« Il est des thèmes, des sujets, trop énormes pour la fiction pour adultes ; on ne peut en traiter de manière satisfaisante que dans les livres pour enfants »1.
Ainsi Philip Pullman a-t-il décrit, en 1996, le pouvoir de la littérature de jeunesse dans son discours lors de la remise du Prix Carnegie, décerné au premier volume de sa célèbre trilogie À la croisée des mondes. S’il est connu pour y avoir abordé des thèmes aussi sérieux, profonds ou polémiques que le totalitarisme religieux, la pédophilie, la maltraitance et la conception métaphysique de l’univers (entre autres), l’auteur britannique y traite également d’écologie, et plus particulièrement de la menace de l’effondrement écologique à grande échelle. Publiée entre 1995 et 2000 en Grande-Bretagne, À la croisée des mondes a très rapidement rencontré un large succès dans le monde entier, tant auprès du public que de la critique. Si cette dernière s’est beaucoup concentrée sur les thèmes plus controversés, de prime abord plus centraux, il est indéniable que le discours écocritique est au cœur des préoccupations principales du texte. Ce discours se déploie en filigrane comme la toile de fond de l’œuvre, à la fois support et conséquence des événements diégétiques du premier plan.
D’un point de vue diégétique, la trilogie présente deux protagonistes enfants, Will et Lyra issus de deux mondes parallèles, dont le parcours à travers le multivers permet d’en sauver l’intégrité morale, spirituelle, mais aussi écologique. Leurs confrontations avec de multiples environnements, peuplades et espèces mettent en scène les conséquences écologiques des actions humaines, et posent la question du rapport destructeur des humains sur les écosystèmes. Le texte se sert des mécanismes de la fantasy, du merveilleux et de la science-fiction pour illustrer les enjeux environnementaux contemporains, et les mettre en lien, voire au cœur, du devenir du monde et de l’espèce humaine. Autrement dit, le voyage des protagonistes enfants sert à illustrer les résultats dévastateurs d’une catastrophe écologique de grande ampleur, et à questionner la responsabilité humaine, à un niveau individuel comme collectif, dans l’effondrement écologique – ou dans sa résolution.
La première partie de l’article suivant traitera de la façon dont l’auteur utilise les figures animales, motifs récurrents de la littérature de jeunesse, pour (re)définir la place et la nature de l’humain dans l’univers (multiple ou non). Il s’agira ensuite d’étudier la mise en scène de l’effondrement dans le texte, ainsi que son illustration des liens de causalité et des liens entre actions humaines et conséquences environnementales. Enfin, la dernière partie sera consacrée à la posture didactique de l’auteur, à sa façon de rendre l’exemple percutant pour son jeune lectorat, dans le but de le responsabiliser face à la question écologique.
Comme bon nombre d’œuvres pour la jeunesse, notamment de fantasy, À la croisée des mondes fait la part belle aux animaux, plus ou moins anthropomorphisés, et à la nature de manière générale. Cela permet à l’auteur de questionner l’essence même de l’être humain, en lien avec le reste du vivant ; mais également la place de l’humain dans l’univers, celle qu’il cherche et prend dans son rapport à l’Autre, représenté par des espèces et modes de vies alternatifs, réservoirs de symboles et de métaphores applicables à la réalité. Dans son article « The Critics, the Monsters, and the Fantasists », Ursula K. Le Guin note que « souvent, ce que fait la fantasy, c’est inclure le non-anthropocentrique pour le rendre essentiel »2. Dans sa trilogie, Pullman met cette idée en œuvre de manière quasiment littérale : dans le monde qu’il crée dès le premier roman, chaque personne est accompagnée d’un dæmon, projection externe d’une partie de son âme, incarnée sous forme animale. Cette relation illustre l’un des effets du roman de fantasy, selon Don D. Elgin :
La littérature, et particulièrement le roman de fantasy, offre à l’humanité un moyen de se réintégrer dans le monde naturel et, ce faisant, lui propose une nouvelle relation avec les créatures qu’elle côtoie3.
Dans À la croisée des mondes, cette nouvelle relation se situe dans la nature même de l’humain, qui est double, et contient une part animale. L’individu ne peut exister sans elle, meurt si elle est tuée, souffre si elle est blessée, partage ses sensations et sentiments. En d’autres termes, dans ce monde parallèle, tous les individus sont des incarnations de la notion même de symbiose entre humains et animaux, entre humanité et nature : leur survie dépend de celle de l’autre. Lorsque, plus tard, Lyra croise des habitants d’autres mondes dépourvus de dæmons, il est vite affirmé qu’ils y existent en fait bel et bien, mais sont internes et donc invisibles. Aussi, l’existence de dæmons, visibles ou invisibles, place l’animal au cœur de la vie humaine, et souligne un lien essentiel, vital, entre eux. Dans sa lecture écocritique de la trilogie, Gry Ulstein nous dit d’ailleurs que
l’évolution selon Pullman, si l’on peut dire, des humains dans le monde de Lyra suggère immédiatement leur relation avec les créatures non-humaines et la nature qui dépasse de loin ce à quoi le lecteur est habitué4.
