Marie NDiaye n’écrit pas du théâtre, elle écrit des textes pour qu’ils soient joués dans des théâtres. Invitée d’Augustin Trapenard à l’occasion de la programmation de sa pièce Berlin mon garçon à l’Odéon1, elle déclare, et c’est d’ailleurs une constante chez elle2, qu’elle entretient une « relation assez distante » avec cet art tant la radicalité de l’engagement des comédiens la trouble ; elle exprime ici cette distance en sa qualité de spectatrice mais on peut également la percevoir quand elle évoque les conditions d’écriture de ses textes dédiés à la scène : « […] contrairement au roman que j’ai toujours écrit de mon propre chef, jamais je n’écris une pièce qui n’ait pas été l’objet d’une demande, qui ne soit pas provenue finalement du désir de quelqu’un »3. Alors que l’écrivaine rattache sa volonté d’écrire à sa passion précoce pour les livres, son travail dramaturgique n’est en rien la conséquence d’une fréquentation assidue des plateaux : elle confie d’ailleurs à Josyane Savigneau que « la scène est un monde qui [lui] est étranger » et que « le théâtre demeure essentiellement pour [elle] un bonheur de lecture »4.
Pour revenir au contexte de la commande, il détermine avant toute publication et toute représentation une première configuration, et définit, pour reprendre la notion bien connue de Hans Robert Jauss, « un horizon d’attente »5. Ce « désir » qu’évoque l’autrice initie d’ores et déjà un dialogue, et le texte constitue une forme de réponse, non pas conditionnée mais orientée. Ainsi quand elle précise que « Le théâtre est arrivé par France Culture, qui [lui] a demandé une pièce radiophonique »6, cela n’a rien de surprenant tant les voix occupent une place prépondérante dans ses publications dramaturgiques. Cette prégnance s’illustre également dans son univers romanesque. Frank Wagner a pu montrer dans son analyse de La Femme changée en bûche7 que la narration est marquée par la polyvocalité et l’a-vocalité qu’il distingue de l’aphonie, soulignant combien « ça parle dans le récit » sans qu’une origine soit nettement et durablement assignée à cette voix. L’étude de Wagner se focalise sur « les fluctuations de la situation narrative », et les questions de la source comme de la forme des voix sont, peut-être plus encore, déterminantes quand il s’agit d’une situation dramatique où les paroles seules portent la fable, traversent le corps de comédiens, voire s’ancrent potentiellement dans le présent de la représentation. Pour élargir encore le champ culturel dans lequel s’inscrit l’œuvre ndiayenne, nous rappellerons à la suite de Dominique Rabaté que la littérature du XXe siècle, qu’elle soit narrative ou dramaturgique, a été précisément marquée par une « émancipation de la voix. D’une voix unique mais plurielle, selon la possibilité que la langue française offre de ne jamais savoir si le mot "voix" est au singulier ou au pluriel »8.
Aussi cet article se propose-t-il d’entendre le théâtre de Marie NDiaye au travers des « voix » qui le constituent, ces voix rattachées de manière flottante à des personnages, sans y correspondre absolument, les débordant parfois, parfois elles-mêmes étouffées au sein de personnalités aux contours indistincts. Comme le rappelle Sandrine Le Pors, au théâtre, le terme de « voix » a tout autant une acception physique que métaphorique et « désigne alors le sujet de l’énonciation ou de la parole »9. C’est sur cette acception que nous fonderons notre réflexion en considérant d’ailleurs plus la voix comme un agent qu’un sujet de l’énonciation. Si les liens que Marie NDiaye entretient avec le théâtre ne procèdent pas d’une pratique scénique et résultent de circonstances spécifiques, il n’en demeure pas moins que la conception de ses personnages dramaturgiques fait écho à la spécificité du genre. On peut en effet affirmer à la suite de Jean-Luc Nancy qu’au théâtre « Le personnage reste toujours un "lieu" (d’énonciation) plutôt qu’il ne devient ce que devient un personnage de roman (disons par commodité "une personne") »10. L’expression prime sur l’identité, « La présence s’y affirme dans le rapport actif d’un lieu à d’autres lieux, et le "sujet" s’y pose d’emblée en point d’énonciation11 […] ». Les voix ndiayennes dès les premiers mots, apostrophent, interpellent, interrogent, se posent – s’imposent ? – par l’adresse ; sans que pour autant un véritable dialogue soit amorcé : « ça parle » et ce « ça » donne le « là ». Cette présence relationnelle, on pourrait la qualifier (en détournant l’usage juridique de l’adjectif) d’« interlocutoire », c’est-à-dire qu’elle comprend une forme de suspension, se place en deçà de la preuve, et se désolidarise de l’existence. Jean-Luc Nancy va jusqu’à dire, en précisant qu’il « force un peu le trait », que « le personnage de théâtre n’existe pas »12 et le définit comme « une densification locale de l’action, laquelle est mise en acte par et comme des énoncés. Ceux-ci présentent la présence de leurs énonciateurs, mais toujours en la faisant reculer en quelque sorte derrière elle-même »13. L’analyse du philosophe met l’accent à la fois sur la puissance dramatique des énoncés et sur une régression présentielle, entendue comme prise de distance dans le moment même de l’énonciation. Les voix ndiayennes seront donc comprises comme des « lieux d’énonciation », ce qui n’implique nullement un ancrage. Si elles donnent le « là », il y a toujours un « hic », et nous nous proposons de les étudier sur le mode de la distance et de la dissonance. Ce terme de « dissonance » nous permet en effet de réfléchir à l’ajointement d’objets disparates, comme des notes étrangères à une mélodie viennent rompre son harmonie. Plus largement, le terme en appelle à l’écart, au désaccord, sources de désagrément voire de malaise. Ainsi une première approche nous amènera à penser l’« étrangeté » de ces voix qui surgissent de manière intempestive.
