Kathleen Jamie est une auteure écossaise, poétesse et essayiste, enseignante (écriture et littérature). Elle a reçu plusieurs prix de poésie et connaît une certaine notoriété, quoique souvent soigneusement confinée au nature writing1 dans les appréciations qui sont données de ses œuvres.
L’écriture de Kathleen Jamie est celle d’une naturaliste – soit, une écriture poétique, mais dotée d’un substrat scientifique. En cela elle pourrait être associée à des auteurs tels Mark Cocker, Robert MacFarlane ou Nan Shepherd : le substrat scientifique est sous-jacent dans un certain nature writing britannique. Peut-être les Écrivains de la Nature ont-ils repris une niche de genre, laquelle a été laissée vacante par la dissociation de l’écriture du naturaliste, en écriture scientifique d’une part, et écriture poétique d’autre part. Kathleen Jamie, dans ses essais, propose la démarche littéraire d’une nouvelle fusion du discours ornithologique alliant le livresque et l’empirique, pris comme les deux fondements possibles de la science de l’observation (reprenant de cette façon la place des naturalistes comme Gilbert White, dont l’écriture se situait justement dans un contexte d’observation – comme connaissance livresque d’autorité et création de savoirs).
Dans une remarque éditoriale portée sur la jaquette de Findings, l’auteur Richard Mabey écrit :
Kathleen Jamie is a supreme listener. Her attention – to the beckoning calls of the peregrines that nest near her house, to the brimful darkness of the neolithic chambers at Maes Howe, to the mute appeals of embryo skeletons in a medical museum – has a directness that borders on the heroic. And in the quietness of her listening, you hear her own voice: clear, subtle, respectful, and so unquenchably curious that it makes the world anew. This is as close as writing gets to a conversation with the natural world2.
Ainsi, ce dont on fait l’éloge, c’est la capacité de Kathleen Jamie à observer, à noter, à dire la nature, dans un mouvement qui est celui de la conversation. Cette réflexivité sous-tend le titre de cet article : comment s’appellent les oiseaux ? C’est-à-dire, quel est le nom qu’on leur donne, et quelles sont les façons qu’ils ont de s’appeler les uns les autres ? Notons que cette ambivalence est impossible en anglais, la langue ne disposant pas de verbes proprement pronominaux.
Cet article portera sur quatre œuvres de Kathleen Jamie : deux recueils d’essais (Findings3 et Sightlines4), et deux recueils de poèmes (The Tree House5 et The Overhaul6).
On remarque tout de suite un point commun entre les titres des deux recueils d’essais : l’un et l’autre annoncent se préoccuper de ce qu’il y a à voir, de ce que l’on trouve, et aussi de la façon dont on regarde : est-ce en cherchant, en visant ? En sachant ce que l’on va voir ? Dans les recueils de poèmes, mêlant l’anglais et le scots (dialecte de l’anglais qui diverge de celui-ci à partir du moyen-anglais, soit vers le XIe siècle, et demeure pratiquement inintelligible pour l’anglophone non formé) les oiseaux sont présents sous forme d’adresses, de locuteurs d’un langage incompréhensible, postulé, ou encore sous la forme d’éléments de paysage, de choses vues.
Pourtant Kathleen Jamie propose une façon toute spéciale d’écrire les oiseaux. Du fait qu’ils sont des êtres observables et audibles, la synesthésie intervient régulièrement comme mode premier d’observation (pas comme conséquence, mais comme préliminaire). Par ailleurs, l’oiseau est personnalisé, et non pas vu comme un spécimen au sein d’une espèce plus large, ou comme représentant d’une population dont on cherche à connaître la globalité. D’ailleurs, en termes de globalité, c’est bien à nouveau d’observation qu’il s’agit, puisque les oiseaux sont observés de loin, en tant que parties d’un paysage singulier. Ils sont entendus, et leurs sons retranscrits, à partir de quoi ils sont lus et interprétés, fût-ce imparfaitement et dans le but d’établir que les comprendre est impossible.
Voilà pourquoi je me demande comment les oiseaux s’appellent. Comment Kathleen Jamie les voit-elle ? Quels noms leur donner, s’ils ne peuvent dire les noms qu’ils se donnent ? Comment existent-ils avec nous, comme individus singuliers dans un monde d’individus singuliers ?
Je commencerai par donner quelques exemples de personnalisation des oiseaux, pour observer comment Kathleen Jamie, par les outils de la langue et par les focus qu’elle choisit, montre des gens ailés plutôt que des animaux de liste. Ainsi se dessine sous sa plume un phénomène étrange : l’oiseau-paysage. Attachée intimement à l’Écosse, Jamie, de la langue qu’elle parle aux lieux qu’elle traverse, donne à voir un rapport singulier à la topographie, à la toponymie et à la toposcopie, si l’on peut dire. Se dégage alors une véritable poétique du bruit au fur et à mesure des textes de Jamie, qui travaille l’onomatopée en experte pour faire naître, peut-être, une sémiotique du chant de l’oiseau.
La question des raisons du chant, dans les textes, préexiste souvent à la description du chant, ou, a fortiori, à sa transcription. On lit ainsi au sujet de fous de Bassan : « The one demand the empty future makes of them: breed! Breed! »7 ; et plus loin : « I suppose they’re at the mercy of their instincts »8. Le chant, présenté comme une nécessité physiologique pour la perpétuation de l’espèce, a tout de l’automatisme. Cependant dans un passage sur l’appel d’une femelle de faucon pèlerin, elle écrit :
People are beginning to talk – is that a bird? A lost lamb? Someone said he thought it was an injured animal at the roadside, a hare or fox. But though half the town can hear it, the male peregrine must know this sound is intended for him alone9.
Les choses se compliquent en prenant le chemin de l’intime. L’oiseau n’est pas un automate, une machine à chanter, un animal dont la physiologie lui commande de chanter. Non, le chant est issu d’une intention, il est mu par un message, fût-ce celui de la séduction en vue de la reproduction.
Tout en admettant la part d’instinct dans le chant de l’oiseau – la nécessité de la reproduction, le besoin physiologique immuable de prendre part au destin de l’espèce – Jamie ménage néanmoins une intention cryptée dans le chant de l’oiseau.
