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Entrevue 7 | juin 2025
Entrevues avec Marie Gautier, Georges Buisson et Vanessa Weinling
Marie-Clémence RÉGNIER
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Entretien avec Marie Gautier

Marie Gautier est Médiatrice Culturelle et chargée de projets culturels et pédagogiques tous publics. Elle travaille tout particulièrement à la valorisation du patrimoine poétique sonore.

 

1.      Marie-Clémence Régnier : Pourriez-vous présenter les origines, enjeux et caractéristiques du projet qui a donné forme à la Poétothèque ?

 

Marie Gautier : La Factorie / Maison de Poésie de Normandie1 a créé la Poètothèque sonore2 afin de valoriser, pérenniser et rendre accessible le patrimoine poétique normand, qui est d’une grande richesse mais dont l’héritage est menacé d’oubli.

La mise en ligne de ce corpus permet ainsi de rassembler des textes – du Moyen-Âge à aujourd’hui – dont certains sont difficiles d’approche ou dispersés sur différents supports. Ce site est donc un moyen d’élargir le champ de propagation de ce patrimoine, où peut puiser un public large pour un usage à la fois pédagogique, culturel et patrimonial.

Pour ce projet, un travail de recherches documentaires et d’enregistrements en studio est effectué en y associant à la fois des universitaires, des poètes et des comédiens.

 

2.     M-C R : Quelles sont vos collections ? Qu’y découvre-t-on ? Comment les rassemblez-vous ?

 

MG : En février 2025, la Poétothèque Sonore représente :

 

-         150 poèmes mis en voix

-         31 poète.sse.s normand.e.s valorisé.e.s : Marie de France – Claude Le Petit – Jean Marot – Pierre de Marbeuf – Bernard Le Bouyer de Fontenelle – Charles-Julien de Chênedollé – Jean Regnault de Segrais – Jean Auvray – Pierre Gringore – Albert Glatigny – Charles Boulen – Eléonor Daubrée – Lucie Coueffin – Charles-Théophile Féret – Henri de Régnier – Madeleine Chosson – Jean Lorrain – Marie Ravenel – Paul Harel – George Aster – Rose Harel – Alphonse Allais – Camille Cé – Princesse Bruyère – Francis Yard – Henriette Charasson – Jean Prévost – Lucie Delarue Mardrus – Georges Laisney – Gaston Le Révérend – Suzanne Plécéla.

-         16 lecteur.ice.s 

 

Une page est dédiée à chaque poète.sse, sur laquelle figurent leur biographie, une photo (lorsque nous en trouvons une) et leurs textes mis en voix.

Pour découvrir les poèmes sonores sur le site, plusieurs voies d’accès sont possibles : par « périodes historiques », par ordre alphabétique (noms des poète.sses) ou à travers la page consacrée aux lecteur.ices.

 

3.     M-C R : Sous quelles formes la valorisation et les médiations de ces collections opèrent-elles, en particulier vis-à-vis des scolaires et des jeunes ? Comment travaillez-vous avec les écoles notamment ?

 

MG : Un partenariat avec l’Université de Rouen a été amorcé avec Hélène Tétrel – professeure de littérature médiévale française et scandinave – et un groupe d’étudiant.e.s (parmi lesquel.le.s deux stagiaires reliées au projet). Ces derniers ont travaillé sur plusieurs textes de Marie de France (Lais du Bisclavret, du Chèvrefeuille et des Deux Amants) et sur La Complainte du Prisonnier de Richard Cœur de Lion, agrémentés d’un dossier contenant des informations contextuelles, phonétiques et linguistiques. L’enregistrement de ces textes en ancien français – qui nécessite une connaissance et une maîtrise pointilleuse de la langue – puis dans leur traduction, s’est déroulé au studio de l’Université de Rouen. Quatre étudiant.e.s ont ainsi prêté leur voix pour ces textes anciens, qui ont été ajoutés à la poétothèque sonore.

Cet usage pédagogique au service du projet nous parait enrichissant et intéressant à bien des égards, et nous espérons pouvoir réitérer l’expérience dans le futur.

Nous n’avons pas encore eu l’opportunité de travailler avec d’autres établissements scolaires, mais cela fait partie de nos ambitions pour l’avenir (dans le cadre de l’appel à projet « Territoires Ruraux, Territoires de Culture » de la DRAC, nous avions construit, en 2024, un projet autour de l’œuvre de Paul Harel, poète ornais, avec un collège portant son nom. Il n’a malheureusement pas été validé).

