Séverine (1855-1929), alias Caroline Rémy, est considérée, notamment par Marie-Ève Thérenty1, comme la première femme journaliste professionnelle parce qu’elle a entièrement gagné sa vie grâce à l’écriture de ses très nombreux articles publiés dans des journaux et magazines de tout type et de toute coloration politique, de 1883 à 1929. De fait, peu de temps après sa mort, elle est qualifiée par Albert Cazès de « princesse du journalisme »2, ce qui atteste sa grande célébrité due essentiellement aux combats qu’elle a menés.
Pour autant, qui se souvient de Séverine aujourd’hui ? Quelques spécialistes et historien·nes de la presse, du féminisme et de la IIIe République.
Pourtant, un peu partout en France, des lieux portent la mémoire de Séverine grâce à des toponymes (square Séverine dans le XXe arrondissement de Paris, place Séverine au Pré-Saint-Gervais, impasse et place Séverine à Nîmes, etc.). Deux lieux en particulier méritent d’être étudiés, Pierrefonds et Saint-Étienne, pour les liens spécifiques qui les unissent à Séverine.
Peu de travaux portant uniquement sur ces lieux liés à la mémoire de Séverine ont été menés. Certes, les biographes de Séverine ont tous et toutes évoqué Pierrefonds, en premier lieu Bernard Lecache3 dès 1930, suivi d’Évelyne Le Garrec en 19824 et de Paul Couturiau en 20015, mais aucun de ces ouvrages n’aborde directement la question de la valorisation des lieux séveriniens. On peut donc considérer que le premier article abordant la question plus frontalement et contenant une partie intitulée « Séverine et Pierrefonds » est écrit par Elie Fruit en 1991 et se trouve dans le n°49-50 des Annales historiques compiégnoises6. Il est intéressant de noter qu’il s’agit d’une publication liée à la Société historique de Compiègne sur le site de laquelle les publications sont recensées7 : l’intérêt pour la maison de Séverine est donc avant tout régional. Dans le même ordre d’esprit, Laurence Ducousso-Lacaze a, plus récemment, publié deux articles sur Séverine et Pierrefonds dans un objectif de désinvibilisation des figures féminines oubliées et de valorisation d’un matrimoine local8. Plus spécifiquement, Sophie Muscianese a mené un travail de généalogie immobilière sur la maison de Séverine9. Ces différents articles ont tous été publiés par la Société d’Histoire et d’Archéologie du Valois10. Jusqu’à ce jour, on peut donc constater d’une part que le nom de Séverine n’est associé qu’au seul village de Pierrefonds, où est sise son habitation personnelle, et que les études ont été essentiellement le fait d’intérêts régionaux. Il existe d’ailleurs un dossier déposé sur le site L’Inventaire des Hauts-de-France au sujet de la maison de Séverine à Pierrefonds, réalisé par Vivienne Rat-Morris dans le cadre d’une étude thématique régionale intitulée « Villégiature et tourisme en Hauts-de-France »11. Aucun autre lieu en dehors de Pierrefonds n’a fait l’objet d’une étude particulière permettant de rendre compte de traces de la mémoire de Séverine. Enfin, aucune étude ne s’est à ce jour penchée sur les potentialités de valorisation matrimoniale que pourrait représenter le rapprochement des lieux liés à Séverine avec son activité journalistique. Il s’agit donc d’un nouveau champ de recherches qui ne demande qu’à être développé.
Pour mener à bien notre étude12, nous avons travaillé de deux manières opposées. Pierrefonds se trouvant dans notre région et donc dans un lien de proximité géographique, nous sommes parties des lieux pour aller vers les articles : c’est à l’occasion d’une visite guidée de Pierrefonds que nous avons découvert il y a plusieurs années sa maison et son existence. Par la suite, nous nous sommes documentées sur Séverine et sur sa maison, grâce à de nombreux articles écrits par des journalistes du vivant de celle-ci, des articles écrits après sa mort, mais aussi des textes écrits par Séverine sur son village d’adoption. De nombreux documents provenant des Archives départementales de l’Oise nous ont aussi permis de retracer la généalogie immobilière de sa maison depuis ses origines jusqu’à son rachat par Marguerite Durand après la mort de Séverine13. À l’inverse, pour Saint-Étienne, ce sont d’abord les articles écrits par Séverine sur la mine que nous avons consultés. Ces derniers nous ont ensuite conduites vers la ville que nous avons visitée afin de mener, à notre tour, une enquête de terrain, notre objectif étant de chercher les traces encore visibles de Séverine dans cette ville. Ce travail de mémoire a été mené dans le cadre de l’association Les Ami·es de Séverine que nous avons créée en 2021 et dont les buts principaux sont les suivants14 : « perpétuer et raviver le souvenir de Caroline Rémy, dite Séverine (1855-1929), valoriser le patrimoine immatériel et matériel qui lui est rattaché et promouvoir la place des femmes dans le journalisme et les médias ».
La réflexion que nous menons dans l’étude que nous proposons s’inscrit dans des enjeux plus larges de valorisation patrimoniale, à l’intérieur desquels il nous paraît essentiel de mettre en avant un matrimoine matériel et immatériel, afin de lutter contre l’oubli, voire la disparition, de figures littéraires majeures mais aussi pour enrichir les regards que l’on peut porter sur la réalité historique et sociale de certains lieux : envisager Pierrefonds en dehors de l’hégémonie de la pierre liée au Château de Napoléon III, sortir des représentations de la mine construites en grande partie à partir des textes littéraires naturalistes tels que ceux d’Émile Zola, et enfin promouvoir la création d’un matrimoine culturel riche et varié sont les objectifs de notre démarche globale.
Ainsi, parce que nous nous sommes systématiquement appuyées sur la mise en relation des lieux et des textes, nous nous demanderons comment et pourquoi il est nécessaire de faire dialoguer ces matrimoines matériel et immatériel.
Le 20 janvier 188415, la gare de Pierrefonds-les-Bains est inaugurée et le chemin de fer relie désormais la petite bourgade de l’Oise à Paris au départ de la gare du Nord en passant par Villers-Cotterêts. Séverine y séjourne dès la fin du siècle, d’abord à l’Hôtel des Bains, puis en location : la présence de la forêt et d’un lac lui offre un havre de paix où elle peut se reposer loin des polémiques journalistiques, et elle y vient également en convalescence après une opération. En 1904, elle achète, au nom de sa mère, la maison rue du Beaudon située perpendiculairement à la rue qui mène à la gare : elle peut ainsi facilement se rendre dans la capitale et recevoir des visites. Elle quitte alors son appartement situé 14, boulevard Montmartre à Paris, dans un immeuble où elle a eu pour voisin Édouard Drumont et son journal La Libre Parole de 1892 à 1900, et qui sera détruit en 1934. Séverine profite désormais pleinement de la nature et des animaux qu’elle chérit tout en se trouvant à proximité de la capitale qui abrite la République du Croissant, le célèbre quartier de la presse situé entre Réaumur et Opéra. Ce choix de Séverine fait écho à celui de Zola qui en 1878 acquiert une maison à Médan au bord de la Seine, suite au succès de L’Assommoir.
Les documents associant Séverine et Pierrefonds sont nombreux : ils témoignent de la célébrité de la journaliste et du lien qu’elle a tissé avec cette station thermale en vogue sous le Second Empire, où s’élève le château restauré par Viollet-le-Duc. Par exemple, deux cartes postales avec les dates de 1904 et 1907, présentent Séverine avec en arrière-plan la silhouette emblématique du château : cette association suggère que les deux jouissent de la même notoriété et que la journaliste est déjà bien connue au début du siècle.
Images 1 et 2 : cartes postales datées respectivement de 1904 et 1905 représentant Séverine à Pierrefonds avec le Château en arrière-plan (Coll. particulière Sophie Muscianese)
Il est à noter que la photographie de sa maison est aussi éditée en carte postale avec la légende : « Pierrefonds – rue du Beaudon – Maison de Séverine ».
