Considérant l’abondance et la pertinence des travaux qui ont, de longue date, été consacrés d’une part au portrait, pictural ou photographique (et notamment au portrait photographique d’écrivain) et d’autre part (puisque c’est aussi ce dont il s’agit) aux relations « fixe/animé », pour reprendre le titre d’un colloque organisé en 2007 par Laurent Guido et Olivier Lugon1 (mais il faudrait citer aussi les travaux de Caroline Chik2 à ce sujet), considérant tout cela, donc, je dois dire que, moi qui ne suis pas véritablement spécialiste de ces questions, je n’aborde pas cette communication sans une certaine modestie.
Cependant, mon intérêt pour le portrait photographique animé d’écrivain n’est pas d’abord académique, et cela me sera, j’espère, une justification suffisante. Il procède en effet d’une sorte de fascination, d’abord pour les portraits cinématographiques d’écrivains que j’avais rencontrés ici et là, puis pour toute la série PERS des Archives Pathé-Gaumont de portraits de personnalités (notamment d’écrivains), dont j’ai entrepris plus tard le visionnement attentif. J’étais évidemment tenté de consacrer cette communication exclusivement à cette série, mais la directrice des collections de la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé m’apprit qu’il ne subsistait probablement pas d’archives consistantes sur cette série, constituée sans doute a posteriori, qu’on ne possédait pas, enfin, de données précises ou spécifiques sur ces portraits (hormis celles, assez sommaires, qui figurent sur une fiche descriptive associée à chaque portrait). Dès lors, on en était réduit à les envisager en pur spectateur, à demi ignorant et tout à fait perplexe. On pouvait bien sûr supposer (c’est plus que plausible et d’ailleurs attesté pour un grand nombre d’entre eux) que ces portraits avaient été réalisés à l’occasion d’un événement de la vie de l’écrivain et qu’ils étaient destinés à figurer dans une bande d’actualité ; ils avaient ensuite été conservés, sans aucun doute en vue d’une réutilisation ultérieure (le fait est avéré par exemple pour le portrait de René Boylesve, tourné le jour de sa réception à l’Académie française et repris pour l’annonce de son décès). Cependant, ainsi simplement constituée, cette collection de brefs portraits animés isolés, de personnages plus ou moins illustres intriguait, suscitait un trouble, se teintait de mystère… Il y avait là quelque chose comme un genre, le genre du petit portrait animé de célébrité (et particulièrement d’écrivain), dont l’une des caractéristiques était ce pouvoir de susciter chez le spectateur un effet assez énigmatique, mélange de perplexité et d’enchantement. Je m’attacherai donc en premier lieu à ce genre du portrait animé d’écrivain, dont j’aimerais proposer une petite généalogie un peu vagabonde.
Le portrait animé d’écrivain est d’abord un portrait animé, et c’est du portrait animé en général que je voudrais dire quelques mots d’abord. Il est artificiel de faire trop strictement le départ entre l’image fixe et l’image animée, les travaux que j’ai mentionnés en commençant l’ont montré ; une telle dichotomie n’est pertinente ni techniquement, ni esthétiquement, et elle ne l’est pas davantage dans l’imaginaire, où l’on observe, sinon une indifférence à ce clivage, du moins une sorte de tremblement du mobile et de l’immobile.
Le portrait, en tout cas, ou du moins un certain genre de portrait semble avoir de tout temps incliné au mouvement. L’art du portrait balance entre deux pôles : un pôle que l’on pourrait dire politique, marqué par le souci de la permanence et de la majesté, et un pôle sentimental, pôle de l’absence, du manque, marqué par le souci de la ressemblance. Si le premier est statique et aspire à l’intemporalité, le second semble appeler la vie et le mouvement.
Selon l’Histoire naturelle de Pline, l’origine du portrait et l’origine de la peinture se confondent, on le sait : la fille du potier Dibutades de Sicyone, « amoureuse d’un jeune homme qui partait pour un lointain voyage, renferma dans des lignes l’ombre de son visage projeté sur une muraille par la lumière d’un lampe »3. Cette légende connaît un vif succès à l’époque néo-classique et la scène est souvent représentée. Or ce qu’il s’agit de tenter de fixer ici, c’est une ombre, tremblante, vacillante, fugace et cependant indicielle. Au cœur du portrait, de ce portrait affectif qui exige la ressemblance, il y a cette palpitation et ce souci de saisir la vie, dont idéalement il subsisterait quelque chose dans la représentation.
Or, à la même époque, fleurissent des pratiques qui font écho à ce récit : la découpe de silhouettes, qui souvent s’offrent à l’interprétation physiognomonique, puis l’usage du physionotrace, visent à capturer la vie même des êtres, à saisir leur apparence en tant qu’elle révélerait leur vérité profonde. Le physionotrace promet en effet des « portraits absolument fidèles jusques dans les plus petits détails, et qui rendent avec la précision la plus rigoureuse l’esprit même de chaque physionomie et jusqu’aux nuances des caractères »4. La saisie d’un instant renvoie à l’être animé tout entier, la pure fixité se veut indice de la vie palpitante.
