Telle doit être sans doute la mesure selon laquelle un pays est connu et s’éprouve : non à la façon d’un paisible répertoire de souvenirs et de coutumes, mais à celle d’une pelote complexe et enchevêtrée où époques, affects et dimensions s’entremêlent1.
Révélé dans les années 1990 grâce à des romans minimalistes publiés aux éditions de Minuit, comme Longue vue (1988), Le Feu d’artifice (1992) ou Ces Deux-là (2000), Patrick Deville amorce un tournant dans son œuvre en creusant une veine géopolitique et historique inédite et en entrant aux éditions du Seuil en 2004. Il trouve l’inspiration par-delà les mers et parcourt sans relâche terres et océans à la recherche de traces du passé. Tantôt lancé sur les pas des explorateurs (Brazza, Pavie, Livingstone ou Stanley), tantôt confiné dans les bibliothèques et instituts, cet écrivain de terrain2, à peine dissimulé derrière ses doubles narratifs, fouille les destins, ridicules ou sublimes, de moult personnalités ‒ artistes (Rimbaud, Céline, Lowry sont parmi de nombreux autres omniprésents), hommes politiques (Guevara, Walker, Trotsky et tant d’autres…) et scientifiques (à l’instar du brillant pasteurien Alexandre Yersin)3 ‒ pour les lier encore à d’autres, mal connus, anonymes ou totalement oubliés. Suivant cette inclination, plus dense et plus sensible à la géographie, laissant pleinement s’épanouir sa passion pour l’autre et le monde, le goût de l’aventure et du dépaysement qui le taraudent depuis l’enfance, il entame la rédaction d’un cycle de douze romans répartis en quatre trilogies : intitulée Sic Transit4, la première5 regroupe Pura Vida : Vie & Mort de William Walker (2004), Équatoria(2009) et Kampuchéa (2011) ; elle illustre combien le déplacement physique (isthme centraméricain, Afrique subsaharienne, Cambodge, en l’occurrence) influence la transposition littéraire. Viennent ensuite Peste & Choléra (2012) et Viva (2014) dont l’action se situe principalement au Vietnam et au Mexique.
Figure majeure de la littérature de voyage et de l’écriture contemporaine, Patrick Deville est un étonnant voyageur6. Je propose de le présenter en creusant la notion d’écrivain de terrain pour appréhender ce que le dépaysement fait à son écriture.
Patrick Deville7 est né en 1957 en Loire-Atlantique où il préserve de fortes attaches malgré sa propension au voyage. Depuis son enfance passée sur l’estuaire de la Loire, à proximité des chantiers navals de Saint-Nazaire, face à un horizon ouvert sur d’autres mondes, il cultive un goût du départ, des rêves de croisières à bord de paquebots mythiques et un désir de l’autre qu’il n’a jamais tout à fait comblés. Il a pourtant sa vie durant opté pour deux modes de dépaysements différents : le voyage et la lecture, ainsi qu’il l’explicite par exemple dans « Les histoires dans le tapis » (2006). Il confie à dessein que le livre qui a le plus compté pour lui est le premier qu’il ait lu seul, vers cinq ans : Le Tapis volant de Mary Zimmerman, recueil d’aventures fantastiques entreprises autour du monde par un garçonnet grâce à un tapis volant.
Enfin, c’est à ce moment-là que j’ai compris que je ne ferai pas autre chose ; […] je crois que je n’ai jamais rien fait depuis que de réécrire ce livre qui non seulement a changé ma vie, mais l’a définitivement orientée8.
Cette expérience révélatrice a été suivie de près par la découverte fondatrice des Travailleurs de la mer de Victor Hugo et de quelques romans d’aventures du dernier quart du XIXe siècle. L’écrivain rappelle qu’adolescent, animé par un tempérament cosmopolite et brûlant de mettre à l’épreuve ses préjugés sédentaires, il se languissait de s’éloigner de Saint-Brévin où il réside toujours, dans une maison au bord de l’océan, lorsqu’il délaisse son studio parisien.
J’ai toujours voulu quitter ces lieux. Partir. N’importe où. Le plus loin possible. M’exiler. Laisser ces pluies bretonnes et ces ciels argentés. Je rêvais de déserts, d’un soleil plus brûlant et de boutres sur des mers lavande9.
À plusieurs reprises, il choisit donc l’expatriation, car ce n’est pas d’un exil définitif dont il a besoin, mais bien plutôt d’un déracinement momentané et volontaire, à ce titre fructueux.
J’aime l’alternance entre deux lieux et deux pays mais je suis attaché à Paris […] J’ai longtemps vécu ailleurs, et je vis maintenant dans différents endroits du monde en alternance […] J’ai toujours envie d’avoir deux ou trois autres lieux en alternance : j’ai séjourné régulièrement à Mexico pendant ces dix ans de l’écriture de Viva, avant à Montevideo, à Phnom Penh, actuellement c’est plutôt Quito et Guayaquil10.
