Where are your monuments, your battles, martyrs?
Where is your tribal memory? Sirs, in that grey vault.
The sea. The sea has locked them up. The sea is History2
L’écriture du paysage est au cœur de toute poétique postcoloniale. Mais Édouard Glissant nous rappelle que « décrire le paysage ne suffit pas. L’individu, la communauté, le pays sont indissociables dans l’épisode constitutif de leur histoire. Le paysage est un personnage de cette histoire. Il faut le comprendre dans ses profondeurs »3. Tant pour Walcott que pour Glissant, le paysage constitue l’une des substances fondamentales de la mémoire, en cela qu’il est victime au même titre que les sociétés humaines des drames et des fractures du passé colonial. Reconnecter le paysage à l’histoire coloniale d’un lieu revient à interroger la manière dont, comme l’écrit Pedro Monaville, « les configurations de l’histoire et des mémoires établissent une autorité sur la connaissance du passé [afin] d’affirmer un contrôle sur la terre et le paysage »4.
Ainsi que l’écrit aussi Edward W. Said :
Si quelque chose distingue radicalement l’imagination anti-impérialiste, c’est la primauté accordée aux éléments de géographie. Après tout, l’impérialisme est un acte de violence géographique par lequel tout espace dans le monde est virtuellement exploré, cartographié, avant, enfin, d’être mis sous contrôle5.
Pour appuyer son argument, Said s’appuie sur les travaux de l’historien Alfred Crosby, en particulier son Ecological Imperialism: The Biological Expansion of Europe, 900-1900, dans lequel Crosby montre comment le colonialisme européen a marqué et irrémédiablement aliéné les environnements et les paysages, transformant les territoires appropriés en fantasmes concrets. De cette étude, il suppose l’existence d’une relation irréductible entre imaginaire impérialiste et gestion de l’espace.
Dans le cas de Taïwan, le chercheur Liao Hsin-tien 廖新田 montre comment, pendant la période japonaise, la littérature, la peinture et, plus généralement, l’espace, ont été configurés de manière à concorder avec le désir nippon de gouverner une colonie exotique et tropicale. Comme l’indique Liao :
La reconstruction de l’environnement physique a été une étape très importante pour l’empire japonais dans sa colonisation de l’île. Non seulement le Japon s’est engagé sur la voie d’une modernisation physique, mais il a aussi créé un spectacle colonial visuel, socio-culturel et psychologique […] le paysage, tel un morceau de papier, a été codé et recodé par le désir politique des gouvernements successifs de l’île et de leurs intentions culturelles, en combinant le réel avec l’imaginaire6.
Cette domestication du paysage pour correspondre à un imaginaire géographique n’est pas propre à l’empire japonais, y compris d’ailleurs dans l’histoire moderne de l’île de Taïwan. À la suite de l’arrivée du Kuomintang7 sur Formose, le nouveau régime a à son tour entrepris une refonte spatiale de son territoire, rebaptisant notamment presque tous les toponymes insulaires (noms de rues, de gares, d’universités, de bâtiments publics, de montagnes, de rivières, etc.). Cette transformation du paysage et de la manière de le désigner s’inscrivait dans une tentative d’édification idéologique nationaliste visant à réaffirmer les liens organiques avec la Chine continentale. Le paysage (urbain, rural, naturel…) doit dans ce cas servir de connecteur naturel entre le destin de l’île et celui de la Chine continentale. Taïwan est envisagée comme une sorte de « Chine miniature », ce que Comaroff désigne par l’expression « entire space-time world »8.
Aussi, le paysage – qui n’est jamais vraiment la nature mais ce fragment de nature sur lequel l’observateur (humain, cela va de soi) pose son regard – apparaît comme l’un des témoins privilégiés des trajectoires (post-)coloniales de l’île. Pour les écrivains et les artistes engagés dans une reconquête d’un paysage aliéné, un dialogue avec le paysage s’avère indispensable pour bâtir une société dé-colonisée à venir.
Pour Wilson Harris, le paysage est ainsi, autant que les humains, un des personnages du processus colonial. Il n’est plus un simple décor mais un témoin de premier plan du « trauma de la conquête coloniale »9. Wilson Harris écrit ainsi :
Il me semble que pendant longtemps, les paysages et les rivières ont été représentés comme passifs, comme des meubles ou des espaces manipulables. Pourtant, au fil des ans, j’ai senti en l’arpentant que le paysage possédait une résonnance. […] Le paysage a sa vie propre, il est pour moi comme un livre ouvert, un alphabet qui m’entoure. Mais un certain temps est nécessaire pour saisir cet alphabet et comprendre le livre du paysage vivant [living landscape]10.
L’écriture du paysage, comme scène et comme protagoniste incontournable de l’histoire, a été au cœur des débats ayant émaillé la vie littéraire taïwanaise à la fin des années 1970, au cours de la polémique dite du « terroir » 鄉土文學論戰.
De nombreux facteurs peuvent être avancés pour comprendre cette controverse, qui peut être envisagée tant d’un point de vue littéraire, sociologique que géopolitique, mais il serait probablement trop long ici d’en faire l’inventaire11. Je me contenterai donc ici de présenter brièvement les griefs des auteurs du « terroir » en quelques mots.
Les auteurs qui se réclament du « terroir » (taïwanais) appellent avant tout à une écriture réaliste, enracinée dans la terre et l’histoire de l’île de Taïwan. En réaction au courant moderniste littéraire et artistique des années 1960 et début des années 1970, jugé trop bourgeois, trop occidentalisé et trop éloigné des préoccupations insulaires, des auteurs comme Ch’en Ying-chen 陳映真, Wang T’uo 王拓 ou Yeh Shih-t’ao 葉石濤 prônent une littérature engagée, qui s’attacherait à décrire les tourments des petites gens, en particulier des paysans, et témoignerait des cicatrices de l’histoire pluricoloniale de l’île sur l’environnement et ses habitants. Bien que n’appartenant pas tous à la même chapelle idéologique (certains militent pour un rapprochement avec les cousins communistes chinois tandis que d’autres aspirent à l’indépendance de Taïwan), un même désir anime les auteurs du terroir : retourner à la terre.