Dans l’œuvre, cette création fictionnelle se présente comme la conscience de l’être humain : le meilleur exemple est évidemment celui de Lyra, que son dæmon Pantalaimon ne cesse de rappeler à l’ordre lorsqu’elle enfreint les règles, de prévenir lorsqu’elle se met en danger, et de conseiller lorsqu’elle est en difficulté. C’est également visible dans la plupart des relations entre les protagonistes humains et leur dæmon ; et il apparaît bien souvent que c’est par l’interaction et la communication entre les deux que se prennent les décisions les plus éclairées5. Cela semble suggérer que, pour agir et prendre des décisions en son âme et conscience, l’humain doit prendre en compte sa part animale, et donc sa place dans le monde naturel.
Les actions du Magisterium, entité antagoniste qui représente le pouvoir autoritaire, illustrent quant à elles les exactions humaines qui engendrent la disparition des espèces animales, et donc à terme, celle du genre humain. En effet, le Magisterium enlève, torture et tue des dizaines (voire des centaines) d’enfants en tentant, pour des raisons idéologiques, de les séparer de leur dæmon. Autrement dit, dans une démarche littéralement contre-nature, il tranche leur lien avec la nature, leur arrache leur part animale. Cela ne provoque que souffrance et destruction, et ce à plusieurs niveaux : les individus mutilés endurent une procédure extrêmement douloureuse, et en ressortent traumatisés, voire n’en ressortent pas. La violence des événements est telle, d’ailleurs, qu’elle affecte également le personnel qui ne la subit pas :
Mais pendant un certain temps, la seule option était d’arracher, purement et simplement, […] malgré le désarroi que cela causait chez les techniciens adultes. Si vous vous souvenez bien, il a fallu en congédier un certain nombre pour causes de troubles de l’anxiété liés au stress6.
Celles et ceux qui y survivent sont vidés de toute capacité d’imagination et d’initiative, passifs, incapables de réfléchir par eux-mêmes. De plus, ils représentent une monstruosité aux yeux des humains entiers. En effet, comme on peut le lire lorsque Lyra rencontre un enfant sans son dæmon dans un village de l’Arctique,
Un être humain sans son dæmon était comme une personne sans visage, ou avec la cage thoracique ouverte et le cœur arraché : quelque chose de dérangeant et de contre-nature, qui se rapprochait plus d’un spectre issu d’un cauchemar que de la perception rationnelle d’un esprit éveillé7.
Outre sa violence pour la victime et ses bourreaux, la procédure de séparation (dite « intercision ») a également des conséquences à plus grande échelle : dans un parallèle tout juste voilé avec la fission de l’atome, il est dit que la séparation d’un humain et de son dæmon libère une énorme quantité d’énergie. À la fin du premier roman, l’explorateur et chercheur Lord Asriel parvient à instrumentaliser cette énergie pour ouvrir un passage vers un monde parallèle. Cela a pour conséquences, dans les mois qui suivent, de perturber le climat et les écosystèmes de tout le multivers. Plus tard dans le troisième volume, c’est finalement bel et bien une bombe atomique qui est déclenchée par la même procédure, ouvrant une brèche profonde dans le tissu du multivers qui menace d’engloutir toute vie.
On peut donc constater que ce lien entre humain et animal, entre humain et nature, représenté par les dæmons, est au cœur du bon fonctionnement et de l’équilibre du multivers. Endommager ce lien, voire le rompre, menace les individus comme le collectif, l’universel. Le texte le souligne plus avant en introduisant d’autres espèces animales (ou non-humaines), cette fois bien distinctes de l’espèce humaine, dont la caractérisation et le traitement servent de repoussoir aux comportements des majorités humaines.
La première espèce introduite est le peuple des panserbjörne, ou ours en armure. Autre espèce pensante du monde de Lyra, ce sont des ours polaires géants, capables de parler, de construire, de forger des armures pour lesquels ils sont même célèbres. Ils ont leurs propres coutumes et mode de vie, différents de ceux des humains. Pour cela, ainsi que pour leur nature animale, ils sont méprisés, traités en parias hors de leur territoire et même chassés de leurs terres ancestrales8. Bien que conscients et dotés d’une culture propre, ils sont systématiquement considérés comme inférieurs et traités comme tels : leur territoire est grignoté peu à peu par l’expansion humaine, utilisé comme prison, et leur mode de vie est altéré par leurs interactions avec les humains.
Le second exemple, plus tardif mais plus développé, est celui des mulefa. Contrairement aux ours, ce sont des créatures tout à fait imaginaires, issues d’un monde plus lointain du monde réel que celui de Lyra. Dotés d’un squelette en losange, d’une trompe, et d’une étrange capacité à se déplacer sur roues, les mulefa vivent en fait dans l’un des mondes parallèles les plus différents de la réalité présentés dans la trilogie. Leur monde est montré comme idyllique, quasi édénique, où ils vivent en parfaite symbiose avec la faune et la flore, dans une coopération universelle, sans rapport hiérarchique ni domination. Gry Ulstein relève leur importance :
Plus que quoi que ce soit d’autre dans la fiction de Pullman, les mulefa illustrent une vision alternative du monde comme écocentrique. […] Leur relation symbiotique avec [l’environnement] renforce l’alternative fantastique que Pullman propose à la place de la suprématie humaine sur Terre9.
