Anne-Marie Ortiz1 et moi-même2 travaillons ensemble depuis plusieurs années sur des projets variés – ateliers d’écriture, écriture, mise en scène théâtrales. Il sera question ici d’un atelier d’écriture mené en parallèle au sein de deux structures qui, a priori, avaient peu en commun : l’Université de Provence et la Maison d’arrêt des femmes de Marseille.
J’ai mené en 2019 un atelier d’écriture optionnel proposé aux étudiants de Licence 2 de Lettres Modernes. Quinze étudiants étaient inscrits dans cette unité d’enseignement au second semestre. Le programme, bâti en amont, avait pour enjeu la question du « JE » en littérature, entre autobiographie et autofiction. Centrale dans la production littéraire contemporaine et particulièrement intéressante pour les étudiants, l’interrogation de l’individu pris dans l’Histoire ouvre de vastes chantiers d’écriture. Chaque séance devait porter sur une œuvre récemment parue3. Enfin, un temps d’écriture dans un journal de bord, en fin de chaque cours, enregistrait les avancées et les questionnements soulevés par les séances. Le journal n’avait pas vocation à être communiqué tel quel, mais permettait, in fine, une relecture du parcours et une prise de recul, à la manière des journaux de création des écrivains. Les modalités de l’examen avaient été cadrées pour les étudiants. La forme du contrôle continu impliquait d’assister à toutes les séances. Les étudiants pouvaient remettre au fur et à mesure une série de travaux d’écriture (cinq textes courts) effectués pendant les séances. Ils avaient à produire, pour la fin du semestre, une « écriture longue » d’une dizaine de pages, accompagnée d’un texte de présentation. Chacun des deux types de travaux serait évalué sur la base de 10 points et le dossier complet était demandé pour la session de septembre.
De son côté, Anne-Marie Ortiz conduisait un atelier d’écriture et de théâtre dans le cadre des actions culturelles menées par le centre pénitentiaire des Baumettes. Six femmes d’âges et d’univers très différents participaient depuis plus de six mois à cet atelier.
Nous avions donc, Anne-Marie Ortiz et moi-même, des projets déjà relativement lourds pour le second semestre. Cependant, Rebecca Piednoir, responsable des publics dit « empêchés » au Théâtre national de La Criée de Marseille, nous lança comme un défi : faire travailler nos écrivants respectifs. Aussitôt évoquée, une telle expérimentation nous tenta ! Assises sur les canapés de velours rouge du hall d’entrée de La Criée, nous commencions à rêver notre atelier croisé… Nous instituâmes une règle du jeu commune pour les 13 séances de l’unité d’enseignement du semestre 4 d’AMU4 et les ateliers des Baumettes : écrire avec des consignes identiques. Il s’agirait ensuite d’échanger les productions afin de permettre une rencontre, celle des étudiants et des détenues à travers les textes : rencontre entre deux mondes, deux pratiques d’écriture. Anne-Marie Ortiz assisterait à l’atelier avec les étudiants, elle écrirait avec le groupe, puis elle donnerait les mêmes consignes dans son atelier. Les textes seraient ensuite retravaillés en dehors de l’atelier – en cellule, dans les chambres étudiantes, dans les bars, dans les salles de cours. Les premiers jets retravaillés seraient ainsi échangés, puis lus par l’autre atelier en début de séance suivante. Cette adresse des textes voyageant d’un lieu A à un lieu B avait pour but de créer un premier cercle de lecteurs et un premier niveau de socialisation. C’était donc déjà une forme de publication qui était proposée aux participants.
Nos deux institutions (l’Université et la Pénitentiaire), auxquelles nous avons soumis le projet, ont répondu de façon favorable. Elles ont même manifesté un certain enthousiasme. Toutes les autorisations nous ont été données en un temps record. Trois partenaires furent également associés : le Théâtre de La Criée (scène nationale sous la direction de Jean-Louis Benoit), le Théâtre off (scènes des écritures urgentes sous la direction de Frédéric Ortiz) et l’association du Carrefour des abeilles.
Deux séances supplémentaires avaient été prévues. Elles n’ont cependant pu avoir lieu : malheureusement, les autorisations de la pénitentiaire n’ont pas été accordées. Elles avaient été pensées à partir de spectacles donnés à La Criée : Le Roi Lear, de Shakespeare (mise en scène Jean-Claude Fall) et Débrayage, de Rémi de Vos (mise en scène Éric Vigner). Un travail autour de ces textes et de ces mises en scène a donc été mené, mais avec les seuls étudiants.
Enfin, dès le départ, une lecture publique portée par un comédien avait été envisagée. Chaque participant, en fin de parcours, sélectionnerait trois à cinq textes produits. Ces textes, d’une grande qualité pour la plupart, furent ensuite soumis à un comité de lecture (composé de deux comédiens et d’un metteur en scène). Celui-ci a retenu deux à trois textes par participant puis bâti une lecture performée qui proposait un parcours du collectif : il s’agissait de rendre compte de ces mois de compagnonnage entre les deux lieux. Le montage réalisé par le comité donnait à entendre des voix singulières articulées dans cette expérience collective, ce qui a permis une expérience d’écoute aux spectateurs. Ce travail a donné lieu à deux lectures publiques par quatre comédiens, dans les deux structures partenaires : le Théâtre off (avec un public invité) et le centre pénitentiaire (avec des détenues volontaires). Là encore, les autorisations de sortie n’ayant pas été accordées, les détenues n’ont pu assister à la lecture en ville, ni rencontrer physiquement les étudiants. Cependant, le lien textuel a joué sur tout un semestre, l’université et la prison s’ouvrant à une réalité sociale différente mais très riche, aussi bien pour le public estudiantin que pour les personnes incarcérées aux Baumettes.