Par ailleurs, une newsletter consacrée à la Poétothèque Sonore de Normandie est envoyée chaque mois à nos contacts, parmi lesquels un grand nombre de médiathèques, bibliothèques, associations culturelles ou mairies de la Région (250 au total). Une rubrique « le poète du mois » permet notamment de donner un coup de projecteur sur l’un.e des poète.sses. L’occasion de valoriser régulièrement nos collections auprès du public.

 

4.    M-C R : Quelle est la place des femmes-poètes dans la structure ? Comment la faites-vous connaître ?

 

MG : Nous accordons un intérêt tout particulier aux poètesses dans ce projet.

Invisibilisées et sous représentées dans le monde poétique, ce projet est l’occasion de les sortir de l’ombre (les noms de Madeleine Chosson, Suzanne Plécéla, Princesse Bruyère ou encore Lucie Coueffin n’apparaissent dans aucune anthologie) et faire découvrir leurs œuvres.

Un véritable travail généalogique et biographique est alors effectué afin de pouvoir retracer la vie et l’œuvre de ces femmes.

 

5.     M-C R : Diriez-vous que des enjeux spécifiques sont à l’œuvre concernant leur travail ? leur statut ?

 

MG : Notre principal enjeu est d’accorder à ces femmes une plus grande place que celle qui leur a été accordée jusqu’alors. Même si elles sont toujours minoritaires, nous souhaitons que la Poétothèque Sonore soit un espace d’informations majeures sur ces poètesses et leurs œuvres.


 

Entretien avec Georges Buisson et Vanessa Weinling

Ancien administrateur du domaine de Nohant, Georges Buisson est actuellement Président du conseil d’administration de la Maison de la culture de Bourges et membre de la commission nationale des Centres culturels de rencontre.

Il est l’auteur de Regards sur le Palais Jacques Cœur aux Éditions du patrimoine, entre autres. Son dernier ouvrage George Sand en ses jardins a été publié aussi chez L’Harmattan. Il donne régulièrement des conférences et réalise pour l’association « Paroles Publiques », implantée à Bourges, plusieurs lectures théâtralisées.

 

Vanessa Weinling est la directrice du musée George Sand et de la Vallée Noire.

 

1.      Marie-Clémence Régnier : Pourriez-vous présenter s’il vous plaît le « musée George Sand et de la Vallée Noire » ?

 

Vanessa Weinling : Le musée George Sand et de la Vallée Noire est un musée municipal créé en 1876 à partir de diverses collections historiques en lien avec l’histoire de La Châtre, dans un premier temps puis des collections scientifiques qui se sont constituées avec diverses donations. Installé dans une salle de la mairie, il rejoint en 1939 l’ancien donjon de la ville devenu le musée privé de Jean Depruneaux, collectionneur et bibliophile, passionné par le Berry de George Sand. À sa mort, la municipalité devient propriétaire des collections et du bâtiment en 1967. Le musée obtient l'appellation « Musée de France » en 2003. Le musée reste installé dans l’ancien donjon jusqu’en octobre 2016, date de sa fermeture au public. Il apparaît que cet emplacement ne permettait ni de renforcer les exigences en matière de conservation, ni de faire évoluer les conditions de présentation des collections dans le cadre d’une muséographie moderne, ni même de proposer une offre culturelle adéquate au public. L’ensemble des collections (près de 6 000 œuvres, dont près d’un millier en lien avec la romancière) est alors transféré dans des réserves externalisées créées en 2018.

Le projet scientifique et culturel validé en février 2020 par le Service des Musées de France s’est orienté vers l’aménagement d’un nouveau musée dans un nouveau lieu dans la ville. Plusieurs possibilités se sont alors présentées et à la suite d’une étude d’opportunité, de programmation et de faisabilité, la Ville de La Châtre a décidé en 2023 de déployer le nouveau musée au sein d’un bâtiment municipal en cœur de ville : l'Hôtel de Villaines.

