« Des yeux et des nerfs, c’est Réjane ». Voilà comment Félicien Champsaur décrit la comédienne déjà célèbre dans un article de L’Événement, le 19 janvier 1890. À cette date, Gabrielle Réju, dite « Réjane », est une des comédiennes les plus en vue de la capitale, aux côtés de Sarah Bernhardt et Julia Bartet. En incarnant Germinie Lacerteux en 1888 à l’Odéon (Fig. 1), elle s’est engagée dans l’une des nombreuses batailles naturalistes qui ont secoué le champ littéraire et dramatique de la fin du XIXe siècle. Le scandale provoqué par la pièce, qui rejoue celui d’Henriette Maréchal vingt ans après, assure la promotion de la jeune comédienne dont le nom sature dès lors l’espace médiatique. Réjane fait la une et les représentations visuelles de la comédienne se multiplient (Fig. 2, 3 et 4) : photographies, dessins puis caricatures remplissent les colonnes des journaux et s’affichent sur les murs de Paris. La formule de Félicien Champsaur résume assez bien la manière dont le discours médiatique construit alors l’image de Réjane, une « enfant de la balle »1 dont la forte personnalité en impose, d’un regard. La célébrité de la comédienne ne cessera de croître au fil d’une vie ponctuée d’événements fortement médiatisés : son mariage en 1893 avec Paul Porel, le directeur de l’Odéon, leur divorce en 1905, les multiples tournées européennes et américaines, enfin l’ouverture d’un théâtre à son nom en 1906.
Fig. 1. Réjane dans le rôle de Germinie Lacerteux, Odéon, photographie, Atelier Nadar, 1888. © Bibliothèque nationale de France.
Fig. 2 : Paris-Photographe, n° 4, 25 juillet 1891, photographie de Nadar.
Fig. 3. Le Rire, n° 194, 23 juillet 1898, dessin de Cappiello.
Fig. 4. Les Hommes du jour, n° 205, 23 décembre 1911, dessin de Poulbot.
Cependant, malgré une carrière riche et largement glosée en son temps, Réjane est tombée dans l’oubli, sans doute en raison de son effacement des histoires du spectacle, lesquelles ont consacré la seule Sarah Bernhardt tandis qu’un quatuor de comédiennes dominait alors le champ. Dans un récent article consacré à Réjane, Jean-Claude Yon plaidait pour sa réhabilitation dans l’historiographie théâtrale2. Effectivement, en plongeant dans les archives et la presse de l’époque pour retracer sa carrière, non seulement on ne peut que constater à quel point Réjane occupe l’espace médiatique entre la fin des années 1880 et sa mort en 1920, mais on est frappé de surprise, et d’émotion, à la découverte de la série de photographies instantanées prises par le comte Joseph Napoléon Primoli en 18893 (Fig. 5 et 6). Disponible en ligne sur le site des Archives de la Fondation Primoli4, la série des vingt-quatre photographies de Réjane est tout à fait exceptionnelle et ce à deux titres principalement : d’abord, elle est une des rares traces de Réjane « vivante », captée en mouvement ; ensuite, elle témoigne du changement progressif de paradigme concernant la représentation des célébrités au tournant des XIXe et XXe siècles.
Fig. 5 : Joseph Primoli, Réjane et Louis Ganderax (à droite), rue Rougemont, près du Conservatoire, Paris, 25 ou 26 juillet 1889. Fondation Primoli, Rome (détail).
Fig. 6 : Joseph Primoli. Réjane, rue Rougemont, près du Conservatoire, Paris, 25 ou 26 juillet 1889. Fondation Primoli, Rome (détail).
Fig. 7 : Joseph Primoli (photographe), Réjane, avec des amis, rue Rougemont, à Paris, près du Conservatoire. À sa gauche (avec un haut-de-forme), Edgar Degas, et Louis Ganderax, 25 ou 26 juillet 1889. Fondation Primoli, Rome (détail).
Sur les vingt-quatre photographies, vingt sont prises le 25 ou le 26 juillet 1889, précise le site de la Fondation, rue Rougemont, près du Conservatoire. Réjane y est entourée par plusieurs hommes dont Louis Ganderax, critique dramatique et co-directeur de la Revue de Paris, et Edgar Degas (Fig. 7). Cependant, cette série est plus difficile à déchiffrer qu’il n’y paraît à première vue : Réjane y est saisie dans la même rue, au même niveau, à un numéro près, mais avec deux tenues différentes (Fig. 5 et 7). Une enquête dans la presse des 25 et 26 juillet 1889 nous apprend que le 25, Réjane a assisté au concours du Conservatoire, un événement important de l’année théâtrale :
Concours du Conservatoire. Tragédie-comédie. Les épreuves, toujours si attendues, des concours de la tragédie et de la comédie, ont eu lieu hier. C’est la grande journée du Conservatoire qui attire un public nombreux, un public féminin surtout. Nos plus jolies actrices, en toilettes élégantes, ont assisté, depuis le matin jusqu’à six heures et demie du soir, à toutes les épreuves. Au nombre des jolies spectatrices qui brillent dans les loges ou aux fauteuils, citons : Mlles Réjane, Pierson, Forgues, Defresne, les sœurs Bertrand, etc5…
Une photographie, prise dans la salle, nous le confirme (Fig. 8) ; elle y porte la même robe à ceinture épaisse et le même chapeau blanc que rue Rougemont. Contrairement à l’indexation de la Fondation Primoli, nous n’avons pas affaire à une série mais à deux, composées cependant du même trio : Réjane, Louis Ganderax et le photographe, Primoli, grand ami du critique. Réjane a-t-elle changé de toilette entre deux sessions du concours ? C’est peu probable. Ces photographies correspondent sans doute plutôt à deux jours différents, l’un au concours du Conservatoire, l’autre à un déjeuner au restaurant Rougemont comme l’inscription tronquée sur la devanture (Fig. 9 et 10) le laisse deviner. Bien qu’on ne puisse pas tout à fait résoudre l’identification temporelle de ces photographies, leur valeur documentaire est exceptionnelle. Elles témoignent de ces nouveaux sujets et de ces nouvelles manières de voir qu’implique le développement de l’instantané6.