Image 3 : carte postale représentant la « Maison de Séverine », rue du Beaudon à Pierrefonds, vue de la gare (Coll. particulière Sophie Muscianese)
Ce document fournit une information concernant la configuration de cette maison puisque l’étage qui coiffe les deux ailes n’a pas encore été édifié. En effet, Séverine n’aura de cesse d’augmenter son patrimoine immobilier puisqu’elle fera surélever sa maison et achètera plusieurs terrains boisés la jouxtant. Ainsi, à sa mort elle possède « trois maisons et un ensemble de terrains de 25 951 m ², soit deux hectares et demi de terre et de bois situés sur la colline du Beaudon avec une vue imprenable sur le château de Pierrefonds »16. Ces achats sont possibles grâce aux revenus que Séverine tire de ses nombreuses collaborations journalistiques : en investissant de façon très pragmatique, elle assure son indépendance et se met à l’abri du besoin. Là encore, un parallèle est possible avec Zola qui fait agrandir sa maison et achète des terrains au fur et à mesure qu’il s’enrichit grâce à la vente de ses romans (sa propriété passe de 1600 à 41909 m ²)17.
Des articles de presse abondamment illustrés mettent par ailleurs en scène Séverine à Pierrefonds. Le n°41 de la revue Femina du 1er octobre 190218 lui consacre un reportage de trois pages intitulé « Madame Séverine » et signé par Pierre L’Heureux. Il comporte quatre photographies où la journaliste pose en extérieur dans différentes tenues, parfois avec ses quatre chiens et les légendes soulignent la dimension bucolique des lieux :
Le jardin de Mme Séverine à Pierrefonds, est tout en bois et en prairies. Il monte à flanc de coteau jusqu’à la lisière de la forêt. C’est dans une prairie, d’où la vue s’étend radieuse sur l’étang et sur le château, que cette vue a été prise.
Une photographie la présente également dans son intérieur : « Mme Séverine chez elle, assise dans le foyer de la grande cheminée de sa salle à manger, à Pierrefonds. »
Image 4 : Illustration de l’article « Madame Séverine » de Pierre L’Heureux, publié dans le N°41 de Femina, 1er octobre 1902 (Coll. particulière Sophie Muscianese)
Dans le numéro du 19 mars 1905, la « Revue hebdomadaire illustrée », Paris qui chante, annonce en couverture « La chanson de Paris, causerie faite à l’Odéon par Mme Séverine »19 : celle-ci est retranscrite sur deux pages avec trois photographies dont deux prises à Pierrefonds alors que le sujet de l’article n’a aucun rapport avec le lieu. Le 1er septembre 1912, dans le numéro 23 du Miroir André Arnyveld signe un article de deux pages intitulé « Le Miroir du succès : Séverine »20, illustré par quatre portraits de la journaliste à différentes époques de sa vie, ainsi que par une photographie de sa maison. Tout au long de la carrière, et jusqu’à sa mort, Pierrefonds, et en particulier sa maison, sont convoqués dès lors qu’il s’agit de célébrer la journaliste.
Séverine elle-même présente Pierrefonds de façon idyllique : le 19 septembre 1896, elle rédige pour Le Journal l’article de tête « Au bon pays… »21 dans lequel elle propose une description bucolique du bourg, de ses habitants et des environs à la veille d’une fête. Fondé en 1892, ce quotidien à « un sou » tire à plus d’un million d’exemplaires à son apogée : la contribution de Séverine dès le lancement constitue un argument de vente avec la publication de « Les Casseuses de sucre. Notes d’une gréviste » sur cinq colonnes à la Une22. Trois ans plus tard, en 1899 dans La Fronde, elle fait de nouveau référence à son havre de paix, notamment le 27 mai dans l’article intitulé « Au repos… » dans lequel elle évoque longuement Rip, son chien mourant, qu’elle souhaite enterrer dans sa bourgade de l’Oise : « Âgé, perclus, […] Rip s’en va prendre ses invalides, à Pierrefonds, toujours près de moi. » et elle ajoute : « […] je l’emmène là-bas, afin que l’heure venue, je l’enveloppe, moi-même, dans un pan d’étoffe grossière et usée […]. »23 Séverine contribue donc elle aussi par ses écrits à faire de Pierrefonds un lieu d’élection quasi mythique, participant ainsi activement à la construction de sa propre légende.
Image 5 : la maison de Séverine aujourd’hui (cliché Laurence Ducousso)
À Pierrefonds, la maison de Séverine existe toujours et appartient aujourd’hui à une dame qui a bien du mal à l’entretenir : la demeure conserve des traces de son histoire mais celles-ci s’effacent peu à peu et risquent disparaître. Cette maison constitue pourtant un témoignage éloquent de la vie de la journaliste. On distingue encore – difficilement – sur le linteau en pierre de la porte d’entrée l’inscription « Les Trois Marches ». Nom donné en souvenir de l’auberge où se sont réunis les dreyfusards lors du procès de Rennes (7 août-9 septembre 1898) que Séverine a couvert pour La Fronde avec Marguerite Durand et Jeanne Brémontier.
Image 6 : Linteau de la porte d’entrée portant inscription « LES TROIS MARCHES » (cliché Laurence Ducousso-Lacaze)
La Bibliothèque Marguerite Durand conserve des cartes de visite de Séverine qui portent la mention « Les Trois Marches – Pierrefonds – Oise »24. L’histoire de cette maison et de son illustre propriétaire apparaît également grâce à deux plaques situées au-dessus de la porte d’entrée, de part et d’autre. L’une à gauche, rappelle que Séverine, « journaliste, pacifiste et féministe » a vécu dans cette maison : elle a été installée le 17 septembre 2011 par Isabelle Rome alors présidente de l’association « Paroles de femmes en Picardie » en remplacement de l’originale posée en 1930 par la Société des Amis de Séverine. En effet, à la mort de la journaliste, ses proches et admirateurs fondent une association le 11 juillet 192925 : le président est Joseph Caillaux, la secrétaire Marguerite Durand et « l’archiviste », Rosa Vignier, la « gouvernante » de Séverine. La fondation de cette association est annoncée dans la presse qui se fait le relais des actions menées pour perpétuer la mémoire de la journaliste à Paris et à Pierrefonds26.
Images 7 et 8 : Plaques commémoratives situées sur la façade de la maison, (clichés Laurence Ducousso-Lacaze)
Une seconde plaque rappelle qu’à la mort de Séverine, Marguerite Durand, fondatrice de La Fronde, a racheté (in extremis, avant la vente aux enchères) la maison pour en faire une « Résidence d’été des femmes journalistes », inaugurée le 24 septembre 1932. La maison a été entièrement rénovée (sauf la chambre de Séverine conservée pieusement en l’état) et met gratuitement à disposition dix chambres pour une durée maximale de deux semaines. Dans une « Causerie sur la Maison des femmes journalistes et La Fronde » dont la transcription est conservée à la Bibliothèque portant son nom, Marguerite Durand présente l’organisation de la résidence et précise :
Dès le décès de Séverine, je n’eus plus qu’une idée : empêcher que la maison si soigneusement, si minutieusement organisée par Séverine, la maison qu’elle affectionnait, qui fut témoin des joies et des tristesses de sa vie, de son labeur incessant, où elle écrivit le plus grand nombre de ses 7952 articles qui forment son bagage journalistique, […], je n’eus qu’un but : empêcher que la maison de Séverine ne tombât en des mains profanes27.
Si quelques journaux nationaux (Le Temps, L’Œuvre, La Française) se font l’écho de l’inauguration de la Résidence qui a lieu en grandes pompes le 24 septembre 1932, c’est surtout la presse locale qui rend compte de l’événement. Marguerite Durand, qui bénéficie d’un large réseau, n’a pas ménagé ses efforts et a lancé de nombreuses invitations. Le Messager de l’Oise du 28 septembre titre : « La maison de Madame Séverine devient la Résidence des femmes journalistes »28 et mentionne les personnalités présentes (préfet, sous-préfet, député, conseiller d’arrondissement, maires), le discours de Thilda Harlor, un spectacle de chants et de danses ainsi qu’un buffet. L’ensemble, agrémenté d’une photo de Séverine, occupe la première page du journal. Du vivant de la journaliste, mais aussi après sa mort, cette maison semble donc être le reflet de l’âme de sa propriétaire.
Cette maison se situe désormais dans la rue Séverine : une délibération du conseil municipal du 14 février 193029 décide de nommer ainsi, à la demande de la Société des Amis de Séverine (lettre de Joseph Caillaux), la partie de la rue du Beaudon où se situe la maison de Séverine. L’inauguration a lieu le 22 juin 1930, jour où la première plaque commémorative est posée sur la maison (il faudra attendre le 8 juillet 1934 pour que soit inauguré le square Séverine à Paris)30. Dans La Gazette de l’Oise du 25 juin 1930, un article signé par une femme, G.T., raconte qu’à l’occasion de cette inauguration, la maison a été pavoisée et qu’un long cortège s’est ensuite dirigé vers le cimetière. La journaliste en profite pour rendre hommage à celle qui apparaît comme une pionnière : « À une époque où la femme journaliste était plutôt rare, nous rencontrions Séverine partout dans les réunions, les banquets, les procès des cours d’assises, les reportages » et d’ajouter : « Séverine s’était réfugiée à Pierrefonds où son nom demeurera toujours adoré »31.
