Dans une lettre datée du 20 mai 1667 et adressée à son cousin le comte de Bussy-Rabutin, Mme de Sévigné évoque l’impact de la guerre de Dévolution sur la vie courtisane :
Paris est un désert, et, désert pour désert, j’aime beaucoup mieux celui de la forêt de Livry, où je passerai l’été,
En attendant que nos guerriers
Reviennent couverts de lauriers.
Voilà deux vers. Cependant je ne sais si je les savais déjà, ou si je les viens de faire. Comme la chose n’est pas d’une fort grande conséquence, je reprendrai le fil de ma prose1.
C’est donc tout naturellement que l’épistolière du Grand Siècle suspend sa prosaïque relation le temps d’un distique, inséré avec fluidité dans la continuité de la phrase. Ce geste n’a rien d’exceptionnel pour la marquise, qui se plaît à mêler ainsi les formes au sein de son abondante correspondance. Si c’est bien sur cet entrelacement que se fonde la composition du mot prosimètre, la définition de ce terme technique, logiquement omis dans les dictionnaires usuels, demeure épineuse et sujette à questions : dans quelles proportions vers et prose s’entremêlent-ils ? Quelles sont les modalités de leur alternance ? Délicate à appréhender en raison de sa mixité, la forme paraît de fait rarement sous les projecteurs de la critique : la bibliographie d’Astrid Klapp-Lehrmann et d’Otto Klapp2, tout comme celle de la Modern Language Association of America (MLA International Bibliography)3, montrent à quel point le sujet a été peu frayé, généralement envisagé par l’intermédiaire d’une œuvre présentant cette structure hybride. L’on peut néanmoins relever l’existence de quelques essais de théorisation, comme celui de Nathalie Dauvois, consacré au prosimètre pastoral de la Renaissance française, dans lequel elle précise que l’ambigu mélange « a sa source dans la satura qui repose initialement sur les contrastes ménagés entre vers et prose »4 ; ou encore Le Prosimètre à la Renaissance5, volume collectif de 2005 regroupant plusieurs articles autour du sujet. Toutefois, comme le signalent leurs titres, ces travaux se concentrent sur le XVIe siècle. La question a bel et bien été soulevée pour la période suivante : Marie-Gabrielle Lallemand s’intéresse ainsi à l’hybridité générique en traitant du roman poétique dans Les Longs Romans du XVIIe siècle6, et Nathalie Grande interroge de même cette mixité dans son Rire Galant7. Rares demeurent cependant les recherches exclusivement consacrées au prosimètre et à ses manifestations à travers le Grand Siècle8.
La forme est pourtant bien présente dans le paysage littéraire de l’époque du Roi-Soleil : comme le rappelle Franco Piva dans son édition du Commerce Galant9, la mode de la prose mêlée de vers pour composer « le corps d’une même narration »10 aurait été lancée au milieu du XVIIe siècle par Jean-François Sarasin, qui y recourt dans sa Pompe funèbre de Voiture, parue en 1648 au décès du grand épistolier, ainsi que dans sa Lettre écrite de Chantilly à Madame de Montausier.
De fait, la formule séduit et se répand au sein de la littérature mondaine et galante11 – littérature dont relève le roman épistolaire à son émergence12. La prose prédomine néanmoins chez les représentants du genre au XVIIe siècle13 qui, tels Le Portefeuille de Madame de Villedieu, Les Amours d’une belle Anglaise, ou encore les plus connues Lettres portugaises de Guilleragues, se présentent souvent comme des documents authentiques, à l’instar de la pratique quotidienne sur laquelle ils reposent. Héritier d’une tradition littéraire, associé aux jeux de l’esprit et à l’invention, le prosimètre trouve-t-il alors sa place dans le roman épistolaire, a priori rattaché à la prose et tendant à repousser toute accusation de fictionnalité ? C’est au prisme de cette interrogation que nous envisagerons l’alternance des formes dans les histoires « séparée[s] en lettres »14 du règne de Louis XIV, avant d’observer un cas spécifique, où ladite alternance s’impose : celui du Commerce Galant, attribué à Catherine Bernard et Jacques Pradon.
On l’a vu, Madame de Sévigné accompagne ses vers d’une brève réflexion métalittéraire, qui suggère que si la lettre accueille volontiers le mètre – en particulier dans les déclarations et louanges à l’être aimé – c’est plutôt la prose qui s’entremêle de vers dans les échanges du quotidien15. Les modèles de lettres fournis dans les recueils16 et secrétaires17, publiés en grand nombre au XVIIe siècle, privilégient comme la marquise le fil prosaïque18 : « [i]l faut écrire comme l’on parle […] », avance Mateï De La Barre dans L’Art d’écrire en français19.
La prédominance de la prose dans les échanges épistolaires n’exclut cependant pas l’hybridité formelle, qui se manifeste par exemple dans les Lettres de respect, d’obligation et d’amour, publiées par Edme Boursault en 1669. Le vers s’y invite suivant des modalités diverses, entre intégration fluide et détachement. Dans l’épître adressée à Mademoiselle de Nanteuil20, l’insertion d’un couple de strophes à Iris est ainsi commentée :
Je voudrais, Iris… mon Dieu, Mademoiselle, je vous demande pardon : je suis si accoutumé au nom d’Iris, à cause que je vous l’ai donné dans les deux sixains que je vous ai faits, qu’il m’échappe avec aussi peu de peine en prose qu’en vers21.
Si la réflexion met en évidence le dialogue entre les deux formes, souligné par la méprise du locuteur, elle rappelle également la dimension littéraire de la déclaration versifiée à travers le recours au masque onomastique pastoral.
Ces mêmes Lettres de respect, d’obligation et d’amour représentent une porte d’entrée pour l’étude du prosimètre dans le roman épistolaire. Le seuil en est atypique, puisque c’est dans ce recueil que paraissent pour la première fois les « Lettres à Babet », disséminées parmi les autres épîtres. Une continuité s’établit dans les impressions ultérieures, et à la fin du XIXe siècle, les missives, déracinées de leur terreau originel, constituent un roman par lettres à part entière dans l’édition que préface Émile Colombey22. Dans cette histoire d’amour polyphonique, le correspondant de la belle Babet recourt fréquemment au vers pour exprimer sa pensée, mêlant le plus souvent prose et mètre avec souplesse. Ainsi, tandis qu’il fait le portrait d’une séduisante demoiselle, l’épistolier insiste sur certains de ses attraits :
Pour sa gorge, je soutiens,
Que c’est là que l’Amour pour tirer tous ses traits,
Entre deux monts d’albâtre est campé tout exprès.
