Le 18 mai 1879 a lieu une création partielle et privée des Contes d’Hoffmann d’Offenbach, dans les salons même de l’appartement du compositeur, seule représentation à laquelle il assistera puisqu’il sera mort lors de la première publique le 10 février 1881. Dès cette première soirée, on va entendre l’air d’Antonia « Elle a fui la tourterelle », mais il faudra attendre la seconde pour découvrir l’autre fameux air, celui d’Olympia « Les oiseaux dans la charmille ». Dans ces deux moments de l’opéra, les deux jeunes filles concernées1 chantent au carré en quelque sorte ; Spalanzani, dans le premier cas, annonce « Ma fille […] va […] vous chanter un grand air »2 et une didascalie précise, pour le second « Antonia (seule assise devant le clavecin chante) »3. Ainsi, même si les situations sont bien différentes – Olympia est en représentation, Antonia soliloque – le parallèle entre ces deux moments est assez évident : deux toute jeunes filles chantent l’amour4 qu’elles découvrent ou sont censées découvrir et ont, pour ce faire, recours à un oiseau. Ces deux exemples tirés du même opéra fixent en quelque sorte une association archétype centrée sur l’oiseau qui devient un motif régulièrement présent dans une forme de chant qu’on pourrait qualifier de romance, chargée de dire le désir d’amour et le plus souvent associée à un jeune être féminin. On pourrait encore songer au jeu plus subtil de l’alouette et du rossignol, objet du déduit amoureux de Roméo et Juliette dans l’opéra de Gounod, déjà présent il est vrai dans la tragédie shakespearienne. Il est donc à peu près avéré que l’oiseau a partie liée avec le monde du chant et tout particulièrement lorsqu’il est question de célébrer l’amour ; Carmen ne nous démentira pas, elle qui nous affirme que « l’amour est un oiseau rebelle ».
Mais dans les exemples cités, l’oiseau est à proprement parler un motif, un ornement bien semblable, voire assimilable à ce qu’il est dans la poésie, comme en témoignent les vers de Ronsard5 par exemple ; il est plus rare que l’oiseau devienne un personnage de l’opéra, qu’il ait un rôle à jouer dans l’intrigue, qu’il s’exprime directement sans avoir à emprunter la voix d’un autre personnage. C’est le cas cependant dans trois opéras qui mettent en scène un oiseau, où le compositeur lui confie un rôle non négligeable sur le plan dramaturgique ; il s’agit de Siegfried de Wagner, de La Femme sans ombre de Richard Strauss et du Coq d’or de Rimski-Korsakov.
Dans le Siegfried de Wagner, l’oiseau paraît dans le deuxième acte dont une didascalie précise qu’il se déroule dans une « forêt profonde. Tout au fond l’ouverture d’une grotte »6. Le héros y vient accompagné de Mime, le nain, son père adoptif, pour tuer le dragon Fafner et lui dérober l’or qui est l’enjeu central de toute la Tétralogie ; avant de le faire, il s’accorde un moment de rêverie bucolique, pendant lequel il entend un oiseau dont le chant le séduit et l’intrigue : « Adorable oiseau ! Jamais je ne l’entendis : es-tu d’ici ? – Comprendrais-je son doux babillage ! C’est sûr, il me dit quelque chose »7. C’est après avoir tué le dragon et avoir accidentellement goûté son sang, qu’il va comprendre, et le spectateur aussi, ce que l’oiseau lui dit.
Pour La Femme sans ombre, Richard Strauss eut le bonheur d’avoir Hugo von Hofmannsthal comme librettiste. Dès le premier acte, nous est présenté un Empereur qui est à la recherche de son faucon rouge ; le rapace était le fidèle compagnon de ce monarque chasseur et il lui a permis tout particulièrement de faire la conquête de son épouse, l’Impératrice qui, fille des dieux des esprits, était métamorphosée en gazelle ; l’Empereur s’apprêtait à la tuer, lorsque le faucon par un coup d’aile a rendu son aspect humain à la jeune femme. Aveuglé par une colère jalouse à l’égard du faucon qui avait touché sa bien aimée, l’Empereur a lancé son poignard sur son compagnon de chasse et l’a blessé. C’est cette faute qu’il déplore et qui motive sa quête : « Ô puisse-je le retrouver ! Comme je voudrais l’honorer ! – Le faucon rouge ! Car j’ai péché contre lui »8. Le faucon rouge se manifestera dans la suite immédiate de l’opéra.
Pour ce qui est de l’opéra de Rimski-Korsakov, l’oiseau est éponyme. C’est dire que le Coq d’or jouera un rôle de premier plan dans un livret inspiré directement d’un conte en vers de Pouchkine. Un astrologue offre au tsar Dodon, un coq en métal précieux qui perché au sommet d’une flèche est capable de prévenir d’un malheur imminent ou au contraire de rassurer ; il veille ainsi à la sauvegarde du royaume et au sommeil du tsar qui a un penchant marqué pour la paresse. Ledit coq chante par deux fois pour annoncer l’invasion ennemie ; après avoir livré bataille, le tsar revient en son palais, mais le coq chante pour annoncer la mort prochaine du souverain et vient piquer le souverain au front, mettant ainsi à exécution sa propre prédiction.