Le parcours du futur musée ambitionne de présenter les multiples facettes de George Sand, personnalité emblématique du XIXe siècle et du paysage littéraire français, également figure d’avant-garde, à travers ses écrits, ses idées, son entourage, mais aussi par le biais de l’histoire du territoire qui l’a vu grandir, vieillir et qui l’a continuellement inspiré. Au moment où la modernité fait son apparition et où la France rurale commence à connaître les effets de la Révolution industrielle, George Sand affirme son intérêt pour les savoirs et traditions populaires et la ruralité. Elle a contribué à faire du monde rural un sujet artistique à part entière et a entraîné de nombreux artistes dans son sillage.

Ce déploiement s’inscrit dans la continuité des activités du « musée de Poche », musée provisoire ouvert en 2020. Cet espace temporaire présente à petite échelle une partie des collections du musée et permet de maintenir le lien entre les collections et le public avant la réalisation du musée définitif. Le musée de Poche fermera ses portes en septembre 2025 pour la période de travaux d’aménagement du futur musée, dont l’ouverture est prévue en 2029.

 

2.     M-C R : Pourriez-vous caractériser s’il vous plaît pour les lecteurs la nature des liens que George Sand entretient avec le Berry et avec Nohant, en particulier ?

 

Georges Buisson : Avant toute chose, George Sand n’est pas un écrivain régionaliste. Elle avait compris que pour aborder les grandes questions universelles, il lui fallait partir de l’infiniment singulier. Et cet infiniment singulier est en partie ce qu’elle nomma « La Vallée noire ». Il s’agit d’un territoire sensible à opposer au territoire administratif. Elle fut une des toutes premières à aborder ce que l’on appelle aujourd’hui « la lecture du paysage ». Il y aurait beaucoup à dire à ce propos. Ce territoire fictionnel est devenu en Berry une réalité que tout le monde s’est appropriée. George Sand fit aussi un travail d’ethnologie en sauvegardant la mémoire des paysages, la culture orale ou les musiques traditionnelles. Elle a contribué à établir une culture collective aujourd’hui partagée. Chacun, peut ainsi se prévaloir d’une perception environnementale largement influencée par certains romans, contes, lettres, articles de George Sand.

 

VW : Le Berry, et Nohant en particulier sont dans un premier temps, un lieu de vie pour George Sand. Elle y arrive enfant en 1808 avec ses parents puis y vit après la mort de son père aux côtés de sa grand-mère, dont c’est la demeure. Nohant fait figure de lieu d’apprentissage, de découverte, d’expérimentation et de refuge. Bien qu’elle n’écrive jamais directement sur Nohant, elle y compose une grande partie de son œuvre littéraire et y accueille de nombreux amis. Elle s’y installe quasi-définitivement après les évènements de 1848. Elle y décède en 1876.

George Sand a une approche très poétique du Berry qu’elle livre dans ses romans, au cœur duquel se situe un bocage singulier « la vallée noire ». Géographie fictionnelle qu’elle présente dans son roman Valentine dès 1832. L’appellation s’impose alors pour décrire et dénommer le pays de bocage dont Nohant serait l’épicentre. Dans cette poétique du Berry, George Sand se plait à évoquer les paysages et ses beautés simples aussi bien que les hommes et femmes qui le composent.

Le Berry n’est pas pour George Sand une province ordinaire. Elle, qui prétend vouloir y mourir (Histoire de ma vie, Chap I), dédie à ce terroir un ensemble de représentations aussi bien géographiques, sociologiques qu’ethnographiques. Ce Berry élargi (elle y inclut le nord de la Creuse) devient un sujet de prédilection pour l’autrice qui y situe la majeure partie de ses romans, articles, essais. L’association de George Sand au Berry est amplifiée de son vivant par son choix de d’y venir et d’y revenir régulièrement et définitivement à la fin de sa vie. Ce choix délibéré de délaisser la capitale parisienne pour une vie campagnarde achève de sceller la relation d’appartenance réciproque.

 

3.     M-C R : Comment présente-t-elle le Berry (population, lieux, paysages, mœurs, coutumes…) ? Constitue-t-il selon vous un espace de liberté, d’affranchissement et d’affirmation de soi de Sand par rapport à sa famille ? son mari ? le monde littéraire, centré sur Paris ?