Les journaux de bord des étudiants, ainsi que les discussions des détenues avec Anne-Marie Ortiz, ont permis de revenir sur certains points.
Écrire et partager dans le cercle de l’atelier est toujours une expérience forte pour les participants. Lus dans l’énergie de la proposition et de l’écriture, les textes permettent la triangulation des imaginaires. On s’émerveille, on s’étonne ou on s’amuse de la façon dont les autres ont attrapé la consigne. On apprend à reconnaître la petite musique de chacun. La voix peut se fêler sous le coup de l’émotion, le corps porte les mots, mais les imaginaires sont contenus dans le cercle des écrivants-lecteurs. Dans le projet dont il est ici question, une autre lecture habitait nos séances car nous savions que les textes retravaillés allaient être donnés à lire dans l’autre atelier. Anne-Marie Ortiz faisait la navette entre les Baumettes et le site universitaire de Saint-Charles, entre l’est et l’ouest de la ville. Dans son sac, dans les bus, dans le métro, les textes circulaient, comme un petit air de cavale et de liberté : sortir de la fac, aller à la rencontre d’une autre réalité ; sortir de prison, humer l’air du campus universitaire. Naya, Cécile, Claudia, Cynthia, Florence, Hélène, Clémence, Morgane, Nicolas, Malory, Mélisandre, Olivier, Jea et Carine découvraient des prénoms de femmes plus âgées qu’eux : Laetitia, Barbie, Amélie, Hassina, Nadège, Anita et Nadia. Inversement, Laetitia, Barbie, Amélie, Hassina, Nadège, Anita et Nadia découvraient les voix de ces jeunes gens qu’elles n’avaient jamais rencontrés. Au fil des séances, sans nous connaître, nous avons tissé un lien fait d’un même chemin parcouru en écriture. Un respect mutuel a été rendu possible par l’écriture, un partage intergénérationnel de parcours de vie avec ses accidents, ses doutes et ses espoirs.
La responsabilité de chaque membre de l’atelier, étudiants comme détenues, passait par le fait de se donner à lire. Il fallait donc se frotter à la réécriture, étape parfois compliquée pour nombre d’ateliers. « La littérature commence avec la réécriture et c’est la vraie épreuve de la littérature »5, déclare Alain Robbe-Grillet. Nous avons été témoins de la qualité de ce travail dans lequel s’étaient engagés les écrivants. Savoir qu’un deuxième cercle de lecteurs (dont l’auteur, finalement, ne savait rien) existait, engageait dans une véritable expérience d’expropriation de son texte. Ce fut, pour beaucoup, comme une première approche de la publication. Si les textes des étudiants étaient tous tapés à l’ordinateur, ce furent des feuilles manuscrites que nous reçûmes des Baumettes. Fragilité émouvante de ces lignes au stylo bille ou au crayon papier qui nous ont rejoints ! Il y avait comme une audace à se dire dans cet autre lieu, à oser une rencontre à travers les mots, les écritures, et la littérature contemporaine. La voix singulière de chacun·e s’est ainsi offerte au fil des séances.
Pour leur dossier final, les étudiants furent invités à donner les échos qu’ils souhaitaient, à partir de leurs journaux de bord, afin d’accompagner leur dossier d’une réflexion métatextuelle. Tous ont dit combien cette expérience fut importante pour eux. Les femmes incarcérées dirent, de leur côté, combien ces contacts, par le biais de la littérature, par auteur·e·s interposé·e·s, avec des jeunes gens, avait donné une bouffée d’air à leur atelier. L’expérience ultime pour les participants fut la lecture performée des deux restitutions : en milieu ouvert au Théâtre off à Marseille sur le Vieux-Port, en milieu fermé dans la salle de spectacles de la prison des Baumettes. La mise en espace des textes et la bande-son furent élaborées par Frédéric Ortiz, qui lut avec Annie Perrot et Lionel Mazari. Pour l’ensemble des deux groupes, cette expérience fut très forte et émouvante. Le seul regret demeure dans l’absence d’autorisation de sortie pour les détenues : elles ne purent assister à la lecture en ville. Trois étudiants, quant à eux, firent les démarches pour assister à la lecture qui réunit une cinquantaine de personnes aux Baumettes, dans la salle de spectacles.
Pour ma part, j’ai été animer deux fois l’atelier du quartier des femmes aux Baumettes. Je n’étais jamais entrée en prison. Je garde un souvenir très précis de la première fois, au printemps. La prison des Baumettes se trouve dans l’ultime axe de la ville, avant les Calanques (43°19’40.6"N 5°23’25.8"E). J’ai traversé toute la ville à vélo, avant de me retrouver devant le bâtiment construit au début du XXe siècle, ses murs et ses portes monumentales. Dans la cour où j’ai laissé mon engin, entre les pavés, sous le soleil, deux coquelicots. Une pointe de rouge et de lumière avant les sas et les portiques, le bruit et les odeurs fortes et entêtantes, les rangers des matonnes et le maquillage des femmes qui m’attendaient dans une toute petite salle. Quand la porte s’est refermée derrière nous, quand nous avons commencé à lire les textes des étudiants que j’avais apportés avec moi, l’atelier d’écriture s’est ouvert avec une grande simplicité pour moi. J’ai mis un visage sur les noms que je connaissais, j’ai mis une voix sur les textes que j’avais lus avec les étudiants. Puis j’ai proposé la séance en cours qui s’est déroulée dans une joie très émouvante.
