L’église en construction de la Sagrada Família est le bâtiment le plus visité en Espagne avec, chaque année, 4 millions et demi de visiteurs qui entrent dans la basilique en payant leurs billets. Mais bon nombre sont ceux qui restent autour du monument, visitant l’église seulement de l’extérieur et regardant ses façades, ses tours, ses sculptures et ses décorations. Il faut dire que la Sagrada Família n’est pas une cathédrale, il s’agit en réalité d’une basilique. Cependant, son volume, la complexité du projet architectural et les nombreuses années de construction – 140 environ – rendent son édification comparable à celle des cathédrales médiévales.
Nous commencerons avec un bref aperçu de son histoire. C’est l'Association Spirituelle des Dévots de Saint Joseph, fondée en 1866 par José María Bocabella qui est à l’origine du projet de construction. Elle a d’abord été commandée à un architecte de Barcelone, Francisco de Paula Villar, qui posa la première pierre en 1882. Il conçut une église néogothique, mais, une année après, il abandonna son dessein. C’est alors que le jeune Antoni Gaudí, qui a 31 ans à cette époque, est engagé comme maître-architecte, conférant au projet une ampleur inattendue. Le premier plan qu’il dessine relève également du néogothique, mais, tout au long de sa vie, il va le modifier, le faisant évoluer au gré de sa conception architecturale.
Gaudí a aussi dédié sa vie à d’autres projets mais à partir de 1914, il décide de se concentrer uniquement sur l’édification de l’église. Il y consacra ainsi les 12 dernières années de sa vie. Quand il meurt par accident en 1926 – il a 74 ans – seule une tour (des 18 que doit avoir le bâtiment) est totalement achevée. Cette façade, presque menée à son terme, doit servir d’exemple pour les générations futures, elle sera son héritage. Il faut également souligner que la Sagrada Família a été, depuis le début et maintenant encore, un temple expiatoire, il est donc seulement financé par des donations individuelles de personnes qui, selon la tradition chrétienne, souhaitent expier par ce biais leurs fautes et leurs péchés. Trouver de l’argent n’était donc pas chose facile. Une bonne façon d’attirer les donations pécuniaires et de convaincre les gens était de laisser un modèle, un exemple, un morceau de bâtiment original et différent des autres églises de la ville et d’ailleurs. C’est ce qu’il fit en léguant une façade1.
Dix années après la mort d’Antonio Gaudí, la Guerre Civile commença en Espagne. Les chantiers s’arrêtèrent et les anarchistes s’introduisirent dans la crypte de l’église. Ils saccagèrent tout et, malheureusement, ils pénétrèrent dans l’atelier de Gaudí qu’ils brûlèrent avec les archives, les plans et les dessins. Ils détruisirent ses maquettes (il avait réalisé de nombreux prototypes de l’église en plâtre). Heureusement, elles ont pu être reconstruites. Après la guerre, les travaux reprirent et ils se poursuivent aujourd’hui encore, excepté lors de la parenthèse due à la pandémie de la COVID 19. Nous sommes maintenant dans les dernières années de la construction de la cathédrale.
La Sagrada Família a été souvent définie comme une Bible de pierre. Chaque élément signifie quelque chose, il n’y a rien d’arbitraire. Chaque coin, aussi petit soit-il, renferme un caractère symbolique. Le plan de l'église correspond à un plan basilical symbolisant la croix du Christ. L'abside, la partie la plus importante où se trouve l’autel, serait la tête. Le transept coïnciderait aux bras (les deux entrées latérales du temple) et les pieds se trouveraient dans l'entrée principale, dont les travaux n’ont pas encore été commencés.
À l’extérieur, le temple aura 18 tours, 11 sont déjà construites aujourd’hui. Il y en aura 4 sur chacune des trois façades, cela fera donc douze tours, nombre symbolisant les 12 apôtres. Parmi celles-ci, seules 8 sont construites, elles appartiennent aux deux façades du transept.
Au-dessus de l'abside se trouve la tour dédiée à la Vierge couronnée d'une étoile. Cette étoile a été illuminée pour la première fois le 8 décembre 2021, le jour de la fête de l'Immaculée Conception.
5 tours partent du centre du transept : 4 pour les évangélistes (Matthieu, Marc, Luc et Jean) et 1 pour Jésus. Elles seront couronnées par les figures du tétramorphe : l’ange pour Matthieu, le lion pour Marc, le taureau pour Luc et l’aigle pour Jean. En leur centre, la tour dédiée à Jésus-Christ sera couronnée d’une croix à 4 bras (typique dans les bâtiments de Gaudí comme la Casa Batlló, la Casa Bellesguard ou le Park Güell). Cette tour centrale doit s'élever à 172,50 m, ce qui en fera le bâtiment le plus haut de la ville. En 2022, la tour de Marc et celle de Luc ont été achevées avec toutes leurs sculptures.
