Lorsque le Prix du Roman d’Écologie (PRÉ), créé en 2017, récompense, en 2020, Nous sommes l’étincelle1, de Vincent Villeminot, c’est la première fois qu’il est décerné à un auteur que l’on peut classer dans le domaine de la littérature pour la jeunesse. Ce récit de 510 pages est, en effet, destiné à la fois aux adolescents et aux jeunes adultes. En entretien privé, l’auteur avoue une certaine surprise, car son roman n’est, selon lui, pas plus écologique (pas moins non plus) que ses précédentes œuvres. En revanche, on reconnaît dans ce livre quelques-uns des critères de sélection du PRÉ : un roman francophone qui place l’écologie au cœur de son intrigue et dont l’écriture est d’une haute qualité littéraire, à laquelle s’ajoute, dans le cas présent, la possibilité d’une réflexion critique, grâce à un dispositif dialogique, faisant place à des voix et des points de vue contradictoires.
L’aveu de l’auteur nous donne la liberté de nous poser une question : en quoi Nous sommes l’étincelle est-il un roman traitant de questions écologiques ? Il s’ensuit une seconde interrogation : est-il possible d’écrire un roman écologique sans que celui-ci soit en même temps écologiste ? En d’autres termes, s’agit-il d’un roman engagé ? Et évite-t-il le didactisme ? Le didactisme est, selon un préjugé répandu, l’un des critères de définition de la littérature pour la jeunesse et une caractéristique qui discrédite une partie de celle-ci, traditionnelle ou contemporaine, aux yeux d’un public averti, y compris lorsque celle-ci cherche à imposer des valeurs progressistes, au risque de créer une nouvelle bien-pensance. C’est un écueil que V. Villeminot, comme de nombreux autres auteurs, cherche à éviter, ainsi que celui de camper des « super héros »2. Cependant, auteurs et éditeurs pour la jeunesse doivent satisfaire à une exigence de lisibilité et affronter leur responsabilité d’adultes s’adressant à un jeune public, constitué pour partie de mineurs du point de vue juridique. Sous cet angle, le roman de V. Villeminot s’avère sans doute plus politique, au sens large du terme, qu’écologiste. Mais grâce à la structure temporelle et à la dimension transgénérationnelle de ce roman d’anticipation, lesté d’un réalisme assumé3, l’auteur greffe la question de la transmission sur celle de l’engagement. Quel regard portent les trois personnages d’enfant et adolescents sur l’engagement de la génération de leurs grands-parents et sur l’éducation que leur ont transmis leurs parents ? Comment se combine ce regard des jeunes protagonistes à l’héritage reçu par leurs grands-parents, nés dans les années 2000, et celui de l’auteur, né en 1972, manifestement héritier critique de l’engagement de ses aînés, qui ont animé les luttes historiques des années 1970-1980 ?
Un suspense, situé dans le cadre temporel d’un roman d’anticipation « [Mai 2061- Réserve du D.- Dordogne-Quelque part dans la Grande Forêt4] » nous happe dès les chapitres 7 et 8 : une fratrie de trois enfants est kidnappée par une bande d’hommes adultes très menaçants. Les motivations de ces derniers ainsi que la présence des premiers dans ce lieu sont encore mystérieuses. On comprend progressivement que ces enfants, Montana, Daniel et Judith, vivent dans cette Réserve, avec leurs parents, et y habitent une cabane cachée dans la canopée, pour se protéger de trois dangers : les loups, qui ont déjà dévoré leur frère aîné Jolan, les braconniers, groupe auquel appartiennent leurs ravisseurs, et les commandos POACHERS5. Une topographie se met en place, par bribes savamment distillées. Le lieu habité le plus proche porte, comme beaucoup de lieux et de personnages dans ce texte, un nom générique, « Le Hameau »6, dont les habitants sont des amis et alliés ; dans la réserve subsistent les ruines d’un autre hameau, au lieu-dit « La Chute », au voisinage d’une cascade7. La famille des enfants mène, clandestinement, une vie de chasseurs, pêcheurs et cueilleurs, dans la forêt.
Quelques indices suggèrent que l’action se situe après une ou plusieurs catastrophes, sans qu’il s’agisse d’un scénario post-apocalyptique classique tel qu’un hiver nucléaire : des guerres passées8, dont on ignore si elles furent civiles ou étrangères, peu d’allusions au réchauffement climatique et à la sixième extinction, mais un monde post-transition écologique. Les personnages ne refusent pas toute technologie moderne, mais ils ont effectué, peut-être en partie de manière contrainte, un tri drastique : le père utilise une lampe frontale9, les ermites voisins ont des armes à feu10, mais l’un d’eux utilise surtout des flèches11, Montana connaît l’usage des batteries ; en revanche la cabane est dotée de toilettes sèches12 et le Hameau d’éoliennes13. Les enfants croisent quelques vestiges d’un monde disparu : une abbaye en ruines, et le lieu du dénouement se situe là où il y avait jadis « un village, un parking, avant la Réserve »14.
Au fil des pages, on se demande si cette Réserve, peuplée de rares habitants clandestins, serait le lieu d’une régénération réussie, au terme d’une politique de ré-ensauvagement, appliquée à un périmètre limité (les enfants y aperçoivent un ragot, sanglier mâle de deux ou trois ans)15 ou d’une étanchéité avec le reste du pays et du monde, qui introduit une note d’invraisemblance. En tout cas, l’action se déroule dans un après-coup, il n’y a pas de lutte contre un fléau collectif, seulement la lutte pour la survie, au point qu’il serait tentant d’interpréter cette toile de fond comme le cadre d’une nouvelle sorte de robinsonnade, de régression à la vie sauvage, assez classique. Ainsi Dan16 se demande-t-il, quand il remarque que leurs kidnappeurs sont aux aguets, s’ils « sont entrés sur le territoire d’une bande arboricole »17. Les échos à la préhistoire, le rôle de la grotte et la pratique des peintures rupestres par la famille des protagonistes entrent en résonnance avec le passé lointain de la Dordogne.
En définitive, le lecteur est frappé par l’étonnante discrétion des problèmes écologiques dans les chapitres consacrés à la « Troisième époque » (2043-2061). On peut faire trois hypothèses pour expliquer ce paradoxe. En premier lieu, du point de vue de la construction dramatique du roman, le narrateur a besoin de tenir le fil de l’action concernant le kidnapping des enfants et les tentatives des adultes pour les libérer, action démultipliée car les adultes opèrent tout d’abord séparément (le père, la mère, les deux ermites). Il ne peut disperser davantage l’attention du lecteur. En second lieu, on peut imaginer que la Transition écologique autoritaire, imposée par l’État, commence à porter ses fruits, bien que l’on sache aujourd’hui que, pour infléchir l’évolution du climat, il faudrait une décarbonation de très longue durée. Enfin, cela pourrait être dû au fait que les personnages principaux vivent dans une Réserve, sans doute mieux préservée, grâce à la persistance d’un manteau forestier d’essences de feuillus variées et d’un humus vivant. Mais cette approche repose sur l’efficacité supposée du cloisonnement des espaces, peu vraisemblable au regard des connaissances actuelles sur la dimension systémique et planétaire des problèmes écologiques. Pour schématiser, c’est durant la « Deuxième époque » (2026-2043), que se concentrent les problèmes écologiques, tandis que la première est davantage centrée sur les problèmes sociaux et intergénérationnels, comme en écho à Mai 1968 et à tous les mouvements étudiants qui ont suivi, en France, jusqu’en 2006 (manifestations contre le CPE). La troisième se focalise à la fois sur la violence (les braconniers, les POACHERS) et sur une possibilité de régénération par le retour, non plus à la terre, mais à la forêt.
