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Numéro 17 | juin 2025 | Des « lieux à soi »
Des « lieux à soi »
Introduction
Marie-Clémence RÉGNIER
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En 2009, l’historienne Michelle Perrot publiait Histoire de chambres. Dans cet essai, elle étudie l’espace intime par excellence au sein duquel elle situe nombre de figures1 féminines littéraires, personnages comme autrices, sans oublier nombre d’auteurs aussi bien sûr (Proust, Pérec, Kafka…). « Chambres des dames » et « chambres d’écrivain[e]s » semblent se confondre. C’est que les femmes ont longtemps été assignées à résidence par tradition – « sont encore », il reste difficile d’en parler au passé – et il n’en est guère aller autrement pour celles qu’on appelait « femmes de lettres », puis « écrivaines », « autrices »... Comme le rappelle également M. Perrot, les chambres, comme tout espace, sont politiques.

Représentations d’écrivaines en « femmes d’intérieur »

Si la plupart des figures lettrées et savantes sont en général représentées dans un cadre domestique de convention jusqu’à l’Ancien Régime, elles n’y sont pas figurées en tant qu’écrivaines: cela dérogerait à leur statut social2, comme l’indique le prétendu portrait de Madame de Sévigné, que la critique n’identifie plus comme telle pour cette même raison.

 

École française, « Portrait de femme écrivant, autrefois identifiée comme Mme de Sévigné », vers 1690, huile sur toile, Paris, Musée Carnavalet, Parisienne de la photographie©

En revanche, il devient admis, au XIXe siècle, de faire le portrait de la maîtresse des lieux dans son rôle « littéraire » ou d’hôtesse d’un salon littéraire3, parmi ses illustres invités : ainsi du portrait fictionnel a posteriori de Madame de Genlis par Lemonnier4.

 

Lecture de la tragédie L’Orphelin de la Chine de Voltaire dans le salon de Mme Geoffrin

Anicet Charles Gabriel Lemonnier, « Lecture de la tragédie L’Orphelin de la Chine de Voltaire dans le salon de Mme Geoffrin », huile sur toile, 1755, Rueil-Malmaison, Châteaux de Malmaison et Bois-Préau, RMN-Grand Palais (musée des Châteaux de Malmaison et de Bois-Préau) / Daniel Arnaudet

 

On connait aussi les portraits (apocryphes ou non) de Jane Austen5 ou encore de Marceline Desbordes-Valmore6 dans un espace moins strictement intime que la chambre mais tout aussi domestique, (un salon, espace privé, en position assise).

 

Une image contenant Visage humain, personne, habits, portrait

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Gravure du portrait idéalisé de Jane Austen, par sa soeur Cassandra Austen, White Images, Scala, Florence ; extrait de L’Encyclopédie visuelle, Claire Saim & Gwen Giret (dir.), Paris, Hachette Heroes, 2023, p. 35.

 

Portrait de Marceline Desbordes | BnF Essentiels

Michel-Martin Drolling, « Portrait de Marceline Desbordes », peinture à l’huile sur cuivre, 1808, Ville de Douai, Musée de la Chartreuse, photographie de Hugo Maertens ©

 

Le curieux vitrail consacré par Lucien Bégul à Louise Labé et inspiré par « Le Printemps » d’Eugène Grasset, en 1899, témoigne pour sa part d’une vision fantasmatique des attaches de la « belle cordière » à la « petite patrie » lyonnaise sous la Troisième République, peut-être figurée dans le village surmontant son épaule gauche et dans une veine idyllique7.

 

Une image contenant vitrail, église, fenêtre, art

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Vitrail représentant Louise Labbé, inspiré par « Le Printemps » de Eugène Grasset,
par Lucien Bégule, 1899, Musée Gadagne, © Wikipédia

 

De ce point de vue, cette approche est liée à la critique littéraire que met en œuvre un Hippolyte Taine, par exemple, à partir de la notion de « milieu » au prisme de laquelle il lit la biographie et l’œuvre d’un écrivain8. En outre, le régionalisme s’épanouit au XIXe siècle sur le terreau de la valorisation des petites patries et contribue à encourager une lecture ancrée de certains textes, parfois de façon excessive: ainsi de la réception de l’œuvre de Sand, à tort perçue comme telle, ainsi que l’expliquent Nathalie Denizot et Georges Buisson dans le présent numéro9.

 

36 PAYS DU BERRY. Souvenir Georges Sand 1911

Carte postale « Souvenir de George Sand » dans le Berry, 1911, coll. MCR ©

 

Certes, quelques portraits, parfois de dos10, peuvent être associés à un espace ouvert sur un jardin ou un paysage, mais la chose est moins courante et le regard, apparemment porté sur la Nature, est surtout figuré comme tourné vers l’intériorité du sujet. Ajoutons aux situations envisagées le cas dans lequel nombre de femmes se trouvaient : celui de la clandestinité. Longtemps, il a été jugé scandaleux d’écrire pour une femme ; écrire dans un coin caché de la maison ou depuis sa chambre était alors une nécessité : les visiteurs de la maison de Jane Austen à Chawton qui découvrent la petite table étroite d’écriture, relique légendaire, en savent quelque chose11. Au soir de sa vie, Colette se rappelle aussi dans un entretien que, faute du posséder un bureau, elle dut se contenter d’écrire les Claudine sur « un petit bout de table », une « épaule de travers », installée sur « une mauvaise chaise »12 : elle couche alors ses souvenirs d’enfance dans l’ombre de Willy et dans le secret du domicile conjugal. Le récent succès de la saga néo-victorienne La Chronique des Bridgerton, dû notamment à la modernité de la figure de la chroniqueuse de la célèbre gazette, Penelope Featherington, rappelle le quotidien, nullement fictif, de la très grande majorité des écrivaines : pour écrire, il faut vivre cachée, recluse dans sa chambre et soustraire ses écrits au regard public comme à sa famille, souvent. La précarité ou l’inconfort ne sont pas seulement financiers, ils peuvent être spatiaux et empêchent d’investir l’(espace de l’)écriture.

Dès lors, penser les lieux habités, traversés, vécus par les figures d’écrivaines au-delà de l’espace intime d’un intérieur est un fait historique moderne, qui doit beaucoup à l’affirmation de l’individualisme et du génie créatif romantique. N’oublions pas d’ailleurs, avec la maison, les espaces extérieurs, comme le jardin, qui peut être source d’affranchissement et de reconnaissance aussi, du reste. Le cas remarquable de la Britannique Vita Sackville-West en témoigne au XXe siècle : habitant une vaste demeure avec son mari dans le Kent, elle s’approprie les vastes jardins – que Monsieur dessine – pour en faire une œuvre à part entière qui lui vaut une renommée exceptionnelle, tant sur le plan botanique que littéraire : Sissinghurst (1931), The Garden (1946), recueils de poésie, érigent les lieux au rang d’objet poétique. Elle tient aussi une chronique sur le sujet dans la presse. Journal de mon jardin établit un genre inédit : entre journal intime et contemplation poétique13.

