La proximité de la célébration du Cinquième centenaire de l’arrivée des Espagnols en Amérique a donné lieu dès les années 1970-1980 à une profonde réflexion historiographique et épistémologique sur les modalités et la portée historique de ce que l’on a nommé la « découverte » et la « conquête de l’Amérique ». Ces interrogations se sont traduites, au plan littéraire, par un regain d’intérêt pour le roman historique, pour ne pas dire une déferlante éditoriale, qui a suscité l’émergence d’une nouvelle modalité de celui-ci, baptisée « nouveau roman historique latino-américain ». Cette interrogation du passé, souvent motivée par la volonté d’expliquer un devenir historique et un présent douloureux, a cherché à mettre en lumière les failles et omissions plus ou moins délibérées, la partialité, les mystifications, l’univocité ou l’instrumentalisation du discours historiographique consacré.
Dans la région périphérique du Río de la Plata, comme dans le reste de l’Amérique Latine1, les fictionnalisations de la « découverte » et de la « conquête » se sont plutôt d’abord focalisées sur des épisodes de l’histoire locale : « El hambre (1536) » de Manuel Mujica Lainez (1964) ou El entenado (1983) de Juan José Saer, retracent ainsi les épisodes douloureux de la première fondation de Buenos Aires ou la résistance des Indiens Colastiné face aux premiers colons espagnols.
Le romancier argentin Abel Posse se distingue quelque peu de cette tendance générale avec sa « Trilogie de la Découverte » constituée par Daimón (1978), Los perros del paraíso (1983) et El largo atardecer del caminante (1992), trois métafictions historiographiques ayant pour protagonistes respectifs Lope de Aguirre, Colomb et Cabeza de Vaca, trois acteurs singuliers de la découverte et de la conquête s’étant illustrés loin des frontières argentines.
Certaines déclarations de l’auteur permettent de saisir la ligne directrice qui sous-tend ce projet d’œuvre2 : proposer un véritable contre-discours fictionnel ayant pour mission de corriger les mensonges délibérés de l’historiographie, d’en combler les lacunes et de donner droit de cité à la voix des Amérindiens afin de mettre au jour une autre vérité sur laquelle construire un véritable « acte de baptême » de l’identité et de la conscience latino-américaines. Il enjoint ainsi les écrivains latino-américains de « lancer leurs caravelles de papier pour ‘dé-couvrir’ la version juste […], et réajuster les invraisemblances de l’histoire impériale »3.
Comment proposer au lecteur cette « version juste », comment « réajuster cette histoire impériale » au moyen de cette trilogie ? Le choix de ses trois protagonistes est déjà en lui-même significatif. En effet, Colomb, Cabeza de Vaca et Lope de Aguirre représentent tous les trois, selon Beatriz Pastor, des voix du « discours narratif de la conquête »4 – car ils en ont à la fois été les acteurs et les narrateurs, contrairement à de nombreux chroniqueurs ayant parfois relaté les événements sans même avoir foulé le sol américain. Ils représentent par ailleurs des voix particulières du discours narratif de la conquête, celle de Colomb assumant un rôle fondateur, tandis que celles de Cabeza de Vaca et de Lope de Aguirre incarnent respectivement, de par leurs funestes aventures, le discours narratif de l’échec et celui de la rébellion, ce sont des voix qui liquident toutes deux le discours triomphant de Cortés qui mythifie la conquête impériale.
Malgré l’infortune qui caractérise a priori ces figures historiques, nous avons tâché de démontrer, dans des travaux antérieurs, que la trilogie de la découverte de Posse s’attachait, tout en livrant un éclairage nouveau sur ces trois personnages historiques, à les doter d’une trajectoire et d’une dimension héroïques, exemplaires, à les présenter au lecteur comme les hérauts de la conquête telle qu’elle aurait pu, et surtout dû, se passer5.
L’historiographie de la conquête, on le sait, s’attache le plus souvent à relater les hauts faits de la conquête de la terre américaine. Pour autant, Colomb reste dans l’imagination collective « l’amiral de la mer océane » et Cabeza de Vaca l’éternel naufragé, le conquistador sans conquêtes, c’est-à-dire que le destin de ces deux figures est indissociable de l’élément marin. Choisir de les fictionnaliser impliquait pour Posse de représenter l’océan.
Nous nous proposons ici de nous intéresser à la façon dont la mer à travers sa représentation à la fois classique, ambivalente et singulière dans la trilogie possienne, figure métonymiquement l’espace américain tout en présidant activement, par son rôle dans le système actantiel de Los perros del paraíso et de El largo atardecer del caminante6, à l’héroïsation et à l’américanisation des avatars fictionnels de Colomb et Cabeza de Vaca.
Bien que publié en 1983, soit cinq ans après Daimón, Los perros del paraíso représente, d’un point de vue chronologique, le point de départ de la trilogie possienne car il met en scène l’arrivée de la première expédition espagnole en Amérique. Le récit est assuré par un narrateur hétérodiégétique omniscient qui s’identifie à l’auteur, et la diégèse du roman couvre la vie du navigateur de son enfance à Gênes à son arrestation, à la fin de son troisième voyage.