Sur le plan musical, on peut déjà faire quelques observations concernant le traitement que réservent les musiciens à ces personnages oiseaux. Les trois compositeurs appartiennent à trois générations successives9 : Wagner tout d’abord dont les compositions voient le jour dans la seconde moitié du xixe siècle, Rimski-Korsakov dans les vingt dernières années du même siècle et Strauss pendant la première moitié du xxe ; cependant la création des trois opéras que nous considérons ne s’étale que sur quarante-trois ans seulement. C’est dire qu’il existe une sorte de continuum dans l’inspiration musicale et opératique ; ajoutons que Wagner rompt avec une forme qui juxtaposait des numéros (récitatifs, airs, duos, etc.) pour inventer un langage musical plus proche d’une déclamation lyrique suivie, bâti à partir de leitmotive qui caractérisent les personnages – aussi des objets ou des sentiments – et qu’il tisse souvent de façon complexe et subtile ; Strauss et Rimski-Korsakov resteront fidèles à ces principes de composition, reconnaissant l’un et l’autre l’influence inévitable du maître de Bayreuth. On peut donc percevoir, mutatis mutandis, une sorte de cohérence esthétique entre les trois œuvres, ce qui nous autorise à comparer les solutions que les compositeurs adoptent pour intégrer musicalement et scéniquement leurs personnages ailés. Dans un tissu musical suivi, chaque compositeur aura recours au leitmotiv qui permet de détacher la phrase musicale, de la singulariser et de permettre à l’auditeur une identification immédiate.
Pour Siegfried, la scène se déroule dans la forêt, milieu naturel de l’oiseau ; Wagner compose une musique apaisée, propre à la rêverie, celle qui saisit le héros, de laquelle va émerger un thème pentatonique10 joué par des instruments de la famille des bois (hautbois, flûte, clarinette).
Dès qu’il se manifeste, Siegfried y prête attention, puis interpelle l’oiseau, permettant ainsi à l’auditeur d’être lui aussi sensible à cette entrée en scène de l’oiseau. Dans La Femme sans ombre, le faucon rouge fait son apparition dans des conditions assez similaires : l’Impératrice, au premier acte de l’opéra, est sur « un toit en terrasse surplombant les jardins impériaux »11, elle se remémore le moment où le faucon d’un coup d’aile l’a rendue à son état humain. À ce moment, se manifeste un thème introduit par les mêmes instruments que dans Siegfried (hautbois, flûte, clarinette) qui entraîne automatiquement que l’Impératrice reconnaisse, dans le ciel, l’oiseau chasseur qu’elle vient d’évoquer : « Oh ! regarde donc bien [elle s’adresse à la Nourrice], le faucon rouge, celui qui autrefois de ces ailes12 ». Si donc les conditions dramaturgiques qui président à l’entrée en scène de l’oiseau dans ces deux opéras sont assez semblables, si les instruments qui sont retenus pour exprimer son chant sont les mêmes, en revanche, la caractérisation mélodique est fort différente de l’un à l’autre. Wagner cherche à rendre compte d’une virtuosité qui pourrait être le signe même du chant de l’oiseau : une note d’appel, un contre-ut qui fait naître une vocalise en croches et double-croche qui remonte au contre-si13.
Le chant de l’oiseau wagnérien est conçu comme un élan qui imite dans une certaine mesure le vol sinueux et quelque peu désordonné du volatile. Tout autre est le choix de Richard Strauss : il répète la même note (do dièse), en triolets de croches, avec une appogiature récurrente chromatique supérieure (ré), ce qui conduit à un effet lancinant et hypnotique à caractère plaintif14.
Au dynamisme wagnérien s’oppose la répétition obsessionnelle straussienne.
L’entrée en scène du coq d’or dans l’opéra éponyme est fort différente. C’est l’Astrologue qui le présente au tsar Dodon entouré de la cour des boyards. De sorte que l’orchestre n’a pas à manifester cette entrée en scène, c’est l’astrologue qui l’imite en reproduisant l’appel qui sera le sien : trois courtes phrases qui vont du mi au contre-ré, dans un registre aigu bien sûr dont l’emblématique cocorico est chanté sur une mélodie ascendante (si bémol, ré, si, fa)15.
Le dessin mélodique est celui d’un appel, d’une proclamation sur mode ascendant et qui s’achève sur une note aiguë tenue. Le caractère mélodique de ce leitmotiv est donc bien différent de celui des deux précédents.
Dans les trois opéras, à ces séquences musicales où l’oiseau fait son apparition dans l’orchestre ou par le biais de la voix d’un imitateur – l’Astrologue pour l’œuvre russe – de façon indirecte donc, succède la manifestation directe de l’oiseau qui donne à entendre sa voix elle-même. Dans chacune des trois œuvres, le rôle de l’oiseau est chanté par un soprano pas nécessairement colorature, mais qui du moins a un aigu clair et facile. Cette association entre voix de l’oiseau et voix de soprano semble aller de soi dans la mesure où le chant de l’oiseau se situe dans une tessiture naturellement aiguë, en revanche, la féminité de ce chant16 semble moins évidente. En effet, ces trois oiseaux sont plutôt associés à des figures masculines ; Siegfried tout d’abord qui est conseillé et guidé par lui, l’Empereur dont il est une sorte de complice dans le cadre de la chasse, activité qui les unit et le tsar Dodon pour qui le coq devient un garde du corps ou une sentinelle. En cela le registre aigu du soprano qui prête sa voix à l’oiseau n’est pas associé à une expression de la féminité ; d’ailleurs, il est arrivé que l’oiseau de Siegfried ait été confié à un jeune garçon au risque de perdre beaucoup en puissance de projection vocale.
Généralement aussi, le personnage de l’oiseau reste une présence purement vocale, sans incarnation. On peut toutefois indiquer deux semi-exceptions : dans sa fameuse mise en scène du Ring à Bayreuth en 1976, Patrice Chéreau a imaginé que Siegfried grimpe à un arbre où une cage contenant l’oiseau est suspendue17 ; dans sa mise en scène contemporaine18 du Coq d’or, Laurent Pelly fait entrer en scène une danseuse costumée en coq qui mime parfaitement la démarche du gallinacé, mais le mime reste un double visuel du soprano qui reste en coulisses. Malgré donc ces tentatives pour donner corps, avec des moyens fort différents au demeurant, aux oiseaux personnages de leur opéra, les trois compositeurs ne leur donnent pas pour autant un statut dramaturgique et scénique comparable à celui des humains.
