Le matricule 787-15 est le pigeon messager le plus célèbre de la Grande Guerre côté français et l’un des animaux les plus renommés du conflit. Il est devenu un véritable héros de Verdun en ayant porté le dernier message écrit du commandant Raynal avant la capitulation glorieuse du fort de Vaux en juin 1916. Encore de nos jours, les visiteurs de ce fort découvrent à côté de l’entrée une grande plaque apposée à la muraille, reproduisant la dépêche véhiculée et la citation du diplôme de bague d’honneur reçu par l’animal. Et ce monument est l’un des rares, en France, consacrés aux animaux de la première guerre mondiale derrière la cohorte des monuments aux morts humains.
Fig. 1. Plaque dédiée au pigeon à l’entrée du fort de Vaux1
Voici le texte de la citation :
Malgré des difficultés énormes résultant d’une intense fumée et d’une émission abondante de gaz, a accompli la mission dont l’avait chargé le commandant Raynal. Unique moyen de communication de l’héroïque défenseur du fort de Vaux, a transmis les derniers renseignements qui aient été reçus de cet officier. Fortement intoxiqué, est arrivé mourant au colombier.
Dernière dépêche, dernier vivant sorti libre du fort, mort au combat : trois aspects à la base de la renommée de ce pigeon, maintenant plus célèbre que le commandant Raynal qui organisa la résistance de la garnison ainsi que sa capitulation saluée par les honneurs allemands, et qui fut promu héros glorieux dès 1916, maintes fois médaillé après son retour de captivité.
Fig. 2. Raynal après-guerre2
D’ailleurs, la dépouille de ce pigeon est encore exposée, naturalisée, au musée colombophile du Mont Valérien, près de Paris, accompagnée des reproductions du message et de la citation. La renommée est d’autant plus forte de nos jours que cet animal personnifie et symbolise le sacrifice des animaux en guerre, un aspect longtemps occulté, redécouvert seulement depuis une vingtaine d’année avec la revalorisation du monde animal en Occident3.
Fig. 3. Le 787-15 au musée du pigeon et de la colombophilie, Mont-Valérien4
Pourtant, les archives militaires livrent une toute autre version des faits. Lâché le 4 juin à 11h30, le 787-15 n’arriva à son pigeonnier de la citadelle de Verdun que le 5 juin à 4h25, ayant donc pris 16h55 pour faire son trajet ! Un temps bien plus long que celui des trois autres pigeons partis avant lui du fort de Vaux, qui mirent entre 38 mn et 3h00. Un retard qui rendit son message inutile, la situation du front ayant changé entre temps5. À tel point que sa missive ne fut même pas inscrite dans les documents annexes de l’énorme publication officielle d’après-guerre des armées françaises dans la Grande Guerre, à la différence des trois autres dépêches !6 Que se passa-t-il donc du côté de l’animal dans une situation militaire difficile et comment les humains transformèrent ce « médiocre » pigeon en héros exceptionnel ?
On ne peut comprendre l’expérience individuelle de 787-15 sans établir le contexte militaire.
Le 1er juin 1916 débuta une violente attaque allemande autour du fort de Vaux, dans le sillage des combats menés autour de celui de Douaumont, facilement pris par les Allemands en février 1916. Il n’en fut rien à Vaux où la garnison résista avec acharnement dans des conditions très difficiles (gaz, fumées, chaleur, manque d’eau), combattant autour, au-dessus puis dans le fort jusqu’au 7 juin, ne capitulant qu’en dernière extrémité et en recevant les hommages des Allemands : pour sortir et partir en captivité, les Français défilèrent dans les gaines, les uns derrière les autres, devant leurs adversaires au garde-à-vous, armes présentées7.
Cette garnison avait disposé de quatre pigeons voyageurs. On ne sait exactement quand ils furent amenés. Il semble que ce fut peu avant les combats, peut-être lors de l’arrivée du commandant Raynal le 24 mai, peut-être le 31 dans les bagages du 142e RI, comme l’affirme un contemporain dont le témoignage est cependant sujet à caution à propos du pigeon 787-158. Ces animaux furent tous utilisés du 2 au 4 juin car le téléphone fut coupé dès fin mai, le télégraphe sans fil espéré pour cette date n’arriva pas, les coureurs humains eurent de plus en plus de difficultés à franchir les zones de combat et il n’y eut jamais de chien messager. Il s’agissait pour ces pigeons de rejoindre leur pigeonnier situé à la citadelle de Verdun en portant un message, accroché an collier du cou semble-t-il pour leur cas. L’utilisation des pigeons était basée sur le fort attachement familial de ces animaux monogames et fidèles, sur l’enlèvement d’un des conjoints pour l’emmener au front, sur la volonté de celui-là de retrouver sa famille dès qu’il serait lâché (en ayant appris, par un entraînement préalable, à repérer les lieux et les environs de son pigeonnier), voire sur la faim, pour renforcer le désir de revenir, car il était recommandé de les nourrir modérément au front9.
À Vaux, le trajet théorique, en ligne droite et à vol d’oiseau, était de 8 km avec un plateau entre 340 et 360 m, une brusque descente jusqu’à 200 m le long de la côte Saint-Michel puis une petite remontée à la citadelle à 230 m, mais l’animal devait pouvoir couper cette descente. Un autre trajet théorique, un peu plus long (9 km), pouvait consister à passer par les vaux, en pente plus douce et régulière.
Fig. 4. Deux trajets théoriques
(Établis par l’auteur sur carte IGN 3112 ET)
Fig. 5. Coupes topographiques Fort de Vaux – Citadelle de Verdun
(Établies par l’auteur)
En temps normal, le trajet pourrait être estimé à une quinzaine de minutes avec un vol moyen à 35 km/h, correspondant au niveau minimal (30-40 km/h) dans une situation civile. Mais la conjoncture n’était évidemment pas normale puisque, à partir du 2 juin, les combats eurent lieu au-dessus puis dans le fort semi-enterré, en étant accompagnés d’un pilonnage intense par les Allemands avant leur attaque puis par les Français pour limiter l’installation des adversaires sur les terrasses, et d’un pilonnage allemand entre Vaux et Verdun pour entraver les liaisons, les aides et les contre-attaques françaises.
Fig. 6. Croquis du fort de Vaux10
(Flèches noires : attaques allemandes ; traits rouges : barrages français)
Cela modifiait sans cesse les conditions de vol, qui étaient aussi influencées par les changements de temps dont les conséquences sur l’efficacité des pigeons étaient bien connues des contemporains11. Cela justifiait aussi des envois de pigeon à toute heure, y compris la nuit, mais avec des animaux sans doute plus ou moins entraînés, l’enseignement au vol nocturne n’ayant débuté qu’en 1915 dans l’armée française12.
