Quizá la historia universal es la historia de unas cuantas metáforas. […] Quizá la historia universal es la historia de la diversa entonación de algunas metáforas
Jorge Luis BORGES, « La esfera de Pascal », Otras inquisiciones (1952)1
Tenir, suivant Derrida, la métaphore près de la lumière, permettrait d’en voir les intonations modulées, de voir ce qu’elle obscurcit, ce qu’elle réfracte, ce qu’elle illumine. C’est ce qu’entreprennent des écrivains contemporains qui font d’un syntagme commun, « langue maternelle », le support de leur création, générant une expérience de dépaysement à son égard, questionnant une expression puissante qui n’est pourtant ni évidente ni transparente. L’expression lexicalisée condense en effet des imaginaires multiples (linguistique, idéologique, genré, affectif), exprimant des relations allant du désir et de l’adoration jusqu’à la haine intense et l’envie de rompre les logiques d’appartenance familiale, nationale, politique. Les écrivains travaillent la fabrique et texture même de l’expression, portant une attention particulière à la lettre et au grain, « masse bruissante » et « pellicule sonore »2, requérant une analyse au plus près des écritures. Contre le principe d’une langue maternelle idéalisée et essentialisée, posant une ontologie non-questionnée, i. e. le caractère supposément « naturel » de cette langue « dite maternelle, et pas pour rien dite ainsi »3, les œuvres proposent un ensemble de scénarii défamiliarisants, pour examiner esthétiquement ses diffractions, intensités et élasticités.
La puissante et résiliente expression est un carrefour de métaphores : langue première, langue commune, langue de la mère, langue natale, langue de la nation, « langue ombilicale »4, langue apprise dans la nursery, depuis la juxtaposition séminale de la lactation et de l’acquisition du langage en défense du vernaculaire chez Dante5, etc. Il est dès lors urgent de déconstruire cette expression qui nous « fait tiquer » et d’en étudier les diverses intonations – à l’instar de l’écrivain vieillissant du Journal d’une année noire (2007) de Coetzee, qui questionne la compréhension automatique naturalisée de sa jeune interlocutrice :
What does that mean, mother tongue?
It means the tongue you learned at your mother’s knee, I said.
I know that, he said. It is your choice of metaphor that I am querying. Do I have to have learned language at a woman’s knee? Do I have to have drunk it from a woman’s breast?
Langue maternelle, dit-il. Qu’est-ce que ça veut dire, langue maternelle ?
Ça veut dire la langue que vous avez apprise sur les genoux de votre mère, dis-je.
Je sais bien, dit-il. Mais c’est votre métaphore qui me fait tiquer. Faut-il que j’aie appris une langue sur les genoux d’une femme ? Faut-il que je l’aie bue à la mamelle ?6
Problématiser l’expression commune et ses imaginaires, en particulier ce qui a trait à la filiation7, conduit à la rendre définitivement étrange, selon le procédé de défamiliarisation dont Carlo Ginzburg rappelle que la visée est toujours critique8. Oublier les « représentations fallacieuses », les « postulats qu’on croyait évidents », les « modes d’identification rebattus et usés par les habitudes perceptives »9 nous oblige à voir l’objet comme s’il était vu pour la première fois, d’un point de vue inédit voire impossible, afin d’empêcher que fonctionne à son égard le processus réflexe de reconnaissance : « comprendre moins, être ingénu, rester stupéfait, sont des réactions qui peuvent nous aider à voir davantage »10. Ce procédé ramène l’objet, dans toute sa consistance étonnante, à notre pleine conscience, produisant « une tension cognitive qui révèle peu à peu les traits imprévisiblement étranges d’un objet familier »11 (ou peut-être pas si familier que cela). Dépayser la « langue maternelle », regarder l’expression comme si elle était dénuée de sens, aussi mystérieuse qu’une énigme, c’est la soustraire au domaine de la perception automatique et la voir à neuf.
Cette entreprise nous semble entretenir des relations particulières avec les phénomènes de déplacement et les contextes postcoloniaux12. En dépaysant les associations véhiculées par l’expression, les écrivains tentent de négocier les différentes forces culturelles et politiques qui interagissent avec une intensité accrue, participant d’une volonté plus large pour ré-imaginer les sujets et affiliations linguistiques, invoquant des espaces par-delà les catégories fixes et l’équation idéologique entre langage, territoire et identité nationale13. Nous allons donc voir comment les textes rompent avec les conventions de manière à troubler en particulier les stratégies oppressives encodées dans le syntagme « langue maternelle ».
La première série d’exemples est relativement simple : le dépaysement passe par le jeu avec la structure du conte de fées, qui impose l’image négative de la cruelle marâtre. Dotée d’une malice sans bornes, corrompue, jalouse, égoïste et « non-naturelle », elle détesterait et maltraiterait les enfants, l’image aux résonances puissantes offrant un terrain fécond de réinvestissement. John Skinner, dans un ouvrage bien connu, l’emploie pour décrire la relation d’amour-haine que les peuples colonisés entretiennent envers la langue du colonisateur14. Comme dans les contes traditionnels, la marâtre rejette les enfants du premier lit mais est finalement dominée par eux, comme c’est le cas, selon Skinner, avec la fiction des écrivains de langue anglaise qui ne sont pas, techniquement parlant, des locuteurs natifs, et dont la relation à l’anglais est au mieux ambivalente. La métaphore exprime par conséquent de manière appropriée les tensions existant dans le « cercle des fées linguistiques »15.
Assia Djebar écrit ainsi ne s’être jamais sentie « chez elle » en français, langue irréductiblement de l’autre :
Je cohabite avec la langue française […]. Le français m’est langue marâtre. Quelle est ma langue mère disparue qui m’a abandonnée sur le trottoir et s’est enfuie ?… Langue-mère idéalisée ou mal-aimée, livrée aux hérauts de foire ou aux seuls geôliers !… Sous le poids des tabous que je porte en moi comme héritage, je me retrouve désertée des chants de l’amour arabe. Est-ce d’avoir été expulsée de ce discours amoureux qui me fait trouver aride le français que j’emploie ?16
L’apprentissage d’une deuxième langue après l’enfance conduit à des situations de cohabitation où les deux langues peuvent différer en termes d’effets et d’investissements émotionnels, opposant une première langue aux résonances affectives plus profondes et intimes (langue du cœur, de l’enfance, du corps, etc.), et une deuxième langue de la distance et du détachement, en tout cas d’un poids moindre sur l’individu. C’est cette distance entre première et deuxième langue qui peut expliquer le choix d’écrire dans la « langue marâtre », pour échapper à l’emprise affective de la langue maternelle et s’en libérer, comme l’affirme Josip Novakovich, écrivain américain d’origine croate :
Dans mon cas, les mots anglais n’étaient pas lestés du bagage politique et émotionnel d’une éducation répressive. Par conséquent je pouvais dire ce que je voulais sans provoquer les démons de l’enfance, auxquels m’enchaînaient toujours les mots croates, venant me hanter et m’effrayer17.
