Revenons au commencement ! Dans le livre de la Genèse, au premier récit de la Création, le cinquième jour, Dieu dit :
« Que les eaux grouillent de bestioles vivantes et que l’oiseau vole au-dessus de la terre face au firmament du ciel ». Dieu créa les grands monstres marins, tous les êtres vivants et remuant selon leur espèce, dont grouillèrent les eaux, et tout oiseau ailé selon son espèce. Dieu vit que cela était bon1.
Les oiseaux font donc pleinement partie de la cosmogonie et peupleront désormais le ciel. La Bible en nomme explicitement une trentaine de variétés. Dans l’évangile de Matthieu, quand Jésus s’adresse à ses disciples à propos des biens de ce monde, il leur demande de ne pas s’inquiéter du lendemain et de faire confiance à la Providence, à l’image des oiseaux :
« Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, et ils n’amassent point dans des greniers ; et votre Père céleste les nourrit ! »2.
Les oiseaux en apprennent beaucoup à l’homme sur les œuvres de Dieu. Entre ciel et terre, leur comportement, leur vol, leur nid, leurs petits prennent souvent une valeur symbolique à travers la parabole. De par leur nature ils représentent une forme de messager divin. Les anges ne portent-ils pas des ailes ?
Parmi les oiseaux, le corbeau est le premier mentionné dans l’Ancien Testament ; il n’est pas le plus cité mais il est sans doute l’un des plus familiers à la culture judéo-chrétienne bien qu’il ne possède pas la meilleure des réputations. Elle est aussi sombre que son plumage noir qui lui donne un aspect sévère et a nourri une symbolique inquiétante. Cependant, une lecture attentive des deux principales péricopes dans lesquelles le corbeau apparaît conduit à une appréciation plus nuancée.
Après avoir dressé un portrait du corbeau tel qu’il se dessine dans les différents passages bibliques où il est cité, nous nous arrêterons d’abord sur l’épisode fondateur du Déluge avec, en filigrane, la confrontation entre le corbeau et la colombe ; puis, nous aborderons le prophète Élie visité par des messagers bienveillants. À l’appui de ce survol seront convoqués quelques Pères de l’Église pour une étude essentiellement adossée à la littérature patristique.
Le corbeau est signalé à dix reprises dans l’Ancien Testament et une seule fois dans le Nouveau. Le terme hébreu orêb sert à désigner toute espèce de corvidé3. Il peut être rapproché de la racine qui signifie « le soir », sans doute en relation avec la couleur noire de l’oiseau. La loi mosaïque compte le corbeau parmi les animaux impurs, c’est-à-dire ceux qu’il n’est pas autorisé de manger (Lv 11,15 et Dt 14,14). La raison tient peut-être au fait qu’il est carnivore et nécrophage. Dans le livre des Proverbes, le corbeau apparaît comme l’instrument du châtiment divin :
L’œil qui se rit d’un père
et qui refuse l’obéissance due à une mère,
les corbeaux du torrent le crèveront
et les aigles le dévoreront4.
Cette description s’appuie sur une habitude observée chez le corbeau de commencer à manger sa victime par les yeux5.
Le prophète Isaïe décrit le corbeau en compagnie d’autres animaux qui habiteront les ruines du pays d’Édom :
Ce sera le domaine du hibou et du hérisson
la chouette et le corbeau l’habiteront.
Le Seigneur y fera passer le cordeau du vide
avec le niveau du chaos6.
Sophonie, pour sa part, annonce le jour de Yahvé qui s’abattra sur Assur et Ninive. Dévasté, l’ennemi du Nord verra se reposer les troupeaux au milieu de sa capitale détruite :
même le pélican, même le hérisson
passeront la nuit dans ses chapiteaux.
Une voix chantonne à la fenêtre
un corbeau est sur le seuil :
c’est que le cèdre a été arraché7.
car le palais de cèdre aura été rasé et les murs laisseront apparaître leur structure. Le corbeau trouvera sa place dans ce décor de désolation.
Cette double prophétie est à mettre en écho avec le passage de l’Apocalypse :
Elle est tombée, elle est tombée, Babylone la grande ! Elle est devenue demeure de démons, repaire de tous les esprits impurs, repaire de tous les oiseaux impurs et odieux8.
De ces différentes occurrences, il appert que le corbeau est perçu de manière globalement négative. Les Écritures l’associent à un charognard. Or, la Loi prévoit que « celui qui aura touché un mort – n’importe quelle dépouille mortelle – est impur pour sept jours »9.
Le corbeau est aussi décrié comme un oiseau qui fait preuve de cruauté à l’égard de sa progéniture. Une fois mis au monde, les petits sont abandonnés par leurs parents qui ne cherchent pas à les nourrir. Dans son dialogue avec Job, après avoir rappelé qu’il est le Créateur de toute la nature, Dieu précise, dans une question rhétorique, qu’il pourvoit aussi à la nourriture des animaux, notamment à celle des corbillats, soulignant ainsi le comportement indigne de leurs parents :
Qui prépare au corbeau sa provende
quand ses petits crient vers Dieu,
et titubent d’inanition ?10
ce que confirme le Psaume 147 où Dieu est loué pour donner sa nourriture au bétail et « aux petits du corbeau qui crient » (Ps 147, 9). Ce dernier verset sera utilisé par certains Pères de l’Église pour illustrer la bonté divine mais nullement pour mettre en avant une quelconque bienveillance des corbeaux11.
En débordant du corpus biblique, citons encore le Livre des Jubilés12. Cet écrit pseudépigraphique juif attribué à Moïse et rédigé pendant la période du Second Temple (entre -170 et -150) complète en quelque sorte le récit canonique. En l’occurrence, il évoque des corbeaux malfaisants à propos d’Abraham. Un prince malévole, descendant de Sem, l’un des fils de Noé, avait envoyé des corbeaux et d’autres oiseaux pour dévorer la semence plantée en terre par ses sujets et les priver de leur labeur. C’est à cette époque que naquit Abram13, qui très tôt se rendit compte des égarements de l’humanité et de l’inconsistance des idoles. Au moment des semailles, le jeune Abram, alors âgé de quatorze ans, sortit avec sa famille pour chasser les corbeaux. Il n’hésita pas à courir au-devant d’eux et à leur intimer l’ordre de s’en retourner sans toucher la terre ferme. À soixante-dix reprises, dans la même journée, il réitéra son intervention et jamais les semences ne furent picorées par les oiseaux. Heureuse préfiguration de la vocation du Père des croyants mais confirmation de la perception négative des corbeaux dans le milieu biblique que l’épisode du Déluge va profondément ancrer dans l’imaginaire occidental14.