Pour tenter de comprendre le vol du 787-15, il est nécessaire de saisir les expériences des trois précédents pigeons. Le premier fut lâché le 2 juin à 3h25 pour annoncer l’attaque allemande sur le fort13. Celui-ci aurait subi, d’après Raynal, un pilonnage nocturne de 1000 obus à l’heure, dont une bonne moitié de gros calibre, qui aurait été arrêté brutalement « avant la levée du jour » pour permettre l’installation immédiate de fantassins allemands au-dessus du fort14. Il semble probable que cette accalmie a permis le décollage animal et que l’heure de celui-ci correspond à celle-là. S’il a donc dû s’envoler facilement, ce pigeon a dû vite subir le « bombardement intense » aussitôt décalé au sud de Vaux et allongé sur tout le plateau, de Souville à Tavannes, ainsi que sur la côte Saint-Michel pour briser les réactions françaises15. Et la « brume intense », notée par un colombophile à son arrivée à Verdun à 5h40, a dû réduire ses capacités de repérage cartographique, qu’on verra plus loin. Ces conditions peuvent expliquer qu’il ait mis 2h15 pour parvenir à destination, soit un temps neuf fois plus long que le normal évoqué plus haut.
Fig. 7. Situation pour le pigeon 1 (427-14)
(Établie par l’auteur sur carte IGN 3112 ET ; étoiles : bombardements ; arcs de cercle : brume)
Le deuxième pigeon fut lâché ce même 2 juin, à 14h30, pour informer du début des combats à l’intérieur du fort16. L’animal profita manifestement de l’accalmie maintenue sur le lieu, chaque adversaire n’osant bombarder ses combattants, et d’un pilonnage allemand du plateau « moins intense » qu’en matinée, ramené un temps à la lisière sud du fort pour entraver une contre-attaque ainsi que sur les forteresses de Souville et Tavannes pour empêcher leurs batteries de riposter (avant d’être redéployé en profondeur et intensifié dans l’après-midi), tandis qu’il semble que les brumes s’étaient dispersées puisque qu’elles ne furent plus signalées17. Ce pigeon profita donc d’une fenêtre favorable de lâcher et parcourut la distance en 38 mn, un temps bien plus rapide que le précédent mais tout de même double du normal avec une vitesse moyenne de 12 km/h.
Fig. 8. Situation pour le pigeon 2 (131-15)
(Établie par l’auteur sur carte IGN 3112 ET ; étoiles : bombardements)
C’est le lendemain, 3 juin, à 2h du matin que fut envoyé un troisième pigeon pour une dépêche demandant un bombardement français sur le fort et aux alentours afin de desserrer l’emprise allemande. Ce pigeon pâtit de conditions plus difficiles.
Fig. 9. Situation pour le pigeon 3 (183-14)
(Établie par l’auteur sur carte IGN 3112 ET ; étoiles : bombardements ; arc de cercle : brume ; ellipse : nuages et pluie)
Dans l’après-midi du 2 juin, un violent bombardement allemand fut déclenché, non pas sur le fort mais au sud sur toute la profondeur du plateau, et fut maintenu la nuit. Le temps météorologique se dégrada aussi cette nuit avec des brumes et surtout des pluies, à tel point que les observations aériennes furent interrompues la journée du 3. Il n’est donc pas étonnant que ce pigeon n’arrivât à Verdun qu’à 5h02 du matin, ayant donc mis 3h02 pour effectuer le parcours et connu ainsi l’expérience la plus longue et sans doute la plus éprouvante des trois animaux18.
C’est dans ce contexte qu’intervint le quatrième pigeon. On ne sait rien de certain à son propos. Des publications des années 1930, à l’époque de sa célébrité montante, soutinrent qu’il avait déjà fait en mai plusieurs voyages dans le secteur de Verdun, voire qu’il était l’un des rares à savoir effectuer des allers-retours entre deux points constants ! Cependant, ces textes se trompent jusque dans les dates des lâchers à Vaux, les documents du temps de guerre ne parlent pas de ce genre d’exploit et, dans les archives, le registre des messages reçus par pigeon voyageur lors de la bataille de Verdun ne fait état d’aucune autre course du 787-15 !19 Il est vrai qu’il est très difficile de repérer les individus car ces documents militaires oscillent, notamment pour 1915-1916, entre la mention du matricule attribué par l’armée, indiqué sur une bague accrochée à une patte, et celle du numéro d’élevage, tatoué par l’éleveur civil sur la face interne d’une aile20. Ici, les deux derniers chiffres du matricule indiquent que ce pigeon était né en 1915, alors que le premier et le troisième congénères étaient de 1914. Il s’agissait donc d’un jeune, peut-être pas aussi expérimenté qu’on l’a dit ensuite. On peut lui opposer la performance du deuxième pigeon, lui aussi né en 1915, mais elle eut lieu dans des conditions nettement plus favorables. Le 787-15 fut lâché le 4 juin à 11h30 pour transporter la missive suivante :
Nous tenons toujours mais nous subissons une attaque par les gaz et les fumées très dangereuse. Il y a urgence à nous dégager. Faîtes nous donner de suite communication optique par Souville qui ne répond pas à mes appels. C’est mon dernier pigeon. Raynal.
Cependant, comme nous l’avons vu, il n’arriva à Verdun que le 5 juin à 4h25, en ayant mis 16h25, un temps sans commune mesure avec les précédents. Que s’était-il passé ?
Il connut d’abord des conditions très difficiles à Vaux. Attaquant ce fort le 2 juin, les Allemands s’installèrent sur les terrasses pour lancer des grenades, dont des asphyxiantes, dans les coffres Nord-Ouest et Nord-Est (cf. le plan ci-dessus) par lesquels ils pénétrèrent pour progresser dans les gaines menant à la caserne centrale. Ils furent arrêtés aux premiers barrages français dressés à la hâte qu’ils attaquèrent trois fois le 3 juin, à coups de grenades répandant des fumées dans le reste du fort. Leur échec les conduisit, le 4 juin, à employer des lance-flammes et des gaz dans les gaines et par la casemate Sud-Est.