Cependant la perpétuation de l’espèce, ce destin dont il est question dans le cas du fou, est un « empty future ». Il est vide, sans doute, parce qu’inconnu. Inconnu de l’oiseau en question, qui se reproduira, et laissera comme trace de son passage sur Terre une descendance, qui elle-même fera de même, jusqu’à ce que la pression écologique, ou une catastrophe, ou un prédateur ne tue le dernier représentant de l’espèce. Mais il est vide aussi parce que bien que l’individu prenne part à la perpétuation de son espèce, soi-même cesse d’exister. L’appel à la reproduction, qu’il vienne de l’instinct ou du congénère, est l’annonce, simultanément, de la mortalité de l’individu. « Tu dois te reproduire, semble-t-il dire, parce que tu vas disparaître. Tu dois disparaître parce que ton espèce est ainsi faite. Ton espèce est ainsi faite parce que tes semblables, avant toi, se sont reproduits comme ils l’ont fait ».
She has been calling for this week and last – the first half of a dry April. The sound enters my attic room through its window, and if I turn from my desk to glance out of that window I see the hill. She has been calling from up there10.
L’oiseau femelle est ici désigné par un pronom féminin : il s’agit d’une caractérisation qui pose la question du travail du sujet animal comme d’un personnage. En anglais, on peut dire « female peregrine falcon » ou « she-peregrine falcon » ; ou même « she-peregrine » (formulation utilisée par J.A. Baker dans l’ouvrage The Peregrine de 1967, qui a fait date)11. Au lieu d’un adjectif, par essence qualificatif, et donc dans un sens, descriptif (on utilise un lexème supplémentaire pour énoncer une caractéristique), on utilise ici un pronom personnel, affixé ; préfixant, même. Le « peregrine » devient « she-peregrine ». Et pour tout ce que ce pronom ainsi usité pourrait avoir d’adjectival d’un point de vue linguistique, il n’en reste pas moins qu’il ré-émerge plus loin comme pronom de plein statut, et de façon répétée pour désigner l’individu.
L’anglais n’a plus de genre neutre stricto sensu. Grammaticalement, la langue est équipée d’un système animé/inanimé. Dans l’animé existent deux genres, dans l’inanimé un seul, le IT. C’est lui que l’on utilise communément pour les animaux, linguistiquement inanimés, sauf pour ceux, généralement dotés d’un nom propre d’ailleurs, qui font partie des familles, ou ont tissé avec des humains des liens amicaux. Utiliser SHE pour un oiseau qui n’est éminemment pas domestique est, linguistiquement, une anomalie ; et donc stylistiquement, un choix significatif. C’est une incursion dans le territoire de la familiarité, dans un contexte qui, spatialement, interspécifiquement, ne s’y prête pas. L’oiseau mâle, lui, est désigné par un pronom masculin. Il en résulte que ce couple est affecté d’une double prérogative. De spécimens il devient individus, et d’individus il devient personnages.
Au sujet des balbuzards, aussi traités dans cet essai, on lit :
These were native birds, but they were hunted to extinction in the nineteenth century. Then, in the mid-twentieth, they began to creep back, and with human help the osprey have now re-established 150 nest-sites in Scotland, and even one in England. Some sites are famous; they are public spectacles with viewing places and video link-ups12.
Oiseau ressuscité d’entre les morts, le balbuzard (et la balbuzarde) sont aujourd’hui l’objet d’un « spectacle » et sont visibles par des « liens vidéo », des « webcams ». L’oiseau miraculé d’une catastrophe, dont le prédateur est devenu l’adjuvant (comme dans un roman initiatique, ou dans un évangile…) est aujourd’hui regardé par les humains, comme un candidat de télévision-réalité. On le surveille, l’observe de loin, et l’on suit ses faits et gestes, ses amours, ses aventures. La transition est consommée : le spécimen est devenu une personne, sinon même une personnalité. L’anglais utilise d’ailleurs ici un singulier de sens pluriel, comme souvent pour les noms d’animaux. De même le son de l’oiseau pénètre dans le bureau, situé dans le grenier. L’anomalie audible du son dans un espace privé, son intrusion, presque, dans la sphère de l’écriture, a fait muter l’oiseau.
Une mutation d’un autre genre et tout aussi capable de changer son statut, montre l’oiseau mort :
It wasn’t the dead bird we saw, lying on the turf, not at first, but a tiny wing of metal. I said, “look, what’s that?” And Stuart replied, “storm-petrel. They breed here. But ringed – that’s a real find.”
So here it is on my desk, in a polythene sample bag. An ex-storm-petrel, just a clump of desiccated feather and bone, with a tiny ring on its hooked up leg. When you report a ringed bird, it’s called a ‘recovery,’ but this one was beyond hope of that.
My five-volume wartime Handbook to British Birds says that storm-petrels are “essentially pelagic”; they “never occur inland, except as storm driven waifs.” That’s the kind of language they inspire13.
Dans cet extrait, Jamie, qui accompagne un ornithologue, vient de retrouver un océanite tempête, ou pétrel tempête, mort, doté d’une bague de suivi. L’oiseau est ramené à son statut de spécimen en capacité de se reproduire. Il est ramené aux caractéristiques d’une espèce, son caractère pélagique, ses habitudes. Ce qui distingue cet oiseau-là d’autres vus précédemment, c’est le fait qu’il est mort. Le pétrel tempête mort, arrangé dans un sac pour l’observation, est isolé de ses observateurs, de Jamie, pour éviter la contamination, sans doute. Mais il est isolé d’une autre manière, bien plus indiscutable. Le pétrel mort, sur le bureau, n’est plus qu’un « ex-pétrel ». La préfixation change, il ne s’agit pas d’un pronom, mais d’un préfixe. Le pétrel n’est plus. Et de plus, il n’est plus un pétrel. Sa mort l’a fait changer, muter encore, pour devenir une chose indescriptible, un paradoxe de l’être, « une masse de plumes et d’os desséchés ».