Novakovich embrasse explicitement l’imaginaire féerique pour rendre compte de sa relation à l’anglais, des difficultés pour plaire à la fois à sa mère et à sa « marâtre », compliquant l’imaginaire filial par une métaphore botanique :
However, the English language, to my mind, is like a cat. You don’t adopt it, it adopts you; and you don’t control it as much as it controls you. So, since the adoption works perhaps more from the language than from us, I decided that the stepmother metaphor could well portray the new family. […] The English language does mistreat many foreigners – and serves as a tool of oppression and exploitation […] But, despite that subjugating aspect of English, I must say that in many cases English gives wings to foreigners, and even to writers, who traditionally are absolutely tied to their native languages. […] English, grafted on to rather than rooted in my consciousness, gives me good fruits18.
Mais pour moi, la langue anglaise est comme un chat. Vous ne pouvez l’adopter, c’est elle qui vous adopte ; et ce n’est pas tant vous qui la contrôlez qu’elle qui vous contrôle. Ainsi, puisque l’adoption fonctionne peut-être plus depuis la langue que depuis nous, j’ai décidé que la métaphore de la marâtre représentait bien la nouvelle famille. […] La langue anglaise maltraite en effet beaucoup d’étrangers – et sert d’instrument d’oppression et d’exploitation. […] Mais, en dépit de cet aspect asservissant de l’anglais, je dois dire que dans de nombreux cas l’anglais donne des ailes aux étrangers, et même à des écrivains qui traditionnellement sont absolument liés à leurs langues natales. […] L’anglais, greffé sur ma conscience plutôt qu’enraciné en elle, me donne de bons fruits.
L’expression « langue marâtre » est même devenue proverbiale en soi. Hédi Bouraoui, écrivain canadien francophone d’origine tunisienne, la réinvestit dans sa « Lettre à la langue française » (1994), où il s’adresse depuis le Québec à sa « chère marâtre » et l’enjoint à « se réveiller », comme si elle était la Belle-au-Bois dormant aussi bien que la méchante reine du conte. Se sentant rejeté par la définition officielle et restrictive du français comme langue nationale, il glorifie la « trahison » mise en œuvre par les « fils illégitimes » de cette marâtre tyrannique. Outre la métaphore botanique de la greffe et l’image de la marâtre, Hédaoui propose une variation sur la devise de la République française, offrant une nouvelle modulation à l’expression commune :
Chère marâtre. Si je t’appelle marâtre, c’est que tu es frustrante et sans indulgence, dans la sphère légitime de l’écoute. Pourtant mon choix conscient me porterait à te faire engendrer une nouvelle nature naturante qui ne peut que légitimer le fruit de tes greffes créatrices. […] Mes frères “siamois”, africains, maghrébins, caribéens, ontariens, vietnamiens… t’ont vivifiée en t’injectant le sang nouveau de leurs cultures respectives… tout ce qui revigore ton blason avec ou sans ton consentement. […] Réveille-toi, marâtre de mes amours […] Marche avec tous ces voleurs de feu lingual, main dans la main, sereine et libre, fraternelle et aimante, égale à toi-même et rassurante19.
Fidèle à la devise « liberté, égalité, fraternité », l’écrivain rêve un futur fondé sur une nouvelle définition qui embrasse toutes les expressions francophones et transforme la « langue marâtre » en « langue fraternelle ». Pour Bouraoui, ce viol linguistique implicite (« avec ou sans ton consentement ») serait l’unique moyen de redonner vie à une langue moribonde, stérile, sclérosée, ce qu’il défend aussi dans Transpoétique : face à un présent marqué par l’« éclatement des frontières » et le « bouleversement de l’Histoire causé par les mouvements idéologiques et migratoires », il serait urgent de traduire ces mutations en « opt[ant] pour la langue d’une marâtre qui ne [l]’aimera jamais comme une mère », cette « langue Vol-taire-Racin-ante » à laquelle il fait subir « les acrobaties les plus inouïes de haute voltige syntactique »20.
Si cette première série est encore relativement familière, ce n’est pas le cas des exemples suivants qui vont plus loin dans le processus de défamiliarisation, y compris d’un point de vue formel, en des textes qui restent partiellement opaques. Santiago H. Amigorena génère ainsi le dépaysement par une pseudo-enquête étymologique, retour aux « racines » aussi bien linguistiques que physiologiques :
Ce n’est pas par hasard que ça s’appelle aussi des lèvres ; le professeur Fernand Q. Choulier, dans son célèbre, et pourtant inédit, Mémoire sur l’émission primitive de sons chez l’Homo Heidelbergiensis (1879), soutient que les premières paroles ont été prononcées par l’entrejambe d’une femme : l’homo erectus n’ayant utilisé sa bouche, jusqu’à une époque tardive, que pour manger, le premier homo sapiens neandertalensis aurait frappé de stupeur ses parents en hurlant des insultes, de l’intérieur du ventre, avant sa naissance. D’où la croyance, demeurée si vive encore de nos jours, que la langue est avant tout maternelle21.
Le texte propose un mythe étiologique ironique (une sorte de genèse à rebours ?), fondé sur des pseudo-références scientifiques, recréant une Ur-langue éminemment déterminée en termes genrés. Son étymologie, manifestement fantaisiste, littéralise la situation corporelle : c’est, en gros plan, le sexe qui parle et d’où tout émane, dans une variation textuelle autour de la fameuse Origine du monde (1866) de Courbet.
En 1998, Rita Wong publie son premier recueil qui aborde la position compliquée que la poétesse sino-canadienne occupe au sein de la réalité canadienne culturelle contemporaine. L’expression « langue maternelle » est le plus visiblement dépaysée dans le premier poème, sans titre, à travers une métaphore océanique et le dispositif visuel, dans un texte qui rend visible le principe de médiation et de négociation des systèmes de sens et d’autorités culturelles22. Une colonne de texte y serpente autour de deux courtes strophes en italique qui indiquent le désir de la locutrice d’avoir recours à sa langue maternelle cantonaise. La première strophe, qui s’ouvre sur « écrit autour de l’absence, dit-elle » (« write around the absence, she said »), écrit littéralement autour des pâles caractères chinois qui s’inscrivent verticalement au centre de la page, précisant que « c’est là / le son / de ma langue chinoise / chuchotant : nei tou /gnaw ma ? » (« this is / the sound of / my chinese tongue / whispering: nei tou / gnaw ma? »). La colonne de texte traverse ensuite de gauche à droite de la page avec un passage qui décrit comment la langue « tombe lourdement / sur ma langue bégayante, comment ses tons & / pictogrammes se retrouvent aplatis » (« fall hard / on my stuttering tongue, how its tones & /pictograms get flattened out »).
