À la fin de la Renaissance et jusque dans les années 1630, on observe en France un essor des fictions pastorales caractérisées par une alternance entre prose et vers1. Aucune d’entre elles, cependant, ne se définit explicitement comme un prosimètre. Les paratextes de ce corpus, lorsqu’ils thématisent leur hétérogénéité, font surtout valoir une poétique de la variété au sein de laquelle le partage entre prose et vers semble moins structurant qu’une tendance plus générale à la diversification du discours narratif. En témoigne le titre de La Pyrénée de Belleforest, publiée en 1571 :
la Pyrenée, et pastorale amoureuse, contennant divers accidens amoureux, descriptions de paysages, histoires, fables et occurrences des choses, advenues de nostre temps2.
La mise en valeur de la diversité du texte passe par le signalement de son hétérogénéité générique (description, histoire, fable…), et non formelle.
Ce qui constitue cette veine fictionnelle en véritable genre poétique appartient donc plutôt à sa thématique pastorale et amoureuse qu’à sa composition. L’enchâssement de vers, cependant, est directement lié à cette composante thématique : le topos des bergers récitant des poèmes, qui fonde la scène d’énonciation de la poésie bucolique, constitue depuis l’Antiquité un attribut essentiel de l’imaginaire pastoral. À ce titre, la notion d’humour ne semble pas, à première vue, particulièrement pertinente pour caractériser le registre de ces fictions où la figure du berger mélancolique et la forme de la plainte élégiaque prédominent3. En outre, l’humour est une forme du rire qui n’est pas encore disponible aux XVIe et XVIIe siècles, et que l’on ne peut pas non plus confondre avec celles de comique, de plaisanterie ou encore de raillerie, pleinement intégrées aux catégories de réception de l’époque. Il faut attendre le XVIIIe siècle pour rencontrer ce terme, attesté sous la plume de Voltaire :
Les Anglais ont un terme pour signifier cette plaisanterie, ce vrai comique, cette gaieté, cette urbanité, ces saillies qui échappent à un homme sans qu’il en doute ; et ils rendent cette idée par le mot humeur, humour, qu’ils prononcent yumor et ils croient qu’ils ont seuls cette humeur, que les autres nations n’ont point de terme pour exprimer ce caractère d’esprit4.
Emprunté à l’anglais, le terme est encore sémantiquement proche de son étymon humor, puisqu’il s’inscrit dans une caractériologie du rire et de la plaisanterie. Or l’une des spécificités de la fiction pastorale consiste, précisément, à mettre en scène les humeurs variées de la nature humaine, par le biais de personnages fortement stéréotypés. À ce titre, il nous semble que l’humeur à faire des vers qui caractérise les bergers s’apparente à une forme d’humour, dans la mesure où elle accompagne bien souvent un comportement extravagant, et aussi parce qu’elle s’inscrit dans une textualité qui invite le lecteur à porter sur elle un regard amusé. Par cette mise en scène légèrement autodérisionnelle du dire poétique, la fiction pastorale rejoint donc le caractère « sous-énonciatif » et réflexif de la notion d’humour5.
Le topos de la récitation poétique en vertu duquel les bergers sont naturellement poètes est une convention poétique dont l’invraisemblance est pleinement assumée par la fiction pastorale, dans la mesure où elle s’inscrit dans une mythologie cohérente, que Charles Sorel s’emploie à démanteler dans son Berger extravagant :
Gentil berger […], apprends-moi quelles sont ici tes occupations. Songes-tu aux rigueurs de Clorinde ? Combien y a-t-il que tu n’as fait de chanson pour elle ? Montre-moi des vers je te prie. Ce berger qui n’entendait non plus ces mignardises que si on lui eût parlé un langage barbare, s’étonna beaucoup de sa façon, ne sachant quel homme c’était. Toutefois comprenant son discours le mieux qu’il lui était possible, il lui répondit ; je ne sais pas ce que vous voulez me dire de coq d’Inde […] et pour des vers, si c’est des vers de terre que vous me demandez, j’en ai chez nous plein le C… d’une bouteille […]. Lysis se souriant de cette réponse avec une espèce de grâce bien naïve, lui dit ; Comment berger es-tu encore à savoir que c’est que les vers ? Ne faut-il pas que tous les bergers soient Poètes ? En as-tu vu pas un dans les Histoires qui ne l’ait été ? N’as-tu pas remarqué qu’ils doivent faire des vers en parlant, et qu’il faut que ce leur soit si aisé que la parole l’est aux autres personnes ? Autrement comment diraient-ils leurs peines à leurs bergères en toutes occasions par un sonnet, une villanelle ou un madrigal chanté à propos ?6
La parodie tourne en dérision le code poétique en vertu duquel les bergers et les bergères « doivent faire des vers en parlant ». La mixité formelle du prosimètre pastoral s’inscrit en effet dans un dispositif énonciatif, puisque les vers sont assumés au discours direct par les bergers, et elle est motivée par l’éthique du genre pastoral : l’alternance de prose et de vers met en scène une sociabilité mondaine idéalisée, au sein de laquelle l’inspiration est naturelle et où l’énoncé poétique intervient toujours à propos. En confrontant Lysis à un véritable berger pour qui les vers ne sont pas autre chose que des vers de terre, Sorel inverse une telle éthique sur le mode du rire comique : la vraie nature se trouve dans les activités triviales et basses de la vie, comme par exemple la pêche à la ligne (thème sur lequel nous reviendrons…), et non pas dans le passe-temps socialement élitiste de la récitation poétique. Un tel propos ne revient pas, bien sûr, à discréditer toute pratique du verbe poétique, mais à insister sur l’extravagance de ses conventions et la nécessité de les maintenir dans un contexte fictionnel et non-sérieux.