Je te jure, Babet, que je n’ai jamais rien vu de plus aimable […]23.
Dans cet exemple, la proposition subordonnée complétive en alexandrins se voit donc introduite en prose : le discours se prolonge d’une forme à l’autre sans hiérarchie. Le passage ne s’opère cependant pas toujours suivant pareil glissement, et les vers composent fréquemment une pièce détachée offerte au destinataire, qui peut d’ailleurs en être le commanditaire. Par le biais de la lettre, le destinateur transmet en effet ses pensées et relaie des nouvelles, mais il peut aussi envoyer des poèmes. Ainsi, parmi les « Lettres de demandes et de prières », François de Fenne, auteur du Secrétaire à la mode réformé, intègre un modèle de « demande de quelques vers »24. C’est de fait à la suite à d’« instantes priers »25 que l’épistolière de L’Érudition enjouée, ouvrage de Marie-Jeanne Lhéritier de Villandon publié à l’aube du XVIIIe siècle, finit par se rendre aux « souhaits » de sa destinataire et assure à cette dernière qu’elle sera désormais « attentive à [lui] envoyer des vers »26 – car elle en vaut bien la peine. C’est également à ce type de sollicitation que répond Olinde dans Les Amours d’une belle Anglaise, roman par lettres publié anonymement en 169527. Alors que « de toutes les occupations celle de copier est la plus ennuyeuse pour [elle] »28, l’épistolière, soucieuse de distraire son destinataire, accepte de se faire pour lui « copiste de Messieurs de Fontenelle, Perrault, Despréaux, de Madame Deshoulières, et des autres dont [il lui fait] un catalogue d’une énorme longueur »29. Plusieurs pièces en vers sont ainsi introduites dans l’ouvrage : les « Souhaits ridicules » de Charles Perrault (lettre II), les « Réflexions morales » de Mme Deshoulières (lettre III), ou encore quelques stances dans la quatrième lettre. À la fin de la troisième missive, Olinde présente en ces termes un ensemble versifié virulent adressé « au Roi de France » :
Si vous voulez bien juger des sentiments que les Français ont aujourd’hui de leur Roi, permettez-moi avant que de finir cette Lettre de vous mettre ici des vers qui ont fait beaucoup de bruit. Ils ont déjà couru bien des Pays, mais n’importe, ils sont beaux, et pourvu qu’ils soient nouveaux pour vous cela me suffit30.
L’épistolière commente ensuite cette insertion :
Voilà bien des vers, Monsieur, vous voyez qu’on prend soin de vous satisfaire. Je ne m’embarrasse guère qu’ils cadrent ou ne cadrent pas au sujet sur lequel vous m’obligez d’écrire, puisque ce n’est qu’à vous que je les envoie31.
Si la discontinuité introduite, à la fois narrative – la pièce versifiée n’est a priori pas d’Olinde – et thématique, se trouve pleinement et explicitement assumée par l’épistolière, la remarque de cette dernière ne laisse pas d’interpeller quant au risque d’« éclatement »32 que la cohabitation des formes peut faire peser sur le texte.
Alors qu’il tendrait à s’épanouir dans l’écriture galante33, le vers s’invite de fait peu, et plutôt avec détachement, dans les romans par lettres du Grand Siècle. Les plaintes de la religieuse portugaise de Guilleragues – dont la vibrante émotion a longtemps été invoquée en faveur de l’authenticité du texte34 – n’empruntent pas cette forme, et le mètre est aussi totalement absent des Fourberies de Vénus ou Lettres amoureuses de C.. E.. A.. à B.. R.. G.., œuvre méconnue parue au début du XVIIIe siècle. C’est par le biais d’une prose tourmentée que s’expriment en effet le désespoir de Marianne et le désarroi de C.. E.. A.. face à son destinataire, la seconde étant « si troublée qu’[elle] ne sai[t] ce qu’[elle] [lui] écri[t] »35. Dans ces cas, la malléabilité de la phrase prosaïque est préférée à l’impératif métrique de la versification pour transcrire le désordre des sentiments. Est-ce parce que la forme mêlée demeure « création délibérément artificielle »36 – pour reprendre les mots de Jean-Michel Pelous – face à un genre en quête de naturel qu’elle n’abonde pas au sein des représentants dudit genre ? Le roman par lettres, note Jean Rousset, se présente en effet en « document, émanant non pas d’un romancier, mais de personnages réels ayant vécu et écrit »37. Si les circonstances peuvent sensiblement varier, les postures adoptées dans les avant-propos se rejoignent : qu’il s’agisse des Lettres portugaises (1669), qui se veulent « une copie correcte de la traduction de cinq lettres portugaises, qui ont été écrites à un gentilhomme de qualité, qui servait en Portugal »38, du Portefeuille (1674)39, des Amours d’une belle Anglaise (1695) ou encore des Fourberies de Vénus (1714), l’ambition est de livrer au public une correspondance présentée comme authentique.
Lié par son épistolarité à une pratique de la vie quotidienne, le roman par lettres se plaît ainsi à arborer le masque vendeur du vrai. Et c’est peut-être pour éviter que leurs œuvres ne soient trop associées à de purs « jeux de l’esprit »40 que les auteurs n’abusent pas d’une forme comme le prosimètre. Comme le suggère l’épistolière de L’Érudition enjouée, le vers peut conférer à l’œuvre une dimension très littéraire en déclenchant la quête herméneutique. En effet, « la prose et les vers ont un style si différent, qu’il faut être de la dernière habileté dans une Langue pour comprendre parfaitement tout le sens d’un ouvrage renfermé dans les impressions figurées de la Poésie »41. Cependant, le prosimètre n’est pas complètement forma non grata – pourrait-on dire – dans le roman par lettres du XVIIe siècle, comme le montre Le Commerce Galant, publié en 1682, où vers et prose s’entremêlent volontiers et diversement sous les plumes d’Iris et de Timandre.