Les deux sections expriment la difficulté à maintenir une aisance et une fluidité en chinois sans que l’anglais, avec son « étymologie de / l’assimilation » (« its etymology of / assimilation »), colonise complètement le bilinguisme de la locutrice. L’anglais est montré comme un instrument de domination, avec ses « noms arrogants & encore des noms » (« arrogant nouns & more nouns ») et la « grammaire […] le filet invisible dans l’air, maintenant tes / mots en place. La grammaire, comme la richesse, appartient aux mains de /ceux qui la produisent » (« grammar […] the invisible net in the air, holding your / words in place. Grammar, like wealth, belongs in the hands of / the people who produce it »). Ce système de valeur et la logique hiérarchique sont cependant minés par une compréhension des moyens par lesquels le sens est aussi produit par ce qui n’est pas dit. La présence des caractères chinois sous le texte anglais suggère que c’est une absence consciente, une absence qui structure les transactions de la locutrice en anglais. Wong offre ainsi un poème d’intervention : en juxtaposant l’anglais et le cantonais, elle perturbe effectivement l’autorité de la langue anglaise, qui « piétine / les souvenirs naissants en poussiéreux / stéréotypes, [et] capitales régentées » (« tramples budding / memory into saw dusty /stereotypes, [and] regimented capitals »). La domination assumée de l’anglais sur les autres langues est représentée visuellement et linguistiquement : alors que les mots anglais se déplacent en diagonale à travers la page, les pâles caractères chinois sont presque littéralement « aplatis par le / rouleau-compresseur de la langue anglaise » (« flattened out by the / steamroller of the English language »). Pourtant les idéogrammes, bien que recouverts par l’anglais et indéchiffrables à quiconque ne lit pas le cantonais, n’en occupent pas moins le centre et l’arrière-plan du poème.
La locutrice exprime en particulier l’anxiété causée par le fait de vivre « à demi submergée / dans le foyer salé de / [sa] langue maternelle » (« half-submerged / in the salty home of / [her] mother tongue »), en une image dépaysante frappante. La métaphore océanique pose non seulement la langue comme entité qui donne vie et nourrit, mais renvoie aussi à une conception de la langue comme espace universel : à l’instar des eaux internationales, elle flotte, libre et sauvage, entre les frontières et les nations. Pourtant, le fait d’être « à demi submergée » évoque aussi l’image plus inquiétante de la noyade. La locutrice doit constamment arbitrer entre sa « langue maternelle » chinoise et sa « langue paternelle » anglaise, y naviguer pour ne pas sombrer, bref se maintenir à flots entre les langues. Ce ventre utérin originel, nourrissant et dangereux, est montré concrètement : les idéogrammes chinois sont en train de s’effacer, comme s’ils disparaissaient dans l’océan, mais on peut aussi les voir comme émergeant de ces eaux troublées, tout comme, dans le texte, l’anglais en effet menace de submerger toutes les autres voix, le cantonais restant pourtant audible (« this is / the sound of / my chinese tongue /whispering: nei tou /gnaw ma? »). D’autant plus que le son « ma » signifie aussi « mère » en cantonais, même si l’idéogramme est différent, et que la phrase chinoise se traduit par « as-tu faim ? »23, c’est-à-dire une question qu’une mère poserait à son enfant.
Alors que les idéogrammes chinois, à demi effacés, indiquent une absence consciente au sein du poème, les mots cantonais chuchotés le hantent également de leur présence fantomatique. Littéralement relégués aux marges de la page, ils sont délibérément déplacés du texte anglais, occupant un espace « étrange/r » mais autonome. La forme du poème même ressemble vaguement à un idéogramme chinois, signalant que, bien que l’anglais soit dominant dans le texte, la langue maternelle de la locutrice chuchote avec des échos et résonances ténus mais persistants. La poétesse de plus exprime sa colère et son malaise face aux tendances de la langue anglaise à tout nettoyer et aseptiser (« grammaris the dust on the streets / waiting to bewashed off by immigrant cleaners or blown into your eyes / by the wind »), et incite à une résistance collective s’opposant aux stratégies hégémoniques coloniales (« write around the absence, she said, show /its existence »). La logique binaire du langage (qui dresse blanc contre non-blanc, masculin contre féminin, occidental contre oriental, etc.) est ainsi effectivement troublée, pour non seulement répondre à l’impératif d’écrire (write) autour de l’absence, mais aussi de la corriger (right).
La dernière série d’exemples déconstruisant la naturalité supposée de l’expression repose également sur des stratégies de détachement, en particulier à travers le jeu linguistique et la traduction. Yoko Tawada, auteure japonaise habitant à Berlin, dépayse les habitudes et automatismes de la langue allemande, en particulier les genres grammaticaux. Cette défamiliarisation, permise par la présence de la langue de l’autre, même si elle n’est jamais pleinement expliquée par elle, questionne l’identité supposée d’une langue et le principe de frontières linguistiques tranchées. C’est en particulier le cas dans son texte en prose « Von der Muttersprache zur Sprachmutter »24 (« De la langue maternelle à la langue mère ») de 1996, qui problématise subtilement les liens naturalisés entre sujets et langues et se détourne des modes organiques d’appartenance25. Le titre apparaît comme une affirmation programmatique sur l’affiliation et le texte remplace le principe naturalisé de liens du sang par un modèle inorganique d’appartenance :
In der Muttersprache sind die Worte den Menschen angeheftet, so dass man selten spielerische Freude an der Sprache empfinden kann. Dort klammern sich die Gedanken so fest an die Worte, dass weder die ersteren noch die letzteren frei fliegen können. In einer Fremdsprache hat man aber so etwas wie einen Heftklammerentferner: Er entfernt alles, was sich aneinanderheftet und sich festklammert26.
Dans la langue maternelle les mots sont agrafés aux gens, si bien qu’on n’éprouve que rarement une joie ludique avec la langue. Là les pensées s’agrafent si fermement aux mots, que ni les unes ni les autres ne peuvent voler librement. Dans une langue étrangère au contraire on a quelque chose comme un ôte-agrafes : il détache tout ce qui s’est inextricablement agrafé, tout ce qui est resté accroché.