Par des voies plus assourdies, la tradition non parodique du prosimètre pastoral porte elle aussi sur les conventions du dire poétique un regard oblique et parfois amusé.
Dans la fiction pastorale, le poème est énoncé à travers une multiplicité de médiations qui sont à chaque fois l’occasion de mettre en scène la pertinence ou l’incongruité du discours poétique. Ces médiations opèrent à différents niveaux du texte fictionnel :
- au niveau matériel, les vers sont distingués de la prose par les caractères italiques et, parfois, par un titre et un saut de ligne.
- au niveau diégétique, les récitations de vers sont enchâssées au sein d’un récit-cadre (susceptible, lui-même, d’être enchâssé dans un autre récit-cadre…) au moyen du discours rapporté direct. Généralement, la voix narrative introduit l’énoncé par une expression déictique du type « il chanta ces vers », qui souligne la cohérence énonciative de l’énoncé, en dépit de son hétérogénéité formelle.
- au niveau du mode d’énonciation, les poèmes peuvent prendre une forme écrite ou orale : lettre, chant poétique.
- au niveau du mode de réception, enfin, l’énoncé poétique peut-être récité sans qu’un public soit représenté au sein de la diégèse ; plus souvent cependant, il est chanté devant un groupe d’amis, ou écouté par un auditeur indiscret caché dans un buisson : à la différence de la lettre, les discours poétiques ne sont jamais, à notre connaissance, adressés à une seule personne dans un cadre intimiste.
Discours au second degré, le poème enchâssé s’inscrit donc dans une énonciation et une textualité complexes qui favorisent des jeux de connivence humoristiques avec le lecteur.
Il est remarquable que ce potentiel auto-dérisionnel de la fiction pastorale soit exploité dans L’Arcadia de Sannazaro, modèle canonique de cette tradition qui semble, à première vue, offrir une figuration allégorique et sérieuse du mythe renaissant de l’inspiration poétique. Les vers de la troisième églogue, récités devant le cercle amical des bergers, font l’objet, dans la prose qui suit, d’une paraphrase qui insiste sur le caractère étrange de la langue poétique :
Sur le bord verdoyant
d’une onde claire et cristalline,
dans un joli bocage orné de fleurs,
je vis, d’olivier blanc
couronné, et de divers feuillages,
un berger qui chantait au pied d’un orne
à l’aube, le troisième jour
du mois d’avant avril ;7
Ces vers présentent les traits typiques du style poétique tel qu’il est conçu au XVIe siècle : amplification opérée par les épithètes, par les doublons rhétoriques (« claire et cristalline », « d’olivier blanc couronné, et de divers feuillages »), et par la périphrase (« le troisième jour du mois d’avril »). La paraphrase de la quatrième prose insiste sur la qualité stylistique de ces vers :
Le chant de Galicio plut extraordinairement à chacun, mais de diverses manières. Quelques-uns louèrent la voix juvénile pleine d’une harmonie infinie ; d’autres le ton doux et suave, capable de prendre dans ses rets l’âme la plus rebelle à l’amour ; beaucoup firent l’éloge des rimes élégantes et insolites [leggiadre e non usitate] chez de rustiques bergers ; et parmi ceux-ci il y en eut aussi qui exaltèrent, l’admirant davantage, l’extrême finesse dont il fit preuve quand, forcé de nommer le mois nuisible aux moutons et aux bergers, il dit avec à-propos, évitant sagement un présage sinistre en un si heureux jour, « le mois d’avant Avril »8.
La mise en scène de la réception du poème accompagne l’éloge topique du naturel poétique de cette voix « juvénile », harmonieuse et pleine d’à-propos, d’un commentaire humoristique sur le caractère « insolite », c’est-à-dire inhabituel (non usitate) de ce discours sophistiqué en contexte rustique. Typique du discours renaissant sur la poétique, cette alliance entre naturalisme et artificialisme est illustrée par l’écart stylistique de la périphrase « le mois d’avant Avril », pour éviter la mention du mois de mars, désigné, dans une seconde périphrase, comme le « mois nuisible aux moutons », c’est-à-dire celui où on les égorge. Ainsi, le contexte familier et comique (au sens où il traite de réalités basses) de la fiction pastorale, traditionnellement associé, selon la roue de Virgile, à un style humble, accuse d’autant mieux le décalage qui peut exister entre une langue poétique ornée et la réalité mondaine qu’elle figure, dans la mesure où les formulations les plus raffinées y sont utilisées pour rendre compte de la vie rustique des bergers.
Ce décalage entre comique pastoral et verbe poétique orné peut entraîner des mélanges de registre plus bigarrés, comme dans les Bergeries de Juliette de Nicolas de Montreux où les chastes devis des bergers sont ponctués, à la fin de chaque journée, d’énigmes à première vue très licencieuses, écrites sur le modèle du recueil italien de Straparola9 :
Je suis blanc comme neige, et long de bonne sorte
Roide dur et plaisant, et surtout désiré
Des Dames qui n’ont point encores savouré
Le doux contentement, qu’un hymen leur apporte.
Chasque d’elle en sa main à toute heure me porte
Me presse me manie, et me tient asseuré
Ores dedans son sein richement colloré,
Ores dessous sa robe, ou le chaut me conforte.
Puis pour prendre de moy, un plaisir plus parfaict,
Et pour me contenter du mal qu’elle m’a faict,
Me met dedans un trou, vermeil comme une rose.
Là en nous debattant d’une pareille ardeur
Je rens à la parfin, une telle liqueur,
Qu’on ne sent point au monde une plus douce chose10.