Dans leur quête d’une réalité locale – et de préférence pastorale – l’environnement naturel apparaît comme un élément protecteur, voire fondateur, d’identité culturelle. Le rejet de l’Occident en faveur d’un retour aux « racines » (qu’elles soient « chinoises » ou « taïwanaises »), exprimé par une métaphore végétale qui n’est bien sûr pas innocente, rejoint un imaginaire environnementaliste romantique pour qui la globalisation et l’impérialisme – dans ses déclinaisons multiples – ont mis à mal tout sens authentique du lieu. Le paysage est ainsi représenté dans la littérature du terroir taïwanaise comme originellement harmonieux, passif et équilibré, mais déstructuré et violenté par la modernité, que les auteurs s’attachent à critiquer. Si cette représentation se retrouve dans les textes de Hwang Chun-ming 黃春明, Sung Tse-lai 宋澤萊, ou encore Hung Hsing-fu 洪醒夫12, l’un des récits peut-être les plus symboliques de cette écriture est peut-être « 哭聲 » [Pleurs], écrit en 1970 par l’auteur auto-proclamé du terroir Li Ch’iao 李喬 : pendant la période de colonisation japonaise, deux jeunes paysans font une dernière escapade dans leur montagne natale avant de partir combattre au Vietnam sous la bannière nipponne. Ils entendent soudain le bruit déchiré de larmes, dont ils ne trouvent pas la provenance, avant de comprendre que c’est la terre elle-même qui pleure de douleur. Cette nouvelle anticipe de quelques années ce qui deviendra, au lendemain de la polémique sur la littérature du terroir, le prisme par lequel de nombreux écrivains taïwanais entreprendront de relire l’histoire de leur île13.
Mon objectif n’est cependant pas ici de m’attarder sur la manière dont toutes les œuvres littéraires taïwanaises associées à la littérature du terroir s’emparent de la question du paysage dans l’histoire14. Il s’agissait simplement de présenter en quelques lignes une tendance qui, sans échapper totalement à une représentation romantique de l’environnement non-humain, prend toutefois en compte l’évolution historique et socio-économique du lieu. Les paysages décrits par les auteurs du terroir sont ainsi culturels avant d’être imaginaires : ce sont bien souvent des projections imaginaires destinées à rendre compte de la lente agonie du monde agricole.
Wu Ming-yi吳明益(1971-), l’auteur que je propose ici de présenter, n’est généralement pas associé à la littérature du « terroir », qui se réfère davantage à des auteurs plus âgés, surtout actifs entre les années 1960 et 1980, et ayant pris part à la polémique du même nom. Certains critiques ont pourtant qualifié Wu d’écrivain du « post-terroir » 後鄉土 ou du « nouveau terroir » 新鄉土15. La littérature du « post-terroir », comme l’explique la chercheuse Fan Ming-ju 范銘如, se veut l’héritière de la littérature du « terroir » mais se propose de dépasser ses contradictions et d’élargir l’éventail de représentations spatiales qu’elle supposait.
Fan Ming-ju soutient que l’utilisation de nombreuses réflexions et stratégies d’écriture empruntées à l’esthétique postmoderne ou à la « nouvelle histoire », à la philosophie déconstructiviste et à la métafiction, permet de regrouper sous le dénominateur de « post-terroir ». Ces auteurs inscrivent leurs récits dans une volonté de déconstruire les grands récits traditionnels, qu’ils soient d’ailleurs envisagés selon une conception sino- ou taïwano-centrée. Contrairement à leurs aînés du « terroir » qui suggéraient une écriture réaliste et une ambiance tragique, les écrivains du post-terroir mettent en avant les mythes et les légendes constitutifs de la magie et de l’irrationnalité du lieu.
Pour Fan Ming-ju, la conscience écologique qui émerge dans la littérature taïwanaise à partir des années 1990 contribue à bouleverser les récits du terroir en renouvelant les manières d’écrire l’histoire de l’île, et en interrogeant tant les discours culturalistes et nationalistes du parti nationaliste chinois du Kuomintang que les emphases des partisans d’une identité nationale taïwanaise. En explorant de façon plus distanciée la narration du « terroir » et en insérant de nombreux éléments métafictionnels dans leurs textes, ces auteurs suggèrent que le lieu, le paysage n’est pas neutre, mais qu’il est le réceptacle de projections idéologiques diverses.
Selon Chiu Kuei-fen 邱貴芬, la manière dont Wu Ming-yi propose de retracer l’histoire (coloniale) de Taïwan diverge de celle de ses aînés. Elle écrit par exemple ceci dans sa préface aux 睡眠的航線 [Lignes de navigation du sommeil] :
Tant dans la forme que dans le fond, ce roman ouvre une nouvelle page de la création des romans mémoriels [à Taïwan]. À partir d’une perspective environnementale, il transcende la simple description de trajectoires individuelles ou de sagas familiales en offrant une observation et une interprétation uniques de la guerre et de la civilisation humaine. En cela, il trace de nouveaux sillons pour le roman historique taïwanais.
此部小說無論在主題或形式上, 都翻新歷史記憶小說創作模式,從自然生態視角度拉出一條超越個人和家族生命史的軸線, 對戰爭與人類文明的進程提出其獨到的觀察與見解, 開發出台灣小說創作的一條特殊航道16.