 

GB : George Sand est une écrivaine, la première à vivre de sa plume. En tant que femme, et à l’inverse des écrivains, elle ne craignit pas de se livrer honnêtement et sincèrement dans ses écrits. Elle a fait de sa maison un des tous premiers centres culturels de rencontre. Nohant a accueilli un nombre incroyable de personnalités de tout premier ordre : musiciens, écrivains, peintres, philosophes, hommes politiques…. Sa maison était un creuset fécond pour la pensée. Sa correspondance nous ouvre totalement sa vision, ses aspirations, ses déconvenues. Elle nous permet d’être en relation intime avec elle. Cette partie de son œuvre est de l’ordre du privé. On peut y trouver George Sand entre chaque ligne. C’est ce qui la différencie totalement de Flaubert qui considérait, lui, qu’un bon écrivain ne devait rien livrer de lui-même dans ce qu’il écrivait. George Sand lui répond que pour elle, ce n’est tout simplement pas imaginable. Elle livre tout son cœur dans son œuvre. Le territoire est omniprésent dans ses romans et autres supports d’écriture, mais pas tous. D’autres s’enracinent dans d’autres contrées qu’elle a visitées au cours de ses voyages. Un autre de ses particularités était d’avoir un pied en Berry et un autre à Paris. Cette posture originale lui donna une acuité particulière.

 

VW : D’une façon générale, l’œuvre berrichonne de George Sand touche à tout (langue, mœurs, coutumes, musique, paysage) avec un intérêt jamais démenti ; du terroir qu’elle connait depuis sa prime enfance aux paysans qu’elle continue de côtoyer au fil des années. Tout est digne, selon elle, d’être sujet de roman ou d’article. Pour autant, il faut entendre que l’œuvre de George Sand dépasse les simples considérations régionalistes, voire folkloriques, dans lesquelles on l’a souvent cantonnée. En effet, elle parvient toujours en partant du particulier le plus simple (un village, un moulin, une mare) à faire de la littérature, c’est-à-dire de l’universel. Cette approche permet d’expliquer en quoi les paysans de George Sand s’éloignent de ceux d’Honoré de Balzac dans sa recherche d’un idéal politique de justice sociale. S’il existe un élément d’affranchissement personnel de George Sand, il s’agit essentiellement de l’écriture, quelle qu’elle soit, traitant du Berry ou non.

 

4.    M-C R : Comment présente-t-elle le Berry (population, lieux, paysages, mœurs, coutumes…) ? Constitue-t-il selon vous un espace de liberté, d’affranchissement et d’affirmation de soi de Sand par rapport à sa famille ? son mari ? le monde littéraire, centré sur Paris ?

 

GB : George Sand pose un regard singulier sur le Berry. Elle le connaît parfaitement depuis sa tendre enfance. Son éducation lui a permis de l’appréhender très concrètement. Son Berry n’en est pas moins idéalisé. Elle pressentit déjà tout ce qui menace aujourd’hui les grands équilibres naturels. En cela elle fut une écologique avant l’heure. Son roman « Le péché de Monsieur Antoine » en est l’exemple même. Dans son texte sur la Vallée Noire (La Vallée noire, 1857), elle fait œuvre d’une analyse précieuse sur les paysages et les habitants. Son approche est idéaliste. Elle opposait par conviction politique son style idéaliste à celui naturaliste dominant à son époque. Elle considérait qu’il lui fallait dépeindre les gens tels qu’ils devraient être et non tel qu’ils étaient. Les paysans de George Sand ne parlent pas le patois berrichon ! Par ailleurs elle a démontré l’impact du paysage sur l’homme et de l’homme sur le paysage. C’était une vision très avant-gardiste. Ainsi dans son roman « Les maîtres sonneurs » elle oppose les paysans des plaines à ceux des forêts. Les premiers étant plus dociles puisque vivant dans un site découvert, aux yeux de tous. Les seconds étant plus libres puisque protégés par les arbres. Elle n’est pas non plus une « aficionados » du Berry ! Elle aurait eu la même perspicacité si elle avait vécu dans une autre région. Il est vrai aussi qu’elle était très attentive aux cultures ancestrales qu’elle s’est plu à sauvegarder.

 

VW : D’une façon générale, l’œuvre berrichonne de George Sand touche à tout (langue, mœurs, coutumes, musique, paysage) avec un intérêt jamais démenti ; du terroir qu’elle connait depuis sa prime enfance aux paysans qu’elle continue de côtoyer au fil des années. Tout est digne, selon elle, d’être sujet de roman ou d’article. Pour autant, il faut entendre que l’œuvre de George Sand dépasse les simples considérations régionalistes, voire folkloriques, dans lesquelles on l’a souvent cantonnée. En effet, elle parvient toujours en partant du particulier le plus simple (un village, un moulin, une mare) à faire de la littérature, c’est-à-dire de l’universel. Cette approche permet d’expliquer en quoi les paysans de George Sand s’éloignent de ceux d’Honoré de Balzac dans sa recherche d’un idéal politique de justice sociale. S’il existe un élément d’affranchissement personnel de George Sand, il s’agit essentiellement de l’écriture, quelle qu’elle soit, traitant du Berry ou non.