Le corbeau apparaît pour la première fois au moment du déluge dans le chapitre 8 de la Genèse. Cette péricope a une histoire rédactionnelle complexe et mêle au moins deux traditions du texte15. Les éléments donnés par le récit yahviste ont fait la notoriété de l’épisode. Après quarante jours et quarante nuits, Noé ouvre la fenêtre qu’il a percée dans l’arche et commence par envoyer le corbeau en éclaireur pour s’assurer de la baisse des eaux. Dans l’Antiquité, il était fréquent chez les marins de lâcher un oiseau pour observer dans quelle direction il se dirigeait et pour évaluer la distance qui les séparait de la terre ferme. Le geste de Noé n’a donc rien de singulier en soi ; tout réside dans la valeur symbolique accordée aux oiseaux qu’il envoie.
Les versions hébraïque et grecque présentent des variantes sur le verset concerné (Gn 8, 7). Le texte massorétique, suivi par les targums, indique que le corbeau sortait et revenait vers l’arche sans trouver de terre pour se poser16 alors que la traduction de la Septante précise que le corbeau « ne revint pas jusqu’à ce que l’eau eût séché de dessus la terre »17. La patristique lit le texte biblique d’après la traduction grecque. Plusieurs auteurs chrétiens vont imaginer que le corbeau s’est nourri des cadavres qu’il trouvait flottant sur les eaux. De là, sa réputation infâme de charognard. Le poète Prudence écrit : « le corbeau, retenu par sa gloutonnerie, est resté parmi les cadavres hideux »18.
Dans les deux versions, dépité par l’attitude du corbeau, Noé envoie ensuite une colombe à trois reprises. Elle revient d’abord bredouille faute d’avoir trouvé de la nourriture ; la deuxième fois, elle apporte un rameau d’olivier dans son bec et, finalement, elle ne regagnera plus l’arche, signe que les eaux se sont définitivement retirées19.
On notera que rien n’est dit dans le texte biblique sur les raisons qui ont présidé au choix du corbeau et que n’est pas davantage mentionnée la finalité de sa mission. Il s’envole sans objectif assigné. Mais c’est la distinction entre animaux purs et impurs qui prend ici tout son sens. Dans le traité Sanhédrin du Talmud de Babylone20 qui porte sur la justice, rabbi Chimon Ben Lakich (ou rech Laquich) rapporte que le corbeau déposa une plainte contre Noé. Il lui reprocha d’agir avec cruauté et préjugés. Sur l’ordre divin, Noé avait fait entrer dans l’arche sept couples d’animaux purs et seulement deux d’animaux impurs. Or, il a envoyé en premier le corbeau bien qu’il n’y eût seulement que deux représentants de l’espèce avec lui. Pourquoi avoir ménagé les pures colombes ? Pourquoi avoir mis en péril la race des corvidés ? Le corbeau accuse Noé d’injustice et revendique une véritable équité entre tous les êtres vivants présents dans l’arche. S’opposant à Noé il s’en prend, à travers lui, à Yahvé lui-même. Cette contestation du corbeau en fait un oiseau revendicatif et rebelle. Le commentaire rabbinique noircit encore la réputation de l’oiseau et les Pères de l’Église s’inscrivent, selon leur propre optique, dans cette sombre perspective.
De manière générale, la noirceur du corbeau révèle sa nature pécheresse. Cette assimilation s’impose dans la littérature chrétienne à partir du quatrième siècle. Hilaire de Poitiers affirme : « le corbeau est l’exemple du pécheur »21 quand Grégoire d’Elvire écrit : « Le corbeau représentait les plaisirs de l’âme impure et soumise, et (son) infâme couleur noire signifiait l’injustice des vices »22. Dans son traité contre le manichéen Faustus, Augustin explique que le comportement du corbeau s’applique « aux hommes dégradés par l’immonde cupidité »23 et incapables de résister aux tentations du monde. Ils ne recherchent que leur propre intérêt24. Depuis Tertullien, l’arche est la figure de l’Église25 puisque le Nouveau Testament rapprochait déjà explicitement Noé de Jésus26 et le Déluge des eaux salvatrices du baptême27. Le symbole du corbeau prend alors un sens moral. Son non-retour vers l’arche représente l’exclusion du pécheur hors de l’Église.
La présence successive du corbeau et de la colombe dans le récit du Déluge a renforcé l’antagonisme entre les deux oiseaux.
Dès le premier siècle, le philosophe juif Philon d’Alexandrie s’interroge sur la signification à donner au comportement du corbeau en l’opposant à l’attitude de la colombe. De manière allégorique, le corbeau représente l’iniquité, adversaire de la lumière de justice ; il a plaisir à se retrouver dans le déluge, symbole de la corruption et de la confusion. La colombe, au contraire, est un oiseau pur qui incarne la vertu. Elle est la messagère de la bonté divine que l’homme doit accueillir avec bienveillance28.
Plus concret, le Yalkut Shimoni, compilation haggadique plus tardive29, explique que le corbeau a trouvé un cadavre humain sur l’un des sommets émergés et qu’il s’est posé pour le manger, négligeant sans scrupules sa mission d’éclaireur. Alors Noé a envoyé une colombe qui, elle, a rapporté une réponse. C’est pourquoi, on dit habituellement que celui qui confie une tâche à une personne impure la confie à un imbécile, alors que celui qui délègue une personne pure fait confiance à un serviteur fidèle. L’attitude du corbeau débouche sur un précepte moral.
