Pas de nation sans cinéma. Pas de cinéma sans nation. Il existe une affinité de nature entre cinéma et nation, qui repose sur un mécanisme commun, qui les constitue l’un et l’autre : la projection. C’est en se projetant, en offrant une image reconnaissable et désirable, que s’institue la nation comme « forme » supérieure à l’existence d’un territoire et d’un État — la nation pouvant d’ailleurs, comme on sait, précéder l’actualisation du territoire régulé par un cadre législatif et exécutif.
écrit Jean-Michel Frodon dans son texte « La projection nationale cinéma et nation »1.
Toute écriture de l’histoire d’une cinématographie nationale, si elle vise notamment à projeter sur un même plan l’histoire d’un pays et l’histoire des images et des sons qui y sont produits, implique de questionner autant l’échelle temporelle que l’échelle géographique investies. En quels lieux filmés, quand il ne s’agit pas d’un art d’état ou explicitement nationaliste, la nation se donne-t-elle à penser ?
Sur une lancée géocritique, nous pouvons nous demander quels espaces nationaux émergent lorsque nous portons notre intérêt à la cinématographie d’un pays en particulier. Que nous disent les accès à certains territoires et l’absence d’attention portée à d’autres, au fil des décennies ? Un manque d’images implique-t-il nécessairement l’émergence alternative d’« espaces autres »2 à connotation politique ? Dans quelle mesure la tentative d’épuisement d’un territoire national peut-elle œuvrer à l’écriture d’une histoire concluante du cinéma national ? Franco Moretti exposait dans son Atlas du roman européen (1800-1900) que « sans un certain type d’espace, un certain type d’histoire devient tout bonnement impossible »3. À l’inverse, loin d’un certain type d’espace, en des lieux où des décennies de narrations se superposent, un certain type d’histoires ne deviendrait-il pas également impossible ?
La cinématographie argentine, que nous considérions la production contemporaine ou son histoire la plus ancienne, invite de fait à investir l’Argentine en tant que « pays du cinéma »4, tant les tournants qu’elle a connus – moments de rupture, de réinvention, de revitalisation – ont été solidaires d’une reprise du territoire, de la nécessité de lui donner une visibilité au-delà de l’hégémonique capitale, Buenos Aires. De plus, comme le relève Diego Jarak dans le texte « Les indiens face à la construction de l’État-nation en Argentine »5, employer le mot « nation » est problématique puisqu’il ne transmet pas la complexité avec laquelle l’Argentine a été construite après l’indépendance en 1816. Cette complexité a autant à voir avec l’émancipation vis-à-vis de l’Espagne qu’avec la relation violente à l’histoire des peuples originaires d’Amérique du Sud. L’idée avancée par l’historien Gian Piero Brunetta au sujet de l’Italie, considérant « l’écran comme occasion privilégiée de reconstruire l’histoire et la géographie d’une nation qui n’a reconquis son unité politique et géographique que depuis quelques décennies »6 ne peut connaître une transposition efficiente pour l’Argentine, tant le dévoilement de son ample géographie a été le fait non pas d’ « une » conquête issue d’un projet national mais de multiples prises de territoire en réaction au gouvernement d’alors.
La géographie de l’Argentine se caractérise par une dichotomie territoriale extrêmement forte, toujours d’actualité, entre Buenos Aires, deuxième ville d’Amérique du Sud qui concentre la moitié des habitants d’Argentine, et l’interior, qui désigne le reste du pays, c’est-à-dire toute parcelle des 2 780 400 km2 du territoire argentin hors de la capitale. Il n’est pas dit que la somme de Buenos Aires et de l’interior résoudrait l’équation menant à l’Argentine, tant l’interior est vaste et multiple, tant la tension entre l’échelle locale et nationale, historiquement ancrée, demeure structurante, en termes de politique comme d’imaginaire national7. Au point que, pour reprendre Georges Perec dans Espèces d’espaces, la dichotomie entre Buenos Aires et l’interior laisse percevoir, depuis une perspective portègne8, la campagne comme « un pays étranger »9.
La notion de dépaysement telle que Jean-Christophe Bailly l’entend, « non pas ôter le pays du pays pour l’accomplir dans un vague et creux devenir universel […] mais l’empêcher de se raidir dans la pose de l’identité – où il ne peut que se contracter et mourir »10, nous apparaît particulièrement juste pour aborder le cinéma argentin contemporain, depuis la mouvance du Nouveau Cinéma Argentin dans les années 1990, et depuis la logique territoriale de la production nationale argentine antérieure. Pour penser à nouveau avec Jean-Christophe Bailly, nous verrons que c’est grâce au déploiement de films novateurs réalisés hors de Buenos Aires que le pays– mot que nous pouvons ici entendre au sens littéral mais aussi « pays de cinéma » – « se dépayse de lui-même et qu’il devien[t] ainsi, mystérieusement, ressemblant »11.