Fig. 8 : Joseph Primoli. Réjane, rue Rougement (à gauche), et, le 25 juillet 1889, au concours du Conservatoire de Paris (à droite). Fondation Primoli, Rome (détails).
Fig. 9 : Joseph Primoli. Réjane, rue Rougement (à gauche), devant un restaurant,
sans date. Fondation Primoli, Rome (détails).
Fig. 10 : Joseph Primoli. Réjane dans un restaurant de la rue Rougemont, près du Conservatoire de Paris, sans date. Fondation Primoli, Rome (détail).
À partir de cette série photographique et, plus largement, des innombrables portraits de Réjane à l’époque, sur tous types de supports, il s’agit ici de réfléchir aux mutations de la « starisation » à l’ère de l’instantané qui voit le passage du régime de l’édification photographique à celui du mouvement et du vivant. Dans le cas de Réjane, cette mutation est d’autant plus complexe qu’en tant que comédienne, elle est déjà du côté de l’incarnation, ou plutôt d’un feuilleté d’incarnations et de personae. Pour déplier ce feuilleté, on reprendra la tripartition proposée par Pascal Durand dans son article « De Nadar à Dornac. Hexis corporelle et figuration photographique de l’écrivain » où il distingue :
La personne d’abord, soit l’individu avec sa physionomie propre (bien que déjà travaillée par du social : dans l’ordre de la visibilité sociale et même à travers le regard que le sujet peut porter sur lui-même, il n’y a pas de corps à l’état pur). La personnalité ensuite, non au sens psychologique mais en fait d’appartenance à un ensemble d’agents à forte visibilité sociale dans tel champ d’activité. Le personnage enfin, comme agent proprement symbolique incarnant une institution telle que la littérature, les arts, la science, etc7.
Dans le cas de l’actrice, on peut ajouter une quatrième instance composée de la mosaïque de rôles joués à la scène, ce qui donnerait le feuilleté suivant : personne, personnalité, personae, personnage. L’instantané problématise ces différentes instances et constitue un tournant majeur dans la représentation des célébrités. Cependant, il ne faut pas non plus le surestimer dans le sens où le passage de pratiques amateurs privées à l’instantanéisation des artistes dans l’iconographie publique mettra des décennies à s’installer. Entre-temps, le cinématographe aura, si l’on ose dire, pris le train du mouvement et s’y sera taillé la part du lion.
Pour envisager les représentations iconographiques de Réjane, il faut d’emblée distinguer entre l’image publique, déclinée sur différents types de supports, et l’image semi-publique, voire privée qui correspond aux pratiques amateurs dont relèvent les photographies de Primoli. Dans la période qui correspond à sa carrière de comédienne, entre le début des années 1880 et sa mort en 1920, le portrait figé domine largement les représentations iconographiques des artistes et des écrivains telles qu’elles circulent dans la presse, sur les affiches, et sur divers objets de consommation. Très codifié, le genre repose sur un certain nombre de poses attendues, notamment le profil et le trois quarts, sur la présence de quelques objets dont la valeur est à la fois décorative, indicielle et symbolique, enfin sur une attitude sérieuse et une mise austère censées donner autorité et prestige à l’individu photographié.
Les portraits de Réjane correspondent tout à fait à cette grammaire photographique pratiquée aussi bien par Nadar que par Reutlinger. Prenons un exemple avec ces trois portraits (Fig. 11, 12 et 13) : 1/ Réjane en 1900 sur une carte postale Reutlinger ; 2/ Réjane par Nadar dans Ma Cousine en 1890 ; 3/ Réjane dans La Vie heureuse le 15 décembre 1906. On observe un véritable continuum iconographique d’un support à l’autre : sourire esquissé, tête penchée, poitrine relevée. Aussi les visages de l’actrice participent-ils de la sérialisation de l’image et des produits culturels caractéristique de l’époque8. En l’occurrence, la poétique des supports dont Marie-Ève Thérenty9 a montré l’extrême fécondité pour l’analyse des textes n’est pas tout à fait opérante en ce qui concerne le portrait photographique dans la période qui nous occupe10. Qu’on la regarde sur la collection Félix Potin, sur une carte postale ou sur un tirage de l’Atelier Nadar, Réjane apparaît répliquée en majesté (Fig. 14, 11 et 12) : le menton relevé, la mine grave, le port altier. Pascal Durand a bien montré que le portrait photographique des célébrités, chez Nadar, prolonge « l’iconographie picturale propre aux monarques, aux princes et aux grands dont le visage soucieux, concentré, plus lointain que hautain, avait pour office de signifier dévouement aux intérêts supérieurs de l’État et lourdeur accablante des responsabilités exercées »11. Cette analyse ne vaut pas que pour Nadar mais caractérise plus généralement le régime de l’édification photographique, calqué sur le modèle pictural, qui traverse l’iconographie publique de la fin du XIXe siècle au début du XXe. D’ailleurs, dans la presse, la forme du médaillon s’impose et envahit les colonnes, qu’il s’agisse d’un écrivain, d’un comédien ou, plus tard, d’une actrice de cinéma12. Réjane, là encore, en est un bon exemple (Fig. 15 et 16). La relation entre portrait pictural et portrait photographique est ici de l’ordre de la transposition : le point de vue et le cadrage n’ont pas encore véritablement changé.