Le roman se structure autour de quatre parties portant le nom des quatre éléments. La première, « El aire », est introduite par une chronologie synoptique allant de 1461 à 1469 et embrassant simultanément les événements de la vie de Colomb, celle des futurs « Rois Catholiques » et, outre-Atlantique, la vie quotidienne des Incas et Aztèques. À partir de la seconde partie, intitulée « El fuego », le protagonisme du roman est clairement assumé par Colomb. La chronologie de cette partie couvre les années 1476-1488, c’est-à-dire la période pendant laquelle il prépare son expédition pour les Indes. La troisième partie, comme l’indique son titre « El agua », se focalise quant à elle sur sa traversée de l’Atlantique, qui se déroule de 1492 à 1500, ses trois premiers voyages apparaissant dans la fiction comme une seule et même expédition. Enfin, la quatrième partie, intitulée « La tierra », fictionnalise les années 1498-1500, c’est-à-dire l’expérience colombine de la terre américaine jusqu’à ce qu’il en soit évincé manu militari, à la fin de son troisième voyage.
Le protagoniste présente de nombreux traits empruntés au « personnage historique référentiel », une référentialité qui repose sur des données factuelles, des notations ou sur l’intégration à la fiction d’éléments intertextuels par divers biais, citation textuelle, commentaire, allusion ou pastiche, et qui crée un effet de réel nécessaire pour rendre vraisemblables les éclairages sur l’historiographie et sur le personnage proposés par la fiction, et souvent formulés en recourant à la parodie.
Plus qu’une prétention de la fiction à l’historicité, cette intertextualité s’attache souvent, par la voix du protagoniste, par le contre-discours représenté par le « journal secret » de Colomb ou par la voix du narrateur hétérodiégétique omniscient, à malmener, triturer et décrédibiliser ces intertextes censés faire foi, à mettre en doute leur authenticité ou à leur opposer une « vraie vérité »7.
À cet égard, et pour associer indéfectiblement son protagoniste à l’élément marin, la fiction reprend par l’absurde la thèse du prétendu « secret de Colomb » qui a tant divisé les historiens, et d’après laquelle le Génois aurait été informé de l’existence de terres à l’ouest avant même son premier voyage. En effet, dans Los perros del paraíso, ce secret est autre, il s’agit d’une curiosité anatomique : Colomb a les pieds palmés. Cette caractéristique, a priori absurde, permet à la fiction de proposer une justification à des faits historiques documentés, comme par exemple le fait que Colomb ait survécu à son naufrage en 1476, au large des côtes portugaises. D’autre part, outre que ces pieds palmés lui promettent un destin de marin (et non de cardeur comme l’aurait voulu la tradition familiale) et lui assurent la protection de la mer, cette curiosité fictionnelle donnerait tout son sens à la conviction, affirmée de façon récurrente par le « Colomb historique » dans ses récits de voyage et son Livre des prophéties, d’être un être providentiel, un descendant du prophète Esaïe chargé de ramener l’homme post-adanique à l’Eden8. Un autre trait physique, la couleur « vert de mer » de ses yeux, est perçue dans le système actantiel de la fiction, par les adjuvants9 que représentent ses commanditaires, les Rois Catholiques, comme un signe de son rôle providentiel10.
Mais, de tous ces adjuvants qui lui permettent de mener à bien son entreprise, c’est bien la mer qui détient la fonction principale, chose qui semblerait a priori évidente si l’on considère qu’elle est l’espace qui le mène à l’Amérique, même si elle joue parfois un rôle ambivalent.
Dans l’énonciation, elle est à plusieurs reprises personnifiée. Elle est d’abord la voix, la révélation, la messagère qui appelle Colomb vers son destin11. Cette bienveillance de la mer à l’égard du Génois, qui ne se démentira pas tout au long de sa traversée, contraste avec la perception qu’a de l’élément marin le monde qui l’entoure : elle est systématiquement perçue comme hostile et peuplée de créatures redoutables, représentation qui est à cet égard fidèle au topique médiéval du « Mare Tenebrarum » et à son bestiaire fabuleux12.
Dans l’énonciation de Los perros del paraíso, cette hostilité a une portée symbolique : la mer est l’expression de Yahvé, du dieu vengeur et atrabilaire de l’Ancien Testament, c’est Némésis qui punit les pécheurs qui viennent bousculer l’ordre établi. En fait, dans cette expédition, le Génois, souvent appelé « el iniciado », ne semble parvenir à communiquer qu’avec d’autres utopistes qui l’accompagnent (des avatars anachroniques de Swedenborg, Nietzsche, Marx et Borges) qui, par une inversion de perspective, sont appelés des « lansquenets », tandis que, par la même inversion de perspective, le bras armé de l’Espagne impériale, la conquête telle qu’elle s’est hélas passée, est incarné par l’équipage, qui manifeste une forte défiance à l’égard de Colomb, et qui a l’apanage des instincts cupides que l’historiographie a parfois prêtés au navigateur. Dans la fiction, la mer est donc hostile à ces hommes d’équipage, mais reste bienveillante vis-à-vis de leur capitaine qui veut les racheter du péché originel en les ramenant au Paradis Terrestre tel qu’il est décrit par Pierre d’Ailly dans son Imago Mundi. Ces deux groupes ont donc une perception diamétralement opposée de la mer.