L’ôte-agrafes (Heftklammerentferner) et son « merveilleux nom » incarnent le modèle désiré : le « désir d’une autre langue »27. Il détache ce que le chiasme du titre tient encore uni, la parenté figurée à travers la « langue maternelle » et la « langue mère ». Cet instrument proprement illettré est entièrement détaché de l’acte même d’écrire. Par opposition aux autres objets sur le bureau, l’ôte-agrafes n’est pas non plus imaginé comme masculin ou féminin dans un sens humain (il ressemblerait plutôt à la tête d’un serpent pourvu de dents). L’alignement automatique entre le genre grammatical d’un objet et son « sexe » est ainsi suspendu dans l’imagination de la narratrice, l’ôte-agrafes rompant la chaîne de la reproduction humaine. Le texte pose ainsi le détachement comme un processus désirable de l’être : ce dépaysement est permis par le contexte multilingue, non parce qu’une langue spécifique est préférée aux autres, mais parce que le multilinguisme peut défamiliariser les structures mêmes de la langue dans laquelle nous existons28.
Pour Tawada, « lorsqu’on a une nouvelle langue mère, on peut vivre une deuxième enfance »29, en raison du plaisir ludique expérimenté. Emine Sevgi Özdamar, auteure née en Turquie de langue allemande, écrit à l’inverse dans son recueil en prose de 1990 Mutterzunge (Langue maternelle) : « Dans une langue étrangère, les mots n’ont pas d’enfance »30. Le livre est dédié à sa mère31 et les deux premières parties, ‘Mutterzunge’ et ‘Großvaterzunge’, sont d’un intérêt particulier. Ces néologismes sonnent particulièrement étranges : Mutterzunge est la traduction littérale du turc anadil, mais n’est pas du tout courant en allemand qui emploie le terme ‘Muttersprache’, langage maternel. La langue elle-même occupe une place prééminente aussi en tant que partie de l’anatomie humaine, puisque le turc ‘dil’, comme le français ‘langue’ ou l’anglais ‘tongue’, renvoie à la fois au langage et à l’organe32. La création linguistique est justifiée dès l’ouverture : « Dans ma langue, langue se dit : langue. La langue n’a pas d’os, où qu’on la torde, elle se tord. J’étais assise avec ma langue retournée (tordue) dans cette ville Berlin »33. Le substantif Zunge est ensuite repris et connecté au substantif Mutter (mère), répété pas moins de quatre fois : « Si seulement je savais à quel moment j’ai perdu ma langue maternelle. Ma mère et moi nous parlions dans notre langue maternelle. Ma mère me dit… »34. Les premières lignes du livre donnent ainsi le ton de ce qui suit, enrichissant la langue allemande d’une série grandissante de néologismes (Mutterzunge, Muttersätze, Großvaterzunge, etc.). La narratrice, se demandant quand et où elle a perdu sa langue maternelle, se lance alors dans une quête pour la reconquérir, mais aussi pour apprendre d’autres langues : l’arabe (la langue de son grand-père) et l’allemand, cette traversée de multiples frontières étant matérialisée par les allers-retours de la narratrice entre Berlin est et Berlin ouest.
Le style d’Özdamar est cahoteux, avec d’abrupts changements de ton et de perspective narrative, juxtaposant des scènes grotesques et ambivalentes, qui ne font pas toujours sens à la première lecture, combinant traditions orales et écrites, culture occidentale et orientale. Le texte est entrecoupé de termes turcs et arabes hautement métaphoriques, d’expressions idiomatiques et de proverbes, d’éléments de folklore, de chansons et de fragments de textes musulmans, qui apparaissent en traduction allemande littérale, en un hétérolinguisme qui pose problème à la fois au locuteur natif allemand et au locuteur natif turc35. Pour exprimer le procédé, Özdamar a recours à une métaphore frappante : « coudre leurs vêtements turcs des matériaux allemands » (« aus deutschen Stoffen ihre türkischen Kleider nähen »), et forge le terme ‘Überfremdung’ pour le désigner, néologisme qui combine ‘dépaysement’ (Entfremdung), ‘étrange/r’ (fremd), ‘traduction’ (Übersetzung), et excès/au-delà (‘über’)36. Brouillant l’étrange et étranger avec le familier et commun, l’écriture met ainsi au défi le lecteur allemand comme non-allemand de repenser ses conceptions linguistiques et culturelles37, où les enjeux de transmission et de traductions sont centraux. Lorsque la narratrice remarque ainsi que les mots n’ont pas d’enfance dans une langue étrangère, elle critique aussi implicitement les réformes kémalistes qui se sont efforcées d’effacer toutes les traces de la culture ottomane islamique, créant une vacance dans laquelle les Turcs se débattraient encore pour définir une identité culturelle38.
Ich werde zum anderen Berlin zurückgehen. Ich werde Arabisch lernen, das war mal unsere Schrift. […] [M]ein Großvater konnte nur arabische Schrift, ich konnte nur lateinisches Alphabet, das heißt, wenn mein Großvater und ich stumm wären und uns nur mit Schrift was erzählen könnten, könnten wir uns keine Geschichten erzählen. Vielleicht erst zu Großvater zurück, dann kann ich den Weg zu meiner Mutter und Mutterzunge finden.
Inschallah39.
Je vais retourner dans l’autre Berlin. Je vais apprendre l’arabe ; avant, c’était notre écriture. […] [M]on grand-père ne savait que l’alphabet arabe ; moi je ne savais que l’alphabet latin. Par conséquent si mon grand-père et moi étions muets et ne pouvions échanger que par écrit, nous ne pourrions nous raconter des histoires. Peut-être d’abord revenir à grand-père, ensuite je pourrai retrouver le chemin vers ma mère et ma langue maternelle.
Inch Allah.
Un des exemples les plus complexes, dépaysant l’expression « langue maternelle », se trouve selon nous chez Marlene NourbeSe Philip, auteure canadienne d’origine afro-caribéenne. Dans son recueil She Tries Her Tongue, Her Silence Softly Breaks (Elle essaie sa langue, Son silence se rompt en douceur) de 1989, elle s’empare ainsi, « en tant que poétesse déplacée – triplement déplacée par la race, le genre et la langue, et maintenant quadruplement par le lieu »40, d’un dense réseau d’enjeux : esclavage, eugénisme, colonialisme, oppression genrée, silence imposé. Dans un recueil qui métaphorise les pertes inhérentes aux phénomènes de dispersion et de dépossession, le poème « Discours sur la logique du langage » (‘Discourse on the Logic of Language’), combinant prose et vers, propose un jeu particulièrement brillant et obsessionnel qui manipule l’expression « langue maternelle », ses diverses couches de sens et d’affect. Le refrain, telle une mélopée scandée, et son « riff principal »41, fabuleusement musical et rythmique, démontrent l’élasticité du syntagme commun. Le texte progresse par répétition, avec des variations subtiles et puissantes autour d’un calembour central ‘l/angoisse’, ‘l/anguish’ (‘langue + angoisse’, ‘language + anguish’), qui se nourrit des discours environnants, requérant une perspective intersectionnelle sur la question de la langue en contexte afro-caribéen, en particulier via la tension entre « langue paternelle » (le canon blanc, euro-chrétien, masculin) et « langue maternelle » (noir, africain, féminin).