Fig. 11 : Réjane, carte postale Reutlinger, 1900. Coll. part.
Fig. 12 : Variétés, Ma Cousine, photographie, Atelier Nadar, 1890. © Gallica / Bibliothèque nationale de France.
Fig. 13 : Portrait de Réjane, photographie, La Vie heureuse, 15 décembre 1906.
Fig. 14 : Réjane, collection Félix Potin, vers 1900, collection personnelle de Marie-Astrid Charlier.
Fig. 15 : Portrait de Réjane en médaillon, photographie, La Vie heureuse, 15 décembre 1906.
Fig. 16 : Portraits de Mme Réjane et M. de Max en médaillon, photographies, Comœdia, 2 avril 1909.
Sur cet autre portrait de Réjane (Fig. 17), publié par Comœdia le 15 juin 1920, le lendemain de sa mort, le cadre et le point de vue relèvent encore de la même grammaire, mais l’attitude de la comédienne est sensiblement différente : avec ses jambes croisées qui la déséquilibrent, le corps de Réjane se met en mouvement, avec quelque chose de précaire dans la pose. Ce portrait posé contient la trace d’un geste – les jambes qui se sont croisées, le bras qui s’est posé – et suggère la fragilité d’un équilibre. D’un point de vue historique, il témoigne de la lenteur avec laquelle l’instantané est entré dans le journal et, par conséquent, dans l’espace public et l’imaginaire social. André Gunthert a déjà mis en évidence le long temps qui caractérise l’histoire de l’instantané :
L’émergence de l’iconographie instantanée en France compte parmi les évolutions les plus lentes des formes photographiques. Subdivisée en trois grandes étapes, celle-ci s’étale sur plus d’une décennie : une période de test et d’expérimentation, entre 1877 et 1881 ; le renouvellement des sujets de la photographie rapide, entre 1882 et 1886 ; enfin l’installation de la photographie instantanée comme genre, à partir de 188613.
Fig. 17 : Portrait de Réjane, photographie de Henri Manuel, Comœdia illustré, 15 mai 1920.
Cependant, ce genre qui s’installe à partir de 1886 est encore réservé à des cercles de sociabilités restreints et à une pratique amateur. Le corpus iconographique que j’ai pu réunir pour Réjane est assez emblématique de l’histoire de la photographie de presse de manière générale. Les premières photographies instantanées de la comédienne apparaissent dans le journal en 1905-1910, c’est-à-dire exactement au tournant iconographique de la presse que les travaux de l’ANR Numapresse ont pu précisément situer. Mais ce ne sont encore que des exceptions dans la masse de portraits « posés » publiés dans les journaux. L’histoire de la presse est ainsi décalée de quelques décennies par rapport à l’histoire des techniques et de la photographie. Ce n’est qu’à l’aube du XXe siècle que l’instantané commence timidement à entrer dans l’espace médiatique alors qu’il circule déjà dans certains cercles d’artistes amateurs, comme celui de Primoli.
Pendant la période 1880-1910, les portraits figés et posés, qui appartiennent à une esthétique picturale classique, voire datée en regard des innovations contemporaines dans le domaine de l’optique et des représentations visuelles, appartiennent paradoxalement à l’ère de la reproductibilité technique : leur esthétique a quelque chose d’anachronique mais leur diffusion et leur circulation relèvent de la sérialisation des produits culturels dans le contexte d’une massification des arts et de la culture. À rebours, la photographie instantanée, résolument moderne mais exceptionnelle dans le champ des représentations, retrouve la fameuse « aura » de l’œuvre d’art chère à Walter Benjamin. Du moins, sans forcément passer par ce concept qui a été largement discuté, l’instantané a quelque chose d’inouï, d’une part en raison de sa rareté dans les représentations publiques et médiatiques, d’autre part en raison du caractère absolument neuf de ce qu’il permet de voir, les bords du mouvement et du vivant. En somme, on observe une sorte de chiasme entre esthétique et technique avec le portrait d’un côté, anachronique mais sérialisé et reproduit en masse ; l’instantané de l’autre, moderne mais rare et réservé à quelques happy few. Le Journal des Goncourt fait ainsi le récit d’une soirée photographique du comte Primoli, le 4 décembre 1895 :
De la salle à manger de la Princesse, dont la baie ressemble à un petit théâtre, Primoli nous régale, dans le hall, de projections d’après ses instantanés. C’est vraiment très intéressant, cet agrandissement qui, de ces images d’un pouce de hauteur, en fait des décors qui vous donnent l’illusion de la grandeur des hommes et des animaux, des arbres, des constructions. Et vraiment ce Primoli a un certain talent, ainsi que disent les peintres, pour piger le motif – un motif faisant tableau14.