Notre hypothèse tient à considérer que le dépaysement n’est pas tant un axe de lecture pour étudier des moments marquants de l’histoire du cinéma argentin qu’une dimension pleinement constituante. S’il nous semble nécessaire d’interroger les causes et les moments des déplacements géographiques au sein de la cartographie globale du cinéma argentin, sans nier ni les conditions de production ni la démocratisation des outils numériques, il nous importe davantage encore d’analyser ce que ce dépaysement peut impliquer de gestes cinématographiques novateurs. Dans quelle mesure a-t-il été nécessaire de filmer hors de Buenos Aires pour ouvrir des voies alternatives à la production dominante et pour engager la réappropriation d’un horizon cinématographique distinct des tendances stylistiques argentines du moment ? Nous n’entendons pas que tous les films argentins qui ont été réalisés hors de la capitale sont audacieux et qu’il n’existe pas de films singuliers tournés à Buenos Aires. Nous avançons l’idée qu’une force centripète a été déterminante pour repenser les formes cinématographiques et une imagibilité politique du pays en différents moments, et plus fortement encore depuis la fin des années 1990.
Nous privilégierons des films qui nous semblent essentiels pour comprendre ce double mouvement, des films qui travaillent une expérience du territoire autant qu’une expérience de la forme cinématographique, plutôt que de chercher à retracer une histoire exhaustive, au risque de confondre des projets cinématographiques disparates. Dans un premier temps, nous considérerons des moments phares où le cinéma a cessé d’être portègne pour devenir « argentin ». Puis, nous verrons que le renouveau formel du Nouveau Cinéma Argentin a été le fait de deux films réalisés hors de la capitale, La libertad (2001) de Lisandro Alonso et La ciénaga (2001) de Lucrecia Martel, bouleversant autant la représentativité du territoire que la manière de les porter à l’écran. Enfin, nous nous demanderons dans quelle mesure El escarabajo de oro (2014), le long-métrage réflexif d’Alejo Moguillansky et Fia-Stina Sandlund, annonce une ère postérieure au Nouveau Cinéma Argentin, puisque la narration interroge l’état mondialisé du cinéma tout en remontant plusieurs couches historiques de l’histoire nationale, proposant ainsi un double dépaysement comme matière de production.
Les premières images filmées en Argentine, à savoir Vistas de Palermo, La Avenida de Mayo et la Plaza de Mayo (1896) par l’Allemand Federico Figner, et La Bandera Argentina (1897) par le Français Eugène Py, sont autant de vues urbaines, spécifiquement ancrées à Buenos Aires, comme l’indique leurs titres. Le « Drapeau Argentin » d’Eugène Py est particulièrement symptomatique, puisqu’il est filmé en train de flotter sur la Plaza de Mayo, ce qui lui confère l’épaisseur d’une double métonymie : le symbole de la patrie se meut au-dessus du site central de Buenos Aires. Le premier long-métrage de fiction argentin recensé à ce jour, Amalia (1914) d’Enrique Garcia Velloso, est quant à lui un huis clos qui se déroule dans la société bourgeoise portègne de l’époque.
L’interior argentin a commencé par être mis en image (mais pas encore en son) dans deux longs-métrages marquants : Nobleza gaucha (1915) de Humberto Cairo, Ernesto Gunche et Eduardo Martinez de la Pera, ainsi que El ultimo malón (1918) de Alcides Greca. L’ouverture progressive du territoire résonne parfois avec l’origine des cinéastes et est une manière de rendre hommage à une « autre Argentine ». Mario Soffici est une figure particulièrement marquante ; il a grandi à Mendoza et n’aura de cesse de filmer son pays d’une province à l’autre, de Prisioneros de la tierra (1939) tourné dans le Nordeste du pays à Tierra del fuego (1948) situé dans les tréfonds de la Patagonie. Nous pouvons aussi mentionner Lucas Demare et son acolyte de La Guerra Gaucha (1942) Hugo Fregonese, Lautaro Murúa et son mémorable Shunko (1960), Hugo del Carril réalisateur de Las Aguas bajan turbias (1952) et de Tierras blancas (1959). Les films réalisés dans l’interior jusqu’à la fin de l’âge d’or du cinéma argentin en 1955 visent aussi, loin des expérimentations narratives ou désirs d’horizons nouveaux, à réaffirmer les frontières du pays un siècle après l’Indépendance de l’Argentine, laquelle a été prolongée d’une vaste et longue reconquête territoriale, dont deux moments clés ancrés en deux pôles opposés du territoire sont « la Guerre de la Triple Alliance » contre le Paraguay (de 1864 à 1870) visant à s’approprier un morceau du Chaco, au Nord, et la « Conquête du Désert » (1878-1885), une expédition militaire contre les peuples amérindiens de la Pampa et de la Patagonie, au Sud.