Anne-Marie Ortiz a cité longuement cette expérience dans un article paru dans le numéro de fin d’année du journal intra-muros Monte Cristo publié par le centre culturel des Baumettes6. Le centre pénitentiaire des femmes (CPF) a également mis en avant cette expérience, invitant à la lecture publique les étudiants d’Anne-Marie et nombre de personnalités. Les deux institutions se sont félicitées de cette ouverture réciproque à une autre réalité et nous ont poussées à réitérer, sous d’autres formes, des ateliers croisés entre différents lieux, grâce au fil de l’écriture.
Je voudrais citer, en conclusion, le très beau projet du chorégraphe Angelin Preljocaj avec le quartier des femmes aux Baumettes. Pendant quatre mois, la documentariste Valérie Müller a filmé le travail d’Angelin Preljocaj auprès de détenues7. L’objectif du chorégraphe était de monter un spectacle inédit, « Soul Kitchen », qui fut donné devant des centaines de personnes, au Pavillon noir d’Aix-en-Provence et au festival international Montpellier Danse, en 20198. Malika, Annie, Sylvia, Sophia et Litale se livrent sur la dureté de la détention. La danse, dans leur quotidien fait de restrictions et de contraintes, est « un pied de nez aux barreaux », résume Sylvia. Le documentaire saisit avec empathie les corps et les cœurs des apprenties danseuses dans leur reprise de confiance, dans la jouissance des corps qui dansent, dans les pistes de réinsertion qu’un tel projet ouvre. Dans la modestie de la conduite du projet mené avec Anne-Marie Ortiz, j’ai senti de telles motions à l’œuvre. D’un même mouvement, l’écriture, la lecture et la prise de risque à laquelle tout atelier créatif ouvre, m’ont semblé peu à peu libérer les femmes de leur statut de détenues, comme les étudiants de leur statut parfois difficile de jeunes adultes en construction. C’est toute la question du regard que nous portons sur l’autre qui est en jeu. Comme Angelin Preljocaj, si humain, si confiant, qui pousse les détenues à « briser le plafond de verre », selon ses mots dans Danser sa peine, j’ai senti combien cet atelier d’écriture croisé fut bénéfique pour nous tous, animatrices comprises.
***
(Les séances 10 à 13 ont été consacrées au retravail des textes)
LES BRUITS DU MONDE.
DANS LA RUMEUR DU MONDE, JE M’ENTENDS.
1) Les rumeurs de l’information
1. Éloge de la radio, télévision, journaux : comment l’information, vient (ou ne vient pas) jusqu’à moi. Se rappeler comment j’ai appris l’élection de Barak Obama.
Se centrer sur des sensations : auditives, visuelles, tactiles, olfactives ; écrire au présent de l’indicatif, à la première personne du singulier.
2. Annie Ernaux, Les Années. À travers des photos, des souvenirs laissés par les événements et les choses, Annie Ernaux donne à sentir le passage des années, de l’après-guerre à aujourd’hui ; en même temps elle inscrit l’existence dans une nouvelle forme d’autobiographie, impersonnelle et collective.
Une articulation de la mémoire personnelle et collective, une « autobiographie impersonnelle », dit-elle. Un regard sur six décennies.
Proposition d’écriture, un diptyque.
A/ Une photo de moi qui aurait pu être prise en novembre, à la troisième personne, à la manière d’Annie Ernaux :
« Sur la photo d’intérieur, en noir et blanc, en gros plan, une jeune femme et un petit garçon assis l’un près de l’autre sur un lit aménagé en canapé avec des coussins, devant une fenêtre au voilage transparent, au mur un objet africain. Elle porte un ensemble en jersey clair, twin-set et jupe au-dessus du genou […]. » (p. 98)
B/ Puis des bribes de ce qui a été perçu, ressenti, autour de l’élection d’Obama, en « on », à la manière d’Annie Ernaux.
« C’était un printemps pareil aux autres, avec un mois d’avril à giboulées et Pâques qui tombait tard. On avait suivi les jeux Olympiques d’hiver avec Jean-Claude Killy, lu Élise ou la vraie vie, changé fièrement le R 8 contre une berline Fiat, commencé Candide avec les premières G, ne prêtant qu’une attention vague aux troubles des universités parisiennes relatés à la radio. […] Un soir on a entendu des voix haletantes sur Europe 1 […]. » (p. 102)
2) Les échos du silence
1. Éloge du silence. Quand est-ce que j’écoute le silence ? À quel moment les bruits du monde se taisent-ils autour de moi ? En quoi le silence est-il agréable, palpable, désiré ? Si l’on peut dire avec John Cage qu’il n’existe pas de silence total, on peut affirmer que le silence ne cesse jamais d’impliquer son contraire et que seul le fond sonore de notre environnement nous permet de le reconnaître. Le silence, c’est du temps perforé par des bruits. Le silence est la couleur des événements : il peut être léger, épais, gris, joyeux, vieux, aérien, triste, désespéré, heureux... Il se teinte de toutes les infinies nuances de nos vies. Sans cesse, si on l’écoute, il nous parle et nous renseigne sur l’état des lieux et des êtres, sur la texture et la qualité des situations rencontrées. Lieu de la conscience profonde, il fonde notre regard et notre écoute. Le silence intérieur : comment, dans le tumulte des pensées, fantasmes, images qui nous habitent, peut-on arriver à retrouver le silence en soi ? Artistes, poètes, philosophes, mystiques savent depuis toujours que dans l’attention au silence de la pensée s’enracine toute créativité. Que de lui, ainsi que l’exprime un Koan zen, s’élève l’esprit immortel. Dans un monde de plus en plus bruyant, la valeur du silence est à redécouvrir. Nous l’avons peut-être oublié, nous sommes des êtres porteurs de toute la sagesse immémoriale du silence. Un luxe ? Dans nos sociétés assourdissantes, c’est comme entrer en résistance. Depuis de nombreuses années, le bruit occupe la première place du classement des nuisances de notre quotidien. Tumulte de la circulation, sonneries intempestives, musiques d’ambiance... Nos oreilles, baignées dans un flot interrompu de sons, aspirent au repos. Ce n’est pas un hasard si le film Le Grand Silence, consacré à l’existence solitaire et silencieuse des moines chartreux, a attiré plusieurs dizaines de milliers de spectateurs à sa sortie dans les salles, fin 2006. « Dans un monde saturé par le bruit et la parole, le silence fascine », remarque l’anthropologue David Le Breton. Fascine, certes, mais dans une certaine limite. Car il est avant tout un paradoxe. : « La plupart d’entre nous le recherchent autant qu’ils le fuient », souligne le philosophe Michel Lacroix.