Se met ainsi en place un couple duel parmi les oiseaux, qui oppose pur et impur, blanc et noir. Augustin pousse plus loin encore l’antithèse. Lorsque l’homme ressent l’accablement de sa condition mortelle, il gémit. Son gémissement est celui de la colombe, qui est l’expression de l’Esprit Saint ; il dit le désir de Dieu et pleure l’éloignement du bonheur éternel. À l’opposé, celui qui se réjouit des plaisirs charnels et de l’abondance des biens temporels a la voix criarde du corbeau. Il se complaît dans le siècle et se contente d’une vaine félicité. Et l’évêque d’Hippone conclut avec une belle antithèse :
Qui sont les corbeaux ? Ceux qui recherchent leurs propres intérêts. Qui sont les colombes ? Ceux qui recherchent les intérêts du Christ30.
De là, Augustin va tirer un argument de poids dans sa controverse contre les donatistes. Ces chrétiens schismatiques d’Afrique du Nord se considéraient comme la seule véritable Église, fondée sur l’idée de sainteté. Les pécheurs en étaient exclus. Face à ce sectarisme rigoriste, l’évêque d’Hippone défend l’idée d’une Église où coexisteront saints et pécheurs jusqu’au jour du Jugement. L’épisode du Déluge en est l’illustration, à l’image de la parabole du bon grain et de l’ivraie dans le Nouveau Testament. La présence conjointe du corbeau et de la colombe dans l’arche atteste que la communauté chrétienne est mêlée, hic et nunc, et réunit bons et mauvais jusqu’à la fin des temps31.
Le cri du corbeau a encore une autre résonnance, plus personnelle, dans la propre vie d’Augustin. Dans la fameuse scène du jardin de Milan, l’auteur des Confessions explique qu’il était à cette époque prisonnier d’une grave crise spirituelle et qu’il remettait toujours au lendemain la décision de se convertir. Au milieu d’une « grosse tempête et d’une pluie de larmes », il s’écriait :
« Quamdiu, quamdiu, ‘cras et cras’ ? quare non modo ? quare non hac hora finis turpitudinis meae ? »
« Dans combien de temps ? Dans combien de temps ? Demain, toujours demain. Pourquoi pas tout de suite ? Pourquoi pas, sur l’heure, en finir avec mes turpitudes ? »32.
Par harmonie imitative, le croassement du corbeau fait ici l’objet d’un jeu de mots puisqu’en latin, « cras » signifie « demain ». Le cri de l’oiseau noir sert à désigner le pécheur qui diffère sans cesse son adhésion à l’amour divin. Augustin reprendra ce parallèle à plusieurs reprises dans ses écrits, notamment dans sa prédication lorsqu’il reprochera aux pécheurs de repousser sans cesse le moment de leur repentance33. La tradition occidentale a ainsi conservé et magnifié l’intervention de la colombe aux dépens de celle du corbeau.
On sait que l’épisode biblique du déluge prend sa source dans la littérature mésopotamienne, en particulier dans la tablette XI de la version ninivite de l’Épopée de Gilgamesh34. Depuis la mort de son ami Enkidu, le roi Gilgamesh a pris conscience de sa condition mortelle et part à la recherche de son ancêtre Uta-napishti qui jouit de l’immortalité. En un lieu situé au-delà des eaux de mort, dans l’île des Bienheureux, Uta-napishti, pressé par son visiteur, finit par raconter comment il a échappé au déluge. Un jour, les dieux mésopotamiens ont décidé d’anéantir les hommes, devenus soit trop nombreux, soit trop bruyants. Mais le dieu des eaux ne peut se résoudre à cette destruction totale et prévient Uta-napishti du danger qu’il encourt. Il lui enjoint de construire un bateau pour échapper à la catastrophe universelle et d’y faire monter sa famille, tout ce qu’il possède, biens et animaux, ainsi que les artisans qui l’ont aidé dans le chantier. Après six jours et sept nuits de pluies torrentielles qui effraient même les dieux, le bateau finit par s’échouer sur le sommet du mont Niçir. Pour s’assurer de la baisse des eaux, Uta-napishti lâche, dans un premier temps, une colombe, puis une hirondelle qui reviennent vers lui, faute de pouvoir se poser. C’est alors le tour du corbeau de partir en éclaireur. L’oiseau constata rapidement que les eaux se retiraient ; il trouva un coin de terre ferme, « picora, croassa ( ?), et s’ébroua »35 mais ne revint plus. Uta-napishti comprit à ce moment-là que la terre était à nouveau complètement émergée.
La trame du récit mésopotamien est très proche du récit vétérotestamentaire, si ce n’est dans le choix et l’ordre d’apparition des oiseaux. En akkadien, il revient au corbeau de témoigner de la fin de la catastrophe alors que la colombe est juste signalée. L’oiseau noir n’y est pas perçu comme de mauvais augure mais tout à fait positivement. L’Épopée de Gilgamesh atteste de l’appréciation favorable que portaient certaines mythologies anciennes au corbeau. Signalons, par exemple, sa présence comme oiseau emblématique et favorable du dieu Ordin dans les textes nordiques ou du dieu Lugos chez les Celtes36.
Avant de quitter le temps de la création et des origines, mentionnons, dans un tout autre contexte, un parallèle singulier37. Dans la civilisation inuit, au commencement était la nuit à moins que l’humanité n’ait été submergée par une pluie diluvienne, selon les versions. Toujours est-il que le monde était plongé dans de profondes ténèbres. S’engage alors un dialogue entre un grand corbeau et un renard polaire, le premier se plaignant de l’obscurité qui l’empêche de voler sans se heurter tandis que le second se complaît dans la pénombre pour trouver sa nourriture. Le renard ne réclame rien d’autre que la nuit tandis que le corbeau demande qu’apparaisse la lumière. D’aucuns interprètent le terme qau (ka-ou), qui signifie « lumière » en inuktitut, comme l’onomatopée du croassement du corbeau. De cette lutte verbale, le corbeau sort vainqueur puisqu’il impose que la lumière trouve sa place auprès de l’obscurité. Le mythe renferme une forte valeur étiologique. Il explique l’alternance des jours et des nuits. Il souligne le rôle positif de la lumière dans la cosmogenèse et l’importance accordée à la parole créatrice. Avec l’harfang des neiges, le corbeau est l’un des rares oiseaux à ne pas migrer vers le sud et à demeurer dans l’Arctique durant tout l’hiver, mais son règne domine pendant l’été quand la lumière est quasiment continue.