Journée plus terrible encore [écrit Raynal]. Vers 8h30, les Allemands effectuent deux attaques combinées : une sur le barrage de l’observatoire, l’autre sur le barrage de la gaine de gauche. Par les ouvertures de nos créneaux, ils nous lancent des flammes et des fumées asphyxiantes qui répandent une odeur insupportable et nous prennent à la gorge. D’une extrémité à l’autre du fort, le cri est poussé : À vos masques !21
Cela obligea les Français à se replier sur les seconds barrages installés dans les tunnels tout en souffrant partout des gaz et des fumées, que respira aussi le 787-15 certainement logé dans la caserne, près du bureau du commandant, et apparemment non protégé puisque, ayant décidé d’envoyer ce dernier pigeon pour prévenir l’arrière de cette attaque, Raynal constata : « Il a respiré les gaz méphitiques et il va mourir »22. Il faut décortiquer cette phrase qui n’est pas dans l’édition originelle de 1919 mais dans celles des années trente lorsque Raynal revisita son texte à propos de ce pigeon en voie de célébrité et se trompait alors en croyant à sa mort. Il faut donc rejeter la seconde affirmation mais on peut adopter la première car, à l’arrivée du 787-15 à la citadelle de Verdun le lendemain, le colombophile de faction écrivit sur le registre que l’animal « souffrait encore beaucoup de l’effet des gaz à sa rentrée »23.
D’autant qu’il dut respirer d’autres gaz dès l’extérieur où la situation était aussi très difficile, la journée du 4 juin ayant été marquée par un bombardement « infernal », d’après le journal de marche du 101e Régiment d’infanterie, bien pire que celui des jours précédents, simplement « intense »… !24 Répondant enfin à la demande de Raynal, portée par le troisième pigeon, l’artillerie française bombarda violemment le dessus du fort et les abords immédiats, l’après-midi du 3 juin et une partie de la nuit suivante, pour écraser les Allemands et préparer une contre-attaque. Cela déclencha une riposte des batteries adverses sur les mêmes lieux pour entraver cette offensive française, qui échoua, et Vaux fut pilonné par les deux artilleries le matin du 4 juin25. Telle était la situation quand Raynal décida de lâcher ce pigeon à 11h30 :
Je prescris au colombophile d’élever sa cage au-dessus de sa tête aussi haut qu’il pourra et je me hâte à rédiger mon colombogramme. […] Le colombophile lui donne son envol. Mais il règne autour du fort une atmosphère tellement épaisse de gaz, de fumées, de poussière, que le brave pigeon ne peut retrouver sa route. Il vient se poser à la meurtrière de mon P.C. Le colombophile peut le reprendre et me l’apporte. Que faut-il en faire mon commandant ! Mais il faut qu’il parte. Et, le lançant verticalement en l’air, j’ai la chance de lui voir piquer son vol droit sur Verdun26.
Absent lui aussi de la première édition puis inséré lui aussi dans celles des années trente, ce passage doit tout autant être lu avec précaution car Raynal crut, sans doute jusqu’à sa mort en 1939, à l’arrivée rapide de ce pigeon à Verdun, croyance sous-jacente dans les derniers mots de cet extrait. Il reste que derrière cette mise en scène, peut-être vraie, peut-être théâtralisée et arrangée par la mémoire, la description de la situation militaire correspond à la réalité et l’affirmation d’un double envoi est sans doute fiable dans son principe. La terre soulevée, les poussières et les fumées répandues par les explosions ont dû empêcher l’animal d’utiliser son compas solaire et des repères cartographiques. D’où son retour au fort, certainement renforcé par le stress face aux bruits, aux projectiles allant en tous sens, aux intenses éclairs lumineux, aux flammes. Il est possible qu’il ait pu partir grâce à une accalmie très éphémère, un bref et localisé dégagement du ciel lui permettant de se repérer car on sait que le temps était ensoleillé ce matin-là, ce qui permit la reprise des reconnaissances aériennes27.
S’il partit vraiment droit sur Verdun, le pigeon 787-15 se heurta au violent bombardement allemand du plateau, au sud de Vaux, en place depuis la veille pour entraver la contre-attaque française. Et ce bombardement fut accentué à partir de 12h30 pour préparer une offensive allemande sur le fort à 15h45, qui échoua aussi, puis après 19h30 pour dissuader l’adversaire de toute riposte. À l’inverse, la fin de nuit et le matin du 5 juin furent plus calmes d’autant que « la pluie empêch[a] toute signalisation »28.
Fig. 10. Situation pour le pigeon 4 (787-15)
(Établie par l’auteur sur carte IGN 3112 ET ; étoiles : bombardements)
Assurément, parmi les quatre pigeons, celui-ci vécut les plus dures conditions et celles-ci durent fortement affecter son vol.
Comme le suggère Raynal dans la citation précédente, ce pigeon subit déjà une forte perturbation des sens29. Sa vue au milieu des nuages artificiels de la guerre : on sait que cette perception sert à la cartographie préalable puis au repérage en vol des terrains parcourus, ce qui était le cas si l’animal avait déjà officié à proximité comme il a été prétendu. Son odorat au contact des gaz et des fumées : cette fonction peut être convoquée pour une navigation à courte distance, comme le trajet à faire. Son ouïe enfin : il la vit sans doute handicapée dans la détection des infra-sons avec le fracas des détonations et dans celle de la pression atmosphérique sans cesse bouleversée par le souffle des explosions, alors que les deux pouvaient aider à se diriger.
Ce 787-15 dut connaître aussi de fortes difficultés à utiliser ses compas solaire et magnétique, essentiels pour les longues distances ou en milieu inconnu ou encore, comme ici, en terrain sans cesse bouleversé et difficile à repérer. L’évocation de deux essais successifs d’envol indiquerait son embarras à mobiliser son compas solaire au décollage et cela a dû être sans cesse le cas ensuite, s’il resta au milieu des bombardements, d’atterrissages en redécollages. On sait maintenant que l’utilisation de ce compas solaire ne s’acquiert qu’au bout d’un solide apprentissage mais d’aucuns croient encore de nos jours que celle du compas magnétique, mise en valeur assez récemment, serait instinctive. L’obligation des armées de la Grande Guerre d’entraîner leurs pigeons au vol nocturne, donc à la mobilisation de ce compas magnétique, avec des résultats très variables selon les individus, montre qu’il n’en est rien. Or, l’on ne sait pas si ce pigeon avait été formé. Dans l’affirmatif, cela n’a pas suffi, non seulement à le diriger mais aussi à l’inciter à traverser les obstacles physiques des éclats, des projections, des nappes s’il ne se projeta pas très haut, ce qui semble probable au regard des difficultés à voler.