Comme en atteste l’historienne du cinéma Ana Laura Lusnich dans son ouvrage El drama social-folclórico, El universo rural en el cine argentino12, une part importante des films réalisés à cette période sont des films d’époque : l’espace conquis sur pellicule est un espace éminemment historique, il est sujet à la gloire de la nation et rappelle les efforts héroïques déployés13. À la dichotomie « Buenos Aires — périphérie » vient se superposer l’opposition « civilisation — barbarie » et l’interior émerge difficilement comme une entité géographique contemporaine indépendante de la capitale. La représentation de l’imaginaire national à travers des lieux de l’interior de l’Argentine voit le jour pendant l’âge d’or de la production argentine, au moment de l’apparition du son, certes, mais aussi dans un contexte politique instable, marqué par plusieurs coups d’états, partagé entre la Décennie infâme et la fondation du péronisme.
Deux autres moments de l’histoire du cinéma argentin symbolisent à la fois la conception d’un « imaginaire national » ancré dans l’interior et une historicité propre à la situation politique du pays. Après l’année 1955, il faudra attendre quelques années bouleversées par différents coups d’état et la libération technique tout juste héritée des nouvelles vagues européennes pour que Fernando Birri remette au cœur du cinéma national et sous-continental la problématique de l’interior, comme la marque d’une conscience identitaire et la proposition d’un renouveau formel, et ce, en trois temps et trois créations. Santa Fe, à la fois capitale et province, sera tour à tour le lieu d’écriture d’un manifeste à l’origine du « Nouveau Cinéma Latino-Américain » : il se conclut par la recommandation de « se mettre face à la réalité avec une caméra, et de la documenter, de documenter ce sous-développement »14 ; d’un premier long-métrage, Los Inundados (1962) qui met en scène les inondations de la région subies par une famille populaire. L’École de Santa Fe, en 1964, formera une nouvelle génération de cinéastes hors de Buenos Aires, consciente et engagée cinématographiquement vis-à-vis de la situation sociale de l’Amérique Latine.
L’engagement de Fernando Birri est suivi de peu par La Hora de los Hornos (1968) (L’heure des brasiers) d’Octavio Getino et Fernando Solanas, film-somme de l’histoire du cinéma argentin, prolongation des réflexions de la Conférence sur la Tricontinentale. Le film se présente comme une exploration du territoire national, sur des milliers de kilomètres du Sud au Nord, son projet cherchant à contrer l’image hégémonique de Buenos Aires. Il s’agit pour les cinéastes de la condition sine qua non d’une double révolution, politique et cinématographique. Le mot « Argentine » encadre textuellement le projet du film, dont le nom écrit en blanc sur carton noir ouvre le premier épisode et clôt le dernier. La prise de conscience identitaire cherche à œuvrer pour le devenir d’une Amérique latine émancipée de toute forme de colonialisme.
Dans La Hora de los Hornos, le net contraste entre l’Argentine dans son ensemble et la capitale comme microcosme fermé se fait sans la nuance d’une possible concordance, parce que les deux espaces sont séparés en deux chapitres, « El País » et « La Ciudad puerto », dont le ton et l’esthétique sont antagonistes. Le chapitre « El País » est composé de zooms arrière de paysages désertiques, de gros plans furtifs sur des visages d’habitants des zones rurales, de quelques plans urbains de Buenos Aires, à peine reconnaissable, et de nombreuses vues de voiture, filant à travers les vitres. La voix de Solanas et celle d’une femme se relaient pour faire part d’informations chiffrées a priori objectives, très factuelles, sur la géographie, mettant surtout en valeur la diversité des paysages et des activités agricoles. Le chapitre « La Ciudad puerto » n’est pas aussi consensuel ; Buenos Aires est filmée en contre-plongée, complètement déshumanisée, comme l’atteste l’absence de visage. Les plans de gratte-ciels se succèdent et Solanas, seul, enchaîne les commentaires désobligeants sur la ville, parmi lesquels « épicentre de la politique néo-coloniale », « ici, un gaucho est aussi exotique qu’à Paris ou à Londres », « pour la bourgeoisie portègne, le pays est intolérable – mais, inchangeable. Le changement est nécessaire mais impossible », la « ville tourne le dos au pays »15. Comme le relève l’historienne du cinéma Silvana Flores : « un groupe de théories ont marqué la cinématographie d’Amérique latine depuis un point de vue continental, en passant du national à une dimension régionale »16.
Le retour à la démocratie en 1983 est suivi d’une redécouverte active du territoire argentin, comme si les images nouvelles pouvaient à elles seules rouvrir l’imaginaire d’un pays morcelé après plus de vingt ans de dictatures. Carlos Sorín, dès son premier long-métrage La película del rey (1986), marquera la nécessité de filmer hors de Buenos Aires, sans qu’il s’agisse toutefois d’un mouvement identifiable suivi par d’autres cinéastes. Ce film, bien qu’il ne soit pas novateur dans sa forme, importe en tant que mise en abyme : il interroge les difficultés et les espoirs concernant le fait de réapprendre à filmer son pays, comme s’il venait de gagner son indépendance. De fait, la trame narrative se focalise sur un réalisateur qui essaie de tourner un film sur le personnage excentrique d’Orelie-Antoine de Tounens, un Français qui a fondé l’éphémère royaume d’Araucanie (1860-1862) avec la complicité de tribus indiennes. La Patagonie est ainsi le théâtre d’une histoire officieuse, d’une occupation territoriale révolue mêlant cultures originaires et projections utopistes.