Et pourtant, malgré leur respect pour la nature et l’absence d’humains dans leur monde, les mulefa subissent eux aussi les conséquences des agissements de ces derniers ailleurs. En effet, dans le multivers de Pullman, tout est lié, rien n’est indépendant du reste, et les agissements des humains dans leurs propres mondes ont provoqué, jusque chez les mulefa, l’effondrement de la flore qui les nourrissait depuis toujours. Le parallèle avec les peuples premiers, ou simplement les sociétés non-occidentales, impactées jusque dans leurs pays par une population étrangère à l’autre bout du globe, n’est pas difficile à faire. Les mulefa incarnent les effets à grande échelle de la destruction de l’environnement opérée par un groupe bien précis. En outre, leurs us et coutumes, ainsi que leurs sociétés propres, servent d’exemples d’altérité et d’alternatives au fonctionnement humain traditionnellement occidental, incarné par les divers hommes politiques, d’Église ou de science qui détiennent le pouvoir dans de multiples mondes. En effet, les incarnations de l’idéologie occidentale (et coloniale) de la course au progrès et de l’exploitation des ressources au mépris de l’environnement foisonnent dans les différents mondes parallèles10. Tous sont responsables, à plus ou moins grande échelle, de l’effondrement imminent de la vie dans le multivers. La nature non-humaine des mulefa et des ours en armure renforce encore la métaphore écologique, puisque les humains persécutent et détruisent littéralement des espèces animales.
On voit donc que dans ces trois cas, Pullman se sert de figures animales, non pas nécessairement anthropomorphisées mais mises en lien avec l’humain, pour souligner les effets universels (ou ici, multiversels) des dégâts provoqués par les hommes sur les écosystèmes. Ces créatures non humaines, bien qu’en fin de compte essentielles à la vie des humains, sont toujours rejetées avec violence, voire détruites par les personnes au pouvoir – souvent, dans le roman, représentées par des figures parentales (ou même directement des parents), c’est-à-dire la génération des parents, soutenue par les institutions en place, auxquels les jeunes héros doivent faire face pour renverser la situation.
Comme évoqué plus haut, dans le multivers de Pullman, tout est lié : l’effondrement et ses conséquences se font à tous les niveaux, du plus grand au plus petit. Il concerne tous les mondes alternatifs, tous les individus, toutes les espèces, des planètes aux particules élémentaires en passant par les humains. Tous ces niveaux sont abordés au cours de la trilogie, et l’impact écologique, tout comme son inexorabilité, est illustré systématiquement.
Ainsi, les conséquences des ouvertures entre les univers parallèles sont très explicites et métaphoriquement claires. L’exemple le plus évident est la fonte des glaces et la disparition de l’habitat des ours en armure, suite à l’ouverture du passage du monde de Lyra vers le monde parallèle de Cittàgazze, à la fin du premier volume. Dans le troisième volume, on découvre les conséquences de ces événements sur le peuple des ours :
Depuis la catastrophe qui avait déchiré le voile entre les mondes, toute la glace de l’Arctique s’était mise à fondre, et de nouveaux courants inconnus étaient apparus dans l’eau. Étant donné que les ours dépendaient de la glace et des créatures qui vivaient dans cette mer froide, ils voyaient bien qu’ils mourraient bientôt de faim s’ils restaient où ils étaient ; et comme ils étaient rationnels, ils décidèrent de la meilleure marche à suivre. Il leur faudrait migrer vers un lieu abondant en neige et en glace : ils iraient dans les plus hautes montagnes, dans la chaîne qui touchait le ciel, de l’autre côté du monde mais inébranlable, éternelle, et couverte d’une épaisse couche de neige. Ces ours des mers se feraient ours des montagnes, aussi longtemps qu’il faudrait au monde pour redevenir lui-même11.
Les panserbjörne, pour tout fictionnels qu’ils sont, restent des ours polaires qui ne peuvent survivre sur la banquise en pleine fonte des glaces – la référence au monde réelle est transparente. Le choix d’une espèce devenue la malheureuse figure de proue des conséquences du réchauffement climatique n’est évidemment pas anodin. En dotant cette espèce de conscience et de parole, l’auteur donne une voix aux victimes animales de la catastrophe climatique, et provoque donc une empathie plus grande de la part du lecteur. Quand, plus tard dans Le Miroir d’ambre, l’un des personnages principaux recroise le roi des ours, celui-ci lui explique que son peuple ne saurait survivre dans les montagnes. Cette triste constatation suggère l’inexorabilité de la disparition de tout une espèce, et la lucidité de son souverain à ce sujet en souligne l’aspect tragique.
Il est intéressant de noter que les textes compagnons de la trilogie (puisque quatre romans courts et une seconde trilogie sont venus étendre l’univers diégétique de À la croisée des mondes) évoquent les conséquences à long terme de tous ces cataclysmes. En effet, si les ouvertures sont refermées et les fuites réparées à l’issue de la trilogie originale, ces textes ultérieurs montrent bien que leurs effets sur l’environnement n’ont pas pour autant disparu comme par magie. Dans le roman court Serpentine, dont l’action se situe quatre ans après les événements de À la croisée des mondes, il est mentionné brièvement que certains paysages et écosystèmes ne se sont pas encore entièrement remis des événements. Si le récit ne s’attarde guère sur la question, l’information est donnée, le message mis à disposition d’un lecteur déjà sensibilisé à la question par les textes antérieurs.