Si le comique de ce langage énigmatique repose dans l’évidence obscène de la caractérisation d’un pénis implicite (« long », « roide », « dur », « me presse », « me manie »), l’humour de l’énoncé, plus discret, se loge dans son effet perlocutoire et la situation de réception qu’il engage : le lecteur a le mot de l’énigme sur le bout de la langue, mais il n’oserait le formuler, de peur de passer pour un esprit mal placé, qui plus est alors qu’il est en train de lire une fiction pastorale imprégnée de néo-platonisme. Soulignant la modification de visée qu’entraîne l’enchâssement de ces énigmes, issues d’une tradition facétieuse, dans une telle fiction, Elsa Veret en a bien montré la fonction réflexive : encadrée par des amours bucoliques tournées vers « l’exaltation des vertus d’honneur et de chasteté », l’énigme insérée problématise « la question des formes et de l’éthique des interactions discursives »11. Elle délimite un espace de licence relative au sein de la bergerie qui engage, de la part du lecteur, une prise de distance avec l’éthique néo-platonicienne. Une nouvelle médiation humoristique, introduite par la mise en scène de la réception de l’énigme par le cercle des honnêtes bergers, souligne encore cette visée réflexive, en insistant cette fois sur l’équivocité du langage poétique. Les membres de la troupe pastorale commencent par désapprouver ce discours poétique, avant d’en trouver la solution :
Chacun de la troupe jugeoit l’Enigme de Philis salle, et autre qu’il n’estoit, quand le pasteur les appaisant, l’expliqua en telle sorte.
Les bastons de dragée, ou les droguistes mettent de la canelle, ou de l’escorce de citron, sont blancs, durs et longs, et les filles non mariées, et non subjectes aux loix d’Hymen, la desirent sur toute autre chose, la manient à la main, s’en jouent, et la mettent tantost dans leur sein, et tantost dans leur pochette, qui est sous leur robe, ou le chaut la conforte, à cause que le sucre, ou la dragée se raffermist au feu. En fin apres qu’elles s’en sont bien esbattuës, elles la mettent dans la bouche, vermeille comme une roze, et lors en debattant des dents et des levres, elles la mangent, et sentent une douceur en la mangeant, la plus douce et aggreable du monde, telle qu’on sçait que rend le sucre.
Chacun lors, loüa l’Enigme de Phillis, et le prist en bonne part12.
L’explication du berger, censée détourner l’énoncé littéral de l’énigme de sa clef comique et « salle », l’oriente vers un sens figuré en apparence beaucoup plus mièvre. Cependant, loin d’annuler l’image énigmatique du pénis qui hantait l’esprit du lecteur, la description amplifiée du « baston de dragée » entretient avec celle-ci un rapport de surimpression. Cette friandise que les filles à marier mettent « dans leur sein », « sous leur robe », et « dans la bouche », tout en autorisant l’approbation de l’énigme par la troupe des bergers, donne dans le même temps droit de cité à l’équivoque du langage poétique et à son implicite licencieux. Par les voies de la connivence, le lecteur est donc invité à garder en mémoire les deux possibilités interprétatives de l’énigme et à sourire non tant du mot final que du maintien, d’un bout à l’autre de la scène, d’une ambiguïté entre les registres grivois et policé de la pastorale.
La rencontre humoristique de ces registres variés, emblématique de la vocation de la fiction pastorale à rassembler dans une forme mélangée toute la gamme des styles de la rhétorique, est intimement liée à la variété des humeurs représentées au sein de la pastorale.
HUMEUR, se dit en Morale, des passions qui s’esmeuvent en nous suivant la disposition ou l’agitation de ces quatre humeurs. Ainsi on dit, qu’un homme a une humeur fantasque, capricieuse ; qu’il est en humeur de rire ; qu’on l’a mis en humeur de boire, de faire l’amour ; qu’il est en humeur de faire des vers, de chanter & de composer en Musique : & c’est ce qu’on appelle, exciter son genie13.
Cette définition par Furetière des différentes passions liées à la disposition humorale débouche sur une liste de traits de caractères parmi lesquels intervient « l’humeur de faire des vers ». Il est probable qu’en pleine époque galante, une telle humeur, au même titre que celle qui incline à boire, à faire l’amour ou à composer en musique, soit implicitement associée à la gaieté, bien plus qu’à la mélancolie14. La conversion galante du génie poétique à l’enjouement (jamais totalement accomplie puisque la mélancolie reste, tout au long du siècle, un trait structurant de l’ethos poétique) est loin d’être acquise dans la fiction pastorale post-renaissante. Mais elle y intervient, sur un mode problématique, comme une question posée au mythe de l’enthousiasme poétique. Cette mise en question peut prendre la forme sous-énonciative de l’humour, en particulier par le biais des commentaires des personnages sur les performances poétiques de leurs compagnons.
Le poème enchâssé dans la prose apparaît toujours comme un témoin et une preuve des excès de l’humeur poétique, que celle-ci soit triste ou joyeuse. Aussi ces excès sont-ils régulièrement jugés par le groupe pastoral. En témoignent les descriptions circonstanciées des symptômes de la mélancolie visibles sur le corps des bergers durant leurs récitations15. Inversement, les gaillardises des bergers plus folâtres servent de correctif aux excès des passions tristes, et apportent au système des valeurs pastorales une nuance de dérision. Sylvandre, berger le plus savant de L’Astrée en matière de néo-platonisme, présente l’inconstant Hylas comme un homme « de la plus agreable humeur qu’il se peut dire » ajoutant qu’« il a de si extravagantes raisons pour prouver son humeur estre la meilleure, qu’il est impossible de l’oüyr sans rire »16. Cette description du personnage d’Hylas est aussitôt illustrée par une villanelle interprétée par Hylas, qui multiplie les énoncés paradoxaux :
J’ayme à changer, c’est ma franchise,
Et mon humeur m’y va portant :
Mais quoy, si je suis inconstant,
Faut-il pourtant qu’on me mesprise ?