Sans entrer dans une étude comparée des représentations qui dépasserait les limites de cet article, force est de constater que le symbolisme du corbeau n’est pas aussi maléfique que l’épisode biblique du Déluge le laisserait supposer, même si le renversement des valeurs dans la culture occidentale apparaît clairement avec lui. D’ailleurs, au sein de l’Ancien Testament, de sérieuses nuances d’appréciation s’imposent, comme le montre l’intervention inattendue des corbeaux auprès du prophète Élie.
Nous sommes au neuvième siècle avant J.-C. Après le schisme qui suivit la mort de Salomon, le royaume d’Israël (ou du Nord) est gouverné par le roi Achab (-874/-853). Jézabel, son épouse phénicienne, l’entraîne dans l’idolâtrie en introduisant le culte de Baal et d’Astarté jusque dans la capitale, Samarie. Mais le prophète Élie le Thesbite dénonce les exactions commises par le couple royal et le menace du jugement divin. La pluie cesse de tomber pendant trois ans sur le pays et déclenche une longue sécheresse. Pour se protéger de la colère royale, Élie est obligé de s’exiler et, selon l’ordre de Yahvé, il va se cacher dans les gorges encaissées du torrent de Kerrith (ou Chorrath), au-delà du Jourdain. Le premier Livre des Rois (ou troisième livre des Règnes), qui rapporte l’épisode, précise que, dans ce lieu solitaire et reculé, « les corbeaux lui apportaient du pain et de la viande le matin, du pain et de la viande le soir », comme Dieu l’avait ordonné38. De là, l’expression devenue proverbiale « être ravitaillé par les corbeaux ».
Mais le texte n’en dit pas davantage sur cet approvisionnement aussi singulier qu’inespéré puisque dans le verset suivant le torrent est, à son tour, asséché par le manque de pluie, et Élie est invité à quitter les lieux pour la ville phénicienne de Sarepta. Là, il est accueilli par une vieille femme accablée par la disette. Veuve, elle ne possède plus qu’une poignée de farine et quelques gouttes d’huile. Elle ramasse du bois pour cuire le dernier repas qu’elle partagera avec son fils unique. Malgré la situation désespérée, Élie met à l’épreuve la femme et lui demande de l’eau que, charitable, elle offre à l’étranger sans hésiter. En récompense, le prophète lui promet abondance de provisions jusqu’à la fin de ses jours. À l’instar des corbeaux qui l’avaient nourri de manière providentielle, Élie assure à son tour la subsistance de la veuve de Sarepta. Plus tard, à nouveau contraint à l’exil et désespéré, Élie sera nourri par un ange.
Le message est clair, mais la situation incongrue. Élie se trouve confronté à un vrai dilemme qui n’a pas manqué d’intriguer les exégètes. Il n’est pas étonnant que le genre littéraire des Questions et réponses, qui remonte aux commentateurs d’Homère et d’Aristote à l’époque hellénistique, ait été utilisé par les Pères de l’Église à ce sujet. Après le Pseudo-Chrysostome39, Théodoret de Cyr40 pose la question de la légitimité de ces intermédiaires ailés. Élie peut-il accepter de la nourriture apportée par les corbeaux ? Car, comme on l’a vu, par voie de conséquence, l’homme nourri par un animal impur deviendra à son tour impur.
Maxime le Confesseur s’interroge de la même façon et donne une réponse de nature spirituelle. Élie est la figure du Seigneur41. Il est venu auprès du torrent, c’est-à-dire de la vie humaine marquée par les tentations et les souffrances. Mais l’évangéliste Jean nous apprend que Jésus n’a pas été reçu par les siens (Jn 1, 11). En revanche, les nations, noircies par l’idolâtrie, l’ont accueilli et l’ont nourri. Cette lecture typologique remonte à Cyprien de Carthage, au troisième siècle42. Élie est la figure du Christ qui fuit son peuple pour être accueilli par les Gentils, d’abord symbolisés par les corbeaux, puis par la veuve de Sarepta.
La réponse chrétienne à cette intervention des corbeaux est globalement tirée de l’épître aux Romains où, fort de sa foi en Christ, l’Apôtre affirme que « rien n’est impur en soi. Mais une chose n’est impure que pour celui qui la croit impure »43. Dans sa prédication comme évêque de 387 à 407, Chromace d’Aquilée consacre plusieurs sermons à Élie. Il établit d’abord un parallèle avec Daniel jeté dans la fosse aux lions et rappelle que Dieu commanda à un ange d’apporter son repas au prisonnier de Darius. Les corbeaux d’Élie et l’ange de Daniel sont mis sur le même plan, ce qui constitue une forme de réhabilitation de ces oiseaux qui contrebalance la perception du Déluge44. Déjà, dans l’Apocalypse syriaque de Baruch, l’aigle messager était comparé à la colombe de l’arche de Noé mais aussi aux corbeaux serviteurs d’Élie ainsi qu’à l’aigle de Salomon. Le parallèle était flatteur ; les corbeaux étant rangés et perçus comme des messagers fiables et obéissants à l’ordre divin45.
Non sans une dimension polémique antijudaïque, Chromace refuse ensuite la distinction du pur et de l’impur à propos de la nourriture et préfère mettre en avant la conscience d’Élie. « Il est manifeste que ce n’est pas la nourriture, mais la conscience, qui souille l’homme » affirme-t-il46. Élie avait la conscience pure. Dès lors ce qu’il mangeait ne pouvait être que pur. L’Épître à Tite ne déclare-t-elle pas : « Tout est pur pour les purs ; pour les gens souillés, rien n’est pur »47 ? Et l’évêque d’Aquilée cherchant « la signification cachée des corbeaux », conclut :
Les corbeaux qui apportaient à Élie sa nourriture étaient les figures de notre vocation : car nous sommes venus des nations impures à la croyance, apportant au Christ Seigneur la nourriture de notre dévotion et de notre foi48.