English is my mother tongue. A mother tongue is not not a foreign lanlanlang language l/anguish anguish – a foreign anguish.
English is my father tongue. A father tongue is a foreign language, therefore English is a foreign language not a mother tongue.
What is my mother tongue my mammy tongue my mummy tongue my momsy tongue my modder tongue my ma tongue?
I have no mother tongue no mother to tongue no tongue to mother to mother tongue me
I must therefore be tongue dumb dumb-tongued dub-tongued damn dumb tongue42 |
L’anglais est ma langue maternelle. Une langue maternelle n’est pas un étranger lanlanlang langage l/angoisse angoisse – une angoisse étrangère.
L’anglais est ma langue paternelle. Une langue paternelle est un langage étranger, par conséquent l’anglais est mon langage étranger non une langue maternelle.
Qu’est ma langue maternelle ma maman langue ma m’man langue mamamounette langue ma reum langue mama langue?
Je n’ai pas de langue maternelle pas de mère à languer pas de langue à materner à me langue materner
Je dois par conséquent être de langue muette muette-de-langue stupide-de-langue maudite muette langue
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Philip tord les mots et les réarrange dans des configurations bégayantes, la voix poétique, errante et confuse ne semblant à aucun moment se mouvoir au sein des structures imposées par la grammaire anglaise. La poétesse exprime ainsi son sentiment d’avoir été privée de la langue et de la culture qui auraient dû être siennes : « cette condition de l’exil, aux multiples facettes et dimensions, est l’héritage du colonialisme et de l’impérialisme qui ont d’abord exilé les Africains de leur ethnicité et toutes ses expressions – langue, religion, éducation, musique, structures de relations familiales – dans l’au-delà pâle, dans le néant bas pays de la race. De cet exil il n’y aurait pas de répit, de recours, de retour »43. Le texte questionne non seulement la manière dont les discours dominants continuent à opprimer les figures historiquement marginalisées, mais explore aussi les tensions entre le « démotique caribéen », ou l’anglais créole, et l’anglais standard (impérial), entre « le bon-anglais-mauvais-anglais, l’anglais de la reine et l’anglais du roi »44.
Philip envisage la violence culturelle pratiquée aux dépens des populations non-européennes dans les Caraïbes comme un « viol linguistique » (« linguistic rape »)45, duquel naît une enfant muette et stupide-de-langue (« dumb-tongued / dub-tongued »). La voix de la locutrice, qui est encadrée, à gauche, par la « langue maternelle » (les lettres capitales qui cascadent verticalement) et, à droite, par la « langue paternelle » (les édits sur les esclaves, imprimés en italique, ainsi que le discours clinique), essaie de localiser sa langue maternelle, sa « mammy/ mummy/momsy/modder/ma tongue », même si elle ne sait où chercher ni même ce qu’elle est en train de chercher. Le poème est en effet un tourbillon visuel et verbal vertigineux, qui se présente comme une énigme. Le texte est manifestement divisé en sections, mais il n’y a pas de structure linéaire facilement discernable. Nous sommes confrontés avec la tâche de devoir apprendre à lire le poème, ce qui exige que nous tournions le livre et que, très littéralement, nous regardions les choses depuis un autre angle. Philip rompt ainsi les normes structurelles et formelles de la tradition poétique eurocentrique, refusant le postulat d’autonomie, en décentrant et dépaysant le poème sur la page : elle l’entoure d’un récit mythique (lettres capitales verticales), d’édits historiques de la loi coloniale (en italique), y ajoutant sur les pages de droite un discours physiologico-scientifique, les théories des docteurs Karl Wernicke et Paul Broca sur les parties du cerveau responsables du langage, théories qui encodent les conceptions racistes posant la supériorité raciale des blancs, puis un questionnaire à choix multiples. Le poème expose donc quatre parties de discours séparés et, dans une certaine mesure, simultanés, qui ne créent pas pour autant un chœur harmonieux, mais un ensemble discordant, aux tonalités et rythmes se syncopant. Le procédé signale ainsi que les logiques et autorités qu’on prête aux discours scientifiques et légaux sont des leurres, démasquant la violence et la puissance de contrôle de ces discours prétendument neutres et universels. Le placement parallèle des voix, qui se déplacent à travers la première double page d’une voix mythique supposément originelle (à gauche) à une voix clinique (à droite), ne permet pas une lecture univoque. De même la dernière page pose qu’il n’y a pas de bonne réponse ou de réponse univoque aux questions à choix multiples.
Les deux voix à gauche (le récit mythique, la voix poétique bégayante) sont clairement opprimées par la science absurde et ouvertement raciale, redoublée par le contrôle qu’exprime la troisième voix (les édits coloniaux). La locutrice (deuxième voix) qui se demande quelle est sa langue maternelle traduit le désir de trouver et de localiser une langue qui puisse exprimer les réalités d’un peuple déplacé. Et pourtant cette langue a déjà été pénétrée par « l’organe principal d’oppression et d’exploitation »46, par la longue et sanglante histoire de violence impérialiste et d’oppression patriarcale, qui colonise les esprits autant que les terres et les corps. Tout comme « l’esclave qui est pris à parler sa langue natale »47 est puni (et réduit au silence) par l’ablation de la langue (Édit II), la langue maternelle a été coupée et extraite de la bouche des populations colonisées. Les ambiguïtés sont ainsi omniprésentes : en une image viscéralement animale et érotique, on voit la mère, dans le discours mythique, lécher le corps de sa fille nouvelle-née de la « substance blanche crémeuse »48, qui renvoie autant aux fluides protecteurs qu’au sperme masculin49. La mère souffle également « ses mots, les mots de sa mère, ceux de la mère de sa mère, et de toutes les mères avant elle »50, dans la bouche de l’enfant. Ce geste symbiotique, nourricier, vitalisant et résistant, est un geste de transmission matrilinéaire non verbal. La langue proprement maternelle ne peut exister que hors des paroles réelles et antérieurement à elles. La voix effective de la fille ne peut qu’être bégayante, prise dans ces multiples hésitations et tensions.