Sans doute l’artiste a-t-il pressenti dès ses plus jeunes années l’ambivalence de l’expérience intime du départ :
Ce qui rend un pays vivable, quel qu’il soit, c’est la possibilité qu’il laisse à la pensée de le quitter. L’identité définie comme le modelé d’une infinité de départs possibles ‒ peut-être serait-ce cela le socle le plus résistant de la provenance ?11
Les romans et les fictions courtes portent en tous cas tous la trace sporadique de ces différents séjours à l’étranger entrepris avec la volonté de se départir de ses routines sensorielles.
Le bonheur d’être ailleurs, c’est principalement celui de naviguer, surtout sur les fleuves. Mais aussi en mer. Je me sens mieux dès que je suis sur un truc qui flotte12.
Suivant cette impulsion, Deville partira sur les traces du scientifique suisse Alexandre Yersin qui se lamentait : « Ce n’est pas une vie que de ne pas bouger »13 et, dans Peste & Choléra, il trouvera bien des fils narratifs pour nouer l’existence du médecin devenu explorateur à celle du poète aux semelles de vent, Arthur Rimbaud, devenu aventurier.
En outre, la part autofictionnelle est importante dans l’économie du texte puisqu’un Je narrateur fait généralement figure de double fictif du romancier itinérant. Lorsque dans les années 1990, Patrick Deville entre aux éditions de Minuit, alors dirigées par Jérôme Lindon, il assouvit une part de son envie de larguer les amarres : installé quelques mois au Maroc où il apprend des rudiments d’arabe, il entame une carrière dans la diplomatie. Alors qu’il se trouve à Nantes, le narrateur du Feu d’artifice songe « aux longues avenues d’Abu Dhabi sous le soleil en fin d’après-midi » ainsi qu’« à des soirées passées sur les plages du golfe Persique avec des pêcheurs en fouta adossés aux coques de leurs boutres »14 ; celui d’Équatoria évoque aussi une carrière diplomatique au Moyen-Orient et en Afrique15. Attaché culturel à l’Ambassade française de Mascate, dans le Sultanat d’Oman, Deville accomplit ensuite des missions de courrier de Cabinet : en attente d’un ébranlement identitaire, il séjourne presque un an au Nigéria, dans l’État de Kwara, et près de deux ans en Algérie.
Alors, j’ai enfin connu, de loin en loin, à la tombée du jour, cette délicieuse tristesse de l’exil volontaire, cette infinie nostalgie des lieux du passé, j’ai récité ces vers de Joachim Du Bellay, que tous les enfants savaient16.
Ces souvenirs africains sont prégnants même si l’imaginaire comble les oublis, les doutes. Le narrateur du Feu d’artifice imagine un instant Louis
au volant s’engageant dans des rues étroites au sortir de l’usine nigériane de Kaduna, stoppant à une intersection pour demander la route de Kano puis de là, gagnant Agadès, Tamanrasset, Tanger, Madrid17.
À l’instar de celui d’Équatoria18, le narrateur de Pura Vida évoque l’année 1983, passée dans le sultanat de Kano, à la frontière islamo-chrétienne, « sans téléviseur […] au nord du Nigéria »19. Voulant assister à la chute du castrisme, Deville séjourne à La Havane entre 1993 et 1994 : Cuba et sa capitale deviennent ses lieux privilégiés de séjour et d’inspiration, comme le cône sud-américain qu’il parcourt bientôt. Inspiré par ces territoires, il écrit alors La Femme parfaite, Ces deux-là et Pura Vida. Plus tard, après plusieurs allers retours au Mexique, il publiera Viva. Au fil des années, il définit sa pratique scripturale qui vaut comme programme esthétique20 : « Je n’imagine pas écrire sur un lieu que je ne connaîtrais pas réellement »21. Dans les années 2006-2007, pour les besoins d’Équatoria, Deville traverse l’Afrique d’ouest en est et, juste après, part vers le Cambodge en séjour de documentation pour Kampuchéa. L’obsession du tour du monde en hommage à Jules Verne se fait toujours plus pressante et, d’un rêve d’enfant à un motif narratif dans le premier versant de l’œuvre22, elle devient un principe structurant le cycle Sic Transit dont le mouvement incessant, ceinturant le globe, défie tout aboutissement. C’est lorsqu’il est installé à l’étranger que Patrick Deville écrit :
Je n’écris qu’à peu près deux mois par an, et jour et nuit, enfermé dans une chambre d’hôtel à l’autre bout de la planète. Je n’écris pas ici [à Saint-Nazaire]. Parce qu’il faut un élan qui ne s’arrête pas, il faut un jet23.
Paris, Saint-Brévin et les pays de Loire se révèlent des points d’ancrage mais non d’encrage : le romancier choisit pour créer un repli géographique particulier, insulaire. Parce que la littérature est d’abord le déchiffrement d’un monde intérieur : elle est transport et passage, intériorité et extériorité. Deville a bien conscience que, pour être créatif, le dépaysement doit être aussi intérieur qu’extérieur.