En fait, il faut reconstituer, grâce à une série d’analepses, le passé proche et lointain, pour que l’on comprenne la place de l’écologie dans l’histoire de cette famille et de la société française entre 2022 et 2061. Les titres des parties du roman distinguent une première époque, de 2022 à 2026, qui correspond à la génération des grands-parents : Antigone et Xavier qui sont les grands-parents paternels des trois enfants, La Houle et Pibe, qui étaient leurs amis ; une « Deuxième époque », désignée aussi comme « le temps du Désastre », s’étend de 2026 à 2042-43. Cette époque correspond à la jeunesse des parents, Adam et Allis Koteas, contemporains, entre autres, d’un policier de Grenoble, Hugo Behr, des habitants du hameau de la Chute, mais aussi de différents services de police luttant contre les infractions au véganisme et, déjà, contre les braconniers.
La première époque, les années 2022-2026, n’occupe finalement que la quatrième partie du roman, un seul chapitre, long et complexe18, complété par quelques analepses disséminées dans les autres parties. Antigone, Xavier, La Houle et sa bande sont engagés dans un mouvement de protestation de la jeunesse simplement nommé « Le Mouvement », qui s’étend à toute l’Europe. Ce mouvement est inspiré par un ouvrage fictif intitulé Do not count on us [Ne comptez pas sur nous], écrit par un certain Thomas F., jeune universitaire en Sciences politiques d’Oxford, dont le prénom rappelle celui du philosophe Thomas More, l’auteur d’Utopia19. Le livre de Thomas F. est cité en italiques, dans une police de caractère qui mime l’écriture manuscrite, par fragments qui ponctuent le roman. C’est une sorte de manifeste d’inspiration anarchiste, qui dénonce le « contrat social » et préconise de « faire sécession ». Les préoccupations écologiques n’apparaissent pas de manière prépondérante ni immédiate, sauf à travers le reproche adressé à la génération des parents et grands-parents par les jeunes des années 2020, les « boomers », qui leur laissent un monde abîmé20. Contrairement aux traditions contestataires européennes, ce manifeste ne comporte pas d’appel à la Révolution ni à la prise de pouvoir21. La seule communauté politique des Sécessionnistes sera désormais l’amitié. Les jeunes qui s’approprient peu à peu cette utopie sont étudiants en Sciences humaines et sociales, viennent de l’université de Nanterre, de la Sorbonne, d’Italie et d’Allemagne22. Leurs motivations sont économiques et sociales, mais pas écologiques. Ils revendiquent ainsi un « vrai prêt étudiant »23 et non pas des bourses ni un revenu universel. Cette revendication relève donc d’un modèle libéral et capitaliste anglo-saxon, assez peu dans la tradition française du syndicalisme étudiant que nous connaissons actuellement. La réponse du gouvernement est l’occasion d’une parodie de la langue de bois technocratique des techno-solutionnistes : créer « trois UniverCities, trois villes-containers sur trois plaines-jachères »24 pour loger les étudiants25.
Aux critiques des adversaires du projet [...] le ministre des Villes Intelligentes répond « débouchés publics à la recherche-développement privée », « villes connectées ». […] Puisque le pétrole devient hors de prix, on utilisera autrement les containers de marchandises26 ...
Les problèmes écologiques sont mentionnés dans les lignes suivantes où le narrateur décrit la situation française et internationale : « pétrole hors de prix », « désastre causé par la fragmentation des schistes bitumineux », « une guerre des pétromonarchies entre l’Iran et les pays du Golfe » : « L’Europe va devoir abandonner l’Économie de croissance », mais elle ne le sait pas encore »27. Ces lignes publiées en 2019 prennent une résonnance prémonitoire, lorsque nous les relisons en 2023.
La Transition gouvernementale est donc techno-solutionniste, puis devient autoritaire28.
La France se convertira aux biocarburants et au véganisme. La nouvelle majorité issue des urnes promulguera ses lois sur la Gestion et la Protection des Autres Espèces Animales.
On créera « la Réserve »29.
Face à cette « offre » politique, les personnages du Mouvement s’arriment au manifeste de Thomas F.30.
C’est alors que les protagonistes s’installent en Dordogne, opérant un « retour à la terre » ressemblant aux tentatives accomplies dans les années 197031, pour cultiver, cueillir et chasser32. Ils mettent en œuvre une utopie sociale, anarchiste et décroissante qui ne dit pas son nom. Ils vivent sans argent33, mais ils ne sont ni végétariens ni véganiens. Sauf erreur, le terme d’écologie n’apparaît pas. La suite relate les persécutions policières dont ils sont victimes, qui évoquent les luttes de l’Après 1968, mais aussi une actualité beaucoup plus proche. Même si V. Villeminot prend soin de ne pas se référer explicitement à ces dernières luttes, ces échos nous rappellent que celui-ci a suivi des études à Sciences Po et a été journaliste avant de se consacrer à l’écriture. La seule référence explicite figure lorsque Antigone et Xavier rencontrent des amis italiens dont « Erri, un grand Italien au calme immense et à l’austérité tranchante »34, dans lequel nous reconnaissons sans peine l’écrivain Erri de Luca.
Une fois installés à la campagne, en Dordogne, les protagonistes fondateurs du Hameau subissent davantage les effets du réchauffement climatique – « odeur de cloaque » des rivières sous l’effet de la canicule35. Par l’intermédiaire du point de vue de Jay, une jeune métisse qui se livre à de longues promenades solitaires en forêt, le texte glisse quelques fragments d’éloge du sol et du sous-sol, des rapports entre la pourriture, les micro-organismes et la vie36.
Cette première époque se clôt tragiquement. À la suite d’une provocation policière, le porte-parole et meneur de la communauté du Hameau, Xavier, ainsi que Jay, sont tués. Le Hameau est alors évacué et incendié, parce que la forêt voisine devient une Réserve interdite aux hommes37. Une vingtaine de couples reviennent vivre clandestinement dans la Réserve, et recréent un village au lieu-dit appelé « La Chute ». Antigone et son fils, Adam, fils de Xavier, s’y installent. La Houle, Pibe et Berzerker38 s’établissent comme ermites, à l’écart, pour protéger le village.
La Deuxième époque, celle de Désastre, commence en 2035 et court jusqu’en 2042-43. En 2035, les villageois de la Chute sont « tous massacrés par des braconniers »39, y compris Antigone. Ceux-là, non violents, n’avaient pas d’armes ; le seul rescapé est Adam, alors âgé de neuf ans. Il grandit dans la contre-société des braconniers, ultra-violente et concentrationnaire pour ses prisonniers. Mais Mark, qui n’a pas participé au massacre, élève Adam presque comme un père. A partir de 2040, le régime français tourne à la « dictature verte » : un Grenelle pour la Protection des Autres Espèces animales met en application une politique végane très répressive40, tandis que le réchauffement climatique se poursuit41. Sur le campus de l’UniverCity de Grenoble, en 2042, Allis Koteas, jeune étudiante, échappe de justesse à un viol, grâce au policier Hugo Behr, et ne trouve pas d’autre issue, pour faire face à ce traumatisme, que d’arrêter ses études, quitter sa famille drômoise et s’engager dans la police. Elle opère d’abord en zone urbaine, dans une brigade de lutte contre les trafiquants de viande et organisateurs de combats de chiens. L’un des épisodes de la lutte contre ces derniers se termine par une fusillade. En toile de fond, les gens se déplacent à vélo ou roulent avec des biocarburants, toute exploitation des animaux est interdite, y compris l’élevage des brebis pour la fabrication du fromage, comme le fait clandestinement la famille d’Allis dans la Drôme. Le paysage de cette époque post-Transition écologique est celui de nombreuses friches industrielles42. Allis est ensuite recrutée dans les commandos POACHERS, dont la mission, encore plus dangereuse, consiste à traquer les braconniers dans la Réserve43. La jeune femme est capturée par les braconniers et promise à un sort atroce. Ils ont, entre autres, la réputation d’être cannibales. Mais à la vue de cette prisonnière encagée, Adam qui est devenu un jeune homme, retrouve la mémoire du massacre de son village, qu’il avait refoulée. Il trouve la force morale de libérer Allis et de s’enfuir avec elle. Ceux-ci échappent de justesse à leurs poursuivants, parce qu’ils sont extraordinairement endurants et aguerris, comme des « super héros », il faut bien l’avouer, et parce que de mystérieux protecteurs tirent sur leurs ennemis depuis la canopée. Les deux jeunes gens se réfugient au plus profond de la forêt, au-delà des ruines de La Chute et fondent une famille.