Ainsi, à l’approche des Canaries, alors que la mer se déchaîne au point de provoquer la folie des chevaux et de ses hommes, Colomb reste quant à lui impassible (p. 138-139). Après le passage par cet archipel, la dernière partie de la traversée de l’océan acquiert, dans sa représentation, une dimension résolument épique à travers l’amplification et l’introduction d’un bestiaire merveilleux qui n’apparaît pourtant pas dans l’hypotexte du Journal de bord de Colomb13.
Ainsi, dans l’énonciation, la représentation de la mer la veille du 12 octobre est saturée de références mythologiques renvoyant à l’Odyssée. La mention des Furies, des Erynies protectrices de l’ordre établi, apparente la violence de la mer à la colère de Dieu. Les marins apeurés sont figurés comme des pécheurs s’accrochant au manteau de Dieu pour ne pas succomber. Colomb, implicitement assimilé plus tôt à Ulysse par la mention de « l’aurore aux doigts de rose » (p. 24), est encore une fois comparé au héros homérique par la mention d’Aphrodite, des sirènes, et d’un vent violent ici érotique baptisé la « traconchana », tout cela dans un registre clairement épique et même carnavalesque significatif car absent du Journal de Bord de Colomb14.
Colomb a pour sa part une tout autre perception de la mer et de sa sauvagerie car il apparente ce déchaînement aux signes d’un retour à l’Eden, à l’espace matriciel, ce qui explique qu’il ait avec elle une relation fusionnelle, dont la description fictionnelle la représente presque comme un accouplement, une copulation. Cette image de Colomb chevauchant la mer tel Moïse tandis que ses marins mécréants la voient, telles les troupes égyptiennes, comme un mur se dressant devant eux, renforce un peu plus la dimension messianique du personnage15.
Dans la dernière partie de la traversée, à l’approche du 12 octobre, Colomb voit anachroniquement défiler des morts (p. 165) et, juste derrière la proue de son propre navire, d’autres vaisseaux qui suivront son sillage, parfois des siècles plus tard : le Mayflower, des bateaux négriers hollandais, des vaisseaux pirates anglais, le brigantin Avon de Bolívar, un paquebot transatlantique des années 1930 chargé d’émigrés italiens… (p. 168-172). Cette présence des morts figure l’arrivée de l’expédition colombine dans les limbes, et donc à proximité du Paradis terrestre. L’apparition de ces bateaux anachroniques est ambivalente, car elle suggère d’une part que l’arrivée de Colomb en Amérique impliquera l’instauration au « Nouveau-Monde » d’un temps linéaire, chronologique, l’instauration du temps hégélien16 des hommes du faire ; mais, d’autre part, la présence conjointe dans la mer de ces bateaux qui appartiennent à des époques différentes figure cet espace marin atemporel comme une métonymie de l’Amérique originelle régie, dans le premier volet de la trilogie, Daimón, par un temps circulaire, par « el eterno retorno de lo mismo »17, « el estar », « lo Abierto »18.
Alors que l’arrivée à Guanahani est démythifiée pour n’apparaître dans la fiction que comme une étape sans importance d’un itinéraire le menant à l’Eden, l’objectif qu’il s’est fixé, la description de l’arrivée à la Boca del Dragón (p. 182-183) est clairement le palimpseste de la lettre de Colomb aux Rois Catholiques de 1498, du fait qu’il perçoit cet endroit comme l’entrée du Paradis Terrestre et, une fois encore, la mer joue ici un rôle d’adjuvante, comme si elle voulait l’accueillir dans son giron, dans l’espace matriciel qu’elle symbolise :
Oye que las aguas se van calmando. ¡Ingresan! […] Están en el “omphalos” (p. 186).
Le bain que Colomb prend nu dès son arrivée représente son baptême, sa conversion à l’Amérique, il figure un retour à la matrice, une annulation des lois post-adaniques. Le titre des quatre parties du roman (« el aire », « el fuego », « el agua », « la tierra ») prend alors tout son sens : la diégèse de Los perros del paraíso représente en fait une cosmogonie, celle de l’Amérique et de l’homme américain ici incarné par Colomb se libérant par ce bain à la fois de sa culture européenne et du temps linéaire hégélien pour adopter l’estar, « l’ouvert »:
Resultaba evidente que el almirante había sufrido una mutación ya probablemente sin retorno. La conciencia racional, característica de los “hombres del espíritu”, lo había abandonado. Sin saberlo, como para apenarse o jactarse vanamente, se había transformado en el primer sudamericano integral. Era el primer mestizo y no había surgido de la unión carnal de dos razas distintas. Un mestizaje sin ombligo, como Adán (p. 235).
Le prosélytisme dont le Génois fera preuve les jours suivants en promulguant deux ordonnances, celles de l’estar et de la nudité, pour convertir ses hommes à l’Amérique et les ramener à l’Eden, on s’en doute, sera vain. La description finale de l’arrestation de Colomb par Francisco de Roldán sous le regard incrédule de chiens mutiques scelle à la fois, dans l’éclairage fictionnel proposé, l’échec prévisible de l’utopie colombine et la victoire des hommes du faire, de la conquête impériale, qui préfigure le devenir historique douloureux de l’Amérique latine, même si elle ne remet pas en question l’exemplarité de ce Colomb de papier, une exemplarité qui vaudra également pour la fictionnalisation de Cabeza de Vaca dans El largo atardecer del caminante :
Se entregó con mansedumbre. Todo hombre que haya pasado los umbrales de Lo Abierto queda inhabilitado para mortificarse por la nadería del mundo apariencial. […] El almirante miró hacia el diezmado palmar que le había murmurado alguna vez un saludo de llegada, vio los castigos forzados y los bigotazos y el correaje de Roldán y su gente. Comprendió que América quedaba en manos de milicos y corregidores como el palacio de la infancia tomado por lacayos que hubiesen sabido robarse las escopetas. Murmuró, invencible: “Purtroppo c’era il Paradiso…!” (p. 244-245).