Toute représentation est traversée par des temporalités, mais le portrait l’est d’une manière spécifique, puisqu’il est substitut du vivant absent. Le portrait marque une suspension de la durée et semble appeler imaginairement sa reprise. On pourrait bien sûr ici penser à ces quelques fort étranges portraits doubles ou triples qui, quel que soit ce qui les motive, inscrivent la figure dans la durée, comme le double portrait de la mère de l’artiste par Hyacinthe Rigaud5, le triple portrait de Richelieu par Philippe de Champaigne6, le double portrait du nain Morgante par Agnolo Bronzino7 ou le triple portrait d’un orfèvre par Lorenzo Lotto8. Mais la photographie, en ce que, dans son principe et dans les modalités de sa mise en œuvre, elle appelle la sérialité, a tendu d’emblée à inscrire la représentation, particulièrement le portrait, dans la durée, et quelques précoces séries de portraits, notamment d’écrivains, comme celle que Nadar a laissée de George Sand, sont bien connues. Et il est révélateur que les premiers essais de photographie séquentielle s’attachent au portrait, et même à l’autoportrait si l’on considère l’essai de portrait tournant d’Antoine Claudet dès les années 1840, celui du neurophysiologiste tchèque Purkinje vers 1865 et celui de Nadar à la même époque, alors qu’un peu plus tard la chronophotographie s’intéressera, elle, au corps, au mouvement du corps animal ou humain. Ce sont donc des quêtes distinctes. Au début dans années 1860, la photosculpture de François Willème se consacre évidemment au portrait. Bien que les vingt-quatre prises de vue soient instantanées, elles dessinent un mouvement circulaire et inscrivent la figure dans la durée.
J’ai dit que la chronophotographie s’était fondée sur l’étude des mouvements des corps. Mais en 1894, un article de La Nature, intitulé « La Chronophotographie d’amateur et le portrait vivant » propose de s’affranchir de ce programme et, en réorientant la chronophotographie, de renouveler l’art du portrait, grâce au dispositif mis au point par Georges Demenÿ :
Mais c’est dans le portrait surtout que nous voudrions voir s’opérer une transformation complète et nous comptons sur l’amateur pour former le goût du public à cet égard et forcer le photographe de profession à abandonner la pose de convention9.
Il s’agit donc d’abandonner la pose et de saisir son modèle « dans l’expression habituelle que nous lui connaissons et qui, ne l’oublions pas, est une série d’expressions »10.
Voilà, donc, pour le portrait animé en tant qu’il répond à un désir d’authenticité. Mais parallèlement circule, tout au long du XIXe siècle, une figure imaginaire : celle du portrait qui prend vie et parfois sort du tableau. Cette figure est souvent présente dans la littérature fantastique, mais j’évoquerais seulement ici une nouvelle de Théophile Gautier, La Cafetière11. Dans la chambre d’un château de Normandie, le narrateur voit ou croit voir les « figures des portraits enfumés pendus à la muraille12 » s’animer : leurs yeux, leurs lèvres remuent, puis les bougies s’allument toutes seules, la cafetière, les fauteuils se déplacent, enfin les personnages sortent des cadres, boivent du café et dansent.
Or il y a là plusieurs figures qui sont aussi récurrentes dans un genre dramatique très prisé au XIXe siècle, la féerie parodique. Les objets, mais surtout les effigies, statues, poupées et bien entendu portraits peints, peuvent y prendre vie. Ainsi, dès 1806, dans Le Pied de Mouton, Nigaudinos, fatigué, s’étend sur une bergère et bâille : les portraits qui l’entourent bâillent aussi13. Dans Les Pilules du diable, en 1839, un portrait avale les mets que Babilas sert à Rodriguez14. Dans Le Mirliton, en 1840, Pierrot veut embrasser le portrait d’une dame qui l’a salué, mais il en est empêché par celui d’un soldat qui le met en joue et tire15. Dans La Biche au bois, en 1845, le portrait de Prosper dit à Désirée qu’il l’aime16. Et parmi les « farces » qu’un certain Hullin soumet à Pixerécourt au début des années 1830 pour une féerie en projet figure une scène au cours de laquelle, dans l’atelier d’un peintre, les portraits chantent17.
On peut citer encore une fable de Sourdille de Lavalette, « Les portraits parlants »18, dans laquelle un jeune homme interroge les portraits de ses ancêtres, qui lui répondent (et lui confessent leurs bassesses). Et l’on pourrait évoquer aussi un jeu de salon qui consista, dans les années 1870, à se présenter grimé, costumé, immobile, dans l’ouverture d’un cadre, pour faire deviner un personnage ; on raconte qu’une des filles de Louis-Philippe, Clémentine, s’étant ainsi fait la tête de son père, un enfant crut bien le reconnaître en effet.