Ainsi les prises de parole des trois oiseaux ne s’inscrivent pas dans un dialogue comme on pourrait l’attendre d’un personnage humain. L’oiseau wagnérien parle de Siegfried à Siegfried, mais en empruntant la troisième personne, celle de l’absent : « Hei ! c’est à Siegfried le trésor des Nibelungen ! Oh s’il le trouvait le trésor dans la grotte etc. » puis « Hei ! le heaume et l’anneau sont maintenant à Siegfried ! Oh s’il se méfiait de Mime le traître etc. »19. De la même façon, le faucon de La Femme sans ombre, parle de l’Impératrice en sa présence, en la désignant par une troisième personne : « La femme ne projette aucune ombre »20. Pour le coq d’or, la prise de parole emprunte une énonciation différente ; sa première intervention est la suivante : « Cocorico, cocorico, tu peux dormir en paix ». Ici, l’adresse vise un interlocuteur, le tsar, à qui la recommandation21 est clairement destinée en contexte. Mais pas plus que pour les deux autres oiseaux, un dialogue ne s’engage entre lui et les autres personnages ; bien moins même, devrait-on dire, dans la mesure où cet oiseau-là suscite le doute sur son degré de réalité. La plupart du temps, les metteurs en scène font le choix de montrer un coq tel qu’on peut en trouver sur les flèches des églises, exhibant ainsi que sa prise de parole paraisse miraculeuse.
Mais un personnage qu’il soit de théâtre ou d’opéra se définit entre autres par sa situation au sein d’une distribution et la relation qu’il entretient avec les autres personnages22. Si la présence de l’oiseau est bien réelle et effective, elle échappe aussi au type de présence des autres personnages quelle que soit leur importance au sein de l’intrigue. Pour mieux cerner leur fonction au sein de la fable à laquelle ils apportent leur contribution, nous devons donc nous tourner vers le contenu de leur prise de parole et les effets qu’elle provoque.
Dans l’opéra de Wagner, l’oiseau dont Siegfried comprend le chant depuis qu’il a goûté au sang du dragon, lui annonce ce qui va lui arriver, tout en lui donnant des conseils : « Oh ! S’il se méfiait / de Mime, le traître ! / Qu’il écoute bien / du coquin les paroles hypocrites ! » puis : « Je saurais pour lui / la plus belle femme ; / elle dort sur le plus beau rocher, / le feu sa demeure entoure ; / qu’il traverse les flammes / et qu’il l’éveille, / Brünnhilde sera à lui »23. Dans La Femme sans ombre, le faucon rouge déplore une situation qui mène à la catastrophe : « La femme ne projette aucune ombre / L’Empereur doit être changé en pierre ! / Comment donc ne pourrais-je pas pleurer ? »24, et dans l’opéra russe, le précieux coq lance : « Cocorico, cocorico, / Tu peux dormir en paix », « prends garde, réveille toi », et « d’un coup de bec je l’occirai »25 Le discours des oiseaux qui nous occupent, aussi bref et ponctuel soit-il, concerne le futur ; sans être tout à fait assimilable à une prophétie ou à un oracle, il manifeste un savoir sur les faits à venir qui vaut pour avertissement voire pour conseil de conduite. Si l’on interroge le lien qui unit la nature du personnage-animal et sa fonction divinatoire, on songe immédiatement à une tradition séculaire qui nous vient de l’antiquité gréco-romaine.
[l]es oiseaux furent pour les anciens une des principales sources de présages. Leurs cris et leurs chants, leur vol, leurs mouvements migratoires fournissaient des indices météorologiques qui finirent par être connus de tous. Mais les liens privilégiés que leur vie aérienne leur donnait avec le monde des dieux d’en haut les firent considérer comme des messagers attitrés par lesquels les divinités, les divinités fournissaient aux humains des indices sur les événements à venir26.
Si donc, les oiseaux font partie intégrante d’un mode de vie, d’un rapport au divin et d’une pratique oraculaire, il paraît bien naïf, et cela dès l’Antiquité, d’accepter cette donnée comme force de loi. En effet, le poète Aristophane, très tôt (414 avant J.-C.) évoque ce rôle dévolu à l’oiseau avec une légèreté comique qui vaut pour approche critique :
Allons, vous autres que l’humaine nature confine dans un morne destin, pauvres vies frêles comme la feuille, faiblement palpitantes, pétries de fange ; vous, peuple impalpable d’ombres floues, misérables mortels, vous les sans-ailes, créatures d’un jour, pâles silhouettes évanescentes, vous les hommes, prêtez-nous bien l’oreille, à nous les immortels, à jamais subsistants, célestes, toujours jeunes, à nous qui méditons d’impérissables choses – en sorte que dûment instruits par nous de ce qui se passe au firmament, dûment éclairés sur la nature des oiseaux, sur les origines des dieux, et des fleuves et de la Ténèbre, et du Chaos, vous puissiez alors envoyer de ma part Prodicos se faire pendre ailleurs27.
Cicéron considérera le sujet de façon beaucoup plus grave et plus nettement critique ; dans son ouvrage De la Divination, il consacre comme il se doit plusieurs passages à cette pratique ; il y exprime son scepticisme et son besoin de retour à la raison.
[J]e crois que le droit augural s’est constitué à l’origine parce qu’on avait foi dans la divination et qu’il s’est maintenu, conservé ensuite par raison d’État. […]. Il n’y a place dans la philosophie pour ces contes mensongers. Le rôle du philosophe est bien plutôt de rechercher d’abord la nature de la science augurale, puis son mode de formation et enfin d’en éprouver la consistance […] Tous les rois, dis-tu, les peuples, les nations se fient aux auspices. Mais qu’y a-t-il d’aussi communément répandu que la sotte ignorance ? Toi-même t’inclines-tu devant les jugements de la multitude ? […] N’est-on pas obligé de reconnaître que cette science augurale a pour origine, en partie l’erreur, en partie la superstition, dans une large mesure la tromperie28.