Cette affirmation peut, il est vrai, relever aussi de la gageure, y compris pour les écrivaines qui ont œuvré avec force à leur émancipation et à celle des femmes en général, en défendant notamment la liberté de circulation ou le droit à la propriété, à l’instar de Colette dont l’affranchissement n’a cessé d’être marqué par des itinérances et l’acquisition de « lieux à soi », à l’origine d’une thématique centrale dans son œuvre et pour son image publique14.

 

Une image contenant texte, plaque, Plaque commémorative, signe

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Plaque en hommage à Colette, Palais-Royal, passage du Perron (Paris, 1er). Wikipédia

 

Comme l’a montré Margaux Gérard, Colette a en effet construit dans son œuvre une poétique de l’espace domestique féminin par contraste avec les lieux dominés et fréquentés par les hommes (espace public, fumoirs, cafés, salles de rédaction…) et avec ceux qui sont dévolus aux femmes (salon, alcôve, chambre…)15. Quand elle n’est pas sur les routes avec son métier de journaliste et de comédienne, Colette refuse l’assignation à résidence des femmes par autorité patriarcale et conservatisme social, moral ou religieux. Elle n’en est pas moins encline à se retirer du jeu social et de l’espace public pour retrouver le calme et la solitude d’un intérieur. La raison en est aussi simple qu’impérieuse : il faut écrire en paix et s’exprimer. Dès lors, sa position est proche – sans la dimension politique – de celle de Virginia Woolf qui, en 1929, publie un essai intitulé Une chambre à soi. Ce point rappelle aussi la démarche d’Annie Ernaux dans Le Vrai Lieu. Entretiens avec Michelle Porte (Gallimard, 2014) : la lauréate du prix Nobel y parle de la manière dont elle habite son lieu d’écriture et comment il s’inscrit dans un écosystème (Cergy) plus large qu’elle a investi dans ses textes, comme elle le fait depuis La Place au sujet de la maison de son enfance ou d’Annecy, où elle s’installe en famille, dans La Femme gelée.

Aliénées, la femme et l’écrivaine peuvent l’être dans et à cause des lieux où elles se trouvent justement, qu’ils soient familiers et domestiques, ou non. Il peut alors s’agir de s’en affranchir. La nouvelle fictionnelle de l’Américaine Charlotte Perkins Gilman, The Yellow Wallpaper (Le Papier peint jaune), paru dans la presse en 1892, en témoigne de façon singulière : la jeune femme dont le récit rapport l’histoire se retrouve forcée de se mettre au vert et assignée à résidence pour se rétablir de son post-partum. Recluse dans une chambre au papier jaune, elle finit par se libérer de ce lieu de claustration, censé être récupérateur. Le récit s’achève sur sa libération morale et symbolique, à défaut d’être totale : elle arrache le papier peint où lui est apparue la condition des femmes et la sienne. Sous d’autres cieux, dans un autre temps et « dans la vraie vie », l’écrivaine australienne Charmian Clift a rapporté les difficultés à vivre au quotidien dans l’espace domestique, tout à fois lieu de vie familial et espace de travail individuel16.

Objectifs et enjeux du numéro « Des lieux à soi »

Le présent numéro ne cherche pas à substituer des préjugés à d’autres idées reçues, pas plus qu’à éloigner les femmes de lieux qu’elles ont élus comme « à elles », sous prétexte que les lieux extra-domestiques plus largement, seraient d’une part, dévolus aux hommes et, d’autre part, davantage émancipateurs. Le volume invite, en revanche, à interroger à nouveaux frais la construction et la réception de figures d’écrivaines comme leur place – récemment conquise, pas encore acquise – dans l’histoire littéraire, dans les études culturelles, patrimoniales et touristiques enfin, à l’aune de la question des lieux qu’elles ont fréquentés. Car, comme l’ont démontré de nombreux travaux sur les lieux littéraires (monuments, toponymes, maisons d’écrivains, musées, lieux de sociabilité…) ces dernières années, l’enjeu spatial fait partie intégrante de la vie littéraire dans ses mécanismes d’institutionnalisation, de médiation, de transmission, de réception mais aussi dans son expérience, au quotidien17. À cet égard, aborder ces sujets par le prisme touristique permet de stabiliser précisément la focale sur la dimension spatiale, et de s’interroger sur l’inscription des femmes écrivaines dans la chaîne des valeurs sociales, symboliques, culturelles, politiques, ainsi qu’économiques18.

Les lieux concernés sont doubles : il pourra s’agir des lieux de vie et de séjour où ont vécu les écrivaines ante mortem, mais on s’intéressera surtout à leur devenir aux yeux de la postérité, c’est-à-dire à leur réception post mortem, du point de vue touristique au premier chef.

Le numéro se donne ainsi les objectifs suivants :

·         contribuer à l’enrichissement des études sur la place et le rôle des femmes dans l’histoire littéraire,

·         faire découvrir des femmes et des corpus littéraires méconnus, voire inconnus, grâce au prisme des lieux, valorisés par l’activité touristique et au patrimonial,

·         nourrir les travaux interdisciplinaires qui se développent autour de la chaîne de valeurs associée aux lieux littéraires, notamment au plan touristique,

·         alimenter la réflexion sur les enjeux théoriques et pratiques liés à la constitution de parcours touristiques touchant à la  littérature en général pour esquisser, à moyen terme, les contours d’un guide à l’intention des acteurs impliqués dans ces médiations19,

·         constituer justement un groupe de travail interprofessionnel (professionnels du tourisme, conservateurs…) et international sur ces sujets en vue de mettre en commun des réflexions, des pratiques de travail, de répondre à des enjeux de société sur ces questions.

À court terme, le projet consiste de fait à mettre en œuvre un parcours interrégional, (voire international) sur le littoral français autour de figures féminines, pour interroger la relation de leurs parcours de vie à ces espaces intermédiaires, « entre-deux ».

État des lieux : de quelques cas d’étude significatifs

Prenons quelques exemples significatifs pour situer, au propre comme au figuré, le sujet, et pour rendre compte de sa prégnance dans la société contemporaine, à l’heure de la redéfinition des identités et des relations de genres.

Depuis 2023, la fresque théâtrale éponyme tirée du roman de Victor Hugo, Les Misérables, est jouée à la citadelle de Montreuil-sur-Mer (Hauts-de-France). Or, elle a trouvé une seconde jeunesse depuis la refonte de la version du spectacle qui a duré vingt-cinq étés. Le nouveau concept de « Juliette et Les Misérables » ? Donner la parole au romancier et à ses personnages, mais aussi à Juliette Drouet, en tant que « compagne d’un siècle »20. De fait, celle qui fut elle aussi comédienne a accompagné Hugo dans son voyage à Montreuil, mais aussi l’écriture du roman dont elle a d’ailleurs recopié le manuscrit. Juliette se trouve bel et bien sur scène : elle y lit des extraits de sa correspondance avec Hugo. Invitée dans l’espace romanesque et biographique de l’écrivain, elle acquiert une visibilité et une reconnaissance publiques.