Quelques années plus tard, Basile de Séleucie justifie l’envoi des corbeaux et la décision divine par l’édification. Il ne s’agit pas pour Élie de se montrer plus dur que les corbeaux à l’égard de leurs petits mais d’imiter la bienveillance qu’ils lui ont témoignée en le nourrissant. Ainsi les corbeaux ne sont plus seulement les serviteurs du prophète, ils sont devenus « des messagers de l’amour de Dieu pour les hommes »49.
Mais l’on doit l’interprétation la plus enthousiaste au poète Éphrem le Syrien qui, dans deux hymnes aux accents paradisiaques, chante la parfaite communion d’Élie et des corbeaux50. Au bord du torrent (qui peut rappeler le fleuve du jardin d’Éden), les oiseaux deviennent de vrais compagnons de solitude ; ils sont les consolateurs de l’exilé :
Les corbeaux, qui fuyaient les hommes,
Avec Élie échangeaient des baisers.
Ils ne lui apportaient pas seulement du pain,
Mais ils étaient (aussi) ses interlocuteurs51.
Non seulement les corbeaux nourrissent le prophète mais ce dernier les nourrit à son tour. L’hymne se présente comme une louange au Dieu qui assure leur subsistance à toutes les créatures. Les oiseaux prennent valeur d’exemple :
Dieu qui a nourri ses serviteurs par des corbeaux
Qui pillent ce qui appartient à d’autres
Donna un exemple aux riches
Pour qu’ils ressemblent à ces oiseaux52.
Au Moyen Âge, plusieurs récits hagiographiques s’inspireront directement de l’histoire d’Élie et mettront en scène des corbeaux envoyés par Dieu pour nourrir un futur saint. Jacques de Voragine, dans La Légende dorée, raconte que Paul, considéré comme le premier ermite par Jérôme, s’était réfugié dans une grotte du désert d’Égypte pour échapper à la persécution de l’empereur Dèce (en 250) où il demeura durant soixante ans. Chaque jour, un corbeau lui apportait la moitié d’une miche de pain. Et quand l’ermite reçut la visite de saint Antoine, le corbeau apporta une miche de pain entière pour nourrir les deux hommes53.
L’épisode d’Élie au torrent de Kerrith met en scène un corbeau très éloigné de la vision traditionnelle et négative. Les oiseaux sont non seulement envoyés par Dieu lui-même mais ils influent sur la suite de la mission du prophète et lui donnent tout son sens.
L’Antiquité païenne avait déjà souligné l’intelligence des corbeaux. Pline l’Ancien rapporte une anecdote à ce sujet. Un corbeau assoiffé accumula des cailloux dans une urne funéraire au fond de laquelle l’eau stagnait mais qu’il ne pouvait atteindre. Pour ne pas se mouiller, il fit monter l’eau jusqu’à lui afin de boire plus facilement54.
La Bible mentionne également l’oiseau de manière favorable dans le Cantique des cantiques. La bien-aimée décrit son futur époux aux filles de Jérusalem et nous apprend que ses cheveux bouclés sont noirs de jais « comme le corbeau » (Ct 5, 11). Dans la bouche de la fiancée, une telle comparaison se veut admirative et laudative. Elle est d’autant plus remarquable que les yeux du bien-aimé sont ensuite comparés à des colombes qui, au bord du ruisseau, baignent dans le lait (Ct 5,12). Le couple aviaire naguère opposé se trouve réuni pour dire les qualités des deux amants.
Dans une interprétation allégorique de l’épisode d’Élie au torrent, Césaire d’Arles reprend le célèbre verset du même Cantique des Cantiques : « Je suis noire et belle, fille de Jérusalem » (Ct 1,5) pour indiquer que les corbeaux sont noirs par nature mais beaux par la grâce offerte par Dieu dans leur mission de nourrir le prophète55.
Quant à Chromace d’Aquilée, il délivre un message d’espérance à ses fidèles dans un autre sermon où il montre que l’homme n’est pas corbeau par nature. Certes, le païen et l’hérétique sont impurs et ne méritent pas d’appartenir à l’Église. Mais la noirceur intérieure du cœur de l’homme n’est pas imprescriptible. Dieu peut changer le corbeau en colombe puisqu’il a changé l’eau en vin. Et l’évêque italien d’interroger son auditoire en ces termes :
Veux-tu savoir de quel corbeau le Seigneur fait une colombe spirituelle ? Considère le larron qui fut crucifié avec le Seigneur ; il était un corbeau tout noir de ses péchés. Mais lorsqu’il eut confessé le Christ en croix, de corbeau qu’il était, il devient colombe, c’est-à-dire que d’impur, il devint pur56.
Cette lecture allégorique chrétienne fait implicitement écho à différentes versions de la mythologie gréco-romaine qui expliquent que le corbeau portait initialement des ailes blanches et qu’il est devenu noir par châtiment, à la suite de l’intervention d’Apollon qui punit le corbeau pour n’avoir pas surveillé son épouse infidèle Coronis « la corneille » – mère d’Asclépios –, selon le récit qu’en donne Ovide dans les Métamorphoses57.
Laissons à Paulin de Nole le dernier mot. Dans une lettre à l’historien Sulpice Sévère, il distingue ce qu’il appelle le « corbeau de la nuit » et « le corbeau du jour » et déclare :
De là j’en conclus que ce corax n’est pas un corbeau de la nuit, mais un corbeau du jour […] Nous ne devons toutefois pas omettre le fait que cet oiseau symbolise dans les Écritures, tantôt le péché, tantôt la grâce. Il semble en effet être porteur de mort lorsqu’il apparaît pour le supplice des impies, parce que, comme il est écrit, Dieu « envoie les maux par les anges mauvais – Ps 77, 49 […]. Mais ce même oiseau est digne de louange lorsqu’il nourrit le prophète, le matin de pain, et le soir de viande ; ou bien quand les petits du corbeau invoquent le nom du Seigneur. Pour sa couleur, elle est tantôt évoquée pour traiter des saints, tantôt pour traiter des impies58.