Il est donc bien probable que la présence d’oiseaux dans nos opéras, d’oiseaux dont la fonction dramatique est de révéler des événements à venir ou de conseiller des conduites à tenir, est une survivance de cet art augural hérité de la culture gréco-romaine ; mais il serait bien imprudent d’en rester à cette filiation pour rendre compte de l’emploi dramaturgique de ces oiseaux dans l’univers de l’opéra. D’une part, il n’est jamais question, dans nos livrets, de manifester un quelconque soupçon d’incrédulité à l’égard de ces prises de parole animales ; Siegfried aspire à comprendre l’oiseau et lorsque cela se produit, une didascalie commente l’attitude du héros : « Siegfried a écouté, en retenant sa respiration, d’une mine extasiée »29 ; incontestablement, le personnage a conscience d’accéder à un savoir exceptionnel et ne met pas en doute ce qu’il perçoit ; nous ne sommes pas ici dans la sphère du fantastique, mais bien du légendaire. Il en est de même pour l’opéra de Strauss ; lorsque le faucon rouge vient de s’exprimer, la Nourrice puis l’Impératrice répètent, chacune à leur tour, une part de la prédiction de l’oiseau, manifestant sans ambiguïté qu’elles ont bien entendu ; mais à la différence de Siegfried, elles ne manifestent aucune surprise, encore moins une extase. Dans Le Coq d’or, la réception de la parole du coq est différente ; le livret précise, lors de sa première intervention : « (l’assistance pousse des ‘ah ! » et des ‘oh !’ d’admiration) Les Boyards : Quelle merveille ! Quel prodige ! »30 ; la réaction collective et unanime atteste clairement de la réalité de la manifestation de l’oiseau, mais souligne aussi son côté magique. Ainsi, l’insertion de l’intervention de type oraculaire d’un oiseau dans nos œuvres, ne s’accompagne d’aucun commentaire sceptique ou critique, l’adhésion est pleine et entière, même si chez Rimski-Korsakov, la surprise est avérée. De plus, contrairement à ce que l’Antiquité nous a transmis de ce type de manifestation, la prophétie n’a besoin d’aucun augure ; personne n’assure la traduction du message transmis par les volatiles. Dans l’univers de nos opéras, pas d’intermédiaire, l’oiseau s’exprime directement en usant d’une langue directement compréhensible par celui qui l’écoute ; l’oiseau en question exprime donc une vérité qui, sans lui, serait inaccessible à l’humain mais un doute plane sur la source même de cette vérité. Dans l’Antiquité, ce sont les dieux qui communiquent avec les hommes par le biais des oiseaux et la communication s’inscrit donc dans un rite de type religieux. Dans nos trois opéras, il n’en est rien ; la religion est évacuée et le contexte métaphysique reste très flou.
Remarquons toutefois que l’opéra de Wagner met en scène des dieux et particulièrement le plus important d’entre eux, Wotan qui apparaît sous les traits du Wanderer. Ce dernier est accompagné d’oiseaux mais ce sont des corbeaux, rien à voir donc avec cet oiseau de la forêt dont nous ne saurons pas à quelle espèce il appartient ; assurément une espèce beaucoup plus rieuse et folâtre que le corbeau du dieu. « L’oiseau de Siegfried volète vers l’avant. Tout à coup il abandonne sa direction, volète paresseusement d’un côté et de l’autre et finit par disparaître hâtivement vers le fond »31, précise une didascalie grâce à laquelle on perçoit bien l’allure joueuse et presque enfantine de l’oiseau. Ce départ précipité de l’oiseau trouvera son explication un peu plus loin, il a été effrayé par les corbeaux du dieu qui s’apprête à rentrer en scène : « il s’envola pour son salut ! / Il devina ici / le maître des corbeaux : /malheur à lui, s’ils le rattrapent »32, dira-t-il au jeune homme juste après cette entrée. D’évidence, l’oiseau n’est pas un messager des dieux ou du Dieu. En revanche, il apparaît sur un tilleul, emblème de la figure maternelle pour Siegfried, puisque sa mère morte Sieglinde porte en son nom celui de l’arbre (Lindenbaum). Or, la mission de l’oiseau est de le conduire vers une autre femme Brünnhilde, destinée à être son épouse. Siegfried invoquera sa mère au moment où la découverte du corps de la femme endormie lui fait découvrir ce qu’est la peur, en l’occurrence le désir. L’oiseau participe alors de cet « opéra de formation » qu’est Siegfried, comme le sont aussi Les Maîtres chanteurs de Nuremberg et Parsifal. L’oiseau de Siegfried est donc beaucoup plus à entendre comme une manifestation de l’esprit de la mère morte en ce qu’il guide son enfant vers l’amour ; mais cette approche a ses limites, puisque, comme beaucoup de commentateurs l’ont souligné, l’oiseau masque une part de la vérité sur l’anneau à Siegfried et en particulier la malédiction qu’Alberich a jeté sur celui qui en sera le détenteur. « Il nous faut […] renoncer à comprendre quelle est la provenance de cet oiseau, à s’interroger sur qui33 l’envoie »34 conclut Mirella Hagen qui a chanté ce rôle de l’oiseau à Bayreuth en 2015.
S’agissant de La Femme sans ombre, et de l’entité qui inspire le faucon, Jean-Michel Brèque note :
Le faucon, dont le cri plaintif répète inlassablement à l’Impératrice la funeste prédiction, symbolise l’enfant qui aspire à naître et qui redoute de ne pas naître (ce que confirme du reste le conte d’Hofmannsthal écrit en parallèle à son livret35 et portant le même titre)36.