C’est pourtant à Buenos Aires que le dénommé Nouveau Cinéma Argentin (Nuevo Cine Argentino) émergera, et ouvrira le champ à une véritable reprise de production cinématographique indépendante par la génération de jeunes cinéastes. L’importance de la capitale s’exprime en des termes structurels, en raison de la présence de trois institutions : la création de la Fundación Universidad del Cine (la FUC) en 1991, où étudieront de nombreux cinéastes (parmi lesquels Pablo Trapero, Lisandro Alonso et Mariano Llinás) ; la Ley del Cine (loi du cinéma) en 1995 qui assure un plus grand soutien de l’INCAA (Institut National de Cinéma et d’Arts Audiovisuels) aux jeunes réalisateurs, notamment en lançant le concours de courts-métrages Historias Breves en 1995 (dans le cadre duquel Lucrecia Martel réalisera Rey muerto) ; la création du BAFICI (le Festival International de Cinéma Indépendant de Buenos Aires) en 1999 qui permettra de donner une visibilité aux films réalisés par cette nouvelle génération17.
De plus, les trois films considérés comme les fondements d’un autre cinéma possible s’ancrent à Buenos Aires : Rapado (1992) de Martín Rejtman, Pizza, birra, faso (1998) d’Adrián Caetano et Bruno Stagnaro et Mundo Grúa (1999) de Pablo Trapero. Le premier film est animé par une énergie narrative tendant vers le minimalisme, tandis que les deux autres suivent une ligne dramatique plus proche d’une inspiration néo-réaliste, laquelle fut d’ailleurs relevée par la critique argentine dès l’émergence de cette tendance18. Adrián Caetano, Bruno Stagnaro et Pablo Trapero adoptent cependant des tons diamétralement opposés, les premiers se calquant sur l’énergie furieuse de jeunes malfrats de la rue, dans un film en couleurs, au plus proche des corps, et le deuxième s’attachant aux états d’âme du cinquantenaire Rulo, qui observe Buenos Aires de haut au cours de travaux, dans un noir et blanc granuleux. Si ces trois films libèrent le cinéma argentin des générations passées, le dépaysement formel œuvre avant tout à l’échelle nationale, visant à bousculer les cadres de la représentation de la capitale, sans néanmoins aller clairement au-delà.
Buenos Aires n’est que le point de départ du Nouveau Cinéma Argentin. L’année 2001 marque non seulement un tournant politique considérable, en raison de l’effondrement de l’économie argentine suite à plusieurs années de récession19, mais une rupture esthétique décisive sur les écrans argentins et mondiaux. La libertad de Lisandro Alonso (sélectionné dans la section « Un certain regard » à Cannes en 2001) et La ciénaga de Lucrecia Martel (en compétition à la Berlinale en 2001) se distinguent par la relation formelle qu’ils nouent avec la topographie de l’interior et avec une expérience du territoire préalable, qu’elle soit de l’ordre de l’arpentage d’un terrain de campagne dans le premier film ou de l’enlisement dans une propriété familiale pour le second.
La libertad accompagne la journée du bûcheron Misael, employé d’une propriété agricole dans la province de la Pampa qui habite les bois, en s’attachant à filmer l’ambiguïté des gestes dans leur durée, entre aliénation aux tâches du travail et savoir-faire propices à une vie libérée loin de la société. L’attention portée aux actions place le film à la lisière du genre ethnographique, mais l’absence de contextualisation le déplace résolument dans une sphère à part. La ciénaga narre l’été de deux familles vivant dans la province de Salta, dont l’aisance des décennies passées s’est convertie en décadence flagrante, jusqu’au moment où un événement tragique finira de creuser la faille déjà présente. Le montage du film est remarquable : il crée de perpétuelles disjonctions visuelles et sonores et des déséquilibres. Sans mettre en péril la narration, il étrangéise le rapport au moment vécu.
Ces deux films sont réalisés en connaissance de lieu ; Lucrecia Martel est originaire de Salta et Lisandro Alonso filme la propriété de son père où il a travaillé plusieurs années. Les deux cinéastes n’appartiennent pas à une branche de réalisateurs dont le regard est ancré à Buenos Aires, regard qui, selon la chercheuse Tamara Falicov,
laisse une marque indélébile sur les films qui se tournent dans le Nord, dans le Sud ou à l’intérieur du pays. Ces films sont racontés du point de vue du protagoniste « outsider » (souvent un porteño) qui traverse cette région, ou qui s’y installe pour échapper à la centralisation urbaine20.
Ce changement de point de vue posé sur les lieux filmés est un tournant crucial du Nouveau Cinéma Argentin, l’interior se donnant ici à voir et à entendre comme lieu non pas de passage mais de tournage, devenu lieu d’ancrage.