Il y a donc là un topos. Il faut ajouter que la plupart des féeries que j’ai citées ont été souvent reprises et que l’imaginaire qu’elles portent a véritablement traversé le siècle : les Pilules du diable ont été reprises huit fois à Paris, jusqu’en 1907. Et le cinéma prolonge ce répertoire. Méliès, en particulier, s’approprie ces figures : dès 1899, dans Le Portrait mystérieux19, il converse avec son propre portrait, et dans Le Chapeau à surprises20, en 1901, ou dans L’Auberge du bon repos21, en 1903 (qui est d’ailleurs en grande partie reprise d’une pantomime des Hanlon-Lees) les portraits s’animent et agissent. Dans Les Affiches en goguette22, en 1906, les personnages représentés sur des affiches en sortent. Et l’on pourrait citer encore Les Portraits vivants23, film Pathé de 1907, Les Portraits ensorcelés24, film Éclair de 1910.
Mais il faut aussi mentionner la figure en quelque sorte inverse du figement d’une action et de sa mutation en tableau, bien qu’il s’agisse moins, dans ce cas, de portraits que de scènes de groupes. Ce sont d’abord, à la fin du XVIIIe siècle, au théâtre, les « tableaux fugitifs » ou « tableaux mis en action ». À tel instant de l’action dramatique, les personnages se figent et figurent un tableau célèbre. Le premier de ces tableaux fugitif, semble-t-il, apparaît dans Les Noces d'Arlequin, de Carlo Antonio Bertinazzi, dit Carlin, en 1761 : au deuxième acte, les personnages s’immobilisent et composent L'Accordée de village de Greuze, clou du précédent Salon. Ces pratiques se prolongent tout au long du XIXe siècle, en particulier avec les tableaux vivants, divertissement de salon prisé sous le Second Empire, mais aussi numéro de music-hall ou attraction de fêtes foraines. On voit que ces figures, celle de l’immobile qui prend vie et celle de l’action qui se fige, s’inscrivent dans un imaginaire très ample qui ne procède pas des recherches sur la photographie ou sur les images animées mais, au contraire, sans doute, les inclut. Et la figure du portrait animé, présente dans Le Pied de mouton en 1806 l’est encore dans le cycle Harry Potter et comme indépendamment des évolutions techniques.
Jusqu’ici, bien entendu, je n’ai guère parlé de portraits d’écrivains, mais je ne pouvais éviter d’évoquer, d’une part cette quête fébrile d’authenticité, d’autre part cet imaginaire du portrait vivant qui traversent le XIXe siècle et dans lesquels s’inscrit le portrait cinématographique d’écrivain, qui n’est en somme qu’un portrait-carte qui s’animerait.
Je voudrais évoquer encore un portrait qui n’est pas un portrait d’écrivain mais bien un portrait littéraire et qui s’inscrit, discrètement, dans cet imaginaire. C’est celui du père Bouvard dans Bouvard et Pécuchet, qui fait plusieurs apparitions25 et semble peu à peu s’animer, en particulier lorsque Pécuchet « veut faire apparaître un mort »26. Le spectre du père Bouvard ne se manifeste pas, sans doute, mais son portrait semble bien avoir frémi.
Les rideaux se remuaient avec lenteur sous le vent qui entrait par un carreau fêlé, – et les cierges balançaient des ombres sur le crâne de mort et sur la figure peinte. Une couleur terreuse les brunissait également. De la moisissure dévorait les pommettes, les yeux n’avaient plus de lumière. Mais une flamme brillait au-dessus, dans les trous de la tête vide. Elle semblait quelquefois prendre la place de l’autre, poser sur le collet de la redingote, avoir ses favoris, – et la toile, à demi déclouée, oscillait, palpitait.
Peu à peu, ils sentirent comme l’effleurement d’une haleine, l’approche d’un être impalpable27.
Or Bouvard et Pécuchet se sont lancés dans cette entreprise macabre parce qu’ils avaient à l’esprit les fantasmagories de Robertson : « Sous le Directoire, un homme rue de l’Échiquier montrait les victimes de la Terreur »28. Si Robertson ne prétendait pas sérieusement convoquer des revenants, du moins, si l’on en croit le récit du représentant Poultier dans L’Ami des lois en 1798, suscitait-il des apparitions d’écrivains illustres :
Delille témoigne modestement le désir de voir l’ombre de Virgile ; sans évocation, et sur le simple vœu du traducteur des Géorgiques, elle paraît, s’avance avec une couronne de laurier qu’elle pose sur la tête de son heureux imitateur.
L’auteur de quelques tragédies prônées, demande avec assurance l’apparition de l’ombre de Voltaire, espérant en recevoir un semblable hommage ; le peintre de Brutus et de Mahomet, après quelques cérémonies, s’offre aux spectateurs ; il aperçoit le tragique moderne, et semble lui dire : « Crois-tu que la vanité soit du génie et la mémoire du talent ? »29.