Plusieurs passages de la trilogie dépeignent également les dégâts provoqués par les catastrophes écologiques directement sur les humains : une inondation cataclysmique, due elle aussi à l’ouverture du passage entre les mondes, engendre la destruction de villages et de vies humaines dans certains pays :
Will constata que les convulsions avaient affecté la terre différemment à différents endroits ; village après village, les eaux étaient montées jusqu’aux toits des maisons, et des centaines de personnes qui avaient tout perdu tentaient de sauver ce qui pouvait l’être à l’aide de barques et de canoës12.
Les humains eux-mêmes ne peuvent échapper aux conséquences de leur destruction de l’environnement. Là encore, le parallèle avec les dommages causés par le réchauffement climatique dans le monde réel, ainsi que la perspective de la migration de réfugiés climatiques de plus en plus nombreux, est impossible à ignorer. L’action d’un individu a des conséquences sur des milliers, voire des millions : dans une posture campbellienne inversée, l’anti-héros Lord Asriel provoque, ou en tout cas accélère radicalement, l’effondrement du multivers. Cela illustre le lien très fort, dans la trilogie, entre microcosme et macrocosme.
En effet, tous ces dommages causés à divers peuples et environnements, dans de multiples mondes, se font également sentir au niveau microscopique, puisqu’ils sont dus à la disparition de la Poussière. Particule élémentaire présente dans tout le multivers, son existence est intrinsèquement liée à la conscience et à la vie. Elle circule à travers les mondes, à la fois cause et produit de la réflexion et de l’imagination des êtres conscients, condition sine qua non à la fertilité de la faune, de la flore, et de la conscience intellectuelle. C’est la perte de cette particule, et donc du lien entre tous les mondes et toutes les espèces, qui semble être la cause fondamentale de l’effondrement du multivers dans la diégèse. Autrement dit, la disparition du lien entre l’humain et son environnement. Comme le dit Gry Ulstein,
la trilogie de Pullman se préoccupe davantage de la connectivité globale entre toutes les créatures du monde, ainsi qu’entre les mondes et univers parallèles, en inventant les particules de Matière Noire (aussi appelées Poussière ou Ombres) comme source d’un lien universel13.
C’est ce lien universel qui est endommagé, et qui doit être restauré. L’œuvre, en mettant en scène deux préadolescents qui en prennent conscience, propose à ses lecteurs de suivre leur exemple, et de restaurer ce lien eux-mêmes.
La disparition de la Poussière est, étonnamment, liée au novum de l’œuvre, c’est-à-dire au voyage entre les mondes. Le novum, terme utilisé par les théoriciens de la science-fiction (notamment Darko Suvin) désigne une création fictionnelle dont l’existence est scientifiquement plausible, tout en permettant le développement d’un récit non conforme à la réalité. Dans À la croisée des mondes, le novum est le multivers (ou univers multiple), et la capacité des individus à l’explorer en développant la technologie adéquate. C’est en effet ce qui permet le déroulement de l’intrigue, la rencontre des protagonistes principaux, la guerre contre le Magisterium et l’Autorité, l’accomplissement du destin de Lyra... mais aussi, ironiquement, ce qui crée des fuites dans la structure du multivers, fuites par lesquelles la Poussière s’échappe et disparaît dans le néant. Le fait que ces fuites soient provoquées par des outils technologiques et scientifiques (en l’occurrence des appareils électriques, mais aussi un poignard fait d’un alliage très rare), suggère que le « progrès » technologique, s’il est mené sans précaution ni égard pour l’environnement, ne peut mener qu’à une dégradation du monde. Cette idée est présente en filigrane dans la trilogie, et ce avant même que la question de la disparition de la Poussière ne soit abordée. En effet, elle est systématiquement perceptible à l’ouverture de nouveaux passages entre les mondes.
On peut d’abord le constater à la fin des Royaumes du Nord, lorsque Lord Asriel ouvre le passage fatidique qui provoque tant de catastrophes par la suite. Asriel, père de Lyra et jusque-là présenté comme un héros, n’hésite pas à tuer un enfant en lui arrachant son dæmon pour alimenter ses appareils et ouvrir une brèche. La violence de l’acte, d’autant plus qu’il est perpétré sur un enfant, annonce d’ores et déjà les conséquences désastreuses des voyages entre les mondes dans le reste de la trilogie. Ces déplacements ne peuvent se faire qu’au prix de la destruction de la vie ; et ce qui semble n’être qu’une mort individuelle devient, à la lumière de la suite des événements, une allégorie du destin du multivers.