Écrire mon éloge du silence.
Au présent de l’indicatif et à la seconde personne du singulier.
2. Jean-Louis Fournier, Où on va Papa ?
Écrire à partir d’un patron syntaxique. Utiliser ce texte comme un patron (on reprend la forme de l’anaphore, on calque son texte sur celui de Fournier). Une personne, ou des personnes qui ont joué un rôle dans mon histoire. Interroger leurs silences, à partir de la forme du chapitre. (p.106-108)
– Un inventaire, en 13 courts paragraphes, de ce qui n’a pas été fait, dit etc. Reprendre la forme du leitmotiv de l’anaphore « Si vous aviez été » puis la transition.
« Si vous étiez (si tu étais…) comme tout le monde, je vous aurais… »
« Mais si vous aviez été comme tout le monde, vous auriez été tout le monde »
« Peut-être que vous n’auriez pas… »
– Puis 6 courts paragraphes avec l’anaphore « vous seriez… / vous auriez… ».
– Terminer par : « et peut-être vous… » « On l’a échappé belle. »
3) Les échos de la parole
1. Éloge de la parole. L’éloge ou la bénédiction, puisqu’en grec ou en latin, c’est la même chose : celle de prononcer le bien, le mérite, la qualité insigne qu’il faut reconnaître à quelqu’un, à quelque chose. L’éloge est l’exécution d’une dette, la restitution d’un dû.
La parole est ce qui nous rend humain, nous différencie des animaux. Nous sommes des êtres baignés de paroles, et certaines paroles nous ont marqués, ont fondé des étapes dans nos vies.
Faire mémoire des paroles importantes de nos vies. Faire un inventaire, à la manière de Prévert : « celui qui, celle qui m’a dit… » À la troisième personne, au présent de l’indicatif. On peut commencer par une date, ou simplement « un jour », indiquer la personne qui nous a parlé, ou celle à qui on a parlé. Faire l’inventaire de ces paroles, dire en quoi elles furent bonnes et bénéfiques.
2. Atiq Rahimi, Syngué Sabour, pierre de patience.
Une femme musulmane, en Afghanistan ou ailleurs, est au chevet de son mari plongé dans un com profond. Dans une ville en proie à une guerre fratricide, où les hommes se battent pour le pouvoir, elle est abandonnée par sa famille, par sa belle-famille et ses amis, et s’occupe de son mari comme elle le peut, dans l’espoir qu’il se réveille. La solitude la pousse à se confier à son époux qu’elle connaissait finalement si peu, dont elle est désormais l’égale. Elle peut se confier à lui au rythme de son souffle, tout dire de ses sentiments, de ses frustrations et de sa colère, sans qu’il réagisse et l’interrompe en la remettant à sa place de femme. L’homme devient sa « syngué sabour », cette « pierre de patience » qui boit le malheur qu’elle entend avant d’éclater et de délivrer celui qui s’est confié...
Dans la lignée de ses précédents romans, Atiq Rahimi dénonce la condition des femmes dans un pays détruit par des luttes religieuses et de pouvoir. Il démontre la faiblesse et la lâcheté d’hommes qui, pour garder leur position dominante, amenuisent chaque jour un peu plus les libertés des femmes, symboles de la tentation. Il montre l’absurdité de la violence et de la haine et les oppose à la dignité et au courage.
Lire p. 99-100 ; 103-104. Un texte en deux temps.
A/ Écrire à sa pierre de patience, cette pierre magique, que dans la mythologie perse on pose devant soi pour déverser sur elle ses malheurs, ses souffrances, des douleurs, ses misères… On lui confie tout ce qu’on n’ose pas révéler aux autres…Et la pierre écoute, absorbe comme une éponge, tous les mots, tous les secrets jusqu’à ce qu’un beau jour elle éclate… Ce jour-là on sera délivré.
Ce texte ne sera pas lu, il restera entre moi et moi.
B/ Transposer dans la fiction ce texte autobiographique. Changer de sexe, d’âge, d’époque éventuellement, de milieu social etc. Reprendre dans le texte autobiographique ce que l’on voudra (ça peut être un détail, ou l’ensemble), et le transposer dans la fiction. Ce deuxième texte sera reçu comme de la fiction, on ne cherchera pas à démêler le vrai du faux. On peut garder l’idée de la parole adressée à une pierre de patience, ou choisir de faire agir les personnages, faire écrire une lettre, faire dialoguer etc.
4) Les plaisirs minuscules
1. Célébration d’un sens « castré » dans notre civilisation : l’odorat. Philippe Delerm, « L’odeur des pommes » dans La Première Gorgée de Bière (1997).
Repérer les stylèmes de Delerm : le « on » qui généralise et invite le lecteur à se projeter dans la scène racontée, relayé souvent par le « vous » ; le présent de narration et le jeu sur le passé, le futur ou le conditionnel qui se télescopent ; l’attention aux détails qui rendent la vision précise, mais absence de description générale, les notations émanant des sens. Des phrases courtes, parfois non verbales ; une ouverture finale qui rejoint une sorte de sagesse. Terminer par les mots de Delerm : « C’est celle d’une vie plus forte, d’une lenteur qu’on ne mérite plus. »
« L’odeur des pommes On entre dans la cave. Tout de suite, c’est ça qui vous prend. Les pommes sont là, disposées sur des claies – des cageots renversés. On n’y pensait pas. On n’avait aucune envie de se laisser submerger par un tel vague à l’âme. Mais rien à faire.