Les sociabilités de salon s’organisent aussi, à la fin du XIXe siècle, autour de la projection de photographies que l’on regarde ensemble et qui créent un partage du regard. Mais l’on ne se débarrasse pas si facilement du référent pictural : Goncourt parle bien d’un « motif faisant tableau » et reprend aux peintres leur expression « piger le motif ». C’est dire combien les codes propres à la photographie instantanée ne se sont pas imposés subitement : il aura fallu du temps pour habituer le regard à ces nouvelles images, à leur esthétique et à ce qu’elles disent du monde et du réel.
La série de photographies consacrée à Réjane disponible sur le site de la Fondation Primoli se compose, comme on l’a dit, de vingt-quatre photographies, dont vingt prises rue Rougemont à Paris, mais à deux moments différents. Seuls les chapeaux et les robes de Réjane nous permettent de les distinguer15.
Outre l’émotion qui jaillit en découvrant ces images, et qui rappelle la grande émotion qui a traversé le colloque Judith Gautier de 2017, lorsque Martine Lavaud a projeté un petit film où l’on voyait Judith en mouvement16, outre cette émotion donc, les photographies instantanées de Réjane s’accompagnent d’un véritable choc pour celui ou celle qui regarde. Alors que l’on a eu l’habitude de voir la comédienne captée dans des décors de théâtre, souvent reconstitués dans l’Atelier Nadar, et en tout cas dans des intérieurs, cette série de Primoli la montre dans l’espace public (Fig. 6 et 7), sur le pavé, en costume de ville et non de scène, le regard concentré ou amusé, la robe froissée et relevée, la chaussure apparente, les yeux mi-clos (Fig. 10), la bouche entrouverte, les bras écartés, le rire aux éclats (Fig. 5). Réjane est toujours entourée d’hommes, ce qui renforce sa position centrale, et rayonnante – au propre comme au figuré. On est très loin, ici, des portraits de Paul Nadar avec leur gravité et leur art de la composition. Les photographies de Primoli témoignent du profond bouleversement des sujets qu’a permis l’instantané :
Les accidents, les sauts, les cabrioles, les animaux, la foule, les scènes non préparées, les scènes de rue, les enfants et la vie de famille sont désormais les nouveaux territoires d’une photographie omniprésente au diapason d’une vie devenue trépidante17.
Le mouvement, dans notre corpus, est en premier lieu porté par le fiacre et par la rue, ces deux chronotopes de la modernité qui disent la vitesse et la fugitivité. Mais le mouvement, c’est aussi celui des corps flous des passantes et des passants (Fig 5, à l’arrière-plan), c’est également tel « morceau » de corps flou qui suggère un geste (Fig. 18, l’homme au mouchoir à l’arrière-plan) : une main, un pied. Le mouvement arrêté des corps les rend ainsi fantomatiques, presque fantastiques. Si l’on concentre à présent notre regard sur Réjane et les hommes qui l’entourent, Primoli les a saisis en train de marcher, de manger, de regarder, de bavarder. Le photographe capte des fragments d’actions en train de se dérouler et produit ainsi un effet « arrêt sur images » très suggestif. Car l’instantané suggère le mouvement et appelle projections et fantasmes en stimulant l’imaginaire : de quoi parlent-ils ? où vont-ils ? que mangent-t-ils ? que lui dit-il pour qu’elle rie ainsi ? Profondément narrative, la photographie instantanée concentre des micro-récits potentiels que le spectateur projette sur une action silencieuse, qui échappe au regard et sur laquelle il achoppe. Cette dimension narrative de l’instantané ne remet pas du tout en question sa force iconique, bien au contraire.
Fig. 18 : Joseph Primoli, « L’homme au mouchoir » en arrière-plan d’un cliché saisissant Réjane et des amis, rue Rougemont, Paris, juillet 1889. Fondation Primoli, Rome (détail).
C’est elle – la force iconique – qui explique le malaise des premiers spectateurs devant les images incongrues produites par la photographie instantanée :
La course à la vitesse des supports photographiques débouche sur un paradoxe : personne ne s’attendait à ce qu’un gain de rapidité, au lieu de traduire plus fidèlement le mouvement, engendre un étrange suspens visuel. Chutes et sauts, corps maladroits, contorsions incongrues, positions cocasses : devant ces clichés d’autant plus immobiles qu’ils auraient dû être plus animés, la révélation de l’involontaire, la pure apparition de l’accidentel causent un choc imprévu18.
Si l’instantané a été aussi crucial dans l’histoire des représentations de l’artiste et de l’écrivain, et, plus globalement, du monde et de la société, c’est parce qu’il a fait bouger les lignes du représentable. Grâce au progrès technique, on peut désormais capter les chutes, les maladresses, la saleté, la vulgarité, du moins ce qui est alors jugé comme tel en fonction des normes iconographiques. La technique le peut, certes, mais comme toujours avec la nouveauté, la question qui se pose alors est celle de l’acceptabilité de telles représentations. On retrouve ainsi, dans le domaine photographique, les débats que le réalisme et le naturalisme ont suscités sur l’écriture de l’ordinaire, du médiocre, du vulgaire. A-t-on le droit de représenter le vêtement mal ajusté ou la grimace, et ce d’autant plus quand il s’agit de personnalités en vue, voire de vedettes ? Ce problème de l’acceptabilité avec son seuil mobile en fonction des époques explique que l’instantané ait mis plusieurs décennies à s’imposer dans la presse alors que tout permettait une introduction puis un développement plus rapide : la technique n’était pas un obstacle, pas plus que le personnel. En effet, le reportage devient le genre roi du journal à la fin des années 1880 et les reporters, qui pullulaient dans les rédactions, auraient très bien pu s’armer d’appareils photographiques… S’ils ne l’ont pas fait, c’est qu’il fallait d’abord accepter la banalisation des personnalités, longtemps perçue comme une dégradation, voire une désacralisation. Au siècle du sacre de l’écrivain et de l’artiste, cela devait – presque fatalement – prendre du temps. Car là où le portrait édifie, l’instantané, lui, banalise.