Autre exemple, au cœur de notre sujet, celui qui concerne les « Jardins de Colette », en Corrèze21. Il s’agit de jardins aménagés à Varetz où le visiteur peut pratiquer des activités ludiques et s’amuser dans un labyrinthe. L’initiative est intéressante en ce qu’elle entretient un rapport étroit à l’œuvre et à la vie de Colette, profondément marquées par le motif et la réalité des jardins, d’abord ceux de Sido, à Saint-Sauveur-en-Puisaye, ensuite ceux des domiciles qu’elle a occupés par la suite (Rozven, La Treille-Muscate, le Palais Royal…), sans compter les jardins où évoluent ses personnages en général (Claudine… à Montigny/Saint-Sauveur…)22. Quant à la terre de Corrèze, elle fut chère à Colette pendant une dizaine d’années, durant le temps de sa relation avec Henry de Jouvenel. Mais les « Jardins de Colette » sont localisés non pas sur ses terres à elle, mais sur les terres natales de son mari ! Certes, plus largement, ces jardins désignent en creux, pour les initiés, « ses » jardins, son territoire, son œuvre, sa vie, son écriture, son amour de la nature. Ces lieux marquent enfin une nouvelle étape, « végétale » dans un panorama de lieux de mémoire majoritairement « minéraux », mis à part le jardin du Palais-Royal : maisons, musés, plaques édilitaires… Gageons que l’entrée de l’écrivaine, en 2025, dans le « domaine public » – autre espace « commun », « partagé » celui-là ! – constitue l’occasion d’ancrer un peu plus Colette dans la sphère publique patrimoniale sous la forme de toponymes, de monuments, de lieux, pérennes ou éphémères, dans un paysage commémoratif déjà fort riche.

Toujours d’actualité, les lieux concernant des personnages littéraires féminins, à l’instar de Madame Bovary : le village de Ry, identifié comme l’une des sources d’inspiration à laquelle a puisé Gustave Flaubert pour écrire le roman éponyme, envisage de consacrer à l’héroïne un espace muséographique et culturel interrogeant ses « racines » normandes et son universalité. Non loin de la bourgade cauchoise, le touriste peut d’ailleurs marcher sur les pas d’Alphonsine Plessis, alias Marguerite Gautier, demi-mondaine célèbre pour sa beauté et sa jeunesse, maîtresse et muse d’Alexandre Dumas fils qui l’immortalisa dans La Dame aux camélias. Mais c’est bien à la dimension auctoriale du tourisme littéraire qu’est consacré ce numéro de L’Entre-deux et non aux œuvres, fictionnelles notamment, pas plus qu’aux supports médiatiques des Lettres (tourisme littéraire par le livre). Le projet s’articule au tourisme d’auteurs, très marqué par une histoire de fait patriarcale et tournée vers des figures masculines.

Patrimoine et matrimoine

Le recensement des maisons d’écrivains en France renseigne sur le fait que moins de 12% des maisons – qu’on appelle d’ailleurs « d’écrivain[s] » – sont liées à des figures d’autrices23. Cet état de fait reflète la disparité historique fondamentale entre auteurs et autrices dans le champ littéraire, mais il ne doit pas masquer la remarquable expansion du tourisme littéraire en particulier, des patrimoines littéraires en général, et les évolutions en cours.

Le développement, voire le renouvellement, des formes qu’emprunte le tourisme littéraire de nos jours (applications, promenades littéraires avec guides numériques sous formes de sites, stations avec dispositifs sonores immersifs, promenades théâtralisées, enquêtes etc.) va de pair avec l’accroissement du nombre de travaux tournés vers ces thématiques depuis le « spatial turn » des années 1980 et l’essor de la géocritique24. Les études d’abord géographiques et historiques, puis littéraires, témoignent avec force, de l’importance de ces objets de recherche, en particulier sous la forme de portails numériques localisant des sites touristiques et patrimoniaux consacrés à des auteurs dans une perspective souvent relationnelle (« Géoculture », « La Lorraine des écrivains », « ReNom », « LiTep », musée Jules Verne de Nantes avec la cartographie collaborative établissant les toponymes consacrés à l’auteur et à son œuvre…).

Or, là encore, à adopter le prisme des études de genres, force est de constater que les figures patriarcales dominent encore le champ, reflet d’une situation historique, institutionnelle, sociale, culturelle, économique, politique et idéologique pluriséculaire.

Pourtant les lignes bougent, comme en témoignent les travaux consacrés à l’écriture patriarcale de l’histoire littéraire et, par contraste, à sa réécriture au féminin : depuis l’étude de Ferdinand Brunetière sur « l’influence des femmes dans la littérature française » (1886), que de chemin parcouru !25  Ainsi du numéro de la Revue d’Histoire Littéraire de la France sur les regards des femmes sur l’histoire littéraire26 ou bien leur place dans les revues littéraires27. Par ailleurs, du côté des médiations culturelles, les institutions consacrent de plus en plus de contenus et de médiations aux « femmes de lettres »28 et à leurs œuvres, de même que les « journées du matrimoines », depuis 2015, jouent un rôle important dans cette perspective. Les initiatives isolées fleurissent aussi, à l’instar du parcours consacré à Simone de Beauvoir, à Rouen, qui, depuis 2018, interroge les ancrages rouennais de la philosophe et écrivaine. Pour parler de son rapport aux lieux personnels, elle utilisait d'ailleurs un terme intéressant, emprunté au vocabulaire tauromachique : celui de querencia pour désigner un endroit où on se sent à l’abri de tout (littéralement, c'est le lieu où se réfugie le taureau dans l'arène). Toujours en Normandie, les Amis de Flaubert et Maupassant ont organisé en mai 2025 une journée consacrée à Louise Colet à Verneuil-sur-Avre, dans l'Eure, lieu d'ancrage de l'amie de Flaubert, poète et femme de lettres. C'est là que sa fille résidait et que l'écrivaine, aixoise de naissance et parisienne durant sa vie, a été inhumée.

Les manifestations culturelles se multiplient sur les territoires, à commencer dans le cercle des maisons-musées, lieux d’ancrage fondamentaux. Pensons à l’exposition « Femmes et positivisme », en 2023, qui a interrogé la place ambigüe des femmes dans le positivisme, mais aussi éclairé leur place originale par rapport à la société du temps. Évoquons aussi, pour rester sur les territoires régionaux où a été initié le projet « Des lieux à soi », la Normandie et les Hauts-de-France, ports d’attache de B. Duthion et de M.-C. Régnier, les collections consacrées à Colette au musée Richard Anacréon, à Granville, ou bien à l’évocation de Georgette Leblanc, sœur de Maurice, femme de lettres, comédienne, à deux occasions, l’une pérenne, l’autre éphémère : le Parcours Maurice Leblanc à vélo de Jumièges à Saint-Wandrille ou bien l’exposition temporaire « Le Génie des lieux », où Georgette se voit consacrée une section, avec son mari Maurice Maeterlinck (certes, elle est encore escortée d’un homme, remarquerons certains).

Vivre les lieux d’écriture au quotidien : mais quels lieux ?