Contrairement aux utopistes de la Première et de la Deuxième époque, Adam et Alice (son nouveau nom, dans cette nouvelle vie) ne cultivent pas, n’élèvent pas de bétail, vivent dans les frondaisons, pour ne pas être repérés. Et ils savent se défendre et se battre. Ils ont abandonné l’agriculture et la non-violence de leurs parents, ainsi que la vie en société. Ils ont seulement des contacts ponctuels avec « les êtres humains » du Hameau, surgeon non utopique mais solidaire et amical, du premier village. Le couple que forment Adam et Alice vit alors une superbe histoire d’amour et une exemplaire relation d’égalité, car le roman est nettement féministe44. Ils engendrent les quatre enfants présentés plus haut, dont les trois encore vivants devenus captifs des braconniers. Ce nouveau couple « adamique » ne gagne son « Paradis » sylvestre qu’après avoir échappé à « l’Enfer » et s’y être compromis. Ce ne sont ni des innocents ni des utopistes, mais des rescapés qui ont souffert et infligé la souffrance ou la mort à autrui, peut-être des « réalistes », ayant tiré les leçons des échecs de la génération précédente, qui adoptent, pour survivre, la solution la plus radicale, un retour à la forêt réensauvagée.
Le roman présente donc trois conceptions de la Transition écologique comme exclusives les unes des autres, et, en tout cas, contradictoires et antagonistes : l’utopie du retour à la terre et son échec face à la violence d’État, une dictature verte, techno-solutionniste et répressive, en ville, et un retour à la vie sauvage dans la Réserve, qui n’a rien d’idyllique, du fait des menées des braconniers sur ce territoire et des difficultés de la survie dans un milieu sauvage.
La question est alors de savoir si le récit choisit entre ces différentes configurations : lesquelles disqualifie-t-il ou valorise-t-il ? Avec quels arguments ou au nom de quelles valeurs ? En d’autres termes, ce récit est-il engagé et, si oui, en faveur de quelle formule politique ? Ou bien la diversité des choix écologiques ou anti-écologiques est-elle un dispositif qui évite le didactisme et incite, par son dialogisme, à la réflexion critique de lecteurs rendus à leur liberté ? Et comment l’auteur négocie-t-il la teneur, par endroits très radicale, de son texte avec l’injonction majeure de la littérature pour la jeunesse d’une éthique de la responsabilité ? Comment l’auteur parvient-il à « jouer avec le feu », séduction indispensable pour un public adolescent, sans « mettre le feu » ?
À plusieurs reprises, le narrateur semble fournir au lecteur le manuel du parfait activiste contemporain, notamment dans la scène de rencontre entre Antigone, qui coordonne le service d’ordre de la dernière manifestation étudiante de masse de mars de 2025, et La Houle45. Cette leader étudiante non violente fait appel au groupe de supporters parisiens « ultras » dirigé par La Houle, pour assurer la sécurité de la manifestation. Ce dernier compte parmi ses « troupes » Joan surnommée Jay et Paul rebaptisé Pibe. La Houle a une conscience prolétaire très aiguë et aime l’affrontement avec les supporters d’autres clubs. On ne comprend que progressivement quelle sera la tactique d’Antigone : « Les autonomes, c’est moi qui m’en occupe avec mes gars. Toi, je te veux sur les petits casseurs »46. Elle complète ainsi : « Les black-blocs, politiquement, ce sont des amis. On doit aller au contact nous-mêmes »47. Le narrateur nous révèle en quoi consiste cette tactique énigmatique quelques pages plus loin : « Chaque fois que le "cortège de tête" veut charger, faire black-bloc, cagoulé, ganté, armé de noir, chaque fois, il y a une nuée de jeunes gens qui s’allongent entre eux et les flics »48. Pour le coup, nous aurions affaire à un « didactisme révolutionnaire », ou, du moins, subversif. Ce réalisme quasi documentaire, où se trahit la plume de l’ancien journaliste, se combine avec plusieurs longues séquences épiques et lyriques, décrivant cette ultime manifestation géante49, ou, en amont, la charge des ultras de la Houle contre des supporters du Chelsea F.C.50, tandis que d’autres passages lyriques racontent la création du Hameau51.
D’aucuns pourraient juger ces pages dangereuses ou démagogiques, ou, au contraire, salutaires et formatrices, satisfaisant le besoin de transgression et d’enthousiasme des adolescents. Les scènes de violence policière complètent le tableau qui, à de nombreuses reprises, semble directement inspiré de l’actualité de la décennie 2010-2020, bien que l’auteur s’en défende : actualité telle que la mort de Rémi Fraisse (2014), que nous rappelle celle de Jay et Xavier et qui a entraîné l’abandon de la construction du barrage de Sivens (2015), ou la lutte sur la ZAD de Notre Dame des Landes, qui a fini par empêcher la construction d’un nouvel aéroport près de Nantes (2012-2018)52. Non sans humour, le narrateur imagine une invention des Médias de la deuxième époque : le sigle « V.P.I. » pour « Villages Provisoires Illégaux »53. Le lecteur décrypte aisément sous ce sigle fictionnel, qui parodie la langue administrative ou policière, les « ZAD », c’est-à-dire les « Zones À Défendre » des militants écologistes. Enfin, le soir où la police tue Joan et Xavier, celle-ci neutralise La Houle par des gestes qui évoquent les images de l’assassinat de George Floyd, alors que cet événement est postérieur à l’écriture et à la publication du roman (2018-19). Mais le mouvement « Black lives matter » est né aux USA en 2013 et, au vu de la culture américaine de l’auteur, il y a toutes chances que V. Villeminot y ait prêté attention bien avant le drame mondialement connu de 2020.
À bien y regarder, le roman présente un riche éventail des méthodes de lutte qui vont de la non-violence à la désobéissance civile, contrastant avec les pratiques des supporters ultras. La désobéissance civile, théorisée par le poète américain Henry David Thoreau54, autorise l’illégalité non violente, telle que celle pratiquée par le mouvement « Extinction Rebellion » (créé en 2018), ou « Les Soulèvements de la terre », plus récemment. Cet éventail exclut le terrorisme et donc l’écoterrorisme – terme employé parfois abusivement. Mais dans un entretien accordé à l’Obs, le 24.09.2020, V. Villeminot dévoile un élément essentiel : « Dans le livre, je me débrouille pour que l’expérience déraille sans quoi le ressort romanesque ne fonctionnerait pas55. » Cette déclaration n’indique pas seulement le rôle de l’esthétique dans le traitement des questions politiques, elle nous incite à repérer ce qui déraille et quel sens s’en dégage. Il apparaît que l’utopie du Hameau « déraille » un peu, tandis que la politique de Transition du gouvernement français de cette fiction « déraille » beaucoup, se mue en dystopie, en une sorte de « dictature verte », et que le désastre résulte en partie de l’affrontement entre ces deux conceptions de la politique et de l’écologie. Au Hameau, dans la durée, certains évoluent vers une forme de conservatisme (la pudeur, la non mixité des bains) ou vers des transgressions (quelques faits de délinquance). Cette communauté fondée sur l’amitié et la solidarité entre ses membres en vient à couvrir l’homicide involontaire commis par Berzerk contre un autre garçon. En face, le gouvernement donne une tournure très répressive au véganisme ainsi qu’à l’antispécisme, et crée une société de surveillance grâce à des systèmes de caméra et de drones très perfectionnés56. Mais le techno-solutionnisme ne résout pas tous les problèmes : Allis Koteas échappe de peu au viol sur le campus, grâce au policier Hugo Behr. Un passage décrit les contradictions de cette société, ou son hypocrisie :
Ce qu’elle voyait autour d’elle ressemblait à ce qui était partout, dans toutes les villes-centres... [...] Des hommes, des femmes en costumes ou tailleurs de fibres végétales, [...], armés et aimantés par des téléphones « intelligents » figurant parmi les industries les plus polluantes au monde [...].