L’abbé Delille et Voltaire, ce sont bien sûr les deux grands poètes du temps et l’évocation de Virgile vient rappeler, en ces temps néo-classiques, que dans l’Antiquité les écrivains étaient glorifiés et statufiés. Mais ici Voltaire et Virgile sont honorés sous la forme d’ombres, et d’ombres mouvantes. Ce sont peut-être là les prémices d’une manière nouvelle d’honorer les écrivains illustres : en animant leur effigie. Ainsi, les cartes découpées qui créent des « ombres blanches » que l’on peut agrandir et faire danser sur un mur figurent parfois, au début du XIXe siècle, des écrivains (Voltaire, Rousseau). Et à la fin du siècle, d’autres écrivains sont célébrés grâce à des moyens que l’on peut dire nouveaux et qui tendent à les animer. Plusieurs d’entre eux sont ainsi représentés au musée Grévin, qui ouvre en 1882. Il est apparemment paradoxal de citer ici des figures de cire, figées par définition. Mais ce que le musée Grévin entend présenter, ce sont des instantanés, des scènes comme prises sur le vif : « au lieu d’être en chair et en os, les personnages sont en cire, ils sont vêtus comme vous et moi, ils parlent, ils agissent, ils palpitent en quelque sorte »30, dit un compte rendu de 1882. Les personnalités représentées ont confié leurs propres vêtements pour vêtir leur effigie, ce qui accroît l’impression d’authenticité, de présence réelle. Victor Hugo (qui a donné un « paletot ») est représenté dans son cabinet de travail. Dans le tableau Un mardi au foyer de la Comédie française, « M. Alexandre Dumas, raide et fier, écoute M. Victorien Sardou »31 et dans Tout Paris chez Grévin, Henri Rochefort lit un journal, Aurélien Scholl cause avec Ludovic Halévy et Émile Zola boude.
Or de telles scènes suscitent un trouble, une sorte d’hésitation. Noëmi Dondel du Faouëdic raconte ainsi une visite au musée Grévin :
Quelques personnes, bien vivantes celles-là, s’amusent à garder une immobilité complète, si bien qu’à la fin on ne sait plus quels sont les gens vrais ou faux. Tout en allant demander un renseignement à quelque joli mannequin, on écrase le pied d’une élégante personne que l’on prenait pour une statue32.
Et Alexandre Dumas fils semble s’abandonner à une sorte de délire lorsqu’il écrit à Alfred Grévin :
Ici, nous avons positivement l’être réel, avec sa forme, sa couleur, son vêtement de tous les jours. Je le regarde, il me regarde, il ne me quitte plus des yeux. Si je ne lui parle pas, si je ne lui tends pas la main, c’est que je suis retenu par je ne sais quel doute inquiétant. S’il ne me répond pas, je vais m’apercevoir que ce n’est qu’un mannequin teinté et repoussant ; mais s’il allait me répondre et se mouvoir ! que deviendrait l’autre ? le vrai ? Que dirais-je au vivant quand je me retrouverais avec lui ? Telle est l’impression singulière que l’on éprouve, l’hallucination momentanée que l’on subit devant ces images étonnantes33.
Mais d’autres pratiques permettent d’animer réellement des effigies d’écrivains. Je pense en particulier à l’œuvre de Louis Lemercier de Neuville, journaliste, écrivain et surtout marionnettiste, qui, pendant quelque cinquante ans, a présenté, dans des établissements de spectacle ou dans des salons, des saynètes d’actualité humoristique ou simplement de fantaisie mettant souvent en scène des personnalités connues, notamment des écrivains, sous forme de marionnettes ou d’ombres (les « pupazzis noirs »). Le théâtre de marionnettes, au XIXe siècle, a bien des affinités avec la littérature écrite (on songe bien sûr à George et Maurice Sand, à Edmond Duranty, à Alfred Jarry ou à Maurice Bouchor), mais les écrivains y sont rarement représentés. Lemercier de Neuville, lui, prend plaisir à les mettre en scène sur un mode ironique. Dans la première version d’une pièce intitulée Le Procès Belenfant-des-Dames34, par exemple, Alexandre Dumas est appelé à témoigner. Dans une version ultérieure, c’est son fils qui est convoqué, ainsi que Victor Hugo, dont la déclaration caricature son style35. Hugo apparaît encore dans La République athénienne, sous le nom de Superlatifidès36.
Un autre écrivain est fréquemment représenté dans les dernières décennies du XIXe siècle, c’est Émile Zola. Il figure ainsi, en compagnie de Francisque Sarcey, dans un spectacle d’ombres de Lemercier de Neuville qui ironise sur les nombreuses candidatures du premier à l’Académie française et sur l’attitude assez flottante du second à cet égard.
Ne voulant pas voir sa plume endormie
Par l’Académie,
Francisque Sarcey
N’a pas accepté le fauteuil classique ;
D’abord, un critique
N'est jamais pressé.
Mais il s'est glissé, flairant l'anecdote,
Au fond de la hotte
Du littérateur ;
II veut observer dans ce noir repaire
La façon de faire
Du célèbre auteur37.