D’emblée, dans la brève notice biographique aux relents épiques sur laquelle s’ouvre El largo atardecer del caminante, le Cabeza de Vaca possien incarne, à l’instar de Don Quichotte, l’héroïsme vain, et apparaît comme la figure d’éternel naufragé que le personnage historique a lui-même forgée dans ses deux récits autographes bien connus, les Naufragios et les Comentarios, représentatifs, comme nous l’avons dit plus haut, du « discours narratif de l’échec », liquidateur du mythe triomphant de la conquête.
Contrairement à Los perros del paraíso, dans El largo atardecer del caminante, la narration est homodiégétique et assumée par la voix du protagoniste lui-même. Ce récit à la première personne plonge dans l’intimité du personnage et, en s’appuyant sur une stratégie d’ancrage factuel et stylistique dans le « référent », dans l’hypotexte historiographique des Naufragios et Comentarios, il acquiert la capacité de mettre en lumière, sur le mode de la confidence, les occultations opérées délibérément par Cabeza de Vaca dans ces deux récits officiels.
Le protagoniste, âgé et pauvre et qui réside à Séville, s’éprend d’une jeune bibliothécaire qui lui offre une ramette de papier frappé des armes de sa famille afin qu’il y livre le vrai récit de ses aventures américaines. Il entreprend d’y coucher sans fard ses mémoires intimes, ce qui donne pour sincère ce récit qui est spontané et dépourvu de destinataire, contrairement à ses Naufragios et Comentarios qui avaient pour but de le justifier aux yeux du pouvoir. Ce récit fictionnel dialogue donc avec son récit historique, il veut en combler les blancs et en livrer ce qu’il estime être les impostures.
Le pacte de lecture de la fiction dote donc cette dernière de la mission de donner à lire au lecteur une version vraisemblable de la conquête telle qu’elle aurait pu se passer. Nous allons voir que, comme pour Colomb, la fiction cherche surtout à proposer une vision de la conquête telle qu’elle aurait dû se passer, en nimbant son protagoniste d’une exemplarité et, comme Colomb, d’un statut de fondateur de la conscience américaine.
La plus grande partie de la diégèse livre une amplificatio des huit années passées par Cabeza de Vaca avec les Indiens, longue période simplement résumée en une page et demie dans les Naufragios ; cette amplificatio permet d’approfondir la veine anthropologique bienveillante déjà présente dans l’hypotexte, mais elle s’attache surtout à scander les phases successives de la métamorphose identitaire, de la conversion à l’Amérique de son protagoniste. Ses expériences de navigation sont cependant elles aussi fictionnalisées et, comme pour le Colomb de Los perros del paraíso, l’élément marin représente, contre toute attente, pour l’éternel naufragé Cabeza de Vaca de El largo atardecer del caminante un adjuvant dans son entreprise.
Dans la fiction, Cabeza de Vaca présente, comme son prédécesseur génois, un trait physique distinctif, des pieds amphibies, qui le promettent comme Colomb à un destin de navigateur, même s’il ne découvrira que tard cette caractéristique singulière, en survivant à ses premiers naufrages :
Observo mis pies en esta tarde dominical. […] Son anfibios. Les place el agua. Están sumergidos bajo la tibieza del sol como dos lagartos de La Florida (p. 45).
Comme dans Los perros del paraíso, la mer apparaît dans l’énonciation comme un élément hostile, voire démoniaque, un antagoniste pour les Espagnols, qui réserve pourtant un traitement de faveur à Cabeza de Vaca, comme on peut l’observer dans le récit du cyclone qui les frappe à Trinidad de Cuba, avant le départ pour la Floride (p. 73) et dans les toutes premières lignes de la seconde partie du roman, qui racontent son naufrage du 5 novembre 1528 devant l’île du Mal Hado : la description, d’une tonalité apocalyptique, se distancie à cet égard de l’hypotexte des Naufragios, les éléments déchaînés s’apparentant dans l’énonciation à l’ire divine punissant Pánfilo de Narváez pour sa participation au sac de Rome (p. 63-65).
Toute la description compare la tempête à un véritable sabbat des forces maléfiques, ce qui propulse implicitement Cabeza de Vaca dans la sphère messianique, dans la mesure où il interprète sa survie comme le dessein de la Providence et donc, comme pour Colomb, comme la confirmation de sa condition d’élu :
Desde la distancia se hacen ridículos todos nuestros esfuerzos. […] Escribo esto considerando y recordando esas noches de desastre: el agua violenta, con gusto y color de acero líquido. Gritos, imprecaciones. Los que se entregan y los que quieren organizar la catástrofe. El héroe que se ahoga tendiendo la mano al amigo y el que se salva dejando el hijo a la deriva. El que se hunde con sus pertenencias, por avaro y codicioso. El que se va al fondo por mantener la espada o la cruz o –las más de las veces– el arconcillo lleno de ducados y maravedíes. En todo caso, yo que sobreviví a varias de esas noches atroces, siempre tuve la sensación de que había algo de justicia, una especie de aliviador sentimiento de que la catástrofe y la muerte de tantos era simplemente un adelanto del juicio de Dios (p. 35-37).
