du XVIe et du début du XVIIe siècle. La mer fonctionne en ce sens comme un autre de ces discours du réel dont Cervantès se sert à de nombreuses reprises dans ses épisodes morisques : elle ne manque pas d’évoquer, pour le lecteur, les soubresauts de l’histoire contemporaine, pour mieux repoétiser le réel, et redynamiser la fiction romanesque à bout de souffle dans les formules chevaleresques ou encore byzantines. La mise en regard de la mer comme topos du merveilleux des livres de chevalerie, et de la Méditerranée vue dans ses conflits et ses échanges des XVIe et XVIIe siècles, tout en faisant le constat de l’échec d’une certaine forme de narration, ouvre d’autres voies (voix), celles de l’histoire contemporaine, des captifs revenus d’Alger ou encore des morisques sur les routes de l’exil. Les thèmes morisques sont alors pour Cervantès un vecteur privilégié de cette réinvention de la fiction, en ce qu’ils constituent la grande porte d’entrée de l’histoire au cœur du roman cervantin.[1]
[1] Alain CABANTOUS, Le Ciel dans la mer : Christianisme et civilisation maritime (XVIe-XIXe siècle), París, Fayard, 1990, p. 50.
Résumé
Au cours des 126 chapitres du Don Quichotte de Cervantès, les protagonistes ne sont confrontés à la mer qu’à deux reprises, en des occasions intimement liées au « problème musulman » tel que l’Espagne le vit aux XVIe et XVIIe siècles. Ce travail cherchera à déterminer comment Cervantès, à partir de ces épisodes et plus particulièrement en jouant sur des réseaux de sens autour du motif de la mer, construit un nouveau type de fiction, destiné à remplacer le merveilleux traditionnel des livres de chevalerie par une autre forme de merveilleux : celle de la modernité.
Resumen
A lo largo de los 126 capítulos del Don Quijote de Cervantes, los protagonistas sólo se encuentran con el mar en dos ocasiones, en unos episodios íntimamente vinculados con el « problema musulmán » tal como lo vive España en los siglos XVI y XVII. Este trabajo buscará determinar cómo Cervantes, a partir de dichos episodios y más particularmente mediante juegos sobre las redes de significación que se crean en torno al motivo del mar, llega a construir un nuevo tipo de ficción, destinado a sustituir a lo maravilloso de los libros de caballerías otra forma de lo maravilloso: la de la modernidad.
La mer Méditerranée dans l’œuvre de Miguel de Cervantès
L’épisode du Captif (I, 38-42)
Marine ANSQUER
Université Lyon 2, IHRIM (Institut d’Histoire des Représentations et des Idées dans les Modernités)
ASÍN, Jaime Oliver, « La hija de Agi Morato en la obra de Cervantes », Boletín de la Real Academia Española, XXVII, 1948, p. 245-339.
BAQUERO ESCUDERO, Ana Luisa, « La novela griega, proyección de un género en la narrativa española », Revista de filología hispánica, vol. 6, 1, 1990, p. 19-45.
BRAUDEL, Fernand, « Conflits et refus de civilisation : espagnols et morisques au XVIe siècle », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 4, 1947, p. 397-410.
BUNES IBARRA, Miguel Ángel, La imagen de los musulmanes y del norte de África en la España de los siglos XVI y XVII. Los caracteres de una hostilidad, Madrid, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, 1989.
CAMAMIS, George, Estudios sobre el cautiverio en el Siglo de Oro, Madrid, Gredos, 1977.
CASTELLS, Ricardo, « La modernidad y el arte de la guerra en el discurso de las armas y las letras en Don Quijote », Bulletin of the Cervantes Society of America, 28, vol. 2, 2008, p. 41-55.
CERVANTES, Miguel, La Galatea (1585), F. López Estrada, Ma T. López García-Berdoy (éd.), Madrid, Cátedra, 2016.
—, El ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha (1605-1615), F. Rico (éd.), Madrid, Punto de lectura, 2009.
—, Los trabajos de Persiles y Sigismunda, historia septentrional (1617), Madrid, Hiperión, 2016.
CIROT, Georges, « Le Cautivo de Cervantès et Notre-Dame de Liesse », Bulletin Hispanique, tome 38, vol. 3, 1936, p. 378-382.
DADSON, Trevor, « Ricote, morisco que vuelve: la cuestión de los regresos moriscos tras la expulsión », eHumanista / Conversos, 3, 2015, p. 87-97.