À côté des pupazzi noirs de Lemercier de Neuville et des spectacles d’ombres des cabarets (on n’en donna pas seulement au Chat Noir), il y eut une vogue mondaine du théâtre d’ombres (dans la Recherche, la princesse de Parme donne une soirée d’ombres chinoises)38. Il n’est donc pas surprenant que Jacques Bizet et le petit cénacle composé notamment d’anciens de Condorcet qu’il réunissait dans son atelier de l'île Saint-Louis aient choisi ce moyen pour monter, en 1897, une revue dans laquelle ils comptaient brocarder les quelques littérateurs de leurs amis qui avaient connu un succès au cours de l’année 1896. Ce petit théâtre d’ombres fut baptisé « théâtre du Chat-Bourbon » (allusion au Chat noir et au quai de Bourbon) et la revue s’intitula Les Lauriers sont coupés. Fernand Gregh, Ernest La Jeunesse et Marcel Proust y furent caricaturés et imités (Marcel Proust par Léon Yeatman). Proust, ami de Jacques Bizet, mais qui ne fréquentait pas le cercle de l’île Saint-Louis, venait de publier Les Plaisirs et les Jours. La revue fut donnée les 18, 19 et 20 mars 1897 et connut un certain succès parisien si l’on en croit Robert Dreyfus, qui rapporte l’anecdote39. Mais Proust en fut blessé, bien que la satire fût assez amicale.
Nous sommes là dans les temps de l’émergence du cinéma, et parmi les toutes premières vues, il s’en trouve qui mettent en scène des écrivains, de manière, là aussi, facétieuse : dans une vue Lumière de 1898 un transformiste se grime en Alexandre Dumas, en Victor Hugo, en Zola40 ; dans une autre, il prend successivement l’apparence de Hugo et de plusieurs personnages des Misérables41. C’est pourtant d’abord le genre du portrait animé sérieux que les premiers commentateurs assignent au cinéma : la mort cessera d’être absolue, dit-on. La série des portraits cinématographiques des Archives Pathé-Gaumont répond peut-être encore à ce désir. Mais le statut de ces portraits est ambigu, et cette incertitude est peut-être une des raisons de l’attrait qu’ils exercent. J’évoquerai quelques-uns d’entre eux, de ceux qui semblent avoir été tournés délibérément comme petits portraits animés. Par exemple ceux de Rosemonde Gérard42, de Francis de Croisset43, de Paul Ferrier44, d’Edmond Haraucourt45, d’Anatole France46, de Félicien Champsaur47, de Charles-Henri Hirsch48, de René Boylesve49, de Pierre Benoît50.
Ce qui est troublant, c’est que, si nous ne savons pas très précisément ce que sont ces portraits, ceux qui en sont l’objet ne semblent pas vraiment le savoir non plus. Je veux dire que la plupart d’entre eux paraissent empruntés, mal à l’aise, hésitant entre le mouvement et l’immobilité ; certains ont un sourire gêné (Pierre Benoît), plusieurs fument comme pour se donner une contenance (Francis de Croisset, Paul Ferrier), plusieurs écrivent ou font mine d’écrire (Félicien Champsaur) ; Anatole France, filmé en 1924 à l’occasion de ses quatre-vingts ans, écrit puis va chercher un livre ; rares sont ceux qui parlent, et Edmond Haraucourt fait un peu exception. Mais la plupart regardent fébrilement la caméra, comme en quête d’une consigne ou d’une approbation (c’est visiblement le cas de Félicien Champsaur) ; certains ont un regard très mobile, souriant pour Rosemonde Gérard, inquiet, presque apeuré pour Charles-Henri Hirsch. L’attitude la plus intrigante, c’est peut-être celle de René Boylesve qui, en habit d’académicien (il est filmé le jour de sa réception) a quelque chose de farouche, comme s’il était sur la défensive.
Or ces portraits ont été tournés dans les années 1910 ou 1920, à une époque où personne n’ignorait ce qu’était le cinéma. Il faut cependant rappeler que c’est par une illusion rétrospective que l’on croit à une adhésion immédiate, générale et spontanée au cinéma ; il ne fut connu que très progressivement et on le tint de toute façon longtemps, dans certains milieux (notamment intellectuels), pour une nouveauté inquiétante ou méprisable. Cependant, on peut supposer que les écrivains qui consentent à poser devant la caméra savent à quoi s’en tenir ; on en vient pourtant, pour quelques-uns d’entre eux, à douter s’ils ne croient pas qu’on est seulement en train de les photographier. En tout cas, ce genre, si c’en est un, est très ambigu et de nature à susciter une hésitation. J’ai parlé du genre du portrait animé, mais on devrait peut-être parler du genre du portrait qui s’anime : les premiers spectateurs du cinéma avaient bien le sentiment de se trouver face à des photographies qui accédaient au mouvement, et ce sentiment a sans doute perduré. De sorte que la petite généalogie que j’ai proposée, pour disparate qu’elle ait pu paraître, me semble assez bien rendre compte de ce genre ambigu. Il s’agit bien, à travers lui, d’honorer les écrivains, et de garder la trace, la mémoire de leur physionomie en mouvement ou de leurs expressions. Il y a donc bien sûr une quête d’authenticité, une tentative pour accentuer la ressemblance. Mais il y a aussi quelque chose, dans cette pratique, qui relève de la magie : prodige du portrait figé qui tout à coup s’anime. Et c’est pourquoi il importe que le modèle bouge un peu, mais pas trop, dirait-on.