Le texte de cette première plaque diffère légèrement de celle qui la remplacera en 2011, comme en témoigne la photographie publiée dans Le Monde illustré du 8 octobre 1932
Image 9 : Première plaque commémorative posée sur la maison de Séverine, Le Monde illustré, 8 octobre 1932
Si le terme « journaliste » apparaît sur les deux plaques, « féministe » et « pacifiste » viendront remplacer « oratrice » et « femme au grand cœur ». Le temps ayant fait son œuvre, c’est une Séverine engagée et militante dont on veut désormais transmettre la mémoire, quitte à passer sous silence sa carrière d’oratrice. De notre côté, lorsque nous avons créé l’association Les Ami.es de Séverine nous avons proposé à Madame la Maire de faire réaliser une plaque de rue explicitant qui était Séverine .
Image 10 : Plaque de la « Rue Séverine », à Pierrefonds, inaugurée le 19 septembre 2021 à l’initiative de l’Association Les Ami·es de Séverine (cliché Laurence Ducousso-Lacaze)
En effet, une plaque avait été posée sur un des piliers de la clôture de la maison à une époque mais elle avait disparu sans même que la propriétaire s’en aperçoive : cette plaque portait la mention « Femme de lettres » et ses dates32. Plus rien ne rappelait donc qui était Séverine (hormis la plaque sur la maison) et nous avons décidé de faire cette proposition lors d’une réunion à laquelle participait la déléguée départementale aux droits des femmes et à l’égalité de l’Oise. Celle-ci a aussitôt déclaré que si une plaque devait être posée, Madame la Préfète se déplacerait pour l’inaugurer : l’événement s’est déroulé le 19 septembre 2021 lors des premières « Journées du Matrimoine » à Pierrefonds.
Enfin, le cimetière de Pierrefonds joue son rôle mémoriel et évoque un pan de la vie personnelle de Séverine. Sa tombe et celle de son second mari, Adrien Guebhard, qui a fini ses jours auprès d’elle après une longue séparation, se font face, de part et d’autre d’une allée.
Images 10 et 11 : Cimetière de Pierrefonds - Pierres tombales de Séverine (à gauche) et d’Adrien Guebhard (à droite) (clichés Laurence Ducousso-Lacaze)
Les deux monuments, très sobres et sans croix, sont en granit, l’un rose, l’autre noir et on peut lire, gravée sur celui de la pétrifontaine d’adoption, la phrase suivante : « J’ai toujours lutté pour la Paix, la Justice et la Fraternité. » Ce monument funéraire a été dessiné par Séverine elle-même, commandé par la Société des Amis de Séverine, et inauguré le même jour que la plaque sur la maison et la rue : la cérémonie a lieu pour le premier anniversaire de la mort de Séverine. À côté de ces deux monuments, se trouve une dalle en pierre gravée, aujourd’hui difficilement lisible : il s’agit de la tombe de Rosa Vignier, gouvernante de Séverine, et dont l’inscription indique : « Elle consacra sa vie à Séverine, qu’elle affectionna et qui mourut dans ses bras. » De fait, dans son testament, Séverine lègue de nombreux effets et une maison à Pierrefonds (encore habitée par un membre de sa famille) à celle qu’elle considérait comme sa « gouvernante » et les amis de la journaliste ne manqueront pas de prendre soin d’elle. L’enterrement de Séverine, le 27 avril 1929, est par ailleurs bien documenté par des articles et des photographies de presse. Dans les dernières années de sa vie, Séverine est une collaboratrice active de La Volonté, quotidien mondain illustré fondé en 1925, dans lequel écrivent plusieurs de ses amis de la Ligue des Droits de l’Homme, dont Georges Pioch. Son décès est annoncé le jour même, le 23 avril, et rapidement le journal informe qu’un train spécial sera affrété depuis Paris pour les obsèques. Le 28 avril, le quotidien publie en Une un reportage sur l’événement33 : des photographies montrent la foule (estimée à 2 000 personnes) qui forme un cortège pour aller de la maison au cimetière de nombreuses associations portent des couronnes et des bannières pour rendre hommage à celle qui a défendu leur cause. De longs extraits des discours de Marguerite Durand, de Georges Pioch et Joseph Caillaux, ainsi que leur photographie au cimetière sont publiés.
Image 13 : Photographie du cortège funéraire se rendant au cimetière lors des obsèques de Séverine à Pierrefonds, le 128 avril 1929 (Agence Rol, BNF Gallica)
Image 14 : Photographie de Marguerite Durand rendant un hommage funèbre à Séverine (Agence Rol, BNF Gallica)
La modestie de la tombe de Séverine telle qu’on peut la voir aujourd’hui contraste avec la foule réunie au moment de sa mort : alors que ses obsèques prennent l’allure d’un événement, et malgré les efforts de ses amis, la journaliste va peu à peu tomber dans l’oubli, ne laissant que des traces ténues à Pierrefonds, et aujourd’hui menacées d’effacement car suscitant manifestement peu d’intérêt.
La ville de Saint-Étienne a été pour Séverine, au cours de l’été 1890, l’occasion d’un grand reportage composé de quatorze articles, publiés du 1er au 26 août dans le journal très conservateur Le Gaulois. A l’origine de l’action journalistique de Séverine, il y a la catastrophe minière du puits Pellissier à Villebœuf : un coup de grisou tue cent vingt hommes et en blesse gravement une trentaine d’autres. Le puits Pellissier est le puits principal de la mine de Villebœuf, qui est elle-même la plus importante du bassin houiller de la Loire. Les dépêches du 1er août34 qui font immédiatement suite au premier article de Séverine donnent au lecteur du Gaulois quelques détails techniques complémentaires sur le puits Pellissier :
[…] son puits principal, le puits Pélissier, atteint 600 mètres de profondeur ; les galeries ont une longueur de 500 mètres environ. Le chiffre d’extraction est actuellement de 100,000 tonnes.
Le puits Pélissier, où a eu lieu l’explosion a été foré il y a un an à peine, pour remplacer le puits primitif, le puits Ambroise, devenu insuffisant.
La ventilation des galeries est assurée par un troisième puits, le puits de la Vogue, muni d’un puissant ventilateur ; 350 ouvriers, répartis en deux équipes, assurent l’exploitation.
Dès le 31 juillet 1890, le journal publie une lettre de Séverine écrite au directeur, Arthur Meyer, et datée du 30 juillet dans laquelle elle lui demande l’autorisation d’aller couvrir la catastrophe pour Le Gaulois dans le but de lever de l’argent pour les familles des mineurs. Avant son premier article, elle dit avoir déjà reçu mille francs du Duc de Doudeauville. Arthur Meyer lui répond positivement, ajoutant lui-même cinq cents francs de la part du journal à ce premier don et l’envoyant comme reportère de terrain. Le 1er août est publiée la liste des premiers donateurs ainsi que les sommes données, dans le but d’encourager les autres lecteurs à en faire de même. L’objectif de Séverine est clairement énoncé : il s’agit d’amener les lecteurs du Gaulois à ouvrir leurs bourses pour venir en aide aux familles endeuillées des mineurs :
Je fais appel à tous ceux qui, tant de fois, m’ont donné une marque de sympathie en m’aidant les infortunés que je leur signalais.
Jamais malheur ne fut plus grand ; jamais sinistre n’eut tant besoin de secours.
On remarquera avec intérêt que Séverine, qui signe habituellement pour Le Gaulois sous le pseudonyme de Renée35, fait le choix, unique, de signer de son pseudonyme le plus courant, mais aussi le plus célèbre, pour les lecteurs de cette série d’articles intitulée « Au pays noir ». On peut sans doute y lire sa volonté d’être clairement identifiée par les lecteurs et d’user de sa notoriété pour atteindre son but, mais aussi de revendiquer pleinement la maternité de ce qui restera, dans sa carrière journalistique, non seulement un reportage de terrain exceptionnel mais aussi une parfaite illustration de sa conception de son métier de journaliste : écrire des articles de journaux, certes, mais pour agir en mettant sa plume au service des déshérités, des laissés-pour-compte et de tous ceux qui souffrent et sont exploités.