Wu Ming-yi se distingue en outre des autres écrivains classés par la critique parmi les écrivains « post-terroir » par sa volonté d’intégrer l’histoire environnementale à l’histoire humaine. Il convient de rappeler ici que supposer que ces deux histoires sont intimement liées ne revient pas à valider l’hypothèse du déterminisme géographique d’un Friedrich Ratzel : poussée à l’extrême, cette théorie qui relie « organiquement » un paysage à « l’esprit d’un peuple » peut justifier la doctrine nazie du Lebensraum. Ce que l’histoire environnementale prétend au contraire explorer, c’est avant tout les évolutions diachroniques d’un milieu et de tous ses habitants, humains ou non. L’histoire de l’environnement est par définition subordonnée à celle de l’histoire humaine, et sans doute plus encore depuis l’entrée du monde dans l’Anthropocène.
Dans son étude sur les recueils 迷蝶誌 [Chroniques de papillons égarés] (2000) et 蝶道 [Le Tao des papillons] (2003), la chercheuse Wang Yu-ting 王鈺婷 examine précisément comment Wu aborde l’histoire de Taïwan dans ses récits sur l’environnement naturel. Armé de réflexions empruntées à l’éthique environnementale, Wu tenterait de retracer une histoire taïwanaise miniature, observée à travers les papillons de l’archipel17. Un projet en cours – aujourd’hui abandonné – de Wu Ming-yi consistait d’ailleurs précisément à rédiger une histoire de Taïwan, écrite du point de vue des papillons18.
L’un des sanwen (court texte en prose, non-fictionnel) représentatif de cette démarche est par exemple « Koxinga » 國姓爺, dans lequel l’auteur raconte se rendre dans le canton de Guoxing 國姓鄉 pour assister à un match de baseball. Le narrateur-auteur passe alors devant un temple dédié au culte de Guoxingye 國姓爺, plus connu en Europe sous le nom de Koxinga. Il raconte y poursuivre un papillon, commun dans la région, dont le nom scientifique est Euploea tulliolus koxinga Fruhstorfer. La narration de ces découvertes est l’occasion d’une longue digression, qui déborde bientôt sur l’ensemble du texte, au sujet de l’histoire environnementale et humaine de Taïwan à l’époque de l’administration de Koxinga et des régimes (coloniaux) qui lui ont succédé. L’auteur revient plus précisément sur les différentes politiques mises en œuvre à l’époque pour tracer des frontières géographiques entre communautés han et autochtones austronésiennes. Plus loin dans le texte, c’est ainsi toute l’histoire environnementale de l’île depuis ses premières trajectoires coloniales qui se retrouve regroupée dans un même paragraphe :
Ce fut l’arrivée des Hollandais. À partir de 1638, la Compagnie hollandaise des Indes Orientales fit massacrer les cerfs Sika, ceux-là même qui observent les hommes avec leurs yeux mélancoliques. À raison de 120 000 têtes par an, le total de leurs proies s’éleva à plus d’un million. Jusqu’à ce qu’ils tombent, ceux-ci ignoraient encore les raisons pour lesquelles ils n’étaient plus autorisés à gambader dans les forêts et les montagnes [...]. Puis ce fut l’arrivée de Koxinga. Le peuple des plaines prit progressivement le pouvoir sur l’île. Sous la protection de l’armée et du pouvoir politique, les hommes anéantirent les vieux arbres des plaines et les régions de basse montagne afin de produire du riz qui ne muriraient que pour les hommes. Puis ce fut l’arrivée des troupes japonaises, qui écartelèrent, rasèrent et pillèrent méthodiquement les forêts, ne laissant comme seuls vestiges à leur départ que des routes et des chemins de fer menant au terrain d’exécution des forêts. Puis ce fut le tour du gouvernement du Kuomintang, qui empoisonna et débita les montagnes et les rivières, laissant aux grandes compagnies le monopole de l’oxygène et du ciel. Puis, ils firent part de compassion, prétendant vouloir « protéger » la terre qu’eux-mêmes avaient souillée.
荷蘭人來了, 荷屬東印度公司, 從一六三八年起,以每年十二萬頭的速度,屠殺用深情眼眸看著人類的梅花鹿, 總數超過百萬頭;她們直到倒下還不曉得為什麼自己不被允許在山林中跳躍. [...] 鄭成功來了, 中原移民族群漸漸掌握了島嶼的主導地位, 人們得以在政治與武力的蔽護下, 大量屠殺了西部平原和底山帶的古老植株, 生產只為人們成熟的稻米 ; 日軍來了, 有計畫地將森林分屍、拆卸、運走, 離開時留下通往林木刑場的鐵路、道路, 以為見證 ; 國民政府來了, 山脈與河道被毒斃、切割, 氧氣與天空被財團勢力獨享, 然後他們悲憫地付出一點利益, 「保護」被自己謀害的土地19.
En remontant le cours des destructions écologiques engendrées par les différents régimes (coloniaux) de l’île, l’auteur s’inscrit assez conventionnellement dans la relecture postcoloniale de l’histoire taïwanaise engagée par ses pairs et ses aînés depuis la fin des années 1980, mais avec un point de vue légèrement nouveau, car il s’agit ici de l’histoire du lieu plutôt que de l’histoire des peuples.
Par ailleurs, en reliant le nom du papillon, celui de la commune et du petit temple au passé colonial de Formose, c’est aussi la pratique taxonomique des humains à renommer les lieux et les êtres vivants qui se retrouve au centre de sa critique, comme il l’exprime ailleurs, dans un texte du recueil 家離水邊那麼近 [Tant d’eau si près de la maison] (2007) :
Pour guérir leur nostalgie, les Japonais donnèrent aux rivières de ce petit village les noms de celles de leur pays natal, à mille lieux de là.
日本人遂把自己家鄉溪流的名字, 放到千里之外這個小村莊的身上, 用來治療他們的鄉愁20.