Au fur et à mesure de son développement dans la presse à partir des années 1905-1910, la photographie instantanéise et banalise en même temps. Or cette banalisation est aussi une « quotidianisation » pour reprendre le concept proposé par Bruce Bégout19. L’artiste ou l’écrivain devient plus proche, plus familier, plus intime et, par conséquent, plus vrai. Bien sûr, comme le portrait édifiant en son temps, il s’agit là aussi d’une fabrication qui ne cesse de croître à mesure qu’artistes, imprésarios, journalistes maîtrisent la technique : les uns façonnent leurs postures en négociant avec cette nouvelle grammaire de la prise sur le vif, les autres tentent de débusquer la vue inédite, le détail inaperçu, le scoop visuel. Le régime de la banalisation qui s’installe avec la photographie instantanée s’accompagne d’une mutation des lignes public/privé et redéfinit la relation entre une vedette et son public du côté de l’intimité – certes fabriquée. L’intimité correspond à un effet de proximité que produit l’image « au naturel » avec son mouvement, ses défauts, ses bizarreries, ses imperfections. Alors que le paradigme du grand homme reposait sur la distance irréductible avec le public, celui de la vedette, en progrès constant avec la massification de la culture, se développe au contraire dans le sens d’une proximité toujours plus grande. Les quelques instantanés des années 1905-1910 en témoignent : on est avec Réjane dans la rue, on est en face d’elle pour le banquet organisé en son honneur (Fig. 19 et 20) ; on se situe dans la foule qui se presse devant le bateau qui ramène Sarah Bernhardt d’Amérique (Fig. 21) ou qui l’emmène pour une tournée ou à Belle-Île pour l’été.
Fig. 19 : Mme Réjane, photographie de presse, Agence Rol, 1909. © Bibliothèque nationale de France.
Fig. 20 : Banquet offert à Réjane dans son théâtre : Mme Réjane et M. Deschanel, photographie de presse, Agence Meurisse, 1920 © Bibliothèque nationale de France.
Fig. 21 : « Mme Sarah Bernhardt est revenue en France », Excelsior, n° 227, 30 juin 1911.
Ce régime de la banalisation/proximisation des vedettes va évidemment de pair avec la démocratisation de la société et aboutit logiquement à la fin des années 1940 à l’apparition des premiers paparazzi. Le téléobjectif permet alors de prendre des photos de très loin et de voler des images aux vedettes qui se croient à l’abri des regards. Or les premières photos volées que l’on trouve dans Paris Match présentent les mêmes caractéristiques – et les mêmes effets – que les premiers instantanés du siècle précédent : l’incongruité et le flou (conséquence ici de la distance, pas du mouvement). Soixante-dix ans plus tard, c’est encore le caractère acceptable de ces photographies qui pose question dans les médias : ces photos vulgaires sont bonnes pour Paris Match, pour la presse populaire et jugée racoleuse, certainement pas pour les hebdomadaires littéraires, réputés sérieux, comme L’Express ou France Observateur, qui ne contiennent, en fait d’images, que… des portraits figés, et parfois en médaillon20. Le régime de l’édification photographique persiste du côté de la culture savante et légitime, tandis que celui de la banalisation instantanée appartient au middlebrow, à la culture moyenne. Replacer l’instantané dans le long temps des représentations photographiques publiques et médiatiques permet de mesurer à quel point la photographie a été prise dans des logiques de hiérarchies culturelles et de légitimation. La pratique amateur, restreinte à quelques cercles de sociabilité, n’a pas passé sans mal les lignes de l’espace public et de l’imaginaire social.
Si l’on se concentre à présent sur ce que dit la photographie de l’histoire du théâtre et du spectacle vivant mais également sur ce qu’elle lui fait, il me semble essentiel de postuler une articulation forte entre l’instantané et le jeu réputé « naturel » de Réjane. Tous deux coïncident dans un moment de l’histoire culturelle qui promeut, dans les domaines artistique et technique, la proximité avec le quotidien des gens ordinaires : on veut alors du naturel et du réel.
C’est dans ce contexte qu’André Antoine fonde en 1887 le Théâtre-Libre, premier théâtre « à côté »21 du XIXe siècle, où sont joués de jeunes auteurs et prônés un jeu naturel, des décors réalistes, bref, un théâtre plus vrai, dans la droite ligne du Naturalisme au théâtre (Charpentier, 1881) d’Émile Zola. Cela passe notamment par le refus de la déclamation ampoulée du Conservatoire, par le rejet du jeu artificiel à l’avant-scène, face au public, et par la fin des toiles peintes en fond de scène. Rénovateur important de la fin du siècle, Antoine a encouragé le jeu de dos, une gestuelle et un parler au plus près de la vie ordinaire22. Jean-Pierre Sarrazac a résumé en une phrase l’apport d’Antoine à l’histoire du théâtre : « Une troupe inventant sur fond de simplicité, de véridicité – de “quotidienneté”, pourrait-on dire –, la grammaire moderne de l’acteur dans sa version réaliste »23. Or cette invention scénique et dramatique a évidemment à voir avec l’apparition de l’instantané, lequel permet de saisir les individus et les groupes sociaux dans leur quotidienneté, et la société dans la multiplicité de ses visages, de ses rythmes et de ses espaces. Cela est aussi vrai pour les décors naturalistes, pensés comme le résultat de l’observation d’après nature. En témoignent ces deux photographies dont la similarité est fascinante (Fig. 22 et 18) : d’un côté, une photographie de Germinie Lacerteux, représentée à l’Odéon en 1888 avec Réjane dans le rôle-titre ; de l’autre, l’une des photographies de Primoli.