Enfin, j’ai présenté des portraits animés qui, à la fin du XIXe siècle, donnaient d’écrivains célébrés ou même d’écrivains amis des portraitistes, une image quelque peu dégradée, parfois ridicule. Or il faut bien dire qu’à travers leurs portraits cinématographiques, qui les montrent tellement gauches, mis dans l’impossibilité de prendre la pose, le corps comme emprisonné dans les quelques secondes que dure le portrait, si loin, donc, de l’immortalité et, si l’on veut, de la littérature, les modèles des portraits cinématographiques tombent un peu de leur piédestal et frisent le ridicule (de là, peut-être, leurs apparentes réticences ou leur embarras). Le portrait cinématographique d’écrivain, pour peu qu’on essaie de lui restituer une profondeur esthétique et imaginaire, paraît éclairer un moment incertain de l’histoire de la littérature et de celle du statut de l’écrivain.
Cependant l’histoire ne s’arrête pas là, ni celle de la littérature, évidemment, ni celle du portrait cinématographique d’écrivain ; j’aimerais marquer encore quelques jalons. Le flip-book Biofix réalisé le 1er août 1914 par Apollinaire et André Rouveyre relève bien sûr d’une démarche différente, singulière : c’est de leur part une entreprise délibérée, improvisée, assez enjouée malgré les circonstances. Le récit que donne Rouveyre de cette séance de prise de vues illustre pourtant bien l’ambiguïté du genre :
« Il faut bouger, dire n'importe quoi, sinon nous allons avoir l'air de deux couillons ! ». Cela le fit rire et, s'agitant, il balbutia quelques mots vagues que je n'entendis pas, et les accompagnant de gestes que l'on voit dans la suite des images51.
Il y a en quelque sorte le même embarras que dans les portraits précédents, mais avec une désinvolture, un enjouement nouveau. Et cet unicum, bien qu’il soit à peu près contemporain des portraits cinématographiques des Archives Pathé-Gaumont, paraît bien relever d’un autre temps de la littérature, qui ne saurait faire l’économie de l’humour et de l’ironie.
On pourrait évoquer encore la série de Photomatons faite par Raymond Queneau en 1928, qui appelle l’animation, et d’autres portraits peut-être. Mais je préfère en venir au Cinématon de Gérard Courant. Il le définit ainsi : « Cinématon est une série cinématographique de portraits filmés montrant une personnalité des arts, de la culture ou du spectacle, en un seul gros plan fixe et muet de 3 minutes et demie, dans lesquels elle est libre de faire ce qu'elle veut »52. De nombreux écrivains ont été « cinématonés » (Philippe Sollers, Louis Calaferte, Alain Jouffroy), mais j’évoquerai seulement ici les quatre Cinématons tournés par Dominique Noguez53. Le premier, en 1978 (Cinématon no 8)54, est, si je peux dire, classique ; dans le second, en 1979 (Cinématon no 71)55, Dominique Noguez ôte une série de masques et feint d’arracher encore celui de son propre visage ; dans le troisième (Cinématon no 319)56, en 1984, il écrit sur son visage « Quelle raison avez-vous de me regarder ? » ; la réponse, inscrite derrière sa tête, est révélée à la fin : « Aucune » ; le dernier (Cinématon no 1475)57, en 1991, est censé être celui d’un cinéaste belge, Paul Vanderstrick, qui se dissimule sous un loup et des postiches, puis, après qu’il a pivoté, sous un masque de clown, de sorte qu’un spectateur non averti ignore que ce janus bouffon est Dominique Noguez.
Cette série interroge évidemment l’art du portrait (et du portrait d’écrivain, en l’occurrence), qui ne serait jamais, sous couvert d’authenticité, que dérobade et mascarade. Et nous pouvons poser nous aussi la question du Cinématon de 1984 : quelle raison avons-nous, en effet, de regarder ce visage, ce portrait, et généralement ces portraits d’écrivains ? De raison, nous n’en avons aucune, assurément, et cependant nous les scrutons, avec étonnement, amusement, perplexité. Les portraits d’écrivains plus que d’autres portraits, sans doute : que l’on songe à l’intérêt et aux polémiques suscités par une photo dont on suppose qu’elle représente Rimbaud, par quelques images animées où l’on entrevoit peut-être Marcel Proust. La modeste généalogie qui précède voudrait constituer un début de réponse à l’intrigante question de Dominique Noguez, mais l’énigme demeure, bien entendu.