Dans le théâtre de Marie NDiaye, les voix ne sont pas nécessairement celles de personnages vivant et évoluant sur le plateau, ce qui n’enlève rien à leur présence ; certaines ont d’ailleurs une forme d’autonomie, au point d’être spécifiquement mentionnées dans des didascalies attributives. Dans Les Serpents14, au trio féminin (France, Mme Diss, Nancy) s’adjoint une VOIX D’HOMME15 qui apostrophe France en répétant seulement son prénom. Cette voix est doublement « curieuse », soit source de curiosité et elle-même indiscrète, source de trouble. La double énonciation fonctionne à plein puisque le spectateur est tout autant interpelé que la destinataire. D’où vient la voix ? De l’intérieur de la maison ? Mais y a-t-il seulement une maison ?16 Est-ce celle d’« un fils », celui à qui madame Diss est venue emprunter de l’argent ? Cet « autre » dont parlent sans discontinuer les trois femmes semble dessiner une frontière entre ce qui se voit et ce qui ne se voit pas. Le caractère dérangeant de cette voix est d’autant plus marqué que l’apostrophe est refusée par sa pseudo-destinataire :
FRANCE – Madame, c’est vous qu’il appelle !
MME DISS – Il a dit : France.
FRANCE – Non, non. Il a dit autre chose, un autre prénom – le sien. Il l’appelle car, moi, je n’y suis plus. Oh je suis fière, je suis fière…17
Si le personnage est un lieu d’énonciation, alors cette voix pourrait être qualifiée d’« utopie énonciative ». Elle donne le « là » et le refuse dans un même geste : le surgissement vaut effacement, et France n’est plus exactement « France », peut-être est-elle en définitive « Nancy » dont le prénom n’est pas si éloigné18… La voix ne se manifeste que fugacement, elle apparaît et disparaît sans autre forme de procès. Le principe est récurrent dans le théâtre de Marie NDiaye de telle sorte qu’il n’y a pas véritablement « entrée en scène » des voix mais plutôt effraction. Leur surgissement intempestif, leur passage brusque et brutal se retrouvent dans la section IX de Papa doit manger19 où « UNE VOIX, AU-DEHORS » questionne MAMAN, se présentant comme ses « vieilles amies ». La voix off participe toujours, comme le rappelle Sandrine Le Pors, « d’une esthétique généralisée de l’étrangeté et de la dissociation »20 ; or cette voix s’affiche, dans un effet de distorsion, comme familière, elle est d’ici, de la même « petite ville »21, et pourtant hors scène. Ces voix jouent un rôle à part entière et peuvent être mentionnées dans la liste augurale des personnages. Ainsi la pièce Les Grandes Personnes énumère l’ensemble des protagonistes (p. 9) en commençant par citer les quatre prénoms des parents (Eva, Rudi, Isabelle, Georges), puis des fonctions, voire des « emplois » (« Le Maître », le fils, la fille). La mère de l’enfant abusé par le maître est simplement nommée par l’initiale de son nom « Madame B », elle précède le collectif des parents d’élèves et l’inventaire se clôt sur « Ceux qui logent dans la poitrine du fils (VOIX)»22. Le propos parenthétique établit une équivalence entre les « personnages » – puisque tel est le terme qui chapeaute la liste – désignés par la périphrase et les « VOIX ». D’où parlent ces voix ? Quelle scène imaginaire suggèrent-elles ? Ces voix abîmées dans le corps du fils prennent soudain la parole à la fin de la pièce (section XII) laissant entendre qu’elles sont celles des parents biologiques du fils23. Par un effet de renversement, les géniteurs naturels s’expriment de manière surnaturelle. Enfermés dans l’espace clos de la poitrine peuvent-ils en définitive « s’exprimer » ? Dramatiquement, les spectateurs ignorent d’où ils viennent, leur origine est douteuse. La situation est particulièrement retorse dans la mesure où l’enjeu de cette section XII est celui des filiations et des origines. Dans la XVe et ultime section, les voix sont désormais audibles par les autres personnages, à savoir le fils et ses parents adoptifs, Éva et Rudi, mais la voix des parents morts dans cet échange conventionnel ne gagne pas en présence ce qu’elle perd en étrangeté. D’ailleurs Éva et Rudi sont peut-être eux aussi des « parents morts », mais cela ne se voit pas, tout comme leur souffrance24 qui demeure invisible depuis le suicide de leur fille. Alors que dans la liste augurale cette dernière est désignée comme les autres personnages, et notamment comme son frère, elle est en fait une figure spectrale, aux joues creuses, qui hante l’escalier, une figure spectrale dont on entend le souffle, ou plutôt, et c’est elle-même qui le déclare avec une voix vieillie que son frère ne reconnaît pas, dont on entend « les battements de […] cœur désolé »25. Parmi les voix intempestives se manifestent donc des voix spectrales26 qui fondent un lieu d’énonciation intermédiaire où les frontières entre la vie et la mort n’ont plus de sens. Toutes ne sont pas identifiables. Ainsi, toujours dans Les Grandes Personnes, comment traduire l’italique27 qui se détache après le soliloque du MAÎTRE ? Nulle didascalie ne la désigne comme voix off, elle surgit brusquement pour mettre en question le monologue complaisant et malaisant, et lui opposer la vérité des crimes. Est-ce dans une forme de dédoublement l’expression de sa conscience ? Est-ce la voix d’un « revenant » victime de ces « crimes » dont le spectateur ne sait encore rien ? Cette voix est-elle celle d’Érinyes contemporaines ? Tout cela n’est-il qu’un rêve effroyable ? Le lecteur comme le spectateur peuvent en effet avoir l’impression que ces voix incongrues introduisent une sensation d’irréalité, voire de surréalité tout en révélant certaines vérités. Au-delà de leurs surgissements intempestifs, ces voix ont une densité singulière qui les amène à entrer littéralement dans le vif du sujet, et Arnaud Maïsetti montre bien dans sa contribution à la revue Parages dédiée à Marie NDiaye que cette concentration ressortit au cauchemar :
[…] le cauchemar rejoint le propre du fonctionnement théâtral de la représentation : sur scène se joue un drame concentré, comme ramassé en images. Des corps semblent réciter une langue étrangère qui paraît fausse, mais dont l’artificialité fait signe vers une forme de nécessité, de rage de dire. […] De cette nature cauchemardesque de la représentation, Marie NDiaye se saisit pour l’accentuer, et la prolonger28.