L’ambivalence marque la présence du corbeau dans le corpus biblique et dans la tradition des premiers siècles judéo-chrétiens. Elle repose à la fois sur des considérations zoologiques et sur des orientations morales. Certes, le regard porté sur l’oiseau est majoritairement dépréciatif mais cette dévalorisation est à tempérer et, dans le contexte d’une lecture édifiante, le corbeau se révèle un élément propice à la conversion. S’il reste enfermé dans le judaïsme dans la problématique du pur et de l’impur, le corbeau est perçu de manière plus nuancée dans le christianisme à la faveur d’une lecture typologique. Dans les deux principaux épisodes où il apparaît, l’oiseau est associé à une épreuve que Dieu impose à l’homme, à Noé puis à Élie, le déluge et l’exil. Il en sort ici accusé, là loué. Mais ce dualisme est transcendé par Yahvé lui-même. Au final, le déluge terminé, tous les animaux sortiront de l’arche et la race des corbeaux perdurera.
Cette ambivalence se nourrit de l’opposition symbolique entre le noir et le blanc comme celle de la lumière et des ténèbres dans le premier récit biblique de la Création. Michel Pastoureau a bien montré que les deux couleurs peuvent être elles-mêmes prises « en bonne ou mauvaise part » dans l’histoire culturelle59. Et aucune des deux n’est une couleur primaire. En même temps, le corbeau est l’intermédiaire entre le monde des vivants et celui des morts. Sa perspicacité prépondérante en fait un symbole d’une certaine tolérance et du refus des apparences trompeuses.
L’imaginaire du corbeau ne se limite à l’époque paléochrétienne. Loin s’en faut. Il est nommé dès l’Épopée de Gilgamesh et se retrouve à l’époque médiévale, chez les romantiques (on pense au célèbre poème d’Edgar Poe, The Raven) et, aujourd’hui, il est considéré comme le plus intelligent des oiseaux.
Bien au-delà des apparences, on serait tenté de voir dans
l’outrenoir, cher à Pierre Soulages, la couleur, véritable et insoupçonnée, du
corbeau dans le ciel biblique.
[1] Gn 1, 20-21 (Traduction Œcuménique de la Bible / TOB, Paris, Cerf-Bibli’O, 2010, p. 56). Sauf avis contraire, les citations bibliques sont données d’après cette traduction. Dans la suite de l’article, les références patristiques apparaissent sous les abréviations suivantes : BA (Bibliothèque Augustinienne), CCL (Corpus Christianorum Series latina), CSEL (Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum), PO (Patrologia Orientalis) et SC (Sources chrétiennes).
[2] Mt 6, 26 (Ibid., p. 2111). Pour notre sujet, il est intéressant de noter que, dans le parallèle lucanien, l’évangéliste est plus précis et évoque non pas les oiseaux (« ta ; peteina ; ») de Matthieu mais les corbeaux (« tou ;" kovraka~ ») – Lc 12, 24 (Ibid., p. 2256). Cf. Eberhard Nestle, Novum Testamentum Graece et Latine, Londres, United Bible Societies, 1983, p. 14 et 187.
[3] Pour une typologie des corvidés, voir Boria Sax, Corbeaux, Paris, Delachaux et Niestlé, 2005, p. 13-15. Voir aussi l’article « raven » dans la Jewish Encyclopedia (http://www.jewishencyclopedia.com/articles/12598-raven, consulté le 28 août 2017).
[4] Pr 30, 17 (Ibid., p. 1373).
[5] Isidore de Séville le signale encore, à la fin de la période patristique, dans ses Étymologies XII, 43 (Paris, Les Belles Lettres, 2012).
[6] Es 34, 11 (Ibid., p. 704).
[7] So 2, 14. La LXX et la Vulgate s’appuient sur l’hébreu orêb « corbeau » alors que d’autres lisent horéb « sécheresse, désert, dévastation ». Mais le parallèle avec Es 34, 11 incite à préférer la première leçon donnée ici d’après la traduction d’Édouard DHORME, La Bible. Ancien Testament II, Paris, Gallimard, 1959, p. 823.
[8] Ap 18, 2 (Ibid., p. 2726).
[9] Nb 19, 11 (Ibid., p. 266).
[10] Jb 38, 41 (Ibid., p. 1305).
[11] Cf. Basile de Séleucie, Homélies 11 « Sur le prophète Élie », in Le saint prophète Élie d’après les Pères de l’Église, Saint-Remy-les-Montbard, Abbaye de Bellefontaine, coll. « Spiritualité orientale » 53, 1992, p. 149.
[12] Jubilés XI, 11-22 traduit par André CAQUOT, in Écrits intertestamentaires I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1987, p. 687-689.
[13] Il ne prendra le nom d’Abraham qu’après avoir répondu à l’appel du Dieu unique (Gn 17, 5).
[14] Dans l’Évangile arabe de l’Enfance, une comparaison peu flatteuse assimile les démons qui sortent du corps d’un homme à des corbeaux – traduit par Ch. Genequand, Vie de Jésus en arabe 11, 2, dans François Bovon et Pierre Geoltrain (éd.), Écrits apocryphes chrétiens I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1997, p. 216.
[15] Sur cette délicate question, voir Jean-Louis Ska, Le Livre scellé et le Livre ouvert. Comment lire la Bible aujourd’hui ?, Montrouge, Bayard, 2011, p. 233-254.
[16] Gn 8, 7 : « Il envoie le corbeau : il sort, sort et retourne avant l’assèchement des eaux sur la terre » (Bible Chouraqui, Paris, Desclée de Brouwer, 1989, p. 29). TOB, ibid., p. 65.
[17] La Bible d’Alexandrie, 1. La Genèse, trad. M. Harl, Paris, éditions du Cerf, 1994, p. 136.
[18] Prudence, Dittochaeon III : « Corvus enim ingluvie per foeda cadavera captus / haeserat », Paris, trad. M. Lavarenne, Les Belles Lettres, 1963, p. 204, 11-12.