Signaux contradictoires, mensonges57...
Ce tableau en focalisation interne indique qu’Allis n’est pas dupe, alors qu’elle s’engage dans les commandos POACHERS.
L’utopie du Hameau ne meurt donc pas de l’intérieur, mais de l’extérieur, à l’époque où le gouvernement crée dans son voisinage « la Réserve » et où la police évacue et incendie le village. C’est donc la défaite inéluctable du « pot de terre » contre le « pot de fer ». Dans ce diptyque, on peut se demander si l’auteur disqualifie les idées de certains écologistes comme le véganisme, l’antispécisme, le ré-ensauvagement, ou leur mauvais usage et leur dévoiement.
Curieusement, les protagonistes de la première génération, les Sécessionnistes, se méfient de la rhétorique révolutionnaire58. Le prolétaire, La Houle, est d’accord sur ce point avec les étudiants59. Leur inspirateur, Thomas F., formule ce refus dans son manifeste :
Révolution : tour complet sur soi-même pour revenir au point de départ, et rebâtir le statu quo ante, sur d’autres bases peut-être, avec d’autres vainqueurs, d’autres injustices, d’autres lésés pour compte, mais pour finir toujours au même endroit. Sur le même théâtre.
Ce qu’il nous faut, ce n’est pas cette révolution. C’est une conversion, un embranchement, un départ.
[...]
Nous pouvons encore nous asseoir à l’écart, pour travailler à des sociétés plus modestes, liées par l’amitié, gouvernées par le souci de ne renoncer chacun à aucune souveraineté, et qui ne ressembleront pas à celle-là. [...]
C’est pourquoi nous faisons sécession60.
Malgré le rejet de la pensée révolutionnaire, le roman évite de justesse de réduire la crise écologique à un conflit intergénérationnel entre les jeunes qui ont vingt ans en 2024 et les « boomers ».
Malgré tout, ces jeunes gens semblent dotés d’une mémoire anachronique, comme s’ils avaient tiré les leçons, ou du moins certaines leçons, de Mai 1968 et surtout des années 1970. Ce passé est convoqué par les différents contacts de Xavier et d’Antigone avec des militants italiens et allemands. Durant les années 1970, ces deux pays d’Europe de l’Ouest ont vu une partie de leurs extrêmes-gauches respectives basculer dans le terrorisme : « Lotta continua » et les « Brigades rouges », entre autres, en Italie, ainsi que la « Fraction armée rouge », plus connue sous le nom de « Bande à Baader » en RFA, (Allemagne de l’Ouest)61. Les historiens se sont d’ailleurs intéressés aux raisons pour lesquelles la France a joui d’une exception sur ce plan, à part les actions tardives du groupe « Action directe » de 1979 à 198762. Les personnages côtoient Anton, un anarchiste berlinois, tout comme les personnages du roman de Serge Joncour intitulé Nature humaine63. C’est ce passé qui éclaire l’évitement très résolu du terrorisme par V. Villeminot, mais également par S. Joncour, même si ce dernier recourt à une stratégie narrative différente. Les deux auteurs connaissent et démontent discrètement la séduction des méthodes et des mythes qui sont liés à l’action terroriste. Sur ce point, V. Villeminot exerce sa responsabilité d’auteur de jeunesse. Cela contraste avec le roman policier, pour adultes, d’Olivier Norek, intitulé Impact, qui approche de plus près la tentation de l’écoterrorisme, pour la remettre à distance in extremis64.
L’originalité de V. Villeminot se situe cependant à un autre niveau. En effet, celui-ci est en réalité assez peu influencé par les sources politiques, écologistes et littéraires françaises ou européennes. Dans son entretien avec l’Obs, il met en avant des références plus décisives pour lui, les unes chrétiennes65, les autres américaines. Il a lu Jacques Ellul (1912-1994), sociologue et théologien protestant libertaire français. Quelques chapitres du livre tissent également un fil entre les choix de Saint-François d’Assise (pauvreté et proximité avec la nature) et l’expérimentation sociale du Hameau. Ainsi un chapitre du roman s’intitule-t-il « Poverelli »66 et les jeunes contestataires européens se retrouvent-ils pour un séjour au monastère de San Damiano en Ombrie67. Pour ce qui est des références américaines, elles commencent avec le prénom de l’une des héroïnes : Montana, l’aînée des trois enfants kidnappés. Cela renvoie à l’œuvre de Jim Harrisson (1937-2016), au courant du nature writing, l’écriture des grands espaces, appelé aussi « École littéraire du Montana ». De surcroît, cet écrivain a perdu sa sœur, nommée Judith et fauchée par un chauffard, à laquelle la benjamine de la fratrie pourrait bien devoir son prénom. Mais les prénoms vétérotestamentaires abondent dans ce roman : Adam, le père, Daniel et Judith, ses enfants, ce qui suggère une autre dimension que l’hommage intertextuel. Enfin, on retrouve dans le texte l’évolution de l’utopie vers une « confédération de villages »68, type d’organisation directement tiré de la pensée de Murray Bookchin (1921-2006), philosophe, militant écologiste et libertaire américain69. Celui-ci défend un municipalisme libertaire qu’il serait intéressant de comparer avec le communalisme expérimenté dans les ZAD et défendu par Philippe Descola et Alessandro Pignocchi dans Ethnographies des mondes à venir (2022)70. V. Villeminot lui emprunte l’une de ses idées maîtresses : « changer sa vie sans changer le monde ». Cette idée, qui prête à discussion, trouve dans le roman diverses formulations, dont l’une est particulièrement intéressante. Le théoricien du mouvement sécessionniste, Thomas F., préconise de « se laisser transformer » par le mode de vie utopique que les Sécessionnistes vont choisir : il ne s’agit plus d’avoir ou de faire, mais d’être, et d’une conversion, au sens de métamorphose intérieure ou peut-être au sens d’une forme de déterminisme matérialiste. Notons cependant que si V. Villeminot infuse ses lectures américaines dans son roman, c’est de façon tout à fait souterraine, tandis que la référence explicite à Erri de Luca offre une proposition de transmission plus déchiffrable pour les lecteurs européens.