Cette artificialité, cette étrangeté ici mentionnées sont à rapprocher des formes multiples de dissonance que nous étudions. Elles signalent un dysfonctionnement, un glissement et parfois un dérapage. Les voix trébuchent, chutent et sont « à côté », il est d’ailleurs assez frappant de voir comment les paroles sont souvent décalées et « déplacées ».
La dissonance peut aussi s’entendre dans une forme de dissociation entre la source créatrice des propos et leur profération, entre le destinataire envisagé et leur destinataire effectif. La pièce Délivrance29, strictement composée de neuf lettres30 qu’amorce un « Ma chérie » est ainsi bâtie sur un principe de décalage ; la correspondance implique en effet un temps entre l’expression et la réception alors même que le théâtre suppose une double énonciation immédiate, le spectateur étant destinataire des paroles proférées sur scène. La voix de l’épistolier de Délivrance est d’abord entendue par le spectateur, et les missives successives qui déplorent l’absence de réponse introduisent un doute quant à la réception effective de ces lettres par sa destinataire31. Le public se trouve alors dans une forme de responsabilité accrue : lui seul semble dépositaire de ces questions qui restent sans réponse32. Les paroles sont « déplacées » dans la mesure où elles ne sont jamais entendues par la personne désirée et l’échange est de plus en plus perçu comme un soliloque inquiétant. Ce qualificatif de « déplacée » convient d’ailleurs à la lettre liminaire qui, loin de se soucier véritablement de la destinataire, s’ouvre sur la requête du scripteur de tranquilliser leur enfant et ses parents, requête répétée de manière lancinante tout au long de la missive. Les paroles sont formulées au discours direct comme s’il était impératif de les rapporter telles quelles, « soyez tranquilles, grâce à Dieu »33. Les prières à l’adresse de celle qu’on suppose être sa compagne sont si insistantes qu’elles en deviennent suspectes, et prennent la forme de « commandements ». L’épistolier projette la scène et envisage la réticence de sa destinataire qui ne serait son interprète qu’à contre-cœur : « Je sais à quel point tu auras du mal, à prononcer de tels mots, grâce à Dieu, et je te vois déjà sourire avec perplexité ou froncer légèrement tes beaux sourcils […] »34. En utilisant la locution « grâce à Dieu » dans le discours direct du scripteur et dans les paroles à rapporter aux autres, la dramaturge désigne leur inconvenance de manière à peine perceptible, et le contexte nous amène à dire qu’il y a d’ores et déjà quelque chose qui cloche. En revanche l’aveu final « Hier encore mon angoisse était insoutenable35 » est en parfaite dissonance avec la tranquillité affichée : sa mise en scène ne saurait fonctionner et les paroles d’apaisement que la voix du scripteur adresse à « tous ceux qui s’inquièteront de [lui] »36 semblent en fait lui être destinées, les paroles rapportées se rapportant à lui.
Dans sa première pièce Hilda Marie NDiaye fait déjà état de lettres restées sans réponse ;37 le dispositif est cependant différent puisque ces lettres sont uniquement mentionnées par leur rédactrice, la patronne d’Hilda, le spectateur/lecteur n’ayant pas connaissance de leur contenu. Mais le commerce épistolaire n’est peut-être pas exactement celui que l’on croit : en parlant d’Hilda dans ses lettres adressées à Franck, l’époux de sa domestique, resté dans la petite ville alors qu’Hilda a suivi sa maîtresse à Paris, Mme Lemarchand se substitue à elle. Elle prend sa place, et ses paroles totalement « déplacées » signifient cette appropriation monstrueuse comme cette coupe de cheveux volée à Hilda qu’elle arbore fièrement à la fin de la pièce. Cela dit, dès la scène liminaire la logorrhée de Mme Lemarchand dont Hilda est le centre contribue à l’exclusion de la domestique du personnage puisque Franck est sommé de répondre à la place de son épouse, cette relégation est en quelque sorte scellée par le pacte financier qui vient clore la première section : « Vous aurez la moitié de la paye en mains propres, Franck, vous et pas Hilda »38. Dans l’ensemble de la pièce, le malaise sourd de l’écart entre le silence d’Hilda et son omniprésence dans le dialogue dont elle n’est ni le sujet, ni l’objet mais la « cible ».