Dans son roman 單車失竊記 [Le Voleur de bicyclette] (2015), ce sont encore les papillons qui permettent à Wu Ming-yi de parler d’histoire : en parallèle au récit principal, on suit l’histoire d’une jeune fille, A-yun, qui travaille avec son père au service d’une compagnie du village de Puli qui fabrique et vend des toiles et des fresques faites à base de véritables papillons découpés (蝶畫). A-yun, qui possède cet étrange pouvoir de savoir reconnaître le sexe d’un papillon rien qu’à son odeur, a non seulement pour tâche de créer les toiles mais aussi d’aller chasser les insectes dans la forêt. C’est l’occasion pour l’auteur de raconter l’histoire du commerce de papillons de collection à Taiwan – très fleurissant à cette époque – en reliant cette pratique à l’imaginaire colonial nippon21.
La période japonaise est l’un des moments historiques privilégiés de l’écriture de Wu, que ce soit dans ses romans ou dans ses sanwen. Dans « 言說八千尺 » [Discours à huit mille pieds] (2003), Wu Ming-yi entame une nouvelle fois un dialogue sur Kano Tadao et sur le biologiste japonais Teiso Esaki 江崎悌三, afin de disserter sur l’histoire locale de la montagne Baxian, dans le district de Taichung. L’auteur y fait notamment mention de la forêt primitive qui s’étendait jadis sur la montagne et qui fut victime dans les années 1910 de la déforestation orchestrée par le régime colonial. Wu Ming-yi indique qu’elle a presque intégralement disparu en 1945 au départ des Japonais, avant que le gouvernement nationaliste chinois d’après-guerre ne s’attache à reboiser la forêt, non pas tant par souci d’éthique environnementale, mais à la suite du passage d’un typhon dévastateur en juillet 1959, des épisodes qui ne « ne représentent certes qu’un recoin insignifiant de l’histoire humaine, mais constituent des souvenirs essentiels de l’histoire naturelle de la montagne Baxian »22.
Les explorations littéraires de l’histoire du lieu invitent souvent l’auteur à traiter de l’histoire des communautés aborigènes de l’île, particulièrement dans le recueil Tant d’eau si près de la maison où les récits rapportent les excursions présumées de l’auteur sur la côte est de l’île et dans les montagnes centrales, où vivent la plupart des communautés aborigènes de l’île.
Dans « 憶祖與忘祖 » [Se rappeler ses ancêtres et oublier ses ancêtres] (2003), l’auteur compare par exemple les politiques japonaises envers les Austronésiens taïwanais à celles du gouvernement colonial en Australie, où les autochtones étaient juridiquement considérés comme des animaux23. Dans ce même texte, l’auteur s’interroge sur ses propres origines aborigènes, pour finalement conclure qu’il est moins intéressé par l’origine ethnique que « leurs histoires » (他們的故事)24.
Le traitement des Aborigènes par le régime impérial fait l’objet d’un autre sanwen du même recueil où il est question des résistances de communautés pangcah contre l’empire japonais entre 1908 et 1909. Wu saisit cette occasion pour effectuer une relecture critique des politiques de « contrôle des sauvages » (理蕃政策) à coup de mines et de barbelés, mises en place par l’empire japonais autour de la rivière Cikaosan dans le but d’enfermer les Aborigènes dans les frontières artificielles créées par l’empire25. Pour Wu, toute tentative d’appropriation d’un territoire en termes de propriété ou de droit est porteur de colonialité, une marque de ce qu’il appelle un « colonialisme philanthrope » (慈善的殖民主義), se déclinant à la fois dans l’exploitation et dans la protection des espaces naturels sous prétexte d’un droit et d’un devoir fondamental de l’homme sur la terre. Est ainsi perçue comme coloniale l’idée selon laquelle « le conquérant s’imagine que celui qui est conquis nécessite d’être ouvert, sauvé, éduqué, sans que le conquérant ne prenne un seul instant en compte qu’il compose avec lui un monde commun »26.
Dans « 達娜伊谷 » [Tanayiku] (2003), Wu Ming-yi pose la question des maladies apportées par les colons han à Taiwan et qui furent peut-être à l’origine du décès de nombreux individus d’une communauté tsou 鄒族 ainsi que l’impact de la pratique de l’agriculture han sur une partie de l’environnement de vie des Tsou27. Il relie cet épisode historique aux réflexions sur l’impérialisme écologique menées par Jared Diamond dans son célèbre ouvrage Guns, Germs, and Steel: The Fates of Human Societies (1997) consacré aux maladies des colons. À l’appui de cet auteur et de plusieurs exemples, Wu indique que le colonialisme participe à la destruction de l’environnement et à l’extermination de communautés humaines et non-humaines par l’introduction d’éléments exogènes (des microbes, mais aussi des espèces animales ou végétales) ou par des bouleversements d’ordres spatiaux ou territoriaux, comme les envahissantes orchidées Crocosmia crocosmiiflora du Lac du pic de l’émeraude 翠峰湖, importées il y a un siècle des plaines africaines australes. L’introduction de cette variété de fleurs s’avéra envahissante dans le biotope dans lequel elle avait été naturalisée en prenant la place de plantes indigènes. Wu Ming-yi ne déplore pas tant le phénomène naturel de la migration des graines que l’inconsidération de l’homme qui croit pouvoir bouleverser un écosystème dans le seul but qu’il s’accorde à ses projections géographiques imaginaires, résumant en cette phrase le paradigme de l’Anthropocène : « le changement est une donnée commune dans la nature, simplement, nul changement n’était intervenu aussi rapidement avant l’apparition de l’homme»28.
Le roman Les Lignes de navigation du sommeil tourne pour sa part autour de deux histoires, tout d’abord parallèles : la première est celle d’un jeune journaliste taïwanais vivant à notre époque, dont le sommeil se retrouve soudain déréglé au lendemain d’une floraison énigmatique de bambous-flèches sur le mont Yangming 陽明山, et qui part sur les traces d’un père dont il n’a jamais vraiment connu le passé. La seconde est celle du jeune Taïwanais Saburō, envoyé à l’arsenal militaire japonais de Kōza pour aider à la construction d’avions de guerre durant la Seconde Guerre mondiale.