Paru pour la première fois anonymement en 1682, Le Commerce Galant est longtemps demeuré dans une certaine obscurité critique42. En 1996, Franco Piva s’empare de cet ouvrage « fort curieux », prétendant selon lui au titre de « premier roman par lettres à deux voix de la littérature française moderne »43. Dans l’introduction de son édition, le chercheur italien retrace l’enquête qu’il a menée sur la paternité de ce texte au privilège muet. C’est par le biais d’autres sources qu’il tente de lier l’œuvre au nom de Catherine Bernard et à celui du Sieur de Pradon44, allant jusqu’à dégager certaines correspondances entre ces personnalités et les personnages de l’histoire45. Ces ponts entre fiction et réalité ainsi que l’attribution des lettres à l’autrice rouennaise et, éventuellement, au rival de Racine, demeurent cependant une hypothèse. Composé de deux parties et de cinquante-neuf missives (vingt-sept d’Iris et trente et une de son amant), le livre s’ouvre quoi qu’il en soit sur un avant-propos affichant son authenticité. On le doit à Timandre, qui obéit à la demande d’une certaine Madame L. D. DE… et lui adresse ainsi ses lettres et celles de sa belle, qu’il a mises « par ordre, selon qu’[il] les [a] reçues »46.
Pour Franco Piva, Le Commerce Galant se présente en vérité comme une œuvre « littéraire »47 par son ton – celui d’un « badinage typiquement galant »48 – et la richesse de sa forme prosimétrique. Les vers y sont nombreux et diversement insérés : Iris envoie volontiers des rondeaux à son destinataire – huit sur les dix que compte l’ouvrage – et prose et mètre s’entremêlent aussi régulièrement avec fluidité. Pour Franco Piva, les vers « assument le plus souvent la fonction de résumer, de façon icastique [i. e. naturelle], les passages les plus importants ou de commenter ce que l’auteur a affirmé en prose »49. De fait, la parole s’étire souplement d’une forme à l’autre ; ainsi, dans la lettre III, lesdites formes dialoguent, sémantiquement et grammaticalement. À Iris qui affirmait dans sa précédente épître que son cœur était « d’une race où l’on connaît peu l’usage des soupirs »50, Timandre répond en ces termes :
Ne vantez donc plus sa dureté, ni le peu d’usage de soupirs que Messieurs ses ancêtres en ont fait ; car je vais vous convaincre en deux mots du contraire :
Vos ancêtres sans doute auraient dégénéré
Dans leur famille en beautés si féconde ;
Et si tous ces Messieurs n’avaient pas soupiré,
La jeune Iris ne serait pas au monde.
Faites-leur réparation d’honneur au plus vite, ou plutôt suivez leurs glorieuses traces, et laissez toujours entrer un petit Amour dans votre cœur en attendant mieux ; il le chatouillera si agréablement que vous en serez contente51.
Les « deux mots » annoncés en prose se voient donc formulés en un quatrain, le tout étant unifié par la coréférence. Le mètre s’inscrit ainsi dans la continuité d’un discours qu’il illustre et poursuit, comme lorsque Timandre évoque le rougissement de sa belle dans la lettre suivante :
Je suis sûr que vous me remercierez en secret de vous avoir fait rougir.
Quand on voit des yeux si perçants
Devenir un peu languissants,
Et qu’un peu de rougeur colore votre joue,
Apprenez que l’Amour qui peint cette rougeur,
Sur votre visage se joue,
Quand il voit qu’il ne peut entrer dans votre cœur.
Hé bien ! n’ai-je pas bien expliqué votre rougeur ?52
Les deux formes se commentent alors mutuellement (dans sa réponse, Iris reprendra en prose le dernier quatrain : « […] si vous avez prétendu bien adoucir la chose, en disant que l’Amour se plaçait sur mes joues ne pouvant entrer dans mon cœur, vous êtes bien attrapé vous-même »)53 et, d’une lettre à l’autre, le vers peut même renforcer le lien entre les épistoliers. Ainsi, pour se venger du poème sur sa rougeur, Iris se laisse aller à « rimer tant soit peu »54 contre son amant dans la lettre V. Dans l’épître suivante, non seulement Timandre « pardonne de bon cœur les vers qu’[elle] a faits contre [lui] »55, mais il répond en virtuose à ces vers irréguliers sur les mêmes rimes, en en transformant le sens56. L’écriture poétique comporte donc une dimension ludique et ici encore, le vers est envisagé comme présent, comme objet de divertissement pour le lecteur. Ainsi, à la clôture d’une épître, Iris, à l’instar du destinataire d’Olinde dans Les Amours d’une belle Anglaise, en quémande quelques-uns :
J’espère que vous m’enverrez quelques vers galants pour mes étrennes, puisque vous n’avez rien fait pour ma fête. Réparez votre négligence par là. Que ne m’envoyez-vous aussi les vers que vous avez faits pour ma rivale ? Je brûle d’envie de les voir. N’y manquez pas au premier ordinaire. Adieu57.
Le mètre intervient donc sous différentes formes au sein de la correspondance des amants, et le recours au prosimètre, joint aux métaphores amoureuses galantes et aux jeux stylistiques auxquels se livrent les épistoliers (comme dans la lettre VII de la première partie, où Timandre file un lexique religieux pour réprimander sa belle), confère bien à l’histoire une dimension littéraire. De fait – et Timandre en informe le lecteur dès l’adresse inaugurale – Iris a reproché à son amant l’indiscrétion d’avoir montré ses lettres, « qui ne sont qu’un jeu d’esprit »58. L’épistolier n’est donc pas le seul bénéficiaire de ce galant divertissement, et dans la lettre VI de la deuxième partie, il avoue en effet avoir partagé avec d’autres sinon l’intégralité des lettres, du moins certains fragments :
Je lus vos rondeaux dernièrement à des personnes qui sont d’un grand discernement, et qui les trouvèrent enchantés […]. On a trouvé votre rondeau admirable. La seule faute qu’on trouve dans vos lettres, est qu’il y a trop d’esprit59.