L’odeur des pommes est une déferlante. Comment avait-on pu se passer si longtemps de cette enfance âcre et sucrée ? Les fruits ratatinés doivent être délicieux, de cette fausse sécheresse où la saveur confite semble s’être insinuée dans chaque ride. Mais on n’a pas envie de les manger. Surtout ne pas transformer en goût identifiable ce pouvoir flottant de l’odeur. Dire que ça sent bon, que ça sent fort ? Mais non. C’est au-delà... Une odeur intérieure, l’odeur d’un meilleur soi. Il y a l’automne de l’école enfermé là. À l’encre violette on griffe le papier de pleins, de déliés. La pluie bat les carreaux, la soirée sera longue... Mais le parfum des pommes est plus que du passé. On pense à autrefois à cause de l’ampleur et de l’intensité, d’un souvenir de cave salpêtrée, de grenier sombre. Mais c’est à vivre là, à tenir là, debout. On a derrière soi les herbes hautes et la mouillure du verger. Devant, c’est comme un souffle chaud qui se donne dans l’ombre. L’odeur a pris tous les bruns, tous les rouges, avec un peu d’acide vert. L’odeur a distillé la douceur de la peau, son infime rugosité. Les lèvres sèches, on sait déjà que cette soif n’est pas à étancher. Rien ne se passerait à mordre une chair blanche. II faudrait devenir octobre, terre battue, voussure de la cave, pluie, attente. L’odeur des pommes est douloureuse. C’est celle d’une vie plus forte, d’une lenteur qu’on ne mérite plus. »
2. Barthes, Journal de deuil.
À partir de ses notations brèves, au jour le jour, on suit Barthes dans son « travail de deuil », dans l’apprivoisement de l’absence et de sa propre finitude. Non destiné à être publié, ce texte est d’autant plus intéressant qu’il est écrit en même temps qu’un autre texte, La chambre claire, réflexion puissante et passionnante sur la photographie. Comme si la mort, son expérience, engendrait en même temps autre chose. Ce que disait autrement Montaigne dans son célèbre « Philosopher, c’est apprendre à mourir ».
À partir de ce texte, trois propositions :
A) Peut-être ai-je vécu un deuil : en reprenant la forme du journal et des notation brèves, en empruntant à Barthes certaines de ces expressions, je peux refaire par l’écriture le chemin que j’ai vécu.
B) Toujours sur ce modèle, mais du côté de la fiction, écrire le journal de deuil d’une personne qui n’existe pas, et que j’inventerai, à la manière de Tom est mort de Marie Darieussecq, ou encore comme le « roman familial » dont parle Tanguy Viel dans Paris-Brest.
C) Écrire le journal loufoque de quelque chose que l’on a perdu, don’t a fait le deuil (la cigarette, un type de nourriture dans le cas d’un régime, une forme de liberté quand on se met en couple, quand on a des enfants, mon jeans préféré etc.). Ne pas hésiter à forcer le trait, à aller du côté de l’héroï-comique.
5) Ma vie par procuration
1. Célébration d’un rituel. Penser à une chose que je fais tous les jours, toujours de la même façon, qui est pour ainsi dire un rituel pour moi. Commencer par faire une liste, comme un inventaire, sans verbe, de tous les mouvements que je fais, de l’endroit où je suis, des paroles que je dis s’il y a lieu. Puis écrire ce rituel, de façon décalée, comme une recette de cuisine ou une notice d’emploi, au « vous », avec des impératifs ou alors sans pronom et à l’infinitif.
2. Jean Echenoz, Courir.
Depuis Au piano, où il parlait de Ravel, Échenoz interroge la bio-fiction, c’est-à-dire qu’il creuse un destin pour en faire du romanesque. Une question qui m’intéresse, à la croisée des chemins de l’écriture : moi-le monde. Regardant la vie d’un autre, ici un autre célèbre, en lui inventant son destin, l’écrivain dit quelque chose de lui-même. Ainsi, en allant dans le détail du texte de Courir, j’ai traqué les traces d’Échenoz, des traces qui donnent l’impression que le romancier connaît l’histoire du personnage, presque qu’il l’a vécue, qu’il l’a inventée et lui a donné une portée romanesque. La grande familiarité avec son personnage, les détails qui vont forger le destin, font « vivre une expérience charnelle au lecteur », comme celle de la course à pied.
Plusieurs faisceaux de procédés conduisent à cette impression :
– Les prolepses, facile, puisque tout le monde connaît cette histoire, mais elles mettent le romancier en action, dans sa place même de raconteur de l’histoire.
– Le présent, tantôt présent d’énonciation, tantôt présent de narration, qui donne cette impression de proximité avec le personnage.
– Le prénom : il appelle son personnage toujours par son prénom.
– Le style oral.
– Les détails, marque du style d’Échenoz, qui permet d’incarner le réel, ce que Luc Lang appelle « la matière romanesque ».
– Le discours direct (+ incises) qui rapporte des paroles que seuls les témoins ont pu savoir.
– Technique reprise dans le discours indirect, discours inséré dans le flot de la phrase, en grande proximité avec le personnage.
– Le discours indirect libre.
– La fausse identité d’un narrateur intradiégétique.