Ici, Jamie utilise l’intertexte d’un guide d’observation pour indiquer un fait de langage particulier. On ne parle pas de ce pétrel comme on parlait des autres oiseaux. Elle n’a plus la parole, pas plus que d’éventuels compagnons dont le discours a été rapporté dans d’autres essais. Ce qui prend la parole, c’est une métalangue dont le but est de décrire des espèces. Elle fonctionne à l’aide du présent de vérité générale, de l’absence de pronom personnel animé, de la généralisation. Voilà ce que suscite l’oiseau mort. Un langage lui-même mort parce qu’il n’est plus que livresque. Un livre technique, qui ne remarque pas l’individu qu’il y aurait eu à voir, quoique l’auteur sans nom se soit laissé aller à une faible portion de lyrisme, évoquée à la fin de l’extrait cité…
Bien sûr, on n’invente rien en disant qu’il faut tuer pour disséquer14, et que l’observation tue. Encore qu’il ne faille pas tuer, plutôt même le contraire, pour observer les habitudes. Mais ce qui frappe ici est plutôt le caractère péremptoire de la perte d’identité. Cet oiseau identifié par sa bague – c’est-à-dire aussi identifié que peut l’être un oiseau sauvage pour un ornithologue – n’est plus ce qu’il était, tout identifié qu’il est. Celui-ci est amené à lutter, à se sacrifier, pour susciter le langage du poète. Et pourtant…
There’s a lovely poem by Richard Murphy, called ‘Storm petrel,’ which begins: ‘Gipsy of the sea / in winter wambling over scurvy whaleroads / jooking in the wake if ships…’15
La citation s’arrête ainsi, sans plus d’explication. Il n’en reste pas moins qu’en passant, le pétrel – vivant – a fait reparaître chez le poète trois mots rares (« scurvy » : méprisable ; « wambling » : marcher d’un pas nauséeux ; « jooking » : transperçant). Ainsi la binarité, dans ce bref passage, est appuyée : l’oiseau vivant est un oiseau de poète. À l’ornithologue nous laisserons l’oiseau mort.
Dans le même essai, Jamie donne un exemple de ce statut de l’oiseau comme élément du paysage que je mentionnais plus tôt.
The colony was obvious: half a mile ahead, a column of birds turned bright and white in the summer air. They were visible as a loose plume as we walked over the island toward them, and doubtless visible for miles out to sea. […] The closer we got to the cliff edge the more we could hear the racket, the more the breeze brought us the smell16.
Les oiseaux sont visibles de loin, donc, en tant que groupe (notons au passage que l’anglais est beaucoup plus fourni que le français en matière de noms de groupes). Un groupe de « gannets », des fous de bassan, est donc une « gannetry ». Encore que… la gannetry désigne surtout l’endroit où se regroupent les oiseaux. En tout état de cause, la présence des oiseaux en groupe est ici non seulement un élément du paysage, ce que je développerai plus tard, mais aussi la garantie qu’ils ne sont observés que de loin. L’effet synesthésique de groupe, visible, audible et odorant, fait en sorte que les habitudes de l’oiseau individuel sont observées depuis une certaine distance, et avec un certain détachement. Cette observation de loin est une nécessité, quand c’est un oiseau vivant que l’on observe. À part dans la pratique de l’ornithologue averti ou du photographe animalier chevronné, l’observation d’un oiseau se fait nécessairement de loin. Farouche, l’individu ailé ne se laisse pas souvent approcher. Qui n’a pas le souvenir, ou les souvenirs, enregistrés comme exceptionnels, d’oiseaux qui restent proches ? Enfant, on nous dit qu’ils sont malades ou affamés, qu’il ne faut pas essayer de les toucher. Adultes, soit nous avons assimilé cet ordre souvent injustifié, soit nous tentons de nous approcher, en défi des voix de l’interdiction ; mais alors c’est l’oiseau qui se retire. Et c’est bien en vain qu’on l’appelle, s’il lui convient de refuser. Il peut refuser l’appel certes, mais il ne peut refuser l’appellation. Parler d’une « gannetry » plutôt que d’un-e « gannet », ce serait, identiquement, donner un nom à l’ensemble lointain, dans l’incapacité de nommer et d’appréhender la chose que l’on nomme.
« Gannets glitter. They’re made for vision, shine in any available light, available to see and be seen »17 Cette considération gnomique et définitoire, rare chez Jamie, mais finalement rendue opportune par ce qu’il y a de poétique dans l’expression, atteste de ce qu’il y a de singulier dans la vision de Jamie, dans sa cohabitation avec les oiseaux. Ainsi les fous de Bassan brillent de leur éclat singulier. Ils sont faits pour la vue. Les fous, comme un phare discret, scintillent à la manière de la mer qu’ils jouxtent. Remarquons que ce sont les fous, au pluriel, qui s’offrent à la vue et s’adonnent à voir, plutôt que le fou isolé. Pour éviter soigneusement ce qu’il y aurait de simplement ornithologique, Jamie prend un recul nécessaire pour voir le groupe plutôt que le spécimen.
Un autre cas particulier à rapprocher du précédent est celui du râle des genêts (crex crex). Un ornithologue du XIXe siècle fait la remarque suivante :
Few persons can have spent the summer months in the country, and enjoyed their evenings in the open air, without having grown familiar with the note of the Corn Crake; yet, strange to say, among those who have heard it on numberless occasions, not one in a hundred (leaving sportsmen out of the account) have ever seen one alive18.
John Clare, poète romantique anglais, en dit ceci dans un poème éponyme :
Tis like a fancy everywhere
A sort of living doubt
We know tis something but it neer
Will blab the secret out
[…] Tis still a minutes length or more
Till dogs are off and gone
Then sings and louder than before
But keeps the secret on
Yet accident will often meet
The nest within its way
And weeders when they weed the wheat
Discover where they lay
And mowers on the meadow lea
Chance on their noisy guest
And wonder what the bird can be
That lays without a nest19.
Ce poème à la fois étrange et domestique, Jamie l’a en tête quand elle va à la rencontre de cet animal difficile à observer dans Findings. Dans un chapitre éponyme dédié à l’oiseau, Kathleen Jamie passe une nuit à écouter, et à chercher à voir, des râles des genêts. Ils sont audibles, sans aucun doute, mais ne se révèlent que difficilement, et beaucoup plus tard :
I see no corncrake. Maybe it’s just as well. In Shetland they held it was very bad luck, actually to clap eyes on the thing.