L’on peut imaginer que l’existence de pareil public invite précisément la belle à redoubler d’esprit et à se soucier des qualités stylistiques de son discours afin de recueillir l’approbation des honnêtes gens. En outre, l’esprit est bien à l’honneur dans les salons de l’époque : engagés dans de galantes et divertissantes démonstrations littéraires, les habitués se plaisaient à composer des billets, des poèmes, ou même des lettres dans le cadre du « Jeu du Courrier », dont Delphine Denis rappelle les règles dans son Parnasse galant60. Néanmoins, la prouesse esthétique finit par assécher le propos au yeux de l’amant, comme le suggère la remarque de Timandre dans la lettre IX : « Je ne suis point du tout content de votre dernier billet, il est trop plein d’esprit et de brillant, et je n’y ai pas trouvé un grain de tendresse »61. Tout en laissant affleurer les indéniables qualités de la belle, le reproche de Timandre – qui est aussi celui d’un cœur en quête de réciprocité – questionne le lien entre le « trop plein d’esprit » et l’absence de tendresse : le badinage galant et le ton spirituel du jeu de départ ne suffisent plus à l’épistolier qui se découvre des sentiments véritables62 pour sa destinataire – et réclame davantage.
Dans sa thèse consacrée à l’amour précieux et galant, Jean-Michel Pelous décrit de fait la prose mêlée de vers comme « un style bâtard, création délibérément artificielle et tout à fait selon l’esprit de la galanterie »63. Néanmoins, artificialité et authenticité ne s’excluent pas, et le fait que les épistoliers aient conscience de se livrer à pareil jeu, susceptible d’être lu, n’empêche pas leurs lettres d’avoir bel et bien été envoyées et reçues. Certes, les galanteries des amants tout comme la forme de leurs déclarations reposent sur le modèle tendre, en vogue dans les conversations salonnières du Grand Siècle. Cependant, comme le note encore Jean-Michel Pelous, « il n’y a pratiquement pas d’autre langage pour exprimer l’amour et, qu’on le veuille ou non, il faut bien utiliser cet idiome pour traduire ses sentiments »64. La lecture collective des lettres était en outre une pratique courante à l’époque : ainsi, les missives de Mme de Sévigné étaient partagées en société, et la marquise rédigeait ses épîtres non seulement pour leurs destinataires, mais également pour ce public secondaire dont elle avait conscience65. Pour paraphraser Timandre, pourquoi ce commerce qui paraît d’abord « comme un jeu d’esprit » ne pourrait-il pas être également « une véritable affaire de cœur »66 ?
Le recours à la forme prosimétrique et la langue en apparence travaillée de la correspondance entre Timandre et Iris ne préjugent donc pas de sa fictionnalité – pas davantage, néanmoins, que les déclarations au seuil de l’œuvre ne garantissent la véridicité de l’échange livré à la curiosité du lecteur.
Dans la littérature du Grand Siècle, la prose se mêle volontiers de vers au sein d’œuvres relevant de différents genres. Le roman épistolaire peut ainsi accueillir quelques rimes anecdotiques au détour d’un paragraphe, ou bien se parer de formes poétiques plus abouties. Il reste cependant principalement mené en prose, à l’image de la pratique quotidienne de l’époque, et c’est ainsi que s’exprime le désarroi de la malheureuse religieuse portugaise de Guilleragues. Si le prosimètre paraît assez peu dans cette « littérature du cardiogramme »67, certains romans par lettres l’exploitent malgré tout, et Le Commerce Galant fait partie des plus hybrides. Bien que Laurent Versini critique « l’artifice de la composition »68, la dimension éminemment « littéraire »69 de l’œuvre, soutenue par le recours au vers tel qu’il pouvait se pratiquer dans les jeux mondains et galants des salons de l’époque, ne permet pas d’en nier l’authenticité. Cette dernière demeure en suspens et sujette à débats, comme dans la plupart des représentants contemporains du genre70.
Si le prosimètre n’est pas une forme très investie par le roman épistolaire au XVIIe siècle, prose et vers peuvent interagir dans ce dernier de manière fort intéressante – voire singulière. Dans Les Amours d’une belle Anglaise, ils vont ainsi jusqu’à se substituer… d’une rive à l’autre de la Manche. L’œuvre se présente en effet comme le miroir français, quelque peu déformé à l’occasion, d’un texte anglais intitulé The Adventures of a Young Lady71. Dans la lettre qu’elle adresse à son ami Cléandre, Olinde refuse ainsi de recopier les vers que Cloridon lui a envoyés : « La lettre qu’il [Cloridon] m’écrivit pour me prêcher cette belle morale était mêlée de vers et de prose. Les vers sont si outrés qu’ils ne méritent pas que je vous en fasse part »72. Et de résumer en prose ce qui a été dit en vers – vers dont le texte anglais original, publié en 169373, a gardé la trace. Si les raisons de cette mutation demeurent obscures – refus de traduction ? adaptation jugée nécessaire ? – l’exemple permet de mettre en évidence le dialogue, la circulation entre prose et vers, complexe certes, mais toujours fort spirituelle dans cette littérature épistolaire du XVIIe siècle.
[1] Marie de RABUTIN-CHANTAL, marquise de SÉVIGNÉ, Correspondance, Roger DUCHÊNE (éd.), Paris, Gallimard, 1978, t. I, p. 84.
[2] Otto KLAPP, Astrid KLAPP-LERHMANN, Bibliographie d’histoire littéraire française, Frankfurt am Main, t. I (1956-1958)-t. XXXVI (1998) ; Klapp-Online: Bibliographie der Französischen Literaturwissenschaft, [En ligne], http://klapponline.de/, dernière consultation : 28 mars 2018.
[3] Modern Language Association of America, MLA International Bibliography, [En ligne], disponible via le site de la Bibliothèque Universitaire de Nantes : search.ebscohost.com, dernière consultation : 28 mars 2018.
[4] Nathalie DAUVOIS, De la Satura à la Bergerie. Le prosimètre pastoral en France à la Renaissance et ses modèles, Paris, Honoré Champion, 1998, p. 10.
[5] Le Prosimètre à la Renaissance, Cahiers V. L. Saulnier, Paris, Presses de l’ENS-Ulm, 22, 2005.