– L’intrusion de la voix narrative, sous la forme d’un « on » d’un « nous », d’un « je » qui réfléchit aux implications narratives, se parle à lui-même par le biais d’un « tu », ou d’un « je » sous-entendu qui s’adresse directement à Émile par un « tu », d’un « je » qui s’adresse au lecteur par un « vous »…
A/ Un biographème : à la manière de Barthes, en dix dates, donner des éléments-clés de la vie de votre personnage ; vous pouvez déjà inclure un ou plusieurs épisodes que vous inventez.
B/ Une adresse directe à votre personnage : un texte en « tu », dans lequel vous lui racontez le rôle qu’il a joué dans votre existence, pourquoi il vous fascine, vous intéresse.
C/ Une rêverie sur l’onomastique
« Pendant les six années, les deux mille jours qui vont suivre, il sera l’homme qui court le plus vite sur la Terre en longues distances. Au point que son patronyme devient aux yeux du monde l’incarnation de la puissance et de la rapidité, ce nom s’est engagé dans la petite armée des synonymes de vitesse. Ce nom de Zatopek qui n’était rien, se met à claquer universellement en trois syllabes mobiles et mécaniques, valse impitoyable à trois temps, bruit de galop, vrombissement de turbine, cliquetis de bielles ou de soupapes scandé par le k final, précédé par le z initial qui va déjà très vite : on fait zzz et ça va tout de suite vite, comme si cette consonne était un starter sans compter que cette machine est lubrifiée par un prénom fluide : la burette d’huile Émile est fournie avec le moteur Zatopek. » (p. 93)
À la façon de cet extrait, vous allez jouer avec le signifiant du nom de votre personnage, essayer de faire des liens avec les signifiés personnels qu’il vous inspire. Vous pourrez par exemple reprendre les passages soulignés pour construire l’onomastique de votre héros.
A/ À partir du biographème, vous allez trouver un creux dans l’existence de votre personnage, un silence de la biographie officielle, et dans ce silence, vous allez inventer un épisode. Vous vous resservirez des procédés échenoziens dégagés en amont.
B/ Avec tous vos fragments, vous allez penser à faire un seul texte, voire à choisir les autres épisodes qu’il faudrait inclure pour faire un récit fini.
C/ Vous choisirez un titre, à la Échenoz, un verbe à l’infinitif.
6) Mon roman familial : « On est fait de mille autres »
1. Célébration de mes rêves. J.-B. Pontalis, Le Dormeur éveillé (2004).
À partir de ses « Vœux non exaucés (à ce jour) », faire l’inventaire de tout ce que je n’ai pas encore fait, à l’infinitif.
Avec J.-B. Pontalis, « je est l’Un et l’Autre » – forcément. C’est d’ailleurs l’idée même de sa collection, où l’on trouve des auteurs comme Sylvie Doizelet, Guy Goffette, Marie Didier... « On est fait de mille autres. L’illusion, c’est le moi qui prétend être un », dit-il.
« Traverser l’océan Atlantique à bord d’un cargo mixte et pénétrer dans le port de New York accoudé au bastingage avant.
Être médecin de campagne et accoucher une jeune femme aux joues roses dans sa ferme isolée.
Écrire un roman de cinq cent pages que ses lecteurs trouveront trop court.
Savoir dessiner comme Dürer, peindre comme Bonnard.
Faire rire aux larmes les spectateurs d’un café-théâtre et qu’ils en redemandent.
Gagner un tournoi de tennis contre un joueur beaucoup plus fort que moi.
Nager le crawl en souplesse un kilomètre.
Être un personnage inoubliable d’un roman, Porthos par exemple ou le Prince Mychkine.
Avoir un tableau de Caspar David Friedrich dans mon bureau.
Rester en silence au moins un mois dans un monastère.
Ne pas me réveiller d’une anesthésie générale.
Avoir une petite sœur, ou une grande, ça dépend des jours.
Avoir connu ma mère, petite fille en train de jouer en riant avec son frère.
Avoir connu mon père en jeune homme furtivement indocile.
Être doué pour quelque chose, n’importe quoi : la course à pied, le piano, la maçonnerie, le jardinage, le trapèze volant.
Mettre un point final à ces pages et écrire une autre rêverie à défaut de pouvoir être visionnaire. »
2° Tanguy Viel, Paris-Brest. Incipit : un vrai-faux roman familial.
En psychanalyse, pour Freud, le « roman familial », c’est l’histoire qu’on s’invente pour rendre son histoire supportable, « fantasme particulier dans lequel le sujet imagine être né de parents de rang social élevé tandis qu’il dédaigne les siens […] variante le sujet impute à sa mère des liaisons amoureuses cachées ou alors il se considère comme le seul enfant légitime de sa mère. ». Le roman familial est souvent commun à tous les sujets d’une même famille, alors qu’on n’en a aucune preuve.
Vous allez reprendre cette idée de Tanguy Viel, introduire dans votre histoire familiale un personnage fictif et un autre personnage, vous, en train d’écrire. Ainsi dans Paris-Brest, le personnage-écrivain qui raconte à la première personne cette histoire, revient-il chez lui, avec dans sa valise un récit qui commence par la mort de sa grand-mère, très riche. Or, en arrivant chez lui, la première personne qu’il rencontre, c’est elle, mais bien vivante ! (lire des extraits des p. 71-76). Vous allez écouter la lecture de ces pages, en attrapant à la volée des mots et des expressions que vous introduirez ensuite dans votre texte.
Vous raconterez une scène, une vraie scène, qui appartient à votre passé, mais vous y introduirez votre personnage fictif et vous laisserez l’écriture guider la scène.