[19] Pour une étude complète sur la colombe, voir Jérôme Lagouanère, « La figure allégorique de la colombe chez les Pères latins », Connaissance des Pères de l’Église, 143, 2017, p. 50-61.
[20] Sanhédrin folio 108b (http://juchre.org/talmud/sanhedrin/sanhedrin6.htm#108a, consulté le 28 août 2017). Voir David Banon, « Le statut de l’animal dans la tradition juive », Le Portique [En ligne], 23-24 | 2009, document 9, mis en ligne le 28 septembre 2011, consulté le 28 août 2017. URL : http://leportique.revues.org/2443.
[21] Hilaire de Poitiers, In psalmos 146, 12 : « Coruum in formam peccatoris constitutum esse tum, cum ex arca emissus non redit, meminimus » (CSEL 22, p. 852, 27-28).
[22] Grégoire d’Elvire, De arca Noe 25 : « Coruus enim subdolae et impurae animae significabat uoluptates et nigri coloris infamia peccatorum in(i)usta uitia demonstrabat » (CCSL 69, p. 153, 168).
[23] Augustin D’HIPPONE, Contra Faustum XII, 20 : « Emissus coruus non est reuersus, aut aquis utique interceptus aut aliquo supernatante cadauere inlectus, significat homines inmunditia cupiditatis teterrimos » (CSEL 25/1, p. 348, 16-19). Voir également Quaest. hept. 1, 1 3 (CSEL 28, 2, p. 8-9) ; Enarr. in Psalm. 102, 16 (CCL 40, p. 1467) ; Tract. in euang. Ioh. 6, 19 (CCL 36, p. 64). Cf. Dieter Lau, art. « Coruus », in Cornelius MAYER (éd.), Augustinus Lexicon II, Basel-Stuttgart, Schwabe & Co A.G., 1986, col. 53-56.
[24] Augustin D’HIPPONE, Tractatus sur l’évangile de Jean VI, 2 (BA 71, p. 346).
[25] Tertullien, De idololatria XXIV, 4 (CCSL II, p. 1124, 4-5), Traité du baptême VIII, 3 (SC 35, p. 77-78). Voir Jean Daniélou, Les origines du christianisme latin. Histoire des doctrines chrétiennes avant Nicée, Paris, éditions du Cerf, 1978, p. 248.
[26] Hb 11, 7 et 2 Pierre 2, 5.
[27] 1 Pierre 3, 20.
[28] Philon d’Alexandrie, Quaestiones et solutiones in Genesim II, 35-38, Paris, éditions du Cerf, 1979, p. 248-250.
[29] Yalkut Shimoni, Gen. 8, par. 58 (Midrash Yalkut Shimoni : Torah, Nevi’im, u-Khetuvim, Jerusalem, Machon HaMeor, 2001).
[30] Augustin D’HIPPONE, Tractatus sur l’évangile de Jean VI, 2 : « Qui sunt corvi ? Qui sua quaerunt. Qui columbae ? Qui ea quae Christi sunt quaerunt » (trad. M.-F. Berrouard, BA 71, p. 342-344).
[31] Ibidem, p. 344-346.
[32] Augustin D’HIPPONE, Confessions VIII, xii, 28 (trad. E. Tréhorel et G. Bouissou, BA 14, p. 64). Il s’agit sans doute d’un emprunt au poète Perse (Satires V, 66) dans une invective contre les apprentis philosophes qui hésitaient au seuil de leur conversion philosophique. Voir également Sur les Psaumes 102, 16.
[33] Augustin D’HIPPONE, Sermons 82, xi, 14 ; 224, iv, 4 ; sermon Dolbeau 25, 27.
[34] L’Épopée de Gilgameš. Le grand homme qui ne voulait pas mourir, tablette XI, 145-154, traduit de l’akkadien et présenté par Jean Bottéro, Paris, Gallimard, coll. « L’aube des peuples », 1992, p. 193-194. L’édition de référence aujourd’hui est celle d’Andrew R. George, The Babylonian Gilgamesh Epic, Oxford-New York, 2003, vol. I, p. 516-517 (commentaire littéraire), p. 712-713 (transcription et traduction anglaise). Voir aussi Madeleine V. David, « L’épisode des oiseaux dans les récits du déluge », Vetus Testamentum, 7, 1957, p. 189-190.
[35] Andrew R. GEORGE traduit : « It was eating, bobbing up and down, it did not come back to me » (Ibidem, p. 713, 156).
[36] D’après Jean CHEVALIER et Alain Gheerbrant (dir.), Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont-Jupiter, coll. « Bouquins », 1982, p. 285-286.
[37] Voir Cécile Pelaudeix, « Le grand corbeau, hérault d’un temps mythique », Pôles magnétiques, 2010-2011, p. 106-107. Également Guy Bordin, « La nuit inuit. Éléments de réflexion », Études/Inuit/Studies 26 (2002), p. 45-70, et Frédéric Laugrand, « Le mythe comme instrument de mémoire. Remémoration et interprétation », Études/Inuit/Studies 23, 1999, p. 91-115. À titre d’illustration, on renverra à la sculpture en os de baleine d’Illauq Johanasie, Large raven, 1988, Clyde River, Nunavut – présentée dans l’exposition permanente Origines, les récits du monde, au Musée des Confluences à Lyon.
[38] 1R 17, 6 (Ibid., p. 573).
[39] Ps-Chrysostome, Homélies « Sur l’apôtre Pierre et le prophète Élie » 2, dans Le saint prophète Élie d’après les Pères de l’Église, Saint-Remy-les-Montbard, Abbaye de Bellefontaine, coll. « Spiritualité orientale » 53, 1992, p. 103.
[40] Théodoret de Cyr, Questions et réponses sur les livres des Règnes 3R, question 46 : « Comment, lui qui est saint et vivait selon la Loi, a-t-il pu mangé la nourriture que lui apportaient les corbeaux ? », ibid., p. 217 (= PG 52).