[6] Marie-Gabrielle LALLEMAND, Les Longs Romans du XVIIe siècle : Urfé, Desmarets, Gomberville, La Calprenède, Scudéry, Paris, Classiques Garnier, 2013, p. 295-310.
[7] Nathalie GRANDE, Le Rire galant : usages du comique dans les fictions narratives de la seconde moitié du XVIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 2011, p. 47 sq.
[8] On peut relever quelques études dix-septiémistes attachées à des œuvres précises : Frédéric CALAS-BOUALLEGUE, « Les voix de Psyché : la narratologie du prosimètre », in Jean-Charles MONFERRAN (dir.), Le Génie de la langue française. Autour de Marot et La Fontaine : L’Adolescence clémentine, Les Amours de Psyché et de Cupidon, Lyon, ENS Éditions Fontenay-Saint-Cloud, 1997, p. 113-132 ; Jean-François CASTILLE, « Le prosimètre galant. Jean-François Sarasin : La Pompe funèbre de Voiture », in Marie-Gabrielle LALLEMAND et Chantal LIAROUTZOS (dir.), De la Grande Rhétorique à la poésie galante. L’exemple des poètes caennais aux XVIe et XVIIe siècles, Caen, Presses Universitaires de Caen, 2004, p. 157-174 ; Yves GIRAUD, « L’hybridation formelle dans le Voyage de Chapelle et Bachaumont et les modalités de l’alternance prose-vers », in Hélène BABY (dir.), Fiction narrative et hybridation générique dans la littérature française, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 111-124 ; Ingrid A. R. DE SMET, « Vers, prose et prosimètre dans les satires néo-latines et françaises du XVIIe siècle : polarité, hybridisme ou symbiose fortunée ? », Littératures classiques, 24, 1995, p. 65-81 ; Claudine NÉDELEC, « Être poète et narrateur en même temps. Le prosimètre romanesque chez Segrais et quelques autres », in Suzanne GUELLOUZ et Marie-Gabrielle LALLEMAND (dir.), Jean Regnault de Segrais, Tübingen, G. Narr Verlag, 2007, p. 131-154.
[9] Le Commerce Galant, ou Lettres tendres et galantes de la jeune Iris et de Timandre (1682), Franco PIVA (éd.), Fasano-Paris, Schena-Nizet, 1996, p. 48.
[10] Paul PELLISSON, L’Esthétique galante. Discours sur les Œuvres de M. Sarasin et autres textes, Alain VIALA, Emmanuelle MORGAT et Claudine NÉDELEC (éd.), Toulouse, Société de Littératures Classiques, 1989, p. 58. Voir l’article de Claudine Nédelec.
[11] Elle est même « l’une des marques caractéristiques du style galant » selon Marie-Gabrielle Lallemand (M.-G. LALLEMAND, op. cit., p. 306).
[12] Définir le roman épistolaire à l’époque de son émergence représente un travail conséquent qui n’est pas l’objet de cet article. Nous nous contenterons de reprendre ici la typologie établie par Anne-Marie Clin-Lalande et Yves Giraud (Nouvelle Bibliographie du roman épistolaire en France. Des origines à 1842, Fribourg, Éditions Universitaires, 1995 [2e édition revue et augmentée]), qui identifient onze « romans par lettres » entre 1661 et 1715 : [Gabriel de GUILLERAGUES], Lettres portugaises traduites en français, 1669 ; Lettres portugaises. Seconde partie, 1669 ; Réponses aux Lettres portugaises, 1669 ; Réponses aux Lettres portugaises. Traduites en français, 1669 ; Marie-Catherine DESJARDINS, dite Mme de VILLEDIEU, Le Portefeuille, 1674 ; Le Commerce Galant, ou Lettres tendres et galantes de la jeune Iris et de Timandre, 1682 ; Giovanni Paolo MARANA, L’Espion du Grand Seigneur et ses relations secrètes, envoyées au Divan de Constantinople, 1684, t. I ; [Anne de BELLINZANI, Présidente FERRAND], Histoire des amours de Cléante et Bélise. Avec le recueil de ses lettres, 1691 ; Les Amours d’une belle Anglaise, ou La Vie et les aventures de la jeune Olinde, 1695 ; Nouveau Recueil contenant La Vie, les Amours, les Infortunes et les Lettres d’Abélard et d’Héloïse, les Lettres d’une Religieuse portugaise et du Chevalier***, celles de Cléante et Bélise, avec l’Histoire de la Matrone d’Ephèse, 1709 ; Les Fourberies de Vénus, ou Lettres amoureuses de C.. E.. A.. à B.. R.. G.. écrites en 1708, 1709, 1710 et publiées en 1714, 1714.
[13] De fait, Robert-Adam Day définit le roman épistolaire comme un « récit en prose, long ou court, largement ou intégralement imaginaire, dans lequel des lettres, partiellement ou entièrement fictives, sont utilisées en quelque sorte comme véhicule de la narration ou bien jouent un rôle important dans le déroulement de l’histoire » (Robert-Adam DAY cité et traduit par : Laurent VERSINI, Le Roman épistolaire, Paris, P. U. F., [1ère éd. 1979], 1998, p. 10).
[14] Giovanni Paolo MARANA, L’Espion du Grand Seigneur et ses relations secrètes, envoyées au Divan de Constantinople, Paris, Barbin, 1686, n. p.
[15] L’épître représente un cas particulier, mais les dictionnaires contemporains se rejoignent : si autrefois le mot « se disait de toutes sortes de lettres », à la fin du XVIIe siècle déjà, il ne désigne plus « que des petites lettres ou vers qu’on écrit à ses familiers amis » (Antoine FURETIÈRE, Dictionnaire universel, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690, entrée « Épître ») – voire les « lettres des Anciens » et « certaines lettres en vers » (Le Dictionnaire de l’Académie française, op. cit., entrée « Épître »), ainsi que les épîtres liminaires ou dédicatoires. À travers ces définitions, l’épître paraît souffrir d’une certaine désuétude. Dans cette étude, nous emploierons indistinctement les mots « lettre », « épître » et « missive », présentés comme synonymes dans les deux dictionnaires susmentionnés.
[16] À l’exception des recueils d’héroïdes, qui sont des plaintes versifiées que des héroïnes délaissées adressent à leur amant.