Vous pourrez commencer votre texte par cet incipit :
« Un roman familial sans………….., ai-je pensé en l’écrivant, ce n’est pas un vrai roman familial. Alors il avait fallu qu’il y ait……………. »
7) Un certain goût de l’enfance
1. Éloge du goût. Vous allez penser à des choses que vous mangiez enfant. Vous allez les décrire, essayer d’en retrouver le goût, de décrire la façon dont on vous l’a donné, dont on vous préparait cet aliment, de retrouver les sentiments qui s’associaient à ce goût. Une sorte de madeleine de Proust !
2. Mathieu Lindon, En Enfance.
Ce livre est comme une mosaïque retrouvée, un kaléidoscope braqué sur une enfance dont les images remontent et s’organisent en autant de petits récits fragiles et précieux, uniques, partageables, sauvés du désastre de l’âge adulte. Bonheur et malheur mêlés, ce sont de petites histoires de rien mais elles furent tout, et le redeviennent ici, miraculeusement. Petites brèves de trois pages à chaque fois, 111 en tout.
4° de couverture :
« Ça y est, à nouveau il est un enfant. Il veut s’accaparer celui qu’il a été. Cette fois-ci, l’enfance est une décision. Comme si un enfant l’attendait dans une grotte, protégé du monde et du temps depuis toutes ces années. Avec ses trésors et ses naufrages, il est ce voilier qui flotte à tout vent. Armé de souvenirs, de sensations retrouvées qui s’agglutinent, fidèles et infidèles, il sera à jamais cet enfant-là, dorénavant. À quoi ça sert, l’enfance ? On tombe là-dedans pour y faire quoi ? Être un enfant, c’est comme être un dinosaure, ça remonte si loin. Il veut devenir ce paléontologue contaminé par son objet d’étude à qui son âge n’interdit pas d’écrire pour de vrai l’autobiographie de celui qui pourrait aussi bien être son fils que son père. »
(Lecture fragments p. 26, 29, 30)
À la manière de Mathieu Lindon, à la troisième personne, au présent, évoquez un souvenir, en l’analysant, comme si vous aviez dix ans, avec les incompréhensions de cet âge qui n’a pas le même regard sur la vie que les adultes. Le texte au présent fera alterner la narration de l’événement et son analyse (alors au présent d’énonciation) par l’adulte que vous êtes, mais sans aucun sentimentalisme. Trouver, comme Mathieu Lindon des images pour cerner la nature du sentiment alors éprouvé et qui peut perdurer jusqu’à maintenant « L’humour est simple comme l’œuf de Christophe Collomb », « Qu’on prenne sa défense, il n’y a pas de plus beau cadeau », « il a honte que, à son égard, ces mots sonnent plus comme une dénonciation que comme une insulte ».
8) Marseille, printemps
1. Éloge du printemps : Notre vie est inscrite dans la linéarité du temps, un temps à rebours, de notre naissance à notre mort. Pourtant, nous vivons des expériences temporelles d’une autre teneur, celle du temps cyclique. Avec les menstruations des femmes, ou encore le cycle des saisons. De toutes les saisons, le printemps est celle que nous vivons peut-être le plus fort, car elle a maille à partir avec le renouveau, la renaissance. Au printemps l’air est différent, le corps commence à sortir de sa carapace d’hiver, les végétaux explosent et nous poussent à ressentir la poussée de la vie.
Saint Charles : à partir du texte de Walt Whitman, « Je demande », écrire la liste des demandes que je pourrais faire au printemps. Commencer par s’allonger par terre, laisser nos sens s’éveiller, écouter, regarder, sentir avec notre main, goûter l’herbe, sentir. Puis écrire.
Les Baumettes : lire le texte de Walt Withman, puis un des textes reçus de la fac. S’imaginer que vous êtes sur cette pelouse de la fac, imaginer les sensations.
2. Littérature Québécoise : J’ai l’angoisse légère de Francine Noël.
Un texte en écho : lire le passage, la fin du roman. Regarder vivre cet homme qui sort de l’hiver et d’un moment très particulier de son existence, un long temps de dépression. Fermer les yeux pendant la lecture, s’imaginer qu’on le suit dans ce parc de Montréal, au mois de mai, après ces hivers symboliques (dix ans de dépression) et l’hiver réel (il peut faire entre - 10 et - 30 pendant 6 mois). Les Québécois disent qu’ils sont le peuple à qui l’hiver « brûle la gueule » : autant dire que le printemps est vécu comme une libération.
Certaines phrases vont être relues. On en écoute une, on la recopie, puis on écrit pendant 3 minutes à partir d’une proposition d’écho.
– Je suis arrivée au pré de l’université par la pensée…
– Ce jour de mai ressemblait à ceux de mon, ma…
– J’ai aimé cette sensation de mousse et d’interdit…
– J’ai eu la fantaisie de m’allonger…
– J’ai senti que je faisais corps avec la terre et la patience de l’arbre, et j’ai été saisie par l’intense bonheur d’être en vie…
9) Marseille, printemps
1. Éloge du printemps.
Saint-Charles : Un premier temps d’écriture autour de la captation d’éléments du printemps, sous forme de haïkus. On commence par en lire, essentiellement des haïkus contemporains écrits par des auteurs français ; se rappeler comment ça fonctionne, puis on se déplace sur la pelouse, on regarde, on touche, on sent, et on s’arrête pour écrire comme on prendrait une photographie, lorsqu’un élément me touche.
Lecture de ces haïkus, réécrits sur des feuilles avec des feutres de couleurs, pour donner aux Baumettes.
Baumettes : mettre mes pas dans les pas des étudiants. Lire leurs haïkus, m’en imprégner, et à la suite en écrire d’autres, avec mes sens et les souvenirs de nature que ces textes font entrer chez moi.
2. Littérature québécoise : Catherine Mavrikakis, Le Ciel de Bay City.
Lecture p. 9-10 ; 80-82 ; 153-156.