En effet, les pigeons adoptent une vitesse lente lors de leur décollage et de leur première ascension, très énergivores, ce qui a dû rendre 787-15 encore plus sensible à l’impact du pilonnage de Vaux comme le prouverait son échec au premier envol. Ensuite, les pigeons dépensent beaucoup d’énergie en virant ou en accélérant brusquement, et celui-ci a dû le faire sans cesse sur le plateau pour éviter les explosions. Ils en consomment encore pour les simples battements d’aile, qui leur demandent une bonne respiration et donc une bonne ventilation, une par battement, ce qui n’a pas dû être aisé au milieu des nappes de fumées, de poussières et de gaz. Nous avons vu que 787-15 avait été intoxiqué au fort, d’autant que les pigeons ouvrent le bec pour mieux respirer par temps chaud comme ce fut le cas à Vaux avec la chaleur dégagée par les explosions et la fermeture des ventilations pour se protéger des attaques. Il a dû s’intoxiquer encore plus à l’extérieur en essayant de respirer un oxygène raréfié, pollué, et cela a dû lui provoquer des tremblements, des troubles nerveux (handicapant la maîtrise de ses compas) et digestifs, comme le décrivent les colombophiles militaires de l’époque, qui diagnostiquaient l’intoxication à ces symptômes. En même temps, les pigeons extraient beaucoup plus d’oxygène dans l’air que les hommes, et notre animal a pu résister en subissant les nappes au fort ou en les traversant dehors, et ils disposent de plusieurs sacs internes de provision d’air, pour compenser le fait que la quasi immobilité de leurs côtes ne permet pas une dilatation poussée des poumons à chaque battement – respiration qui ne procure donc pas assez d’oxygène à lui seul. Ces sacs permettaient aux pigeons en guerre de n’être gazés que lentement, de mieux supporter les effets dans un premier temps, mais la plus lente pénétration affaiblissait tout de même leur puissance peu à peu, ce qui dû être le cas pour 787-15.
Il serait possible de reconstituer l’itinéraire de ce pigeon s’il était allé droit sur Verdun comme le crut Raynal. Mais, au regard de la durée qu’il passa à l’extérieur, on doit se demander ce qu’il fit durant tout ce temps. Deux solutions semblent les plus probables : soit il se réfugia quelque part voire en plusieurs endroits successifs du front en attendant l’accalmie de la fin de nuit ; soit il prit une autre direction pour échapper au bombardement du plateau, se perdit peut-être faute de repère, et ne revint à Verdun qu’avec l’accalmie là-aussi. Dans les deux cas, il arriva malgré la pluie, donc les nuages l’empêchant d’utiliser une carte du ciel stellaire, peut-être en mobilisant son compas magnétique pour se diriger dans l’obscurité, peut-être aussi en pouvant tout de même reconnaître des repères physiques autour de Verdun. Mais il était bien épuisé puisque le colombophile de faction nota qu’il souffrait encore des gaz et qu’il « a failli périr »30.
Pourtant ses efforts n’avaient plus d’utilité humaine. Le soir du 4 juin, deux sapeurs télégraphistes réussirent à sortir du fort de Vaux et à aller jusqu’à celui de Souville pour faire rétablir une communication. Le pigeon 787-15 ne fut donc pas le dernier vivant à s’échapper de Vaux. Un télégraphe optique fut établi à 7h et des messages furent échangés jusqu’à la reddition le 7 juin. La dépêche du pigeon ne fut donc pas la dernière communication de la garnison31.
Cela explique certainement que Georges Beaume, qui fut l’un des premiers à retracer L’Épopée du fort de Vaux (1917)32 ne donna aucune importance à ce pigeon, ne parlant même pas des quatre volatiles, et que Raynal lui-même, dans la première version de son journal en 1919, bâcla le fait en deux lignes : « J’expédie mes deux derniers pigeons en me faisant plus pressant dans mes rapports ». Le reste du paragraphe n’est pas à la gloire des pigeons : « ce mode de liaison n’est pas d’une sûreté parfaite, l’un de ces messagers peut tomber aux mains de l’ennemi », et de citer le cas de son troisième pigeon qui aurait perdu son message, en se fiant à une affirmation du capitaine Henry Bordeaux dans Les derniers jours du fort de Vaux (1917), mais qui était fausse et que Raynal corrigea dans les éditions ultérieures. Il avait pourtant écrit un paragraphe enthousiaste d’une cinquantaine de pages auparavant, en présentant sa garnison lors de l’évocation de son arrivée à Vaux :
Un chiffre encore, j’allais oublier dans la revue de mes forces, quatre soldats d’une arme très spéciale, quatre héros enfermés dans une cage et qui ne trahissent leur présence que par leurs tendres roucoulements : des pigeons du colombier de Verdun, admirables courriers ailés qui, au travers des tirs de barrage, parmi les éclatements des bombes et des marmites, seront à un moment nos uniques agents de liaison avec l’arrière.
Mais il faut plus l’analyser comme une volonté de glorifier tous les vivants présents, en glorifiant sans le dire, par ricochets, leur commandant, que comme un véritable intérêt car il confondit ensuite jours et heures à propos des deux premiers pigeons, comme il crut avoir envoyé les deux autres le même jour, le 4 juin33. En fait, la vedette animale dans son récit n’était pas le matricule 787-15, ni les autres pigeons, mais le chien Quiqui, né dans les tranchées, apporté par un soldat à Vaux, adopté juste avant la reddition par Raynal pour que les Allemands, qui n’acceptaient que les chiens des officiers, ne le tuent pas, et parti en captivité avec ce nouveau maître. Il devint une célébrité à la sortie du livre car Raynal lui consacra un chapitre, le fit prendre en photo à côté de lui et siéger ainsi en pleine page de journaux comme l’un des héros du fort de Vaux. Mais Quiqui fut vite oublié ensuite.
Fig. 11. Raynal et Quiqui34
Dans la première version de son récit, Raynal ne reprit même pas les affirmations de Bordeaux à propos d’« un pauvre pigeon blessé qui se traîne péniblement jusqu’à son gîte », le 4 « vers midi », « dernier trait d’union avec le fort », « blessé en service commandé »35, allégations toutes erronées puisque 787-15 était gazé et non blessé, qu’il n’arriva que le 5, qu’aucun autre pigeon ne survint à Verdun ce 4 juin à midi, et que l’auteur précisait lui-même à la page suivante que deux coureurs sortirent de Vaux le lendemain. Il n’empêche que le long succès du livre du capitaine a dû contribuer à instiller cette légende dans les esprits.