Tant s’en faut, qui m’arrestera,
Beaucoup plus d’honneur en aura17.
Au premier vers de cette strophe au rythme primesautier, le terme de « franchise » accuse un style poétique sans détours, qui assume hardiment ses positions éthiques et creuse une faille dans l’univers policé de l’éthique pastorale. En soulignant les avantages d’une telle franchise, la nymphe Leonide laisse entendre que l’éthique à contre-courant d’Hylas pourrait avantageusement être appliquée à bien d’autres bergers du Forez :
Leonide en sousriant contre Silvandre, luy dit que ce Berger n’estoit pas de ces trompeurs qui dissimulent leurs imperfections, puis qu’il les alloit chantant18.
La constance amoureuse elle-même peut prêter à rire, lorsqu’elle intervient mal à propos. Dans La Pyrenée de Belleforest, on assiste à la longue plainte d’un « vieux satyre & mal plaisant » occupé « à faire l’amour a la pucelle ». Le « discours de ses sottes amours » est chanté d’une voix « assez rude, & mal plaisante »19 :
Mes rides ny mon poil gris
N’ont refroidy mes esprits,
Ny glacé mon entreprise ;
J’ay aymé, aymeray,
J’ay servy et serviray,
Celle que encor n’ay acquise20.
Mises dans la bouche de ce vieux sanguin, les métaphores pétrarquistes qui accompagnent son serment d’amour (« refroidy », « glacé », « serviray ») perdent toute efficacité pathétique, et soulignent le caractère inconvenant d’un tel discours. Le décalage entre le récitant du poème et la teneur de son discours met donc en scène les dérives possibles d’une langue poétique prête à l’emploi, qui circule de bouche en bouche dans le monde des bergers, abstraction faite des âges et des conditions. Dans la même œuvre, Drion, berger hostile aux excès de l’amour, accuse cette interchangeabilité des bergers poètes et le problème éthique qu’elle pose :
Qui est celuy si hors de sens & ladre d’esprit, qui ne voye bien que tout ce que ces transportez amans endurent pour leur pretendues maistresses n’est autre chose que une mal fondée opinion & desir qu’ils ont d’estre enregistrez au roolle des loyaux amans & desesperez acariastres qui ayment, ce qu’ils ne sçavent & s’assujettissant aux personnes qui ne veulent leur cognoistre ce sot service & devoir mal enmployé21.
La prose opère ainsi un retour humoristique sur le langage du vers, en passant par le relais énonciatif des personnages de la fiction pastorale. Ce retour est également orchestré par les jeux d’échange et de transformation entre le style des vers et celui de la prose.
Dans le cadre de la fiction pastorale, l’alternance des vers et de la prose s’accompagne d’un travail d’harmonisation stylistique, qui sera théorisé, dans la préface des Amours de Psyché de La Fontaine, par la notion de « tempérament »22. Cependant, cette recherche d’harmonie, typique de l’évolution de l’époque classique vers une recherche de liaison et de fluidité, ne va pas sans de ponctuels effets de discordance. Dans certains passages, le langage de la prose imite et déforme celui du vers, sans aboutir, pour autant, à un enlaidissement parodique. Ce jeu d’imitation entre les formes organise, parallèlement aux joutes des bergers, un concours humoristique entre les valeurs stylistiques du vers et celles de la prose. Ainsi, la prédilection du style poétique pour l’image vive et frappante se voit transformée par la tendance de la prose à multiplier les circonstances, et, en particulier, les enchaînements de cause à effet. Nous traiterons ce phénomène à travers deux procédés typiques de la fiction pastorale : la mise en dialogue des métaphores pétrarquistes, d’une part, et l’amplification par subordination inverse d’autre part.
La fiction pastorale se caractérise par une prédominance de la forme conversationnelle : de longues séquences dialoguées sont consacrées aux questions d’amour que se posent les bergers. La glose des métaphores pétrarquistes de la poésie amoureuse en est un sujet de prédilection : les images topiques de la maladie et de l’attraction amoureuses font l’objet de discussions au sein desquelles les figures traditionnelles de la poésie lyriques sont adaptées à la forme amplifiée et circonstanciée de la prose. Dans La Pyrenée, le berger Ergasto décrit en ces termes sa blessure d’amour :
j’ay une telle secheresse dans mon ame, pour le feu qui me brusle incesamment, qu’il faudroit que la playe fust vehemente, laquelle estaindroit ceste ardeur. Et aussi la rousée que je sens, me laissant sans nourriture, est employée pour sustenter et maintenir en moy la mémoire d’une fleur la plus belle que l’on scache […]23.
La métaphore topique de l’eau est insérée dans un discours où prédominent les enchaînements logiques : « une telle sécheresse […] que », « la rosée est employée pour sustenter ». Ce mélange bizarre entre une fantaisie poétique et une volonté de tout expliquer, impropre au style naturel de la conversation, est aussitôt moqué par Drion :
Je croy, (dit Drion en riant) que ce pauvre pensant aller cueillir le May, a planté en quelque coing du boys son bon sens, et en a rapporté ces gaillardises qui ne sentent que verdure, faisant une transformation de soy a quelque plante, ayant les fleurs espanies, ainsi que disent les poëtes estre jadis avenu a ne sçay quels fols lesquelz s’esgaroient si gaiement en leurs desseins que Pythagorisans, il leur sembloit estre convertis en herbes, Arbres, ou fleurs aymées, et cheries de leurs maistresses.
Ainsi mon amy Ergasto, tu n’es plus toy mesme, voy que ton cueur produit fleurs, et ta pensée est la plante, et ton corps sera insensible, si l’on ne va querir l’ame plus avant en l’interieur, ou ces fleurs seront espanies, lesquelles attirent toute l’humeur qui est en toy24.