« Discours sur la logique du langage », tout comme le recueil dans son ensemble, conduit ainsi le lecteur à faire lui-même l’expérience du processus de dépaysement, pour comprendre ce que signifie le fait d’avoir été déraciné. Nous vibrons alors comme la poétesse : en intégrant toutes les voix disparates, sentant que tout ce qui est « sien », ou tout ce qui constitue sa langue entachée sinon viciée (« tainted tongue »), ne vient pas d’elle, mais s’origine ailleurs51. Il reste finalement un écart irréductible entre la langue que Philip écrit et sa « langue maternelle ». Se décrivant comme « une femme postcoloniale, postmoderne, hybridisée, afro-saxonne, anglicisée, africaine, caribéenne » (« post-colonial, postmodern, hybridized, Afro-Saxoned, Anglicized, African ‘West Indian’ woman »)52, elle ne s’en s’efforce pas moins d’exercer un contrôle sur ce qui entend la maîtriser , par un mode d’expression par-delà le viol linguistique, par-delà les violences passées et présentes, par-delà les mots anglais maudits « qui réclament / et blessent / et réclament / à nouveau » (« that claim / and maim / and claim / again »), conjurant une nouvelle race (« a new breed »), « une race guerrière / de mots » (« a warrior race / of words »), de manière à peut-être « venger le soi / rompu / sur / le mot » (« revenge the self / broken / upon / the word »)53.
Si « la langue dite maternelle n’est jamais purement naturelle, ni propre, ni habitable »54, il convient en effet de troubler et de perturber cette expression trop familière, supposément transparente, d’une simplicité trompeuse, par des stratégies actives de dépaysement et de déstabilisation. En négociant les espaces entre les langues, les écrivains problématisent le caractère prétendument naturel de la « langue maternelle », ses neutralité et évidence apparentes, et de surcroît engagent des discours qui incitent à réclamer les voix réduites au silence, à se (re-)souvenir des tons devenus inaudibles et des langues coupées de figures historiquement marginalisées, aussi tendus que soient ces processus. Ils produisent des textes d’une rare densité, pluri-vocaux et multilingues, mettant en œuvre des poétiques du mouvement, de l’émotion et du déplacement, dans lesquelles les langues ne sont pas figées mais se meuvent à travers la page et les identités. Ce qui est fondamentalement en jeu est de résister aux catégories binaires contraignantes, aux diverses forces de régulation et régimes de pouvoir. Les œuvres opèrent comme sites d’un trouble nécessaire, où l’expression commune ne peut plus être tenue pour sûre55. Puisque « être/désirer/appartenir où que ce soit est problématique » (« be / longing anywhere is problematic »)56, les positionnements performatifs et excentriques mettent en œuvre des espaces précaires mais nécessaires d’expression et d’expériences à partager.
[1] Jacques DERRIDA, L’Écriture et la différence, Paris, Seuil, 1967, p. 137 : « S’il n’y a d’histoire que par le langage et si le langage […] est élémentairement métaphorique, Borges a raison : ‘Peut-être l’histoire universelle n’est-elle que l’histoire de quelques métaphores’. […] Si tous les langages se battent en elle, modifiant seulement la même métaphore et choisissant la meilleure lumière, Borges, quelques pages plus loin, a encore raison : ‘Peut-être l’histoire universelle n’est-elle que l’histoire des diverses intonations de quelques métaphores’ ».
[2] Roland BARTHES, L’Empire des signes, Paris, Seuil, 2007, p. 21.
[3] Jacques LACAN, Le Séminaire, livre XX, Jacques-Alain MILLER (éd.), Paris, Seuil, 1975, p. 126 : « je l’écris en un seul mot pour désigner ce qui est notre affaire à chacun, la langue dite maternelle, et pas pour rien dite ainsi… ».
[4] Roland Barthes par Roland Barthes, Paris, Seuil, 1975, p. 119.
[5] De vulgarie loquentia, 1.1.2-3 : « prima locutio… vulgarem locutione masserimus quam sine omni régula nutrice mimitantes accipimus ». Du Bellay affirme de même que la supériorité des Anciens tient au fait qu’ils « usoint des Langues, qu’ilz avoint succées avecques le Laict de la Nourice » (La Deffence et Illustration de la langue françoyse I.6), voir Leo SPITZER, « Muttersprache und Muttererziehung », Essays in Historical Semantics, New York, Vanni, 1948, p. 15-65.
[6] J. M. COETZEE, Diary of a Bad Year, Londres, Vintage, 2008, p. 51 Journal d’une année noire, trad. Catherine Lauga du Plessis, Paris, Points Seuil, 2008, p. 74. Coetzee renvoieexplicitement au dépaysement : « …seeing it with what Victor Chklovsky would call an estranged eye » (p. 63).
[7]Ainsi du principe de langue maternelle « adoptive » selon Aharon APPELFELD : « Even though it’s my mother language and even though, in my dreams, I still sometimes speak German, Hebrew became my adopted mother tongue », URL :http://www.theparisreview.org/interviews/6324/the-art-of-fiction-no-224-aharon-appelfeld, consulté le 5 mai 2016.
[8] Carlo GINZBURG, « L’estrangement. Préhistoire d’un procédé littéraire », À distance. Neuf essais sur le point de vue en histoire, trad. Pierre-Antoine Fabre, Paris, Gallimard, 2001, p. 14-36. La libération de notre perception du poids des normes culturelles et traditions en fait « un instrument de délégitimation à tous les niveaux » (p. 29).
[9] Ibid., p. 21.
[10] Ibid., p. 26.
[11] Ibid., p. 28.
[12] Voir par exemple Akira MIZUBAYASHI, Une langue venue d’ailleurs, Paris, Gallimard, 2011, fondé sur « la force salutaire de l’étrangéité », que l’écrivain dit embrasser « sans honte ni tristesse ».
[13] Benedict ANDERSON, Imagined Communities, Londres, Verso, 1983.
[14] John SKINNER, The Stepmother Tongue: An Introduction to New Anglophone Fiction, Londres, Macmillan, 1998 ; Mehmet YaŞin, Stepmother Tongue: From Nationalism to Multiculturalism, Londres, Middlesex UP, 2000.
[15] « La langue maternelle est adoptive. – Mais au cours de la vie, le cercle des fées linguistiques s’agrandit et la marâtre, enfin conciliée, consent à s’y joindre » (François VAUCLUSE, « Une langue étrangère à elle-même », Fabula-LhT, 12, mai 2014. URL :http://www.fabula.org/lht/12/vaucluse.html, consulté le 5 janvier 2016).