Une deuxième étape eut lieu du 4 au 9 février 1920, lors de l’exposition organisée par la Société Centrale d’Aviculture au Grand Palais à Paris. À côté des meilleurs spécimens de la production française, on décida de présenter d’anciens pigeons voyageurs du colombier de Verdun. Un petit film, Les derniers pigeons de Verdun au Grand Palais36, immortalisa l’affaire et le lecteur peut désormais le visionner puisqu’il vient d’être restauré et déposé sur internet37. Or, il montre et prouve plusieurs aspects oubliés ou controversés. D’abord que 787-15 était bien présent, donc encore bien vivant ! S’il avait été gazé, s’il avait « failli périr »38, il avait bel et bien été guéri, désintoxiqué sans doute à coups de purgatifs et de diurétiques comme on savait le faire pour éliminer peu à peu les toxines. Il mourut donc après-guerre, à une date incertaine, peut-être en 193739. Paradoxalement, la citation qui lui avait été accordée lors de cette exposition et qui était affichée au-dessus de sa cage suggérait le contraire et véhicule encore le contraire du fait de sa grande diffusion : « Fortement intoxiqué, est arrivé mourant au colombier », où un mot malheureux, mal choisi, construisit une légende !
Cependant, 787-15 fut loin d’être le seul exposé au Grand Palais et loin d’être le seul distingué : une vingtaine de pigeons furent présentés avec lui, dans des cages en osier semblables à celles utilisées durant la guerre, alignées sur deux tréteaux. Et toutes ces cages affichaient au-dessus d’elles un diplôme avec citation, accordé à chaque pigeon. Il ne semble pas que ces citations étaient d’origine militaire, car il n’y a aucune trace d’elles aux archives de Vincennes. Elles durent être composées par ces associations, peut-être avec le concours de militaires du colombier de Verdun, donc sans caractère officiel. Il reste que la mémoire collective n’a retenu que le cas du 787-15 et oublié les autres alors qu’ils ont tous été décorés et qu’ils semblent avoir tous été conservés par l’armée, sans distinction.
787-15 fut tout de même mis en avant de deux manières : à l’exposition, en ayant au-dessus de sa cage la reproduction agrandie du dernier colombogramme de Raynal ; dans le film, qui le montra en gros plan sorti de la cage et caressé par un colombophile, un film qui exhiba aussi un autre gros plan de la cage, de la citation et du message raynaldien. Toutefois, ce fut aussi le cas pour un autre pigeon, le 183-14, le troisième du commandant Raynal. Ces pigeons de Vaux et pas les autres de Verdun du fait la grande renommée de l’épisode du fort. Ces deux pigeons et pas les deux premiers sans doute parce que Raynal avait écrit à tort en 1919 qu’il avait envoyé les derniers le même jour. Cependant, 787-15 fut un peu plus privilégié. Alors que son congénère et tous les autres furent récompensés d’une bague militaire, il fut le seul à recevoir une bague d’honneur… parce qu’il avait été le dernier pigeon à s’échapper de Vaux.
C’est ce qui fit qu’il devint vite le seul évoqué et ce, dès 1920 par la presse couvrant l’événement de l’exposition d’aviculture et des pigeons de Verdun. Le dimanche suivant, Le Miroir, journal illustré populaire à grande diffusion, qui consacrait sa couverture à la remise de la croix de guerre à la ville d’Épernay par Clemenceau, accorda une page à la décoration des pigeons au Grand Palais et choisit de montrer une photographie pleine page d’un seul pigeon : le 787-15 dans sa cage portant la citation, le colombogramme et une plaque indiquant « Dernier pigeon envoyé par le comdt Raynal », avec ledit commandant surimposé en médaillon sur le côté supérieur gauche et un gros titre reprenant le qualificatif de dernier pigeon de Vaux.
Fig. 12. L’avènement médiatique du pigeon 787-1540
La sélection de ce pigeon fut entérinée en 1929 lorsque la société colombophile de Verdun, dite « Pigeon de Verdun », obtint la permission des autorités d’apposer, le 24 juin, une plaque au fort de Vaux, plaque financée par souscription des Sociétés Colombophiles de France et des « Amis des pigeons voyageurs », des groupes très entreprenants, qui gagnèrent ensuite le droit d’ériger un grand monument en l’honneur de tous les pigeons de la guerre à Lille en 1936. Cette stèle avait pour titre : « Aux colombophiles morts pour la France. Au pigeon de Verdun ». Il est possible que cette dernière expression ne voulait pas dire un seul pigeon mais le pigeon de Verdun comme groupe à l’instar du nom de l’association locale. Cependant, en ne présentant dessous que le cas du 787-15, avec son message et sa citation, la plaque semblait confirmer qu’il était le seul commémoré. Peut-être encore une expression malheureuse !
Cette stèle permit le décollage de cette légende. Désormais, elle proclamait à tous les visiteurs que 787-15 fut un héros qui « accomplit sa mission » (ainsi qu’il est écrit entre les textes du colombogramme et de la citation sans préciser le temps du trajet, en suggérant au contraire que l’animal fut prompt), qu’il fut le dernier pigeon avec le dernier message, et donc le dernier vivant échappé puisque la citation affirmait sans vergogne qu’il avait « transmis les derniers renseignements qui aient été reçus de cet officier », enfin qu’il était mort des suites de son dévouement en arrivant « mourant ».
1916
1914 1929
Aux Colombophiles
Morts pour la France
Au Pigeon de Verdun
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De ce fort est parti pendant la bataille de Verdun, le 4 juin 1916, le dernier pigeon voyageur du Commandant Raynal (N° 787-15) portant le message suivant :
« Nous tenons toujours mais nous subissons une attaque par les gaz et les fumées très dangereuse. Il y a urgence à nous dégager. Faîtes nous donner de suite communication optique par Souville qui ne répond pas à mes appels. C’est mon dernier pigeon. »
Le pigeon accomplit sa mission et a obtenu la citation suivante :
« Malgré des difficultés énormes résultant d’une intense fumée et d’une émission abondante de gaz, a accompli la mission dont l’avait chargé le commandant Raynal. Unique moyen de communication de l’héroïque défenseur du fort de Vaux, a transmis les derniers renseignements qui aient été reçus de cet officier. Fortement intoxiqué, est arrivé mourant au colombier. »
Diplôme de bague d’honneur
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Cette plaque a été érigée par souscription des Sociétés Colombophiles de France, par les Amis des Pigeons Voyageurs et par les soins du « Pigeon de Verdun », société colombophile de Verdun, et inaugurée le 4 juin 1929.