Saint-Charles :
A/ Faire la liste de mes enfermements, les lieux, les choses, les gens, les questions. Juste une liste, qui ne sera pas lue. Puis sur chacun de ces enfermements, écrire un haïku.
B/ Écrire un texte de fiction en écho au Ciel de Bay City : quel est votre ciel, celui de vos enfermement ? Quelle couleur a-t-il ? Comme l’héroïne du Ciel de Bay City, racontez une scène de libération d’un enfermement. Que ferez-vous de cette liberté, de l’histoire dont on se lave ?
C/ Vous réintégrerez le plus possible de vos haïkus dans ce texte.
Baumettes :
A/ Faire la liste de mes libertés, de ce que la prison ne m’a pas ôté. Puis sur chacune de ces libertés, écrire un haïku.
B/ Écrire un texte de fiction en écho au Ciel de Bay City : quel la couleur de votre ciel, celui de votre liberté ? quel serait votre Gange ? Comme l’héroïne du Ciel de Bay City, racontez la scène. Que ferez-vous de cette liberté, de l’histoire dont on se lave ? Vous réintègrerez le plus possible de vos haïkus dans ce texte.
[1] Anne-Marie Ortiz est intervenante en charge des ateliers d’écriture et de récits de vie auprès des détenues femmes incarcérées pour de longues peines aux Baumettes. Depuis 2016, elle propose aux détenu·e·s condamné·es pour terrorisme violent des ateliers de récits de vie (Ateliers RDZ – Retour De Zone de guerre irako-syrienne) Ces ateliers adultes sont souvent pensés pour la famille élargie, et plus spécifiquement en direction des enfants qui vont être séparés pour longtemps de leurs parents. Les racines familiales sont abîmées, l’écriture est alors un moyen de recréer du lien, de mettre des mots sur la séparation.
[2] Corine Robet est professeure agrégée de lycée (enseignements de la spécialité HLP et option théâtre), chargée de cours à l’Université d’Aix-Marseille en lettres modernes et responsable pédagogique du DU d’animateurs d’atelier d’écriture. Ses travaux portent sur la didactique de l’écriture créative et sur son inscription historique dans l’enseignement supérieur. Elle a soutenu en 2019 une thèse dans la spécialité « Pratique et théorie de la création artistique et littéraire », sous la direction conjointe de Charles Juliet et Michel Bertrand, et a publié La chambre d’Ignace en 2021 aux éditions Lessius.
[3] Annie ERNAUX, Les Années, Paris, Gallimard, 2008 ; Jean-Louis FOURNIER, Où on va, papa ?, Paris, Stock, 2008 (prix Fémina) ; Atiq RAHIMI, Syngué Sabour, pierre de patience, Paris, POL, 2008 (prix Goncourt) ; Roland BARTHES, Journal de deuil, Paris, Le Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2009 ; Jean ÉCHENOZ, Courir, Paris, Éditions de Minuit, 2008 ; Tanguy VIEL, Paris-Brest, Paris, Éditions de Minuit, 2013 ; Mathieu LINDON, En Enfance, Paris, POL, 2009 ; Francine NOËL, J’ai l’angoisse légère, Montréal (Québec), Éditions Léméac, 2008 ; Catherine MAVRIKAKIS, Le ciel de Bay City (Grand prix du livre de Montréal), Montréal (Québec), éditions Héliotrope, 2009.
[4] Acronyme pour Aix-Marseille Université.
[5] Alain ROBBE-GRILLET, série « À voix nue » consacrée à Alain Robbe-Grillet sur France Culture en 1989.
[6] Journal qui a cessé de paraître, rédigé par les détenus et les intervenants.
[7] « Danser sa peine » (2019, 61 min), bande annonce : https://www.youtube.com/watch?v=4hAulRqMtJc (consulté pour la dernière fois le 7/6/2024).
[8] « Soul Kitchen » (2019, 30 min) ; voir : https://preljocaj.org/creation/soul_kitchen/ (consulté pour la dernière fois le 7/6/2024).
Résumé
Corine Robet, professeure agrégée de lettres en lycée, et Anne-Marie Ortiz, artiste en charge d’ateliers d’écriture et de récits de vie auprès des détenues femmes incarcérées pour de longues peines au centre pénitentiaire des Baumettes à Marseille, travaillent depuis de nombreuses années sur des projets communs : ateliers d’écriture, écriture, mises en scène théâtrales. Cet article revient sur les raisons, les modalités et les retombées artistiques, humaines et institutionnelles d’un atelier d’écriture qu’elles ont mené en parallèle en 2019 au sein de deux structures qui, a priori, avaient peu en commun : l’université d’Aix-Marseille, dans laquelle Corine Robet proposait un atelier d’écriture optionnel aux étudiantes et étudiants en Licence 2 de lettres modernes, et la Maison d’arrêt des femmes de Marseille, dans laquelle Anne-Marie Ortiz conduisait un atelier d’écriture et de théâtre. L’enjeu était de faire se croiser les écritures et se rencontrer deux mondes…
Abstract
Corine Robet, a high school literature teacher, and Anne-Marie Ortiz, an artist in charge of writing and storytelling workshops for women serving long sentences at the Baumettes penitentiary in Marseille, have been working on joint projects for many years: writing workshops, writing, theatrical productions. This article looks back at the reasons, methods and artistic, human and institutional repercussions of a writing workshop they ran in parallel in 2019 within two structures that, on the face of it, had little in common: the University of Aix-Marseille, where Corine Robet offered an optional writing workshop to students in Licence 2 de lettres modernes, and the Maison d’arrêt des femmes de Marseille, where Anne-Marie Ortiz led a writing and drama workshop. The aim was to bring together two worlds of writing…
Les retombées de ces écritures croisées sur les participant·es
La socialisation de textes, dans les deux ateliers