Lors de ce naufrage, à l’instar du Colomb de Los perros del paraíso et contrairement à ses coexpéditionnaires, il s’abandonne à l’élément marin :
Traté de agregarme a la fiesta de los demonios. Se me ocurrió no resistir el aquelarre. […] El azar quiso que el mar me levantase para luego arrojarme sobre la playa, no sobre las piedras. La fiesta de los diablos había terminado (p. 63-64).
Malgré la violence de cette immersion forcée qui le jette nu sur la plage et le prive de tous les attributs renvoyant à sa culture originelle, il avoue a posteriori, depuis son présent sévillan, l’avoir vécue comme un fait providentiel, comme un baptême d’Amérique dans toute sa dimension liturgique, un baptême auquel il s’est abandonné avec délice, qui préfigurera l’hybridation identitaire qui scandera sa traversée à pied de l’Amérique. Le texte fictionnel contraste radicalement à cet égard avec celui des Naufragios, où ce naufrage apparaît comme la consommation de son échec en tant que conquistador.
Convaincu que ce naufrage et les suivants qu’il subit sont l’anticipation du Jugement Dernier, Cabeza de Vaca, qui ressort toujours indemne de ses déboires maritimes, acquiert aussi la conviction de son rôle providentiel, d’avoir un autre destin que celui d’incarner la figure cortésienne du conquistador triomphant.
Lavé de son hispanité, baptisé, converti à l’Amérique, Cabeza de Vaca assume donc comme Colomb un certain prosélytisme en ordonnant à ses hommes, lors de son expédition vers le Río de la Plata, de se baigner nus dans la mer :
Tenían vergüenza de su intimidad, como criminales que esconden un arma. No resistí a la tentación de ordenar, a través del contramaestre, que se bañasen desnudos, como esos peces de Dios que se deslizaban entre esas benditas aguas. […] En esas aguas transparentes, salobres, me parecía que eran purificados, redimidos de una España, de una cultura, muy enfermas. […] Gritaban, reían, se intercambiaban groserías. Parecían intrusos en el sereno palacio de la Creación (p. 218-219).
L’épisode du grillon qui lui évita de faire naufrage devant les côtes de Santa Catalina, documenté dans les Comentarios, est fidèlement repris mais resémantisé dans la fiction qui, renversant l’image topique du antihéros forgée par l’historiographie, associe cet heureux hasard à sa condition d’être providentiel :
Así era el azar o la voluntad enigmática de Dios. […] Lo que quise explicarle a Lucinda es que hay seres desafortunados, seres sin grillos. Y eso fue el desdichado de Pánfilo Narváez (p. 68).
Dans le récit fictionnel de son expédition au Paraguay, fort de sa mission apostolique et de son rôle rédempteur, et à rebours du catholicisme impérial, Cabeza de Vaca s’érige en héros moral et mène, dans ses rapports avec les Amérindiens, la conquête telle qu’elle aurait dû se passer, avec pour maxime « Solo la fe cura, solo la bondad conquista ». L’hyperbole épique qui caractérisait la représentation de la mer est tout aussi patente dans le récit de la traversée de la forêt guarani, de la rencontre des Amazones puis de Dieu aux chutes d’Iguazú (p. 191-192). Dans El largo atardecer del caminante, la chute du héros moral est aussi prévisible que dans Los perros del paraíso. Au demeurant, l’arrestation de Cabeza de Vaca à Asunción n’entache pas non plus sa grandeur, dans la mesure où le courroux de la mer sévit une nouvelle fois pour punir ses compatriotes qui le ramènent enchaîné sur la nef Comuneros, et parce que ses geôliers atterrés sont conscients de leurs torts et du pouvoir de Cabeza de Vaca d’apaiser les éléments, comme on peut l’observer dans cet exemple dont le texte, il faut le dire, est assez proche du passage correspondant du génotexte historique des Comentarios :
Y Alonso Cabrera, mi torturador, mi verdugo, bajó en la oscuridad de la bodega, abrió los candados […] para besarme y lamerme los pies como una bestia sumisa, vencida por su sentimiento de culpa. […] Me quería dar el comando de la nave con tal de que cesara el huracán. […] Me pusieron en la cubierta como a un santo o un ángel guardián. Por suerte en no más de dos o tres horas empezó a amainar y se amontonaron a rezar como ovejas, como un hato de viejas beatas que se salvaron de la peste (p. 26).
Ya conté cómo, al estallar el temporal, sintiéndose culpable ante Dios en su furia oceánica, vinieron a sacarme los grillos y a rogarme me hiciera cargo de la nave en peligro (p. 233).
La mer, on le voit, est en symbiose avec le héros de la fiction, elle accompagne et facilite l’exécution de la mission dont il se sent investi car elle est présentée comme juste et parce que, tout comme pour ses devanciers Lope de Aguirre et Colomb, l’aventure américaine de l’Alvar Núñez de Posse est aussi un roman initiatique, le roman de son initiation à l’Amérique, de sa dés-hispanisation, de son américanisation.
