Dans le titre « Méta-botanica »1, il y a l’idée d’un écart : le préfixe ‘méta’ est d’origine grecque et signifie « qui transcende, qui dépasse, qui va au-delà », tandis que ‘botanica’ vient du latin et renvoie à une science tout en désignant ce qui concerne plus généralement les plantes et herbes. Le projet répond à un désir de connaissance, mais il vise à dépasser les réflexions menées dans le cadre de la science botanique et de trouver une méthode originale, tournée autour du sensible. Il ne s’agit pas d’élaborer une méthode universelle, mais d’explorer les aspects tactiles et auditifs des plantes à partir d’une attitude empathique envers les plantes. Autrement dit, il est question de les découvrir à partir de deux sens qui ne sont pas prégnants pour les botanistes et de réinvestir le langage en identifiant des termes à même de fixer le souvenir, de favoriser la curiosité et de porter attention aux moments d’interaction.
Méta-botanica regroupe trois œuvres, soit Jardin tactile, Hexplore, et Méta-botanica. La première est l’objet de cette publication. Il s’agit d’envisager un jardin tactile et sonore élaboré selon une approche sensible et contextuelle et de questionner la visualisation de données comme méthode de représentation. Hexplore est la suite du projet sous la forme d’étiquettes illustrées placées dans le jardin sensible (ou dans un autre environnement) que l’on peut scanner pour rassembler des éléments numériques (sons, images, 3D, textures…). Tandis que l’œuvre Méta-botanica explore les outils de réalité virtuelle pour la modélisation des plantes, les caractéristiques tactiles et l’expérimentation du toucher.
J’ai visité plusieurs jardins botaniques (Montréal, Québec, Vancouver) afin de trouver des plantes singulières, ces lieux étant propices aux découvertes des plantes de collection inusitées (jardin botanique, jardin spontané, jardin d’ornement). La cour des sens du jardin botanique de Montréal, où des recherches de botanistes et de personnes ayant des déficiences visuelles ont été effectuées, a facilité ma recherche. Par contre, la majorité de ces plantes ne résistent pas aux conditions climatiques du Québec et sont probablement rentrées en serre en hiver, ce qui pose la question des zones de résistances.
Une résidence de création artistique au Parc culturel d’Arts et de rêves (à Sutton, Québec) m’a permis d’explorer le parc de sculpture de ce lieu de création, un lieu laissé en friche où des plantes de la flore spontanée québécoise se retrouvent. J’ai aussi fréquenté deux jardins de particuliers en Colombie-Britannique, qui ont été l’occasion d’observations sur plusieurs mois. Les bords de route, la forêt ou des lieux de coupe combinant plantes sauvages, indigènes et pionnières ont permis de connaître davantage la flore de cette région.
Lors de mes expériences antérieures en création artistique, qui se sont déroulées en milieu urbain2, j’ai réalisé que le toucher n’est pas un sens facile à appréhender, puisqu’il relève de l’hygiène (« c’est sale »), de la distance interpersonnelle3 et de la transmission de maladies. Par ailleurs, dans le cadre quotidien, le toucher est soumis à des règles de « normalité » : on ne peut pas toucher de telle ou telle façon sans que les actions soient interprétées comme normales ou anormales par les autres4. Autrement dit, le toucher n’est accepté que dans le cadre d’échanges socialement normés. D’une manière générale, le toucher s’inscrit dans des activités où le contact est obligatoire, notamment lors d’interactions avec des objets, ou des interfaces et des relations sociales. Le toucher comme modalité perceptive est donc utilisé dans le cas d’interactions obligatoires ou de codes sociaux bien définis.
Puisque le geste de toucher les plantes n’entraîne pas les mêmes conséquences que le toucher entre humains, celles-ci offrent la possibilité de réinvestir le sens du toucher, d’aborder une dimension qui serait plus « acceptable » d’un point de vue social et comportemental. Par exemple, le Jardin des sens situé dans le Jardin botanique de Montréal permet d’expérimenter le végétal à partir de l’expertise des personnes ayant des déficiences visuelles. Ce qui donne l’occasion aux visiteurs d’explorer les plantes à partir des caractéristiques tactiles.