Raynal accéléra l’envol. Non pas en 1930, lorsqu’il enregistra sur un disque commercial une évocation du siège de Vaux, ne privilégiant pas le dernier pigeon, ni même les pigeons : « Et chaque jour, par pigeons et ensuite par optique, la France reçoit du défenseur de Vaux ce message confiant et résolu : nous tenons toujours ! » 41. Mais les années suivantes lors des rééditions de son récit, qui furent aussi des réécritures42. Enfin informé de la plaque de 1929 et de la citation de 1920, il inséra en tout début du livre un fac-similé du dernier colombogramme, donnant ainsi la première place à un message qui n’avait eu aucun rôle militaire ! Il rajouta la description, évoquée et analysée plus haut, de l’envol de 787-15, tout en supprimant l’évocation du troisième pigeon et en gardant les confusions à propos des premiers. Il fit suivre cela d’un hommage appuyé au 787-15 :
Mon brave pigeon a utilisé ses derniers battements d’ailes pour parvenir au colombier militaire établi dans la citadelle de Verdun. Intoxiqué par les gaz, il est mort peu après, pigeon soldat, tel le soldat de marathon expirant après avoir fait tout son devoir. Et il a été donné au dernier pigeon du fort de Vaux une citation très élogieuse avec bague aux couleurs de la Légion d’honneur. Cette citation a été gravée sur une plaque de marbre apposée à côté de la porte d’entrée du fort43.
Intoxiqué (!) par le texte de la plaque, ne connaissant qu’elle et pas les archives militaires, l’exposition au Grand Palais, le film réalisé et la survie du 787-15, peut-être encore vivant lorsqu’il écrivit ces lignes, Raynal reprit toutes les erreurs. Et depuis, son récit est diffusé et lu en cette version !
À la même époque, en 1934, Antonin et Raoul Tauziès publièrent les Souvenirs d’un pigeon voyageur de la grande guerre, d’après des notes fournies par M. Leroy-Béague, consacrés au 787-15. Au milieu d’affirmations invérifiables aujourd’hui sur les premiers faits d’arme de l’animal, le livre soutenait qu’il avait survécu44 mais cela ne fut guère retenu sauf par quelques-uns qui purent nourrir une petite controverse à ce propos jusqu’à nos jours. Plus important, ce texte était rédigé d’une manière amusante, comme si l’animal parlait, écrivait, et il était inséré à la suite d’un autre récit du même genre, les Mémoires d’un pigeon voyageur évoquant un animal fictif. 787-15 devenait ainsi un héros de légende et de fiction.
Ensuite, les affaires allèrent bon train ! Les sites internet permettent de retrouver des objets fabriqués à cette époque, sans doute vendus à Verdun ou sur catalogue et tout à la gloire du pigeon : cadre doré avec photographie en couleur d’un pigeon présenté comme le 787-15 et reproduction de la phrase manuscrite de Raynal, « C’est mon dernier pigeon »45, cendrier en métal, affichant le même fond46, encrier en métal avec une sculpture de pigeon entre deux récipients47, statue en bronze du pigeon posé sur un roc48, médaille du fort de Vaux, avec l’animal trônant sur un casque49, cartes postales affichant au recto la photo du pigeon, au verso le texte du colombogramme, à côté de l’adresse à remplir50, etc. Ce type d’objet semble passer de mode après 1945 avec le déclin d’intérêt pour la Grande Guerre au regard du second conflit mondial, mais il s’édita toujours des cartes postales en l’honneur du dernier pigeon, par exemple avec dessin de l’animal, texte de Raynal, photographie des ruines du fort.
Fig. 13. Carte postale de 195551
Le souvenir du pigeon ne disparut donc pas. Il fut même ravivé grâce au retour de passion pour la première guerre mondiale à partir des années 1980, du fait de la disparition des derniers poilus et de l’approche du centenaire, et grâce à la redécouverte du rôle majeur des animaux dans ce conflit, les bêtes profitant, comme les soldats, de la victimisation de tous ces héros aux yeux de notre époque qui ne comprend plus cette guerre, notamment le nationalisme, la haine de l’autre, l’endurance et le sacrifice au front. Textes littéraires pour adultes52, livres illustrés pour enfants53, notices en divers magazines54 et sur nombre de sites internet55 évoquent de nos jours l’aventure de ce pigeon. Tous véhiculent l’affirmation qu’il alla droit et vite sur Verdun. Tous l’appellent donc Vaillant ou Le Vaillant, un surnom qui ne semble pas dater de Verdun, qui ne figure dans aucun texte du temps de la guerre ou de l’immédiat après-guerre, qui semble apparaître dans les années 1930, qui pose maintenant problème car se diffuse l’idée, évoquée par les Thauziès en 193456, qu’il fut… une femelle, et qui va créer un autre problème du fait de son inadéquation avec la réalité révélée ici. La plupart des présentations certifient qu’il fut le dernier messager de Vaux, le dernier vivant échappé, beaucoup qu’il mourut en arrivant, certaines qu’il reçut une citation à l’ordre de la nation, voire la croix de guerre ou la légion d’honneur, en oubliant que le texte de cette citation ne dit rien de cela, qu’il n’y a pas de trace de ces décorations dans les archives et que, si le diplôme reçu avait bien les couleurs de la légion d’honneur sans doute par simple imitation de forme, il n’était pas différent de ceux des autres pigeons récompensés en 1920 mais bien oubliés depuis.
La morale de cette histoire est qu’il en fut de Vaillant comme d’autres animaux de guerre, tel le cheval britannique Warrior embusqué mais décoré57, et comme des soldats. Ce ne sont pas forcément les meilleurs qui sont élus ! Les légendes de ces animaux furent construites puis véhiculées sans se soucier de la réalité de leur service, comme on décora les derniers poilus vivants sans s’inquiéter de leurs faits d’armes, parce qu’ils symbolisaient, incarnaient, personnifiaient tous les autres de leur espèce. Comme Cher-Ami pour les Américains, Vaillant est devenu le représentant français des pigeons de la Grande Guerre, un flambeau du souvenir et de la reconnaissance. Il est vrai qu’il a certainement plus souffert en son aventure que les trois autres pigeons de Vaux et cela résonne bien avec notre conception actuelle des héros, où la souffrance peut être plus remarquée et jugée plus importante que le mérite. En ce sens, on peut faire tomber le voile sur la réalité de Vaillant sans le faire tomber de son piédestal !