Ainsi, dans sa trilogie de la découverte, Abel Posse propose une relecture de la trajectoire de trois figures historiques qu’il dote parfois, contre toute attente comme dans le cas de Lope de Aguirre, d’une exemplarité en resémantisant leur aventure américaine et en les faisant incarner, par leur conversion à l’Amérique, une alternative au catholicisme impérial qui a régi la conquête, erreur fondatrice qui, selon lui, porte en germe l’histoire douloureuse du Sous-Continent.
L’originalité du rôle dévolu à la mer dans le système actantiel de ces fictions est qu’alors qu’il la représente souvent dans la plus pure tradition classique, à travers des motifs homériques ou par la convocation d’un bestiaire médiéval merveilleux, alors qu’il s’inspire parfois très largement des récits connus de ces figures historiques ou les imite tout en recourant à l’hyperbole, il la dote d’un rôle ambivalent, celui de Némesis, de rempart contre les hommes du faire et contre le temps hégélien et celui d’adjuvante, de messagère, de protectrice de l’entreprise de ces proto-américains paradigmatiques, tout en lui faisant incarner, métonymiquement, l’espace américain, sous la forme idéalisée d’un espace atemporel primordial, d’un paradis des origines.
[1] L’événement fondateur de l’aventure colombine, première rencontre de deux mondes, a particulièrement focalisé l’attention de narrateurs cubains comme Alejo Carpentier avec El arpa y la sombra et Antonio Benítez Rojo avec El mar de las lentejas dès 1979, avant d’inspirer d’autres Latino-américains comme l’Uruguayen Alejandro Paternain, le Mexicain Homero Aridjis ou encore le Paraguayen Augusto Roa Bastos. Pour ce qui est de la conquête de l’empire aztèque, elle a, elle aussi, d’abord été fictionnalisée au Mexique, dès 1826 par l’anonyme Jicoténcatl puis par Carlos Fuentes ou Armando Ayala Anguiano. De la même façon, on constate que ce sont principalement des Vénézuéliens – Uslar Pietri et Otero Silva – qui ont, après les Espagnols (Valle-Inclán, Baroja, Sender, Torrente Ballester…), fictionnalisé la funeste expédition de Lope de Aguirre dans l’actuel Venezuela.
[2] « En la novela histórica encontré la voluntad de hacer una novela transhistórica, metahistórica una metáfora– utilizando la historia como clave para interpretar el absurdo de nuestra América. Esta América que es un continente como si no hubiera nacido todavía. Todos los escritores de Latinoamérica han sentido con Carpentier, Vargas Llosa, Fuentes, y muchos otros, la necesidad de entrar un poco en el pasado para rescatar las claves del presente. No es ya una novela histórica inocente la que se hace en América Latina. El fin es reinterpretar –es buscar claves– en un continente que está buscando su paternidad. […] Ya que solamente un dos por ciento de lo que aparentemente ocurrió en la historia de América fue anotado, esto ofrece al escritor una infinidad de posibilidades. Yo creo que el novelista es el verdadero intérprete de la historia de América, porque entre un documento y otro a veces hay una entrelínea de seis a diez años. En América la historiografía es muy pobre y ha sido siempre oficial, de la corona. Esta es una historiografía absolutamente censurada. Es la historia de los vencedores. Sacar ahora a luz una nueva interpretación es un arduo trabajo, pero se siente que se debe hacer. […] El acta de bautismo de América fue escrita por gente que escribía falsamente: la escribieron los eclesiásticos y los conquistadores. La verdadera historia de América Latina tiene que hacerse por la interrelación de la versión americana profunda, y eso lo están haciendo los escritores », Abel POSSE, in Silvia PITES, « Entrevista con Abel Posse », Chasqui-Revista de literatura latinoamericana, Arizona State University, vol. XXII, 2 (11), 1993, p. 125.
[3] Abel POSSE, « La novela como nueva crónica de América, in Karl KOHUT (éd.), De conquistadores y conquistados. Realidad, justificación, representación, Frankfurt am Main, Vervuert Verlag, 1992, p. 249-255, p. 253. Nous traduisons.
[4] Beatriz PASTOR, Discurso narrativo de la conquista de América, La Habana, Casa de las Américas, 1983.
[5] Cette hypothèse, développée dans notre thèse de doctorat Les figurations de l’héroïsme dans l’œuvre d’Abel Posse (Université Paris 8, 2011), est reprise à grands traits dans l’article suivant : Romain MAGRAS, « L'œuvre romanesque d'Abel Posse : une fabrique de héros », in Dominique RANAIVOSON et Valentina LITVAN (dir.), Les héros culturels. Récits et représentations, Paris, Éditions Sépia, 2014, p. 109-130.
[6] Dans les passages cités, nous ferons référence aux éditions suivantes : Abel POSSE, Los perros del Paraíso, Buenos Aires, Emecé, 2011 ; Abel POSSE. El largo atardecer del caminante, Buenos Aires, Emecé, 1999.