Le procédé est également présent dans Royan39, Daniella, elle aussi n’a pas de voix propre, celle qui s’est défenestrée dans son établissement scolaire dépose son souffle dans les poumons de son enseignante. Elle rejoint la famille des voix parasites, des voix adventices ndiayennes telles celles qui logent dans la poitrine du Fils (Les Grandes Personnes). La voix de l’adolescente n’existe que par fragments dans ce que la professeure de français, et tel est le verbe qu’elle emploie, « rapporte ». Daniella est pareillement la « cible » du monologue terriblement ambivalent, qui dit soudain crument sa haine envers la jeune fille, et tout converge vers elle dont on apprend peu à peu qu’elle était harcelée par ses camarades. Là encore des lettres sont mentionnées qui restent sans réponse. Avec une grande cruauté, la professeure apostrophant les parents de la jeune fille souligne qu’elle était la seule destinataire de ses messages doublement déplacés, selon son point de vue, dans la mesure où ils auraient dû leur être adressés et qu’ils affichaient une intimité inconvenante :
Oui parents Daniella m’a beaucoup écrit avant sa mort
elle m’a submergée de textes et de propos que je n’avais ni le don ni l’envie de comprendre
Sachant que ce qu’écrivent les très jeunes gens intelligents est toujours toujours frappé au coin de l’autosatisfaction et de l’excès et d’une légère et complaisante paranoïa je n’avais aucune raison
non j’avais toutes les raisons de ne pas accorder à ce qu’elle m’envoyait l’attention qu’elle espérait
J’en étais venue à détruire sans les lire tous ses messages car j’avais honte pour elle qui me livrait une intimité si malheureuse40.
L’ensemble de la pièce est présenté sans ponctuation avec des phrases, parfois marquées par des majuscules et des alinéas, détachées les unes des autres par des blancs, comme si chacune d’elles constituait une réplique dépourvue de didascalie attributive. La voix de Daniella semble dès lors se placer dans ces interstices, orientant souterrainement celle de son enseignante de français qui s’interrompt sans cesse, passant du déni de sa responsabilité à l’émergence de sa culpabilité. À plusieurs reprises cette dernière mentionne les lettres qu’elle qualifie tour à tour de « messages41 », de « phrases griffonnées »42 ou simplement de ses « premiers mots »43, manifestant continument son rejet :
Les premiers mots de Daniella je les ai déchirés avec empressement avec horreur
[…]
Non je n’ai jamais répondu à Daniella et ses dernières lettres je les ai froissées tout au fond de mon cartable sans les lire elle me tourmentait j’aurais voulu n’avoir rien à faire avec elle44.
À dire vrai, la professeure ne rapporte pas les paroles de son élève ; au prétexte de traduire sa pensée, c’est en définitive la sienne qu’elle semblerait formuler, donnant ainsi à entendre une culpabilité trouble, voire retorse :
sachez Madame que je suis votre parafoudre
Non ce n’est pas l’expression qu’elle a employée mais je crois traduire ainsi sa pensée plus exactement qu’elle n’aurait su le faire elle-même45
De fait, les paroles de Daniella ne sont guère en accord avec l’identité de celle qui est censée les avoir proférées. De manière générale, dans la dramaturgie ndiayenne les voix s’incarnent dans une langue qui paraît d’emprunt, « impropre ». Ainsi plusieurs formes d’impropriétés se manifestent dans les échanges des personnages, illustrant elles aussi ces dissonances qui sont au cœur de notre étude.
Aucune situation dialogique ne s’embarrasse de vraisemblance, les échanges ne sont nullement mimétiques ni ne cherchent à gommer leur dimension littéraire. Arnaud Maïsetti parle à ce sujet d’une
surécriture [qui] paraît d’autant plus étrangère qu’elle est homogène : tous et toutes dans ce théâtre, bourgeois et prolétaire, enfants et vieillards, femmes et hommes, parlent une seule et même langue écrite, abondante en images, labyrinthique, expressive et intérieure […]46.
Cette étrangeté, cette inadéquation généralisée se perçoivent d’abord de manière diffuse, tels une sensation, un sentiment. André Engel qui a mis en scène Papa doit manger à la Comédie Française en 2003 qualifie, dans un récent entretien avec Frédéric Vossier, cet univers dramaturgique de « théâtre poétique. Sans lyrisme. », tout entier dans « la puissance d’une langue »47. Dans le document de salle, il établissait déjà une corrélation entre cette unicité de la langue et la dénaturalisation des personnages :
[…] tous les personnages parlent une même langue ; le
NDiaye […]. Ce qui fait que, quelle que soit la quotidienneté ou la trivialité
des situations, la langue les dénaturalise, et on ne sait plus très bien qui
parle, le personnage, l’acteur, l’auteur, un certain état du monde ?48
Précisons que cette langue n’a rien à voir avec des exigences normatives, exigences dérisoires et traitées sur le mode de la dérision dans Papa doit manger où ZELNER, le professeur qui vit désormais avec MAMAN, est obsédé par les « impropriétés » de sa compagne :
ZELNER. — As-tu bien appris l’usage des propositions dépendantes hypothétiques et des propositions relatives déterminatives ? Je ne me mêle pas du reste. Je t’enseigne et je te frictionne. Et ce que je te donne, c’est pour ta valeur et ta volonté de t’élever. Qu’as-tu retenu, cette semaine ? […]
ZELNER. — Nous avons une vie sexuelle équilibrée. Et les impropriétés de langage s’atténuent. […]
ZELNER. — Nous avons des rapports sexuels bi-hebdomadaires et satisfaisants pour l’un comme pour l’autre. Je t’apprends les accords, les syntagmes, les désinences. Tout va bien. Nous avons une vie sexuelle très…
MAMAN. — Tu es un homme parfait et qui vaut mieux que lui. Oui. Ne parle pas de cela, je t’en supplie. […]
ZELNER. — Nous avons une vie sexuelle…
MAMAN. — Il ne faut pas parler ! Il y a, je crois, des choses… qu’on ne dit pas49.