Les travaux de la Sagrada Família ont commencé en 1882 dans la crypte qui a été pendant de nombreuses années l'église paroissiale du quartier (et elle l’est également aujourd’hui encore). Des messes quotidiennes, des mariages, des baptêmes et d’autres célébrations chrétiennes y sont célébrées. La crypte est de style néo-gothique, tout comme l'abside que Gaudí a réalisée juste après. À cette époque, quand les architectes concevaient une église, ce style était à la mode. C’était l’époque des « revivals » et le Moyen-Âge et le romantisme étaient en vogue. Gaudí commence alors le projet en s’inspirant de ce style néo-gothique mais, progressivement, il va le modifier car c’est un architecte dont la pensée conceptuelle évolue beaucoup, et avec ce cheminement, la Sagrada Família se transforme.
Quand il finit l’abside, il décida de faire l’une des façades du transept. Il la dédia à la Naissance du Christ. C’est le côté où le soleil se lève et la naissance du soleil renvoie l’image de la naissance de Christ. Il essaie de réunir architecture, nature et religion. Ici, nous sommes face à la joie de vivre, à la flore, à la faune. Les premiers rayons de soleil surplombent cette façade. Elle est remplie de détails et de scènes de la vie de Jésus (la naissance, l'Epiphanie, l’annonciation aux bergers, le Massacre des Innocents…) et au milieu des 4 tours, on trouve un cyprès, symbole de l’éternité, car ses feuilles sont toujours vertes et il semble vouloir toucher le ciel.
De l’autre côté du transept, et après la mort de l’architecte, la façade dédiée à la passion, à la mort et à la résurrection du Christ telle que Gaudí l’avait dessinée, a été abattue. Il ne faut pas oublier que le soleil se couche toujours de ce côté. C’est la mort de la lumière – et donc celle du Christ – qui semble avoir lieu. Les 4 tours ont été achevées en 1987 et le projet sculptural a été confié à Josep María Subirachs qui a réalisé les différentes scènes de la passion (la flagellation, Pilate se lavant les mains, le reniement de Pierre, Véronique, les soldats, la crucifixion, etc…), ainsi que la figure dorée de la résurrection sur le pont reliant les tours. Il faut remarquer que cela a été fait en toute liberté par Subirachs et qu’il a changé, par exemple, l’ordre des scènes par rapport à un dessin que nous avons retrouvé de Gaudí. Mais au-delà de la décoration sculpturale, l’architecture reste toujours fidèle à Gaudí.
La façade principale qui reste à construire sera dédiée à la Gloire. Elle aura 4 tours consacrées aux apôtres André, Pierre, Paul et Jacques. Il y aura 8 colonnes qui symboliseront les 8 Béatitudes (heureux les pauvres en esprit, heureux les affligés, heureux les doux, heureux les affamés et assoiffés de la justice, heureux les miséricordieux, heureux les cœurs purs, heureux les artisans de paix, heureux les persécutés de la justice) et 7 portes de bronze qui représenteront les 7 Sacrements (de gauche à droite : le baptême, l'onction des malades, l'ordination, l’Eucharistie, la confirmation, le mariage et la confession)2. De chaque côté de la façade principale, il y aura deux nouvelles constructions : celle d’un baptistère avec de l’eau et une chapelle pour la confession où sera représenté un feu. Voyons maintenant ce qui va se passer avec l’espace s’étalant devant la façade, espace actuellement occupé par des logements. Il est évident que l’entrée principale d’un tel monument, si grand et si haut, a besoin d’une grande place ou d’un vaste lieu pour que les gens puissent le regarder et l’admirer avec suffisamment de distance physique.
En revenant chronologiquement sur le thème de la construction, après que les deux façades du transept ont été abattues, les travaux se sont concentrés à l’intérieur de l’église. On y trouve 5 nefs séparées par des colonnes qui se divisent en différentes branches s’élevant jusqu’aux voutes comme une forêt de pierre. Avec cette solution de supports inclinés, on ne peut avoir d’arc-boutant ou de contrefort. C’est l’une des grandes contributions de l’architecte à l’histoire de la construction. Même les voutes, faites avec des hyperboloïdes, sont une nouveauté formelle et technique3.
Une fois l’intérieur terminé, le Pape Benoît XVI est venu consacrer l’église et il lui a donné le titre de Basilique, le 7 novembre 2010.