Les deux récits se rejoignent bientôt lorsqu’on comprend que Saburō n’est autre que le père de « je ». Le roman raconte en même temps les dernières années passées par Saburō-père, que la guerre a privé d’adolescence, au marché de Chunghua, jusqu’à ce que celui-ci soit rasé et que le père s’évapore lui aussi, probablement pour avoir refusé de quitter son dernier lieu de vie. Vieux, à moitié sourd et assailli par ses souvenirs, Saburō-père ne parvient pas à mettre les mots sur son histoire et reste éternellement incompris de ses enfants. C’est à travers ses rêves et ses voyages au Japon sur les traces de son père que le narrateur va tenter de combler l’aphasie paternelle, et une époque de l’histoire de son île dont il n’a jamais fait l’expérience, et qui a longtemps été racontée suivant l’idéologie officielle (les Japonais étant perçus comme ennemis, et les Taïwanais, comme collaborateurs). De même, c’est aussi à travers ses songes que Saburō-enfant prend toute la dimension de la guerre qu’il affronte.
Les songes de Saburō et du narrateur eux-mêmes tendent à se confondre et les rêves voyagent ainsi d’individus en individus, parfois même d’humains à non-humains, car tous les personnages du roman rêvent : la boddhisattva Guanyin, le narrateur, Saburō, la tortue La Pierre, ou encore les parents de Saburō. La Pierre, utilisée pour remplacer un pied de lit vermoulu, est pour sa part capable de pénétrer et de décrypter les rêves des dormeurs au-dessus d’elle29.
Dans le roman historique Le Voleur de bicyclette, que Wu Ming-yi aime présenter comme une réponse aux Lignes de navigation du sommeil, c’est l’éléphante d’une forêt tropicale birmane qui rêve et est aussi capable de s’introduire dans les rêves sinistres des soldats de l’armée impériale japonaise qui l’accompagnent. Il lui arrive même de regretter cette souffrance qu’elle s’impose, blâmant sa curiosité pour les rêves des autres vivants30.
Ces interprétations de l’histoire sur un mode onirique tranchent avec l’écriture réaliste et linéaire du roman historique du terroir, en proposant une interprétation plurielle et nébuleuse de l’histoire, dont la narration est une fusion de souvenirs, d’oublis et d’hallucinations. Fragments de la mémoire et de l’imagination, les rêves servent de galeries faisant communiquer les destins interconnectés des personnages. Ceux-ci font apparaître un autre aspect spécifique du roman vis-à-vis de ses aînés, et qui touche plus précisément la question écologique : la distribution de la narration entre plusieurs voix et en plusieurs regards. Dans Les Lignes de navigation du sommeil comme dans Le Voleur de bicyclette, Wu Ming-yi s’intéresse en effet à la pluralité des interprétations des vivants consumés par les flammes de la Seconde Guerre mondiale. Plutôt que de réévaluer l’histoire insulaire à la lumière d’une reconstruction identitaire tantôt exclusivement sino-centrée, tantôt ouvertement taïwano-centrée, Wu semble davantage prendre à cœur l’établissement d’une communauté de devenirs qui ne soit pas liée par une appartenance nationale mais par le simple statut d’être vivant (humains et non-humains) face à la tragédie de la guerre.
Le paysage, en tant que cadre pour le vivant et non plus seulement comme décor passif, n’est pas plus épargné. Il est ainsi concerné au premier chef par les affres du conflit, comme dans le rêve du père de Saburō dans Les Lignes de navigation du sommeil, où des arbres de fer jaillissent des rizières et où une boule de feu embrase le village que les habitants sont contraints d’éteindre avec leur propre sang. Durant une catastrophe d’une telle ampleur, ce sont toutes les sphères de la vie qui se retrouvent instantanément connectées entre elles. Comme l’exprime le narrateur, « en temps de conflit, nulle chose ne peut se trouver en dehors du champ de la guerre, les bœufs eux-mêmes ne font pas exception»31, ni les bateaux, ni l’océan lui-même qui exhale bientôt l’odeur de la guerre :
Les effluves océanes n’étaient plus les mêmes depuis le commencement de la guerre. Si la mer regorgeait auparavant de l’odeur des crabes, des poulpes, des bancs de maquereaux, des récifs coralliens et des volcans sous-marins, elle commença à empester le nitre et les cadavres après le début du conflit. Ces relents finirent par détrôner les autres. La mer avait beau être immense, on aurait dit que la moindre route sur laquelle s’engageait un bateau était en guerre. En période de conflit, les bateaux eux-mêmes ne bénéficient pas de passe-droits, eux aussi doivent affronter la vie et la mort, la chance et la peur.
海的味道從戰爭開始也變得不同了, 過去海充滿螃蟹味、章魚味、鯖魚群味、礁石味、海底火山味, 但戰爭開始以後海就出現了硝火與屍臭味, 把其他的味道壓了下去. 海雖然那麼大, 但好像每一條船可以走的路線都在戰爭, 在戰爭時期, 即使是船也沒有輕鬆的權利, 船也要面臨生死、運氣與恐懼32.
Ce n’est du reste pas tant le paysage qui évolue au fil du conflit que le rapport sensoriel fugace des personnages à ce paysage. C’est le sens du lieu faisant mémoire qui se retrouve bouleversé, comme lorsque Saburō traverse la ville de Tokyo dévastée par les bombes, la forêt qui borde l’usine de Koza, son pays natal lorsqu’il revient du Japon, ou même beaucoup plus tard, le marché de Chunghua dans lequel il habite depuis sa conception.