Fig. 22 : Réjane dans Germinie Lacerteux, 1888.
L’esthétique de la « tranche de vie », selon la formule du critique et dramaturge Jean Jullien24, caractérise aussi bien le théâtre naturaliste qu’invente Antoine en se plaçant dans le sillage de Zola, que la photographie instantanée. Arnaud Rykner a bien montré dans quelle mesure la révolution du jeu et de la mise en scène est alors tributaire de la photographie, laquelle apparaît d’ailleurs sur scène, entre les mains des personnages, dans Les Héritiers Rabourdin de Zola (1874) et Renée (1880), l’adaptation de La Curée. Mais au-delà de la présence de l’objet sur les planches, c’est le dispositif scénique et dramaturgique qui emprunte à la photographie :
[…] l’arrêt sur image, qui permet de prélever une portion du visible pour la soumettre à un regard vectorisé, justifie aussi bien la « tranche de vie » que le « drame statique ». La « tranche de vie » isole un morceau de réel, elle détache un « lambeau d’existence ». Ce qui compte, avec elle, ce n’est plus l’agencement de l’intrigue, l’histoire avec un début et une fin, mais la découpe, qui permet d’observer un moment parmi d’autres et de dégager ainsi une pathologie de la vie sociale25.
Cette analyse de la tranche de vie dramatique est très féconde pour penser les photographies instantanées de Primoli : elles détachent « un lambeau d’existence » de Réjane et offrent une « découpe » dans la trame de sa vie.
Finalement, et ce n’est pas le moindre de son intérêt, la série de Primoli nous donne une idée de ce que pouvait être le jeu de Réjane, du moins, sa gestuelle, ses regards ordinaires et la variété de ses postures : face, profil, et surtout dos, comme ce fameux jeu de dos inventé par Antoine (Fig. 23)... Au contraire, les portraits de Paul Nadar sont très loin de son jeu réputé naturel, de sa gouaille, du mouvement très vivace de ses gestes, de ses pantomimes. Et pourtant, Nadar photographie les personae de Réjane, c’est-à-dire ses rôles. Il la saisit dans Pierrot assassin de sa femme aux côtés de Sarah Bernhardt, dans Dévoué, Germinie Lacerteux, dans Ma Cousine, La Parisienne, Madame Sans-Gêne. Malgré la diversité des rôles de la comédienne, la sérialisation l’emporte et l’on a l’impression de voir un même visage répliqué, donc figé. La photographie de sa personne au pavé, captée par Primoli, est paradoxalement plus proche de ses personae au théâtre que les compositions de Nadar. Au carrefour de leur puissance narrative et de leur force iconique, les photographies instantanées de Réjane fascinent parce qu’elles permettent d’imaginer les manières dont elle incarnait ses rôles.
Fig. 23 : Joseph Primoli, Réjane, assistant au concours du Conservatoire de paris, 25 juillet 1889, Fondation primoli, Rome (détail).
[1] Félicien CHAMPSAUR, « Deux masques », L’Événement, 16 janvier 1890 : « Des yeux et des nerfs, c’est Réjane. La modernité de cette actrice – Sa Modernité Réjane – est adorable. […] Mais les viveurs de cette fin de siècle sont plus épris d’artificiel. Des nerfs et des yeux, pour une femme, c’est assez ; là est tout ce qu’il faut pour vous affoler, la vie. Réjane est, on peut le dire, une enfant de la balle ».
[2] Jean-Claude YON, « Réjane, actrice “poignante et moderne” », in Jean-Yves TADIÉ (dir.), Le Cercle de Marcel Proust III, Paris, Honoré Champion, 2021, p. 211-222.
[3] Je remercie vivement Martine Lavaud qui, en me mettant sur la piste Primoli, m’a permis de voir et de regarder Réjane autrement. Dans le cadre de mon projet IUF sur le spectacle naturaliste, je n’avais trouvé jusqu’alors que des portraits codifiés, et figés, de la comédienne, hormis quelques photographies de presse.
[5] Le Mot d’ordre, 26 juillet 1889. À l’été 1890, la revue La Vie moderne se penche sur « Les concours du Conservatoire » et publie la série du comte Primoli où figure Réjane et qui date en fait de l’année précédente (voir le numéro 32 du 10 août 1890).
[6] L’exposition Enfin le cinéma ! Arts, images et spectacles en France (1833-1907) du Musée d’Orsay (28 septembre 2021-16 janvier 2022) rendait particulièrement compte des mutations du regard dans le long XIXe siècle.