 

5.     M-C R : Quand situer la patrimonialisation des lieux liés à Sand dans la région ? Quelles en sont les étapes et les foyers ? Sous quelles formes opère-t-elle (statuaire, toponyme, musée…) ? Qui conduit cela ? Comment opèrent les acteurs de cette valorisation entre eux sur le territoire ?

 

GB : La Maison de Nohant n’a été que tardivement sauvegardée en tant que patrimoine littéraire. Longtemps après la mort de Maurice, elle resta en déshérence. Aurore, la petite fille vint s’y réfugier pendant l’Occupation. A partir de là, elle s’y installa. La Maison fut d’abord donnée à l’Académie qui ne s’en occupa guère. Elle rejoint ensuite les monuments d’état. Aurore et Christiane Sand firent le maximum pour maintenir les maisons (Nohant et Gargilesse) en sauvegarde. A partir des années 2000 de grandes restaurations furent entreprises à Nohant. Le territoire vit au rythme de George Sand. Il faut dire que George Sand est la meilleure ambassadrice pour sa mise en valeur. Beaucoup de petits patrimoines entourent Nohant, des sites naturels repérables dans certaines œuvres de la romancières ou présents dans ses agendas, des bâtis où George Sand s’est rendue régulièrement… Toutefois, trois sites principaux identifient le territoire « sandien » Nohant, le musée de la Valée Noire à la Châtre et le projet « George Sand à Gargilesse ». Actuellement, la Drac Centre-Val de Loire réfléchit à la mise en place d’un projet de territoire autour de l’héritage de George Sand, pour le dynamiser.

 

VW : La patrimonialisation des lieux sandiens apparaît du vivant de la romancière, principalement en ce qui concerne Nohant qu’elle ouvre aux visiteurs et aux journalistes dans les années 1860. Il faut attendre la mort de George Sand en 1876 puis les différents évènements organisés à chaque anniversaire de sa naissance ou de sa disparition pour prendre la mesure de la patrimonialisation de la mémoire sandienne. En lien avec les gestes commémoratifs (1901-1904-1926-1954-1976-2004), les lieux de vie de la romancière sortent successivement de la sphère privée pour être proposés au public. La première étape consiste généralement par une pose de plaque commémorative sur un lieu de vie (Gargilesse en 1904). Advient ensuite le changement de statut du lieu qui devient un lieu touristique (Nohant dans les années 1960 après la mort d’Aurore Sand, dernière héritière), ou prend une nouvelle dénomination (le musée de la Vallée noire à La Châtre devient Musée George Sand et de la Vallée noire en 1954, puis le collège et lycée à La Châtre, ou de nombreuses rues et/ou bibliothèque en France). Les sites évoqués dans les romans sont intégrés dans des circuits touristiques dédiés (Route George Sand dans les années 1990, circuit de randonnée des Maitres Sonneurs dans les années 2000). Cette mise en tourisme répond à la fois à une demande de recherche d’identité locale par les habitants comme par les pouvoirs publics et à une volonté de valorisation d’une figure singulière qui favorise l’attractivité d’un territoire. Les établissements patrimoniaux concernés ont des gestions distinctes : Nohant est géré par le Centre des monuments nationaux, le musée George Sand et de la Vallée noire par la ville de La Châtre par exemple. Le service tourisme de la communauté de communes La Châtre Sainte-Sévère et l’Agence d’attractivité du département de l’Indre font office de coordonnateurs sur le territoire. D’un point de vue structurel, la tutelle du ministère de la Culture permet une concertation des acteurs sur des projets communs.

 

6.    M-C R : Que recouvre l’expression « Pays de George Sand », sur le territoire berrichon ? Peut-on parler d’une forme de labellisation culturelle et touristique du territoire ? Pourquoi cette démarche ? Qu’en retirent le territoire ? le public ? les partenaires culturels ?