Comment donc penser l’inscription des femmes dans leurs lieux de vie, de séjour, d’écriture comme autrices et pas seulement par rapport à des faits biographiques au- delà d’une cartographie de la France littéraire pointant berceaux et tombeaux ? Ainsi le numéro invite-t-il à penser les lieux touristiques valorisés comme des « hétérotopies », c’est-à-dire des lieux aux multiples fonctions, existant dans le discours et les représentations, pas simplement des lieux existants assignables à la géolocalisation. Il s’agit de lieux décrits, de lieux d’écrits, de lieux pris en charge par ces femmes dans leur écriture, de lieux de naissance à l’écriture à des thématiques dans leur œuvre, dans leur poétique et leur esthétique. Dès lors, on se propose d’envisager les espaces dans une perspective littéraire et possiblement, d’émancipation par l’écriture – en considérant que le lieu peut être un foyer littéraire où se joue un ancrage qui n’est pas ou qui n’est plus facteur d’assignation patriarcale à résidence.

Plus concrètement, on se propose aussi de s’interroger sur la manière dont on vit dans ces lieux et comment on vit ces lieux. Comment les femmes investissent-elles au quotidien l’espace (écriture, activité physique, sociabilités, aménagement, décoration) ?29 Comment en parle-t-elle ? En quoi cela nourrit-il une pratique d’écriture dans leur correspondance, dans leurs œuvres, fictionnelles ou non (un personnage peut faire figure de médiation), nourries d’inventaires, de descriptions… ?

Le cas de Duras est exemplaire à cet égard, tout particulièrement au sujet de Trouville, où elle s’installe à partir de 1963, dans l’appartement mitoyen du logement où séjournait Proust, quand l’Hôtel des Roches Noires, sur la plage, n’était alors qu’un établissement hôtelier. Duras ajoute sa part d’histoire à la légende des lieux et donne un nouveau chapitre au récit de sa vie par les lieux : le roman Lol V. Stein se situe à Trouville et sa plage baigne le roman de mélancolie ; la mer signifie l’errance, la folie dans laquelle le personnage éponyme sombre. Mais Duras habite aussi Trouville par l’image. Dans le film Le Camion (texte paru aux éditions de Minuit en 1977), Duras se met en scène chez elle, aux Roches Noires, dans un clair-obscur dramatique, les rideaux tirés ; elle y apparaît dans le premier rôle, avec Gérard Depardieu. Le scénario est publié, suivi d’un entretien avec Michelle Porte : Duras y parle de l’Indochine de son enfance, de la maison de Neauphle-le-Château, dans les Yvelines. Un an plus tôt, elle publiait, toujours avec Michelle Porte, Les Lieux de Marguerite Duras (Minuit). Le texte reprend deux entretiens télévisés exposant les lieux principaux (maison, plage, forêt, parc) de son œuvre et qui ont été tournés dans deux de ses domiciles. (Yvelines, Trouville). L’autoportrait, médié et illustré, encadre le portrait de l’écrivaine par celui de ses lieux : Duras prend ainsi en charge l’exposition de soi dans ses lieux à soi. Elle y (d)écrit sa « vie », sa légende, situées dans un jeu savant entre réalité et récit postural, configurant la réception de son œuvre, redoublant les lieux réels de lieux fictionnels qui leur empruntent nombre de points communs. Duras affirme ainsi : « Toutes les femmes de mes livres ont habité cette maison. Toutes. Il n’y a que les femmes qui habitent les lieux, pas les hommes. » Les lieux durasiens ancrés dans ses lieux à elle s’écriraient au féminin. Et d’ajouter : pour Nathalie Granger, je suis complètement partie de la maison. […] [E]t puis ensuite une histoire est venue s’y loger, voyez, mais la maison c’était déjà du cinéma30. La maison est le personnage principal du film31. A posteriori, la cité normande tire parti de cet angrage constant à Trouville que Duras a nourri dans les textes, à l’écran dans des fictions, sur la pellicule photographique et filmique des journalistes : toponymes (« Escalier Marguerite Duras » qui conduit à la place) et manifestations culturelles (exposition, conférence, lecture…) s’inscrivent dans un héritage construit par l’autrice.

Si les domiciles de ces écrivains sont les premiers lieux envisagés a priori (avec encore des subdivisions possibles par pièces, comme évoqué : chambre, salon…), une plurarité d’autres espaces est à considérer : jardin, environnement alentour (rue, village, bourg, ville, paysage), lieux de séjour, de passage, de villégiature (locations, hôtels, gîtes, haltes…). Pensons à Agatha Christie, côté pile exploratrice des lointains d'hôtel en bivouac dans les les colonies britanniques, côté face sédentaire attachée à ses maisons à Torquay ou Greenway House dans le Devon. La dimension spatiale engage aussi la question du statut social de ces femmes : sont-elles propriétaires, locataires, en propre, de ces lieux ? Songeons au domaine de Nohant dont Amantine Aurore Lucile Dupin de Francueil, par mariage baronne Dudevant (comprendre George Sand !), est à la tête. Colette devient propriétaire de Rozven, succédant à Mathilde de Morny, alias « Missy », en guise de cadeau de rupture, avant de pouvoir acquérir la Treille-Muscate, par exemple, grâce à l’argent que lui rapporte la vente de ses livres. Elle aura également l’usufruit de sa maison natale sur décision du propriétaire, un admirateur. Ces différentes circonstances représentent autant de cas de figure, successifs, complémentaires, variés pour rendre compte de cet enjeu. Comment donc l’occupation de l’espace varie-t-elle en fonction du statut bourgeois, aristocratique, populaire de l’écrivain ? quand elle vit d’une rente, d’une personne qui la soutient (femme ou homme d’ailleurs : on peut aussi penser à la grand-mère de Sand, qui lui lègue le domaine dynastique), en couple ou célibataire32, quand on travaille à côté de l’écriture (Ernaux, par exemple) ?

Le tourisme auctorial : approche typologique

Instrumentalisation opportune/opportuniste, authentique retour en grâce, effet d’aubaine, phénomène de fond, comment penser l’articulation entre ces figures et les liens pluriels aux territoires auxquels on les (r-)attache, entre « empaysement »33 et « territorialisation » ?34 Comment analyser la publicité contemporaine de ces femmes, restées paradoxalement dans l’ombre de leurs intérieurs de leur vivant pour certaines, ayant bénéficié d’une notoriété et d’une publicité variables pour d’autres ? Selon quelles évolutions historiques ces appropriations se sont-elles produites ? Qui en est à l’origine ? Quels éléments biographiques, poétiques, esthétiques étayent et sont mobilisés dans ces actions culturelles ? Sur quel(s) type(s) de corpus littéraire, entre écrits publics, œuvres légitimées et « écritures de soi » (correspondances, journaux intimes, autobiographies) prennent appui ces nouvelles dynamiques ? Quel rôle jouent, veulent jouer, peuvent jouer les femmes de lettres aujourd’hui à l’égard de celles d’hier ?