Dans le volume suivant est introduit un autre outil qui permet le voyage entre les mondes : le poignard subtil, créé quelques siècles plus tôt par une guilde de savants, pointe de leur technologie (au sens propre comme figuré). Sa lame remarquable est d’emblée décrite en des termes associés à la destruction et à la mort, puisque ses couleurs contiennent entre autres « le violet d’une ecchymose », « les ombres amassées à l’entrée d’une tombe à la tombée de la nuit dans un cimetière désert », la « couleur de ténèbres »14. Il est obtenu lors d’un combat qui faillit coûter la vie à son nouveau porteur. En effet, s’il gagne le combat et parvient à dérober le poignard, le jeune Will se fait couper deux doigts par sa nouvelle arme. Ses blessures ne cessent de saigner plusieurs jours durant, jusqu’à l’amener aux portes de la mort. Suite à cela, il paraît évident qu’utiliser un tel outil ne saurait être un acte anodin ; et pourtant, les protagonistes le font sans y penser, créant sans le savoir une nouvelle fuite à chaque utilisation, endommageant chaque fois un peu plus le tissu du multivers et la réserve de Poussière qu’il contient.
Cela, Will et Lyra le découvrent dans les ultimes chapitres de la trilogie, alors que les conflits et enjeux des intrigues principales ont été réglés, et qu’ils profitent de la paix retrouvée, et de leur amour naissant. Leurs dæmons, dont les événements les avaient séparés, les retrouvent et leur font la révélation suivante :
Chaque fois que nous avons ouvert un passage, chaque fois que qui que ce soit a ouvert un passage entre les mondes, que ce soit nous ou les anciens membres de la Guilde, le poignard a tranché le vide au-delà. Le même vide que celui du fond de l’abîme. Nous ne le savions pas. Personne ne le savait, parce que la paroi était si fine qu’on ne la voyait pas. Mais c’était suffisamment large pour que la Poussière passe. Si le passage était refermé immédiatement, la fuite n’était pas très importante, mais des milliers n’ont jamais été fermés. Alors depuis tout ce temps, la Poussière s’échappe des mondes et disparaît dans le néant15.
Ce qui nous amène au traitement de la notion de responsabilité individuelle dans l’œuvre, et de son impact sur le lecteur. Dans la trilogie, les responsables de la crise écologique (c’est-à-dire de la disparition de la Poussière) ne sont ainsi pas tous des antagonistes, puisqu’une grande partie des ouvertures sont faites par les personnages principaux. Cette information est d’autant plus choquante qu’elle a des implications à plusieurs égards : Will et Lyra sont des héros, qui ont sauvé des milliards de vies (mais aussi de fantômes) et contribué à rendre l’ordre universel des choses plus juste. Mais ce sont également des préadolescents, âgés d’une douzaine d’années à la fin des romans ; et si l’un des enjeux majeurs de la trilogie est justement leur passage de l’enfance à l’adolescence, ils n’en restent pas moins des mineurs qui, une fois le multivers sauvé, retournent chez eux et reprennent une vie de leur âge, soutenus par des adultes. Et pourtant, malgré leur jeune âge et leur innocence (elle aussi enjeu majeur de la trilogie), ils ont, par mille et un actes inconscients, contribué à endommager le tissu même du multivers – à dégrader l’environnement.
L’évocation, dans la dernière citation, des anciens membres de la Guilde (créateurs du poignard, qui ont ouvert des passages depuis trois siècles), ainsi que de l’abîme (la gigantesque fissure ouverte vers le néant par une bombe atomique, quelques chapitres plus tôt) montre bien que les deux enfants ne sont pas les plus coupables : les générations précédentes, notamment des scientifiques et militaires peu scrupuleux, ont fait des dégâts bien plus considérables qu’eux. Toutefois, la faute est indéniablement partagée par tous, même les plus jeunes, comme le montre bien la répétition du mot « chaque » dans le passage. Chacun, bon ou mauvais, antagoniste ou protagoniste, jeune ou vieux, est responsable à son échelle de ses actions et de leurs conséquences sur son environnement.
Des solutions à ces conséquences sont proposées dans la foulée aux deux préadolescents, mais elles sont radicales. D’abord le sacrifice de leur capacité à voyager et donc de leur amour naissant. En effet, étant originaires de deux mondes différents, ils ne peuvent rester ensemble sans accepter que l’un d’entre eux voie sa santé se dégrader et meure prématurément (car on ne peut exister longtemps loin de son propre univers). Cette séparation est particulièrement déchirante, parce qu’elle survient à la fin d’une épopée éprouvante, dans un moment de paix après la fuite, après la fin des affrontements, l’accomplissement du destin ; et parce qu’elle frappe deux personnages auxquels les jeunes lecteurs ont eu tout le temps de s’identifier. Là où l’on pourrait attendre une conclusion heureuse, un « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » puisque les deux personnages sont amoureux l’un de l’autre, l’impératif de préservation du multivers l’interdit. S’ils décident de donner la priorité à leur bonheur individuel, ce sera au péril de tous les univers et de toutes les vies (humaines ou non) qu’ils contiennent.