[16] Assia DJEBAR, L’Amour, la Fantasia, Paris, Le Livre de Poche, 1985, p. 297-298. VoirSoheila GHAUSSY, « A Stepmother Tongue: “Feminine Writing” in Assia Djebar’s Fantasia », World Literature Today, 68 (3), 1994, p. 457-462. Lire aussi Assia DJEBAR, « Écrire dans la langue de l’autre », Ces voix qui m’assiègent… en marge de ma francophonie, Paris, A. Michel, 1999, p. 41-50. Le français est sa troisième langue, après le berbère et l’arabe.
[17] Josip NOVAKOVICH, Robert SHAPARD (éd.), Stories in the Stepmother Tongue, Buffalo, White Pine Press, 2000, p. 16 :« In my own case, English words didn’t carry the political and emotional baggage of a repressive upbringing, so I could say whatever I wanted without provoking childhood demons, to which Croatian words still chained me, to tug at me and to make me cringe » (sauf indication contraire, nous traduisons).Les études empiriques montrent que les bilingues, ayant acquis la deuxième langue après l’âge de huit ans, utilisent plus fréquemment des mots chargés émotionnellement (« mère ») que des termes neutres (« table », « chaise ») pour rendre compte de souvenirs dans leur première langue. Voir Linda ANNOSHIAN, Paula HERTEL, « Emotionality in Free Recall: Language Specificity in Bilingual Memory », Cognition and Emotion, 8 (6), 1994, p. 503-514.
[18] Josip NOVAKOVICH, « Writing in the Stepmother Tongue », MĀNOA, 5 (1), 1993, p. 26-27.
[19] Hédi BOURAOUI, « Lettre à la langue française », La Toison d’Or, 35, 1994, p. 42-43.
[20] Hédi BOURAOUI, Transpoétique. Éloge du nomadisme, Montréal, Mémoire d’encrier, 2005, p. 153. On aura noté le jeu sur les noms propres, découpés pour travailler les termes « vol », « racine » et « taire ».
[21] Santiago H. AMIGORENA, Le Premier Amour, Paris, POL, 2004, p. 217.
[22] Rita WONG, Monkey puzzle, Vancouver, Press Gang, 1998, p. 29.
[23] La phrase se décompose ainsi : tu (nei) + estomac (tou) + faim (gnaw) + particule interrogative (ma). Je remercie Muriel Détrie pour son aide.
[24] Yoko TAWADA, « Von der Muttersprache zur Sprachmutter », Talisman, Tübingen, Claudia Gehrke, 1996, p. 9-15. On lira aussi le texte « Sieben Geschichten der sieben Mütter » (« Sept histoires des sept mères ») dans le même volume : aucune ne renvoie à la mère biologique, mais toutes revisitent les notions conventionnelles de maternité et de maternage.
[25] Voir aussi le volume Überseezungen (2002) qui approfondit cette question. Le titre néologique en est particulièrement intéressant : il peut se lire comme composé deÜbersee (outre-mer) et Zungen (langues), mais aussi, en faisant porter l’accent sur la deuxième syllabe, comme un écho du terme Übersetzungen (traductions), ce que semble suggérer la typographie de la couverture.
[26] Yoko TAWADA, « Von der Muttersprache zur Sprachmutter », op. cit., p. 15.
[27] Ibid. : « Sein wunderbarer Name verkörperte meine Sehnsucht nach einer fremden Sprache ».
[28] Voir Yasemin YILDIZ, « Tawada’s Multilingual Moves: Toward a Transnational Imaginary », in Douglas SLAYMAKER (éd.), Yoko Tawada: Voices from Everywhere, Lanham, Lexington Books, 2007, p. 77-90.
[29] Yoko TAWADA, « Von der Muttersprache zur Sprachmutter », op. cit., p. 13 : « Wenn man eine neue Sprachmutter hat, kann man eine zweite Kindheit erleben ».
[30] Emine Sevgi ÖZDAMAR, Mutterzunge, Berlin, Rotbuch, 1990, p. 42 : « In der Fremdsprache haben Wörter keine Kindheit ».
[31] « Für meine Mutter ». Le recueil de Marlene NourbeSe PHILIP, She Tries Her Tongue, Her Silence Softly Breaks (Middletown, Wesleyan UP, 2014), porte une dédicace similaire :« For all the mothers ». Pour une étude comparée : Sabine MILZ,« Comparative Cultural Studies and Ethnic Minority Writing Today: The Hybridities of Marlene Nourbese Philip and Emine Sevgi Özdamar », CLCWeb, 2 (2), 2000, URL : http://dx.doi.org/10.7771/1481-4374.1071, consulté le 9 août 2015.
[32] Cornelia ZIERAU, Wenn Wörter auf Wanderschaft gehen…, Tübingen, Stauffenburg, 2009, p. 74.
[33] Emine Sevgi ÖZDAMAR, Mutterzunge, op. cit., p. 7: « In meiner Sprache heißt Zunge: Sprache. Zunge hat keine Knochen, wohin man sie dreht, dreht sie sich dorthin. Ich saß mit meiner gedrehten Zunge in dieser Stadt Berlin ». Le verbe « drehen » (tourner, tordre) dénote la flexibilité et la souplesse, le passage reposant sur un jeu plurilingue : le verbe renvoie en effet à de nombreux verbes communs en turc (p.ex. ‘çevirmek’, traduire, ce qui fait de ‘gedrehte Zunge’ l’équivalent de ‘langue traduite’), nécessitant une lecture turque du texte allemand.
[34] Emine Sevgi ÖZDAMAR, Mutterzunge, op. cit., p. 7 : « Wenn ich nur wüsste, wann ich meine Mutterzunge verloren habe. Ich und meine Mutter sprachen mal in unserer Mutterzunge. Meine Mutter sagte mir… ».
[35] Cf. Myriam SUCHET, L’Imaginaire hétérolingue, Paris, Classiques Garnier, 2014.
[36] Emine Sevgi Özdamar, Mutterzunge, op. cit., p. 90.
[37] Cf. Juliane PRADE (éd.), (M)Other Tongues: Literary Reflexions on a Difficult Distinction, Cambridge, Cambridge Scholar Publishing, 2012.
[38] Voir Jale PARLA, « The Wounded Tongue: Turkey’s Language Reform and the Canonicity of the Novel », PMLA, 123 (1), 2008, p. 27-40.
[39] Emine Sevgi ÖZDAMAR, Mutterzunge, op. cit., p. 12.
[40] Marlene NourbeSe PHILIP, « Earth and Sound: The Place of Poetry », in Kofi ANUIDOHO (éd.), The Word Being Bars and the Paradox of Exile, Evanston, Northwestern UP, 1997, p. 170 :« [a]sa displaced poet – triply displaced through race, gender, and language, and now quadruply through place – finding my place has meant an encounter with history, time, memory, and with language and its loss ».