Certes, il est possible de voir une relation entre le faucon et ces enfants à naître, élément majeur du sens à donner à cette Femme sans ombre, mais on ne peut dire me semble-t-il qu’il y ait identité entre l’un et l’autre37 ; le faucon serait bien plutôt l’élément fécondant, le principe masculin qui, touchant la femme, comme le faucon a touché la gazelle, délivre les enfants à naître dont elle porte la promesse et dont l’ombre est le signe manifeste. La voix du faucon n’a donc pas un sens religieux au sens strict du terme, il est « l’expression de l’énergie de l’avenir »38.
S’agissant du Coq d’or, il est tout aussi malaisé de déterminer de qui ledit coq est l’intermédiaire. Notons en premier lieu qu’après avoir joué le rôle de sentinelle du royaume, en prévenant d’une attaque éventuelle, il va, à l’acte III, annoncer la mort du tsar et l’exécuter ; ce faisant le coq ne se contente plus d’avertir mais il passe à l’action, capitale pour le sens de l’opéra et outrepasse donc la fonction passive qu’il partageait avec l’oiseau de Siegfried et le faucon rouge de l’Empereur. La composition du Coq d’or fait suite à ce que l’on nomme le « dimanche sanglant » du 9 janvier 1905 ; en ce jour un prêtre conduit une foule d’ouvriers pacifiques devant le palais du tsar pour y déposer une pétition. Mais le tsar Nicolas II ordonne à la garde de faire feu ; on comptera 150 morts et 800 blessés ; Rimski-Korsakov manifesta énergiquement contre cet acte barbare. Dès lors les intentions satiristes du compositeur dans l’opéra sont patentes ; la censure ne s’y trompa point qui en fit interdire la création. On peut donc sans risque d’erreur percevoir que le coq emblématise une force qui veille à la sécurité de l’état, quitte à exécuter le souverain lorsque c’est lui-même qui la met en péril. Mais il est possible d’affiner cette approche : ce fameux coq n’intervient pas au deuxième acte, celui où le tsar rencontre la reine Chemakha dont il tombe amoureux sur le champ. Ce personnage de séductrice, non dépourvue d’une forme de vulgarité et d’exubérance déplaisante, multiplie les prouesses vocales et va jusqu’à entonner un hymne au soleil ce qui la situe dans une concurrence directe avec la figure traditionnelle du coq. Et en effet, c’est lorsque le tsar ramènera avec lui la fameuse reine que le coq l’exécutera ; la faute dont il est châtié est d’avoir introduit dans son empire un élément étranger qui le met en danger. La lecture politique que l’on peut faire du personnage du coq est alors directement en lien avec celui de la reine39 emblématisant une forme de corruption du pouvoir impérial que le coq, autrement dit une forme de conscience politique supérieure40, éradique avec le monarque.
Ainsi les trois oiseaux qui interviennent dans nos opéras, bien qu’ils aient une fonction de conseil ou d’oracle, ne sont que bien indirectement les héritiers de ceux qui, dans l’Antiquité, avaient valeur d’auspices. Certes, ils prêtent leur voix à un savoir qui concerne l’avenir et qui échappe à l’entendement humain ; ils participent donc d’une sphère supérieure que l’on pourrait appeler le destin à l’égal, par exemple des sorcières du Macbeth de Verdi. Chez Wagner ce savoir relève du Bildungsopera, chez Strauss, il a à voir avec la psychanalyse, et chez Rimski sa valeur est délibérément politique. Mais ces sens n’épuisent pas pour autant le choix d’un oiseau pour remplir cette fonction.
L’oiseau – et on voudra bien me pardonner cette évidence – c’est celui qui chante ; et dans un opéra où tout le monde chante, il devient une figure de chanteur qui fait signe d’un horizon de perfection. Il est remarquable que, dans deux de nos opéras, un personnage en relation directe avec l’oiseau essaie de l’imiter. On connaît la scène assez cocasse où Siegfried tente d’imiter l’oiseau avec une flûte improvisée ; il déclare « Hei, j’essaie / de chanter comme lui : / du roseau je veux l’imiter ! Me passant des mots, imitant l’air, chantant ainsi sa langue, je comprendrai ce qu’il me dit »41 ; et lorsqu’il tente de reproduire la mélodie de l’oiseau, il fait entendre une musique discordante et maladroite. Il conclut : « Ce n’est pas beau ; / sur le roseau / l’air adorable ne sonne pas »42. De même, l’Astrologue qui présente au tsar le fameux coq, imite son chant assez fidèlement cette fois, mais en produisant un effet bizarre puisque c’est un ténor-altino qui cherche à reproduire, et en particulier sur un contre-ré, ce qui sera chanté par un soprano. Dans les deux cas, l’effet produit est que la voix humaine est impropre à reproduire ce que chante l’oiseau en question. Une hiérarchie est ainsi suggérée ou le langage de l’oiseau se donne comme horizon inaccessible à la parole humaine. Ainsi au-delà du sens dramaturgique ponctuel de chacun des trois oiseaux, ils seraient une forme de manifestation d’une voix qui surpasse toutes les autres, qu’elles soient le produit d’un chant humain ou d’un chant instrumental.