When later that day I do see one, it’s scuttering away from the wheels of the car. Like the miniature roadrunner, a slender upright hen with hunched shoulders and strong, long, pinkish legs, it squeezes under a wire fence, and with relief vanishes among the irises, even as I brake. It’s the colour of slipware and looks, in that glimpse, like an elegant ceramic water jug suddenly come to life. That’s that. I do not punch the air20.
Le moment tant attendu s’est enfin produit, et on voit bien le genre d’impression qu’il fait. Telle la Lady of Shalott à qui on avait interdit de regarder le monde, sauf dans son miroir, l’observatrice, pourtant avertie de la malédiction, sent bien qu’elle a perdu quelque chose, à voir l’oiseau.
Immédiatement après s’être rendu visible (par erreur ou par urgence, sans doute) l’oiseau disparaît à nouveau. La description donnée du râle en dit long par ailleurs, sur ce qui pourrait en quelque sorte justifier qu’on ne les voie pas. Là où le râle des genêts s’entend, toute possibilité existe pour une certaine idée de sa beauté. Oiseau hypnotique et opiniâtre, il perd beaucoup à être vu, parce qu’il est laid et mal conformé. Comparé à un pichet, au Bip Bip du cartoon (« Roadrunner » dans l’anglais original, pour l’animateur de cartoon comme pour l’ornithologue), l’oiseau aurait mieux fait, au fond, de ne pas se laisser voir.
Quand John Clare, tel que cité par Jamie, met en avant cette « sorte de doute vivant », il insiste sur cette invisibilité du râle. Chez Clare, en revanche, le râle vu ne déçoit pas tant qu’il rend perplexe : où niche-t-il, cet habitant des chaumes ? Comment vit-il ? Questions insolubles à première vue, qui descendent sur l’observateur comme une punition faite à sa curiosité.
D’autres oiseaux en revanche se font voir beaucoup plus volontiers, et tels qu’ils sont vus, de loin, de près, avec les yeux ou avec l’imagination, ils constituent cette chose à voir par excellence qu’est le paysage. Je propose trois occurrences du phénomène, tirées du recueil de poésie The Overhaul.
“Even the raven”
[…] and the hills across the firth
golden, as the cloud lifts – yes
it’s here, everything
you wanted, everything
you insisted on –
Even the raven
his own crocked voice
asks you what you’re waiting for21.
Le corbeau (corvus corax, le grand corbeau, devenu si rare en France sauf dans les montagnes, et presque éteint en Grande-Bretagne, sauf en Écosse) est ici celui qui parle, et qui appelle. Je passerai sur le lyrisme confondant de la miniature, pour me concentrer sur l’assimilation du corbeau au paysage. Nul ne peut lire une référence aux corbeaux dans un contexte écossais sans penser à la fameuse ballade des « Twa Corbies ». Cette variante écossaise de la ballade anglaise des Trois corbeaux (« The Three Ravens ») prend un tour singulièrement plus sombre. Là où la version anglaise se concentre sur la loyauté des animaux accompagnant un chevalier mort, qui défendent le corps du défunt héros contre les assauts de trois corbeaux, la version écossaise voit les corbeaux s’attaquer au corps du chevalier dont on ne sait s’il est vivant ou mort d’ailleurs, et raconter leur repas. Repus, ils prévoient ensemble d’utiliser ses cheveux pour faire leur nid. Ces corbeaux-là, faiseurs d’espace car bâtisseurs de nid, ont ceci en commun avec le paysage naturel, qu’ils en sont une expression tangible. En effet, le corps du chevalier, promis à la corruption sous les éléments, voit son démantèlement hâté par le repas des oiseaux. Les oiseaux, sinistres, collaboreront avec les éléments à la corruption de la dépouille du chevalier.
Le poème de Jamie est certainement beaucoup moins affreux. Mais ici aussi les oiseaux sont un morceau du paysage. Ils sont tout simplement typiques, pour commencer. Leur voix traverse l’estuaire, par ailleurs, faisant d’eux les agents d’une atmosphère dont on comprend qu’elle était ce que la personne à qui l’on s’adresse demandait. Et puis, on le sait, l’Écosse à son lot de toponymes bien particuliers, issus de l’accumulation de strates linguistiques pré-indoeuropéennes, celtiques, scandinaves puis germaniques méridionales, et aussi de noms d’objets géographiques spéciaux. Un « firth », mot tiré du norrois « fjörðr », est un fjord à l’écossaise. La simple mention de cet élément du paysage, associée qui plus est aux corbeaux tout à la fois sinistres et sereinement inscrits dans le « cours des choses », suffit à situer puissamment le propos du poème dans un contexte culturel écossais.
La perspective s’inverse, et s’universalise quelque peu dans l’extrait suivant :
“The Wood”
She comes to me
as a jay’s shriek,
as ragged branches shading
deerways I find myself
lost among for days
[…] This time, she says, I’ll keep you,
so you never have to face them all again22.
Ce n’est plus de paysage strictement écossais qu’il s’agit ici. Et on pourrait même ajouter que ce n’est pas la voix d’un oiseau, qui se donne ici à entendre. Dans ce bois essentiel, le bois du conte de fées, hors du temps et hors-milieu, dont les essences et la topographie restent mystérieuses, une voix s’adresse à une autre, pour apporter un réconfort énigmatique. Mais ce qui frappe dans ce poème, c’est la comparaison. La première voix, incarnée, et désignée par la troisième personne du singulier, s’approche comme le cri d’un geai. Il n’y a rien d’a priori réconfortant dans le cri d’un geai. Il est râpeux et strident. C’est bien l’incarnation de cette voix, et non cette voix elle-même qui s’avance dans le bois, telle le cri d’un geai, alors que les branches décharnées abritent la coulée des cerfs. « Elle vient à moi comme le cri d’un geai ». L’oiseau, est simultanément un outil de comparaison, une métonymie du bois, et à lui tout seul le réseau symbolique d’un paysage qui prononce obscurément des paroles lénifiantes.
Un dernier extrait, peut-être plus direct, confirme :
“The Roost”
Dusk, and the black rooks
rise from their stubble-fields,
returning to the pine-copse
they quit at dawn.