Si ces deux longs métrages sont loin d’être comparables en termes de mise en scène, ils ont en commun de ne ressembler à aucun film argentin précédent. Ils mettent en crise la narration classique tout en attachant une importance immersive à la bande sonore, jusque-là peu exploitée dans la cinématographie nationale. Ils créent un espace-temps original, filmant une expérience spatiale indissociable de l’ancrage des corps dans le territoire. Ils s’ouvrent in medias res, sans plan d’exposition paysager, au plus près du corps d’un personnage de premier plan. Lisandro Alonso et Lucrecia Martel fondent ainsi chacun un « lieu de cinéma » aux deux sens du terme, un lieu géographique qui a peu à voir avec le Buenos Aires fragmenté des premières années du Nouveau Cinéma Argentin, et un lieu formel qui rend difficile d’établir une généalogie ou des analogies avec des cinéastes contemporains21. En se détachant d’un espace de cinéma localisable, en filmant en des lieux consciencieusement choisis, ils dépaysent la relation cinématographique nouée avec le territoire. Avec La libertad et La ciénaga, le Nouveau Cinéma Argentin tend véritablement du coté du « Nouveau », non qu’il rompe avec précédentes générations mais parce qu’il inscrit dans le contemporain comme un vacillement formel.
Les films suivants des deux auteurs répondront à la dynamique propre à leur premier film. Au fil de ses longs-métrages, Lisandro Alonso composera une cartographie exploratoire d’un bout à l’autre de l’Argentine : Los Muertos (2003) est réalisé dans la province de Corrientes, dans le Nordeste ; Liverpool (2008), comme son titre ne l’indique pas, se situe à l’extrême Sud de la Patagonie, en Tierra del Fuego, et son dernier long métrage Jauja dans sa partie Nord, dans le Rio Negro dans (2014). Le cinéaste parle de ses choix de localisation comme d’une manière « d’amener le cinéma à un endroit où il est inconnu, de faire des films dans un monde où le cinéma est entièrement une idée neuve »22, le choix du lieu étant la toute première intention de mise en scène23.Avant de tourner Zama (2017), Lucrecia Martel continuera à ancrer ses films à Salta avec La niña santa (2003) et La mujer sin cabeza (2007), en disant que sa ville natale est un « tissage émotif fait avec des fragments de lieux, des sons, et des personnes, qui en réalité ne correspondent en rien au documentaire que quelqu’un pourrait réaliser sur ce même site »24. La prise de territoire intime est aussi une épreuve du dépaysement. Comme l’écrit la chercheuse Ana Peluffo, ce tournant dans le Nouveau Cinéma Argentin tient avant tout au fait de « complexifier la dichotomie centre-périphérie qui a jusque-là structuré la pensée de l’Argentine depuis le début du dix-neuvième siècle »25. Les films de Lisandro Alonso et Lucrecia Martel n’ont pas la vocation explicitement politique de « changer l’Argentine », comme cela fut le cas de Birri, Getini et Solanas, mais l’idée de faire changer d’Argentine, de briser les canons de la représentation préexistants et dominants. Il s’agit de rendre à l’interior ce qui lui appartient.
Dans son texte Histoires du nouveau cinéma argentin. De Historias breves (1995) à Historias extraordinarias (2008)26, le critique Nicolas Azalbert annonçait la fin du Nouveau Cinéma Argentin avec le film-somme de Mariano Llinás Historias extraordinarias (2008) en raison de sa revitalisation narrative. Ce long-métrage de plus de quatre heures, produit sans subvention de l’INCAA par le groupe El Pampero Cine27 (composé de Mariano Llinás, ainsi que de Laura Citarella, Agustin Mendilaharzu, Alejo Moguillansky), apparaît comme une célébration de la narration dans l’épuisement de ses possibles, à travers une voix-off qui spécule sur les existences des personnages sans que l’on entende jamais leur voix. Le film se déroule intégralement dans la Province de Buenos Aires, « décor inusité dans la cinématographie argentine, parce que considéré sans intérêt »28, à proximité de la capitale, mais dans le plus immédiat « hors » capitale. Le dépaysement se limite à la proximité d’un espace de transition, passage obligé pour quitter Buenos Aires. Mêlant les histoires de trois personnages nommés X, Y et Z dans un mélange composite de telenovela, western, polar, documentaire, investigation historique, le roman-photo, le film de guerre29, Historias extraordinarias dessine une voie jusque-là inusitée dans le cinéma argentin.
Quatre ans après que Nicolas Azalbert a émis cette proposition concernant la fin du Nouveau Cinéma Argentin, Alejo Moguillansky, membre de El Pampero Cine, co-réalise El escarabajo de oro (2014) avec l’artiste suédoise Fia-Stina Sandlund. Ce film phare est un essai cinématographique significatif du cinéma argentin indépendant.