Cette surécriture n’induit pas non plus l’usage d’un langage soutenu, et les voix peuvent avoir des accents obscènes à l’instar de celle de Bella, une des trois protagonistes de Rien d’humain. Ainsi quand elle interroge Ignace pour connaître le père de l’enfant de son ami Djamila, celui-ci répond que ce peut être lui, aussitôt Bella affiche son scepticisme d’une formule particulièrement vulgaire et inattendue : « Après qu’on lui a passé dessus comme on l’a fait… »50, et Bella de commenter « Certains mots roulent de ma bouche et ce ne sont pas, dommage, de belles pierres mais des bestioles un peu répugnantes dont la bave tache le devant de mes vêtements, l’intérieur de mon âme »51. Que le langage ne soit pas approprié permet le surgissement de réalités qu’une hypocrite bienséance occulte. Les viols subis par Djamila auraient été tus par Bella sans cette malédiction qui la frappe, et Bella de manière symptomatique s’en tient à la forme, à l’abjection de son langage non à celle du crime commis. Dans un contexte moins extrême, alors que la machination de l’Opposant dans Honneur à notre élue52 a remplacé la malédiction, les deux vieux envoyés chez notre élue qui se font passer pour ses parents, traitent les enfants de « petits cons »53 et ne cessent pour reprendre l’expression du mari de tout « compisser »54. Les porte-voix dont ils s’emparent dans la section 655 pour ternir définitivement la réputation de l’Élue incarnent une instrumentalisation ambivalente puisqu’en définitive ils n’ont même pas le statut de porte-parole. Au reste leurs calomnies se poursuivent hors scène et lorsque l’Élue est dans son bureau, une didascalie indique que la voix off des deux vieux se mêle à d’autres, anonymes56. Notre Élue, l’Opposant, qui précisément n’ont pas de nom, semblent en définitive ne jamais parler en leur nom propre. Ceux qui tour à tour remportent et perdent des voix seraient paradoxalement inaudibles comme le suggère la résignation de Notre Élue qui ne cherche pas à se défendre en dénonçant les stratagèmes ni à s’opposer à l’Opposant. Alors que le théâtre comme la politique sont les lieux privilégiés de la dispute, de l’agôn, l’ Élue ne joue pas le jeu. Les derniers mots de Notre Élue glissés à l’oreille de l’Élu excluent le spectateur, tout comme l’Élu, ou vont amener celui-ci à l’exclusion puisque déjà son entourage le qualifie de « foutu, cramé »57, sans qu’on puisse savoir si cette parole définitivement secrète est une « délivrance » et/ou une mise à mort. L’exclusion du spectateur ne va pas sans risque et le mystère qui entoure la protagoniste peut amener un rejet du personnage comme de la pièce elle-même. Ainsi Philippe Lançon intitule sa critique du spectacle « Élections, piège abscons » et stigmatise pareillement la représentation et le texte :
[…] malgré quelques belles phrases, le texte de Marie NDiaye ne tient pas. Artificiel et amphigourique, avec de brusques et salutaires sursauts de vulgarité, il est autant dépourvu du réalisme qu'il réfute que de la magie qu'il recherche. Quant au « mystère » non résolu de « notre élue », il est à ce point rabâché qu'il perd tout poids en perdant toute légèreté : on patauge dans les sables mouvants du symbolisme58.
Ce symbolisme que dénonce Lançon nous amène à revenir sur l’autonomie des voix dans la mesure où elles ne sont pas individuées, c’est-à-dire rattachées à une personne psychologiquement caractérisée. La personnalité de Notre Élue n’est pas spécifiée, sa perfection mentionnée par Éva dès le début de la pièce59 fait écran tout au long des différents tableaux, au point que L’Opposant en vient à douter de sa réalité60. Notre élue est une icône, en ce sens sa fonction diégétique est en correspondance avec l’évolution du personnage de théâtre vers la figure comme a pu l’étudier Julie Sermon. Il est du reste intéressant de remarquer que celle-ci appuie notamment sa démonstration sur Les Bonnes – pièce fréquemment citée par Marie NDiaye comme étant pour elle une référence essentielle61 –, et affirme que pour Jean Genet :
[…] l’enjeu n’est pas de concevoir des semblants de personne à travers lesquelles le spectateur pourra, potentiellement, se connecter à un imaginaire social ou culturel plus large ; dès le départ, il conçoit ses créatures comme des images exemplaires, dont la charge symbolique doit être immédiatement lisible62.