DOMÍNGUEZ, Julia, « La superposición de mapas cognitivos en la historia del cautivo. La creación del espacio discursivo en la convivencia de culturas », in GABRIELE John P. (coord.), 1605-2005. Don Quixote across the centuries. Actas del Congreso celebrado en el College of Wooster (Ohio, EE.UU.) del 7 al 9 de abril de 2005, Madrid, Iberoamericana, 2005, p. 115-124.
MAS, Albert, Les Turcs dans la littérature espagnole du Siècle d’Or. Recherches sur l’évolution d’un thème littéraire, Paris, Centre de Recherches Hispaniques, 1967.
MONER, Michel, « Moros y cristianos en el Quijote: el caso de Zoraida, la mora cristiana (Don Quijote I, 37-42) », in Caroline SCHMAUSER et Monika WALTER (éd.), ¿“¡Bon compaño, jura Di!”? El encuentro de moros, judíos y cristianos en la obra cervantina, Madrid, Iberoamericana, 1998, p. 49-61.
MONTANER FRUTOS, Alberto, « La derrota compuesta del cautivo (Quijote, I, XLI) », Anales cervantinos, vol. XXXVII, Madrid, Consejo Superior de Investigación Científica, 2005, p. 45-106.
OHANNA, Natalio, « Cervantes, los musulmanes nuevos y la Información de Argel », Anales cervantinos, vol. XLI, 2009, p. 267-284.
Rouane-Soupault, Isabelle, « La ville de Barcelone dans Don Quichotte : rite et réalité », Cahiers d’études romanes, 18, 2008, p. 151-168.
[1] L’expression « Nouveaux-Chrétiens » renvoyait aux Juifs et aux Musulmans convertis au Christianisme. Par opposition, les « Vieux-Chrétiens » étaient ceux qui ne comptaient dans leur famille que des ancêtres chrétiens.
[2] Notons que la course était aussi pratiquée par les Chrétiens, avec plus ou moins les mêmes objectifs, à savoir ponctionner les forces vives de l’ennemi.
[3] Miguel Ángel de Bunes Ibarra, La imagen de los musulmanes y del norte de África en la España de los siglos XVI y XVII. Los caracteres de una hostilidad, Madrid, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, 1989, p. 67.
[4] Il parle de « la complexité de la frontière liquide, mal fermée, étonnamment vivante, qui sépare l’Espagne du Nord-Afrique » (« Conflits et refus de civilisation : espagnols et morisques au XVIe siècle », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 4, 1947, p. 397-410, p. 403).
[5] Ana Baquero Escudero, « La novela griega, proyección de un género en la narrativa española », Revista de filología hispánica, vol. 6, 1, 1990, p. 19-45, p. 31.
[6] Albert MAS, Les Turcs dans la littérature espagnole du Siècle d’Or. Recherches sur l’évolution d’un thème littéraire, Paris, Centre de Recherches Hispaniques, 1967, p. 304.
[7] Silerio, au cours de son récit, raconte une attaque turque qui a eu lieu à Barcelone (Miguel de CERVANTES, La Galatea (1585), F. López Estrada, Ma T. López García-Berdoy (éd.), Madrid, Cátedra, 2016, livre II, p. 280).
[8] Nous parlerons d’épisodes « morisques » en référence au genre littéraire espagnol appelé novela morisca, dans lequel ils s’inscrivent, et que, faute de mieux, nous pouvons traduire par « récit morisque ».
[9] « Conténtate, Anselmo, y no quieras hacer más pruebas de las hechas; y, pues a pie enjuto has pasado el mar de las dificultades y sospechas que de las mujeres suelen y pueden tenerse […] ni quieras hacer experiencia con otro piloto de la bondad y fortaleza del navío que el cielo te dio en suerte para que en él pasases la mar de este mundo » (Miguel de CERVANTES, El ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha, (1605-1615), F. Rico (éd.), Madrid, Punto de lectura, 2009, I, 34, p. 349).
[10] « Siempre, Sancho, lo he oído decir, que el hacer bien a villanos es echar agua en la mar » (Ibid., I, 23, p. 211).
[11] « y el estruendo / del viento contrastado en mar instable » (Ibid., I, 14, p. 120); « Yo soy el dios poderoso / en el aire y en la tierra / y en el ancho mar undoso, / y en cuanto el abismo encierra » (Ibid., II, 20, p. 703).
[12] Ibid., I, prologue, p. 14.
[13] Ibid., I, 38, p. 397.
[14] Ricardo Castells, « La modernidad y el arte de la guerra en el discurso de las armas y las letras en Don Quijote », Bulletin of the Cervantes Society of America, 28, vol. 2, 2008, p. 41-55.
[15] M. de CERVANTES, El ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha, op. cit., I, 42, p. 440.