Dans Les Frères de Saint-Sérapion, recueil de nouvelles insérées dans un dialogue entre six amis (Lothar, Theodor, Ottmar, Cyprian, Vincent et Sylvestre), Hoffmann se plaît à aborder des problèmes d’esthétique par le biais de récits. L’un d’entre eux, Le Poète et le Compositeur, aborde la question du rapport entre la parole et la musique, question centrale pour des compositeurs d’opéras comme Wagner, Strauss ou Rimski-Korsakov, ce qu’était Hoffmann lui-même43. Le débat s’engage entre Ferdinand, le poète et Ludwig le musicien ; celui-ci reproche à celui-là de ne pas avoir mis à profit leur amitié pour lui écrire un texte pour un opéra. Ferdinand s’en explique : « Parce que je tiens ce travail pour le plus ingrat qui soit au monde »44. Les compositeurs s’arrogent le droit de bouger ou changer des mots, défigurant la poésie de leurs vers ou bien les « sublimes expressions […] se trouvent […] tout bonnement noyées par le chant »45. Ce faisant, le personnage hoffmanien reformule un débat central de l’opéra : « prima la musica, dopo le parole » ou « prima le parole, dopo la musica », à savoir, la musique doit-elle servir le texte ou l’inverse46. Mais Ludwig qui semble ici être le porte-parole de Hoffmann lui-même, conteste ce rapport de rivalité : elle n’existe que si le poète et le musicien sont médiocres. Lorsque ces deux artistes partagent la même aspiration vers une sphère supérieure, cette rivalité n’est plus de mise :
dans ce lointain royaume dont d’étranges pressentiments nous révèlent parfois la présence, et d’où nous parviennent des voix merveilleuses dont l’écho éveille tous les sens qui dormaient dans notre cœur oppressé et dès lors éclatent, pleins de joie et d’allégresse, tels des rayons ardents … si bien que nous aussi participons à la félicité de ce paradis – dans ce royaume, poètes et musiciens sont les membres étroitement apparentés d’une seule et même Église : car le mystère du mot et celui du son relèvent d’un seule et même principe qui leur a été révélé au moment de l’initiation suprême47.
On reconnaît aisément dans la conception hoffmanienne l’influence de ce que l’on a appelé le romantisme de Iéna et plus particulièrement la pensée de Schlegel véhiculée par la revue L’Athenäum, inspirée elle-même des travaux de Rousseau qui conclut le deuxième chapitre de son Traité de l’origine des langues en ces termes : « voilà pourquoi les premières langues furent chantantes et passionnées avant d’être simples et méthodiques »48, soulignant ainsi l’origine unique de la parole et du chant. Mais Hoffmann va préciser le rôle qu’ont à jouer la musique et le texte dans un perspective esthétique qui lui est propre. La musique instrumentale est « le mystérieux langage d’un lointain royaume des esprits », mais « on voudrait que la musique pénètre tout à fait dans la vie »49 ; l’on perçoit bien ici le catéchisme esthétique de Hoffmann, sa définition si particulière du fantastique. La vie est par nature indigente, mais il nous appartient d’y percevoir le fil mystérieux qui réunit les événements épars dont elle est faite et qui lui donnent un sens ; l’étrange lié chez Hoffmann au poétique, à la fantaisie, naît très directement du plus quotidien et du plus banal, ce que l’on a appelé son réalisme fantastique. Le problème de la musique instrumentale est le suivant : « est-il possible de conter en langage sublime des choses communes ? »50, oui, répond Hoffmann en associant la langue à la musique ; celle-là se hissant au niveau de celle-ci devient poésie. Ce qui le conduit à recommander ceci au poète : « Qu[‘il] se prépare à entreprendre le vol audacieux qui l’emportera dans le royaume lointain du Romantisme : il trouvera là le merveilleux qu’il a pour mission d’introduire dans la vie »51. On notera avec intérêt que Hoffmann demande au poète de se faire oiseau pour « entreprendre le vol audacieux », nous mettant ainsi sur la piste d’une autre lecture de la présence dramaturgique des personnages oiseaux que nous avons analysés plus haut.
En effet, les oiseaux des opéras que nous avons choisis interviennent bien en tant qu’ils participent d’une conscience supérieure capable de prévoir, mais cela ne rend pas compte de leur nature ; en somme un autre animal ne ferait-il pas aussi bien l’affaire ? C’est là que le texte de Hoffmann nous permet de mieux répondre à cette question. L’oiseau chante par nature et par là même est un emblème de l’opéra désigné par Wagner, Rimski-Korsakov et Strauss comme art suprême, le seul, selon Hoffmann susceptible d’unir le prosaïque et le divin, de relier les « choses communes » et le langage sublime.
On retiendra encore que Hoffmann parle de Romantisme et son personnage Ludwig affirme vigoureusement : « Il est vrai que je tiens l’opéra romantique pour le seul véritable, car c’est seulement au royaume du Romantisme que la musique est vraiment chez elle »52 ; acte de foi auquel il apporte cette précision : « Tu me croiras pourtant si je t’affirme mon profond mépris pour ces pitoyables productions dans lesquelles on voit apparaître de stupides esprits dénués d’esprit et où les miracles s’accumulent sans raison »53. Il ne s’agit donc pas de confondre mièvre féérie et opéra romantique, ce disant Hoffmann est en plein accord avec sa vision du fantastique ; « lui seul – ajoute-t-il – est capable d’introduire dans la vie les merveilleuses apparitions d’un monde fantastique […] c’est par l’opéra que les entités supérieures agissent sur nous de la façon la plus manifeste »54. N’est-ce pas très exactement cela que dit la présence d’oiseaux dans les opéras que nous avons évoqués ?
Introduire un oiseau dans la liste des personnages d’un opéra relève à la fois de l’évidence et de l’insolite ; en effet, plus qu’aucun être vivant de notre monde, il est celui dont la langue naturelle est le chant, donc le mieux armé pour emblématiser ce genre de spectacle où tout est chant ou pour dire les choses autrement tout personnage d’opéra a pour modèle insurpassable l’oiseau quel qu’il soit. Mais en revanche, il est aisé de constater que la cohérence d’une distribution qui comporte un oiseau ne va pas de soi et que l’articulation entre les deux mondes n’est pas aisée à mettre en scène. Grâce à Hoffmann et à sa théorie de l’opéra romantique, nous comprenons mieux que cette présence de l’oiseau a une valeur exemplaire : il est une sorte de clé qui permet d’expliciter la mission de l’opéra dans l’ensemble des discours artistiques. L’opéra romantique plus et mieux que les autres arts, plus et mieux que l’opéra baroque, selon Hoffmann, nous donne accès au « royaume suprême ». Des trois opéras dont nous avons parlé, le plus tardif est celui de Richard Strauss ; voici ce qu’il écrivait à Hofmannsthal le 28 juillet 1916 : « décidons une chose : La Femme sans ombre sera le dernier opéra romantique ». Nous ne savons pas si ce « dernier » concerne la production des deux artistes ou plus généralement l’histoire de la musique ; pour ma part, je l’entends nettement comme la conscience affirmée de clore un moment exceptionnel de l’histoire de l’opéra qui aurait commencé avec Mozart55 et plus particulièrement avec La Flûte enchantée, dont l’un des personnages principaux, doit-on le rappeler, est un oiseleur.