Kaah… kaah…. kaah… they proclaim
their shared release,
straggling in loose groups
above hedges and the river23.
Un « roost » est comme un perchoir, ou plutôt, une zone composée de multiples perchoirs, comme la colonie de fous croisée plus tôt.
Ici, c’est au moment où le jour tombe que s’élèvent les corneilles. Elles sont l’essentielle réciproque du jour qui a précédé. Elle font partie intégrante de la nuit de ce bosquet de pins. En d’autres termes, et plus précisément, elle constituent une partie essentielle du bosquet de pins, la nuit. Le jour, au contraire, elles occupent, et identiquement constituent, une partie d’un champ récemment moissonné. Attachées au champ la journée (« shared release »), elles en sont libérées par l’arrivée de la nuit. Ce mouvement de balancier, qui n’est pas sans rappeler le mouvement de la migration, mais rejoué à une échelle réduite, permet dès lors à l’oiseau de faire figure de composant d’un paysage en mouvement. La nuit, les pins. Le jour, le champ. Entre temps, le vol de corneilles s’étend au-dessus des haies et de la rivière ; ce faisant, elles chevauchent les limites que la topographie impose, et envahissent le lieu, se fondant sur lui, déjouant ses blocages et dépassant ses seuils.
En outre, les oiseaux ne sont pas uniquement capables de dissoudre les limites d’un paysage, ou d’en délimiter la portée symbolique ou iconique. Par l’utilisation de la langue du lieu, dans la toponymie ou dans le texte du poème lui-même, Jamie ajoute une prérogative à cet oiseau-paysage, à savoir une sorte de topo-nymie au sens élargi.
There are gannet stations all around the coast; some have been active for centuries. Grassholm, Little Skellig, Ailsa Craig: I can rhyme off their names. Stac Lee and Stac an Armin on St Kilda, Sula Sgeir and Sule Stack out in the Atlantic and named after ‘solan,’ which is the gannet24.
Non content d’avoir, pour l’espèce, un nom spécifique donné au lieu de nidification, le fou donne son nom aux lieux jusque dans le détail de la langue gaélique, telle qu’elle vit dans la toponymie. Le mot gaélique « súlaire » pour « fou de bassan » nomme une éminence rocheuse, qui se trouve être une « gannetry ».
Les termes de dialecte (scots) sont récurrents pour parler des oiseaux et de leurs bruits. On lit ici et là qu’ils font un sacré « stramash » (vacarme) ; que d’autres, malgré le boucan de leurs voisins, arrivent à couver en entrant dans une sorte de « dwam » (état de rêverie ensommeillée) ; un vieil homme regrettant que d’autres plus jeunes ne portent pas aux faucons pélerins la même attention que lui, regrette : « Aye, the young wans are no interestit »25 ; les noms du râle des genêts sont égrenés : « Corncrake, Landrail, King of the Quail, the croaking one of the cornsheaf, the nutty noisemaker, the quailie, the weet-my-fit »26. Jamie écrit principalement en anglais, mais pas seulement. Elle est locutrice du scots, et possiblement familière du gaélique. L’inclusion de ces termes dans le corps des textes, elle l’explique elle-même : « Knowing birds is like being fluent in a foreign language, or adept with a musical instrument »27.
Ainsi la familiarité avec l’oiseau confère-t-elle à l’humain un pouvoir supplémentaire : il comprend, comme François d’Assise d’après la légende, les oiseaux qui l’entourent. Mais plus encore ici qu’une langue étrangère, on peut sans peine imaginer que pour une auteure écossaise, le scots et le gaélique sont des langues intimes, secrètes, endotiques (par opposition à des langues exotiques, notables, intéressantes ou énigmatiques car extérieures).
Dans The Tree House, Kathleen Jamie fait le pont entre cette langue étrangère, qui m’est étrangère, et cette langue familière.
“Hame”
… when, in the yella glebe
grouin corn reeshles,
and the ickers nod, like at hairst,
– but nou, ablo the aiks lift,
whaur ah wunner an spier
heivenward, yonner
weel-kent bell jows
gowden notes,
at the oor the birds wauken
ance mair. And a’s weel28.
Ici les oiseaux appellent l’arrivée du soir ; et à mesure qu’ils le font, le paysage dessine son nouveau visage.
Le poème est présenté comme étant composé d’après Hölderlin, adapté et réécrit en scots. Le poème original, non cité, semble célébrer la familiarité du paysage, la sérénité du « Wanderer » qui retrouve la maison. Chez Jamie, le poème prend une dimension supplémentaire. Il n’est pas un poème original, mais il n’est pas non plus un poème dans un recueil intégralement traduit. Plutôt, il est inclus dans un propos de création personnelle, et Jamie le fait sien par la réécriture et l’usage du dialecte. Cette célébration de la familiarité et de la domesticité du paysage, Jamie se l’approprie en la reformulant. Elle réinvente le Romantisme situé de Hölderlin, et l’intègre dans un propos du XXIe siècle, qui d’ailleurs, et notamment dans son rapport au savoir et à l’observation, a peut-être encore quelque chose de romantique.
Ce qu’il faut entendre par ce rapprochement historique, c’est qu’il y a chez Jamie quelque chose qui rappelle aussi l’écriture diaristique de romantiques anglais comme Wordsworth. L’observation y tient une large part, de même que dans la poésie, de Wordsworth comme de Jamie, l’adresse tient une large part. Qu’elle soit invocatoire ou conversationnelle, l’adresse est formulée comme un appel dirigé vers l’oiseau.
Dans un cas en particulier, un poème retranscrit un appel des humains vers les oiseaux. Ici, un couple de balbuzards revient de sa migration, et la communauté des humains les accueille en ces termes :
“Ospreys”
What do you care? Either way,
There’ll be a few glad whispers round town today:
that’s them, baith o’them, they’re in29.
La parole humaine à nouveau dialectale, quoique cette fois-ci en anglais – avec un accent scots – plutôt qu’en scots, sert ici comme d’appeau, moins pour attirer que pour accueillir les oiseaux. Au fond, utilisant un appeau, se réjouit-on plus d’attirer les oiseaux, ou de réussir à imiter leur cri ? La structure grammaticale accumulative du dernier vers, avec ses allitérations en /θ/ et /ð/ (les fricatives dentales non-voisées et voisées du -th-), ses répétitions, rappelle l’effet que feraient ces instruments de complexité variable. Ici, la note principale de l’appel, c’est la troisième personne du pluriel. Le they/them, celui qui n’est pas le nous, mais qui revient vers nous.