Le lieu, de même que le rapport au lieu, n’apparaît ainsi plus stable mais est continuellement parcouru et refaçonné par des forces issues de l’intérieur et de l’extérieur. À l’image de l’incommensurabilité et de la connectivité propre à l’archipel, l’histoire est envisagée à travers ses trajectoires et ses motricités, elles-mêmes représentées par les lignes de navigation océaniques et aériennes du Pacifique qui donnent son titre au roman. Ce ne sont plus les hommes et les nations qui se retrouvent éclaboussés par les vagues de l’histoire, mais l’ensemble du monde vivant et non-vivant.
Dans Le Voleur de bicyclette, il est encore question de la Seconde Guerre mondiale et notamment des campagnes de Bornéo et de Birmanie où les forces alliées pilonnèrent les forces d’occupation japonaises. La guerre y est entre autres narrée grâce à la voix d’un vieux soldat autochtone tsou ayant combattu pour l’armée japonaise dans les forêts de Birmanie du Nord et qui a laissé des enregistrements sur cassette de cette époque. Il y raconte ses incertitudes identitaires mais également son amitié – alors qu’il se trouve au cœur du conflit – avec Binai, un dresseur d’éléphants birman appartenant à l’ethnie des Karens, avec qui il partage les souvenirs de son village tribal et ses connaissances de la forêt. Binai lui confie que « même s’ils ne participent pas à la guerre, s’ils la fuient, les gens de [son] village risquent aussi l’anéantissement. Ce jour viendra quand la forêt sera brûlée »33.
Comme dans Les Lignes de navigation du sommeil, c’est l’ensemble du monde vivant qui se retrouve harponné par la guerre : rivières, océan, forêts et leurs habitants, notamment ces éléphants utilisés comme « moyens de transport » dans les forêts tropicales par les troupes japonaises. Un chapitre entier, « Limbes » (靈薄獄), est ainsi consacré à la manière dont l’un des pachydermes vit et ressent le conflit et les bombardements. C’est en s’asseyant sur le tabouret d’un antiquaire construit en peau d’éléphant que le narrateur se retrouve transporté des décennies plus tôt dans les forêts de Malaisie et vit, comme dans une scène rêvée par procuration, l’angoisse des éléphants :
Les éléphants ne comprennent pas pourquoi ils se retrouvent emportés par ce tourbillon, leur corps, leur conscience, leur expérience, rien ne leur a donné la force d’affronter ce genre de monde. […] Menés par leurs dresseurs, les éléphants franchissent un cours d’eau illuminé de flammes et battu par des remous, ils pénètrent dans la forêt encore plus profonde de l’autre rive. Ils agitent nerveusement leurs trompes, flairent les environs. Très vite, ils découvrent que ces choses que les humains appellent des bombes engendrent de nouvelles odeurs. Lorsqu’elles tombent quelque part, elles changent tout en fumée. Si elles fracassent une pierre, une fume se lève qui sent la pierre, si c’est un arbre, elle produit l’odeur de l’arbre, mais si c’est une bête ou un homme qui est touché, elle apporte une toute nouvelle expérience olfactive, les corps des animaux brûlés n’exhalent pas la tristesse de la mort, mais un parfum étrange. Mais les éléphants ne savent pas encore que ce n’est pas en quittant la forêt en flammes qu’ils échapperont à la guerre et au labeur éternel qui les attend. Traverser une guerre, ce n’est pas comme parcourir une forêt, franchir une rivière ou gravir une montagne.
象並不理解自己為什麼被捲入這些事, 象的身體、象的意識、象的經驗都沒有給予牠們去面對這樣世界的能力. […] 象在馴象人的帶領下, 依序越過一條被火光照得發亮, 漩渦處處的河流, 進入對岸那片更深的叢林. 牠們不安地擺動著鼻子, 嗅聞四周. 很快牠會發現, 每一枚這種被人類稱為炸彈的東西都創造出一種新的氣味, 端看它擊中哪裡, 把什麼東西化為煙霧. 如果炸毀的是石頭, 浮起的煙塵就會發出石頭的氣味, 如果炸燬的是樹, 那就會產生那種樹的氣味, 如果炸中的是人或獸, 將會是一種全新的嗅覺經驗, 被燒烤過的動物屍體沒有死亡的悲哀, 反而帶著一種香氣. 但此刻象並不知道, 脫離火的森林並沒有脫離戰火, 沒有脫離永無止境的背負使命. 戰爭並不是穿過一座森林、越過一條河流、翻過一座山那類的事34.
À travers ces reconfigurations relationnelles de la matière historique, l’auteur entreprend de repenser l’expérience taïwanaise de la Seconde Guerre mondiale dans son équation singulière avec le monde en reconsidérant spatialement l’impact de l’histoire sur la multitude des vivants. Si l’élément central des textes reste bien le passé de Taiwan, celle-ci n’est pas représentée comme un territoire clos ayant vécu la genèse d’un peuple, mais au contraire un lieu fragmenté, relationnel, aux significations mouvantes. Les tremblements du lieu deviennent la substance fondamentale de l’histoire, envisagée dans l’intégralité de ses déclinaisons temporelles : temps géographique, temps social et temps individuel.
Dans toute l’œuvre de Wu Ming-yi est soutenue l’idée que le paysage ne doit pas seulement être perçu comme un décor indolent ou une nature morte, mais comme le cadre d’une collectivité mémorielle dynamique, où chaque être nécessite la mémoire de celui avec qui il coexiste et/ou interagit. Wu Ming-yi le formule ainsi dans un texte datant de 2000 : « La vie fonctionne comme une interdépendance, ce n’est une appartenance ni exclusive ni mutuelle »35. Une affirmation que n’aurait pas reniée Édouard Glissant :
Chacun de nous a besoin de la mémoire de l’autre, parce qu’il n’y va pas d’une vertu de compassion ni de charité, mais d’une lucidité nouvelle dans un processus de la Relation. Et si nous voulons partager la beauté du monde, si nous voulons être solidaires de ses souffrances, nous devons apprendre à nous souvenir ensemble. [...] La mémoire est un archipel, nous y sommes alors des îles que les vents inspirés mènent à dérader36.