De surcroît, la focale touristique invite à s’interroger sur la manière dont on perçoit-on collectivement, socialement ces lieux qui leur sont liés : les y a-t-on valorisées ? marginalisées ? ponctuellement ? de façon pérenne ? depuis quand ? pour quelles raisons ? Pour leur célébrité simplement, leurs engagements divers, pas forcément pour la cause féminine, du reste ? Quelles figures sont particulièrement mises à l’honneur et sont-elles motrices, comme certaines figures masculines d’ailleurs, pour valoriser d’autres femmes autour d’elles, moins « en vue » ? moins instituées ?...

Cette dernière question, d’ordre typologique, pose en retour la question concernant les aspects spatiaux envisagés dans le présent volume et envisager dans le cadre du projet adossé à ce numéro de revue : le projet de développer des parcours touristiques tournés en particulier, mais pas exclusivement, vers des figures d’autrices.

Dans sa thèse sur les maisons d’écrivain, Aurore Mirloup-Bonniot distingue plusieurs types de « sentiers »35. Elle considère ainsi :

-          le sentier biographique (« The Biographic Trail ») Ces sentiers ont pour vocation de promouvoir et commémorer un auteur, adoptant une perspective principalement historique sur la littérature. La philosophie qui motive leur création est dite « moderniste ». Ces sentiers sont principalement créés à l’initiative des sociétés littéraires ou des maisons d’écrivains.

-          Le « sentier d’un paysage littéraire » (« The Literary Landscape Trail ») Ces sentiers explorent la relation d’une œuvre avec un lieu, sous un angle plus créatif et ludique ; leur philosophie est dite « éclectique » ; ils sont créés par des acteurs divers.

-          Le « sentier littéraire générique » (« The Generic Literary Trail ») Ces sentiers englobent des ancrages littéraires hétérogènes au sein d’une région touristique donnée. Leur philosophie est qualifiée de « rationaliste » ; ils sont créés à l’initiative des autorités locales.

À cet égard, malgré l’existence d’outils de recension et de médiations culturelles touristiques variées, tel le site d’ « Empreintes »36, les parcours touristiques consacrées à des autrices demeurent minoritaires, peu visibles médiatiquement et souvent éphémères, car liés à des événements (commémorations…). Par le présent numéro, ses contributions et le développement à moyen terme de parcours touristiques au féminin complémentaires, nous espérons faire découvrir et redécouvrir ces riches initiatives aux lecteurs et aux visiteurs, in situ…

Présentation des contributions

Les trois premières contributions constituent des témoignages directs d’enseignants-chercheurs qui ont conçu des propositions culturelles de médiation du livre et de la littérature in situ ou sur le web, se rapportant à la littérature, parfois aux femmes en particulier. Ces trois articles adoptent un point de vue à la fois théorique, critique, réflexif et pratique qui ancre le sujet du numéro dans une réalité scientifique vécue.

Isabelle Roussel-Gillet, professeure en littérature, co-responsable du Master expographie et muséographie écoresponsable à l’université d’Artois, envisage, à la manière d’une déambulation justement, les différents termes du projet de recherche-action, à savoir « parcours touristiques littéraires au féminin ». Analysant les notions et les enjeux à l’œuvre, elle invite à dépasser la possible impasse que pourrait constituer une approche féministe et militante, excluant les hommes, en adoptant une approche humaniste réconciliant hommes et femmes à partir du terme d’ « adelphité », développé par Florence Montreynaud, et réunissant homme et femme à égalité. Elle propose ainsi de dépasser le clivage entre « patrimoine » et « matrimoine » au moyen du mot-valise d’« adelphémoine ». Son texte s’appuie aussi sur un état des lieux très riche d’expériences observées ou vécues personnellement dans le domaine et d’un ensemble de constats, de commentaires et de recommandations pour mettre en œuvre de tels parcours touristiques en toute connaissance de cause : ainsi de la question des sources, des archives, des supports technologiques à disposition, des acteurs institutionnels en place... L’article fournit ainsi une merveilleuse entrée en matière pour poser tous les jalons et toutes les étapes que le numéro déploie, par la suite, avec les autres contributeurs.

Le texte de Sonia Anton, maîtresse de conférences à l’université du Havre, poursuit la voie tracée par I. Roussel-Gillet en ce qu’il présente aussi le témoignage d’une collègue qui œuvre, depuis plus de nombreuses années à la réalisation de promenades littéraires, d’abord au Havre, en Normandie plus largement. De façon très méticuleuse et sincère, S. Anton explique par le menu détail les origines, les questionnements, les joies et les difficultés qui dessinent la destinée d’une des offres culturelles les plus originales sur le territoire normand au cours de la dernière décennie. Elle s’interroge, enfin, sur les perspectives qui pourraient se dessiner autour d’autres parcours à l’avenir et sur ce qu’apporterait le prisme « au féminin » dans une nouvelle livraison éventuelle.

L’article de Caroline Trotot et Philippe Gambette (université Gustave Eiffel ; Société des amis de Marceline Desbordes-Valmore pour Ph. Gambette également), achève cette partie, consacrée aux retours d’expérience et aux perspectives d’avenir sur le sujet. Proposant un bilan de leur ambitieux et original projet « La Cité des dames », portant sur la valorisation du matrimoine dans les villes à partir de l’ouvrage éponyme et fondateur de Christine de Pizan (XIVe-XVe s.), le duo d’auteurs analyse les ressorts de leur travail, avant d’esquisser un état de lieux des parcours touristiques au féminin et des événements culturels favorisant la reconnaissance d’un matrimoine, en particulier à partir d’outils numériques. L’article propose une remise en perspective inédite sur le sujet qui conjugue discours critique scientifique d’un côté et expertise technologique de l’autre. La figure de Marceline Desbordes-Valmore ouvre ainsi la réflexion à un cas d’étude très intéressant dans la région Hauts-de-France, à Douai, jusqu’au littoral, imaginé et rêvé par la femme poète, depuis les terres.

Sophie Noël, directrice de Normandie Livre & Lecture, et Bénédicte Duthion, vice-présidente de la Fédération nationale des maisons d’écrivain & des patrimoines littéraires, membre du réseau régional normand ad hoc, nous proposent un saut dans le temps et en d’autres lieux. Elles s’emploient à mettre en perspective la manière dont Sophie Rostopchine, d’origine russe, dite la « Comtesse de Ségur », investit un pays et des terres qui n’étaient pas les siens à l’origine, en particulier les terres normandes puis bretonnes où elle vécut, puis décéda, respectivement. De façon centrale, S. Noël et B. Duthion retracent les échanges de l’écrivaine avec son éditeur au travers desquelles la première négocie patiemment son mode de fonctionnement auctorial et sa rémunération en particulier, ce qui lui permet d’investir (dans) ses domiciles, en particulier le château des Nouettes, un refuge par rapport à son domicile parisien notamment. L’article pose ainsi à moyen terme un jalon décisif dans le processus de patrimonialisation et de muséalisation de cet édifice situé dans l'Orne.