Dans « flight of birds », la première étape est celle d’une observation des oiseaux en groupe, et elle est suivie d’une brève méditation :
– suppose, at last ditch, we gathered
empty-handed at the town’s edge and called
each bird by name…30
Ici la poétesse demande : « supposez que, en dernier ressort, ensemble / les mains vides à la lisière de la ville nous appelions / chaque oiseau par son nom ». Quel est ce nom ? Celui de l’espèce, ou bien celui de l’individu ?
Plus loin dans le même poème, le cri des oiseaux est rendu par un « Whither ? Whither ? » Les oiseaux du bord de mer répètent l’interrogatif « vers où ? » en regard des humains, pour qui leur vol reste si insondable, proférant de muets auspices. L’association binaire est d’ailleurs un outil marquant, notamment dans la prose de Jamie, qui contribue à rappeler stylistiquement, presque sémiotiquement, la façon aviaire de faire de la poésie. On relève dans Sightlines (p. 73-89) les expressions « bright and white », « squalor and noise », « fuss and bother », « sound and spectacle », « shredded nerve and argy-bargy », « noise and smell », « squalor and dramas » (respectivement, « clair et blanc », « saleté et bruit » ; « agacement et gêne » ; « son et spectacle » ; « nerfs à vif et brouhaha » ; « bruit et odeur » ; « saleté et manières »).
Les onomatopées elles-mêmes sont souvent articulées sous cette espèce de la réduplication. Linguistiquement parlant, la réduplication est un des premiers éléments d’enrichissement de l’expression dont les humains disposent. Elle est aussi, dans les civilisations de langues indo-européennes entre autres, le ressort des premières paroles que l’on inflige aux enfants encore incapables de parler. On parle de pipi et de caca, de bobo, de su-su, etc. Jamie retranscrivant les bruits des oiseaux utilise « urr-urr », « kaah-kaah-kaah », « crek-crek ». Ces bruits dénués de sens, hormis bien sûr le sens que Jamie ou le lecteur cherchent à y interpréter, sont une certaine enfance de l’expression, pour ainsi dire.
Au chapitre « Crex-crex », sur le râle, on lit pourquoi :
Its call – you’d hardly call it a song – is two joined notes, like a rasping telephone. Crex Crex is the bird’s Latin name, a perfect piece of onomatopoeia. Crex-crex, it goes crex-crex31.
Ce passage pose la question essentielle de l’onomatopée, et même de l’onomatopoétique.
Que fait-on avec une onomatopée (comme avec l’appeau) ? Cherche-t-on a translittérer, ou transcrire en sons humains le son d’un animal (pour l’imiter) ? Ou cherche-t-on plutôt à lui donner un nom qui ressemble au bruit qu’il fait ? Ou encore, cherche-t-on à créer un mot qui ressemble à ce son, et qui sera utilisé pour quelque effet indéterminé ?
Le râle des genêts règle la question, en la compliquant d’un cran de plus. Il fait un bruit effectivement très proche de son nom. On l’appelle par son bruit (soulignons que râle vient lui aussi d’une onomatopée… Comme le « rail » de « landrail »…), et quant à lui, il fait son bruit pour s’appeler. Pour appeler un congénère. Mais ce faisant il se présente à l’humain. « Je suis Crex, je fais ‘crex’ ». Voilà peut-être une idée de ce que pourrait être cette onomatopoétique : une poétique de la nomination, dans le réseau difficilement systématisé des appels et appellations.
Ainsi, en plus de se donner des noms, les oiseaux nomment d’autres oiseaux. Des mouettes s’adressent à un rapace juvénile :
“Halfling”
Already
the gulls shriek Eagle!
Eagle! – they know
more than you
what you’ll become32.
Elles ont la capacité de nommer, elles dupliquent, elle savent, tels des visionnaires inspirés, tels des oiseaux-prophètes. Elles possèdent un savoir qui leur permet de produire des mots, d’autres onomatopées, dans une onomatopoétique inter-animale. Voilà donc peut-être l’ultime raison du chant des oiseaux : se dire qui ils sont destinés à être.
Notons enfin une qualité toute particulière, quoique non unique, de la littérature de Kathleen Jamie : elle est essentiellement attachée à un milieu, et ne peut se détacher de celui-ci. Il ne s’agit pas ici de sentiment national ou même d’appartenance régionale, mais plutôt du résultat d’une écoute précise et profonde de ce qu’un paysage peut dire, où qu’il soit et quoi qu’il recouvre. Je propose ici de qualifier les œuvres examinées d’hyper-topiques.
L’oiseau, en plus d’être, comme chacun sait et a pu l’observer, bâtisseur, équarrisseur ou source de nourriture, devient donc migrateur, et polyglotte, et même poète et lexicographe tout à la fois. L’oiseau ici n’est aucunement allégorique ; plus volontiers, Jamie concentre ses regards et son écoute sur les qualités qui lui sont propres, et qui apparaissent comme telles à qui se donne la peine de regarder, de loin, cet invisible – pour écouter ce qu’il dit et qu’on ne comprend pas.
[1] « […] une écriture qui rassemble les visions du naturaliste et du poète. Elle s’efforce, selon des proportions variées, d’allier l’approche scientifique, la vision esthétique, l’utilisation métaphorique des phénomènes naturels et le travail créatif de la langue », Michel GRANGER, « De la nature transcendantaliste à l’écologie », introduction de Henry David THOREAU, Teintes d’Automne & La succession des arbres en forêt, trad. Nicole MALLET, Marseille, Le Mot et le Reste, 2012, p. 15.