Cette conclusion a été vécue par un certain nombre de lecteurs comme très frustrante :16 le renoncement au novum, et donc à la circulation qui était une des dynamiques majeures de l’œuvre, peut ressembler à une injonction à « retourner à la réalité » un peu paradoxale, puisqu’elle provient d’une œuvre de fiction. Toutefois, elle est conforme à l’idée de l’auteur, selon laquelle une histoire digne de ce nom est un espace où les enfants apprennent à grandir, et dont ils peuvent ensuite ramener les leçons pour les appliquer dans la vie réelle17. C’est pourquoi l’identification aux deux jeunes personnages est si forte, et pourquoi elle est construite de manière à ce que tout un chacun (ou chacune) puisse l’opérer. Le lecteur ou la lectrice, potentiellement du même âge, a suivi leur voyage initiatique et leur transformation pendant un millier de pages ; iel peut s’identifier à une fille et/ou à un garçon, à un personnage extraverti qui apprend à écouter l’autre et/ou à un introverti qui apprend à s’affirmer et à faire confiance. Lyra vient d’un univers étrange et fantastique, mais elle est présentée la première, dès le premier volume ; Will apparaît plus tard, mais vient d’un monde présenté comme celui du lecteur ; et la trilogie leur accorde environ le même espace textuel de focalisation et de caractérisation. À l’issue de la lecture, les deux sont donc familiers pour les lecteurs, qui les a vus s’étoffer jusqu’à devenir les néo-adolescents de la fin du Miroir d’ambre.
Et ces protagonistes, même s’ils sont torturés et déchirés par la décision finale de se séparer, comprennent que le renoncement est nécessaire. Pour la survie de tou.te.s, la leur, celle de l’autre, celle des autres, ils doivent accepter de faire des changements et des renoncements brutaux et douloureux à ce dont ils jouissaient librement jusque-là. Ainsi on peut dire que, par le biais de l’exemple et de l’identification, l’auteur montre à ses lecteurs la nécessité d’une prise de conscience de la responsabilité, et des efforts, de chacun, même les plus jeunes, pour faire changer les choses. Et ce, même au prix de la souffrance et de la frustration. Le sentiment d’urgence et d’angoisse provoqué par l’imminence de l’effondrement sert à la fois à montrer l’ampleur du défi, et à motiver protagonistes et lecteurs à le relever.
Cela rejoint la tendance de Pullman, perceptible à travers toute son œuvre, à vouloir confronter ses jeunes lecteurs à des questions parfois très dures. La contrainte morale d’un auteur adulte face à ses lecteurs enfants se retrouve, chez lui, dans sa « détermination à prendre ses lecteurs enfants au sérieux, [sa volonté] de faire confiance à la capacité des enfants de comprendre ce qu’ils peuvent des idées dites difficiles »18, comme le souligne William Gray. Il les confronte à ces idées via la fiction, pour qu’ils soient à la hauteur du défi si et quand il se présentera réellement à eux dans leur vie.
En effet, la deuxième solution proposée à l’effondrement, nécessaire au même titre que la séparation, est un effort actif de la part des personnages à faire renaître la Poussière. Celle-ci renaît lorsque les être doués de conscience développent leur curiosité, leur capacité de réflexion et de création. Ainsi, en plus de renoncer l’un à l’autre, Will et Lyra doivent continuer de faire ces efforts et faire en sorte que d’autre les fassent aussi. La dernière page voit Lyra dire à son dæmon que
personne ne pourrait [restaurer la Poussière], s’ils se faisaient passer en premier. Il faut que nous soyons toutes ces choses difficiles, que nous soyons joyeux et bons et curieux et patients, et nous devons étudier et faire des efforts, nous tous, dans tous nos mondes différents19.
Cette fin, somme toute très didactique, rejoint la tendance des livres pour la jeunesse traitant d’écologie à placer les enfants, ou en tout cas la jeune génération, en position de responsabilité : ici, Lyra et Will ont tous deux accepté que leur rôle serait de transmettre cette conscience, et de pousser les autres humains de leurs mondes respectifs à se joindre à leurs efforts, pour que la responsabilité individuelle donne lieu à un effort collectif, douloureux mais indispensable pour faire face à la crise écologique universelle. Ce doit être un effort conscient collectif, et ces deux enfants, qui incarnent la nouvelle génération, doivent en être les moteurs. Leur exemple, après l’illustration du problème par la trilogie, peut donc pousser les lecteurs à agir de la même façon.
En mettant la question en scène de cette manière, d’autant plus à travers les yeux de protagonistes enfants, l’auteur la soumet à ses jeunes (et moins jeunes) lecteurs et leur donne à méditer. Le texte leur propose une réflexion sur les futurs possibles, et les avertit des conséquences éventuelles de leurs actions et décisions présentes – positives comme négatives. Car si chaque action peut faire empirer les choses, elle peut également faire l’inverse ; et chaque individu, s’il fait passer le monde en premier, peut contribuer à changer le monde. Ici, c’est le livre, l’histoire, pour exemple et identification, qui joue ce rôle ; et qui pourrait peut-être contribuer à changer le monde.
Pour conclure, la trilogie À la croisée des mondes confronte ses jeunes lecteurs à des sujets très difficiles, et notamment à la perspective d’une disparition de la vie sur Terre. En plaçant le lien entre humain et animal au cœur (littéralement) de la nature humaine, ainsi qu’en peignant la fresque d’un multivers infiniment diversifié, elle place l’écologie et la préservation de l’environnement au centre des préoccupations de ses protagonistes, via le jeu des métaphores. Les lecteurs, confrontés indirectement aux enjeux de l’écologie contemporaine, se voient soumettre un questionnement sur leur propre responsabilité dans l’état de leur propre monde.