[17] Un secrétaire est un manuel consignant les usages du bien-écrire à l’attention des épistoliers. Parmi les ouvrages consultés : Nicolas FARET, Recueil de lettres nouvelles dédié à Monseigneur le Cardinal de Richelieu, Paris, Toussaint du Bray, 1627 ; François de GRENAILLE, Nouveau Recueil des lettres des dames tant anciennes que modernes. Divisé en deux tomes, Paris, Toussaint Quinet, 1642 ; Paul JACOB, Le Parfait Secrétaire, ou La Manière d’écrire et de répondre à toutes sortes de lettres, par préceptes et par exemples, Paris, Antoine de Sommaville, 1646 ; Pierre RICHELET, Les Plus Belles Lettres des meilleurs auteurs français, avec des notes, Lyon, Benoît Bailly, 1689.
[18] L’on trouve parfois des lettres entièrement en vers, comme celle qu’E. Boursault dédie à la reine dans ses Lettres de respect, d’obligation et d’amour (Edme BOURSAULT, Lettres de respect, d’obligation et d’amour, Paris, Théodore Girard, 1669, p. 214-222).
[19] Et l’auteur d’ajouter qu’il est également nécessaire de « parler comme on pense, et penser selon l’ordre des choses qui se présentent à notre esprit » (Mateï DE LA BARRE, L’Art d’écrire en français, ou La Manière de faire des compliments, des lettres, des discours en dialogues, des traductions, des harangues, l’histoire, des romans. Première partie, Paris, Nicolas Jolybois, 1662, p. 1 [2e cahier]). Cette réflexion ouvre la partie intitulée : « L’Art d’écrire en français, ou La Manière de faire des lettres ».
[20] E. BOURSAULT, Lettres de respect, d’obligation et d’amour, op. cit., p. 188-191.
[21] Ibid., p. 191.
[22] E. BOURSAULT, Lettres à Babet, notice d’Émile Colombey, Paris, Quantin, 1886. Bien que le tome III de l’édition de 1709 soit expressément intitulé « Lettres de Babet » et que ces dernières soient présentées consécutivement, elles sont encore précédées et suivies des autres Lettres de respect, d’obligation et d’amour.
[23] E. BOURSAULT, Lettres de respect, d’obligation et d’amour, op. cit., p. 152.
[24] François de FENNE, Le Secrétaire à la mode réformé ou Le Mercure nouveau […], Leyde, Jacques Hackius, 1684, p. 109-110.
[25] Marie-Jeanne LHÉRITIER DE VILLANDON, L’Érudition enjouée ou Nouvelles satiriques et galantes, écrite à une Dame française qui est à Madrid. Seconde Lettre, Paris, Pierre Ribou, 1703, p. 11.
[26] Ibid., p. 12. L’épistolière ajoute plus loin : « [v]ous ne vous plaindrez plus que je ne vous envoie point de vers » (ibid., p. 47).
[27] Pour davantage de précisions sur cette œuvre, voir Anne-Marie CLIN-LALANDE, Yves GIRAUD, « Un singulier roman par lettres : Les Amours d’une belle Anglaise, in Roger LATHUILLÈRE (dir.), Langue, Littérature du XVIIe et du XVIIIe siècle. Mélanges offerts à Frédéric Deloffre, Paris, Sedes, 1990, p. 265-280. L’ouvrage est notamment la traduction mais aussi, à plusieurs reprises, la réappropriation d’un texte anglais intitulé The Adventures of a Young Lady, paru deux ans plus tôt à Londres. Les Amours d’une belle Anglaise ayant assez peu attiré l’attention de la critique, nous nous permettons de renvoyer à ce sujet à Caroline BIRON, « Lettres anglaises, lettres françaises : richesse et complexité des relations épistolaires dans Les Amours d’une belle Anglaise (1695) », à paraître aux Publications de l’Université de Saint-Étienne.
[28] Les Amours d’une belle Anglaise ou La Vie et les aventures de la jeune Olinde, écrites par elle-même en forme de lettres à un Chevalier de ses amis, Cologne, 1695, p. 46.
[29] Ibid., p. 46-47.
[30] Ibid., p. 97-98. Ces vers subversifs seront supprimés dans l’édition de 1697, qui devait être davantage « destinée au marché intérieur » (A.-M. CLIN-LALANDE, Y. GIRAUD, « Un singulier roman par lettres », art. cit., p. 267).
[31] Les Amours d’une belle Anglaise, op. cit., p. 100.
[32] Le mot est de Frédéric Calas, qui pose la question de l’unité des Amours de Psyché et de Cupidon, texte prosimétrique de Jean de La Fontaine (F. CALAS, art. cit., p. 114).
[33] Le prosimètre peut véritablement devenir jeu et exaltation de l’esprit sous les plumes galantes. À titre d’exemple – et celui-ci n’est pas anodin, car il interroge également le traitement de la forme mêlée dans le genre épistolaire – l’on peut songer à la lettre que Marie-Catherine Desjardins adresse à Mme de Morangis au sujet des Précieuses ridicules de Molière, publiée sous un titre dévoilant son ambiguïté formelle : Marie-Catherine DESJARDINS, dite Madame de VILLEDIEU, Récit en prose et en vers de la farce des Précieuses, Paris, Claude Barbin, 1660.
[34] Un continuateur anonyme de l’œuvre de Guilleragues, qui a tout intérêt à abonder dans ce sens, écrit ainsi en 1669 : « je dirai seulement que l’ingénuité, et la passion toute pure, qui paraissaient dans ces cinq lettres portugaises, permettent à peu de gens de douter qu’elles n’aient été véritablement écrites » (Réponses aux Lettres portugaises, Grenoble, Philippe, 1669, n. p.).
[35] Les Fourberies de Vénus, ou Lettres amoureuses de C.. E.. A.. à B.. R.. G.. écrites en 1708, 1709, 1710 et publiées en 1714, 1714, Villefranche, 1714, p. 8-9.
[36] Jean-Michel PELOUS, Amour précieux, amour galant (1654-1675). Essai sur la représentation de l’amour dans la littérature et la société mondaines, Paris, Klincksieck, 1980, p. 186.