Et c’est peut-être, toujours et partout, la position que les écrivains devraient choisir, l’insilio en sa propre intériorité. Parce qu’il y aurait aussi cela, dans une définition de l’écrivain, savoir que le séjour des hommes est le temps et non l’espace24.
Chantre d’une littérature-monde, prenant très à cœur sa fonction de passeur, Patrick Deville devient éditeur en 2001. Depuis son bureau du Building, un immeuble bâti à l’angle exact de la Loire et de l’Atlantique, il dirige la Maison des Écrivains Étrangers et des Traducteurs25 et sillonne la planète à la recherche d’auteurs à faire découvrir avec le souhait de dresser la cartographie émotionnelle et artistique actuelle : « Je me déplace dans le monde pour rencontrer des écrivains et les lire, pas uniquement pour écrire mes livres »26. Depuis trente ans, la maison d’édition bilingue est un foyer de production romanesque et poétique cosmopolite qui accueille en résidence des écrivains et des traducteurs venus de tous les continents pour dire ce que Saint-Nazaire et le dépaysement font à leur écriture27. La Meet se situe donc au cœur de ce que la mondialisation produit comme figures paradoxales de l’ailleurs ; elle accompagne des auteurs qui appréhendent l’identité d’un pays (la France ou leur terre d’origine) dans le mouvement horizontal du dépaysement, montrant finalement combien « le pays se dépayse lui-même et que c’est ainsi, mystérieusement, qu’il devient ressemblant »28. La géographie ‒ l’Océan Atlantique, l’embouchure du fleuve, la ville, elle-même, cité grise et laborieuse, dynamique et cosmopolite, le site industriel fait de métal, de béton, de vent, de pluie et de mer ‒ conduit les artistes étrangers à repenser physiquement le voyage et l’ancrage, l’espace géographique avec une expérience inédite pour beaucoup d’un paysage urbain, portuaire et fluvial, avant de s’engager à les simuler dans des créations. Dans la rubrique consacrée aux témoignages des résidents sur le site de la Meet29 comme dans le catalogue, la fréquence de la référence toponymique est étonnante : Le cadavre rejeté par la mer à Saint-Nazaire (2012) de Jan Sonnergaard, Des jumelles sur l’estuaire de la Loire (2012) de Yang Lian, Le Manuscrit de Saint-Nazaire (1995) de Guiseppe Conte, Odyssée au miroir de Saint-Nazaire (1996) de Rosita Copioli, Une chambre à soi à Saint-Nazaire (1995) de Giancarla de Quiroga, Saint-Nazaire (1991) d’AndrèsUnger, Une rencontre à Saint-Nazaire (1989) de Ricardo Piglia… En plus de sa situation géographique, la Meet reproduit une position d’insularité qui permet aux auteurs de conforter leur identité. Dans son roman Sentiments subversifs (2010), Roberto Ferrucci, lui-même traducteur d’Équatoriaet de Peste & Choléra en italien, décrit, par exemple, l’appartement du Building comme un dehors-dedans avec son panorama surplombant le monde (la nature, l’histoire, l’industrie, l’architecture) et son atmosphère propice à l’écriture de soi. Invité à « raconter son pays depuis la France », le narrateur vénitien exploite les résonances avec ses résidences nazairiennes entre deux critiques du gouvernement italien… En outre, dans certaines productions, l’approche de l’estuaire de la Loire, en tant que territoire de conflits potentiels entre la protection de la nature et le développement économique, laisse entrevoir des approfondissements possibles dans la direction de l’écocritique. Ainsi, dans son pamphlet poétique, préfacé par Patrick Deville, Venise est lagune (2015), Ferrucci dénonce-t-il le désastre écologique représenté par la circulation d’immenses bateaux de croisière dans cette lagune à l’équilibre précaire, en faisant des références répétées à Saint-Nazaire et à ses chantiers navals où ont été construits la plupart des paquebots en circulation aujourd’hui. Avec cet exemple de reliance, qui désigne autant un lien qu’une dépendance entre deux villes maritimes, l’écrivain s’inscrit dans le sillage de Deville, attaché aux ouvriers et fier du taux de remplissage des carnets de commande dont dépend la stabilité économique de sa région natale, mais profondément perplexe, lui aussi, quant au tourisme de masse :
Ce qu’on peut lire dans ces pages de Roberto Ferrucci c’est la déréalisation de notre monde, le refus de l’histoire et de la géographie que concrétisent et symbolisent le grand navire de croisière et la croisière touristique30.
Face à la cité des Doges, majestueuse et meurtrie, Saint-Nazaire demeure intransigeante et solide.
Un lieu où se fabriquent avec obstination des livres et des navires, une entreprise maritime et cosmopolite qui offre un havre le temps d’une escale loin du tumulte, et rassemble les messages à la mer de ce vaste réseau fraternel des écrivains solitaires, penchés sur leur table à cartes et cherchant les amures de l’avenir, se croisant et se succédant depuis vingt-cinq ans dans quelque port privilégié du globe : ça ne veut pas rien dire31.