Xavier et Antigone rencontrent des militants italiens qui luttent contre le percement d’une ligne de TGV Lyon-Turin, passant par le Val d’Aoste. Parmi ceux-ci, « Erri, un grand Italien au calme immense et à l’austérité tranchante »71, référence à Erri de Luca, qui a milité à l’extrême-gauche dans les années 1970, en Italie, dans le mouvement « Lotta Continua », mais a refusé de suivre ses camarades dans la lutte armée et le terrorisme, à la suite de quoi il s’est « établi », selon la formule consacrée, comme ouvrier, de 1978 à 1996. Il a pratiqué l’alpinisme, et est devenu un écrivain italien de premier plan sur le tard72. Depuis, il a rejoint certains combats écologistes contemporains dont celui du mouvement « NO TAV », dans le Piémont, ce qui lui a valu un procès pour « incitation au sabotage », en 2015, suivi d’une relaxe. Le choix de cette figure, un personnage réel, historique, parmi les personnages de fiction du roman, est lourd de sens : Erri de Luca combine un engagement radical avec le refus du terrorisme, mais pas de toute forme de violence, si l’on se remémore les luttes ouvrières chez Fiat en 1978-1980, par exemple, que d’aucuns pourraient qualifier de contre-violence répondant à celle du patronat et de la police. Ce positionnement politique et éthique est tressé à une écriture littéraire personnelle inspirée notamment de la Bible, lue et retraduite chaque matin par cet agnostique hébraïsant. Bien que cela reste implicite, la figure d’Erri représente ici un point de jonction entre les Sécessionnistes et la génération de leurs grands-parents. Né en 1950, Erri de Luca qui a aujourd’hui 73 ans, serait-il une figure de la transmission possible, ou souhaitable, dans un roman hanté par l’oubli et les ruptures dans la transmission intergénérationnelle ?
À plusieurs reprises, le narrateur, interventionniste et omniscient, signale que l’utopie du Hameau est oubliée ou ignorée. Les habitants du Hameau en 2061 ignorent qu’ils sont installés sur le site d’une expérience utopique créée, puis détruite, quarante ans auparavant73. Cet oubli est sans doute lié à la censure politique instaurée par la « dictature verte ». L’oubli du massacre de 2035 est dû au refoulement d’Adam, jusqu’en 2042 : mécanisme psychique de défense face à un traumatisme insoutenable, mais peut-être aussi syndrome de Stockholm, pendant ses années à survivre parmi les braconniers. Une troisième forme d’oubli subie vient du fait que plusieurs personnages sont orphelins (Adam) ou n’ont pas connu leur père (Thomas F., Paul surnommé Pibe, lâché par son père après divorce).
La hantise de l’oubli, outre sa dimension historico-politique et psychologique, recouvre ici une dimension littéraire intertextuelle. À la toute fin du roman74, Adam passe près d’un hêtre, à proximité de la grotte couverte de peintures rupestres où lui et Allis ont fait l’amour pour la première fois : « Ils arrivèrent au hêtre immense (qui ne s’appelait pas encore le Colonel Aureliano Buendia) ». Ce nom de consonance hispanique est celui d’un personnage du célébrissime roman Cent ans de solitude (1967) de l’écrivain colombien Gabriel García Márquez. Dans ce roman, l’oubli, thème majeur du récit, est la conséquence d’une prophétie ou malédiction lancée par un Gitan, sur sept générations d’une même famille. Cet hommage intertextuel est une révélation, sciemment retardée, ce qui relève d’un jeu avec le lecteur (plus âgé ou hispanophile) mais affirme aussi qu’il ne faut pas sous-estimer les influences purement littéraires.
Les Sécessionnistes se caractérisent par leur rupture choisie, et non plus subie, avec leur famille et, principalement, avec leur mère. Pibe choisit la violence des supporters ultras, puis l’utopie du Hameau, pour quitter une « mère-modérément-de-gauche » – la formule notée avec des tirets trahit beaucoup d’ironie – et un père qui le désinvestit après son divorce75. Le récit consacre aussi un chapitre poignant et vertigineux à la rupture du jeune théoricien Thomas F. avec sa mère qui l’élève seule et s’est totalement sacrifiée pour lui donner une éducation exceptionnelle. La reconnaissance de dette envers ces mères ou l’impossibilité de leur reprocher quelque chose de grave apporte un éclairage supplémentaire au refus de faire une révolution contre la génération des parents.
– Tu me l’as dit, répété cent fois. « Penser intensément, courageusement, avec l’indépendance qui est la marque des grands esprits. Penser, même contre soi, ses habitudes, son milieu, son sexe, son pays... » Même contre toi, s’il le fallait, maman76.
Dans ce cas précis, V. Villeminot pointe un cas de transmission peut-être trop réussie, qui se retourne contre sa source, transmission d’une rigidité et d’une pureté maternelles excessives, ou d’un esprit de sacrifice, que le fils reproduit dans le geste même par lequel il croit s’en affranchir.
Avec une compréhension profonde des rouages parfois paradoxaux de la transmission, V. Villeminot campe la famille de la troisième époque, Allis, Adam et leurs trois enfants, comme un cas de transmission plutôt réussie, qui repose non seulement sur certains principes mais aussi sur des mécanismes psychiques : Allis et Adam transmettent ce qu’ils n’ont pas reçu, pour paraphraser la célèbre formule du psychanalyste Jacques Lacan : « L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas ». Allis vient d’une famille drômoise qui n’a pas fait sécession, mais élevait clandestinement des chèvres. Puis elle a été pour ainsi dire « reprogrammée », aliénée par son besoin de réassurance, à la suite de son « presque viol »77, par sa formation dans des corps de police de plus en plus violents. Adam mentionne à un moment que, contrairement aux braconniers, les POACHERS ne faisaient pas de prisonniers. Quant à Adam, il n’a pas connu son père et été privé de sa mère Antigone, militante non violente, à neuf ans. Il a ensuite été, lui aussi, « reprogrammé » et aliéné par les nécessités de la survie chez les braconniers, heureusement atténuées par son « presque père », Mark. Ces deux jeunes gens ont réussi par leur rencontre et la magie de l’amour, par la résurgence de leur première éducation, combinée à la seconde, à se dégager des modèles barbares de la police et des criminels. Ils inventent78 ce qu’ils transmettent à leurs enfants.
La conception de l’éducation chez V. Villeminot échappe donc en partie au schéma de la reproduction ou de la répétition qui empêche si souvent de s’adapter et de s’ajuster à la réalité du présent. Adam et Alice prodiguent tout d’abord à leurs enfants une éducation moderne et peut-être informée par la psychanalyse : en premier lieu, ils évitent les secrets de famille toxiques. Leurs enfants sont au courant de l’existence et de la mort de leur frère aîné, Jolan, tué par les loups79. Les deux aînés savent également que leur mère a échappé de justesse au viol80 et que c’est ce qui menace Montana de la part des braconniers81. Mais les parents, et à leur suite, les deux aînés, savent que les très jeunes enfants, comme Judith, doivent être temporairement protégés de certaines vérités82. Le narrateur omniscient nous livre ce que les enfants ont intériorisé de leur éducation sous deux formes : la formulation de l’interdit, dans des bribes de monologue intérieur de Dan, (« son père n’aimerait pas ça. » ou « Tu vas dire quoi à maman ? »)83 et surtout dans de nombreuses maximes mises au point et inculquées par les parents : « "Tout l’art est dans la feinte, l’évitement" dit papa »84. Ou bien « Il ne faut pas inspirer la pitié. » dit Allis à Dan85, ou encore « Il ne faut pas se confondre [avec les loups], dit la même à celui-ci86, ou encore : « il faut se distinguer toujours des bêtes sauvages »87. Ce couple transmet aussi les connaissances théoriques et pratiques permettant de survivre en forêt. Les phrases les plus décisives sont les réflexions suivantes de Dan, qui témoignent de son appropriation de cette éducation :
La forêt, nous éprouve, nous éduque.
Elle nous laisse un droit à l’erreur, le plus souvent.
Elle est pleine de mansuétude...
Ses parents, également, si souvent, les laissent se tromper. Presque toujours88.