On retrouve ici le principe d’un commentaire humoristique sur les excès du langage poétique, sauf que, cette fois, ce commentaire s’applique à un discours en prose : la mise en œuvre d’une prose poétique aboutit ainsi à un détournement humoristique de la langue des poètes.
La subordination inverse, caractérisée formellement par le fait qu’une subordonnée introduit une information de premier plan, tandis que la principale introduit une information de second plan, structure l’un des patrons stylistiques25 les plus caractéristiques de l’épopée :
Jamque rubescant stellis Aurora fugatis,
Cum procul obscuros collis humilemque videmus
Italiam.
[Déjà l’aurore rougissait,
Lorsque paraît au loin – sombres monts, terre basse –
L’Italie]26.
Ce patron circule, à la Renaissance, dans la poésie amoureuse :
Dejà la nuit en son parc amassoit
Un grand troupeau d’etoiles vagabondes,
Et pour entrer aux cavernes profondes
Fuyant le jour, ses noirs chevaulx chassoit.
[…] Quand d’occident, comme une etoile vive
Je vy sortir dessus ta verde rive
O fleuve mien ! Une Nymphe en rient27.
Adapté à la prose fictionnelle pastorale, la subordination inverse s’associe au goût du genre pour l’amplification des circonstances, comme en témoigne cet incipit du Paradis d’amour de Laudun d’Aigaliers :
La fille aisnée de la terre avoit desja porté son cours, et tenu son audience sur la face du monde, avec le silence, compagnon eternel d’icelle : et apres avoir enfanté par sa muette gesine un bal d’heures, et donné sa brune face aux corps animez, tant des eaux, de l’air, que du reste de l’enclos circulaire se tenant trop paresseuse, avoit encor volonté de tenir paisiblement les hommes lassez de leurs travaux continus, n’eust esté que Morpheus, Dieu des songes, estoit desjà lassé d’avoir esté représenter par Idée la semblance de plusieurs humains qui estoient ou decedez, ou loins de leurs parens, se sentoit poursuivy vivement par la vermeille clarté de l’Aurore Titonnienne avec son diademe emperlé, qui desja des rayons de sa criniere dorée, penetroit les brouillards plus espais que la vapeur humide de la nuict avoit engendrez, et chassoit la brune, pour aller faire son sejour accoustumé sous le pole antarctique, animoit le doux gringottement des oiseaux enfans de l’air, et renouvelloit les pleurs de la miserable Philomele, faisoit luyre ses rayons sur les ruisseaux qui glougloutoient sous les marets et les bois plus touffus28.
L’amplification opérée par les coordinations (« porté et tenu » ; « et après avoir enfanté et donné » ; « penetroit et chassoit » ; « animoit et renouvelloit » ; « ou decedés ou loin de leurs parens »), par les juxtapositions (« tant des eaux, de l’air, que du reste de l’enclos circulaire » ; « n’eust été que Morpheus ») et par les accumulations de relatives et de participes présents n’aboutit qu’à la répétition de l’adverbe « déjà » (repris trois fois), sans que jamais l’information de premier plan ne se dégage enfin. La déformation du langage poétique aboutit ainsi, dans cette occurrence singulière, à une description monstrueuse, significativement clôturée par l’onomatopée « glouglouter », verbe défini par Furetière comme un « terme burlesque, qui ne se met que dans les chansons bachiques, pour signifier le bruit que fait le vin en sortant d’une bouteille » : la bizarrerie de cette prose poétique apparaît ainsi au service d’une variation des formes et des registres, du plus bas au plus élevé, de la pastorale29.
En effet, la mise en prose des patrons poétiques s’accompagne bien souvent de la dégradation relative de leur registre traditionnel. À l’ouverture de L’Entretien des illustres bergers, le berger Aminte se promène sur les rives de la Seine. La topique du lieu de plaisance, déplacée dans le cadre réaliste de la région parisienne, donne lieu à une longue subordination inverse magnifiant la beauté du château de Saint-Germain. Le patron épique entre ainsi en parfaite harmonie avec un éloge qui renvoie implicitement à la grandeur du pouvoir royal :
il semble que l’âge d’or retourne avecque luy dedans les champs ; l’innocence des passetemps s’y renouvelle ; les Amours accompagnent le Berger, & les Zephirs avecque leurs fraisches haleines luy aident à faire son voyage : il étoit assez prés de Sainct Germain ; deja l’aspect de son superbe Chasteau avoit charmé ses yeux, & se mettant à genous pour honorer la Deïté du lieu, il avoit admiré les diverses beautez du païs qui l’environne ; la Seine qui roule ses paisibles eaux au bas de cette maison Royale, glorieuse d’un tel voisinage, & paroissant plus belle à la veuë de tant de merveilles, avoit aussi arresté le Berger à contempler le riche émail des prairies qui tapissent ses bords, & luy avoit fait éprouver les ravissemans de mille douces pensées […]30.
En décalage avec cet arrière-plan encomiastique, l’information de premier plan amenée par la principale est une description d’un berger occupé à pêcher à la ligne :
quand d’assez loin il apperceut un homme qui peschoit à la ligne ; il avoit le pied droit avancé dessus la souche d’un vieux saule, & de l’autre il se tenoit ferme sur la rive, & se penchant devers la riviere il étoit si attentif à surprendre le petit poisson qui se jouoit à fleur d’eau, qu’à peine eust-il ozé remuer les yeux pour le regarder.31
Par une inversion des valeurs rhétoriques et politiques du bas et du haut, la splendide maison royale sert d’écrin à l’ekphrasis de l’humble pêcheur. Par ce trait d’humour, la prose poétique réactive le topos de la distance pastorale et du loisir lettré32, tout en réfléchissant son esthétique propre : celle d’une poétique intimement associée au registre familier et aux circonstances comiques de la vie quotidienne.