[1] Olympia, on le sait, est un automate, mais Hoffmann la voit comme la fille du savant Spalanzani.
[2] Jacques Offenbach, Les Contes d’Hoffmann, Paris, L’Avant-scène opéra, 25, janvier-fév. 1980, p. 44.
[3] Ibid., p. 71.
[4] « Les oiseaux dans la charmille […] tout parle à la jeune fille d’amour » et « Elle a fui la tourterelle, elle a fui loin de toi !... Mais elle est toujours fidèle et ta garde sa foi ».
[5] « Rossignol mon mignon, qui dans cette saulaie / Vas seul de branche en branche à ton gré voletant, / Dégoisant à l’envi de moi, qui vais chantant / Celle qu’il faut toujours que dans la bouche j’aie, / Nous soupirons tous deux, ta douce voix s’essaie / De fléchir celle-là, qui te va tourmentant, / Et moi, je suis aussi celle-là regrettant, / Qui m’a fait dans le cœur une si aigre plaie. » (P. de Ronsard, Continuation des Amours, Paris, Vincent Certenas libraire, 1555, p. 27).
[6] Richard Wagner, L’Anneau du Nibelung, 2. Siegfried, Paris, L’Avant-scène-opéra, 12, nov-déc. 1977, p. 61.
[7] Ibid., p. 70.
[8] Richard Strauss, La Femme sans ombre, Paris, L’Avant-scène-opéra, 147, juillet-août 1992, p. 45.
[9] Siegfried est créé le 16 août 1876, Le Coq d’or, le 7 octobre 1909 (un an après la mort de Rimski-Korsakov) et La Femme sans ombre, le 10 octobre 1919.
[10] Ce thème est la reprise de celui que Flosshilde, fille du Rhin, avait utilisé comme avertissement dans L’Or du Rhin, créant ainsi un rappel thématique entre les deux voix et les deux situations.
[11] Richard Strauss, La Femme sans ombre, op. cit., p. 41.
[12] Ibid., p. 46.
[13] Richard Wagner, Siegfried, op. cit., p. 68.
[14] Richard Strauss, La Femme sans ombre, op. cit., p. 39.
[15] Rimski-Korsakov, Le Coq d’or, Paris, L’Avant-scène-opéra, 211, novembre-décembre 2002, p.28.
[16] Dans Les Contes d’Hoffmann, Olympia et Antonia sont deux sopranos, capables de vocaliser, de façon particulièrement virtuose pour la première, et donc de ce fait parfaitement autorisées à associer leurs voix à la référence à l’oiseau.
[17] En 2015, Frank Castorf, à Bayreuth, fait de l’oiseau un personnage particulièrement spectaculaire : « L’oiseau de Mirella Hagen, qui se bat avec ses ailes de géant et ce costume de meneuse de revue de l’Admiral Palast, est un peu moins en place que l’an dernier, mais reste très honorable, et surtout très spectaculaire. Là où l’oiseau est une toute petite chose habituellement, Castorf en fait un monument dédié au kitsch, un objet de spectacle et de désir (Siegfried…) ». Le blog du Wanderer, wanderer.blog.lemonde.fr, consulté le 2 août 2015.
[18] Théâtre de La Monnaie, Bruxelles, 13 décembre 2016.
[19] Richard Wagner, L’Anneau du Nibelung, 2. Siegfried, op, cit., p. 75 et 78.
[20] Richard Strauss, La Femme sans ombre, op. cit., p. 47.
[21] Le texte russe use d’un impératif : « règne couché ».
[22] On pourra consulter : Georges Zaragoza, « La distribution, une lecture dramaturgique », in Le personnage de théâtre, Paris, Armand Colin, 2006, p. 28-35.
[23] Richard Wagner, L’Anneau du Nibelung, 2. Siegfried, op. cit. p. 78 et 83.
[24] Richard Strauss, La Femme sans ombre, op. cit. p. 47.
[25] Nikolai Rimski-Korsakov, Le Coq d’or, Paris, L’Avant-scène-opéra, n°211, 2002, p. 21, 29 et 57.
[26] Liliane Bodson, Les Oiseaux dans l’Antiquité gréco-romaine , supplément au Bulletin de l’Association des professeurs de langues anciennes de l’Académie de Lille, 15, 1991, p. 13.
[27] Aristophane, Les Oiseaux, in Victor-Henry Debidour (éd.), Théâtre complet II, Paris, Folio, 1966, p. 67.
[28] CicÉron, De la divination, [2,35] XXXV, [2,38] XXXVIII, [2,39] XXXIX.
[29] Richard Wagner, L’Anneau du Nibelung, 2. Siegfried, op. cit. p. 75.
[30] Nikolai Rimski-Korsakov, Le Coq d’or, op. cit. p. 21.
[31] Richard Wagner, L’Anneau du Nibelung, 2. Siegfried, op. cit. p. 93.
[32] Ibid. p. 96. Notons que le texte de l’édition de référence donne de façon fautive : « pour ton salut », alors que le texte allemand dit bien : « seinem Heil ».
[33] Nous soulignons.
[34] Mireilla Hagen, Chroniques, « Voix de l’oiseau de la forêt », http://cercle-wagner-toulouse.fr/2017/02/19/ voix-de-loiseau-de-la-foret.