[1] Certaines des réflexions de cette contribution ont nourri une partie du chapitre IV de mon ouvrage La Littérature à l’ère de l’Anthropocène : Une étude écocritique autour des œuvres de l’écrivain taiwanais Wu Ming-yi, Paris, L’Asiathèque (coll. Études formosanes), 2019.
[2] Derek WALCOTT, Collected Poems 1948-1984, New York, Farrar, Straus and Giroux, 1992, p. 364.
[3] Édouard GLISSANT, Le Discours Antillais, Paris, Gallimard, 1997 [1981], p. 343.
[4] Pedro MONAVILLE, « Une histoire postcoloniale de l’Afrique ? », La Revue nouvelle, 7-8, 2010, URL : http://www.revuenouvelle.be/Une-histoire-postcoloniale-de-l-Afrique.
[5] Edward W. SAID, Culture and Imperialism, Londres, Vintage, 1994, p. 271. Toutes les traductions sont les miennes.
[6] Hsin-tien LIAO, « Naturalistic and Distorted Natures: The Conception of Landscape in Visual Art and Surrealist Poetry in Colonial Taiwanese », Bulletin of Taiwanese Literature 臺灣文學學報, 27, 2010, p. 162-163. Dans son très instructif travail de Master, Chou Hsiang-yün 周湘雲 montre la récurrence des cocotiers dans l’imaginaire impérial japonais (dans la littérature, les arts ou les jardins). Ces arbres n’étant pas des plantes insulaires endémiques, ils ont été majoritairement naturalisés sur le territoire taïwanais, afin de concorder avec l’image que l’empire se faisait d’une colonie tropicale : Hsiang-yün CHOU, « 日治時期臺灣熱帶景象之形塑—以椰子樹為中心的研究 » [La construction d’un imaginaire tropical pendant la gouvernance japonaise à partir d’une étude sur les cocotiers], mémoire de Master sous la direction de Li-juan DAI 戴麗娟 et Hsin-hui CHIU 邱馨慧, soutenu en 2009 à l’Université Tsinghua.
[7] Parti Nationaliste chinois qui, sous la direction du général Tchiang Kai-shek, s’est réfugié sur l’île de Taïwan après la défaite sur le continent chinois contre les Communistes de Mao Zedong.
[8] John L. COMAROFF, « Reflections on the colonial state, in South Africa and elsewhere: factions, fragments, facts and fictions », Social Identities, 4 (3), p. 329.
[9] Wilson HARRIS, « Author’s note », The Whole Armour and the Secret Ladder, Londres, Faber, 1973, p. 8.
[10] Wilson HARRIS, « The Music of Living Landscapes », in Andrew BUNDY (éd.), Selected Essays of Wilson Harris: The Unfinished Genesis of the Imagination, Londres et New York, Routledge, 1999 [1996], p. 40.
[11] Pour une vision plus globale sur les tenants et les aboutissants de ces débats : Tien-tsung YU 尉天驄, 鄉土文學討論集 [Débats autour de la littérature du terroir, Taipei, Yuanjing, 1980.
[12] On peut se contenter ici de citer les titres suivants : Chun-ming HWANG黃春明, « 放生 » [Libération], in Libération, Taipei, Lianhe wenxe, 1999 [1987], p. 71-123 ; Tse-lai SUNG 宋澤萊, 打牛湳村 [Le village de Daniunan], Taipei, Caogen, 2000 [1978] et Hsing-fu HUNG 洪醒夫, 黑面慶仔, Taipei, Erya, 1978.
[13] Texte consultable en ligne
(URL : http://cls.lib.ntu.edu.tw/hakka/author/li_qiao/li_composition/li_onlin/fiction5_12.htm/)
[14] Sur cette question, et autour de « l’éthique environnementale » dans la littérature du terroir, voir Chien-chung CH’EN 陳建忠, « 神秘經驗的啟示與鄉土倫理的復歸-論黃春明小說中的人間、神鬼與自然 » [Révélations mystiques et retour à une éthique de la terre. Discussion autour de l’homme, des esprits et de la nature dans les romans de Hwang Ch’un-ming ], Bulletin of Taiwanese Literature 臺灣文學研究學報, 7, 2008, p. 147-175.
[15] Ming-ju FAN 范銘如, 文學地理-台灣小說的空間閱讀 [Géographie littéraire – une lecture spatiale de la littérature taïwanaise], Taipei, Maitian, 2008, p. 251-290 ; Fen-ling CHOU 周芬伶, 聖與魔-台灣戰後小說的心靈圖像 1945-2006 [Le sacré et le damné : une cartographie mentale des romans taïwanais 1945-2006], Chunghe, INK, 2007, p. 119-135.
[16] Kuei-fen CHIU 邱貴芬, « 面對浩劫的存活之道:閱讀吳明益《睡眠的航線 » [Survivre à la catastrophe : une lecture des Lignes de navigation du sommeil de Wu Ming-yi ], in Wu Ming-yi, 睡眠的航線 [Les Lignes de navigation du sommeil], Taipei, Eryu wenhua, 2007, p. 13.
[17] Yu-ting WANG 王鈺婷, « 生態踏查與歷史記憶-從《迷蝶誌》到《蝶道》 » [Sentiers écologiques et mémoire historique : des Chroniques de papillons égarés jusqu’au Tao des papillons ], in Ming-jou CHEN 陳明柔 (éd.), 台灣的自然書寫 [Le nature writing taiwanais], Taichung, Chenhsing, 2006, p. 103-105.