Les « impropriétés » sont aussi, d’une certaine manière, perceptibles au niveau du langage dramatique. Ainsi d’emblée la scène d’exposition de Berlin mon garçon déconstruit la situation dialogique en proposant un redoublement narratif à la co-présence de Marina et Rüdiger qui ne se parlent pas, tout au moins jusqu’au moment où ce dernier apostrophe soudainement Marina. Les voix successivement entendues par les spectateurs construisent un récit bâti sur l’anaphore du verbe « dire » à l’imparfait, et si le personnage masculin ne répond pas au personnage féminin, on peut malgré tout dire que ses propos constituent une « réplique » puisque, dans un premier mouvement, ils reprennent les mots ou les idées de Marina pour ensuite confier ses propres pensées.
1
Berlin
MARINA : Voilà donc cette ville, me disais-je, voilà donc ce Berlin dont ils rêvent tous, voilà devant mes yeux enfin cette ville fabuleuse dont ils entendent de très loin l’irrésistible chant. Mais quelle horreur mais quelle tristesse, me disais-je. […]
RÜDIGER : Voilà donc cette ville, se disait-elle assise à mon côté, voilà donc ce funèbre Berlin et je pouvais entendre ses pensées affolées stupéfaites tourbillonner dans le taxi aussi nettement que j’entendais le croassement des choucas qui prenaient en cette fin de journée leurs longs vols piaillards concentriques au-dessus des maisons, je pouvais entendre ses pensées […]63
Le présent du plateau, du moment de la représentation, se trouve relégué à l’arrière-plan au profit de cette relation de l’arrivée à Berlin de Marina que son logeur, Rüdiger, vient accueillir à l’aéroport. Les pensées passées de Marina sont de surcroît redoublées par les commentaires de Rüdiger qui endosse étrangement le rôle d’un narrateur omniscient capable de percevoir les mouvements intérieurs de celle qui est pourtant pour lui, au moment de leur rencontre, une inconnue. Les protagonistes n’échangent pas un mot directement mais une histoire est en train de se dire. La raison même de la venue de Marina à Berlin, sa « quête éperdue », à savoir la recherche de son fils, cette histoire-là, présentée de manière allusive, se trouve d’ores et déjà embrassée par cette rencontre.
Cette distanciation que crée l’usage répété tout au long de la pièce de l’incise du verbe « dire » à la première ou à la troisième personne semble signifier l’impossibilité – ou l’impuissance – d’une parole directe. Frédéric Bélier-Garcia qui a déjà monté plusieurs pièces de la dramaturge64 met en avant le désarroi des comédiens face à cette impuissance : « ce qui est le plus troublant pour les acteurs, c’est que leur parole ne soit pas performative, qu’elle n’ait pas pour but une causalité sur autrui, ni de faire avancer les choses »65. Le procédé est de plus amplifié par une dissociation de la voix et du corps, notamment lors de la scène finale où Rüdiger devient le destinataire de ce que le couple ne parvient pas à se dire en face. Lenny, l’époux de Marina, se tourne vers l’Allemand comme un ultime recours d’une parole qui ne saurait ni se dire ni se taire, sa voix se sachant en définitive vaine et « inaudible » :
LENNY : Je ne peux pas lui parler en face, ai-je dit à l’Allemand, car elle ne supporte pas d’entendre ma mère parler en moi bien qu’elle sache pertinemment depuis toujours que ma mère dit la vérité — ce qu’il m’arrive d’oublier, voyez-vous, tandis que Marina le sait et en éprouve parfois de la fatigue, elle souhaiterait qu’Esther se taise en moi et que seul s’adresse à elle Lenny-qui-dit-n’importe-quoi66.
Aussi ne parvient-il pas à parler en sa voix « propre », et se définit, sans d’ailleurs ni le déplorer ni s’en réjouir, comme le porte-parole de sa mère.
Au terme de cet article, nous pouvons affirmer que la voix de Marie NDiaye est véritablement en « pièce », potentialité dirigée vers un plateau pour en faire son lieu d’expression, et c’est précisément en prenant le parti de sa singularité qu’elle rencontre l’efficace du genre. Robert Abirached, dans la somme qu’il consacre à La Crise du personnage dans le théâtre moderne, rappelle en préambule que l’originalité de l’état du personnage est d’être écartelé « entre le mot et le corps, entre la puissance et l’acte, entre le songe et le réel », et il ne nous paraît pas excessif de dire que Marie NDiaye joue avec virtuosité de cette tension, qu’elle s’y retrouve et s’y épanouit. Elle s’empare de cette déchirure pour en faire la tessiture même des voix qui peuplent son théâtre, voix parfois désincarnées, parfois inaudibles mais toujours articulées à la dramaturgie. Abirached choisit l’image du fantôme pour parler du texte du dramaturge, l’image « d’un fantôme provisoire qu’il a créé et délibérément placé, en position d’attente dans une zone intermédiaire »67. Ce « fantôme » Marie NDiaye, semble l’inviter à demeurer sur scène, lui donnant une durée nouvelle ; et si l’on qualifie son théâtre de « littéraire » peut-être est-ce justement parce que ce texte spectral hante le plateau. Au reste, les metteurs en scène qui transposent à la scène ses textes cherchent à rapprocher le plateau de cette « zone intermédiaire », à l’instar de Jacques Vincey qui a créé Les Serpents à Tours en 2020 et dont les notes préparatoires n’ont de cesse de conjurer le risque de se « limiter à une dimension » rappelant au contraire la nécessité de « déplier les possibles, déployer les différentes pistes, extraire la pièce de l’anecdotique pour la faire entrer dans le fantastique et le métaphysique »68 afin de maintenir durant le spectacle l’ouverture de l’écriture originelle, « la puissance évocatrice des mots »69. Aussi peut-on en guise de conclusion, pour dépasser ces dissonances que nous avons pu entendre, prendre à notre compte en tant que lecteur/spectateur du Théâtre de Marie NDiaye ces injonctions de Jacques Vincey et « faire confiance aux tâtonnements, à la note juste qui finira par s’imposer. Ne pas chercher à donner du sens à l’inexplicable. Laisser le texte « fuir », vous traverser, sans chercher à l’interpréter […] »70.