[35] Dans le chapitre 4 du conte dont le contenu n’est pas dans le livret, l’Empereur part à la recherche du faucon perdu. Il entre dans une caverne où l’attend un somptueux souper préparé pour deux. Il est servi par des enfants qui demandent à naître ; il a une longue conversation avec une jeune fille, l’une d’entre eux. Elle le conclut ainsi : « ‘Ne reconnais-tu donc pas mon frère aîné ?’ susurra la jeune fille. ‘C’est lui qui l’a aveuglée de ses ailes et qui t’a aidé à l’attraper’ ». Elle fait allusion à l’action du faucon rouge qui a permis à l’Empereur de capturer la gazelle en laquelle l’Impératrice s’était métamorphosée. Ainsi le faucon rouge est bien l’un des enfants à naître du couple impérial, l’aîné probablement. (Hugo von Hofmannsthal, La Femme sans ombre, trad. J.-Y. Masson, Livre de poche, « biblio », 1992, p. 87).
[36] Richard Strauss, La Femme sans ombre, op. cit., p. 9.
[37] Dans une lettre adressée à Strauss du 19 septembre 1915, le poète évoque ces « enfants à naître », les comparent même à des oiseaux sans jamais faire le rapprochement avec le faucon rouge : « Ceux qui ne sont pas nés : Écoutez, nous voulons dire : Père ! ces passages je les imagine d’une sonorité merveilleuse, de sorte qu’il importe peu que l’on comprenne ou non : comme si soudain des oiseaux parlaient dans le ciel – mais la sonorité compte plus que le sens », Ibid. p. 31.
[38] Stephen Kohler, « Un son humain », ibid., p. 31.
[39] Une didascalie, après la mort du tsar précise : « Quand le jour revient, la reine et le Coq ont disparu » (Nikolai Rimski-Korsakov, Le Coq d’or, op. cit. p. 56), indice assez évident qui confirme que leurs fonctions sont jumelles.
[40] Il est difficile voire impossible de dire qu’il s’agit de la voix du peuple, puisqu’à la mort du tsar, ce dernier se lamente : « Il est mort notre tsar ! / Il est mort assassiné ! / Notre tsar bienheureux / Notre tsar insouciant ! / Ah ! notre illustre monarque / Tsar entre les tsars ! /Jamais nous ne l’oublierons ! », ibid. p. 57.
[41] Richard Wagner, L’Anneau du Nibelung, 2. Siegfried, op. cit. p. 70.
[42] Id.
[43] Il a composé Undine, sur un livret de La Motte-Fouquet, créé à Berlin le 2 août 1816.
[44] E.T.A. Hoffmann, « Le poète et le compositeur » in Les Frères de Saint-Sérapion vol. I, Paris, Verso Phébus, 1981, p. 133.
[45] Id.
[46] Richard Strauss composera un opéra Capriccio, sur ce sujet, créé en 1942.
[47] Ibid., p. 134-135.
[48] Jean-Jacques Rousseau, Collection complète des œuvres de J. J. Rousseau, 1782 (tome 8 : Théâtre, poésie et musique, p. 357-395), Paris, Poinçot, p. 365.
[49] Id.
[50] Id.
[51] Id. « Der Dichter rüste sich zum kühnen Fluge in das ferne Reich der Romantik; dort findet er das Wundervolle, das er in das Leben tragen soll ». p. 63.
[52] E.T.A. Hoffmann, « Le poète et le compositeur », op. cit., p. 136.
[53] Id.
[54] Id.
[55] Strauss avec La Femme sans ombre souhaite faire une sorte de pendant à La Flûte mozartienne : « Cela serait, soit dit en passant, à La Flûte enchantée ce que Le Chevalier à la rose est aux Noces de Figaro, c’est-à-dire qu’il y aurait ici comme là non pas imitation mais une certaine analogie », 20 mars 1911, Richard Strauss, La Femme sans ombre, op. cit., p. 4.
Résumé
L’oiseau est un motif récurrent, à valeur d’ornement, du livret d’opéra ; quelques fois seulement, l’oiseau devient personnage à part entière. C’est le cas chez Wagner (Siegfried), Rimski-Korsakov (Le Coq d’or) et Strauss (La Femme sans ombre). Il est tout d’abord une voix douée d’un savoir suprahumain, selon une tradition héritée de l’antiquité ; mais au-delà il emblématise une certaine conception du rapport entre langue et musique, tel que le pense le romantisme.
Abstract
The bird is a recurring and ornamental leitmotiv of the booklet of opera; some times only, the bird becomes a whole character. It is the case at Wagner (Siegfried), Rimski-Korsakov (Le Coq d’or) and Strauss (La Femme sans ombre). It is first of all a voice endowed with a superhuman knowledge, according to a tradition inherited from antiquity; but beyond it emblematizes a certain romantic design of the relationship between language and music.
Georges ZARAGOZA
Univ. de Bourgogne-Franche-Comté, , CPTC
Aristophane, Les Oiseaux, in Victor-Henry Debidour (éd.), Théâtre complet II, Paris, Folio, 1966.
Bodson, Liliane, Les Oiseaux dans l’Antiquité gréco-romaine , supplément au Bulletin de l’Association des professeurs de langues anciennes de l’Académie de Lille, 15, 1991.
Hagen, Mireilla, Chroniques, « Voix de l’oiseau de la forêt », http://cercle-wagner-toulouse.fr/2017/02/19/.
Hoffmann, E. T. A., « Le poète et le compositeur » in Les Frères de Saint-Sérapion vol. I, Paris, Verso Phébus, 1981.
Rousseau, Jean-Jacques, Collection complète des œuvres de J. J. Rousseau, 1782 (tome 8 : Théâtre, poésie et musique, p. 357-395), Paris, Poinçot.
Zaragoza, Georges, Le Personnage de théâtre, Paris, Armand Colin, 2006.