Le premier article36 dresse le bilan de la catastrophe de l’explosion du puits Pélissier.
Image 15 : Une du journal Le Gaulois du 1er août 1890, dans lequel Séverine publie « Les 90 cercueils », le premier article du reportage « Au pays noir »
Pour toucher ses lecteurs, Séverine nous fait suivre son regard, alors qu’elle se trouve dans le train qui la conduit à Saint-Étienne. Elle commence par une description très lyrique, fortement empreinte de poésie, pour rendre compte de la beauté et de la richesse du territoire. Ne ménageant pas les effets de style, elle montre comment l’exploitation minière a modifié en profondeur le paysage : métaphores filées, comparaisons, nombreux adjectifs évocateurs et personnifications saisissantes sont convoqués pour composer une description des lieux que l’on suit en mouvement.
Des collines, et puis des collines, ravinées, creusées, hachées, un aspect de visage dantonesque, plein de boues et de trous, couturés par la maladie. Une poussée d’eczéma semble amener le sang à fleur de peau dans tous les replis de cette face terrible, partout où une dartre de gazon rare ne met pas sa tache douteuse, le sable rougeâtre, le roc couleur de brique frappent et blessent les yeux.
Au milieu de ce paysage surgissent les puits, suivis des « croix noires qui donnent l’illusion d’un vol de corbeaux. » De la gare où elle est accueillie par le secrétaire du syndicat des mineurs, elle est immédiatement conduite sur les lieux de la catastrophe à Villebœuf. Séverine souligne l’urgence qui guide ses pas : sans avoir le temps de se changer pour se vêtir de noir pour les obsèques qui ont lieu à dix heures, elle se retrouve face aux cercueils, entreposés en grand nombre n’importe où, à proximité du puits. De nouveau elle insiste sur la quantité, la vision cauchemardesque qui s’offre à elle. Elle se fait donner des explications qui viennent souligner non seulement l’horreur, liée au nombre des couffins mortuaires, mais aussi la fréquence de ces accidents. « Les pompes funèbres ont été prises de court : cent vingt morts d’un coup, quatre-vingt-dix convois pour la première fournée ! Le spectacle est épouvantable ! »37, écrit-elle. Là, la confrontation directe avec un corps carbonisé, qu’on lui montre et qu’elle décrit ressemblant à une « momie » :
[…] avec son affreux rictus qui lui découvre les dents, ses bras amincis et comme allongés, qui ont pris, dans le trépas, quelque chose de simiesque, la patine noire qui en fait une statue de bronze semblable aux dieux égyptiens.
Ses sens lui rappellent une ancienne expérience, celle de l’incendie de l’Opéra-Comique. Séverine se place loin de « tout ce qui porte un uniforme, tout ce qui a un grade, un emploi officiel, une fonction » pour rester « parmi les humbles gens ». Suivant le cortège, elle rend compte en un court dialogue des commentaires des autorités qui s’inquiètent de savoir si la mine a été endommagée et se rassurent en sachant que de ce côté-là, tout va bien. La cérémonie religieuse est l’occasion de rendre compte des lamentations des femmes, et c’est ensuite le cimetière où a été creusée, depuis trois jours, une « immense tranchée » pour qu’y soient enterrés les quatre-vingt-dix cercueils. Toujours, Séverine joue du contraste entre l’incommensurable désarroi des familles qui se trouvent en bas et sur les hauteurs, la superbe indifférence des autorités qui quittent rapidement les lieux. Dès le lendemain, le 1er aout 1890, elle descend dans la mine38 : elle décrit la métamorphose de son corps de femme revêtu du « costume des mineurs », sa peur à l’idée de descendre dans la cage et surtout ses sens exacerbés par les odeurs, la chaleur et les visions d’horreur à l’intérieur de la mine. Des mineurs y travaillent encore alors que tout n’a pas été nettoyé, Séverine y est accompagnée par l’ingénieur de la compagnie qui, au fur et à mesure de la descente, lui explique ce qu’elle voit et ne comprend pas et qui répond à ses questions sur les conditions de travail des hommes de la mine. La série du « Pays noir » se poursuit le 2 août avec la visite faite aux « blessés »39. Après la description de l’hôpital, ce sont les familles des victimes, épouses, enfants, vieillards, qui sont mentionnées, puis enfin, les blessés eux-mêmes, pour lesquels Séverine exprime toute sa compassion. Faisant alterner des passages descriptifs particulièrement horribles et précis avec des dialogues rendant compte de la peur, du courage, de la détresse de tous ces êtres suppliciés, la journaliste cite aussi les paroles du médecin, peu optimiste. L’article se termine sur la visite de l’asile de nuit tenu par Léon Portier, un avocat stéphanois. Partout où elle passe, Séverine donne aux uns et aux autres une partie des dons reçus et souligne pour ses lecteurs l’importance de leur obole. Dans le post-scriptum de l’article elle explique se rendre quotidiennement et « personnellement au domicile de chaque victime », et elle ajoute : « La fraternité envers les pauvres, quand on se trouve près de leur souffrance, n’est pas faite que de l’argent donné ». Le 4 août, alors que deux autres explosions se produisent encore au puits Pélissier de Villebœuf, provoquant la mort de dix-sept personnes40, Séverine laisse parler sa colère en repensant à l’ingénieur et à l’inspecteur général des mines, déjà reparti, et affirmant tous deux que tout danger était écarté. Mais à peine est-elle revenue sur place qu’une troisième explosion se produit à Villebœuf. Des mouvements de foule se profilent, les autorités redoutant des soulèvements, font appel à l’armée. Le climat se tendant de plus en plus, Séverine intercède auprès du préfet pour éviter toute démonstration de force qui pourrait entraîner des conséquences dramatiques face à une foule éperdue de colère et de peine. Le 5 août, dans un article intitulé « Le mangeur d’hommes »41, périphrase utilisée communément pour désigner le puits Pélissier, Séverine livre aux lecteurs une analyse technique de la mine : ses galeries, la friabilité et la « porosité » du charbon qui favorise la rétention du grisou et rend les blessures plus dangereuses encore, les corps des mineurs y devenant la cible de la « grenaille » lors des explosions. Ce sont aussi les maladies pulmonaires qui atteignent les travailleurs. Séverine dans ces articles fait preuve d’un réalisme puissant qui cherche à amener ses lecteurs à une prise de conscience des conditions dans lesquelles travaillent, vivent et meurent les mineurs : « Je n’exagère pas : ce que je dis là est strictement exact. Il n’est pas un mineur du bassin de la Loire qui n’en pourrait témoigner »42 . Elle explicite aussi les conditions d’embauche de la part des compagnies et retrace l’historique : quelques années avant les explosions, ce sont les maladies pulmonaires qui ont tué les mineurs du puits Pélissier. Ils étaient tellement empoisonnés par la mine que lorsqu’ils y avaient travaillé six mois, aucune autre compagnie ne voulait plus les embaucher, ne leur laissant plus que le choix entre continuer et y mourir, ou quitter la mine et « crever d’inanition au coin d’une borne »43. Enfin Séverine accuse la compagnie minière d’avoir laissé le travail reprendre « en fraude, sournoisement – illégalement » une fois l’inspecteur général des mines reparti, envoyant « cent quarante-quatre hommes » descendre dans un puits où le grisou allait de nouveau causer des explosions quelques jours plus tard. Elle accuse la mine de n’avoir fait que des réparations de fortune, inefficaces, et elle demande au gouvernement de chercher les responsables. Le lendemain, elle se rend à « deux enterrements »44 où elle décrit la douleur des mères et des épouses des mineurs et la malédiction qui s’abat sur des familles et des fratries entières, mais c’est aussi le moment de décrire l’enterrement des pauvres, de ceux dont le cercueil n’est recouvert que d’un « pauvre drap » […], « Pisseux, sale, plein de taches et de trous »45 .Ces morts, dans leur immense dénuement, ont la richesse de la solidarité car d’autres mineurs sont venus, à pied, de « Saint-Chamond » qui se trouve à treize kilomètres de là. Le cimetière du Crêt-de-Roch est décrit : la grande tranchée faite quelques jours plus tôt a encore un peu de place pour les deux cercueils du jour. Les tombes des mineurs croisent le regard de Séverine, qui devine l’âge des « trépassés » à la taille de « leur enclos ». Elle y découvre même une rangée de « nouveaux-nés », ainsi que des petites vitrines contenant la représentation exacte de la personne inhumée. Alors que les tombes des mineurs et de leurs familles se trouvent dans les parties inférieures du cimetière, Séverine remarque que les riches tombes sont dans les parties supérieures : c’est l’occasion pour la journaliste de relever l’inégalité de traitement qui subsiste jusque dans la mort :
[…] Je suis lentement le mur contre lequel toutes les victimes sont ensevelies.