Écrire à Saint-Nazaire, « ça ne veut pas rien dire »32 et il semble que les œuvres nées de plumes étrangères soient en parfaite adéquation avec celles que le Nazairien, par le biais d’un moi dépaysé, fabrique outre-mer. L’œuvre que Deville construit patiemment depuis trente ans se trouve en effet consacrée à l’entrecroisement d’un ici fondateur (la Loire-Atlantique de son enfance) avec un ailleurs libérateur (les terres lointaines). Rares sont les romans qui ne contiennent pas une mention au Lazaret ou au pont de Mindin, à Saint-Nazaire ou à Nantes, à la navigation et au birdwatching. En fait, un pan entier de sa production s’y consacre presque exclusivement. Entre 1991 et 2015, Patrick Deville a publié dix-neuf fictions courtes à forte tonalité autofictionnelle dont sept33 ont pour cadre sa région natale : « Le Pont de Mindin » (2015), « Le Vin de la Guerche » (2012), « Nant-Naz » (2006), « De l’autre côté de l’eau » (2003), « Le Jour du safran » (2002), « Saint-Nazaire et Dunkerque » (1999) et « Le Lazaret de Mindin » (1997). Pour l’auteur, il s’agit toujours de « trouver cette amarre, ce cordage tressé, brin à brin entortillé, de l’histoire et des livres »34 afin d’appréhender toute la complexité des relations avec le monde.
Si Patrick Deville déploie toute son énergie à mettre en lumière la littérature voyageuse, aventureuse, de la Meet, créée à partir d’un système de relations entre un ici et un ailleurs, il explore donc lui aussi les potentialités du dépaysement. Car l’ubiquité virtuelle et les flux globalisants du XXIe siècle qui génèrent non-lieux, villes sans mémoire, privées d’ailleurs, et autres territoires en déficit d’urbanité, n’oblitèrent en rien ses vertus littéraires. Dans le cycle Sic Transit, qui regroupe trois romans à la texture particulièrement originale devenus des opus majeurs du grand-œuvre devillien, ce constat apparaît plus clairement encore.
L’exergue d’Équatoria signée par Louis-Ferdinand Céline peut d’emblée expliciter l’instant-clef du dépaysement, qui concourt à une sorte d’acmé artistique et émotionnelle ; il motive la quête de l’écrivain tout en étant une façon de libérer sa perception des automatismes.
C’est cela l’exil, l’étranger, cette inexorable observation de l’existence telle qu’elle est vraiment pendant ces longues heures lucides, exceptionnelles dans la trame du temps humain, où les habitudes du pays précédent vous abandonnent, sans que les autres, les nouvelles, vous aient encore suffisamment abruti36.
Chez Deville, le dépaysement géographique entraîne un dépaysement formel pour le lecteur qui jamais ne se trouve en face d’un récit de voyage traditionnel mais qui a bien plutôt à faire à un texte hybride à la narration dense et décousue dans laquelle s’entrechoquent la grande Histoire et l’anecdote, l’érudition et la déambulation, la trouvaille littéraire et l’élégante familiarité.
Défilé de petits commerces assez difficilement identifiables au bord de la route, puis une grande station-service toute neuve, avec supermarché intégré derrière ses deux palmiers mazoutés ivres d’essence et de soleil. Volcans ocre et sienne à l’horizon verdâtre. Assis à l’avant de la voiture de Manuel […] je laissais glisser Managua sur la vitre à ma droite : des eucalyptus poussiéreux, poteaux électriques inclinés où pendent de longues barbes de mousse espagnole, à nouveau des portraits de Che Guevara coiffé du béret noir étoilé, les sourcils froncés, fixant l’horizon37.
Cette écriture ouvre un espace littéraire nouveau que Dominique Viart, notamment, situe dans une relative proximité avec les Sciences humaines et sociales dont elle partage certaines procédures de terrain ainsi que nombre de questionnements et de perplexités. D’un point de vue générique, il est malaisé de la rapprocher du récit de voyage, lequel suppose traditionnellement un développement narratif et méditatif d’une relation entre un pays et le voyageur qui le parcourt, avide de décrire ses paysages, sa culture et ses habitants… Avec Sic Transit, Patrick Deville inaugure un modus scribendi singulier dans lequel la collecte du matériau sur site est première. Longue et fastidieuse, elle consiste en investigations sur le terrain et dans les bibliothèques (prise de notes, traductions, lectures de biographies, de documents, de correspondances, entretiens, épluchages d’archives, de presse écrite…) destinées à capter les signes du présent et les latences du passé dans un territoire géographique défini. Viennent ensuite l’invention d’une forme qui croise tous les genres (biographie, récit historique, lettres, chroniques, entretiens journalistiques…) et l’intégration d’un Je narrateur, une subjectivité comme principe organisateur, qui rendent littéraire cet ensemble disparate. Il y a enfin l’écriture elle-même : la rédaction du roman, fulgurante, s’étend sur une durée de deux mois. L’auteur a trouvé dans ce qu’il nomme « roman sans fiction » une forme singulière, indécidable, irréductible au roman et à l’essai. Au final, la trilogie est le récit de cette expérience pratique agrémentée des réflexions qu’elle suscite. La prose devillienne devient un moyen d’éprouver le réel, de l’interroger et le voyage n’est plus qu’un adjuvant à l’écriture38 :
Je n’écris pas des récits de voyage puisque je voyage à l’envers. Je ne me déplace jamais sans avoir un sujet. Je vais quelque part parce que c’est absolument nécessaire pour un livre. Ce n’est pas un récit de voyage. Je n’irais pas s’il n’y avait pas le livre que j’ai besoin d’écrire. Je suis un écrivain qui voyage parce qu’on ne peut pas écrire ces livres sans aller voir sur place, sans faire des allers retours entre la bibliothèque et le terrain. Quant au voyage eux-mêmes, en effet, je ne comprends pas qui peut aujourd’hui trouver de l’attrait à s’emmerder avec les trains qui ne sont jamais à l’heure, les aéroports qui sont non-fumeurs, les sièges d’avion qui font quarante centimètres, les problèmes de visa. Je ne vois pas qui peut aimer faire ça39.