[16] Le rythme binaire semble être, en effet, un des procédés automatiques qui caractérisent l’imitation du style chevaleresque dans la bouche de don Quichotte, comme nous pouvons le constater dès l’aube de la première sortie du personnage, lorsqu’il imagine la façon dont ses aventures seront contées (Ibid., I, 2, p. 35).
[17] Ibid., I, 37, p. 388.
[18] « Pues comenzamos en el estudiante por la pobreza y sus partes, veamos si es más rico el soldado, y veremos que no hay ninguno más pobre en la misma pobreza, porque está atenido a la miseria de su paga, que viene o tarde o nunca, o a lo que garbeare por sus manos, con notable peligro de su vida y de su conciencia. Y a veces suele ser su desnudez tanta, que un coleto acuchillado le sirve de gala y de camisa, y en la mitad del invierno se suele reparar de las inclemencias del cielo, estando en la campaña rasa, con solo el aliento de su boca, que, como sale de lugar vacío, tengo por averiguado que debe de salir frío, contra toda naturaleza. Pues esperad que espere que llegue la noche para restaurarse de todas estas incomodidades en la cama que le aguarda, la cual, si no es por su culpa, jamás pecará de estrecha: que bien puede medir en la tierra los pies que quisiere y revolverse en ella a su sabor, sin temor que se le encojan las sábanas » (Ibid., I, 38, p. 394-395).
[19] Ibid., I, 39, p. 399.
[20] Ibid., I, 39, p. 401.
[21] Ibid., I, 39, p. 403.
[22] Une première mention de Navarino se trouve juste avant ce passage : « Halleme el segundo año, que fue el de setenta y dos, en Navarino, bogando en la capitana de los tres fanales » (Ibid., I, 39, p. 403).
[23] Ruy Pérez, à diverses occasions, souligne en effet l’exigence de brièveté qu’il a fixée pour son récit : « Y lo que en este discurso de tiempo he pasado, lo diré brevemente » (Ibid., I, 39, p. 401) ; « y si no fuera porque el tiempo no da lugar, yo dijera ahora algo de lo que este soldado hizo, que fuera parte para entreteneros y admiraros harto mejor que con el cuento de mi historia » (Ibid., I, 40, p. 411) ; « de mí sé decir que quisiera habérosla contado más brevemente, puesto que el temor de enfadaros más de cuatro circunstancias me ha quitado de la lengua » (Ibid., p. I, 41, p. 439).
[24] Ibid., I, 41, p. 428-429
[25] Alberto Montaner Frutos, « La derrota compuesta del cautivo (Quijote, I, XLI) », Anales cervantinos, vol. XXXVII, Madrid, Consejo Superior de Investigación Científica, 2005, p. 45-106.
[26] À ce sujet, voir l’article de Georges CIROT, « Le Cautivo de Cervantès et Notre-Dame de Liesse », Bulletin Hispanique, tome 38, 3, 1936, p. 378-382.
[27] A. MONTANER FRUTOS, op. cit., p. 92.
[28] À ce sujet, Georges Cirot écrit : « Je n’insiste pas sur l’invraisemblance du récit, auquel s’oppose si vivement, si caractéristiquement, le soin qu’a Cervantes de rendre vraisemblable et d’expliquer son histoire dans tous ses détails du début à la fin. » (op. cit., p. 380).
[29] M. de CERVANTES, El ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha, op. cit., I, 41, p. 431.
[30] « Si la consideramos como simple actante, nos damos cuenta de que su actuación es a la vez idéntica y antitética, con respecto a la de la Cava en la historia del rey Rodrigo. » (Michel Moner, « Moros y cristianos en el Quijote: el caso de Zoraida, la mora cristiana (Don Quijote I, 37-42) », in Caroline Schmauser et Monika Walter, ¿“¡Bon compaño, jura Di!”? El encuentro de moros, judíos y cristianos en la obra cervantina, Madrid, Iberoamericana, 1998, p. 49-61, p. 56.)
[31] M. de CERVANTES, El ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha, op. cit., I, 41, p. 432.
[32] Ibid., I, 41, p. 433.
[33] « ¿No es mejor –replicó Zoraida– esperar a que vengan bajeles de España y irte con ellos, que no con los de Francia, que no son vuestros amigos? » (Ibid., I, 41, p. 423).
[34] « A mi juicio, lo verdaderamente importante en este caso es que en el Mediterráneo predominaba el aparejo de cuchillo, de modo que un bajel con velas cuadras revelaba su casi segura procedencia atlántica. Así pues, con este dato, el narrador está avanzando lo que a continuación se sabrá: que se trata de corsarios hugonotes de regreso a la Rochela. » (A. MONTANER FRUTOS, op. cit, p. 79-80).
