Durant le Moyen Âge et la période moderne, la littérature et les arts plastiques ont accordé un intérêt tout particulier au motif du locus horridus ou locus terribilis, perçu le plus souvent comme le contrepoint du classique locus amoenus. Avec pour finalité première de susciter l’effroi du lecteur, ce topos rhétorique, ainsi qu’il est communément défini, a constitué une féconde source d’inspiration ouverte à de multiples formulations.
La notion partagée du locus hostile ou inquiétant a donc nourri de façon privilégiée la poésie lyrique de la période, l’orientant vers des stratégies de réécriture et de re-signification, mais elle s’est aussi élargie à l’expression visuelle de certains archétypes culturels comme, parmi d’autres exemples, les obsédantes figurations de l’enfer dans leur continuité et leur progressif effacement. En évaluer la portée à partir de cas remarquables engage alors à analyser les stratégies discursives et les procédés d’écriture mis en œuvre, à appréhender les modalités formelles qui président à leur élaboration littéraire et plastique, à s’interroger sur le horridus et ses significations dans des contextes historiques spécifiques. Rochers et cavernes, forêts obscures, espaces désertiques, ou la menace du serpent caché dans les hautes herbes, sont autant de motifs qui prennent tout leur sens dans le fil d’une trame narrative, dans l’expressivité d’une composition poétique ou dans la démonstration d’un sermon religieux, mais aussi à travers les puissants effets visuels proposés par les artistes dans leur production de gravures, dessins et peintures. S’impose alors la prise en compte de la question du poids des conventions littéraires et des normes esthétiques qui caractérisent le « lieu » effroyable dans ses évolutions mais aussi dans ses éventuelles ruptures ou ses innovations.
Centrées sur des textes et des images de l’Espagne et de l’Italie des XVe-XVIIe siècles, les sept contributions ici réunies, travaux d’enseignants-chercheurs et de jeunes docteurs, proposent sur le sujet des variations signifiantes. Au-delà des approches descriptives, ont été considérés l’implication de l’humain dans l’expression du paysage, les formes et les effets du sentiment de l’horreur tels que pouvaient les provoquer, par exemple, les récits de la peste à Venise, ou encore les complexes connexions entre les réalités et leurs projections imaginaires, à travers les fascinantes tentations de saint Antoine ou les pathétiques supplices des martyres et martyrs, organisant l’espace même du tableau en véritable locus horridus.
Prenant appui sur une diversité de supports, de points de vue, de formes et de genres, ces études s’emploient à révéler et à approfondir sous l’angle de démarches résolument interdisciplinaires la fertilité d’un sujet riche de perspectives critiques.
Pierre CIVIL
Université Sorbonne Nouvelle, CRES /LECEMO
Cécile DEVOS
Université Sorbonne Nouvelle, CRES /LECEMO