Aussi les élans autoréflexifs consignent-ils des impressions, nostalgiques ou sarcastiques, suscitées par cette quête littéraire singulière. Ouvert à la curiosité, à l’intuition, aux hasards40 et aux coïncidences tout autant qu’envahi par la mélancolie des lieux, Deville rend compte de la résurgence du passé dans le présent que Bailly, empruntant le terme à la botanique, nomme la dormance et qui désigne.
le pouvoir qu’ont les graines de conserver longtemps leur capacité de germination. [...] Le soubassement de l’identité d’un pays, dès lors, il faut risquer cela, ce serait l’ensemble de toutes ces dormances, et la possibilité, à travers elles, d’une infinité de résurgences41.
À plusieurs reprises, il a en bien des lieux vérifié cette hypothèse qui suppose que le territoire porte son histoire et que cette histoire façonne durablement les paysages et ceux qui y vivent. Du cœur du Cambodge, il écrit :
Les civilisations à leur apogée aiment contempler l’apogée des civilisations disparues et frissonner devant l’avenir […] ; au cœur de l’Europe prospère et éclairée, au centre du monde peut-être éprouve-t-on déjà le vertige de la chute, pressent-on le déclin, l’autodestruction des guerres mondiales, le gouffre de l’oubli. Que resterait-il de cette civilisation-là ?42
Parce que sa dynamique est celle des déplacements, des traversées, des dépaysements, l’écriture de terrain qui sonde le cœur du présent où s’inscrit la résonance du passé suppose un état d’attente et d’alerte et, par sa puissance ductile et hyperlucide, elle rend compte des atmosphères, des couleurs et des humeurs, des échos, des silences, des chants révolutionnaires, des slogans, des cris et des vivats… De cet écheveau narratif, se dégage avec insistance une équation entre voyager et lire, deux activités affectées par une même déprise43.
À la sortie de la gare, j’étais descendu au bord de l’eau. Sur la rivière voletaient des papillons jaunes. S’abreuvaient des buffles. S’enflammaient des bougainvillées rouges. Vibraient des libellules. Si cette zone appartient à l’Indo-Chine, ce sont ici encore des histoires de l’Inde et de Kipling. À chaque kilomètre, on entendait martelés plus fort sous les boggies les vers dédiés à la reine. Beneath whose awful hand we hold dominion over palm and pine… Comme si Dieu leur avait confié les palmiers et les pins44.
Métabolisant Sic Transit, l’intertextualité foisonnante appartient par conséquent à une patte artistique joueuse ‒ la multiplication des citations identifiées, allusives ou cryptées en atteste ‒ et émotionnelle, où la mélancolie cède souvent la place au constat désabusé. Aussi, dans Pura Vida, le narrateur explique combien il lui est difficile d’écrire et de décrire la réalité sans que retentissent les phrases des auteurs du passé45. Il semble toutefois que le Je s’empare de l’affect mélancolique et le transfigure en une énergie et une ironie stimulantes, données comme recours pour décrire un univers sur lequel il n’est plus possible de porter un regard naïf ou émerveillé. Philosophe de formation, l’écrivain, aussi apte à s’enthousiasmer qu’insatisfait, peut sur la route affronter à l’envi cette insécurité continuelle qui, de l’Antiquité à l’immédiat contemporain, a taraudé voyageurs, cartographes ou poètes possédant une façon de penser l’articulation du monde à soi et de soi au monde tout à fait atypique. Son appréhension du dépaysement est consubstantiellement liée à un romantisme absolu qui l’émeut et l’éprouve tout à la fois. Ici, le narrateur imagine les derniers moments du long périple géographique et politique de William Walker, un aventurier nord-américain du XIXe siècle qui avait lancé une expédition révolutionnaire au Mexique, avait été élu président du Nicaragua, avant d’être fusillé en 1860 au Honduras…
En moins d’un an, le petit jeune homme en redingote noire s’est déchiré de l’intérieur : il est toujours cet enfant calme et timide de Nashville et il est devenu le redoutable aventurier William Walker. Il a le regard halluciné des fous et des conquérants. Il envisage alors en secret d’attaquer à nouveau le Sonora, mais c’est le Nicaragua plus au sud qui l’attend, et qu’il va mettre à feu et à sang avant d’aller mourir à Trujillo, au Honduras46.