[1] Site https://verdun-meuse.fr, consulté le 24 juillet 2017.
[2] Site http://www.balades-historiques.com/tag/www-balades-historiques-com, consulté le 24 juillet 2017.
[3] Éric BARATAY, Bêtes des tranchées, des vécus oubliés, Paris, CNRS Éditions, 2013.
[4] Site http://www.animaux-online.com, consulté le 30 mars 2017.
[5] Service historique de la défense (désormais SHD), 16 N 2249, dossier 4472/1, récapitulatif des messages par pigeon.
[6] Ministère de la Guerre. État-Major de l’armée. Service Historique, Les armées françaises dans la Grande Guerre, Paris, Imprimerie Nationale, 1931-1935. Les trois messages sont retranscrits dans IV, 2, 1, p. 1195, 1196, 1229.
[7] Henry BORDEAUX, Les derniers jours du fort de Vaux, Paris, Plon, 1917 ; Sylvain RAYNAL, Journal du commandant Raynal. Le fort de Vaux, Paris, Albin Michel, 1919 ; Les armées françaises…, op. cit., IV, 2, p. 69-75.
[8] Antonin et Raoul THAUZIÈS, Souvenirs d’un pigeon voyageur de la grande guerre, d’après des notes fournies par M. Leroy-Béague, Paris, Delagrave, 1934, p. 173.
[9] Éric BARATAY, op. cit.
[10] Site http://www.lesfrancaisaverdun-1916.fr, consulté le 24 juillet 2017 ; flèches noires et traits rouges sont de l’auteur.
[11] Mentions sur le temps : SHD, 16 N 2249, dossier 4472/1, récapitulatif des messages.
[12] SHD, 16 N 2242, colombiers nocturnes.
[13] SHD, 16 N 2249, dossier 4472/1, récapitulatif des messages.
[14] Sylvain RAYNAL, op. cit., p. 95-96. À noter que l’auteur évoque 1500 à 2000 obus par heure dans une version des années 1930 : Colonel RAYNAL, Le drame du fort de Vaux. Journal du commandant Raynal, Verdun, Éditions Lorraines, s. d., p. 99.
[15] Les armées…, op. cit., IV, 2, 1, p. 1166 (citation)-1194 ; 101e RI, Historique du régiment, Sartrouville, Imprimerie du Progrès, 1920 ; Historique du 142e RI, Nancy, Berger-Levrault, s. d., p. 15-17.
[16] SHD, 16 N 2249, dossier 4472/1, récapitulatif des messages.
[17] Les armées…, op. cit., IV, 2, 1, p. 1166 (citation), 1174, 1177, 1194 ; Historique du 142e, op. cit., p. 17-18.
[18] Les armées…, id., IV, 2, 1, p. 1164, 1219-1221, 1247 ; SHD, 16 N 2249, dossier 4472/1, récapitulatif des messages.
[19] Antonin et Raoul THAUZIÈS, op. cit., p. 164-174 ; Jacques MORIN, Le pigeon voyageur, Paris, Vigot, 1938, p. 15 ; SHD, Id.
[20] SHD, 16 N 2250, dossier 4470-1, lettre du gouverneur militaire de Paris, 8 septembre 1916.
[21] Sylvain RAYNAL, Journal…, op. cit., p. 101-117, citation p. 116-117 ; Historique du 142e, op. cit., p. 17.
[22] Colonel RAYNAL, Le drame…, op. cit., p. 131.
[23] SHD, 16 N 2249, dossier 4472/1, récapitulatif des messages.
[24] 101e RI, op. cit., p. 39.
[25] Historique du 298e RI, Roanne, Souchier, 1921, p. 16 ; Les armées…, op. cit., IV, 2, 1, p. 1228, 1247-1248
[26] Colonel RAYNAL, Le drame…, op. cit., p. 131-132.
[27] Les armées…, op. cit., IV, 2, 1, p. 1248.
[28] Id., IV, 2, 1, p. 1243, 1281 (citation)
[29] Pour ce paragraphe sur le comportement des pigeons, nous renvoyons à Henri VINDEVOGEL et al., Le Pigeon Voyageur, Maison-Alfort, Point Vétérinaire, 1994 ; Philippe BAYOL, La navigation du pigeon voyageur, Lyon, Thèse vétérinaire, 2005 ; Edward WASERMAN et al., « Recognition by components: a bird’s eye view », in Olga LAZAREVA et al. (éd.), How Animals See the World, New York, Oxford University Press, 2012, p. 191–216 ; Fabian SOTO et Edward WASSERMAN, « Mechanisms of object recognition », Frontiers in Neural Circuits, 13 octobre 2014. Il faut aussi recourir aux ouvrages de l’époque, qui consignent des savoirs et des gestes humains, ainsi que des comportements animaux qui ont pu être oubliés ou n’ont plus cours : Raymond ZAEPFFEL, Le Pigeon Voyageur, Paris, Maison Rustique, 1925 ; Jacques MORIN, op. cit.
[30] SHD, 16 N 2249, dossier 4472/1, récapitulatif des messages.
[31] Historique du 142e, op. cit., p. 18 ; Colonel RAYNAL, Le drame…, op. cit., p. 134 ; Les armées…, op. cit., IV, 2, p. 72-73 et IV, 2, 1, p. 1278-1291.
[32] Paris, Rouff, 1917.
[33] Sylvain RAYNAL, Journal…, op. cit., p. 73-74 (citation), 105, 109, 115, 126 (citations).
[34] Supplément illustré du Petit Journal, 5 février 1919, p. 64.
[35] Paris, Plon, 1917, p. 250-251.
[36] Film nuet, noir et blanc, producteur Albert Kahn, opérateur Camille Sauvageot, France, 1 mn 34, musée Albert-Kahn.
[37] http://www.cnc-aff.fr/internet_cnc/Internet/ARemplir/parcours/EFG1914/pages_FR/K_79125.html ; dernière consultation le 24 juillet 2017.
[38] SHD, 16 N 2249, dossier 4472/1, récapitulatif des messages.
[39] Date avancée dans Armées d’aujourd’hui, 210, mai 2016, p. 33.
[40] Le Miroir, 15 février 1920, p. 12.
[41] Paris, Columbia, 1930, 78 tours, 25 cm. Face A : Une page de la bataille de Verdun / Colonel Raynal, défenseur du fort de Vaux en 1916, 2 mn 59.