C’est terrifiant !
Un pieu de bois noir, planté tant bien que mal ; accrochées après, les deux petites couronnes jaunes de la municipalité ; et, pour toute inscription, le bout de papier qu’on avait, l’autre jour, épinglé après les cercueils […].
Les moins misérables des survivants paieront à leurs morts un « encadrement » […].
Quelle désolation ! Et, cependant, le conseil municipal de Saint-Étienne a supprimé la fosse commune, a décrété que chacun avait droit à son peu de terre – autant qu’en recouvre le corps d’un mineur au fond d’un puits. […]
Je remonte vers le cimetière supérieur, celui des tombes majestueuses, des monuments cossus.
Regardant les dates des longues rangées de croix noires : « Ceux de 1889. Deux cents au puits Verpilleux », « Ceux de 1887. Quatre-vingt-dix au puits », « Ceux de 1871. Soixante-douze au puits Jabin… », elle conclut : « Quand donc arrêtera-t-on le compte, bouclera-t-on l’addition, ô martyrologe des mineurs ? »46.
Le 9 août, il n’y a aucune publication de Séverine, mais le journal fait le point sur la souscription lancée par la journaliste : ce sont déjà quarante mille quatre cent quarante-trois francs qui ont été envoyés par de riches ou modestes souscripteurs parmi lesquels on compte des aristocrates et des têtes couronnées de toute l’Europe, mais aussi d’anonymes lecteurs du journal. Les dons sont d’une valeur très variable, de deux francs à cinq cents francs. Quant à Séverine, elle est souffrante, alitée à la suite d’une accumulation de fatigues et de surmenage, comme elle l’explique dans une dépêche envoyée à Arthur Meyer et diffusée dans le journal du Gaulois47. Cependant elle continue à communiquer avec les familles des mineurs à qui elle transmet les fonds de la souscription et elle espère être sur pieds pour l’arrivée de la commission d’enquête.
En effet, à la suite de ses articles est diligentée sur place, à partir du 12 août, une commission où deux ingénieurs, M. Castelnau et Coste, viennent enquêter sur les causes de ces catastrophes à Saint-Étienne. Le lendemain dans « Les mineurs parlent »48, Séverine expose les résultats de la commission qui confirme ce qu’elle a déjà exposé dans ses précédents articles : les mines ne sont pas sécurisées, le travail a repris entre le 1er et le 4 août alors qu’officiellement cela n’aurait pas dû avoir lieu, sachant que deux autres explosions se produisent le 4 août ; elle énumère, dans une période très rhétorique, tous les manquements au règlement, jamais appliqué au fond de la mine, et souligne que « quiconque signalait une négligence, un oubli, un danger, était immédiatement menacé de renvoi ». Simultanément, Séverine ne perd jamais son objectif de vue et s’adresse aux généreux lecteurs du Gaulois tout en valorisant le journal lui-même pour le secours qu’il apporte aux familles : « […] tous [les mineurs] sont venus répéter ce que Le Gaulois, le premier, soucieux de la vie des pauvres, a osé proclamer haut et clair. » Elle dénonce les responsabilités de l’Etat et de la compagnie au moment de la venue de la Commission parlementaire dans un article au titre révélateur « Les esclaves modernes »49 . Cet article fait apparaître un autre type d’argumentation : son autrice se place du côté des ingénieurs de la mine, puis de M. Nan, le directeur de la mine. On voit très bien se dessiner la stratégie argumentative de Séverine qui se rapproche de son lectorat. Montrant l’évolution du personnage, elle met en évidence la difficulté dans laquelle chaque individu occupant un poste à responsabilités se trouve de tenir son rôle dignement quand seuls comptent les enjeux économiques :
C’était un autoritaire et un brusque, M. Nan, au geste impérieux, au verbe haut. Je l’ai vu ce matin, assis tout seul à une petite table, en un coin noir, dans la salle à manger de l’hôtel.
Il est vieilli de dix ans ; sa haute taille s’est voûtée, et, comme je passais sans bruit, j’ai vu, de son œil crevé jadis dans un accident de mine, une grosse larme s’échapper et étoiler la nappe.
Que d’autres crachent, s’ils le veulent, sur ce vaincu. Moi, je ne le ferai pas ! C’est un salarié, payé un peu plus cher que les autres, voilà tout : un salarié comme ces ingénieurs à qui l’on donne cent cinquante à deux cents francs par mois, à qui l’on enjoint de faire respecter les règlements, et qui tombent en disgrâce ensuite auprès du conseil d’administration, si, l’observance de ces règlements coûte trop cher à la compagnie50.
Puis elle poursuit, plus généraliste, plus politique aussi cherchant toujours à unir ses idées de gauche et la charité chrétienne des lecteurs du Gaulois :
Comment voulez-vous, par exemple, que l’unique ingénieur en chef du bassin de la Loire puisse visiter efficacement les centaines d’exploitations, à la garde desquelles on l’a commis ? Les facultés humaines ont des limites. […]
Plus de personnel et, pour ce personnel, une discipline plus étroite, des consignes plus sévères, des pénalités plus grandes en cas de manquement à un service où la moindre négligence peut amener mort d’homme, causer des malheurs sans nom, voilà ce qui est à souhaiter. […]
Enfin, et c’est ce que prêche hautement le socialisme chrétien, diminuer le dividende, augmenter le salaire, de façon que le travailleur, moins acharné à l’assaut du pain quotidien, puisse un peu songer à sa sécurité51.
Dans l’article du 15 août, « L’Enquête », dont Séverine souligne qu’elle a été faite avec « émotion et simplicité », la journaliste centre davantage son propos sur le développement d’une antithèse dont elle se sert pour amener ses lecteurs à participer à la souscription du journal : elle oppose ainsi d’une part la combinaison néfaste de la mauvaise gestion de la compagnie entièrement au service de ses actionnaires et de l’inefficacité d’un État composé de « polytechniciens », lointains, méprisants, et peu soucieux de la vie des mineurs de Saint-Étienne, et d’autre part de la possibilité qu’il y ait de « bons patrons », « tourmentés par l’instinct de justice » et « qui ont payé la dîme de leur bonheur à ceux qui les avaient aidés à le conquérir » : ce faisant, elle rappelle les « trois mille francs envoyés par le Bon Marché aux mineurs de Saint-Étienne » et appelle « tous les capitalistes d’ici » à imiter « cette femme au grand cœur qui s’appelle Mme Boucicaut », fondatrice avec son époux du célèbre grand magasin du Bon Marché et qui, de son vivant, avait su se montrer soucieuse de questions sociales et avait fini par léguer toute sa fortune à des œuvres de bienfaisance. Séverine de « Retour de Saint-Étienne », envoie une lettre à Arthur Meyer, qui est publiée le 21 août dans Le Gaulois : remerciant les lecteurs et le journal d’avoir apporté une aide substantielle aux familles et aux blessés. Elle insiste sur le fait que chacun a agi selon son cœur, « sans distinction politique, sans parti pris, sans partialité » ; bien consciente de ce qui, politiquement, la sépare du lectorat conservateur du Gaulois, elle écrit : « Mes mains de socialiste n’ont été que le crible à travers lequel filtrait votre charité de chrétiens ». Deux derniers articles sont encore publiés le 23 et le 26 août, « Choses vues » et « La Mine heureuse ».Le premier évoque l’asile de nuit créé par Léon Portier en 1886. Dans le second, elle raconte l’histoire d’un cas unique de mine autogérée par les mineurs : une nouvelle fois, c’est le passé récent du bassin minier qu’elle traverse en racontant comment la Compagnie de Rive-de-Gier, mise en faillite, accepta de céder, toujours en 1886, aux mineurs la propriété de douze concessions abandonnées, comment ces derniers, aidés uniquement par une femme, Mme Arnaud de l’Ariège qui leur donna « deux ou trois billets de mille francs », asséchèrent les galeries inondées et réussirent à exploiter la mine. L’article se poursuit avec une nouvelle injustice relevée par l’avocat Portier à la journaliste Séverine : alors que les bénéfices sont devenus florissants, la Compagnie Rive-de-Gier réclame à présent la « mine » aux mineurs, prétendant qu’elle n’avait pas le droit de la leur donner. Enfin, Séverine change de sujet et évoque une initiative des mineurs qui ont rebaptisé le puits Girard en « Puits Séverine » pour la remercier de ce qu’elle a fait pour eux ; à son tour, elle verse cinq cents francs pour le baptême de ce puits qui sera par la suite appelé le puits « Portier Séverine », en la généreuse mémoire des deux bienfaiteurs des lieux.