En premier lieu, El escarabajo de oro est la mise en abyme d’un tournage. L’investissement réel du cadre d’une coproduction avec l’Europe est l’occasion d’évoquer l’absurdité des contraintes imposées (parmi lesquelles l’obligation de mettre en scène en Argentine l’histoire d’une féministe suédoise ayant vécu au Danemark). El escarabajo de oro questionne la liberté et l’indépendance des cinéastes non occidentaux contemporains, tout en faisant la part du paradoxe d’être argentin, comme le déclare l’acteur Rafael Spregelburd au bord d’un fleuve : « Nous ne sommes pas assez latino-américains pour être latino-américains ».
En deuxième lieu, le film accompagne l’équipe de tournage de Buenos Aires au Nord-Est du pays, en passant par les provinces de l’Entre Rios, Corrientes et Misiones, ce qui constitue une traversée conséquente de l’Argentine. El escarabajo de oro raconte donc un double dépaysement géographique : celui des producteurs européens qui se retrouvent dans un territoire dont ils ne saisissent pas la structure, et le dépaysement du groupe de El Pampero, famille de cinéma, qui quitte Buenos Aires pour un lieu méconnu, en raison d’un fol attrait toponymique, celui de la petite ville nommée Leandro N. Alem, fondée en hommage à la figure politique argentine majeure de la fin du dix-neuvième siècle.
Aussi le moment du tournage prend-il la forme d’une expérience du territoire ; les points de la carte de l’Argentine préalablement consultés prennent corps en images. Le film s’est d’ailleurs en partie écrit au tournage, au fil des déplacements, rappelant ces mots de Jean-Christophe Bailly lorsqu’il expose la nécessité de ses « voyages en France », qui
prenait place au sein d’une curiosité plus simple ou plus ample venant d’un autre constat qui est que ce pays, qui était donc selon toute apparence le mien, je le connaissais en fait plutôt mal, ou en tout cas de façon trop générale ou générique, ou brouillonne30.
Loin de choisir des lieux de l’interior familiers (comme c’est le cas dans El loro y el cisne) ou des lieux à l’histoire peu prégnante (comme dans Ostende ou Historias Extraordinarias), en convoquant la figure politique de Leandro N. Alem, en s’arrêtant dans une colonie suédoise, en évoquant les temples jésuites, El escarabajo de oro joue de la superposition des couches temporelles qui ont participé à la construction de l’Argentine comme nation.
Dans la structure de El escarabajo de oro, l’éloignement de Buenos Aires est déterminant pour que la fiction gagne en intensité. Plus le film se déploie dans le temps, et les personnages sur le territoire, moins la route est visible. Si dans la séquence d’ouverture de nombreux plans donnent à voir la carte de l’Argentine, les repères s’effacent petit à petit. Jean-Christophe Bailly s’interrogeait, au sujet de La Règle du Jeu (1939) de Jean Renoir, sur ce qui permettait de percevoir le paysage comme « tellement français »31. En ne figeant pas l’Argentine dans une spatialité unilatérale, en jouant de la diversité culturelle des lieux traversés et des ellipses, El escarabajo de oro choisit le cinéma comme premier pays.
« Trop d'espace nous étouffe beaucoup plus que s’il n’y en avait pas assez »32, écrivait Gaston Bachelard dans La Poétique de l’espace. En prise avec l’inépuisable interior et une recherche de formes nouvelles, le cinéma argentin contemporain appelle à considérer l’inverse : la construction d’un pays propre, émancipé d’une logique historiquement centrifuge, permet de respirer. Que les lieux élus par les cinéastes se prêtent à une « narration entre les lignes »33 comme pour Lucrecia Martel, à une narration d’arpenteur pour Lisandro Alonso, et à une narration réflexive pour Alejo Moguillansky, le dépaysement à l’œuvre tend autant à dés-ancrer l’espace qu’à « sortir du carcan du national »34. Le CIyNE (Centro de Investigación y Nuevos Estudios sobre Cine, rattaché à la Faculté de Philosophie et Littérature de l’Université de Buenos Aires et dirigé par Ana Laura Lusnich) amorce depuis peu une recherche visant à écrire une histoire régionale du cinéma argentin, de ses origines à nos jours. Ce travail monumental permettra, dans plusieurs années, de considérer exhaustivement la présence et l’importance du cinéma réalisé hors capitale et de visualiser avec une plus grande lisibilité des centres alternatifs, comme la province de Córdoba, qui connaît une production florissante depuis les années 2010 mais une reconnaissance nationale relative35. Ainsi, nous ne pouvons que déplorer que le cinéma argentin mis en valeur au Festival de Cannes ces dernières années noue une relation au paysage purement touristique, comme dans Les Acacias (2011) de Pablo Giorgelli et La novia del desierto (2017) de Cecilia Atán et Valeria Pivato, ou bien des films qui reprennent, sans chercher à l’actualiser, la dichotomie entre civilisation et barbarie, portant un regard aussi archaïque que condescendant sur l’interior filmé, comme il en est dans Los Salvajes (2012) d’Alejandro Fadel, Les Nouveaux Sauvages (2014) de Damián Szifrón, Paulina (2015) de Santiago Mitre. Ce n’est résolument pas sur les « écrans dominants » que fleurit la cinématographie argentine. Au nom de cette histoire du cinéma argentin en forme de dépaysement, il s’agit désormais d’interroger comment les images reviennent aux lieux, dans quelle mesure elles circulent véritablement.