Les 6 tours centrales ont ensuite été la priorité (elles représentent la Vierge, les évangélistes et Jésus). L’idée était de finaliser le monument en 2026, 100 ans après la mort de Gaudí, mais la pandémie de la COVID 19 a rendu impossible sa réalisation. Pour le moment, on estime que la fin du projet aura lieu autour de 2030. Il reste à terminer la tour de Jean, celle de Matthieu et la tour centrale de Jésus-Christ. Il restera également à construire la façade principale avec ses 4 tours dédiées aux apôtres.
L’originalité d’Antoni Gaudí réside dans le fait qu’il ne se concentrait pas seulement sur la nature en tant qu'élément décoratif, comme le reste des architectes de l'époque. Il est allé plus loin : il a observé la nature pour remarquer sa structure et son fonctionnement, et il a transféré ses observations au sein de son projet architectural, ce qui lui donne ce caractère si différent. Lorsque nous regardons les colonnes de cet édifice nous y voyons des arbres, ce qui ne laisse personne indifférent.
Je voudrais enfin aborder la perception de la Sagrada Família par les barcelonais. Lorsque les travaux ont repris quelques années après la guerre civile espagnole, des interrogations concernant la basilique ont surgi : pourquoi faut-il une autre église à Barcelone ? Pourquoi, si Gaudí est mort, faut-il poursuivre son édification ? De plus, l’Art Nouveau est tombé en désuétude et l’architecture moderne a fait son entrée dans l’Histoire avec d’autres figures telles celles de Le Corbusier, Mies ou Wright. L’École Technique Supérieure d’Architecture de Barcelone est imprégnée de cette ambiance rationaliste et fonctionnaliste et cela n’a plus rien à voir avec Gaudí et ses projets. Par ailleurs, la génération ayant étudié l’architecture à Barcelone pendant les années 60, 70, 80 n’a jamais entendu parler de cet architecte original ni de ses œuvres. C’est une donnée importante qui montre la persistance de deux camps opposés : l’un qui admire Gaudí et ses bâtiments et qui veut voir la Sagrada Família achevée, et l’autre qui n’aime pas Gaudí, ni son architecture, ni même l’idée de continuer l’église.
Mais une chose est évidente : la Sagrada Família attire les touristes. On recense encore 4 millions et demi de visiteurs chaque année. 7 bâtiments de Gaudí ont été inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO. Les chiffres parlent, comme les pierres des monuments.
[1] Voir Alberto T, ESTÉVEZ, Gaudí, Madrid, Tikal, 2011, p. 185-205.
[2] Jordi BONET, Armand PUIG, Arquitectura i símbol de la Sagrada Família, Barcelona, Pòrtic, 2013, p. 41-42.
[3] Jordi FAULÍ, La Basílica de la Sagrada Família, Madrid, Editorial Palacios y Museos, 2019, p. 90-95.
Résumé
La Sagrada Família fait partie de l'imaginaire culturel des barcelonais ; ils la voient grandir depuis longtemps. Sa signification a changé au cours des années pour la ville de Barcelone et pour ses habitants. C’est une église catholique mais c’est aussi un monument visité par 4,5 millions de personnes chaque année. C’est donc un lieu religieux, un lieu de culte, autant qu’un lieu touristique.
Cet article vise à analyser la symbolique religieuse de l'ensemble de l’édifice et de la façade de la Gloire en particulier, dont la fin des travaux clôturera la construction du monument après presque 150 années de chantier et modifiera la perception des citoyens.
Resumen
La Sagrada Família forma parte del imaginario cultural de los barceloneses; la ven crecer desde hace mucho tiempo. Su significado para la ciudad de Barcelona y para sus habitantes ha cambiado a largo de los años. Es una iglesia católica, pero también es un monumento visitado por 4,5 millones de personas cada año, por lo tanto, es un lugar religioso, un lugar de culto, a la vez que lugar turístico.
Este artículo analiza los símbolos religiosos del monumento y particularmente los de la fachada de la Gloria, con la construcción de la cual se acabará el edificio 150 años después del inicio de la obra, lo que cambiará la percepción de los ciudadanos.
Judith URBANO
Universitat Internacional de Catalunya
BONET, Jordi, PUIG, Armand, Arquitectura i símbol de la Sagrada Família, Barcelona, Pòrtic, 2013.
ESTÉVEZ, Alberto T., Gaudí, Madrid, Tikal, 2011.
FAULÍ, Jordi, La Basílica de la Sagrada Família, Madrid, Editorial Palacios y Museos, 2019.