[37] Jean ROUSSET, Forme et signification. Essai sur les structures littéraires de Corneille à Claudel, Paris, José Corti, 2006, p. 75.
[38] Gabriel de GUILLERAGUES, Lettres portugaises traduites en français, Paris, Claude Barbin, 1669, n. p.
[39] Le Portefeuille s’ouvre sur une épître dans laquelle Mme de Villedieu explique avoir découvert le document au cours d’une promenade au Jardin des Simples (Marie-Catherine DESJARDINS, dite Madame de VILLEDIEU, Le Portefeuille, in Œuvres mêlées de Madame de Villedieu. Première partie, Rouen, Laurens Machuel, 1674, p. 1-2).
[40] P. PELLISSON, op. cit., p. 58.
[41] M.-J. LHÉRITIER DE VILLANDON, op. cit., p. 11-12.
[42] Il apparaît dans quelques ouvrages consacrés à l’évolution du roman épistolaire, notamment : Charles E. KANY, The Beginnings of the Epistolary Novel in France, Berkeley, University of California Press, 1937, p. 153 ; Daniel MORNET, Histoire de la littérature française classique (1660-1700). Ses caractères véritables, ses aspects inconnus, Paris, Armand Colin, 1940, p. 189 ; Laurent VERSINI, op. cit., p. 35-41. Franco Piva relève également deux études de Giovanna MALQUORI FONDI spécifiquement consacrées à l’œuvre : « ‘Vorrei, e non vorrei’, ou les lettres d’amour de la jeune Iris à Timandre », in Wolfgang LEINER et Pierre RONZEAUD (dir.), Correspondances. Mélanges offerts à Roger Duchêne, Tübingen/Gunter Narr, Aix-en-Provence/Université de Provence, 1992, p. 505-512 ; « Conversations d’amour par lettres : un recueil méconnu de Le Pays, un roman inconnu de Pradon », in Bernard BRAY et Christoph STROSETZKI (dir.), Art de la lettre. Art de la conversation à l’époque classique en France, Paris, Klincksieck, 1995, p. 258-270.
[43] Le Commerce Galant, F. PIVA (éd.), op. cit., p. 10. La structure de l’œuvre est en vérité plus complexe : en effet, l’histoire se trouve insérée dans un cadre narratif qui lui est exogène, puisque Timandre l’envoie à Madame L. D. DE… et l’enrichit de commentaires.
[44] « L’Extrait du Privilège du Roi » à la fin du Commerce Galant ne nomme pas son bénéficiaire, mais d’après le Registre des privilèges accordés aux auteurs et libraires (1673-1687), c’est un certain « S.r de Pradon » qui aurait formulé la demande pour cette œuvre (voir Archives de la Chambre syndicale de la Librairie et Imprimerie de Paris, aux XVIIe et XVIIIe siècles. Registre des privilèges accordés aux auteurs et libraires, 1653-1790. XIII Années 1734-1738, manuscrit conservé à la Bibliothèque Nationale de France). Pour Franco Piva, il s’agit vraisemblablement de Jacques Pradon, qui avait également obtenu le privilège de Fédéric de Sicile en 1680. Quant au nom de cette dernière, il est évoqué dans un entrefilet du Mercure Galant (« Le troisième [madrigal] [est] de Mademoiselle Bernard [c’est la jeune Iris du Commerce Galant, si estimée par les jolies lettres qui sont d’elle dans ce livre]) » (cité par F. PIVA dans Le Commerce galant, F. PIVA [éd.], op. cit., p. 9).
[45] F. PIVA envisage en effet une certaine authenticité de la correspondance, en comparant la biographie fictive d’Iris à celle, réelle, de la poétesse rouennaise, et en prêtant tour à tour les traits de Bernard de Fontenelle et de Jacques Pradon au personnage de Timandre – avec une préférence pour le dernier. Il ne laisse cependant pas de souligner certains points malmenant la concordance entre êtres de chair et êtres de fiction. Pour davantage de détails, voir Le Commerce galant, F. PIVA (éd.), op. cit., p. 11-39.
[46] Le Commerce Galant, F. PIVA (éd.), op. cit., p. 94.
[47] F. PIVA dans : Le Commerce Galant, F. PIVA (éd.), op. cit., p. 40.
[48] Ibid., p. 37.
[49] Ibid., p. 48.
[50] Le Commerce Galant, F. PIVA (éd.), op. cit., p. 98.
[51] Ibid., p. 100.
[52] Ibid., p. 102.
[53] Ibid., p. 103.
[54] Ibid., p. 104.
[55] Ibid., p. 106.
[56] À titre d’exemple : « Je suis dans la belle saison,/ Mon cœur est honnête et docile ;/ Si dans peu je ne suis habile,/ De bonne foi, vous m’en ferez raison » (ibid., p. 104). À ce quatrain répond celui de Timandre : « Vous êtes pour aimer dans la belle saison,/ Mais votre âme n’est pas docile ;/ Et que vous servira d’avoir un maître habile,/ Si vous n’entendez pas raison ? » (ibid., p. 107).
[57] Ibid., p. 173.
[58] Ibid., p. 94.
[59] Ibid., p. 171.
[60] « [D]ans le Jeu du Courrier, il faut improviser oralement des lettres fictives, adressées à chaque joueur, tout en respectant le « style » des épistoliers présumés, avant d’imaginer les réponses. Promu secrétaire de chaque joueur tour à tour, l’orateur doit s’adapter du mieux possible à chaque manière, à chaque situation discursive, abdiquant toute prétention à une quelconque originalité ou singularité, ici hors de propos » (Delphine DENIS, Le Parnasse galant : Institution d’une catégorie littéraire au XVIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 2001, p. 277).
[61] Le Commerce Galant, F. PIVA (éd.), op. cit., p. 88.
[62] Le vers, cependant, n’est pas incompatible avec l’expression épistolaire du sentiment, puisque Timandre, suite à un quatrain reproduit dans cette même lettre, « enrage de ces quatre vers qui [lui] sont échappés malgré [lui] ; car, enfin, [il est] bien simple de lui [à Iris] écrire tendrement, et [il] devrai[t] badiner comme [elle], et [s’]engager aussi peu » (Le Commerce Galant, F. PIVA (éd.), op. cit., p. 112).