[1] https://www.theatre-odeon.eu/fr/saison-2020-2021/spectacles-20-21/berlin-mon-garcon-2021, [consulté le 14/02/2023].
[2] Se reporter à ce sujet aux propos recueillis par Fabienne DARGE, https://www.lemonde.fr/culture/article/2011/04/28/marie-ndiaye-le-theatre-permet-de-dire-directement-les-choses_1514054_3246.html, [consulté le 2/03/2023].
[3] Marie NDIAYE, entretien avec A. TRAPENARD, Boomerang, France inter, émission du 15 juin 2021, https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/boomerang/marie-ndiaye-seme-le-trouble-5060778. [consulté le 2/03/2023].
[4] Entretien avec Josyane SAVIGNEAU, Les Échos, publié le 6 janvier 2021, https://www.lesechos.fr/weekend/livres-expositions/rencontre-a-livre-ouvert-avec-marie-ndiaye-1278645, [consulté le 2/03/2023].
[5] Hans Robert JAUSS, Pour une esthétique de la reception [1975], traduit de l’allemand par C. Maillard, Paris, Gallimard, 1978.
[6] Entretien avec J. SAVIGNEAU, op. cit.
[7] Marie NDIAYE, La Femme changée en bûche, Paris, Minuit, 1989. Frank WAGNER, « Parler et percevoir, les fluctuations de la situation narrative dans La Femme changée en bûche de Marie NDiaye », Le Seuil, « Poétique », 2007/2 n° 150, p. 217-237. https://www.cairn.info/revue-poetique-2007-2-page-217.htm, [consulté le 2/03/2023].
[8] Dominique RABATÉ, « Sujet et voix : questions à la littérature moderne » », Essais [En ligne], 2, 2012, http://journals.openedition.org/essais/, [consulté le 2/03/2023].
[10] « Dialogue sur le dialogue », Philippe Lacoue-Labarthe, Jean-Luc Nancy, L’Harmattan, « Études théâtrales », 2004/2 N° 31-32, p. 77-96, https://www.cairn.info/revue-etudes-theatrales-2004-2-page-77.htm, [consulté le 2/03/2023].
[11] Ibid.
[12] J.P. NANCY, op. cit.
[13] Ibid.
[14] Marie NDIAYE, Les Serpents, Paris, Minuit, 2004.
[15] Ibid., p. 60 et 63.
[16] Dans ses notes de travail sur Les Serpents (création au théâtre de Tours en 2020), Jacques Vincey précise que cette maison n’est pas « réelle », que c’est un mirage, « un point de fuite » et qu’il ne faut pas « en figurer l’entrée », « Comme un souffle sur une morsure », in Parages, op. cit., p. 188.
[17] Ibid., p. 60.
[18] Vincey parle d’« identités troubles qui se fixent dans l’apparence (costumes) mais se dissolvent dans les mots : l’une peut prendre la place de l’autre simplement en se mettant d’accord pour échanger leurs vêtements. », id.
[19] Marie NDIAYE, Papa doit manger, Paris, Minuit, 2003, p. 78-80.
[20] S. LE PORS, Le Théâtre des voix, op. cit., introduction.
[21] M. NDIAYE, Papa doit manger, p. 79.
[23] « CEUX QUI LOGENT DANS LA POITRINE DU FILS : Ils ont prétendu être ton père et ta mère et n’ont rien reconnu de nous.
Ils ont changé ton nom, ignoré le nôtre, ils ont déclaré : À présent ce petit-là est notre enfant. », ibid., p. 76.
[24] M. NDIAYE, Les Grandes Personnes, p. 13.
[25] Ibid., p. 22.
[26] Parmi les fantômes qui peuplent le théâtre ndiayen, tous ne s’expriment pas, ainsi de Jacky dans Les Serpents ou de l’enfant de Djamila dans Rien d’humain.
[27] « Mais, enfin, quel homme es-tu ?
Ce bouquet de chardons, tes crimes, à qui vas-tu l’offrir ? Quelle sorte d’homme es-tu ? », Les Grandes Personnes, p. 21, fin de la section II.
[29] Marie NDIAYE, Délivrance, in Trois pièces, Paris, Gallimard, 2019.
[30] Ce qui amène d’ailleurs le critique Philippe-Jean Catinchi à se demander si ce texte « relève […] vraiment de la scène ». Alors qu’il a interrogé l’écrivaine à ce sujet, cette dernière lui a répondu dans un courriel (29 septembre 2021) que « Délivrance lui a été commandé pour la scène, [et qu’elle l’a] donc toujours considéré comme un texte, sinon de théâtre, en tout cas destiné à être lu à voix haute. », in Parages, op. cit., p. 93.
[31] Voir par exemple l’incipit de la lettre 3 « Bien que n’ayant encore reçu aucune lettre de toi, je me permets de t’écrire à nouveau […], Trois pièces, p. 17.