[7] Pascal DURAND, « De Nadar à Dornac. Hexis corporelle et figuration photographique de l’écrivain », COnTEXTES [En ligne], n°14, « Le portrait photographique d’écrivain », Jean-Pierre BERTRAND, Pascal DURAND et Martine LAVAUD (dir.), 2014 : https://doi.org/10.4000/contextes.5933.
[8] Je renvoie ici aux travaux de Matthieu LETOURNEUX sur la sérialité, et notamment à son ouvrage Fictions à la chaîne. Littératures sérielles et culture médiatique, coll. « Poétique », Paris, Seuil, 2017.
[9] Marie-Ève THÉRENTY, La Littérature au quotidien, coll. « Poétique », Paris, Seuil, 2007, « Pour une poétique historique du support », Romantisme, n°143, 2009, p. 109-115, URL : https://www.cairn.info/revue-romantisme-2009-1-page-109.htm, consulté le 13 août 2022.
[10] Elle le sera plus tard, lorsque les hebdomadaires photographiques vont se développer et créer leur propre grammaire iconographique, distincte des quotidiens et des revues. Voir Marie-Astrid CHARLIER, « Photographie », in Marie-Ève THÉRENTY et Sylvain VENAYRE (dir.), Le Monde à la une. Une histoire de la presse par ses rubriques, Paris, Anamosa, 2021, p. 206-213.
[11] Pascal DURAND, « De Nadar à Dornac. Hexis corporelle et figuration photographique de l’écrivain », art. cité.
[12] Dans le cadre des travaux de l’ANR Numapresse (http://www.numapresse.org), Pierre-Carl Langlais a notamment étudié la page de cinéma des quotidiens et remarqué la présence massive du format médaillon pour représenter les célébrités (http://www.numapresse.org/exploration/cinema_pages/presentation.php). L’étude de corpus dramatiques montre qu’il en va de même pour les acteurs et actrices de théâtre.
[13] André GUNTHERT, « Esthétique de l’occasion. Naissance de la photographie instantanée comme genre », Études photographiques [En ligne], n° 9, mai 2001, URL : http://journals.openedition.org/ etudesphotographiques/243, consulté le 20 août 2022.
[14] Edmond et Jules de GONCOURT, Journal. Mémoires de la vie littéraire, mercredi 4 décembre 1895, t. III, Paris, Robert Laffont, 1989, p. 1200-1201.
[15] Concernant les quatre autres photographies, pour l’une d’entre elles, il semble très probable qu’il ne s’agisse pas de Réjane. Pour les autres, le doute demeure : la silhouette féminine est bien plus mince que Réjane, mais on peut reconnaître la forme de ses sourcils. Ce qui perturbe en l’occurrence, c’est que son sourire laisse deviner ses dents. Le doute n’étant pas levé, j’ai restreint le corpus aux vingt photographies dont je suis sûre.
[16] Les actes du colloque ont été publiés : Yvan DANIEL et Martine LAVAUD (dir.), Judith Gautier, Rennes, PUR, coll. « Interférences », 2020.
[17] Paul-Louis ROUBERT, « Animé », Enfin le cinéma !, catalogue de l’exposition du Musée d’Orsay, Paris, Flammarion, 2021, p. 42.
[18] André GUNTHERT, « Photographie et temporalité. Histoire culturelle du temps de pose », Images Re-vues [En ligne], Hors-série 1, 2008, URL : https://journals.openedition.org/imagesrevues/743, consulté le 14 août 2022.
[19] Bruce BÉGOUT, La Découverte du quotidien, Paris, Allia, 2005. Sur l’adaptation du concept de « quotidianisation » à la littérature, voir Marie-Astrid CHARLIER, Le Roman et les Jours. Poétiques de la quotidienneté au XIXe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2018.
[20] Je me permets de renvoyer ici aux travaux que j’ai consacrés, dans le cadre de l’ANR Numapresse, à la photographie dans les hebdomadaires du XXe siècle. Pour en savoir davantage sur Numapresse, consulter le site http://www.numapresse.org.
[21] Adolphe ADERER, Le Théâtre à côté, préface de Francisque Sarcey, Paris, Librairies-Imprimeries réunies, 1894.
[22] Pour une synthèse claire et efficace des débats sur l’invention de la mise en scène, voir Marianne BOUCHARDON, Une histoire d’œil. La critique dramatique face à la mise en scène, 1870-1914, Paris, Eurédit, 2022, p. 9-22. Voir également l’ouvrage de Roxane MARTIN, L’Émergence de la notion de mise en scène dans le paysage théâtral français (1789-1914), Paris, Classiques Garnier, 2014. Sans nier le geste de rupture d’André Antoine mais sans l’envisager non plus ex nihilo, je considère que le Théâtre-Libre d’Antoine introduit un changement de paradigme dans une histoire longue de la mise en scène.
[23] Jean-Pierre SARRAZAC, « Introduction », Antoine, l’invention de la mise en scène. Anthologie des textes d’André Antoine, Arles, Actes Sud, 1999, p. 8-9.
[24] Jean Jullien invente la notion de « tranche de vie » dans L’Échéance, précédé d’un essai sur le Théâtre vivant, Paris, Art et Critique, 1890, p. 17 : « Une pièce est une tranche de vie mise sur la scène avec art ». Voir Le Théâtre vivant : essai théorique et pratique, t.2, Paris, Charpentier, 1892 et 1896.
[25] Arnaud RYKNER, « Changement d’optique : le regard naturalo-symboliste sur la scène », Études théâtrales, « Mise en crise de la forme dramatique 1880-1910 », Jean-Pierre SARRAZAC (dir.), n°15/16, 1999, p. 196.