[2] Richard MABEY, in Kathleen JAMIE, Findings, Londres, Sort of Books, 2005, jaquette : « Kathleen Jamie possède un sens de l’écoute suprême. Son attention – aux appels des faucons pèlerins qui nichent près de sa maison, à l’obscurité débordante des chambres néolithiques de Maes Howe, aux appels sourds de squelettes embryonnaires dans un musée de médecine – possède une qualité d’immédiateté qui le dispute à l’héroïque. Et dans le calme de son écoute, c’est sa voix propre que l’on entend : claire, subtile, respectueuse, et d’une curiosité si illimitée qu’elle recrée le monde. L’écriture ne s’approche pas si souvent de ce que serait une conversation avec le monde naturel ». Nous proposons ici notre traduction de ce texte inédit en français, de même que pour toutes les citations qui suivent. « Findings » pourrait être traduit par « Trouvailles ».
[3] Ibid.
[4] Kathleen JAMIE, Sightlines, Londres, Sort of Books, 2012. Le titre pourrait être traduit par « Lignes de visée ».
[5] Kathleen JAMIE, The Tree House, Londres, Picador, 2004. Le titre pourrait être traduit par « La cabane dans les arbres ».
[6] Kathleen JAMIE, The Overhaul, Londres, Picador, 2012. Le titre pourrait être traduit par « La révision ».
[7] Kathleen JAMIE, Sightlines, Londres, Sort of Books, 2012, p. 74 : « La seule demande qu’un futur insondable leur adresse : procrée ! Procrée ! »
[8] Ibid. p. 80 : « Je suppose qu’ils sont à la merci de leurs instincts ».
[9] Kathleen JAMIE, Findings, Londres, Sort of Books, 2005, p. 30. « Les gens commencent à parler : est-ce un oiseau ? Un agneau perdu ? Quelqu’un a dit qu’il pensait que c’était un animal blessé sur le bord de la route, un lièvre ou un renard. Mais même si la moitié du village peut l’entendre, le faucon mâle doit bien savoir que c’est à lui seul que ça s’adresse ».
[10] Ibid. p. 29.
[11] John Alec BAKER, The Peregrine (1re éd. 1967), Londres, Collins, 2015.
[12] Kathleen JAMIE, Findings, op. cit., p. 46 : « C’était là des oiseaux indigènes, mais on les avait, au XIXe siècle, chassés jusqu’à l’extinction. Puis, au milieu du XXe, ils sont revenus discrètement, et avec l’aide des humains, les balbuzards ont aujourd’hui ré-établi cent cinquante sites de nidification en Écosse, et même un en Angleterre. Certains sites sont connus ; ils sont des spectacles publics, avec des postes d’observation et des webcams ».
[13] Kathleen JAMIE, Sightlines, op. cit., p. 211 : « Ce n’était pas l’oiseau mort que nous voyions, couché sur la tourbe, pas initialement, mais une petite aile de métal. Je lui ai dit : ‘regarde, qu’est-ce que c’est ?’ Et Stuart m’a répondu : ‘un pétrel tempête. Ils viennent ici pour ce reproduire. Mais il est bagué – ça c’est une trouvaille’. Alors il est là sur mon bureau, dans un sac de prélèvement en plastique. Un ex-pétrel tempête, juste un amas de plumes et d’os desséchés, avec une bague sur sa patte qui était accrochée. Quand on signale un oiseau bagué, on dit qu’on le ‘récupère’ ; mais celui-ci était au-delà de tout espoir de récupération ». Mon Guide des Oiseaux de Grande-Bretagne, qui date de la dernière guerre, dit que les pétrels tempêtes sont ‘essentiellement pélagiques. On ne les trouve jamais dans les terres, sauf sous la forme d’animaux errants mus par les tempêtes.’ Voilà le genre de langue qu’ils inspirent ».
[14] « We murder to dissect » ; « Nous tuons pour disséquer », rappelle Wordsworth dans « The Tables Turned », cf. William WORDSWORTH et Samuel Taylor COLERIDGE, Lyrical Ballads [1798], Londres et New York, Routledge, 2005.
[15] Kathleen JAMIE, Sightlines, op. cit., p. 211 : « Il y a un joli poème de Richard Murphy, intitulé ‘le Pétrel tempête,’ qui commence comme ça : ‘Gitan de la mer/ marchant d’un pas nauséeux sur les méprisables chemins des baleines/ transperçant la surface des eaux dans le sillage des navires...’ ».
[16] Ibid. p. 211 : « La colonie était évidente : à un kilomètre, en face, une colonne d’oiseaux prenait dans l’air d’été un aspect de blancheur et de brillance. Ils étaient visibles comme un panache évanescent tandis que nous traversions l’île vers eux, et sans doute aussi depuis plusieurs kilomètres de distance par la mer. […] Plus nous nous rapprochions du bord de la falaise, plus nous entendions le vacarme, et plus la brise nous apportait l’odeur ».
[17] Loc. cit. « Les fous de Bassan scintillent. Ils sont fait pour la vue, brillent de toute la lumière disponible, disposés à voir et à être vus ».
[18] Charles Alexander JOHNS (1811-1874), British Birds in their Haunts, Londres, Routledge, 1862 (1909), « Landrail or corn-crake, crex pratensis, » p. 228 : « Peu de gens auront passé les mois d’été à la campagne, et auront profité de leurs soirées en plein air, qui ne se seront accoutumés à la note familière du râle des genêts ; pourtant, et c’est étrange, parmi ceux qui l’ont entendu à de nombreuses reprises, pas un sur cent (si l’on excepte les chasseurs de ce compte) ne l’auront vu vivant ».
[19] John CLARE (1793-1864), « The Landrail », John Clare: Poems Selected by Paul Farley, Londres, Faber & Faber, 2007, p. 45. « C’est comme une fantaisie venue de toutes parts, / Une sorte de doute vivant, / Nous savons qu’il est là mais que jamais / Il ne donnera son secret. / Il fait silence une minute ou plus / Jusqu’au départ des chiens / puis il chante, et plus fort qu’avant, / Mais il garde son secret. / Mais par accident parfois on rencontre / Son nid sur le chemin / Et ceux qui arrachent les herbes dans les blés/ Découvrent où ils nichent. / Et les faucheurs sur le pré / Tombent par hasard sur leur hôte bruyant, / Et se demandent quel est cet oiseau, qui niche sans nid ».