Dans un texte libre aux allures d’« invitation au voyage », Gaëlle Pairel, autrice, éditrice et spécialiste du matrimoine en Bretagne (XIXe-XXIe s.) nous embarque dans un intense voyage à travers l’Ouest et dans les textes des écrivaines : là, dans les terres et sur le littoral, se construisent des expériences fortes des paysages et des identités de la région sous la plume de femmes bien souvent méconnues, pour ne pas dire inconnues de nos jours, y compris « chez elles ». G. Pairel ne fait pas que réhabiliter ces minores d’hier, restées dans l’ombre d’hommes et de femmes reconnus, elle initie le lecteur à la grande richesse de leurs œuvres en nous invitant à une immersion dans leurs textes. L’étude propose donc un riche état des lieux, qui se resserre peu à peu sur Marie Le Franc et sa réception, sous l’angle touristique, au Canada notamment.

Rachel Bouvet, bretonne d’origine et professeure au Département d’études littéraires de l’université du Québec à Montréal (UQAM), franchit elle aussi l’Atlantique, sur ses propres traces et sur celles de ces femmes dont elle suit le lointain périple, en terre canadienne. Elle envisage la promenade littéraire comme un « art littéraire »37 dans lequel le texte se laisse appréhender sous une forme spectacularisée, exposée ou médiatisée. S’appuyant sur plusieurs cas d’étude précis, R. Bouvet se concentre particulièrement sur la balade audio-guidée intitulée « Heartlands/Pays du cœur ». Elle a été mise au point à Magog (dans la région de l’Estrie) par la professeure Ceri Morgan. L’article retrace aussi les résultats d’un projet de recherche-action qui a fait l’objet d’une expérimentation durant l’été 2023, avec un groupe d’une dizaine de membres de La Traversée-Atelier de géopoétique. La promenade renvoie à une dizaine d’autrices dont elle interroge les ancrages et le rôle social, en regard d’enjeux identitaires, linguistiques et communautaires très denses.

Co-présidentes de l’association des Ami.e.s de Séverine et enseignantes en littérature dans le secondaire, Sophie Muscianese et Laurence Ducousso-Lacaze signent la première étude monographique sur la reportère et sa patrimonialisation dans l’espace public. Dévoilant les ancrages de cœur de l’écrivaine à Pierrefonds où elle a élu domicile, les deux autrices propose un panorama des lieux de mémoire consacrés à Séverine, ainsi qu’une très intéressante réflexion sur les ports d’attache où se jouèrent son passage à la postérité et son enracinement dans la mémoire collective localement, comme à Saint-Étienne : la postérité de la journaliste, itinérante, opère notamment dans les lieux des autres, des mineurs par exemple, qui lui rendent hommage par la suite, avec les autorités locales, sous la forme de toponymes divers. L’étude peut être mise en perspective avec l’article suivant, tourné vers Colette notamment. Pour commencer, les deux autrices ont toutes deux été journalistes sur le terrain. Gagnant leur vie plus ou moins largement, elles n’ont cependant pas entretenu le même rapport à la propriété et à l’argent dans leur domicile respectif. De même, elles ne se sont pas exposées au regard public de la même façon, bien qu’elles aient toutes deux posées chez elles devant l’objectif d’un photographe, par exemple. Quant à la patrimonialisation de leurs lieux de vie, elle s’est faite de leur vivant ou tout juste après leur mort, parfois de façon houleuse puis en grande pompe. D’une part, Colette doit s’éclipser en 1925 lorsqu’est inaugurée la plaque signalant sa maison natale, à Saint-Sauveur, devant l’hostilité de la population villageoise, « malmenée » dans l’œuvre ; toutefois, l’écrivaine connaît une reconnaissance populaire spectaculaire à la fin de sa vie qui ne se dément pas, bien au contraire. La reconnaissance de Séverine se fait localement de façon sereine quoique discrète : elle est honorée comme une enfant du pays à Pierrefonds où elle a élu domicile. Encore peu visible dans l’espace public national globalement, la reportère entame une nouvelle étape de sa patrimonialisation progressivement, notamment grâce à l’action de ses « Ami.e.s ».

Margaux Gérard, en doctorat à l’université de Strasbourg, construit une riche comparaison entre Colette et Virginia Woolf. Elle suit la manière dont toutes deux ont accompagné, à des degrés divers, leur réception à demeure et sur les terres où elles ont grandi, évolué ou disparu, ainsi que sur leur combat farouche pour conquérir des « lieux à elles », leur permettant de déployer leurs forces vives : où elles pourraient écrire et devenir pleinement elles-mêmes. Ce n’est pas le moindre des intérêts de son texte que de retracer comment leur patrimonialisation et leur enracinement se jouent de façon contrastée et complexe parmi leurs contemporains puis auprès de la postérité, à leur mort, sans évidence aucune malgré la grande renommée que toutes deux surent acquérir.

Nathalie Denizot, professeure de littérature française, responsable de l’équipe Prascoll (Pratiques scolaires de la littérature) au sein du CELLF à la Sorbonne, dresse justement pareil constat à partir de l’étude remarquablement minutieuse de l'ancrage des écrivaines dans les manuels scolaires. Après cet état des lieux, elle observe de près la manière dont se joue la réception située de Sand et Colette en particulier, à Nohant et à Saint-Sauveur-en-Puisaye respectivement. N. Denizot met ainsi en évidence les représentations genrées et les axiologies à l’œuvre dans ces scénographies a posteriori. Ses observations sur la façon dont elle a constitué son corpus soulèvent également la question des hiérarchies scolaires, critiques… existant au sein même du champ investigué : Sand et Colette y occupent une place exceptionnelle et donc dominante vis-à-vis des autres figures féminines, encore largement invisibles, sinon invisibilisées par le patriarcat et les hiérarchies littéraires et critiques. Enfin, l'article conclut sur l'étiolement de la biographie située dans les manuels de nos jours : le tourisme aurait-il pris le relais ?

Michèle Bacholle, professeure d’études françaises à Eastern Connecticut State University (États-Unis), conclut ce parcours très riche et très divers « sur les pas » d’Annie Ernaux (très en vue elle aussi, comme Sand et Colette) à partir d’une réflexion très stimulante sur le statut de « transfuge » de classe de l’écrivaine. M. Bacholle déploie toute son expertise sur Ernaux pour livrer une étude approfondie du statut poétique, esthétique, idéologique et psychologique du lieu et de ses avatars thématiques dans l’œuvre ernanienne. L’analyse est illustrée de photographies personnelles de l’universitaire qui mettent en abyme l’expérience des lieux par une lectrice et interroge sur l’évolution des lieux et du regard comme des pratiques pélerines posé et développées autour d’eux. Aussi M. Bacholle propose-t-elle de considérer l’œuvre littéraire d’Ernaux comme un « manuel pour saisir (et pratiquer) la « palimpsesticité » des lieux », qui se présentent non pas comme des lieux de mémoire s’offrant à la patrimonialisation que comme des «lieux-points d’ancrage pour la mémoire », une mémoire transpersonnelle qui trouve sa raison d’être dans le seul lieu à soi qui vaille pour Ernaux : l’écriture38.