Si ces enjeux sont forts, et la solution proposée terriblement douloureuse, le texte refuse néanmoins tout pessimisme. Au contraire, il souligne la capacité de chacun à faire changer les choses, même des plus jeunes. Tantôt témoins ou victimes des exactions des adultes, dont toute l’horreur est rehaussée par leur regard innocent ou naïf, tantôt futurs adultes en plein apprentissage, capables de percevoir et d’éviter les erreurs de leurs prédécesseurs, les jeunes protagonistes servent à montrer le potentiel des enfants de devenir meilleurs que leurs parents et de faire basculer la course du monde. On peut ici parler d’une forme d’empowerment de l’enfant, puisque c’est lui qui, à la fois riche de son parcours, et dépourvu des biais internalisés par l’adulte, parvient à le dépasser et à proposer une nouvelle vision du monde, et notamment de l’environnement. Pour peu, évidemment, qu’on leur permette de comprendre, d’apprendre, et de prendre conscience de leur place dans l’univers, et de leur responsabilité à y contribuer. C’est le rôle que donne l’auteur à ce texte, parfois très didactique, qui enjoint le lecteur à suivre ce parcours et à prendre ses propres responsabilités, pour appliquer à son monde ce qu’il a retiré des mondes de la fiction. Ce faisant, il affirme le pouvoir de la littérature, et en particulier de la littérature de jeunesse, d’impacter suffisamment l’esprit de ses lecteurs pour, in fine, impacter le destin du monde.
[1] Philip PULLMAN, cité par Catherine BUTLER, « Why it’s time to take children’s books seriously », The Conversation, 10 janvier 2017, URL : https://theconversation.com/why-its-time-to-take-childrens-books-seriously-58079.
[2] Ursula K. LE GUIN, « The Critics, the Monsters, and the Fantasists », The Wordsworth Circle, 38(1/2), Hiver/Printemps 2007, p. 87 : « [w]hat fantasy often does […] is include the non-anthropocentric as essential ».
[3] Don D. ELGIN (éd. David Sandner), « Literary Fantasy and Ecological Comedy », Fantastic Literature – A Critical Reader, Wesport, Connecticut, Praeger, 2004, p. 269 : « literature, and particularly the fantasy novel, offers humanity a way to reintegrate itself into the natural world and, in so doing, invites a new relationship between itself, its fellow creatures, and the science and literature that create and mirror that world ».
[4] Gry ULSTEIN, « Hobbits, Ents, and Dæmons: Ecocritical Thought Embodied in the Fantastic », Fafnir, 2(4), 2015, p. 13 : « Pullman’s evolution, so to speak, of humans in Lyra’s world immediately suggests a relationship with non-human creatures and nature that far surpasses what the reader is used to ».
[5] Sibylle DOUCET, « Literature Without Borders » – the Poetics and Politics of Passage in Philip Pullman’s Multiverse Ensemble, Thèse de doctorat, Université de Strasbourg, 2021, p. 134-141.
[6] Philip PULLMAN, His Dark Materials: Northern Lights (À la croisée des mondes : Les Royaumes du Nord), Volume I (1re édition 1995), London, Scholastic Children’s Books, 2005, p. 271 : « But simply tearing was the only option for some time, […] however distressing that was to the adult operators. If you remember, we had to discharge quite a number for reasons of stress-related anxiety ».
[7] Ibid., p. 214 : « A human being with no dæmon was like someone without a face, or with their ribs laid open and their heart torn out: something unnatural and uncanny that belonged to the world of night-ghasts, not the waking world of sense ».
[8] On le constate dans le roman court Il était une fois dans le Nord, où le développement commercial et minier de la ville de Novy Odense empiète sur le territoire des ours, dont l’exclusion est au cœur de la campagne électorale locale à l’arrivée de Lee Scoresby.
[9] G. ULSTEIN, op. cit., p. 14 : « More than anything else in Pullman’s fiction, the mulefa display an ecocentric alternative worldview. […] [Their] symbiotic relationship with the seedpods reinforces Pullman’s fantastic alternative to human supremacy on Earth ».
[10] On pense évidemment au Magisterium, mais également aux scientifiques de Bolvangar et d’Oxford, ainsi qu’à la Guilde de la Torre degli Angeli.
[11] P. PULLMAN, His Dark Materials: The Amber Spyglass (À la croisée des mondes : Le Miroir d’ambre), Volume III (1re édition 2000), London, Scholastic Children’s Books, 2005, p. 111 : « Since the catastrophe that had burst the worlds open, all the Arctic ice had begun to melt, and new and strange currents appeared in the water. Since the bears depended on ice and on the creatures who lived in the cold sea, they could see that they would soon starve if they stayed where they were; and being rational, they decided how they should respond. They would have to migrate to where there was snow and ice in plenty: they would go to the highest mountains, to the range that touched the sky, half a world away but unshakable, eternal, and deep in snow. From bears of the sea they would become bears of the mountains, for as long as it took the world to settle itself again ».
[12] Ibid., p. 114 : « The convulsions had affected the earth differently in different places, Will saw; village after village stood up to its roofs in water and hundreds of dispossessed people tried to salvage what they could with rowboats and canoes ».
[13] G. ULSTEIN, op. cit., p. 13-14 : « Pullman’s trilogy is more concerned with the all-encompassing connectivity between every creature in the world, and between parallel worlds and universes, inventing Dark Matter particles (also called Dust or Shadows) as the universal source connecting everything ».