Ce reportage du mois d’août 1890 de Séverine sur Saint-Étienne eut un immense retentissement. En un peu moins d’un moins, ce sont au total quarante-neuf mille francs or qui furent distribués aux familles des victimes grâce à ses articles et à son infatigable énergie, dépensée pour sensibiliser les lecteurs. Les noms des personnalités les plus célèbres ont été publiés dans le journal pour inciter les autres à mettre la main au portefeuille : des rois, des reines, des princes, et une masse d’anonyme envoyèrent de l’argent aux familles des mineurs. Grâce à Séverine, un trente-et-unième lit put même être créé à l’asile de nuit une plaque portant la mention « Lit Séverine 6 août 1890 » y fut apposée. Par ailleurs, entre fin décembre 1891 et début janvier 1892 une deuxième série de quatre articles est encore consacrée par Séverine à la ville de Saint-Étienne dans le Journal L’Éclair, au moment de la catastrophe du puits de la Manu et treize mois plus tard, de nouveau un quatrième article intitulé « Holocauste »52.
Les articles écrits par Séverine lors de cet été 1890 ont été si importants qu’elle décida de publier la majorité d’entre eux en anthologie, dès 1893, lors de la publication de son premier recueil d’articles, Pages Rouges 53. D’autres articles portant sur la mine à Saint-Étienne firent à leur tour l’objet d’une republication en recueil, en 1895, dans En marche…54 et en 1896, dans Pages mystiques.55 Ces rééditions d’articles en anthologie témoignent de l’attachement que leur autrice avait développé pour les mineurs de Saint-Étienne et de la réciprocité de ce lien. Ce qu’on voit ainsi se mettre en place au fil de la carrière journalistique de Séverine, c’est que son nom est désormais attaché à ce « Pays Noir », qui devient le symbole de son journalisme et de sa pratique du reportage. Alors que Pierrefonds est très nettement le lieu de l’intime, des familiers, le havre où peuvent se faire un ressourcement personnel et une mise à distance du milieu parisien, Saint-Étienne est au contraire l’exemple, la métonymie presque, du reportage de terrain, mené sur le long terme, et le symbole de l’engagement physique, sensible et intellectuel de Séverine pour les mineurs. Or, si ces derniers s’étaient montrés reconnaissants envers la journaliste de son vivant, la question se pose de la postérité de Séverine à Saint-Étienne : dans quelle mesure le nom de Séverine a-t-il encore un sens pour les Stéphanois aujourd’hui ?
Dans les espaces publics, la première manière de conserver la mémoire d’une personnalité dans son patrimoine est de l’inscrire dans les toponymes.
C’est d’abord tout un quartier qui porte le nom de Séverine, le quartier Tarentaize Beaubrun Séverine.
Image 16 : Saint-Étienne : quartier « Couriot Tarentaize beaubrun Séverine » (zone rose foncé) (source wikipédia)
Il s’agit d’un quartier populaire situé à l’ouest de Saint-Étienne, un quartier décrit comme étant très cosmopolite. Historiquement, cette partie de la ville correspond au quartier dans lequel les mineurs venus de Haute-Loire et d’Ardèche se sont installés en face du puits Couriot. Par la suite, ce sont les personnes issues de l’immigration polonaise, portugaise et maghrébine qui s’y sont installées. Ainsi s’est développé un quartier plutôt modeste, qui a vécu en dehors du centre-ville et qui semble avoir été exclu des politiques de la ville. Ce n’est qu’à partir des années 2000 que cette partie de Saint-Étienne connaît un certain réinvestissement urbain et depuis les années 2020, il connaît des phases de démolition, de réhabilitation et de modernisation. Il fait aujourd’hui l’objet d’importants travaux de rénovation dans le but de le rendre plus dynamique et attractif. Cependant, on peut remarquer que dans plusieurs documents récents sur Saint-Étienne, le quartier est de plus en plus souvent désigné par les trois noms « Tarentaize – Beaubrun – Couriot », comme le prouve par exemple la présentation d’ « Explora » labellisé Cité éducative en 202056.
Le nom de Séverine tend à disparaître dans la désignation du quartier, ce qui est évidemment le signe d’une méconnaissance profonde de notre journaliste, du rôle qu’elle a joué pour la ville et malheureusement de son effacement progressif. A l’inverse, le terme « Couriot », utilisé pour remplacer « Séverine », et qui renvoie à l’historique puits Couriot a donné son nom au Musée de la Mine qui s’est ouvert en 1991 et au site qui lui est dédié57. L’ensemble du site du puits Couriot est d’ailleurs devenu monument historique depuis 2011. Il demeure évidemment regrettable de constater que le nom de Séverine n’est pas associé à l’histoire de la mine au cœur du Musée de la mine.
Par ailleurs, comme à Pierrefonds, on trouve à Saint-Étienne une « rue Séverine » : quelques mois à peine après la mort de la célèbre journaliste, le 27 septembre 1929 exactement, la rue Séverine prend son nom58. Lorsque notre association Les Ami·es de Séverine s’est rendue sur place, nous avons eu beaucoup de mal à la trouver et avons dû faire plusieurs allers-retours avant de la voir enfin car sa signalétique est à peine visible : la plaque de rue se trouve en effet sur la façade d’une maison de particulier, et non à l’extérieur sur le mur d’enceinte comme c’est habituellement le cas.
Images 17 et 18 : A gauche, plaque de la « Rue Séverine » à Saint-Étienne, apposée sur le mur d’une maison, derrière le mur d’enceinte et, à droite, gros plan sur la plaque (clichés Sophie Muscianese)
Aucun élément biographique ne vient compléter ce prénom « Séverine » qui permettrait d’identifier qui était Séverine et ce qu’elle a fait pour la ville. Ainsi, il est impossible de savoir s’il s’agit d’un pseudonyme, et surtout d’avoir un minimum de renseignements sur la personne qui se cache derrière ce nom : une danseuse, une chanteuse, une écrivaine, une Stéphanoise ? On ne peut pas non plus savoir à quelle époque elle appartenait puisqu’aucune date n’apparaît, ni dans quelle mesure ce nom a pu impacter la ville, puisqu’on n’a aucune information sur un domaine quelconque qui pourrait relier ce prénom à Saint-Étienne.
À titre de comparaison, si l’on regarde la plaque de la rue Calixte Plotton59.
Image 19 : Saint-Étienne, rue Calixte Plotton, indiquant la fonction syndicale de la personne, son importance pour la mine et ses années de naissance et mort (Cliché Sophie Muscianese)
On peut constater la différence de traitement : non seulement les dates de naissance et de mort du personnage sont indiquées (« 1860-1925 »), mais on a de surcroît sa fonction (« fondateur de la Mine aux mineurs ») et son rôle politique (« délégué mineur »). Malheureusement, force est de constater que nous n’avons rien de tel pour Séverine. Sa plaque de rue est difficilement trouvable, en mauvais état, en partie délavée, et inutilisable pour toute personne ne connaissant pas déjà Séverine.
Un autre lieu, aujourd’hui disparu, mérite d’être mentionné, il s’agit de la « Cité Séverine »60 : construite, en 1975, à l’ouest de Saint-Etienne, cette cité qui comptait six bâtiments et cent trente-trois logements, a été bâtie dans l’urgence pour accueillir les occupants de l’ilôt Tarentaize, originellement pour un temps limité. Il s’agissait en fait de familles en difficulté qui se sont retrouvées isolées dans une cité de transit. Elles ont été placées dans une zone à l’écart de toute activité commerciale et éloignée des services de la ville puisque la cité se trouvait en dehors du boulevard urbain. Dès 1998 il a été décidé que la cité Séverine devait être en partie démolie et elle ne l’a été entièrement qu’en 2009. Il existe un ouvrage très intéressant de souvenirs photographiques en noir en blanc de cette cité : il s’agit du beau livre de Patrice Barrier, La Cité Séverine, publié en auto-édition chez Blurb en 2009 .
Image 20 : Page de couverture du livre de Patrice Barrier, Cité Séverine (Blurb, ©Patrice Barrier)
Enfin, en lieu et place de la Cité Séverine a été édifiée la caserne de pompiers de Saint-Étienne, qui porte le nom de « Centre d’Intervention et de Secours Séverine ».