Là, il s’épanche, plein de désillusion, dans une sorte de dégradation d’adrénaline :
On peut avoir cela en mémoire, et d’autres lectures encore, dans quelque établissement infâme où les hommes entrechoquent leur solitude et s’enivrent […] attendent ici la fin du monde ou la survenue d’un mauvais coup, le jaillissement d’une lame, risquent leur peau une dernière fois comme une ordalie, pour le bel orgueil de défier les dieux, racontent parfois, si loin des côtes, des histoires de marins, l’ampleur de la mer et la furie des éléments. Pulvis es et in pulveremreverteris47.
Ailleurs, il fait montre d’autodérision à l’égard de son projet.
Nous franchissons le pont sur le Djoué, empruntons un chemin de terre en direction du fleuve. Là s’élevait autrefois une manière de villégiature pour les colons de Brazza, des restaurants du dimanche où accouraient les blancs en costume blanc. Gide décrit cet endroit dans son journal en 26. Je le signale à Fulgence. Si tu sais déjà tout c’est pas la peine de venir, répond-il. Nous stationnons au milieu des ruines, à l’ombre d’un grand manguier48.
Grâce à une collection de destins et d’aventures dont certains sont repris livre après livre, l’écrivain dit l’irisation du monde : loin des postures historiennes, bouleversant l’ordre chronologique, il donne des strates du passé une appréhension intime qui le conduit à articuler à son dessein une pratique d’écriture complexe qui interroge son propre statut, qui questionne le rapport que chaque individu entretient avec le passé et la mémoire, le voyage et l’existence, le voyage et l’écriture, détonants miroirs de l’être qui sont l’un de l’autre la métaphore.
Dans les rues je croise le regard des Vietnamiens qui ont mon âge, ont connu les bombardements américains sur Haiphong et le delta du fleuve Rouge. Le regard des vieillards comme le buraliste qui ont vu l’arrivée des troupes victorieuses par le pont Paul Doumer et le départ des Français. Ceux-là ont vu les yeux de leurs grands-parents qui ont vu la folie guerrière de Garnier49.
Patrick Deville ressent vivement le désir de lire et de vivre ces périples qui le fascinent, les hommes le menant aux livres et les livres à d’autres hommes ; il prend la mer ou la route pour écrire en quête d’un passé oublié, à jamais perdu. Sic Transit soumet à notre univers mondialisé et uniformisé, postmoderne, une sorte d’adieu au voyage.
J’aimerais parcourir cette route qu’ont empruntée, un siècle et demi plus tôt, à l’automne 1856, les trois mille soldats alliés guatémaltèques, honduriens, salvadoriens et nicaraguayens venus affronter les mercenaires de William Walker50.
Cependant, avec ses romans de déplacements qui déchiffrent autant qu’ils défrichent notre civilisation, l’écrivain s’inspire, entre rupture et renouvellement, d’une esthétique de la fin51 qui lui permet de fonder un nouveau réalisme, hypermoderne, porté par ces allers et retours vers le passé et lié à une saturation toponymique et historique.
Filigranée par une poétique du dépaysement, constamment à la recherche de lieux et liens mémoriels, nostalgique d’une vérité du roman, mais inséparable d’un jeu ironique, qui saisit autant l’illusion du réalisme que celle de la postmodernité, la littérature de terrain, érudite et jubilante, de Patrick Deville possède des élans ethnographiques. Non exempte d’émotivité mélancolique, elle convertit les désirs d’ailleurs en reconnaissances d’altérité, tant il est vrai qu’évoquer le déplacement conduit à repenser le concept d’altérité. Si cette écriture s’ouvre à l’Autre, c’est aussi en déstabilisant son statut en tant qu’entité mimétique bien délimitée, inscrivant en creux une tentation autobiographique. Les postures autofictionnelles comblent en tous cas le désespoir de trouver l’Autre en soi, ce que la récente parution de Taba-Taba, pivot du grand-œuvre devillien, a d’emblée confirmé.
[1] Jean-Christophe BAILLY, Le Dépaysement. Voyages en France, Paris, Seuil, 2011, p. 9.
[2] Sur ce thème, l’on consultera avec profit l’article de Dominique VIART, « Les terrains de Patrick Deville », à paraître dans les Actes du colloque Création (s) et réception (s) de Patrick Deville.
[3] Peste & Choléra (2014) retrace l’existence du chercheur suisse Yersin qui, vers 1894, a notamment découvert le bacille de la peste et a mis au point le vaccin antipesteux.
[4] Pour Sic Transit Gloria Mundi, littéralement Ainsi passe la gloire du monde. P. DEVILLE, Sic transit (Pura Vida, Équatoria, Kampuchéa), Paris, Seuil, 2014, 832 p.