Éducation empirique, par l’expérience à ses dépens, par les échecs. Et de fait, l’action repose en partie sur les erreurs commises par les enfants et adolescents. Au début, c’est en écoutant de la musique dans l’Abbaye que Montana signale la présence de sa fratrie aux braconniers. Dans le passé, c’est Pibe qui déclenche, en croyant porter secours à Joan, la violence policière responsable de la mort de celle-ci et de celle de Xavier. Enfin, au moment où approche leur libération, c’est Judith qui met en danger son père, parce qu’elle reconnait leur chien et le révèle involontairement aux braconniers. L’action « déraille » comme dit l’auteur, principalement à cause des erreurs, lapsus et actes manqués. Le second principe d’éducation consiste à laisser leurs enfants se forger leur propre opinion, non seulement par le biais du débat contradictoire, dont le dialogisme du roman donne de beaux exemples, mais aussi par le biais de l’expérience dont il faut ici rappeler l’étymologie latine : le verbe experiri signifie « effectuer la traversée des périls ». C’est ce qu’a retenu Montana qui rêve d’aller à la Ville : « C’est ce qui compte : voir, juger par elle-même. Parcourir le monde entier. Se faire son propre avis »89.
L’un des accomplissements de cette éducation est l’émancipation progressive de Dan, qui ose à son tour penser contre ses parents, après quelques dizaines d’heures passées comme prisonnier des braconniers :
Dans son innocence, il pensait qu’avec ses parents ils étaient les seuls à savoir la forêt. Il imaginait les autres, les « cannibales », comme étrangers à la Beauté. Ignares.
Sa mère dit : « La nature nous enseigne le respect, la patience, l’endurance et la douceur... »
Mais c’est faux. Ces hommes mauvais connaissent parfaitement la nature, eux aussi, malgré leur violence. Ils la connaissent dans sa cruauté comme dans sa prodigalité. Ils s’en inspirent90.
Enfin, la formule « La forêt est ce monde où la mort fait partie de la vie »91 programme, entre autres, la résilience des enfants, le fait que les enfants sont psychologiquement et moralement armés, quand, à la fin du roman, ils retrouvent la liberté, mais qu’ils doivent faire face à l’épreuve du deuil. Transposé de la nature au psychisme humain, puis à la politique, cela donne la belle formule de clôture poétique « Les ruines d’un rêve, l’humus du suivant »92.
La transmission se fait aussi de La Houle à Montana qui veut savoir quelle personne était sa grand-mère paternelle, la bien nommée Antigone. La Houle, amoureux fou d’Antigone, qui s’est effacé devant Xavier, alors qu’Antigone parvenait à grand-peine à contenir son attirance pour le jeune prolétaire, La Houle, qui a ensuite accepté d’être le parrain d’Adam, et a tenu jusqu’au bout cet engagement, dans l’ombre, ou plutôt depuis la canopée, sans jamais se présenter à lui ni lui parler, ce héros privé d’amour et de descendance incarne à la fin le parfait grand-père de l’intrépide Montana. C’est lui qui donne accès au passé des parents et des grands-parents.
***
Ce qui concerne la transmission, envisagée sous ses différentes facettes, avec beaucoup de finesse, est sans doute le cœur du roman, plus encore que ce qui touche à l’écologie et à la politique, même si, bien sûr, ces trois domaines interfèrent sans cesse. Par cette dimension, ce roman d’anticipation rejoint ce qui vaut depuis longtemps pour les contes : bien souvent, ceux-ci sont autant « l’école des parents »93 que celle des enfants, et c’est l’une des richesses de la littérature pour la jeunesse, heureuse conséquence d’un corpus à double destinataire : le public des enfants et celui des adultes, prescripteurs parfois, acheteurs toujours, et souvent lecteurs à voix haute, passeurs de texte. Mais c’est aussi « l’école des enfants » grâce à la structure temporelle du roman d’anticipation, remarquablement bien exploitée, qui fait de ses premiers lecteurs, adolescents et jeunes adultes de 2019, les grands-parents des jeunes protagonistes de 2061. Une telle structure relève de la troisième rupture qu’implique l’éco-éthique, par rapport à l’idée que l’enfant est le destinataire de la littérature pour la jeunesse, telle que l’analyse Nathalie Prince :
Schématiquement, dans un premier temps, on n’écrit pas pour lui, mais l’enfant se saisit tout de même de certaines œuvres adultes ; puis on écrit pour lui mais afin de l’éduquer, [...] et d’envisager l’adulte qu’il sera : une littérature pour l’enfant qui nie l’enfance. Le troisième stade, le plus moderne des trois, consiste à envisager l’enfant pour ce qu’il est : un être joueur, sensible, fragile, inchoatif, à l’encyclopédie limitée – et c’est à cette période que la littérature pour la jeunesse atteint son apogée. Nous sommes à la fin du XIXe siècle, nous sommes au XXe siècle [...]. Or ce que propose l’école [...], c’est un nouvel âge, en modifiant son destinataire : il ne s’agit plus cette fois-ci de prendre en compte l’enfant, son être, ses droits, mais les nascituri au sens propre, ceux qui vont naître, les enfants de demain. On écrit pour les enfants d’aujourd’hui afin que ceux de demain puissent encore lire. On ne s’éduque pas pour que l’autre soit respecté, mais pour que l’autre de l’autre, ses enfants et les enfants de ses enfants puissent vivre dignement94.
Imposant à ses lecteurs un recul historique de quarante années, V. Villeminot les oblige à se regarder eux-mêmes avec une distance rétrospective qui favorise l’autocritique, dont La Houle donne un bel exemple, devenu ermite et vieux. Ce dispositif temporel et transgénérationnel projette les jeunes lecteurs d’aujourd’hui dans une anticipation de leur avenir d’adulte, ce qui les pousse à occuper imaginairement une position de « parents » à l’égard de leur descendance fictive et d’eux-mêmes, ruse suprême, qui évite un conflit de génération inutile face aux dangers de l’époque, faux problème ou question mal posée et lieu commun expédiés par une formule lucide de Thomas F. qui refuse « cette comédie de l’adolescence »95.
Quand, durant les débats du colloque Littérature de jeunesse et écologie (23 et 24 mars 2022, à l’Université Grenoble Alpes)96, on demande à Vincent Villeminot où est l’espoir dans ce roman, l’espoir requis par les éditeurs et nombre d’adultes, quand il s’agit de littérature pour la jeunesse, il répond que si les personnages n’ont pas changé le monde, du moins ont-ils changé leur vie et que cela est déjà « espérant ». Le titre Nous sommes l’étincelle prend alors tout son sens. Tout d’abord, la lumière n’est pas à chercher au dehors, dans le succès, la réussite, mais à l’intérieur, en nous. C’est l’étincelle de vie, d’espoir, d’énergie, surgie du sens que nous donnons à notre existence et à nos actions. Par conséquent, elle ne dépend pas uniquement de bonnes conditions extérieures, elle peut survivre à l’adversité. Montana se parlant à elle-même pense : « Même la ténèbre pour toi n’est pas ténèbre, devrait réciter Judith dans son sommeil »97. Montana espère en la récitation des Psaumes pour que Judith résiste au désespoir, à la mort de leur père : « la nuit comme le jour est lumière98... » Malgré les références judéo-chrétiennes de l’auteur que nous avons pointées, le recours à la prière, au texte biblique et à sa pensée dialectique, le lecteur retiendra peut-être un autre niveau de lecture. Ce psaume converge avec une logique de courage et de lucidité développée tout au long de la narration, qui conforte l’idée que l’éducation des adolescents et des futurs parents, que certains d’entre eux deviendront, doit leur permettre d’intérioriser des viatiques psychologiques, intellectuels, moraux, ou religieux, pour « tenir le coup » face à l’adversité, devenir résilients, mais sur un mode original, car débarrassé des invraisemblances attachées aux « super héros », avec ce principe que l’erreur est inévitable et indispensable. Les enfants se trompent, les parents doivent, dans certains cas, les laisser se tromper. En ce sens, ce roman peut séduire des lecteurs adolescents à qui l’on propose un autre horizon que la consommation, la surprotection et l’infantilisation qui en découle.