Image 21 : Centre d’Intervention et de Secours Séverine, Saint-Étienne (Cliché Sophie Muscianese)
C’est en 2011 que le « CIS Séverine » a été construit après le déplacement de la caserne du centre – ville de Saint-Étienne. Lors de notre venue sur place, nous avons pu constater qu’encore une fois, aucune plaque ne permettait de savoir pourquoi la caserne portait ce prénom « Séverine. » Nous ne sommes même pas certaines que les pompiers eux-mêmes en connaissent l’origine, alors qu’en réalité la symbolique est totalement pertinente et mériterait d’être explicitée. C’est aussi le cas pour le quartier Tarentaize Beaubrun Séverine, quartier populaire, terre d’accueil historique des mineurs et des immigrés, de même que pour la Cité Séverine, ensemble d’immeubles destinés à un public défavorisé et de laissés-pour-compte. Séverine n’aurait en rien renié ces lieux, bien au contraire.
Pour conclure, on peut affirmer que Pierrefonds aurait tout à gagner de la valorisation d’une figure féminine qui viendrait faire contrepoids à celle de l’impératrice Eugénie et de l’imposant château de Napoléon II. De même, l’histoire du bassin minier de la Loire pourrait s’appuyer sur les écrits de Séverine à Saint-Étienne qui mériteraient une édition scientifique composée avec des spécialistes tant de la mine que de la presse et de la littérature. Dans les deux lieux, il serait a minima possible d’intégrer Séverine à des parcours touristiques, soit généraux, soit au contraire spécifiques, liés pour Pierrefonds à la présence d’autres personnages féminins historiques (on peut penser à la belle salle des Preuses sise dans le Château et au monument dédié à Élisabeth Jalaguier, infirmière de la première Guerre mondiale, morte le 20 août 1918)61, et pour Saint-Étienne à l’histoire sociale et économique de la mine. La voix et le regard de Séverine pourraient en effet apporter un témoignage original et inédit, pris sur le vif, et empreint d’empathie, sans négliger l’aspect purement documentaire qu’il contient quant aux conditions de travail et de vie des mineurs et de leurs familles. L’appétence du public pour des autrices telles que Séverine est bien réelle, ainsi qu’en ont témoigné les ventes du recueil L’Insurgée62 publié aux éditions L’Échappée en 2022 : de toutes les librairies de France, c’est en effet à la Libraire Lune et L’autre de Saint-Étienne que l’anthologie s’est le mieux vendue. L’époque est à la désinvisibilisation des figures féminines littéraires oubliées et par conséquent à la découverte de notre richesse matrimoniale.
C’est précisément ce que l’association Les Ami·es de Séverine s’est donné comme principal objectif lors de sa fondation en juillet 2021 : conserver et diffuser la mémoire de Séverine dans des lieux matrimoniaux en s’adressant à tout type de public, en s’inscrivant dans différents réseaux et en mettant en relation les lieux et les écrits attachés à la mémoire de Séverine. Nous espérons que ces recherches seront poursuivies et complétées et qu’elles aboutiront à la mise en place de programmes touristiques et culturels, qui pourraient prendre différentes formes, numériques ou écrites, en lien avec les municipalités, les régions et le tissu associatif local.
[1] Marie-Ève THÉRENTY, Femmes de lettres, femmes de presse, Paris, CNRS éditions, 2019, p.126-138.
[2] Albert CAZÈS, « Une princesse du journalisme », La Grande Revue, 1er juin 1930.
[3] Bernard LECACHE, Séverine, Paris, éditions Gallimard, 1930.
[4] Évelyne LE GARREC, Séverine (1855-1929), Vie et Combats d’une frondeuse, Paris, éditions du Seuil, 1982, (ouvrage épuisé, nouvelle édition, L’Archipel, 2009, épuisée également).
[5] Paul COUTURIAU, Séverine, l’insurgée, Paris, éditions du Rocher, 2001 (ouvrage épuisé).
[6] Élie FRUIT, « Séverine (1855-1929) – Une des rares femmes à s’être fait un nom dans la presse de l’époque », Annales historiques compiégnoises – Études picardes et modernes et contemporaines – Pierrefonds XVIIIe-XIXe siècles, 1991, Annales historiques compiégnoises, consulté le 6/4/2025.
[7] N° 49-50 - Pierrefonds XVIIIe-XXe siècle - Société Historique de Compiègne, consulté le 6/4/2025.
[8] Laurence DUCOUSSO-LACAZE, « Héroïnes et femmes illustres à Pierrefonds », Histoires du Valois, Numéro spécial 15ème anniversaire, 2017. ; Id., « De l’effacement des femmes de lettres : l’exemple de Séverine », Histoires du Valois,10, 2020.
[9] Sophie MUSCIANESE, « Les Trois Marches ou la maison de Séverine (Pierrefonds, Oise). Essai d’une généalogie immobilière », Histoires du Valois, 3, 2023-2024.
[10] Société d'Histoire et d'Archéologie du Valois. (consulté le 6/4/2025).
[11] Maison de la journaliste Séverine dite villa "Les Trois Marches", puis résidence d'été (foyer) pour les femmes journalistes, actuellement maison - Inventaire Général du Patrimoine Culturel, (consulté le 6/4/2025).
[12] Note M.-C. Régnier : les deux autrices sont co-présidentes des Ami.es de Séverine.
[13] S. MUSCIANESE, op.cit.
[14] Fédération des Maisons d’écrivains et des patrimoines littéraires, (consulté le 5/4/2025).
[15] Marcel LEROY, « La ligne de Compiègne à la Ferté Milon par Pierrefonds et Villers-Cotterêts », La Rurale. La vie et l’histoire des villages du Valois, Crépy-en-Valois, 1985.
[16] Op.cit., p 39.
[17]https://www.maisonzola-museedreyfus.com/maison-zola-musee-dreyfus/histoire-maison-emile-zola/, consulté le 3/4/2025.
[18] Pierre L’HEUREUX, « Madame Séverine », Femina, 1er octobre 1902, p 295-297.
[19] SÉVERINE, « La chanson de Paris, causerie faite à l’Odéon par Madame Séverine », Paris qui chante, 19 mars 1905, p 2-3.
[20] André ARNYVELD, « Le miroir du succès : Séverine », Le Miroir, 1er septembre 1912, p 8-9.
[21] SÉVERINE, « Au bon pays », Le Journal, 19 septembre 1896, p 1.
[22] SÉVERINE, « Les casseuses de sucre. Notes d’une gréviste », Le Journal, 28 septembre 1892, p 1.
[23] SÉVERINE, « Au repos… », La Fronde, 27 mai 1899, p .1.
[24] Dossier documentaire Séverine, « Séverine divers », boîte 2, Bibliothèque Marguerite Durand.
[25] Journal Officiel de la République française, 4 août 1929, p. 16.
[26] Laurence DUCOUSSO-LACAZE, « Séverine, hommages et oubli dans la presse nationale et locale », Les Années 20 dans l’Oise, Société d’Histoire et d’Archéologie du Valois, 2023, p 271-281.
[27] Dominique BRÉCHEMIER, Elles sont journalistes, Paris, Flammarion, 2022, p 138-139.
[28] Le Messager de l’Oise, 28 septembre 1932, p 1.
[29] Registre de délibération 1913-1932, Mairie de Pierrefonds, p 342-343.
[30] L. DUCOUSSO-LACAZE, op.cit., p 277-278.
[31] G.T., La Gazette de l’Oise, 25 juin 1930, p 1.
[32] É. FRUIT, op.cit., p 18. https://histoire-compiegne.com/wp-content/uploads/ANNALES/AN49-2.pdf, (consulté le /4/2025).
[33] La Volonté, 27 avril 1929, p 1-2.
[34] Le Gaulois, 1er août 1890, dépêches reçues de Saint-Etienne en date du 31 juillet, signées H., p .2.
[35] SÉVERINE, qui est un pseudonyme, a l’habitude de recourir à différents pseudonymes, qu’elle varie en fonction des journaux : elle est ainsi « Renée » pour Le Gaulois, mais « Jacqueline » pour Gil BLAS. Elle les fait même parfois dialoguer entre eux d’un journal à l’autre, créant ainsi une étonnante polyphonie.
[36] SÉVERINE, « Au pays noir - Les 90 cercueils », Le Gaulois, 1er août 1890, p. 1-2.
[37] Loc.cit., p. 2.