[5] Les deux trilogies suivantes seront intitulées Gloria qui rassemble d’ores et déjà Peste & Choléra, Viva et Taba-Taba et Mundi.
[6] « Je n’écris pas pour voyager, je voyage pour écrire », déclare DEVILLE à Sophie PATOIS dans un entretien intitulé « Je suis un écrivain qui voyage… », Le Français dans le Monde, 384, novembre-décembre 2012, p. 54.
[7] Pour des repères biographiques plus précis, je renvoie à mon ouvrage Patrick Deville : « une petite sphère de vertige », Paris : L’Harmattan, 2016, p. 13-42 et p. 351-352. Cet article est en partie inspiré du chapitre « Une inspiration géographique », p. 235-258.
[8] L’intégralité de ce témoignage vidéo est accessible : www.france5/20livres.
[9] P. DEVILLE, « Que pourrais-je savoir de l’exil ? », Le Matricule des Anges, 50, février 2004, p. 23.
[10] Id., « La liberté dans la contrainte », entretien avec J.-L. BERTINI et alii, La Femelle du requin, 44, automne 2015, 2015, p. 26.
[11] J.- C. BAILLY, Le Dépaysement. Voyage en France, op. cit., p. 77.
[12] P. DEVILLE, « La liberté dans la contrainte », op. cit., p. 43.
[13] Id., Peste & Choléra, Paris, Minuit, 2014, p. 34.
[14] Id., Le Feu d’artifice, Paris, Minuit, 1992, p. 86-87.
[15] Id., Équatoria, Paris, Seuil, 2009, p. 300.
[16] Id., « Que pourrais-je savoir de l’exil ? », op. cit., p. 23.
[17] Id., Le Feu d’artifice, op. cit., p. 26.
[18] Id., Équatoria, op. cit., p. 192-193.
[19] Id., Pura Vida, Paris, Minuit, 2004, p. 32.
[20] J.-C. BAILLY s’impose de semblables impératifs : « toujours aller voir sur place les pays ou les lieux dont j’éprouve d’avoir à parler » dans Le Dépaysement, op. cit., p. 342.
[21] P. DEVILLE, « La liberté dans la contrainte », op. cit., p. 26.
[22] Dans Le Feu d’artifice, les personnages entreprennent une traversée chaotique de l’Europe en voiture, de Saint-Nazaire au Danemark. « L’ensemble présentait un parcours nord-sud avec une boucle complète, un tourbillon central » (P. DEVILLE, Le Feu d’artifice, op. cit., p. 59). L’aspect dérisoire du voyage devenu une addition d’espaces de transit, simple relais vers des lieux de même type, est en outre fortement exprimé par l’injonction de l’héroïne voulant fuir le réseau d’asphalte : « Cap Canaveral… Détourner une navette spatiale… Partir sur la Lune » (Ibid., p. 52).
[23] P. DEVILLE cité par J. DELAVAUD dans « Le métier d’écrivain, les voyages, Saint-Nazaire : Patrick Deville se raconte », Ouest-France, 5 novembre 2012, URL : http://www.ouest-france/le-metier-decrivain-les voyages-saint-nazaire-patrick-deville-se-raconte-153481.
[24] P. DEVILLE, « Que pourrais-je savoir de l’exil ? », op. cit., p. 23.
[25] Le site est accessible sur http://www.maisondesecrivainsetrangers.com.
[26] P. DEVILLE, « La liberté dans la contrainte », op. cit., p. 45.
[27] Il est notable qu’au printemps 2017, les rencontres de Fontevraud organisées par la Meet aient mis à l’honneur l’écrivain colombien Álvaro MUTIS (1923-2013), proche de Gabriel García MÁRQUEZ, qui a produit une œuvre très originale – La Neige de l’amiral reçut le Prix Médicis étranger en 1989 ‒ au sein de laquelle la part de mélancolie et de dépaysement est importante. Poète marqué par la nostalgie, le souvenir et l’épouvante face au Monde, Mutis a publié des romans tournés vers l’aventure et les voyages, portraiturant des protagonistes flamboyants, aussi excentriques que mémorables, à l’instar de son plus célèbre marin, Maqroll le gabier. Cette programmation est un exemple de la concomitance des thèmes traités par Patrick Deville en tant qu’artiste et en tant qu’éditeur.
[28] J. C. BAILLY, Le Dépaysement, op. cit., p. 378-379.
[29] Des extraits sont accessibles sur http://www.meetingsaintnazaire.com/-temoignages-d-anciens-residents-.html.
[30] Cette citation est extraite de la préface à Venise est lagune de R. FERRUCCI, Lille, La contre-Allée, 2015, p. 8.
[31] P. DEVILLE, « Ça ne veut pas rien dire », La Femelle du requin, op. cit., p. 52.
[32] Le romancier reprend ici les mots d’Arthur RIMBAUD, qui emploie cette expression pour insister sur l’importance vitale de la poésie dans une lettre envoyée à son professeur devenu son ami fidèle, Georges IZAMBARD, le 13 mai 1871.