[1] Vincent VILLEMINOT, Nous sommes l’étincelle, Paris, Pocket jeunesse, 2019.
[2] « L’exploration de notre futur écologique permet surtout d’éviter l’un des plus gros écueils de la littérature jeunesse : le didactisme. Généralement, la posture de l’auteur qui " vous apprend à vivre " ne donne pas de très bons romans. Là, elle n’est tout simplement pas tenable : nous livrons une terre abîmée, on ne peut pas se poser en donneurs de leçons ». dans Rémi NOYON, « "J’ai fait un choix d’ensauvagement" : Vincent Villeminot, prix du roman d’écologie », L’Obs, 24 septembre 2020, URL : https://www.nouvelobs.com/bibliobs/20200924.OBS33813/j-ai-fait-un-choix-d-ensauvagement-vincent-villeminot-prix-du-roman-d-ecologie-2020.html.
[3] Dans un entretien donné à L’Obs, V. Villeminot exprime son refus d’être un écrivain hors sol et revendique tout un travail de documentation, au service d’un certain réalisme et d’un refus de l’idéalisation de la « sécession » qu’il a imaginée : « Je voulais confronter un idéal communautaire à la rugosité du réel, et suivre cette expérience sur le temps long. [...] Le thème de la vie en communauté, du retour à la terre, est souvent romantisé. J’ai essayé de ne pas tomber dans ce travers, et d’écrire le moins hors sol possible. », dans Ibid.
[4] V. Villeminot, op. cit., p. 13.
[5] Sauf erreur, ce terme, graphié en majuscules comme un sigle, n’est pas défini dans le roman, parce qu’il ne s’agit pas d’une création de V. Villeminot, mais d’un mot anglais désignant des commandos anti-braconnage (to poach signifie « braconner » et to anti-poach « lutter contre le braconnage »).
[6] Ibid., p. 91-92.
[7] Ibid., p. 303.
[8] Ibid., p. 417-433.
[9] Ibid., p. 91.
[10] Ibid., p. 294.
[11] Ibid., p. 498.
[12] Ibid., p. 88.
[13] Ibid., p. 38.
[14] Ibid., p. 495.
[15] Ibid., p. 273.
[16] « Dan » est le diminutif du cadet, Daniel, employé par les autres personnages et souvent par le narrateur.
[17] V. VILLEMINOT, op. cit., p. 446.
[18] Ibid., p. 98-244.
[19] Intellectuel et homme politique anglais (1478-1535), décapité sur ordre d’Henri VIII.
[20] V. VILLEMINOT, op. cit., p. 105.
[21] Ibid., p. 117-118.
[22] Ibid., p. 113.
[23] Ibid., p. 115.
[24] Ibid., p. 118.
[25] V. Villeminot signale dans un entretien privé que la ville du Havre loge déjà des étudiants dans des containers.
[26] V. VILLEMINOT, op. cit., p. 119.
[27] Ibid., p. 119, pour cette citation et celles qui la précèdent.
[28] Sur ce point, l’intuition du romancier rejoint la typologie des réponses politiques à la crise écologique publiée en 2022 par Nathanaël Wallenhorst dans son essai Qui sauvera la planète ? Les technocrates, les autocrates ou les démocrates... aux éditions Actes Sud. Voir le chapitre 2, « Le récit chinois : verdir l’économie en boostant le productivisme », p. 99-142, dont les dernières pages s’interrogent sur les rapports entre transition écologique et régime autoritaire, et le chapitre 3, « La religion californienne : pansement high-tech pour cancer planétaire », p. 144-185.
[29] V. VILLEMINOT, op. cit., p. 120.
[30] Ibid., p. 185.
[31] Cette tentative évoque particulièrement le mouvement international, initié en 1973 sous le nom de « Longo Maï », qui signifie en provençal « Pourvu que ça dure ». Pour son quarantième anniversaire, une exposition intitulée « L’utopie des indociles » a été organisée à Bâle, en 2013. Des podcasts lui sont consacrés sur France culture et un long article intitulé « Cinquante ans d’espoir. Longo Maï, sur les sentiers de l’utopie » lui a été consacré dans Le Monde diplomatique d’août 2023.
[32] V. VILLEMINOT, op. cit., p. 213.
[33] Ibid., p. 189.
[34] Ibid., p. 207.
[35] Ibid., p. 226.
[36] Ibid., p. 227-232. Dans le domaine de la littérature pour la jeunesse, une bande dessinée mythologique et documentaire, intitulée Sous terre, créée en collaboration avec Mathieu Burniat (2021, éd. Dargaud) vient justement de populariser les travaux du microbiologiste Marc-André Selosse.
[37] V. VILLEMINOT, op. cit., p. 313.
[38] Au lieu d’être remplacé par un surnom, le nom de ce personnage est souvent abrégé en « Berzerk ». Ce personnage est peut-être inspiré de la mythologie selon laquelle le « berserker » (en vieux norrois berserkr), « désigne un guerrier-fauve qui entre dans une fureur sacrée le rendant surpuissant et capable des plus invraisemblables exploits », selon Régis Boyer, dans Sagas islandaises, traduction et annotations par Régis Boyer, NRF, Gallimard, 1987, URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/Berserk#cite_ref-1, source consultée le 14.05.2023.
[39] V. VILLEMINOT, op. cit., p. 323.
[40] Ibid., p. 331.
[41] Ibid., p. 330.
[42] Ibid., p. 347.
[43] Ibid., p. 356 et suivantes.
[44] Ibid., p. 202-203.
[45] Ibid., p. 158-161.
[46] Ibid., p. 163.
[47] Ibid., p. 164.
[48] Ibid., p. 175.
[49] Ibid., p. 173-175.
[50] Ibid., p. 140-147.
[51] Ibid., p. 187-221.
[52] « "Vous ne vouliez pas décrire une ZAD fictive ?" V. Villeminot : "Non. Ce serait dommage de reproduire quelque chose d’existant. Bien travaillée, la fiction peut être un laboratoire, une expérience supplémentaire, qui, si elle n’a pas la valeur du réel, n’en a pas moins une valeur spéculative." » dans R. NOYON, op. cit.
[53] V. VILLEMINOT, op. cit., p. 217.
[54] Voir à ce propos Henry David THOREAU, La Désobéissance civile [Resistance to Civil Government (1re éd. 1849)], Paris, J.-J. Pauvert, 1968 ; id., Walden ou la vie dans les bois [Walden (1re éd. 1854)], London, W. Scott, 1905 ; id., Les Forêts du Maine [The Maine woods (1re éd. 1864)], Paris, J. Corti, 2001. Michel Abescat fait le rapprochement, dans la revue Télérama du 27.04.2019, n°3615, p. 61 : « C’est ainsi l’histoire d’une formidable utopie, qui renvoie au fameux Walden ou la vie dans les bois de Thoreau, portée par un souffle à nul autre pareil. »
[55] R. NOYON, op. cit.
[56] Voir N. WALLENHORST, op. cit., chapitre 3 et, récemment, l’autorisation controversée de la reconnaissance faciale pour les JO de 2024 en France.
[57] V. VILLEMINOT, op. cit., p. 362.
[58] Ibid., p. 113.
[59] Ibid., p. 162.
[60] Ibid., p. 185.