[42] Une édition sans date (après 1930) aux Éditions Lorraines à Verdun ; une autre, au texte semblable, chez Albin Michel en 1935.
[43] Colonel RAYNAL, Le drame…, op. cit., p. 132.
[44] Op. cit., p. 153, 178.
[45] http://www.premiere-guerre-mondiale-1914-1918.com/artisanat-des-tranchees.html ; consulté le 24 juillet 2017.
[46] http://www.ebay.fr/itm/CENDRIER-VERDUN-FORT-DE-VAUX-POILUS-TRANCHEE-1er-GUERRE-MONDIALE-PIGEON-BRONZE-/182531880479 ; consulté le 24 juillet 2017.
[47] http://lepoilu-paris.com/fr/2184-encrier-souvenir-pigeon-fort-de-vaux-verdun-1916.html ; consulté le 24 juillet 2017.
[48] http://blogs.ac-amiens.fr/lamarckcentenaire/index.php?post/2013/11/19/Vaillant ; consulté le 24 juillet 2017.
[49] http://duivenmilitary.skyrock.com/photo.html?id_article=3024607170&id_article_media=14675487 ; consulté le 24 juillet 2017.
[50] Id.
[51] http://www.mascoo.com/index.php?g1xwWnp+jaJ3lHNn&bookmark=3 ; 1955 ; consulté le 24 juillet 2017.
[52] Charles DUTTINE, « Columbia Livia », C’était la guerre. Nouvelles, Paris, Pulp Éditions, 2014.
[53] Jean-Michel DEREX, Le pigeon Vaillant héros de Verdun, Paris, Pierre de Taillac, 2016.
[54] Armées magazine, op. cit.
[55] De Wikipedia à Verdun-meuse en passant par animaux-online.
[56] Op. cit., p. 179.
[57] Éric BARATAY, Biographies…, op. cit.
Résumé
Le pigeon 787-15 est le dernier lâché par la garnison du fort de Vaux avant sa reddition le 7 juin 1916. Il n’arrive à Verdun qu’avec beaucoup de retard, rendant son message inutile. Pourtant, après-guerre, il est promu héros français, à tel point que son souvenir est encore vivace. Pour comprendre ce fait paradoxal, il faut l’envisager dans sa globalité, c’est-à-dire dans ses deux aspects, animal et humain. Pour le premier, occulté jusqu’à présent, il s’agit de reconstituer les conditions, les vécus et les voyages des quatre pigeons présents au fort de Vaux lors de l’attaque allemande, de manière à contextualiser le cas du dernier, ce matricule 787-15, le plus lent mais aussi le plus gazé. Sur son état s’est greffé l’aspect humain, progressivement construit par les associations colombophiles, la presse, les pratiques de commémoration, l’animal devenant un symbole de résistance et de dévouement.
Abstract
This pigeon is the last released by the garrison of Fort de Vaux before surrender in June 7, 1916. It arrives at Verdun with much delay, rendering its message useless. Nevertheless, after the war, he is promoted French hero, so much so that his memory is still alive. To understand this paradoxical fact, we must consider it in its entirety, in its two aspects, animal and human. For the first, hidden until now, we have to reconstruct the conditions, experiences and travels of the four pigeons present at Fort de Vaux during the German attack, so as to contextualize the case of the last, this number 787-15, the slowest but the most gassed. The human aspect was gradually built up by pigeon fanciers, the press and commemoration practices, and the animal became a symbol of resistance and loyalty.
Les vols des trois pigeons précédents
La construction d’une légende : les années 1920
Éric BARATAY
Membre de l’Institut Universitaire de France
Université Lyon 3, UMR 5190
BAYOL, Philippe, La navigation du pigeon voyageur, Lyon, Thèse vétérinaire, 2005.
BARATAY, Éric, Bêtes des tranchées, des vécus oubliés, Paris, CNRS Éditions, 2013.
Beaume, Georges, L’Épopée du fort de Vaux, Paris, Rouff, 1917.
BORDEAUX, Henry, Les derniers jours du fort de Vaux, Paris, Plon, 1917.
DUTTINE, Charles, « Columbia Livia », C’était la guerre. Nouvelles, Paris, Pulp Éditions, 2014.
DEREX, Jean-Michel, Le pigeon Vaillant héros de Verdun, Paris, Pierre de Taillac, 2016.
Historique du 142e RI, Nancy, Berger-Levrault, s. d.
Historique du 298e RI, Roanne, Souchier, 1921.
Le Miroir, 15 février 1920.
Ministère de la Guerre. État-Major de l’armée. Service Historique, Les armées françaises dans la Grande Guerre, Paris, Imprimerie Nationale, 1931-1935.
MORIN, Jacques, Le pigeon voyageur, Paris, Vigot, 1938.
RAYNAL, Colonel, Le drame du fort de Vaux. Journal du commandant Raynal, Verdun, Éditions Lorraines, s. d.
RAYNAL, Sylvain, Journal du commandant Raynal. Le fort de Vaux, Paris, Albin Michel, 1919.
101e RI, Historique du régiment, Sartrouville, Imprimerie du Progrès, 1920.
Service historique de la défense (désormais SHD), 16 N 2249, dossier 4472/1, récapitulatif des messages par pigeon.
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Site balades-historiques.com, http://www.balades-historiques.com, consulté le 24 juillet 2017.
Site lesfrancaisaverdun-1916.fr, http://www.lesfrancaisaverdun-1916.fr, consulté le 24 juillet 2017.
Site premièreguerremondiale, http://www.premiere-guerre-mondiale-1914-1918.com/artisanat-des-tranchees.html ; consulté le 24 juillet 2017.
Site verdun-meuse.fr, https://verdun-meuse.fr, consulté le 24 juillet 2017.
SOTO, Fabian et WASSERMAN, Edward, « Mechanisms of object recognition », Frontiers in Neural Circuits, 13 octobre 2014.
Supplément illustré du Petit Journal, 5 février 1919.
THAUZIÈS, Antonin et Raoul, Souvenirs d’un pigeon voyageur de la grande guerre, d’après des notes fournies par M. Leroy-Béague, Paris, Delagrave, 1934.
VINDEVOGEL, Henri et al., Le Pigeon Voyageur, Maison-Alfort, Point Vétérinaire, 1994.
WASERMAN, Edward et al., « Recognition by components : a bird’s eye view », in Olga LAZAREVA et al. (éd.), How Animals See the World, New York, Oxford University Press, 2012.
ZAEPFFEL, Raymond, Le Pigeon Voyageur, Paris, Maison Rustique, 1925.