On l’a suggéré : le statut du portrait animé d’écrivain ne fournit-il pas un indice de celui de l’écrivain lui-même et de la littérature ? De la gloire éthérée à une familiarité respectueuse, puis un peu ironique, enfin distanciée et teintée d’humour. S’il en était ainsi, les portraits d’écrivains les plus contemporains n’inciteraient pas à l’optimisme. Les rares gifs de portraits d’écrivains (qui sont souvent, d’ailleurs, des portraits d’écrivains philosophes : Camus, Sartre) les réduisent à une répétition muette et radoteuse, les privant non seulement de parole, mais on dirait presque de pensée, quand ils ne les ridiculisent pas délibérément. Quant aux animations de Deep Nostalgia, de My Heritage, si c’est bien de portraits d’écrivains (Flaubert, Rimbaud…) qu’elles ont d’abord illustré la présentation de leurs prestiges, semblant ainsi consacrer leur statut d’icônes, c’était pour les réduire au rang d’icônes publicitaires, en soumettant leurs traits aux falsifications du virtuel pour vendre un procédé qui pourrait animer tous les visages du monde. Ces inquiétantes dégradations seraient alors des signes de déliquescence. Peut-être, mais en 1987, déjà, Dominique Noguez faisait suivre un assez sombre tableau de l’état de la littérature de cette exhortation : « Recommençons »58.
[1] Laurent GUIDO et Olivier LUGON (dir.), Fixe/animé : croisements de la photographie et du cinéma au XXe siècle, Lausanne, Paris, L'Âge d'homme, 2010.
[2] Caroline CHIK, L’Image paradoxale : fixité et mouvement, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2011.
[3] PLINE, Histoire naturelle (trad. Émile Littré), t. II, livre XXXV, Paris, Firmin-Didot, 1877, p. 487.
[4] Journal de Paris, no 177, 25 juin 1788, p. 775.
[5] Hyacinthe RIGAUD, Marie Serre (1638-1721), mère de l’artiste, 1695, Paris, musée du Louvre.
[6] Philippe de CHAMPAIGNE et son atelier, Triple portrait du cardinal de Richelieu, vers 1642, Londres, National Gallery.
[7] Agnolo BRONZINO, Ritratto del Nano Morgante, 1552, Florence, Palazzo Pitti.
[8] Lorenzo LOTTO, Rittrato di Triplice Orefice, v. 1530, Vienne, Kunsthistorisches Museum.
[9] Georges MARESCHAL, « La Chronophotographie d’amateur et le portrait vivant », La Nature, n◦ 1113, 29 septembre 1894, p. 279-282, p. 280.
[10] Ibid.
[11] Théophile GAUTIER, « La Cafetière », in : La Peau de tigre, Paris, Michel Lévy frères, 1866, p. 75-89.
[12] Ibid.
[13] RIBIE et MARTAINVILLE, Le Pied de mouton, féerie-comique en trois actes à grand spectacle, représentée pour la première fois à Paris sur le théâtre de la Gaîté le 6 décembre 1806, Paris, Chez Madame Masson, 1807, p. 34.
[14] Ferdinand LALOUE, Anicet BOURGEOIS et Laurent, Les Pilules du diable, féerie en trois actes et vingt tableaux, représentée pour la première fois à Paris sur le théâtre national du Cirque-Olympique le 16 février 1839, Paris, Marchant, 1839, p. 9.
[15] Ferdinand LALOUE, Anicet BOURGEOIS et Laurent, Le Mirliton, féerie en trois actes et vingt-sept tableaux, représentée pour la première fois à Paris sur le théâtre national du Cirque-Olympique le 26 septembre 1840, Paris, imp. de Mme de Lacombe, s. d., p. 15.
[16] Charles-Théodore et Jean-Hippolyte COGNIARD, La Biche au bois, vaudeville-féerie en quatre actes et seize tableaux, représentée pour la première fois à Paris sur le théâtre de la Porte Saint-Martin le 29 mars 1845, Paris, Marchant, 1845, p. 8.
[17] Correspondance conservée au Musée lorrain de Nancy dans le dossier Bijou du fonds Pixerécourt.
[18] Charles-Guillaume SOURDILLE DE LAVALLETTE, « Les portraits parlants », Fables morales et politiques, 2e éd., Paris, Firmin-Didot, 1830, p. 105-107.
[19] Georges MÉLIÈS, Le Portrait mystérieux (grande nouveauté photographique extraordinaire), 1899.
[20] Georges MÉLIÈS, Le Chapeau à surprises, 1901.
[21] Georges MÉLIÈS, L’Auberge du bon repos, 1903.
[22] Georges MÉLIÈS, Les Affiches en goguette, 1906.
[23] Les Portraits vivants, Pathé, 1907.
[24] Les Portraits ensorcelés, Éclair, 1910.