[61] Marco BELLOCCHIO, Buongiorno, note (2003) et Esterno note (2023), film et série diffusés sur la chaîne de télévision Arte, sont quelques-uns des films consacrés à l’enlèvement et à l’assassinat d’Aldo Moro, par les Brigades rouges.
[62] Michelle ZANCARINI-FOURNEL, Le Moment 68. Une histoire contestée, Paris, éd. Seuil, coll. « L’Univers historique », 2008.
[63] Serge JONCOUR, Nature humaine, Paris, éd. Flammarion, 2020. Ce roman a été décerné du Prix Femina. Sa suite, intitulée Chaleur humaine, vient de paraître (éd. Albin Michel, août 2023). Ce titre jouant sur le sens propre (le réchauffement climatique est d’origine humaine) et le sens figuré (les relations des personnages qui se retrouvent confinés pendant l’épidémie de COVID après avoir été en froid durant quinze ans vont-elles se « réchauffer » ?).
[64] Olivier NOREK, Impact, (1re éd., Neuilly-sur-Seine, Michel Lafon, 2020), Paris, Univers poche, 2021.
[65] Rappelons que l’encyclique du Pape François, « Laudato si », a renforcé, en 2015, les liens entre écologie et christianisme. Ce titre est une formule extraite du Cantique des créatures de François d’Assise et signifie « Loué sois-tu » en italien médiéval.
[66] V. VILLEMINOT, op. cit., p. 171.
[67] Ibid., p. 110-114.
[68] L’étude des influences intellectuelles dans ce roman demanderait un travail plus approfondi que ce premier repérage combinant les déclarations de l’auteur dans la presse, les traces textuelles, presque toutes allusives, comme l’onomastique, ainsi que la formule « confédération de villages » qui renvoie le plus clairement à Bookchin, et une ébauche de recherche documentaire. La seule exception à ce régime allusif, du moins pour les lecteurs d’un certain âge ou pour les lecteurs italophiles, est la référence à peine estompée à Erri De Luca.
[69] « L’influence de ses idées sur le dirigeant kurde Abdullah Öcalan a conduit à l’élaboration du confédéralisme démocratique, modèle adopté par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) à partir de 2005, puis par le Parti de l’union démocratique (PYD) en Syrie, où il connait un début de mise en œuvre dans les cantons du Rojava. » source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Murray_Bookchin (consulté le 13.05.2023).http://: https://fr.wikipedia.org/wiki/Murray_Bookchin
[70] Philippe DESCOLA, Alessandro PIGNOCCHI, Ethnographies des mondes à venir, Paris, Seuil, coll. « Anthropocène », 2022.
[71] V. VILLEMINOT, op. cit., p. 207.
[72] La vie et l’engagement de cet écrivain sont en partie retracés sous la forme d’un roman graphique L’Heure H. Pour ne plus jamais baisser la tête, de Erri de Luca, Paolo Castaldi et Cosimo Damiano Damato (Paris, éd. Futuropolis, coll. « Album », 2021).
[73] V. VILLEMINOT, op. cit., p. 91-92.
[74] Ibid., p. 411.
[75] Ibid., p. 176.
[76] Ibid., p. 108.
[77] La formule est employée par V. Villeminot dans le roman, ainsi que la suivante, le « presque père » appliquée à Mark, le braconnier qui élève Adam. Le « presque viol » n’est pas l’euphémisation d’un viol, mais le terme approprié à la situation vécue par Alice, qui montre que même une tentative de viol inaboutie peut être traumatisante à vie. Cette réalité est d’ailleurs confirmée dans le film passionnant de Jeanne Herry, Je verrai toujours vos visages (France, 2023), consacré à la justice restauratrice, une fiction très documentée. Il s’inscrit sans doute dans la perspective féministe de l’auteur, qui est aussi le père de plusieurs filles.
[78] Allis et Adam inventent l’éducation de leurs enfants, au sens de « créer », ici, et non pas au sens étymologique de « découvrir ce qui existe », parce qu’ils tentent de ne pas s’enfermer dans une reproduction de leur propre éducation, même s’ils n’en renient pas tout l’héritage.
[79] V. VILLEMINOT, op. cit., p. 18-19.
[80] Ibid., p. 77.
[81] Ibid., p. 44-47.
[82] Ibid., p. 78.
[83] Ibid., p. 18.
[84] Ibid., p. 47.
[85] Ibid., p. 50.
[86] Ibid., p. 22.
[87] Ibid., p. 28.
[88] Loc. cit.
[89] Ibid., p. 29.
[90] Ibid., p. 274.
[91] Ibid., p. 27.
[92] Ibid., p. 306.
[93] Anne-Marie GARAT, Une faim de loup. Lecture du Petit Chaperon Rouge, Arles, Actes Sud, 2004, et Ute HEIDMANN, « Ces images qui (dé)trompent… Pour une lecture iconotextuelle des recueils manuscrits (1695) et imprimé (1697) des Contes de Perrault », Fééries, Grenoble, Université Grenoble Alpes, n°11, 2014, p. 47-69. Dans son essai, A-M. Garat analyse la férocité du conte de Perrault à l’égard de la mère et de la grand-mère du personnage éponyme (p. 51-48). Dix ans plus tard, la comparatiste suisse, U. Heidmann, analyse l’iconotexte constitué par le frontispice du conte « La Belle au bois dormant » et la dédicace, et en dégage l’avertissement de Perrault à ses jeunes lectrices, mais surtout à sa dédicataire, nièce du Roi, en dépeignant tout d’abord un père irresponsable, puis un prince charmant dangereux, et enfin une belle-mère ogresse. Charlotte d’Orléans fut, en effet exposée à différents projets de mariage visant à renflouer son père ou à consolider les alliances de son oncle, mais néfastes pour elle. Le conte indique aux parents ce qu’il ne faut pas faire, et aux enfants les raisons qu’ils pourraient avoir de résister à leurs parents lorsque ceux-ci sont déraisonnables ou dangereux.
[94] Nathalie PRINCE, Sébastian THILTGES (dir.), Éco-graphies. Écologie et littératures pour la jeunesse, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2018, p. 16.
[95] V. VILLEMINOT, op. cit., p. 149.
[96] https://ldjgrenoble.hypotheses.org/colloque-2021. Les travaux du colloque donneront lieu à la parution prochaine d’un numéro de la revue Cahiers Robinson.
[97] Ibid., p. 473, Psaume 138.
[98] Loc. cit.
Résumé
Ce roman (Prix du Roman d’Écologie 2020), s’adresse aux adolescents. S’agit-il d’un roman écologique ou écologiste ? Parvient-il à éviter le didactisme, grâce au dialogisme ? L’action se déroule entre 2024 et 2061, ce qui permet de suivre des personnages nés dans les années 2000. Ceux-ci ont « fait sécession » en « revenant à la terre ». Leur descendance est obligée de se retirer dans la forêt, pour survivre à une « dictature verte ». Cette temporalité introduit le thème de la transmission.
Abstract
This novel (Ecological Novel Prize 2020), is intended for teenagers. Is this an ecological or environmentalist novel? Does it manage to avoid didacticism, thanks to dialogism? The action takes place between 2024 and 2061, which allows us to follow characters born in the 2000s. They choose “secession” by “returning to the land”. Their descendants are compelled to hide into the forest, to survive a “green dictatorship”. This time frame introduces the theme of transmission.
Écriture indicielle et problèmes écologiques en toile de fond de la « Troisième époque » (2043-2061)
Analepses et enjeux écologiques des deux premières époques
Jouer avec le feu sans mettre le feu
La Transmission et ses écueils, le vrai sujet de Nous sommes l’étincelle ?
Anne-Marie MONLUÇON
Université Grenoble Alpes, UMR Litt&Arts
Ouvrages critiques
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