En conclusion, nous aimerions revenir sur ce que l’humour de la fiction pastorale nous apprend de ce genre littéraire, et de la modalité particulière par laquelle il mélange la prose avec les vers. En effet, les procédés humoristiques que nous avons décrits apparaissent intimement liés à la variété formelle du texte pastoral, dans la mesure où celle-ci favorise un regard réflexif et amusé sur le langage de la poésie. Ce regard s’inscrit dans la scène d’énonciation spécifique de la récitation poétique, et sous le contrôle du cercle amical des bergers : à ce titre, il semble que le discours poétique s’inscrive dans un imaginaire tout autre que celui, à la même époque, de la lettre d’amour, plus volontiers lue dans un cadre intime et associée de manière beaucoup plus forte, au sein du même corpus, au langage du cœur33.
Insérés par le biais des discours rapportés directs, les vers poétiques ne sont jamais menacés de se dissoudre dans l’énoncé en prose. Mais si la prose reste prose et le vers reste vers, leur coprésence aboutit à l’élaboration concertée d’une textualité poétique située à l’intersection de ces deux formes. Cette poésie composite, faite de l’alliance de la prose et des vers, se caractérise par un mélange des registres qui permet de rectifier l’image parfois un peu trop édulcorée que l’histoire littéraire garde du pastoralisme : ce dernier ménage en effet une place non négligeable à diverses formes du rire, allant du comique à l’humour, non sans passer par une sorte de burlesque avant la lettre.
Peut-on, enfin, démarquer cette veine fictionnelle du genre romanesque qui, jusque dans les années 1640, affectionne lui aussi l’insertion poétique ? La pastorale en vers et en prose n’est sans doute qu’une modulation de l’archi-genre de la fiction en prose qui prend son essor tout au long du siècle. Mais cette modulation est spécifique en raison de la place qu’elle ménage au poème : ce dernier reste l’événement majeur du texte, par sa capacité à exprimer les humeurs des personnages, à réfléchir une éthique amoureuse et enfin à faire l’objet d’une réflexion métalangagière, souvent humoristique. À ce titre, l’hybridité formelle de la fiction pastorale de la fin de la Renaissance est à la fois emblématique du maintien d’une tradition néo-platonicienne au sein de laquelle le verbe poétique, produit de l’enthousiasme, est roi, et d’une crise de cet idéal au nom de la civilité conversationnelle et du triomphe de la prose.
[1] Cet essor éditorial s’inscrit dans la tradition littéraire prestigieuse de L’Arcadia de Sannazaro, publiée en Italie en 1502 et traduite par J. Martin en 1541, et de la Diane de Montemayor en 1561, traduite en français en 1578. Voir Nathalie DAUVOIS, De la satura à la bergerie. Le prosimètre pastoral en France à la Renaissance et ses modèles, Paris, H. Champion, 1998, et Frank GREINER, Les Amours romanesques de la fin des guerres de religion au temps de L’Astrée (1585-1628), Paris, H. Champion, 2008, en particulier p. 200 sq.
[2] Paris, Gervais Mallot, 1571.
[3] Voir Françoise LAVOCAT, Arcadies malheureuses. Aux origines du roman moderne, Paris, H. Champion, 1998 et Laurence GIAVARINI, « Représentation pastorale et guérison mélancolique au tournant de la Renaissance : question de poétique », Études Epistémè, 3, avril 2003 [article paru en ligne].
[4] VOLTAIRE, « Lettre à l’abbé d’Olivet » (21 avril 1762), cité dans Franck ÉVRARD, L’Humour, Paris, Hachette, 1996, p. 72. Voir également Anne CHAMAYOU, Jean-Jacques Rousseau ou Le sujet de rire, Arras, Artois Presses Université, 2009, p. 127-128.
[5] Selon la définition qu’en donne Alain RABATEL, l’humour s’oppose à l’ironie par la discrétion de ses marques énonciatives, et par le fait que l’humoriste, à la différence de l’ironiste, inclut sa propre personne dans sa cible : « Humour et sous-énonciation (vs ironie et sur-énonciation) », L’Information grammaticale, 2013/137, p. 36-42.
[6] Charles SOREL, L’Anti-roman ou l’histoire du berger Lysis (1631-1633), Anne-Élisabeth SPICA (éd.), Paris, H. Champion, 2014, i, p. 27-28. Nous soulignons.
[7] Iacopo SANNAZARO, Arcadia, « Egloge III » (1502), Francesco ERSPAMER (éd.), Gérard MARINO (trad.), Paris, Les Belles Lettres, 2004, p. 48. Dans cette citation et dans les suivantes, c’est nous qui soulignons le texte en italique. Dans les éditions originales, les textes en vers sont tous en italique.
[8] Ibid., « Prose IV », p. 54.
[9] Voir Giusy de LUCA, « De quelques enigmes dans les Bergeries de Juliette de Nicolas de Montreux et dans les Facétieuses nuits de Giovan Francesco Straparola », in Daniel MARTIN, Pierre SERVET et André TOURNON (dir.), L’Énigmatique à la Renaissance : formes, significations, esthétiques, Paris, H. Champion, 2008, p. 81-91, et Elsa VERET, L’Énigme de l’automne de la Renaissance à la Régence : pratiques et poétiques d’un genre ingénieux, thèse de doctorat soutenue à Sorbonne Université le 9 novembre 2018, en particulier p. 227-228.
[10] Nicolas de MONTREUX, « Première journée des bergeries de Juliette », Le Premier livre des bergeries de Juliette, de l’invention d’Ollenix du Mont-Sacré (1585), Lyon, J. Veyrat, 1592, p. 103.