[41] Marlene NourbeSe PHILIP, A Genealogy of Resistance, Stratford, Mercury Press, 1997, p. 127 : « the [poem’s] main riff is the centre refrain which picks up the resonances from the surrounding bits of information ». Cf. Marlene NourbeSe PHILIP, « Race, Space, and the Poetics of Moving », in K. M. BALUTANSKY, M.-A. SOURIEAU (éd.), Caribbean Creolization, Gainesville, UP of Florida, Barbados, UP of the West Indies, 1998, 131: « It is a language that moves, like the Carnival band, through space rhythmed by time. It is, therefore, eminently suited to capturing the moving ».
[42] Marlene NourbeSe PHILIP, « Discourse on the Logic of Language », She Tries Her Tongue, op. cit., p. 30.
[43] Marlene NourbeSe PHILIP, Frontiers, Stratford, Mercury Press, 1992, p. 10 : « many-faceted and many-layered, this condition of exile is the legacy of colonialism and imperialism that first exiled Africans from their ethnicity and all its expressions – language, religion, education, music, patterns of family relations – into the pale and beyond, into the nether nether land of race. From this exile there would be no relief, no recourse, no return ». Voir Gurli WOODS, « Silenced Roots and Postcolonial Reality », in Britta OLINDER (éd.), Literary Environments. Canada and the Old World, Bruxelles, Peter Lang, 2006, p. 157-170.
[44] Marlene NourbeSe PHILIP, « The Absence of Writing or How I Almost Became a Spy », She Tries Her Tongue, op. cit., p. 77 : « good-english-bad-english English, Queenglish and Kinglish ».
[45] Marlene NourbeSe PHILIP, Ibid., p. 89. Cf. Barbara GODARD, « Rape by Grammar: Marlene Nourbese Philip’s Hyphenated Tongue », in Georgiana M. COLVILE (éd.), Contemporary Women Writing in the Other Americas, vol. 3, Lewistone, Mellen Press, 1996, p. 407-442.
[46] Marlene NourbeSe PHILIP, « Discourse on the Logic of Language », op. cit., p. 33 : « In man the tongue is: a) the principal organ of taste. b) the principal organ or articulate speech. c) the principal organ of oppression and exploitation. d) all of the above ».
[47] Ibid., p. 32 : « EDICT II. Every slave caught speaking his native tongue shall be severely punished. Where necessary, removal of the tongue is recommended. The offending organ, when removed, should be hung on high in a central place, so that all may see and tremble ».
[48] Ibid., p. 30 : « [S]he began then to lick it all over […] until she had tongued it clean of the creamy white substance covering its body ».
[49] Ibid., p. 33 : « A tapering, blunt-tipped, muscular, soft and fleshy organ describes : a) the penis. b) the tongue. c) neither of the above. d) both of the above ».
[50] Ibid., p. 32 : « The mother […]touches her tongue to the child’s tongue, and holding the tiny mouth open, she blows into it – hard; she was blowing words – her words, her mother’s words, those of her mother’s mother, and all their mothers before– into her daughter’s mouth ».
[51] Voir Marlene NourbeSe PHILIP, « The Absence of Writing or How I Almost Became a Spy », op. cit., p. 85 : « […] use the language in such a way that the historical realities are not erased or obliterated, so that English is revealed as the tainted tongue it truly is ».
[52] Marlene NourbeSe PHILIP, A Genealogy of Resistance, op. cit., p. 24.
[53] Marlene NourbeSe PHILIP, « Testimony Stoops to Mother Tongue », She Tries Her Tongue, op. cit., p. 55-56. Voir Yasemin YILDIZ, Beyond the Mother Tongue: The Postmonolingual Condition, New York, Fordham UP, 2012.
[54] Jacques DERRIDA, Le Monolinguisme de l’autre ou la prothèse d’origine, Paris, Galilée, 1996, p. 117.
[55] Voir Carlo GINZBURG, « L’estrangement », op. cit., p. 36 : « L’estrangement me semble susceptible de constituer un antidote efficace à un risque qui nous guette tous : celui de tenir la réalité (nous compris) pour sûre ».
[56] Marlene NourbeSe PHILIP, Frontiers, op. cit., p. 22. Sur l’idée que toute identité culturelle dans la « zone de contact » est construite dans un espace hybride : Homi K. BHABHA, The Location of Culture, New York, Routledge, 1994.
Résumé
Dans une perspective comparée, l’article étudie des œuvres littéraires, en particulier poétiques, qui génèrent une expérience de dépaysement (estrangement) envers le syntagme commun de « langue maternelle ». Les artistes questionnent l’expression familière, carrefour de métaphores, qui continue à puissamment résonner alors qu’elle n’est ni évidente ni transparente. Le syntagme en effet ne dénote pas tant un concept qu’il ne fonctionne comme expression commune qui condense divers imaginaires (familiaux, politiques, émotionnels, genrés, nationaux). Par des créations ambitieuses, les écrivains réinvestissent l’expression, travaillant ses textures, matérialité et associations. À l’encontre d’un principe de langue maternelle idéalisée et essentialisée, non pertinent en particulier dans un contexte mondialisé et postcolonial, les œuvres offrent un ensemble de scénarii défamiliarisants, examinant esthétiquement la notion dans ses diffractions et intensités, ses non-dits et excès. L’expression lexicalisée est ainsi rendue définitivement « étrange », le dépaysement constituant le dispositif et l’opération par excellence empêchant de la tenir pour acquise.
Abstract
In a comparative perspective, the paper examines the status of the powerful image “mother tongue” in contemporary literary texts, especially poetical creations, the writers generating an experience of estrangement towards it. They question the affective and aesthetic dimensions of an expression, crossroad of metaphors, that is all too familiar, powerfully resounding, and yet neither evident nor transparent. The expression does not so much denominate a concept as it functions as a common expression that condenses various familial, political, gendered, national and emotional imaginaires. The challenging creations reinvest the notion, working its very fabric, texture and associations. Against an idealized and essentialised idea of mother tongue, its supposed naturalness, the works offer a set of defamiliarising scripts, examining aesthetically its diffractions and intensities, its non-dits and excesses, making it definitely strange. This enterprise bares particular relationship to contexts of displacement and postcolonial settings, the process of estrangement acting as an effective device, keeping us from taking it for granted.
« Langue marraine » ou « langue marâtre » ?
Stratégies d’estrangement : ironie et dispositifs visuels
Anne Isabelle FRANÇOIS
Univ. Sorbonne Nouvelle-Paris 3
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