[38] SÉVERINE, « La descente aux enfers », Pages Rouges, « Au pays noir », IV, 1893, Paris, éditeur H. Simonis Empis, 1893, p. 153-161. Le numéro du Gaulois en date du 2 août 1890 correspondant à la publication de cet article n’étant pas disponible en ligne sur le site de RetroNews, on trouve le texte intégral de l’article dans le recueil publié Pages Rouges, par Séverine en 1893. Nous reviendrons un peu plus loin sur cette publication d’une anthologie postérieure à celle des articles en journal.
[39] SÉVERINE, « Les blessés – Au pays noir », Le Gaulois, 3 août 1890, p 1-2.
[40] SÉVERINE, « Encore deux catastrophes – Au pays noir », Le Gaulois, 5 août 1890, p. 1-2.
[41] SÉVERINE, « Au pays noir – Le mangeur d’hommes », Le Gaulois, 6 août 1890, p. 1-2.
[42] Loc.cit., p. 2.
[43] Loc.cit.
[44] SÉVERINE, « Au pays noir - Les deux enterrements », Le Gaulois, 7 août 1890, p. 1-2.
[45] Loc.cit., p. 2.
[46] Loc.cit.
[47] Le Gaulois, 9 août 1890, « Souscription pour les victimes de Saint-Étienne », p. 1.
[48] SÉVERINE, « Au pays noir – Les mineurs parlent », Le Gaulois, 13 août 1890, p. 2.
[49] SÉVERINE, « Au pays noir – Les esclaves modernes », Le Gaulois, 14 août 1890, p. 2.
[50] Op.cit.
[51] Op.cit.
[52] SÉVERINE, « Au pays du grisou - Au puits de la Manu », L’Eclair, 9 décembre 1891, p. 1.
—, « Au pays du grisou – Les Funérailles », L’Eclair, 10 décembre 1891, p. 1.
—, « Au repos du mineur ! », L’Eclair, 10 janvier 1892, p . 1.
—, « La cité des larmes » publié dans l’anthologie En Marche en 1896. Article non trouvé.
—, « Opinions - En holocauste », L’Eclair, 4 janvier 1893, p. 1 (publié dans En Marche en 1896).
—, « Le Christ aux mineurs », L’Echo de Paris, 29 juin 1894, p. 1-2.
[53] SÉVERINE, Pages Rouges, H. Simonis Empis éditeur, 1893. Séverine en conserva onze sur treize.
[54] SÉVERINE, En marche…, Paris, H. Simonis Empis éditeur, 1895.
[55] SÉVERINE, Pages mystiques, Paris, H. Simonis Empis éditeur, 1896. Il s’agit de l’article « Au repos du mineur ».
[56] Cité Educative - Explora, (consulté le 5/4/2025).
[57] Parc-Musée de la Mine - Ville de Saint-Étienne |, (consulté le 5/4/2025).
[58] Aujourd’hui en France, sur le site rues.openalfa.fr/rues?q=rue+séverine, on recense soixante-sept occurrences de toponymes portant le nom de Séverine.
[59] Notice biographique du Maitron : « PLOTTON, Calixte : Né le 14 octobre 1860 à Saint-Étienne (Loire) ; mort en février 1925. Ouvrier mineur. Un des créateurs du syndicat des mineurs de la Loire. Administrateur du Réveil des mineurs. ».
[60] Ces informations ainsi que le livre cité plus loin de Patrice BARRIER se trouvent sur le site : Cité Séverine de Patrice Barrier | Livres Blurb France, (consulté le 5/4/2025).
[61] L. DUCOUSSO-LACAZE, « Héroïnes et femmes illustres à Pierrefonds », Histoires du Valois, Numéro spécial 15e anniversaire, 2027, p. 48-54.
[62] SÉverine, L’Insurgée, éditions L’Échappée, Paris, 2022.
Résumé
La réflexion menée s’inscrit dans des enjeux plus larges de valorisation patrimoniale, à l’intérieur desquels il paraît essentiel de mettre en avant un matrimoine matériel et immatériel, afin de lutter contre l’oubli, voire la disparition, de figures littéraires majeures mais aussi pour enrichir les regards que l’on peut porter sur la réalité historique et sociale de certains lieux : envisager Pierrefonds en dehors de l’hégémonie de la pierre liée au Château de Napoléon III, sortir des représentations de la mine construites en grande partie à partir des textes littéraires naturalistes tels que ceux d’Émile Zola, et enfin promouvoir la création d’un matrimoine culturel riche et varié sont les objectifs de notre démarche globale. Ainsi, parce que l’article s’appuie sur la mise en relation des lieux et des textes, il fait apparaître la nécessité de faire dialoguer ces matrimoines matériel et immatériel.
Abstract
This reflection is part of broader issues of heritage promotion, within which it seems essential to highlight a tangible and intangible marriage, in order to combat the forgetting, or even disappearance, of major literary figures, but also to enrich the perspectives we can have on the historical and social reality of certain places. Considering Pierrefonds outside the hegemony of stone linked to the Château de Napoléon III, moving beyond representations of the mine constructed largely from naturalist literary texts such as those of Émile Zola, and finally promoting the creation of a rich and varied cultural marriage are the objectives of our overall approach. Thus, because the article is based on the connection between places and texts, it highlights the need to create a dialogue between these tangible and intangible heritages.
Mots-clés : Séverine, matrimoine matériel et immatériel, histoire du journalisme, désinvibilisation des femmes journalistes
Keywords: Séverine, tangible and intangible heritage, history of journalism, de-invigoration of women journalists
Plan
Pierrefonds, l’élection d’un lieu de vie privée
Des photographies et des articles nombreux mais épars
Des traces mémorielles fragiles à Pierrefonds
Saint-Étienne, lieu d’un engagement corps et âme pour les mineurs
« AU PAYS NOIR » : quatorze articles au service des mineurs
Retentissement du reportage « Au Pays noir »
Quelle postérité pour Séverine à Saint-Étienne ?
Des toponymes portant la mémoire de Séverine mais un matrimoine invisibilisé
Séverine (1855-1929), alias Caroline Rémy, est considérée, notamment par Marie-Ève Thérenty[1], comme la première femme journaliste professionnelle parce qu’elle a entièrement gagné sa vie grâce à l’écriture de ses très nombreux articles publiés dans des journaux et magazines de tout type et de toute coloration politique, de 1883 à 1929. De fait, peu de temps après sa mort, elle est qualifiée par Albert Cazès de « princesse du journalisme »[2], ce qui atteste sa grande célébrité due essentiellement aux combats qu’elle a menés.
Pour autant, qui se souvient de Séverine aujourd’hui ? Quelques spécialistes et historien·nes de la presse, du féminisme et de la IIIe République.
Pourtant, un peu partout en France, des lieux portent la mémoire de Séverine grâce à des toponymes (square Séverine dans le XXe arrondissement de Paris, place Séverine au Pré-Saint-Gervais, impasse et place Séverine à Nîmes, etc.). Deux lieux en particulier méritent d’être étudiés, Pierrefonds et Saint-Étienne, pour les liens spécifiques qui les unissent à Séverine.
Pierrefonds, l’élection d’un lieu de vie privée
Des photographies et des articles nombreux mais épars
Des traces mémorielles fragiles à Pierrefonds
Saint-Étienne, lieu d’un engagement corps et âme pour les mineurs
« AU PAYS NOIR » : quatorze articles au service des mineurs
Retentissement du reportage « Au Pays noir »
Quelle postérité pour Séverine à Saint-Étienne ?
Des toponymes portant la mémoire de Séverine mais un matrimoine invisibilisé
Laurence DUCOUSSO-LACAZE
Sophie MUSCIANESE
Doctorante à l’Université Picardie Jules Verne, Laboratoire du CERCLL
DUCOUSSO-LACAZE, Laurence, « Héroïnes et femmes illustres à Pierrefonds », Histoires du Valois, Numéro spécial, 15e anniversaire, 2017.
—, « De l’effacement des femmes de lettres : l’exemple de Séverine », Histoires du Valois, 10, 2020.
—, « Séverine, hommages et oubli dans la presse nationale et locale », Les Années 20 dans l’Oise, Société d’Histoire et d’Archéologie du Valois, 2023.
— et MUSCIANESE, Sophie, postface de Séverine, L’Insurgée, Paris, éditions L’Échappée, 2022.
MUSCIANESE, Sophie, « Les Trois Marches ou la maison de Séverine (Pierrefonds, Oise). Essai d’une généalogie immobilière », Histoires du Valois, 13, 2023-2024.