[32] « Oh ma chérie, es-tu allée voir mes parents ? M’as-tu écrit ? Que veux-tu de moi ? Qui dois-je devenir pour que tu m’aimes ? », Lettre 4, ibid., p. 24.
[33] Lettre 1, ibid., p. 11.
[34] Lettre 1 ibid., p. 11, voir aussi plus loin dans la lettre :« […] tu éviteras pareillement de sourire ou de protester, tu éviteras de faire volontairement le signe de croix dans le mauvais sens car ce sont des enfantillages, n’est-ce pas, et tu éviteras de me vouer au diable dans le secret de ton cœur […] » p. 11-12.
[35] Lettre 1, ibid., p. 12.
[36] Id.
[37] Marie NDIAYE, Hilda, Paris, Minuit, 1999, p. 87.
[38] Ibid., p. 27.
[39] Marie NDIAYE, Royan, la professeure de français, Paris, Gallimard, 2020.
[40] Ibid. p. 54.
[42] Ibid., p. 60.
[43] Ibid., p. 58.
[45] Ibid. p. 61.
[47] Entretien avec Frédéric VOSSIER, « C’est comme ça que les choses se font… », in Parages, op. cit., p. 139.
[48] André ENGEL, « Cet homme... », document de salle de La Comédie Française, 2003, in Parages, op. cit., p. 143.
[49] Papa doit manger, p. 35-37.
[50] Marie NDIAYE, Rien d’humain, Besançon, Les solitaires intempestifs, 2004, p. 16.
[51] Ibid., p. 17.
[52] Trois pièces, op. cit.
[53] Ibid., p. 120.
[54] Ibid., p. 121.
[55] Ibid., p. 130-131.
[56] Ibid., p. 140.
[57] Ibid., p. 151.
[58] Philippe LANÇON, https://www.liberation.fr/theatre/2017/03/09/elections-piege-abscons_1554563/, publié le 9 mars 2017, [consulté le 13/02/2023].
[59] Trois pièces, p. 97.
[60] Ibid., p. 144. « L’OPPOSANT : Notre Élue, Notre Élue, êtes-vous réelle ? ».
[61] Voir, entre autres son entretien dans Le Monde, op. cit.
[62] Julie SERMON, « Construction du personnage et dramaturgie du jeu en régime figural », in www.pourunatlasdesfigures.net, dir. Mathieu BOUVIER, La Manufacture, Lausanne (He.so), 2018, [consulté le 03/03/2023].
[63] Berlin mon garçon, p. 41-42.
[64] Hilda, 2002 ; La Règle, 2011 ; Honneur à notre élue, 2017 ; Royan, La Professeure de français, 2021.
[65] Frédéric Bélier-Garcia, « Petites apocalypses de la douceur », in Parages, op. cit., p. 172.
[66] Berlin mon Garçon, p. 83.
[67] Robert ABIRACHED, La Crise du personnage dans le théâtre moderne (1978), Paris, Gallimard, 1994, p. 7.
[68] Jacques VINCEY, « Comme un souffle sur une morsure », Notes de travail sur Les Serpents, in Parages, op. cit., p. 187.
[69] Ibid., p. 189.
[70] Ibid., p. 192.
Résumé
Cet article se propose d’entendre le théâtre de Marie NDiaye au travers des « voix » étranges ou étrangères qui le constituent, rattachées de manière flottante à des personnages. Il s’intéresse à la façon dont elles participent d’une incarnation ambivalente, « en pièces », les personnages étant traversés de voix « autres ». Ces voix ne sont ni ajointées à un référentiel précis, ni appareillées à la vérité, et nous verrons comment elles invitent les spectateurs à s’emparer de leur maillage complexe, parfois « troué », pour faire « théâtre » en démultipliant les points de vue.
Abstract
This article offers to hear and understand Marie NDiaye's theatre through the strange or stranger's "voices" that it comprises, voices tied to characters in a floating manner. It considers the way they contribute to an ambivalent incarnation as the characters are penetrated by "other" voices. These voices are neither linked to a precise frame of reference, nor likened to the truth, and we will see how they invite the audience to capture their complex meshing, often "holed", to make "theatre" in a multiplying of points of view.
Claire OLIVIER
Université de Limoges, EHIC
ABIRACHED, Robert, La Crise du personnage dans le théâtre moderne (1978), Paris, Gallimard, 1994.
JAUSS Hans, Robert, Rezeptionsästhetik, [Rainer Warning (éd.), München, 1975], Pour une esthétique de la réception, traduit de l’allemand par C. Maillard, Paris, Gallimard, 1978.
LACOUE-LABARTHE, Philippe, NANCY Jean-Luc, « Dialogue sur le dialogue », Paris, L’Harmattan, Études théâtrales, 2004/2 n° 31-32, p. 77 à 96.
LE PORS, Sandrine, Le Théâtre des Voix, Rennes, PUR, 2011.
NDIAYE Marie, La Femme changée en bûche, Paris, Minuit, 1989.
—, Hilda, Paris, Minuit, 1999.
—, Papa doit manger, Paris, Minuit, 2003.
—, Les Serpents, Paris, Minuit, 2004.
—, Rien d’humain, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2004.
—, Les Grandes Personnes pièces, Paris, Gallimard, 2011.
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—, Royan. La Professeure de français, Paris, Gallimard, 2021.
VOSSIER, Frédéric, dir., Parages 11, La Revue du TNS, numéro spécial Marie NDiaye, Stanislas Nordey directeur de la publication, Strasbourg, février 2022.