[7] Dans ces différents passages, la fiction s’attache à battre en brèche la validité du discours historiographique et celle des « documents authentiques » sur lesquels il s’appuie : « Después, en el pupitre [Colón] inauguró con su reconocida caligrafía el Diario Secreto que su hijo bastardo, Hernando, dañaría irremediablemente y del cual el padre Las Casas recogería algunas cenizas, sólo pasajes de sensatez » (p. 141), « (muy poco de lo importante queda por escrito, de aquí la falsedad esencial de los historiadores) » (p. 109), « Los cronistas no retienen el texto de aquella proclama; como siempre, captan lo fácil » (p. 48), « Resulta históricamente inexplicable la falta de decisión de Colón para quedarse en La Gomera casándose con la viuda. No hay documentos. Los fracasos y los miedos no se confían a la posteridad » (p. 155).
[8] « El 13 de agosto de 1476 había llegado, semidesnudo y haciendo ‘la plancha’, apenas impulsándose con una mano –la otra agarrada a un remo roto– hasta el roquedal de la costa portuguesa. ¡Tantos se habían ahogado! Él se impuso por la indeclinable fe en su misión y en la intuición de su naturaleza preferentemente anfibia (se quitó las medias a pesar de la marejada y llegado a la costa tuvo la suerte de encontrar en seguida con qué cubrirse los pies, su secreto). Varó en la rompiente entre ásperas restingas. Eran las palmas de arena de la mano de dios que lo recogía después de haberlo malamente sacudido. Se sintió seguro, confirmado » (p. 76), « […] Como descendiente de Isaías, el almirante sabíase portador de una terrible responsabilidad: retornar al lugar donde ya no rige esa trampa de la conciencia, esa red tramada con dos hilos: el Espacio y el Tiempo » (p. 128-129).
[9] Nous empruntons ce terme à Vladimir Propp dans sa Morphologie du conte.
[10] « ¿Has encontrado la sota de ojos verde-mar? Me dicen que en los juegos de barajas aragoneses todas las sotas tienen ojos pardos » (p. 89).
[11] « Dioses salvajes del mar. Los intuía vivos. Pensó, sin modestia, que alguna vez le habían hablado con la voz áspera del invierno o con ese susurro, que sólo el iniciado comprende, en las calmas tardes del verano. […] La voz del mar susurraba en verso. Lo llamaba. Clarísimamente escandía: –Coo-lón. Coolón. El mar no decía Coo-lom-bó. No. Decía claro (en español): ‘Cooo-lón’ » (p. 23), « El entorno perdió significación, murieron los sonidos del muelle y sus oídos se abrieron hacia una voz estratosférica, virilmente timbrada –pero no baritonal– que le decía: Oh hombre de poca fe Levántate que Yo soy […] Ahora te digo: te doy las llaves de los atamientos de la Mar Océana. ¿Me desilusionarás? ¿Huirás hacia un destino de buey, o águila serás? No olvides que del pastor David hice Rey de Judea. A ti almirante y señor con espuela de oro. ¡Adelante! ¡Te espero! » (p. 130).
[12] À cet égard, voir Juan GIL, Mitos y utopías del Descubrimiento, Madrid, Alianza Universidad, 1989, vol. I : « Colón y su tiempo ».
[13] « Los atroces grifones. El Octopus. El Orcaferone. Ahora sí, ahora estaba enfrentado. Los abismos de la mar ignota. Las furias del viento : los reinos de los demonios. Sentía, desolado, que ahora el Señor lo había librado definitivamente a su fantasía. Perversidad divina: castigar concediendo » (p. 157).
[14] « ¡Correr el temporal! ¡Correr! ¡Galopar con el oleaje! ¡No temer! ¡No protegerse, sería inútil! Pero no entienden. Pretenden dejar las naos a palo seco. […] En suma: transformar el efímero espacio de las tres naos en tres ínsulas firmes y seguras. ¡Imposible!; desaparecerían de un manotazo de mar. El almirante logra imponerse y los insta a que se entreguen con alegría a galopar el océano. A transmutar la violación en un acto de amor triunfante. […] El almirante grita al del gobernalle: –¡Sólo allí hay que ir! ¡Donde duermen los demonios! ¡En su cueva! ¡Sólo allí uno podría salvarse! En la capital del Mal. ¡En el centro del cual parten las sucesivas rondas de diablos…! En el núcleo del ciclón, cuando se llega, hay calma, un silencio dulce. En torno se ven girar nubes negras, cargadas de hielo y fuego, persiguiéndose como Erinias » (p. 166-167), « El almirante comprende que están bajo el dominio de Afrodita la ineludible, diosa del amor nacida de las entrañas del mar. Esmerando el oído se puede escuchar el rítmico canto de las sirenas. Por proa, riendo y zambulléndose como delfines, pasan tres de ellas con sus tetas alabastrinas en el plenilunio. El almirante ordena esquivarlas echando un borde. […] Sabe que Afrodita los mira y les llena los corazones de dulces desvelos » (p. 177).