[25] Lorsque Bouvard invite Pécuchet chez lui peu après leur rencontre, lorsqu’il hérite, lorsqu’ils déménagent, lorsqu’ils reçoivent les « bourgeois de Chavignolles ».
[26] Gustave FLAUBERT, Bouvard et Pécuchet, 1880-1881, in : Œuvres complètes, V, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2021, p. 520.
[27] Ibid., p. 521.
[28] Ibid., p. 520.
[29] François-Martin POULTIER-DEMOTTE, « Fantasmagorie », L’Ami des lois, 28 mars 1798, p. 1-2.
[30] « Le musée Grévin », La Petite République française, 7 juin 1882.
[31] Ibid.
[32] Noëmi DONDEL DU FAOUËDIC, Voyages loin de ma chambre, t. II, Redon, Auguste Bouteloup, Paris, Téqui, 1898, p. 359.
[33] « Lettre d’Alexandre Dumas fils à Alfred Grévin pour l’inauguration de son musée », in : Robert Baschet, Le Monde fantastique du musée Grévin, Tallandier-Luneau Ascot, 1982, p. 29.
[34] Louis LEMERCIER DE NEUVILLE, Le Théâtre des pupazzi, Lyon, 1876, p. 1-41.
[35] Ibid., p. 22-23.
[36] Ibid., p. 391-411.
[37] Louis LEMERCIER DE NEUVILLE, Les Pupazzi noirs. Ombres animées, Paris, Charles Mendel, 1896, p. 31-32.
[38] Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 1988, p. 334.
[39] Robert Dreyfus, Souvenirs sur Marcel Proust, Paris, Grasset, « Les Cahiers Rouges », 2013.
[40] Transformation de têtes, vue Lumière no 968, 1898.
[41] Transformation de têtes, vue Lumière no 970, 1898.
[42] GP Archives, PERS G5 715, 1911.
[43] GP Archives, PERS C16 1024, avant 1920.
[44] GP Archives, PERS F3 53, avant 1914.
[45] GP Archives, PERS H2 450, avant 1920
[46] GP Archives, PERS F6 1562, avril 1924.
[47] GP Archives, PERS C6 132, 1913.
[48] GP Archives, PERS H4 465, avant 1914.
[49] GP Archives, PERS B16 125, 21 mars 1919.
[50] GP Archives, PERS B8 2228, juillet 1921.
[51] « Apollinaire filmé en 1914 », Le Point, juin 1944, cité par Pascal Fouché, http://www.flipbook.info.
[52] Gérard COURANT, Présentation du Cinématon, https://www.gerardcourant.com/index.php?f=7.
[53] Dominique NOGUEZ (1942-2019), normalien, agrégé de philosophie, spécialiste du cinéma expérimental et underground, de l’humour, aussi, et simplement écrivain, couronné par plusieurs prix (Fémina, prix de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre), auteur de nombreux essais sur le cinéma et la littérature, « d’études plus ou moins savantes » (Les Trois Rimbaud, Lénine dada), de récits et de romans dont le dernier, paru en 2018, s’intitule L’Interruption.
[54] https://www.youtube.com/watch?v=Ax0P3LWhdiU.
[55] https://www.youtube.com/watch?v=Tq6Pl6se5x8 (4h38mn22s).
[56] https://www.youtube.com/watch?v=iZ-gGalPjFs&t=16s.
[57] https://www.youtube.com/watch?v=sx3BUMWRXKY.
[58] Dominique NOGUEZ, « Recommençons », L’Infini no 19, « Où en est la littérature ? », Paris, Gallimard, été 1987, repris in : Tombeau pour la littérature, p. 143-147, Paris, éditions de la Différence, 1991.
Résumé
Pourquoi les portraits animés d’écrivains du début du XXe siècle nous fascinent-ils ? Leur généalogie fournit des éléments de réponses. Ce sont d’abord des portraits animés, produits de la quête fébrile de saisie de la vie palpitante mais aussi de l’imaginaire du portrait vivant qui traversent le XIXe siècle ; ils sont mémoriels et magiques. Et ce sont des portraits d’écrivains : on relève une série de tentatives antérieures, souvent railleuses, d’en animer des effigies, qui interrogent la figure de l’écrivain, comme le font, plus près de nous, les Cinématons (Gérard Courant) tournés par Dominique Noguez.
Abstract
Why do the animated portraits of writers from the beginning of the 20th century fascinate us? Their genealogy provides some answers. First of all, they are animated portraits, products of the feverish quest to capture the pulsating life but also of the imaginary of the living portrait that crosses the 19th century; they are memorial and magical. And they are portraits of writers: we note a series of previous attempts, often mocking, to animate effigies, which question the figure of the writer, as do, closer to us, the Cinématons (Gérard Courant) of Dominique Noguez.
Patrick DÉSILE
CNRS THALIM
« Apollinaire filmé en 1914 », Le Point, juin 1944, cité par Pascal FOUCHE, http://www.flipbook.info.
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COURANT, Gérard, Présentation du Cinématon, https://www.gerardcourant.com/index.php?f=7.
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