 

GB : Ce sera tout l’enjeu du comité de pilotage initié par la Drac et la Préfecture de l’Indre. Trois outils complémentaires : une maison d’écrivain, un musée et un projet de développement du village de Gargilesse axé sur la passion de l’écrivaine pour les sciences naturelles. Cela permettra une véritable « immersion » dans la vie, l’œuvre, la pensée et les passions d’une des plus intéressantes écrivaines du XIXe siècle.

 

VW : Le terme « Pays de George Sand » n’est pas une appellation à proprement parler. Il n’a pas, par exemple, le statut de « Pays d’art et d’histoire » décerné par l’Etat. Il reprend les contours géographiques de l’appellation « Vallée noire » donné par George Sand au territoire qui entoure Nohant. Il entend apporter une identité sandienne commune à un territoire administratif afin de le faire émerger parmi d’autres paysages aux contours similaires (bocage). Il s’agit d’une volonté politique de coordination et de mise en réseaux des acteurs sur le territoire qui permet de proposer un ensemble cohérent pour le public. Les partenaires culturels en retirent une volonté commune de travailler et de valoriser le patrimoine architectural, littéraire et paysager d’un territoire mis en poésie par une autrice. Cette démarche de mise en commun des acteurs gagnerait en efficacité avec une structurations plus officielle.

 

7.     M-C R : Comment fonctionne le réseau des lieux sandiens, en particulier de nos jours, alors qu’une nouvelle maison-musée va voir le jour, à Gargilesse ? Quels sont les différents statuts de ces lieux ?

 

GB : Pour l’heure, il fonctionne a minima. Mise en commun de la communication, billets jumelés… Pour Gargilesse, il ne s’agit pas d’une maison-musée. Bien au contraire ! Il s’agit d’un projet novateur qui se décline à partir de quatre espaces singuliers : une maison, lieu du ressenti, un espace Maurice Sand lieu interactif ouvert sur des collections en lien avec la nature et sur une partie de l’œuvre de la romancière. L’espace Alexandre Manceau pour l’organisation d’événements : lectures, expositions, conférence. Une prairie naturelle témoin de la théorisation de George Sand du « Jardin en mouvement ». Quatre verbes majeurs rythmeront cette découverte : Ressentir. Voir Écouter et Observer.

 

VW : Le réseau des sites sandiens fonctionne par des échanges réguliers entre les acteurs (techniciens, élus), sans structuration particulière. A titre d’exemple, à l’occasion de la refonte complète du musée George Sand et de la Vallée noire de La Châtre, un comité scientifique de partenaires a été mis en place. Il est composé des autres sites sandiens du territoire, comme les maisons de George Sand à Nohant et Gargilesse (quelques-uns au niveau national, comme le Musée de la Vie romantique à Paris) ainsi que des partenaires culturels locaux susceptibles de travailler avec le musée. Les projets récents et concomitants de réhabilitation de deux sites sandiens majeurs après Nohant (musée de La Châtre, maison de Gargilesse) devraient pouvoir permettre la mise en œuvre de nouvelles habitudes de travail et de mise en réseau.

Sous quelles formes ces ancrages se manifestent-ils ailleurs que dans les lieux patrimoniaux à visiter ? (fictions, objets, événements, documents…).

 

GB : L’héritage de George Sand est multiple. Son approche est une sorte de kaléidoscope qui permet d’éclairer une œuvre, une pensée, une philosophie. La littérature, bien sûr déclinée de bien des manières : correspondance, contes, articles de presse, agendas, carnets de voyage, romans, pièces de théâtre...

Le théâtre : marionnettes et théâtre des acteurs vivants. La musique. George Sand était une mélomane passionnée. Liszt, Chopin et Pauline Viardot fréquentèrent et travaillèrent à Nohant. La musique populaire : toutes les musiques traditionnelles avaient droit de cité chez George Sand. La peinture. Maurice s’y adonnait, Delacroix, Lambert et Charpentier séjournèrent à Nohant. George Sand pratiquait l’art de la dendrite. La politique. George Sand est Républicaine convaincue et de gauche. Elle œuvra très directement dans la République de 1848. Son œuvre est avant tout engagée. Les sciences naturelles et la nature. Son jardin de Nohant est le reflet de sa philosophie. L’atelier de Maurice à Nohant et la maison de Gargilesse témoignent de tous ces engouements pour les plantes, les insectes et les minéraux. Tout cela peut et doit être mis en valeur pour appréhender un héritage précieux et multiforme. Il y aurait bien des connexions à faire, des initiatives à inventer. Il est indispensable que ce précieux héritage nous aide à nous interroger sur notre présent et notre futur. En cela George Sand mérite bien d’être la prochaine femme à « forcer » les portes du Panthéon ! Rarement un territoire peut à ce point être un outil de réflexion à l’aune d’une telle personnalité. Pour cela, il convient d’inventer notre manière de penser l’héritage littéraire en ne se contentant pas de reproduire des schémas existants !