[14] P. PULLMAN, His Dark Materials: The Subtle Knife (À la croisée des mondes : La Tour des anges), Volume III (1re édition 2000), London, Scholastic Children’s Books, 2005, p. 181 : « bruise-purples, [...] the clustering shades at the mouth of a tomb as evening falls over a deserted graveyard […] shadow-coloured ».
[15] P. PULLMAN, His Dark Materials: The Amber Spyglass (À la croisée des mondes : Le Miroir d’ambre), p. 488 : « Every time we made an opening, […] every time anyone made an opening between the worlds, us or the old Guild men, anyone, the knife cut into the emptiness outside. The same emptiness there is down in the abyss. We never knew. No one knew, because the edge was too fine to see. But it was quite big enough for Dust to leak out of. If they closed it up again at once, there wasn’t time for much to leak out, but there were thousands that they never closed up. So all this time, Dust has been leaking out of the worlds and into nothingness ».
[16] Anne BESSON, « À la croisée des mondes fictionnels. Cycles, littérature de jeunesse et sémiotique des mondes possibles chez Philip Pullman », Cahiers Robinson. Autres mondes, 17, avril 2005, p. 141.
[17] P. PULLMAN, « The Republic of Heaven », Dæmon Voices: Essays on Storytelling, London, David Fickling Books, 2017, p. 450-451.
[18] William GRAY, Death and Fantasy: Essays on Philip Pullman, C.S. Lewis, George MacDonald and R.L. Stevenson, Cambridge Scholars, 2009, p 104 : « a determination to take their child readers seriously; [he is] willing to trust in the capacity of children to make what they can of supposedly ‘difficult’ ideas ».
[19] P. PULLMAN, His Dark Materials: The Amber Spyglass (À la croisée des mondes : Le Miroir d’ambre), p. 522 : « No one could [save Dust] if they put themselves first. We have to be all those difficult things like cheerful and kind and curious and patient, and we’ve got to study and think and work hard, all of us, in all our different worlds ».
Résumé
Cet article propose d’analyser la trilogie de fantasy À la croisée des mondes de Philip Pullman au prisme de l’écocritique. En remettant le non-humain au cœur de son récit, et en imprégnant ses intrigues politiques et spirituelles de graves enjeux écologiques, l’auteur soumet à ses jeunes lecteurs une réflexion sur leur propre responsabilité individuelle et sur la capacité à influer sur la situation écologique actuelle, dans un sens comme dans l’autre.
Abstract
This paper aims to analyse Philip Pullman’s fantasy trilogy His Dark Materials through the lense of ecocriticism. By putting the non-human at the heart of his narrative, and by infusing his political and spiritual plots with serious ecological stakes, the author offers his young readers a reflection on their own individual role and ability to have an impact on the current ecological situation, one way or the other.
Le non humain au cœur des préoccupations
Du macrocosme au microcosme : un effondrement universel
Responsabilité individuelle, effort collectif et implication du lecteur
Sibylle DOUCET
Université de Strasbourg, Laboratoire SEARCH
BESSON, Anne, « À la croisée des mondes fictionnels. Cycles, littérature de jeunesse et sémiotique des mondes possibles chez Philip Pullman », Cahiers Robinson. Autres mondes, 17, avril 2005, p. 126-144.
BUTLER, Catherine, « Why it’s time to take children’s books seriously », The Conversation, 10 janvier 2017. URL : https://theconversation.com/why- its-time-to-take-childrens-books-seriously-58079.
DOUCET, Sibylle, « Literature Without Borders » – the Poetics and Politics of Passage in Philip Pullman’s Multiverse Ensemble, Thèse de doctorat, Université de Strasbourg, 2021.
ELGIN, Don D. (éd. David Sandner), « Literary Fantasy and Ecological Comedy », Fantastic Literature – A Critical Reader, Wesport, Connecticut, Praeger, 2004, p. 255-270.
GRAY, William, Death and Fantasy: Essays on Philip Pullman, C.S. Lewis, George MacDonald and R.L. Stevenson, Cambridge Scholars, 2009.
LE GUIN, Ursula K., « The Critics, the Monsters, and the Fantasists », The Wordsworth Circle, 38.1/2, Hiver/Printemps 2007, p. 83-87.
PULLMAN, Philip, « The Republic of Heaven », Dæmon Voices: Essays on Storytelling, London, David Fickling Books, 2017, p. 441-463.
ULSTEIN, Gry, « Hobbits, Ents, and Dæmons: Ecocritical Thought Embodied in the Fantastic », Fafnir, 2(4), 2015, p. 7-17.
Corpus
PULLMAN, Philip, His Dark Materials: Northern Lights, Volume I (1re édition 1995), London, Scholastic Children’s Books, 2005.
—, His Dark Materials: The Subtle Knife, Volume II (1re édition 1997), London, Scholastic Children’s Books, 2005.
—, His Dark Materials: The Amber Spyglass, Volume III (1re édition 2000), London, Scholastic Children’s Books, 2005.
—, Once Upon a Time in the North, London, David Fickling Books, 2008.
—, Serpentine, London, Penguin Books, 2020.