Trois entrevues complètent, consultables dans la rubrique « Entrevues » de L’Entre-deux (cf. Entrevue 7) et clôturent ce dossier : les deux premières réunissent Georges Buisson et Vanessa Weinling, très impliqués dans les lieux consacrés à George Sand sur le territoire berrichon. Dans l’entretien qu’ils nous ont aimablement accordé et dont nous les remercions vivement, tous deux présentent les paysages, les villages… qui ont marqué l’œuvre et la biographie de la romancière. Ils apportent aussi un éclairage de premier plan sur la patrimonialisation et la muséalisation de l’écrivaine sur le temps long et dans les projets en cours, rarement mis en lumière, en dehors de la presse locale ou du cadre de la Fédération des maisons d’écrivain & des patrimoines littéraires. Marie Gautier, médiatrice à la Poétothèque pour la Factorie-Maison de la Poésie en Normandie, présente la structure, unique dans le paysage patrimonial littéraire. Dans l’interview accordée – pour laquelle nous la remercions également chaleureusement –, M. Gautier caractérise le fonctionnement de ce dispositif d’archivage, de valorisation et de médiation autour de la poésie et la place que les poètes femmes39 y jouent : à ce égard, l’entreprise menée par la Poétothèque œuvre pour leur visibilité, invitant à connaître et reconnaître des poètes femmes d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

Après ce parcours « découverte » des contributions proposées par les auteurs de ce numéro, que nous remercions vivement pour leur travail passionné et passionnant, reste à souhaiter au lecteur-visiteur, au lecteur-touriste dont le numéro (estival par la date de sa sortie: heureuse coïncidence !) façonne le double profil, une bonne lecture et un bon voyage, « dans un fauteuil » d’abord, « sur les lieux » ensuite !...

[1] Au sens considéré par Delphine SAURIER dans La fabrique des illustres. Proust, Curie, Joliot et lieux de mémoire, Paris, Éd. Non Standard, coll. « SIC Recherches en sciences de l’information et de la communication », 2013: la figure du grand écrivain se compose à partir des images et des objets multidimensionnels engendrés au sujet d’un auteur canonique, ici, personnagisé, au gré des espaces sociaux et temporels traversés.

[2] « L’œuvre était autrefois identifiée comme portrait de Mme de Sévigné écrivant ; l’idée peut paraître séduisante, mais Mme de Sévigné, dont les premières lettres publiées le furent 30 ans après sa mort, ne se considérait nullement comme un écrivain et n’avait donc aucune raison de se faire représenter une plume à la main ; par ailleurs, une grande dame du XVIIe siècle n’aurait pas songé un seul instant à se faire peindre dans le feu d’une action incompatible avec sa condition sociale. Il pourrait s’agir d’un portrait d’Antoinette Des Houlières (1634-1694), qui publia plusieurs recueils de poésies et qui fut l’une des premières « femmes de lettre » reconnue comme telle. » https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/portrait-de-femme-ecrivant-autrefois-identifiee-comme-mme-de-sevigne#infos-secondaires-detail.

[3] Certes, le salon est un espace symbolique plus encore que géographique, largement fréquenté et dominé par les hommes : Martine REID (dir.), Femmes et littérature. Une histoire culturelle, I, Paris, Gallimard, 2020, p. 756.

[4] John LOUGH, « À propos du tableau de Lemonnier : « Une soirée chez Madame Geoffrin’ » », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 12, 1992, p. 4-18, https://doi.org/10.3406/rde.1992.1154 : www.persee.fr/doc/rde_0769-0886_1992_num_12_1_1154.

[5] https://www.universalis.fr/encyclopedie/jane-austen/. Ce portrait revisite le portrait réalisé par la sœur de l’écrivain où ne figure pas l’accessoire « littéraire » (carnet, livre…) qu’elle tient dans ses mains.

[6] https://essentiels.bnf.fr/fr/image/464798d7-70b8-4495-87c5-d16c17ec12d0-portrait-marceline-desbordes.

[7] https://www.bnf.fr/fr/redecouvrir-louise-labe.

[8] Hippolyte-Adolphe TAINE, La Fontaine et ses fables, Paris, Louis Hachette, 1861 [3e édition].

[9] Cette approche a généré une imagerie d’Épinal sandienne : voir, par exemple, Martine REID, « Récits en cartes postales », dans Littérature, 134, 2004, « George Sand :Le génie narratif’ », p. 147-154, https://doi.org/10.3406/litt.2004.1855.

[10]https://blog.geolsoc.org.uk/2015/04/29/lymes-literary-and-fossil-treasures/portrait-of-jane-austen-in-lyme-regis-countryside-by-her-sister-cassandra/.

[11] https://janeaustens.house/object/jane-austens-writing-table/. Virginia Woolf a beaucoup contribué à la diffusion de cette scénographie auctoriale domestique : « Encore était-il plus facile d’écrire ainsi en prose et une œuvre de fiction, que de composer un poème ou une pièce de théâtre. Le roman demande moins de concentration. Jane Austen écrivit dans ces conditions jusqu’à la fin de ses jours. « Qu’elle ait été capable d’accomplir tout cela (écrit son neveu dans ses souvenirs) reste surprenant, car elle n’avait pas de bureau personnel où se retirer et la plus grande partie de son travail dut être faite dans le salon commun, où elle était exposée à toutes sortes d’interruptions. Elle prenait grand soin que les domestiques, les visiteurs ou qui que ce fût hors de sa propre famille ne pût soupçonner son travail. » Jane Austen cachait ses manuscrits ou les recouvrait d’une feuille de papier buvard. » [Une chambre à soi].

[12] Colette s’entretient avec André Parinaud, le 20 février 1950, https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/entretiens-avec/ecrire-sur-un-petit-bout-de-table-une-epaule-de-travers-sur-une-mauvaise-chaise-4500437.

[13] Vita SACKVILLE-WEST, Journal de mon jardin, textes établis et traduits pas Patrick REUMEAU, De Natura Rerum Klincksicck, 2017.

[14] Voir, par exemple, Mireille BRANGÉ, « Colette telle qu’en elle-même : Colette de Yannick Bellon (1951) », Fabula / Les colloques, dans Portraits et autoportraits des écrivains sur écrans, actes dirigés par Marion BRUN et Marie-Clémence RÉGNIER, http://www.fabula.org/colloques/document6583.php.

[15] Margaux GÉRARD, « Les “enchantements [de la] réclusion volontaire” : sur quelques personnages féminins volontairement reclus dans les œuvres de Colette et de Virginia Woolf », dans Retraits, replis, sorties hors du monde : des autrices en rupture ?, Irène GAYRAUD et Anne DEBROSSE (dir.), Presses universitaires de Rennes, à paraître.

[16] Elizabeth MCLEAN, « What Creativeness in This? » : Maintenance and Generation in the Housework of Charmian Clift, Image & Narrative, 23, (3), 86–105, 2022, https://www.imageandnarrative.be/index.php/imagenarrative/article/view/3045 .

[17] Anthony GLINOER et Vincent LAISNEY, « La configuration des lieux de sociabilité cénaculaires », COnTEXTES [Online], 19,  2017, https://doi.org/10.4000/contextes.6312  ; Alexia KALANTZIS, « Le domicile de l’écrivain comme lieu de sociabilité à la fin du XIXe siècle, COnTEXTES [Online], 19, 2017, https://doi.org/10.4000/contextes.6306; Marie-Clémence RÉGNIER, Vies encloses, demeures écloses. Le grand écrivain français en sa maison‐musée (1879‐1937), Rennes, PUR, 2023.