Je remercie vivement Mathias Lavin pour avoir accompagné cette recherche avec une bienveillance active dans le cadre du Master 2 en Histoire, Théorie et Esthétique du cinéma à l’Université Paris 8, soutenu en septembre 2015.
[1] Jean-Michel FRODON, « La projection nationale cinéma et nation », Les Cahiers de médiologie, 1 (3), p. 135.
[2] Michel FOUCAULT, « Des espaces autres » (conférence au Cercle d'études architecturales, 14 mars 1967), Architecture, Mouvement, Continuité, 5, octobre 1984, p. 46.
[3] Franco MORETTI, Atlas du roman européen : 1800-1900, Paris, Éditions du Seuil, 2000, p. 313.
[4] Le cinéaste et critique Nicolás Prividera a d’ailleurs en conscience de cause intitulé son essai sur le cinéma argentin El país del cine. Para una historia política del nuevo ciné argentino (Le pays du cinéma. Pour une histoire politique du nouveau cinéma argentin).
[5] Diego JARAK, « Les indiens face à la construction de l’État-nation en Argentine », Cahiers d’études romanes [En ligne], 30 | 2015, mis en ligne le 14 avril 2016, URL : https://journals.openedition.org/etudesromanes/4802, consulté le 11 avril 2018.
[6] Gian Piero BRUNETTA, « Le cinéma », in Mario ISNENGHI (dir.), L’Italie par elle-même, lieux de mémoire de 1948 à nos jours, Paris, Éd. Rue d’Ulm, 2006, p. 219.
[7] Voir Sébastien VELUT, L’Argentine : des provinces à la nation, Paris, Presses Universitaires de France, 2002.
[8] Adjectif relatif à Buenos Aires.
[9] Georges PEREC, Espèces d’espaces, Paris, Éd. Galilée, 1974, p. 136.
[10] Jean-Christophe BAILLY, Le Dépaysement. Voyages en France, Paris, Le Seuil, 2011, p. 476.
[11] Ibid.
[12] Ana Laura LUSNICH, El drama social-folclórico, El universo rural en el cine argentino, Buenos Aires, Biblos, 2007.
[13] Ana Laura Lusnich les classe en deux catégories, « le film biographique » et « le film d’atmosphère historique », lequel se subdivise en « luttes pour l’indépendance et conformation de la nation », « films centrés en conflits d’ordre social et économique », et « films d’intrigue romantique et sentimentale ».
[14] Fernando BIRRI, La Escuela Documental de Santa Fe, Santa Fe, Éd. Documentos del Instituto de Cinematografía de la Universidad del Litoral, 1964, p. 12.
[15] Retranscrits ici dans l’ordre chronologique.
[16] Silvana FLORES, « De lo nacional a lo regional: hacia una dimension continental en el cine de América Latina », in Ana Laura LUSNICH et Pablo PIEDRAS (dir.), Una historia del cine político y social en Argentina: formas, estilos y registros, 1969-2009, Buenos Aires, Nueva Librería, 2011, p. 65.
[17] Lors de la première édition, Pablo Trapero reçoit le « Premio al Mejor Director » (Prix du Meilleur Réalisateur) pour Mundo Grúa, Buenos Aires est par deux fois centrifuge.
[18] « Il ne fait aucun doute, par exemple, que le modèle du néo-réalisme italien ou celui du Buñuel dans Los olvidados ont influencé des films comme Pizza, birra, faso, d’Adrián Caetano et de Bruno Stagnaro, et Mundo grúa, de Trapero ; que la manière austère de Bresson peut être perçue dans Rapado et Silvia Prieto, de Rejtman ». Horacio BERNADES, Diego LERER, Sergio WOLF (dir.), El nuevo cine argentino: temas, autores y estilos de una renovación, Buenos Aires, Tatanka-Fipresci, 2002, p. 35.
[19] À ce sujet, nous pouvons citer l’ouvrage de Joana PAGE, Crisis and Capitalism in Contemporary Argentine Cinema, Duke University Press, 2009.
[20] L’auteur cite, entre autres films problématiques : Un lugar en el mundo (1991) et Lugares comunes (2002) d’Adolfo Aristarain et La vida según Muriel (1997) d’Eduardo Milewicz.Tamara FALICOV, The Cinematic Tango, New York, Columbia University Press, Wallflower Press, 2007, p. 123.
[21] Dans la généalogie que Nicolás Prividera établit dans son ouvrage El país del cine, il considère Lisandro Alonso et Lucrecia Martel comme frère et sœur, disant que La libertad est une « utopie conservatrice » et que La ciénaga tient de la « dystopie heureuse » (Nicolás PRIVIDERA, op. cit., p. 165).