 

VW. : Dans les musées de France, comme à La Châtre, le volet scientifique est indissociable du volet culturel. Il en est de même pour de nombreuses structures culturelles. La politique des publics est donc essentielle à la valorisation du patrimoine sandien. Cela passe nécessairement par une volonté de diversification et démocratisation des publics ; avec une attention particulière portée sur les jeunes publics. Chaque structure porte donc une programmation diversifiée et parfois commune (conférence, journée d’étude, visites commentées, spécifiques, accueil de scolaires, spectacles, lectures…).

 

8.    M-C R : Pourriez-vous nous présenter le projet de Gargilesse plus précisément, s’il vous plaît ?

 

GB : La Communauté de communes Eguzon-Argenton- Vallée de la Creuse a acquis en 2019 la maison mitoyenne de celle qu’Alexandre Manceau avait offert à George Sand dans le petit village de Gargilesse.

À partir de là, elle a souhaité mettre en place une Association de réflexion pour déterminer un projet de développement de territoire. Il s’agit d’une association fermée, de type EPCC, réunissant les élus de la commune de Gargilesse et ceux de la Communauté de communes. Ces élus ont désigné un certain nombre de personnalités qualifiées pour les associer à ce travail de réflexion. L’association a déposé officiellement ses statuts qui précisent sa composition et ses missions, en Préfecture de l’Indre.

Plusieurs techniciens de la DRAC, du Conseil départemental de l’Indre et de la Région Centre-Val de Loire sont invités à suivre les travaux de l’association.

Les membres de l’association se réunissent régulièrement, cinq à six fois par an, afin d’élaborer le contenu et la philosophie d’un projet qui s’intitule : « George Sand à Gargilesse ». Plusieurs études sur les collections, l’architecture, la scénographie, et la Prairie naturelle ont été réalisées.

Cette approche est une véritable démarche collective et citoyenne mêlant élus, habitant(e)s, personnalités compétentes et technicien(ne)s. Chacun y trouve pleinement sa place. Cette démarche est novatrice car elle se démarque de ce qui se fait habituellement en sollicitant des bureaux d’études qui se contentent le plus souvent de pratiquer de simples « copiés-collés ». Chaque réunion est ponctuée par un compte-rendu détaillé et officiellement adopté en conseil. Ces différents comptes-rendus racontent à leur manière l’histoire et le déroulé de la réflexion menée.

L’objectif à venir est de commencer prochainement les travaux pour une inauguration symbolique des différents espaces concernés, prévue à l’automne 2026, année célébrant les 150 ans de la disparition de George Sand. Ces espaces sont au nombre de cinq : « la Maison de George Sand », « L’espace interactif Maurice Sand », « L’espace d’activité Alexandre Manceau », « la Prairie Naturelle » et un circuit de promenade dans le village.

La philosophie générale du projet s’articule à partir de quatre verbes déterminants pour les futurs visiteurs et les habitants : « Ressentir, Voir, Écouter et Observer ». Le projet ne concerne qu’une partie de la vie de la romancière : celle qu’elle a amoureusement partagée avec Alexandre Manceau. Elle correspond pleinement à son engouement pour les sciences naturelles et sa vision écologique du monde. Ce projet est aussi conçu pour nous aider à réfléchir aux grands enjeux climatiques qui se posent aujourd’hui à nous.



[1] Associative, « [l]a Factorie est un espace de travail est de conseils où la poésie est non seulement accessible mais aussi vivante, inspirante et participative, répondant aux besoins des amateurs de poésie, des poétesses et poètes eux-mêmes, et des personnes cherchant à la découvrir. » Voir https://www.factorie.fr/la-maison/.

[2] https://www.factoriesonore.fr/poetotheque/.

, « », L’Entre-deux, () | juin 2025 | URL : http://www.lentre-deux.com/ | consulté le 20-06-2025