[63] J.-M. PELOUS, op. cit., p. 186.
[64] Ibid., p. 80.
[65] « [E]lle [Madame de Sévigné] est parfaitement au courant que Bussy, les Coulanges, les Guitaud, Madame de La Fayette, Madame de Villars proposent à d’autres lecteurs et auditeurs les lettres qu’ils ont reçues de Madame de Sévigné comme des exemples parfaits de leur genre […]. On peut être certain qu’elle recherche, entre autres, un effet esthétique auprès des deux groupes, ce que prouve […] le haut degré de réflexion dont fait preuve notre épistolière en matière de style » (Fritz NIES, Les Lettres de Madame de Sévigné. Conventions du genre et sociologie des publics, Michèle CREFF (trad.), Paris, Honoré Champion, 2001, p. 47).
[66] Le Commerce galant, F. PIVA (éd.), op. cit., p. 108. Face à la distance d’Iris, Timandre s’interroge sur ses propres sentiments : « Une inquiétude un peu trop pressante commença à me faire connaître que ce commerce qui m’avait paru d’abord un jeu d’esprit, deviendrait une véritable affaire de cœur pour moi » (ibid., p. 108).
[67] J. ROUSSET, op. cit., p. 78.
[68] L. VERSINI, op cit., p. 71.
[69] F. PIVA dans : Le Commerce Galant, F. PIVA (éd.), op. cit., p. 40.
[70] La présence d’une fiction d’authenticité représente même un critère de définition du genre selon Ernspeter RUHE (« Comment dater la naissance du roman par lettres en France ? », Isabelle DEMANGEAT (trad.), in Ouverture et Dialogue. Mélanges offerts à W. Leiner à l’occasion de son soixantième anniversaire, Tübingen, G. Narr, 1988, p. 382).
[71] Voir note 27.
[72] Les Amours d’une belle Anglaise, op. cit.,p. 175.
[73] Attribué par la plupart des critiques à Catharine Cockburn Trotter, le texte paraît pour la première fois en 1693 à Londres chez Samuel Briscoe, au sein des Letters of Love and Gallantry and Several Other Subjects. All Written by Ladies.
Résumé
Lancée au milieu du XVIIe siècle, la mode de la prose mêlée de vers s’épanouit dans le paysage littéraire galant de l’époque. Lié à l’écriture mondaine, le roman épistolaire se présente comme un genre hybride, rattaché à la prose et revendiquant l’authenticité de son contenu. Le prosimètre, associé aux « jeux de l’esprit » selon Paul Pellisson, peut-il alors y trouver sa place ? Les histoires par lettres accueillent assez peu la mixité formelle, mais cette dernière structure Le Commerce Galant, paru au début des années 1680 et jugé « artificiel » par certains critiques…
Abstract
Epistolary novels emerge in France in the middle of the 17th century. At the same time, mixing verse and prose in one text becomes a popular writing technique, especially in gallant literature. Paul Pellisson identifies this alternation as a “spiritual game”. It thus seems inappropriate for epistolary novels, which claim authenticity. In fact, only few of these novels mix these two forms. The alternation of prose and verse however structures Le Commerce Galant (1682), a novel therefore considered as “artificial” by some scholars.
Caroline BIRON
Université de Nantes, L’AMo (EA 4276)
Sources
Les Amours d’une belle Anglaise ou La Vie et les aventures de la jeune Olinde, écrites par elle-même en forme de lettres à un Chevalier de ses amis, Cologne, 1695.
Le Commerce Galant ou Lettres tendres et galantes de la jeune Iris et de Timandre, Paris, Jean Ribou, 1682.
Le Commerce Galant ou Lettres tendres et galantes de la jeune Iris et de Timandre (1682), Franco PIVA (éd.), Schena-Nizet, 1996.
Les Fourberies de Vénus, ou Lettres amoureuses de C.. E.. A.. à B.. R.. G.. écrites en 1708, 1709, 1710 et publiées en 1714, Villefranche, 1714.
Réponses aux Lettres portugaises, Grenoble, Philippe, 1669.
« The Adventures of a Young Lady. Written by herself in several letters, to a gentleman in the country », in Letters of Love and Gallantry and Several Other Subjects. All Written by Ladies, Londres, Samuel Briscoe, 1693.
BOURSAULT, Edme, Lettres de respect, d’obligation et d’amour, Paris, Théodore Girard, 1669.
—, Lettres à Babet, notice d’Émile COLOMBEY, Paris, Quantin, 1886.
DE LA BARRE, Mateï, L’Art d’écrire en français, ou La Manière de faire des compliments, des lettres, des discours en dialogues, des traductions, des harangues, l’histoire, des romans. Première partie, Paris, Nicolas Jolybois, 1662.
FENNE, François de, Le Secrétaire à la mode réformé ou Le Mercure nouveau […], Leyde, Jacques Hackius, 1684.
[FERRAND, Anne de BELLINZANI, Présidente], Histoire des amours de Cléante et Bélise. Avec le recueil de ses lettres, Leyde, 1691.
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LHÉRITIER DE VILLANDON, Marie-Jeanne, L’Érudition enjouée ou Nouvelles satiriques et galantes, écrite à une Dame française qui est à Madrid, Paris, Pierre Ribou, 1703.
MARANA, Giovanni Paolo, L’Espion du Grand Seigneur et ses relations secrètes, envoyées au Divan de Constantinople, Paris, Claude Barbin, 1686.
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Critique
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Clin-Lalande, Anne-Marie, et Giraud, Yves, Nouvelle Bibliographie du roman épistolaire en France. Des origines à 1842, Fribourg, Éditions Universitaires, 1995 (2e édition revue et augmentée).
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DENIS Delphine, Le Parnasse galant : Institution d’une catégorie littéraire au XVIIe siècle, Paris, Champion, 2001.
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KANY, Charles Emil, The Beginnings of the Epistolary Novel in France, Berkeley, University of California Press, 1937.
LALLEMAND, Marie-Gabrielle, Les Longs Romans du XVIIe siècle : Urfé, Desmarets, Gomberville, La Calprenède, Scudéry, Paris, Classiques Garnier, 2013.
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