[33] Les autres nouvelles, plus discrètes son enfance, sa vie d’auteur et sa région, se rattachent au cycle Minuit : c’est le cas de « Passe-passe » dans New Smyrna Beach, Semaines de Suzanne, Paris, Minuit, 1991, p. 29-47 et « Chambre 301. Pansion Čobanija, Sarajevo » dans O. ROLIN (dir.), Rooms, Paris, Seuil, 2006, p. 77-87 qui, nés de projets d’écriture collective, s’apparentent aux romans expérimentaux des éditions Minuit.
[34] P. DEVILLE, « Saint-Nazaire et Dunkerque », Les Annales de la Villa Mont-Noir/Marguerite Yourcenar, 1998-1999, p. 72.
[35] Patrick DEVILLE cité par A. NICOLAS, L’Humanité, 27 octobre 2011, URL : http://www.humanité.fr.
[36] L.-F. CÉLINE est cité par P. Deville dans Équatoria, op. cit., p. 7.
[37] P. DEVILLE, Pura Vida, op. cit., p. 30-31.
[38] La conception de cette « littérature de terrain » (D. VIART) détermine totalement son existence d’écrivain et l’on comprend mieux pourquoi Deville, toujours en partance, explique avec une certaine virulence qu’en fait, il n’aime pas les voyages : « Je n’aime pas tant ça voyager, même si je viens de faire deux fois le tour du monde depuis le début de l’année. Ce que j’aime bien, c’est être sédentaire quelque part. Avoir mon caviste, mes commerçants. C’est agréable d’être un étranger mais pas tout le temps », P. Deville, « La liberté dans la contrainte », op. cit., p. 26.
[39] P. DEVILLE cité par J. DELAVAUD, « Le métier d’écrivain, les voyages, Saint-Nazaire : Patrick Deville se raconte », url. cit.
[40] L’exergue de La Tentation des armes à feu est cette citation éclairante de Victor SEGALEN : « Je compte infiniment sur de beaux hasards, servis par mon aptitude à leur sauter aux cheveux » (P. DEVILLE, La Tentation des armes à feu, Paris, Minuit, 2006, p. 7).
[41] J.- C. BAILLY, Le Dépaysement, op. cit., p. 48 et p. 291.
[42] P. DEVILLE, Kampuchéa, Paris, Minuit, 2011, p. 60.
[43] Le rapport mélancolique à l’archive, présent sous la plume de nombreux autres auteurs contemporains, a été souligné par N. PIÉGAY-GROS dans « Fiction et mélancolie », La Chouette (Revue de l’Université de Londres), 33, 2002, p. 39-45, accessible en ligne : http://www.bbk.ac.uk/lachouette/chou33/33Piegay.pdf.
[44] P. DEVILLE, Kampuchéa, op. cit., p. 10.
[45] Par exemple, à la page 37.
[46] P. DEVILLE, Pura Vida, op. cit., p. 87.
[47] P. DEVILLE, Équatoria, op. cit., p. 238-239. L’expression originale est celle de la Genèse : « Memento homo quia pulvis es et in pulveremreverteris », qui signifie « Souviens-toi, Homme, que tu es poussière et que tu redeviendras poussière ».
[48] Ibid., p.227.
[49] P. DEVILLE, Kampuchéa, op. cit., p. 215.
[50] P. DEVILLE, Pura Vida, op. cit., p. 117.
[51] Fin des avant-gardes, fin de l’histoire, fin de la politique, fin des idéologies, fin de la modernité. On se reportera à l’ouvrage de L. Ruffel, Le Dénouement, (Paris, Verdier, 2005, 106 p.) qui voit dans le dénouement non une mort, mais un tournant, n’ayant rien de définitif donc et apte encore à s’ouvrir sur une temporalité nouvelle qui prolonge un passé qu’elle transforme.
Résumé
À travers un parcours dans les œuvres fictionnelles de Patrick Deville (romans et nouvelles) parues depuis 1987, cet article propose d’apporter un éclairage nouveau sur les concepts de dépaysement et d’écriture de terrain. Soulignant l’importance de la région natale de l’auteur, la Loire-Atlantique, dans son écriture, son goût pour les départs et les séjours à l’étranger, il analyse ce que le dépaysement fait à son écriture, lui conférant notamment son hybridité. Il dit aussi ce que son style atypique, cette écriture de terrain aventureuse, drôle et décalée, apporte aux plumes étrangères en résidence à la Meet de Saint-Nazaire que Deville dirige depuis 2001.
Abstract
This article is a journey through the fictional Works of Patrick Deville (novels and short stories) published since 1987 and it proposes to highlight the concepts of change of scenery and of fieldwork literature. Underlining the importance of the author's native region (the “Loire-Atlantique”) in its writing, its taste for departures and cruises, this study analyzes what the change of scenery does to its writing; it focuses on its hybridity. It also underlines what his atypical style (adventurous, funny and ironical) brings to foreign Writers in residence in Saint-Nazaire, within the Meet, the bilingual publishing house that Deville manages since 2001.
Isabelle BERNARD
Univ. de Jordanie
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