[41] Maxime le Confesseur, Questions 185 : « Pourquoi donc le corbeau vient-il nourrir Elie le matin de pain et le soir de viande ? », ibid. p. 217 (= CCSG 10). Maxime donne une autre interprétation dans laquelle « Le corbeau représente la nature (humaine) que la désobéissance a noircie. Élie, assis auprès du torrent, symbolise l’esprit du gnostique établi dans le torrent des tentations et des efforts de l’ascèse ». Le pain, reçu le matin, signifie la connaissance de Dieu et la viande, apportée le soir, est une initiation au mystère de l’incarnation.
[42] Cyprien de Carthage, La bienfaisance et les aumônes 17 (SC 440, p. 124-128). Dans cette lecture, la veuve de Sarepta représente l’Église.
[43] Rm 14, 14 (Ibid., p. 2454). Voir Ps-Chrysostome, Homélies « Sur l’apôtre Pierre et le prophète Élie » 2, ibid., p. 104.
[44] Chromace d’Aquilée, 25 « Sermon 25 sur saint Élie » 3, dans Sermons (SC 164, p. 83).
[45] Apocalypse syriaque de Baruch (= II Baruch) 77, 24. Le texte a sans doute été rédigé peu après la destruction du Temple (SC 144, p. 519 = Écrits intertestamentaires, op. cit., p. 1547).
[46] Chromace d’Aquilée, ibidem.
[47] Tt 1, 15 tel que cité par Chromace d’Aquilée (Ibidem).
[48] Chromace d’Aquilée, « Sermon 25 sur saint Élie » 4, dans Sermons, SC 164, p. 83-85.
[49] Cf. Basile de Séleucie, Homélies 11 « Sur le prophète Élie », dans Le saint prophète Élie d’après les Pères de l’Église, coll. « Spiritualité orientale » 53, Abbaye de Bellefontaine 1992, p. 149.
[50] Cf. Éphrem arménien, Hymnes 18 et 19 « Sur le prophète Élie », dans Le saint prophète Élie d’après les Pères de l’Église, Abbaye de Bellefontaine, coll. « Spiritualité orientale » 53, 1992, p. 367-372. Ces hymnes sont conservées dans leur version arménienne, l’original syriaque étant perdu, d’où l’épithète attachée au nom de l’auteur.
[51] Id., Hymne 18, p. 368.
[52] Id., Hymne 19, p. 370.
[53] Jacques de Voragine, La Légende dorée, trad. T. de Wyzema, Paris, Diane de Selliers, coll. « La petite collection », 2009, vol. I, p. 102. L’histoire de saint Vincent montre également un corbeau qui éloigne les charognards, loups et oiseaux de proie, de son corps supplicié (Ibidem, p. 118).
[54] Pline l’Ancien, Histoire Naturelle X, 125, Les Belles Lettres, Paris, 2003, p. 70-71. Plutarque relate la même anecdote à propos de « corbeaux de Lybie » dans son traité sur L’intelligence des animaux (Œuvres morales, traité 63, 967 A, Les Belles Lettres, Paris 2012, p. 21). élien témoigne de la même ingéniosité de l’oiseau dans une anecdote légèrement différente (La Personnalité des animaux II, 48, Les Belles Lettres, Paris 2001, p. 56).
[55] Césaire d’Arles, Sermon 124 sur saint Élie et la veuve qui ramasse deux morceaux de bois, dans Le saint prophète Élie d’après les Pères de l’Église, coll. « Spiritualité orientale » 53, Abbaye de Bellefontaine 1992, p. 292.
[56] Chromace d’Aquilée, Sermons 2, 5-6 (trad. H. Tardif, SC 154, p. 143).
[57] Ovide, Métamorphoses II, 542-632, Les Belles Lettres, Paris, 1985, p. 55-57. Voir John POLLARD, Birds in Greek Life and Myth, New York, Thames and Hudson, coll. « Aspects of Greek and Roman Life », 1977, p. 182.
[58] Paulin de Nole, Lettres à Sulpice Sévère 23, 28-29, Janine Desmulliez, Cédric Vanhems et Jean-Marc Vercruysse (éd.), Paulin de Nole, Correspondance avec Sulpice Sévère, Paris, Les éditions du Cerf, coll. « Sagesses chrétiennes », 2016, p. 119.
[59] Michel PASTOUREAU, Histoire d’une couleur : noire, Paris, Seuil, 2008, p. 38.
Résumé
Parmi les oiseaux cités dans le corpus biblique, le corbeau tient une place de choix en raison de l’épisode du déluge où il est mis en opposition avec la blanche colombe (Gn 8). Son comportement et la noirceur de son plumage ont beaucoup contribué à sa mauvaise réputation. Il est remarquable que l’Épopée de Gilgamesh, source du passage vétérotestamentaire, inverse les rôles. Mais une autre péricope liée au prophète Élie (1R 17) présente le corbeau de manière très différente. Il y apparaît comme un messager divin, bienveillant et nourricier. Alors que dans les commentaires rabbiniques la discussion porte essentiellement sur les notions de pur et d’impur, les premiers écrits chrétiens reflètent l’ambivalence symbolique du corbeau et expriment un avis contrasté.
Abstract
Among the birds quoted in the biblical corpus, the raven holds a choice place because of the episode of the flood where it is put against the white dove (Gen 8). Its behavior and the blackness of its plumage contributed much to its bad reputation. It is remarkable that the Epic of Gilgamesh, source of this passage from the Old Testament, opposite the roles. But another pericope related to the prophet Elijah (1 Kings 17) presents the raven in a very different way. It seems a divine, benevolent and feeder messenger there. Whereas in the rabbinical comments the discussion relates primarily to the concepts of pure and impure, the first Christian writings reflect the raven’s symbolic ambivalence and express a contrasted opinion.
Jean-Marc VERCRUYSSE
Univ. Artois, EA 4028, Textes & Cultures, F-62000 Arras, France
Banon, David, « Le statut de l’animal dans la tradition juive », Le Portique [En ligne], 23-24 | 2009, document 9, mis en ligne le 28 septembre 2011, consulté le 28 août 2017. URL : http://leportique.revues.org/2443.
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