[20] Kathleen JAMIE, Findings, op. cit., p. 97 : « Je ne vois aucun râle des genêts. Et c’est peut être pas plus mal. Aux Shetland on pensait même que ça portait malheur, de poser les yeux sur l’affaire. Quand plus tard ce jour-là j’en vois un en effet, il s’en va cahin-caha de sous les roues de la voiture. Comme le petit géocoucou véloce, un oiseau fin, dressé, aux épaules tombantes, et des pattes longues, fortes, rosées, il se force un passage sous la clôture, et disparaît avec soulagement dans les iris, au moment même où je freine. Il est couleur d’engobe et, d’un coup d’œil, a l’air d’un joli broc en céramique qui aurait soudainement pris vie. Et puis c’est tout. Je n’en fais pas un plat ».
[21] Kathleen JAMIE, The Overhaul, Londres, Picador, 2012, p. 49 : « Même le corbeau / et les collines de l’autre côté de l’estuaire / dorées, tandis que le nuage s’élève – oui / c’est là, tout est là / de ce que tu voulais, tout / ce que tu insistais pour avoir – / Même le corbeau / sa propre voix instable / te demande ce que tu attends ».
[22] Ibid. p. 45 : « ’La forêt’ / Elle vient à moi, / comme le cri d’un geai, / comme des branches ombrageant / les coulées des cerfs sur lesquelles je me retrouve / perdue des jours durant. / Cette fois, / dit-elle, Je te garderai, / Et tu n’auras plus jamais affaire à eux ».
[23] Ibid. p. 44 :« Le crépuscule, et les corneilles noires / s’élèvent de leurs champs de chaumes, / retournant à la pinède / qu’elles quittent à l’aube. / Kah, kah, kah, elles proclament / leur nouveau lâcher commun, / et passent en groupes désorganisés / par-dessus les haies et la rivière ».
[24] Kathleen JAMIE, Sightlines, op. cit.,, p. 87 : « Il y a des stations de fous tout le long de la côte ; certaines sont actives depuis des siècles. Grassholm, Little Skellig, Ailsa Craig : le peux faire la liste rimée de leurs noms. Stac Lee et Stac an Armin sur St Kilda, Sula Sgeir et Sule Stack, au large dans l’Atlantique, qui tirent leur nom du ‘solan’, le fou ».
[25] « Hélas, les jeunes ne s’y intéressent plus », en scots.
[26] Ces termes pourraient être traduits, respectivement, par : « râles des genêts, râle des genêts, roi des cailles, le croasseur de l’épi, le bruyant fou /couleur de noisette, la caillotte, le mes-pieds-sont-mouillés ».
[27] Kathleen JAMIE, Findings, op. cit., p. 92 : « Connaître les oiseaux c’est comme parler couramment une langue étrangère, ou maîtriser un instrument de musique ».
[28] Kathleen JAMIE, The Tree House, op. cit., p. 28 : « … quand, dans la terre jaune, / le grain qui pousse murmure, / et les épis hochent la tête, comme à la moisson – / mais maintenant, sous les feuilles du chêne, / où je rêve et interroge / le ciel, plus loin / des cloches familières sonnent / des notes d’or, / à l’heure où s’éveillent les oiseaux / à nouveau. Et tout est bien ».
[29] Kathleen JAMIE, The Overhaul, op. cit., p. 5 : « Qu’est-ce que ça peut faire ? De toute façon / Aujourd’hui on entendra dans toute la ville quelques murmures réjouis: /Les voilà, les deux, ils sont arrivés ».
[30] Kathleen JAMIE, The Tree House, op. cit., p. 39.
[31] Kathleen JAMIE, Findings, op. cit., p. 86 :« Son appel – on ne parlerait pas vraiment de chant – est composé de deux notes conjointes, comme un téléphone à la sonnerie rauque. Crex crex est le nom latin de l’animal. Un exemple parfait d’onomatopée. Crex crex, il fait ‘crex crex.’ ».
[32] Kathleen JAMIE, The Overhaul, op. cit., p. 31 :« Déjà, / Les mouettes crient Aigle ! / Aigle ! Elles savent mieux que toi / ce que tu vas devenir ».
Résumé
La poétesse et auteure écossaise Kathleen Jamie, dans deux œuvres de prose et deux recueils de poésies, examine les rapports particuliers du sujet humain à son milieu, en particulier dans ce que celui-ci peut avoir de naturel, de muet et d’ordinaire. En langue anglaise ainsi que dans le dialecte scots, elle explore la perception des mondes humains, animaux et végétaux, pour unir la représentation à la narration des choses vues et entendues. L’oiseau, dans ces œuvres, tient une place majeure, en cela qu’il constitue une voix éloquente dans un monde fait d’individus indépendants des contingences de leurs espèces respectives. Cette voix, entendue, postulée, retranscrite et interprétée, ouvre la perspective d’une réflexion sur ce que signifie l’acte de nommer, aussi bien dans les langues humaines que dans les communications animales.
Abstract
Scottish poet and author Kathleen Jamie, in two prose works and two poetry collections, scrutinises the relationships between human beings and their milieu, whether the latter be viewed as natural, silent, or ordinary. In English as well as in Scots, she explores the perceptions of human, animal and vegetal worlds, and in so doing unites representation with the narration of things heard and things seen. Birds, in this body of works, play a major part, insofar as theirs is an eloquent voice in a world made up of individuals which remain immune to the contingencies of their respective species. This voice, as it is heard, conjectured, transcribed or interpreted, opens up the perspective of a reflection on what naming signifies, in human languages as well as in animal communications.
Clément KABS
Lycée Malherbe, Caen
BAKER, John Alec, The Peregrine (1re éd. 1967), Londres, Collins, 2015.
GRANGER, Michel, « De la nature transcendantaliste à l’écologie », introduction de Henry David THOREAU, Teintes d’Automne & La succession des arbres en forêt, trad. Nicole MALLET, Marseille, Le Mot et le Reste, 2012.
JAMIE, Kathleen, The Tree House, Londres, Picador, 2004.
—, Findings, Londres, Sort of Books, 2005.
—, Sightlines, Londres, Sort of Books, 2012.
—, The Overhaul, Londres, Picador, 2012.
WORDSWORTH, William et COLERIDGE, Samuel Taylor, Lyrical Ballads [1798], Londres et New York, Routledge, 2005.