[18] Voir le séminaire mené par Delphine SAURIER et Marie-Clémence RÉGNIER : https://www.fabula.org/actualites/documents/111829_afdfc70529d469d1b6cc703862d04ad6.pdf. Présentation du séminaire ici : https://www.fabula.org/actualites/111829/au-bonheur-des-valeurs-les-lieux-litteraires.html .

[19] En ce sens, on pense à cet ouvrage réflexif et pratique, sur l’exposition littéraire : Jérôme BESSIÈRE et et Emmanuèle PAYEN, Bruno RACINE (préf.), Exposer la littérature, Paris, Cercle de La Librairie, coll. «Bibliothèques », 2015.

[20] Florence NAUGRETTE, Juliette Drouet. Compagne du siècle, Paris, Flammarion, 2022.

[21] Voir https://www.lesjardinsdecolette.com/fr/ et https://www.brive-tourisme.com/fr/blog/colette-quand-les-jardins-racontent-une-grande-femme-de-lettres/.

[22] Marie-Christine CLÉMENT, Colette au jardin, Paris, Albin Michel, 1998 ; Pierre MAURY, Les maisons et les jardins de Colette, Paris, La Renaissance Du Livre, coll. « L’esprit des lieux », 2004.

[23] Voir les données disponibles sur le site de la Fédération des maisons d’écrivain. La statistique se trouve aussi dans l’article sur la Cité des Dames, dans le présent numéro.

[24] Voir notamment Bertrand WESTPHAL, La Géocritique. Réel, fiction, espace, Paris, Éditions de Minuit, « Paradoxe », 2007 ; avec Lorenzo FLABBI [dir.] Espaces, tourismes, esthétiques, Limoges, Pulim, 2010.

[25] Ferdinand BRUENETIÈRE, « Revue littéraire : l’influence des femmes dans la littérature française », Revue des Deux Mondes, 3e période, vol. 78, 1, 1er novembre 1886, p. 205-224.

[26] Mathilde LABBÉ et Nathalie GRANDE (dir.), Regards de femmes sur ­l’histoire littéraire, Revue d’Histoire littéraire de la France, 4, 123e année, 2023.

[27] Amélie AUZOUX, Camille KOSKAS et Élisabeth RUSSO (dir.), « Des revues et des femmes. La place des femmes dans les revues littéraires de la Belle Époque jusqu’à la fin des années 1950 », Paris, Honoré Champion, «Littérature et genre », 2022.

[28] Voir la page consacrée aux « femmes de lettres » sur le site de la BnF, https://www.bnf.fr/fr/femmes-de-lettres.

[29] Certains de ces aspects ont commencés à être envisagés dans : Bertrand BOURGEOIS et Marie-Clémence RÉGNIER (dir.), « Habiter en Poète » à travers le monde : configurations poétiques de l’espace intime (xixe-xxie siècles), vol. 23, 3, 2022, autour des cas d’Edith Wharton et de Charmian Clift notamment. Voir aussi Michelle PERROT, George Sand à Nohant. Une maison d’artiste, Paris, Seuil, coll. « La Librairie du xxie siècle », 2018. Voir aussi Elizabeth, EMERY, « Un « pèlerinage à l’oracle » : Edith Wharton, Henry James et la patrimonialisation de la maison de George Sand à Nohant », Culture & Musées [En ligne], 34, 2019, https://doi.org/10.4000/culturemusees.3819.

[30] Marguerite DURAS et Michelle PORTE, Les Lieux de Marguerite Duras, Paris, Minuit, 1976, p. 36.

[31] Voir les travaux de Madeleine BORGOMANO, L’Écriture filmique de Marguerite Duras, Paris, éditions Albatros, « Cinéma », 1985.

[32] Voir sur ce point, autour d’une figure aristocratique plus largement, le cas de Louise de Béthune, par exemple : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-cours-de-l-histoire/nobles-et-erudits-pour-un-celibat-choisi-2228623?at_campaign=Facebook&at_medium=Social_media.

[33] Jean-Christophe, BAILLY, Le Dépaysement. Voyages en France, Paris, Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2011. Le terme est péjoratif pour désigner l’association à résidence, étriquée, d’un auteur à un territoire où il est enserré, perdant quelque chose de son aura et de son universalité au fond.

[34] Marie-Françoise MELMOUX-MONTAUBIN, « Patrimonialisation et territorialisation de la littérature : causes, enjeux et effets », Recherches & Travaux, 96 | 2020, https://doi.org/10.4000/recherchestravaux.2361. Le terme connote la création de valeurs qu’un territoire opère autour d’un écrivain pour en retirer des avantages en retour.

[35] Aurore BONNIOT, « Imaginaire des lieux et attractivité des territoires : Une entrée par le tourisme littéraire : Maisons d’écrivain, routes et sentiers littéraires », thèse de doctorat soutenue sous la direction de Jean-François MAMDY, Professeur émérite, VetAgro Sup Clermont, et de Mauricette FOURNIER, Maître de Conférences, Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand II, co-directrice de thèse, à l’université Blaise Pascal – Clermont-Ferrand II, UFR Lettres, Langues et Sciences Humaines, CERAMAC et UMR Métafort, 2016, p. 150 et suiv.

[36] https://github.com/citedesdames/empreintesdefemmes.

[37] René AUDET, « Nommer, et faire advenir, les arts littéraires : attestation des pratiques vivantes de la littérature », Itinéraires, 2022, 3, parag. 14. https://journals.openedition.org/itineraires/12515.

[38] Il est intéressant de lire ce texte en regard de l’exposition que des étudiantes du Master Expographie d’Arras consacrent à Ernaux :« La lutte des places » : https://www.univ-artois.fr/agenda/exposition-annie-ernaux-une-lutte-des-places.

[39] Le terme emprunte aux réflexions conduites par Christine PLANTÉ dans La Petite Sœur de Balzac (sous-titré Essai sur la femme auteur), Paris, Seuil, coll. « libre à elles », [1989], postface à la seconde édition, 2019, p. 348. Voir aussi le colloque-festival « Poet.e.s.s.e.s : Qu’est-ce qu’une femme* poète ? » en mai 2021, à Paris : https://poetesses.hypotheses.org/53. Merci à Ph. Gambette pour ces éclairages.

pas de résumé

Représentations d’écrivaines en « femmes d’intérieur »

Objectifs et enjeux du numéro « Des lieux à soi »

État des lieux : de quelques cas d’étude significatifs

Patrimoine et matrimoine

Vivre les lieux d’écriture au quotidien : mais quels lieux ?

Le tourisme auctorial : approche typologique

Présentation des contributions

 

Marie-Clémence RÉGNIER

Université d’Artois, Textes et Cultures UR 4028

Marie-Clémence RÉGNIER, « Introduction », L’Entre-deux, 17 (1) | juin 2025 | URL : https://www.lentre-deux.com/?b=345 | consulté le 20-06-2025
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