[35] M. de CERVANTES, El ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha, op. cit., I, 42, p. 442.
[36] George Camamis, Estudios sobre el cautiverio en el Siglo de Oro, Madrid, Gredos, 1977.
[37] Le frère de Ruy Pérez, qui a suivi la carrière des Lettres, s’apprête en effet, en tant qu’Auditeur, à passer en Amérique, où il sera le représentant de la Couronne espagnole. Son lieu de naissance, dans les montagnes de la province du León, est extrêmement significatif du point de vue de la pureté religieuse, comme nous aurons l’occasion de le développer par la suite.
[38] M. de CERVANTES, El ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha, op. cit., I, 37, p. 390.
[39] Julia Domínguez, « La superposición de mapas cognitivos en la historia del cautivo. La creación del espacio discursivo en la convivencia de culturas », in John P. Gabriele (coord.), 1605-2005. Don Quixote across the centuries. Actas del Congreso celebrado en el College of Wooster (Ohio, EE.UU.) del 7 al 9 de abril de 2005, Madrid, Iberoamericana, 2005, p. 115-124, p. 119.
[40] Ibid., p. 123.
[41] « Cervantes, los musulmanes nuevos y la Información de Argel » (Anales cervantinos, vol. XLI, 2009, p. 267-284.
[42] Ibid., p. 277.
[43] M. de CERVANTES, El ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha, op. cit., I, 39, p. 399.
[44] Ibid., II, 63, p. 1034.
[45] Ibid., I, 37, p. 385.
[46] Ibid., I, 18, p. 154.
[47] « Vuestra merced se sosiegue, señor mío –respondió Sancho–, que bien podría ser que yo me hubiese engañado en lo que toca a la mutación de la princesa Micomicona; […] De lo demás, de que la señora reina se esté como se estaba, me regocijo en el alma, porque me va mi parte, como a cada hijo de vecino » (Ibid., I, 37, p. 388).
[48] Ibid., II, 63, p. 1035.
[49] Ibid., II, 63, p. 1036.
[50] Sur l’importance des épisodes barcelonais, voir, par exemple, Isabelle Rouane-Soupault, « La ville de Barcelone dans Don Quichotte : rite et réalité », Cahiers d’études romanes, 18, 2008, p. 151-168.
[51] En réalité, le mot est également cité trois fois avant le premier exemple analysé ici, mais aucune des occurrences ne le prend dans son sens propre : il est employé de manière lexicalisée dans des proverbes, ou bien dans la chanson de Grisóstomo, avec un sens plus métaphorique.
[52] M. de CERVANTES, El ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha, op. cit., respectivement I, 29, p. 299 ; I, 30, p. 304 ; I, 30, p. 309.
[53] « La hija de Agi Morato en la obra de Cervantes », Boletín de la Real Academia Española, XXVII, 1948, p. 245-339.
[54] M. de CERVANTES, El ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha, op. cit., I, 38, p. 398.
[55] Ibid., I, 40, p. 417.
[56] Ibid., II, 49.
[57] Il est en effet très facile de mettre en regard les deux épisodes, en particulier par la récurrence phonique de la séquence bi-syllabe « Ana », le double travestissement, et la relation gémellaire qui unit les enfants de don Diego de la Llana d’une part, Ana Félix et don Gregorio de l’autre.
[58] « Todo este largo preámbulo dijo don Quijote en tanto que los demás cenaban, olvidándose de llevar bocado a la boca, puesto que algunas veces le había dicho Sancho Panza que cenase, que después habría lugar para decir todo lo que quisiese. » (M. de CERVANTES, El ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha, op. cit., I, 38, p. 398). Soulignons que si nous envisageons ce discours de don Quichotte comme un véritable préambule, c’est-à-dire comme une entrée en matière, une introduction au récit de Ruy Pérez, il est alors indispensable, contrairement à ce que pense Sancho, qu’il ait lieu à l’instant même, avant que le Captif ne commence sa propre histoire.
[59] Ibid., I, 42, p. 445.
[60] Idem.
[61] Ibid., II, 64, p. 1044.
[62] Ibid., II, 26.
[63] Une lettre de Sancho à sa femme datée du 20 juillet 1614 nous permet de situer avec une exactitude peu usuelle dans le roman cervantin la rencontre entre Ricote et Sancho, et donc de constater que ces épisodes se déroulent à la fin du processus d’expulsion de la communauté morisque – au moment où, déjà, certains commencent à revenir, comme l’analyse Trevor Dadson dans son article « Ricote, morisco que vuelve: la cuestión de los regresos moriscos tras la expulsión » (eHumanista / Conversos, 3, 2015, p. 87-97).