Résumé
À partir d’un large corpus de portraits de l’actrice Réjane (1856-1920), cet article propose de réfléchir aux mutations de la « starisation » à l’ère de l’instantané qui voit le passage du régime de l’édification photographique, hérité de l’art pictural, à celui du mouvement et du vivant. Véritable célébrité de l’époque, Réjane voit ses portraits se multiplier sur différents types de supports imprimés (presse, cartes postales, etc.) cependant que la culture médiatique participe à sérialiser son image. À rebours de cette masse de portraits « figés », dans le cadre de l’Atelier Nadar notamment, la série d’instantanés amateurs du comte Primoli capte et fait voir une autre Réjane. Prise sur le vif, elle semble plus proche mais plus banale, plus naturelle aussi, tout comme le jeu qu’elle invente sur les scènes parisiennes.
Abstract
Based on a large corpus of portraits of the actress Réjane (1856-1920), this article proposes to reflect on the mutations of "starisation" in the era of the snapshot, which saw the passage from the regime of photographic portraiture, inherited from the art of painting, to that of movement and life. A true celebrity of the time, Réjane saw her portraits multiply on different types of printed media (press, postcards, etc.) while media culture contributed to the serialization of her image. In contrast to this mass of "frozen" portraits, particularly in the context of the Nadar Workshop, the series of amateur snapshots taken by Count Primoli shows a different Réjane. Taken on the spot, she seems closer but more banal, more natural too, just like the performance she invents on the Parisian stages.
Réjane en série(s). Le régime de l’édification photographique
Réjane au pavé. L’instantané ou le régime de la banalisation
Marie-Astrid CHARLIER
Université Paul-Valéry Montpellier 3 / RiRRa21
Institut universitaire de France (IUF)
ADERER, Adolphe, Le Théâtre à côté, préface de Francisque Sarcey, Paris, Librairies-Imprimeries réunies, 1894.
BÉGOUT, Bruce, La Découverte du quotidien, Paris, Allia, 2005.
BOUCHARDON, Marianne, Une histoire d’œil. La critique dramatique face à la mise en scène, 1870-1914, Paris, Eurédit, 2022.
CHAMPSAUR, Félicien, « Deux masques », L’Événement, 16 janvier 1890.
CHARLIER, Marie-Astrid, Le Roman et les Jours. Poétiques de la quotidienneté au XIXe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2018.
—, « Photographie », in Marie-Ève THÉRENTY et Sylvain VENAYRE (dir.), Le Monde à la une. Une histoire de la presse par ses rubriques, Paris, Anamosa, 2021, p. 206-213.
DANIEL, Yvan et LAVAUD, Martine (dir.), Judith Gautier, coll. « Interférences », Rennes, PUR, 2020.
DURAND, Pascal, « De Nadar à Dornac. Hexis corporelle et figuration photographique de l’écrivain », COnTEXTES [En ligne], n°14, « Le portrait photographique d’écrivain », Jean-Pierre BERTRAND, Pascal DURAND et Martine LAVAUD (dir.), 2014 : https://doi.org/10.4000/contextes.5933.
GONCOURT, Edmond et Jules de, Journal. Mémoires de la vie littéraire, 3 t., Paris, Robert Laffont, 1989.
GUNTHERT, André, « Esthétique de l’occasion. Naissance de la photographie instantanée comme genre », Études photographiques [En ligne], n°9, mai 2001, URL : http://journals.openedition.org/ etudesphotographiques/243.
—, « Photographie et temporalité. Histoire culturelle du temps de pose », Images Re-vues [En ligne], Hors-série 1, 2008, URL : https://journals.openedition.org/imagesrevues/743.
JULLIEN, Jean, L’Échéance, précédé d’un essai sur le Théâtre vivant, Paris, Art et Critique, 1890.
—, Le Théâtre vivant : essai théorique et pratique, 2 t., Paris, Charpentier, 1892 et 1896.
LETOURNEUX, Matthieu, Fictions à la chaîne. Littératures sérielles et culture médiatique, coll. « Poétique », Paris, Seuil, 2017.
MARTIN, Roxane, L’Émergence de la notion de mise en scène dans le paysage théâtral français (1789-1914), Paris, Classiques Garnier, 2014.
ROUBERT, Paul-Louis, « Animé », Enfin le cinéma !, catalogue de l’exposition du Musée d’Orsay, Paris, Flammarion, 2021.
RYKNER, Arnaud, « Changement d’optique : le regard naturalo-symboliste sur la scène », Études théâtrales, « Mise en crise de la forme dramatique 1880-1910 », Jean-Pierre SARRAZAC (dir.), n°15/16, 1999, p. 192-206.
SARRAZAC, Jean-Pierre, « Introduction », Antoine, l’invention de la mise en scène. Anthologie des textes d’André Antoine, Arles, Actes Sud, 1999.
THÉRENTY, Marie-Ève, La Littérature au quotidien, coll. « Poétique », Paris, Seuil, 2007.
—, « Pour une poétique historique du support », Romantisme, n°143, 2009, p. 109-115, URL : https://www.cairn.info/revue-romantisme-2009-1-page-109.htm.
YON, Jean-Claude, « Réjane, actrice “poignante et moderne” », in Jean-Yves TADIÉ (dir.), Le Cercle de Marcel Proust III, Paris, Honoré Champion, 2021, p. 211-222.