[11] E. VERET, op. cit., p. 292.
[12] N. de MONTREUX, « Première journée des bergeries de Juliette », p. 104.
[13] FURETIÈRE, Dictionnaire, s. v. « Humeur ».
[14] Sur cette question du déclin relatif de la mélancolie dans la pensée poétique et rhétorique du XVIIe siècle, voir Marc FUMAROLI, « ‘Nous serons guéris si nous le voulons’ : classicisme français et maladie de l’âme », Le Débat, 29, 1984, p. 92-114, et « Crépuscule de l’enthousiasme au XVIIe siècle », Héros et orateurs, Genève, Droz, 1996, p. 349-377.
[15] Voir Delphine DENIS, « Pastorale et mélancolie dans L’Astrée d’Honoré d’Urfé », in Delphine AMSTUZ, Boris DONNÉ, Guillaume PEUREUX, Bernard TEYSSANDIER, « Jusqu'au sombre plaisir d'un cœur mélancolique », Études de littérature française du XVIIe siècle offertes à Patrick Dandrey, Paris, Éditions Hermann, 2018, p. 301-308.
[16] Honoré d’URFÉ, L’Astrée. Première partie (1612), Delphine DENIS et alii (éd.), Paris, H. Champion, 2011, VII, p. 415.
[17] Ibid., p. 416.
[18] Loc. cit.
[19] F. de BELLEFOREST, La Pyrenée, p. 43.
[20] Loc. cit.
[21] Ibid., p. 139.
[22] Sur la notion de « tempérament », voir l’introduction de l’édition critique de Michel JEANNERET, Paris, Librairie générale française, 1991, Alain GÉNETIOT, Poétique du loisir mondain, de Voiture à La Fontaine, Paris, H. Champion, 1997, p. 340 sq., ainsi que Delphine DENIS, « Au cœur de l’esthétique galante : la notion de tempérament », in Martine LEFÈVRE, Danielle MUZERELLE, Élise DUTRAY-LECOIN (dir.), Les Plaisirs de l’Arsenal, Paris, Garnier, à paraître.
[23] F. de BELLFOREST, La Pyrenée, p. 139.
[24] Ibid., p. 140.
[25] La notion de patron stylistique renvoie à « la représentation imaginaire d’un type de production langagière » dont « la tradition littéraire a figé les spécificités en une sorte de stéréotype », Dominique MAINGUENEAU, Gilles PHILIPPE, « Les conditions d’exercice du discours littéraire », in Eddy ROULET et Marcel BURGER (dir.), Les Modèles du discours au défi d’un dialogue romanesque, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 2002, p. 333-379, ici p. 366-367.
[26] VIRGILE, Œuvres complètes de Virgile, t. 1, L’Énéide, Claude Michel CLUNY (éd. et trad.), Paris, Éditions de la Différence, 1993, iii, v. 521-523.
[27] Joaquim DU BELLAY, Œuvres poétiques, t. 1, « L’Olive » (1549), Daniel ARIS et Françoise JOUKOVSKY (éd.), Paris, Classiques Garnier, 1993, p. 58.
[28] Pierre de LAUDUN D’AIGALIERS, Le Paradis d’amour, ou la chaste matinée du fidell’amant, Rouen, C. Le Villain, 1606, i, p. 3-4.
[29] Sur ce texte singulier, dont Pierre de DEIMIER publie un pastiche dans son Académie d’art poétique, je me permets de renvoyer à mon ouvrage : La Prose poétique du roman baroque (1571-1670), Paris, Garnier, 2017, p. 183-185.
[30] Nicolas FRENICLE, L’Entretien des illustres bergers, Paris, J. Dugast, 1634, p. 4.
[31] Loc. cit.
[32] Voir Laurence GIAVARINI, La Distance pastorale. Usages politiques de la représentation des bergers, XVIe-XVIIe siècles, Paris, Éditions de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, J. Vrin, 2010, Marc FUMAROLI, « Académie, Arcadie, Parnasse », L’École du silence. Le sentiment des images au XVIIe siècle, Paris, Flammarion, 1998, p. 32-48, et F. Greiner, op. cit., p. 430.
[33] Voir Suzanne DUVAL, « La lettre dans la bergerie. Épistolaire pastoral et fiction d’une rhétorique naturelle à la fin de la Renaissance », Exercices rhétoriques, à paraître en 2019.
Résumé
Le prosimètre pastoral de la fin de la Renaissance, souvent associé au registre élégiaque et à la mélancolie, ménage également une place à l’humour, entendu comme forme sous-énonciative et autodérisionnelle du rire : l’hétérogénéité formelle du genre est ainsi au service d’un mélange des registres et d’une réflexivité sur les conventions poétiques. Nous étudions ce processus à travers les indices d’humour dans les scènes de récitation poétique, la représentation de l’humeur extravagante des bergers-poètes et enfin les phénomènes d’imitation entre la langue de la prose et celle de la poésie.
Abstract
The pastoral prosimetrum of late Renaissance is usually associated to an elegiac tune and to melancholy. Yet it also includes a form of humour, defined as a discreet and self-mocking way of laughing: the heterogeneity between verses and prose appears to serve a purpose of mixing tunes and reflecting poetic conventions. We study this aspect of the prosimetrum through the indices of humour in the topic scenes of poetic recitation, through the caracterisation of shepherd’s extravagant humors and through processes of imitation between the style of the prose and the style of the verses.
Le poème inséré : topos extravagant de la tradition pastorale
Médiations fictionnelles du discours versifié
L’étrangeté de la langue poétique mise en prose
Vers de bergers dans la prose : une médiation humoristique
Le poème inséré : topos extravagant de la tradition pastorale
Médiations fictionnelles du discours versifié
L’étrangeté de la langue poétique mise en prose
Équivocité poétique et mélange des registres
« L’humeur à faire des vers » et l’humour pastoral
Une humeur joyeuse ou triste ?