[15] « El viento sopla fuerte y hay mar gruesa de proa. La nao rompe dientes de espuma. Vuelan flecos, encajes, blanca baba de potro en alocada carrera. […] Las riendas del caballo loco. Gemidos hondos en las fogonaduras del trinquete, mayor y mesana, exigidos al máximo. Vuelven a ser tallos gráciles en la dura fiesta del temporal. Golpes de tambor ronco del casco que embiste la mar. […] Vibra la nao. Potra en celo. Es un instrumento de cuerdas en su máximo allegro. Ahora canta con voz ronca el viento que entra por escotillas y pañales. Los estays, los obenques, son cuerdas de un arpa arrojada a la música. Gime, gime el viento. El almirante, grita, exige. Quisiera tener un látigo y sacudir a los sobones. Desgraciados. Sube al castillo proel y recibe una bendición de olas deshechas. Espuma fresca en la cara y el pecho. […] Grita: –¡Evohé! ¡Evohé! ¡Evohé! ¡Aleluya! ¡Cazar! […] Galope loco por los campos de la mar. Entrega. Fiesta. Éxtasis. Abandono al espacio » (p. 159-160).
[16] La philosophie hégelienne de l’Histoire introduit l’idée d’une intelligibilité et donc d’un sens, d’une linéarité de l’histoire à partir d’un moment axial. Ce cours de l’Histoire dont l’agent serait l’homo faber, « l’homme du faire », l’homme prométhéen, est en opposition totale avec le temps circulaire de l’éternel retour des « hombres del estar » caractéristique selon Kusch des sociétés amérindiennes à l’arrivée des Européens. Voir Mircea ELIADE, Aspects du mythe, Paris, Gallimard, 1963, p. 86-87.
[17] Voir Abel POSSE, Daimón, Buenos Aires, Emecé, 1989, p. 8. Concept développé par Mircea Eliade dans Le mythe de l’éternel retour, Paris, Gallimard, coll. Idées, 1969.
[18] Il s’agit des concepts de « l’être-là » et de « l’Ouvert », développés par Martin Heidegger dans Les chemins qui ne mènent nulle part, Paris, Gallimard, 1986, et transposés par l’anthropologue argentin Rodolfo Kusch au monde inca dans América profunda, Buenos Aires, Biblos, 1999.
Résumé
Les modalités de la représentation de l’élément marin lui font assumer un véritable rôle au sein du système actantiel de la « trilogie de la découverte » du romancier argentin Abel Posse. Ce travail se propose d’analyser ces représentations afin de souligner la dimension matricielle ainsi que celle d’adjuvant, de pont entre deux mondes et deux temporalités qu’il assume dans Los perros del paraíso (1983). Dans El largo atardecer del caminante, réécriture de l’aventure américaine de Cabeza de Vaca, nous relèverons les procédés par lesquels, contre toute attente, à travers l’énonciation et à rebours de la perspective adoptée par l’éternel naufragé historique dans ses Naufragios, le romancier dote la mer d’un rôle de passerelle active et volontaire entre deux mondes, de facilitatrice de la « découverte » telle qu’elle aurait pu et dû se passer.
Resumen
Las modalidades de su representación dotan al elemento marino de una verdadera función en el sistema actancial de la « trilogía del descubrimiento » del novelista argentino Abel Posse. Este trabajo pretende analizar estas representaciones para resaltar el caracter matricial y el de facilitador, de puente entre dos mundos y dos temporalidades que asume el océano en Los perros del paraíso (1983). Asimismo, en El largo atardecer del caminante (1992), reescritura de la aventura americana de Cabeza de Vaca, señalaremos los procedimientos de los que el novelista se vale en la enunciación para representarlo, al revés de lo que pasa en Los Naufragios, como una pasarela benévola para la conquista tal como podía y debía haber pasado.
Romain MAGRAS
Université du Littoral Côte d’Opale (ULCO), HLLI (EA 4030)
ÉLIADE, Mircea, Aspects du mythe, Paris, Gallimard, 1963.
—, Le mythe de l’éternel retour, Paris, Gallimard, coll. Idées, 1969.
GIL, Juan, Mitos y utopías del Descubrimiento, vol. I : Colón y su tiempo, Madrid, Alianza Universidad, 1989.
HEIDEGGER, Martin, Les chemins qui ne mènent nulle part, Paris, Gallimard, 1986.
KUSCH, Rodolfo, América profunda, Buenos Aires, Biblos, 1999.
MAGRAS, Romain, Les figurations de l’héroïsme dans l’œuvre d’Abel Posse, thèse de doctorat dirigée par Perla Petrich et Julio Premat et soutenue à l’Université Paris 8 en mars 2011. http://www.academia.edu/35190540/Les_figurations_de_lh%C3%A9ro%C3%AFsme_dans_loeuvre_dAbel_Posse.pdf
—, « L'œuvre romanesque d’Abel Posse : une fabrique de héros », in Dominique RANAIVOSON et Valentina LITVAN (dir.), Les héros culturels. Récits et représentations, Paris, Éditions Sépia, 2014, p. 109-130.
PITES, Silvia, « Entrevista con Abel Posse », Chasqui-Revista de literatura latinoamericana, Arizona State University, vol. XXII, 2 (11), 1993.
PASTOR, Beatriz, Discurso narrativo de la conquista de América, La Habana, Casa de las Américas, 1983.
POSSE, Abel, « La novela como nueva crónica de América, in Karl KOHUT (éd.), De conquistadores y conquistados. Realidad, justificación, representación, Frankfurt am Main, Vervuert Verlag, 1992, p. 249-255.
—, El largo atardecer del caminante, Buenos Aires, Emecé, 1999.
—, Daimón, Buenos Aires, Emecé, 1989.
—, Los perros del Paraíso, Buenos Aires, Emecé, 2011.