[22] Thomas SOTINEL, « Des acteurs vierges de tout cinéma », Le Monde, 15/05/2004, p. 20.
[23] « Quand j’écris un scénario, la première chose à laquelle je pense, c’est au lieu que je veux filmer », disait Lisandro Alonso lors de la sortie de Los Muertos. Vincent OSTRIA, « Technique de survie, Entretien avec Lisandro Alonso », Les Inrockuptibles, 03/11/2004, p. 46.
[24] Didier PERON, « Pas une métaphore du pays », Libération, 09/01/2002, p. 15.
[25] Ana PELUFFO ,« Staging classe, gender and ethnicity in Lucrecia Martel’s La ciénaga », in Cacilda REGO et Carolina ROCHA (dir.), New trends in Argentine and Brazilian cinema, Chicago, Intellect, 2011, p. 110.
[26] Nicolas AZALBERT, « Histoires du nouveau cinéma argentin. De Historias breves (1995) à Historias extraordinarias (2008) », Cahiers des Amériques Latines, 69, 2012, p. 9-13.
[27] Dont la filmographie est à ce jour composée de Balnearios (2002) de Mariano Llinás, Historias Extraordinarias (2008) de Mariano Llinás, Castro (2009) de Alejo Moguillansky – « meilleur film argentin du BAFICI 2009 » –, Ostende (2011) de Laura Citarella, El loro y el cisne (2013) d’Alejo Moguillansky et El escarabajo de oro (2014) d’Alejo Moguillansky, La mujer de los perros (2015) de Laura Citarella et Veronica Llinás, La vendedora de fósforos (2017) d’Alejo Moguillansky et La Flor (2018) de Mariano Llinás.
[28] Nicolas AZALBERT, « Une histoire extraordinaire », Cahiers du Cinéma, 653, février 2010, p. 67.
[29] Ibid.
[30] J.-C. BAILLY, op. cit., p. 10.
[31] Ibid.
[32] Gaston BACHELARD, La Poétique de l’espace, Paris, Presses Universitaires de France, 2004, p. 245.
[33] David OUBIÑA, Estudio crítico sobre La ciénaga, Buenos Aires, Picnic, 2007, p. 13.
[34] J.-C. BAILLY, op. cit., p. 475.
[35] Nous pouvons citer entre autres cinéastes Cecilia Barrionuevo, Mariano Luque, Rosendo Ruiz et mentionner la parution de l’ouvrage suivant : Alejandro COZZA (dir.), Diorama. Ensayos sobre cine contemporáneo de Córdoba, Cordoue, Caballo Negro, 2013.
Résumé
Dès son indépendance en 1816, la production culturelle argentine a été fortement marquée par la dichotomie entre « civilisation » et « barbarie », respectivement incarnées par la capitale, Buenos Aires, et l’interior, qui désigne abusivement le reste du pays. Le cinéma argentin, dès ses débuts, s’est inscrit dans la continuité de cette pensée, l’interior prenant corps comme construction cinématographique d’un regard portègne. Il convient néanmoins de constater qu’au cours de l’histoire du cinéma argentin, des cinéastes ont revendiqué un autre cinéma possible en phase avec une reprise de territoire, complexifiant la relation entre centre et périphérie. L’émergence d’une nouvelle génération de cinéastes au milieu des années 1990 qui constitue le dénommé « Nouveau Cinéma Argentin » participe d’un changement de perspective décisif quant au caractère centripète de l’histoire du cinéma national. Nous interrogerons ainsi la manière dont la notion de dépaysement, considérée sur le plan géographique et formel, permet de repenser les enjeux du déploiement et de l’écriture de la revitalisation du cinéma argentin, de ses origines à nos jours.
Abstract
Since independence in 1816, Argentinian culture has always been troubled by the dichotomy between the civilised and the barbarian. These are respectively embodied in the capital, Buenos Aires, and “the interior – a derogatory term for the rest of the country. Argentine cinema has been bound up in this way of thinking from its very beginning. The ‘interior' has taken shape as a cinematographic construct, shaped by the gaze of metropolitan filmmakers. Nonetheless, directors throughout the history of Argentine cinema have insisted that another way of film-making is possible: one which reclaims the territory and complicates the relationship between the centre and periphery. The “New Argentine Cinema”— a generation of film-makers who emerged in the mid-1990s — have contributed to a decisive change in perspective, challenging the metro-centric nature of the nation’s film industry. The idea of “change of scenery” – both geographic and aesthetic – has also contributed to the renaissance of Argentine cinema, and to a rethinking of how its history has been written, from its origins to the present day.
Des nations-cinéma aux pays d’images et sons
Du cinéma portègne au cinéma argentin
El escarabajo de oro : l’interior arpenté sous un jour transnational et transtemporel
Claire ALLOUCHE
Univ. Paris 8, ESTCA
ANDERSON, Benedict, L’Imaginaire national : Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, Éditions La Découverte, 2006.
AZALBERT, Nicolas, « Une histoire extraordinaire », Cahiers du Cinéma, 653, février 2010.
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