La glose humoristique des bergers, antidote aux clichés de la mélancolie ?
Un tempérament humoristique : les imitations prosaïques du vers
Déformations humoristiques et prose poétique
Dialogismes et métaphores pétrarquistes
« Déjà… un petit poisson » : subordinations épiques et circonstances prosaïques
Suzanne DUVAL
Université de Lausanne, Section de français
Sources
BELLEFOREST, François de, La Pyrenée, et pastorale amoureuse, contennant divers accidens amoureux, descriptions de paysages, histoires, fables et occurrences des choses, advenues de nostre temps, Paris, Gervais Mallot, 1571.
DU BELLAY, Joachim, Œuvres poétiques, t. 1, Daniel ARIS et Françoise JOUKOVSKY (éd.), Paris, Classiques Garnier, 1993.
FRENICLE, Nicolas, L’Entretien des illustres bergers, Paris, J. Dugast, 1634.
LA FONTAINE, Jean de, Les Amours de Psyché et de Cupidon, Michel JEANNERET (éd.), Paris, Librairie générale française, 1991.
LAUDUN D’AIGALIERS, Pierre de, Le Paradis d’amour, ou la chaste matinée du fidell’amant, Rouen, C. Le Villain, 1606.
MONTREUX, Nicolas de, Le Premier Livre des bergeries de Juliette, de l’invention d’Ollenix du Mont-Sacré (1585), Lyon, J. Veyrat, 1592.
SANNAZARO, Iacopo, Arcadia (1502), Francesco ERSPAMER (éd.), Gérard MARINO (trad.), Paris, Les Belles Lettres, 2004.
SOREL, Charles, L’Anti-roman ou l’histoire du berger Lysis (1631-1633), t. 1, Anne-Élisabeth SPICA, Paris, H. Champion, 2014.
URFÉ, Honoré d’, L’Astrée. Première partie (1612), Delphine DENIS et alii (éd.), Paris, H. Champion, 2011.
VIRGILE, Œuvres complètes de Virgile, t. 1, Claude Michel CLUNY (éd. et trad.), Paris, Éditions de la Différence, 1993.
Critique
CHAMAYOU, Anne, Jean-Jacques Rousseau ou le sujet de rire, Arras, Artois Presses Université, 2009.
DAUVOIS, Nathalie, De la satura à la bergerie. Le prosimètre pastoral en France à la Renaissance et ses modèles, Paris, H. Champion, 1998.
DENIS, Delphine, « Pastorale et mélancolie dans L’Astrée d’Honoré d’Urfé », in Delphine AMSTUZ, Boris DONNÉ, Guillaume PEUREUX, Bernard TEYSSANDIER (dir.), « Jusqu'au sombre plaisir d'un cœur mélancolique », Études de littérature française du XVIIe siècle offertes à Patrick Dandrey, Paris, Éditions Hermann, 2018, p. 301-308.
—, « Au cœur de l’esthÉtique galante : la notion de tempérament », in Martine LEFÈVRE, Danielle MUZERELLE, Élise DUTRAY-LECOIN (dir.), Les Plaisirs de l’Arsenal, Paris, Garnier, à paraître.
DUVAL, Suzanne, La Prose poétique du roman baroque (1571-1670), Paris, Garnier, 2017.
—, « La lettre dans la bergerie. Épistolaire pastoral et fiction d’une rhétorique naturelle à la fin de la Renaissance », Exercices rhétoriques, à paraître en 2019.
ÉVRARD, Franck, L’Humour, Paris, Hachette, 1996.
FUMAROLI, Marc, « ‘Nous serons guéris si nous le voulons’ : classicisme français et maladie de l’âme », Le Débat, 29, 1984, p. 92-114.
—, Héros et orateurs, Genève, Droz, 1996.
—, L’École du silence. Le sentiment des images au XVIIe siècle, Paris, Flammarion, 1998.
GÉNETIOT, Alain, Poétique du loisir mondain, de Voiture à La Fontaine, Paris, H. Champion, 1997.
GIAVARINI, Laurence, « Représentation pastorale et guérison mélancolique au tournant de la Renaissance : question de poétique », Études Epistémè, 3, avril 2003 [article paru en ligne].
—, La Distance pastorale. Usages politiques de la représentation des bergers, XVIe-XVIIe siècles, Paris, Éditions de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, J. Vrin, 2010.
GREINER, Frank, Les Amours romanesques de la fin des guerres de religion au temps de L’Astrée (1585-1628), Paris, H. Champion, 2008.
LAVOCAT, Françoise, Arcadies malheureuses. Aux origines du roman moderne, Paris, H. Champion, 1998.
LUCA, Giusy de, « De quelques énigmes dans les Bergeries de Juliette de Nicolas de Montreux et dans les Facétieuses nuits de Giovan Francesco Straparola », in Daniel MARTIN, Pierre SERVET et André TOURNON (dir.), L’Énigmatique à la Renaissance : formes, significations, esthétiques, Paris, H. Champion, 2008, p. 81-91.
MAINGUENEAU, Dominique, PHILIPPE, Gilles, « Les conditions d’exercice du discours littéraire », in Eddy ROULET et Marcel BURGER (dir.), Les Modèles du discours au défi d’un dialogue romanesque, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 2002, p. 333-379.
RABATEL, Alain, « Humour et sous-énonciation (vs ironie et sur-énonciation) », L’Information grammaticale, 2013/137, p. 36-42.
VERET, Elsa, L’Énigme de l’automne de la Renaissance à la Régence : pratiques et poétiques d’un genre ingénieux, thèse de doctorat soutenue à Sorbonne Université le 9 novembre 2018.