[18] Fang-ming CH’EN 陳芳明, 台灣新文學史 [Nouvelle histoire de la littérature taïwanaise], vol II, Taipei, Lianjing, 2011, p. 651.
[19] Ming-yi WU, « 國姓爺 » [Koxinga], in Ming-yi WU, 迷蝶誌 [Chroniques de papillons égarés], Taipei hsien, Xiari, 2010 [2000], p. 136.
[20] Ming-yi WU, «柴薪流下七腳川 » [Les fagots de bois descendent la Cikaosan], in Ming-yi WU, 家離水邊那麼近 [Tant d’eau si près de la maison], Taipei, Eryu wenhua, 2007, p. 48.
[21] Ming-yi WU, 單車失竊記 [Le Voleur de bicyclette], Taipei, Maitian, 2015, surtout p. 104-125.
[22] Ming-yi WU, « 言說八千尺 » [Discours à huit mille pieds], in Ming-yi WU, 蝶道 [Le Tao des papillons], Taipei, Eryu wenhua, 2003, p. 216.
[23] Ming-yi WU, « 憶祖與忘祖 » [Se rappeler ses ancêtres et oublier ses ancêtres], in Ming-yi WU, Le Tao des papillons, p. 87.
[24] Ibid., p. 86.
[25] Ming-yi WU, « Les fagots de bois descendent la Cikaosan», in Ming-yi WU, Le Tao des papillons, op. cit., p. 46. Le général japonais Sakuma Samata 佐久間左馬太 fut le cinquième gouverneur général de Taiwan, de 1906 à 1915.
[26] Ming-yi WU, « 行書 » [Sur la route], in Ming-yi WU, Le Tao des papillons, op. cit., p. 254.
[27] Ming-yi WU, « 達娜伊谷 »[ Tanayiku], in Ming-yi WU, Le Tao des papillons, op. cit., p. 153-154.
[28] Ming-yi WU, « 當霧經過翠峰湖 » [Lorsque la brume traverse le lac du Pic de l’émeraude ], in Ming-yi WU, Tant d’eau si près de la maison, Taipei, Eryu wenhua, 2007, p. 197.
[29] L’image de la tortue servant de pied de lit n’est pas sans rappeler l’imaginaire taoïste chinoise, où les tortues servent de base aux stèles des temples.
[30] Ming-yi WU, Le Voleur de bicyclette, op. cit., p. 155.
[31] Ibid., p. 198.
[32] Ming-yi WU, Les Lignes de navigation du sommeil, op. cit., p. 122.
[33] Ming-yi WU, Le Voleur de bicyclette, op. cit., p. 218.
[34] Ibid., p. 310-311.
[35] Ming-yi WU, « 魔法 » [Sortilèges], in Chroniques de papillons égarés, op. cit., p. 116.
[36] Édouard GLISSANT, Une nouvelle région du monde, Paris, Gallimard, 2006, p. 161.
Résumé
Dans cet article, je propose un examen des nouvelles écritures de l’histoire dans la littérature taïwanaise contemporaine, marquées par ce que Fan Ming-ju appelle l’esthétique « post-terroir » 後鄉土, en référence à la littérature dite du « terroir » des décennies 1960 à 1980. Par comparaison aux romans-fleuves de leurs prédécesseurs, Fan note chez les romanciers du « post-terroir » la prééminence du monde non-humain et l’importance accordée aux problématiques environnementales. En m’appuyant sur les œuvres fictionnelles et non-fictionnelles de l’écrivain Wu Ming-yi 吳明益 (1971-), je m’intéresse en particulier à la manière dont le paysage et les non-humains (animaux, végétaux mais aussi divinités) ne sont plus seulement les simples métaphores de la condition humaine, mais aussi des personnages à part entière et des victimes au même titre que les humains des guerres et des processus de colonisation. Ainsi, je suggère que l’écriture historique des auteurs du « post-terroir » comme Wu Ming-yi relève davantage d’une volonté d’écrire l’histoire d’un lieu – dans ses dimensions les plus multiples – que l’histoire d’un peuple.
Résumé autre langue
In this article, I propose to examine the new writings of history in contemporary Taiwanese literature, marked by what Fan Ming-ju calls a “post-nativist” 後鄉土 aesthetics, in reference to the so-called Taiwanese “nativist” literature of the 1970s. In comparison with the historical novels of their predecessors, Fan notes among the post-nativist novelists the preeminence of the non-human world and the importance given to environmental issues. This contribution is focused on the fictional and nonfictional works by Wu Ming-yi 吳明益 (1971-), I am particularly interested in how landscape and non-humans (animals, plants, but also deities) are no longer just the simple metaphors of the human condition, but also full-fledged characters and victims just like the humans of the wars and the processes of colonization. Thus, I suggest that the historical writing of the “post-nativist” authors like Wu Ming-yi is more of a desire to write the history of a place – in its multiple dimensions – than the history of a people.
Gwennaël Gaffric
Université Jean Moulin Lyon 3
Institut d’Études Transtextuelles et Transculturelles
BUNDY, Andrew (éd.), Selected Essays of Wilson Harris: The Unfinished Genesis of the Imagination, Londres et New York, Routledge, 1999.
CH’EN, Chien-chung, 陳建忠, « 神秘經驗的啟示與鄉土倫理的復歸-論黃春明小說中的人間、神鬼與自然 », Bulletin of Taiwanese Literature 臺灣文學研究學報, 7, 2008, p. 147-175.
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CHOU, Fen-ling, 周芬伶, « 聖與魔-台灣戰後小說的心靈圖像 1945-2006 », Chunghe, INK, 2007.
CHOU, Hsiang-yün, 周湘雲, « 日治時期臺灣熱帶景象之形塑—以椰子樹為中心的研究 », mémoire de Master sous la direction de Dai Li-juan 戴麗娟 et Chiu Hsin-hui 邱馨慧 soutenu en 2009 à l’Université Tsinghua.
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