Aborder les dimensions tactiles des plantes serait donc d’une part une manière de franchir la barrière des interdits de toucher socialement ancrés et d’autre part une manière de voir ce que les plantes ont à nous apprendre des dimensions du toucher. Il s’agit dans un premier temps de créer des moments de conscience pour envisager la complexité et la diversité des dimensions et des interactions tactiles.
Pour ce qui est du sonore, je travaille dans la perspective des recherches menées au CRESSON (Centre de recherche sur l’espace sonore et l’environnement urbain) depuis une dizaine d’années, notamment par la création d’expériences sonores contextuelles. L’intérêt du sonore relève de son caractère immersif, transmissible, facilement captable.
Pour la présente recherche, je me suis appuyé sur l’ouvrage de Pierre Schaeffer, Traité des objets musicaux qui propose un « solfège des objets sonores », c’est-à-dire un système de classification de tout l’univers sonore basé sur les critères d’écoute complètement redéfinis pour être applicables à n’importe quel phénomène audible5.
L’objet sonore est défini comme le corrélat de l’écoute réduite : il n’existe pas « en soi », mais à travers une intention constitutive spécifique. Il est une unité sonore perçue dans sa matière, sa texture propre, ses qualités et ses dimensions perceptives propres. Par ailleurs, il représente une perception globale, qui se donne comme identique à travers différentes écoutes ; un ensemble organisé, qu’on peut assimiler à une « gestalt » au sens de la psychologie de la forme6.
Selon Schaeffer, il n’y a pas d’objet sonore en dehors d’un sujet percevant. On peut donc choisir de s’arrêter à la matière, à la texture auditive, à la forme : cette attitude dite d’écoute réduite est une écoute attentive, tournée vers le son lui-même7.
Pour l’étude des « objets sonores » de dix secondes à une minute émanant des plantes, je me suis inspiré du travail de classement de Pierre Schaeffer. J’ai notamment réutilisé les notions de genre, d’épaisseur, de grains et de masse, de texture dynamique, de variation du grain, de module serré ou large. Il faut tout de même préciser que Schaeffer cherche à s’éloigner du référentiel, qu’il cherche le son pur, à savoir le solfège. (Par ailleurs, il ne considère pas les plantes dans son étude des objets sonores.) L’enjeu a consisté à voir si je pouvais reprendre cette classification pour le son des plantes.
De son côté, R. Murray Schafer (écologiste, compositeur canadien, initiateur de l’écologie acoustique) se tourne plutôt vers le paysage sonore issu du monde réel8. Il cherche à comprendre ce qui produit des sons, de manière à développer une autre écoute à l’échelle du paysage et à produire des compositions sonores.
Enfin, la troisième approche que j’ai abordée est celle du CRESSON (Centre de Recherche sur l’Espace Sonore et l’Environnement Urbain à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble). Au lieu de s’intéresser au son, il s’agit de se pencher plutôt sur les effets et les ambiances sonores par rapport au corps en mouvement. Dans le cas qui nous intéresse, la plante produit des effets en interaction avec la main : c’est ce qui déclenche l’objet sonore. Autrement dit, l’échelle se situe à mi-chemin entre celle de Schaeffer (solfège de sons purs) et de Schafer (paysage sonore), à un niveau médian.
Il y a plusieurs exemples d’artistes sonores qui se servent de capteurs sur les plantes pour créer de la musique expérimentale (John Cage, João Ricardo, Pulsu(m) Plantae), mais il n’est pas nécessairement question de cultiver une attention soutenue au monde végétal. De tels artistes envisagent la plante comme tout autre instrument musical9, c’est-à-dire comme un outil pour produire de nouveaux sons.
Même si certaines plantes, comme Mimosa pudica, appellent le toucher en raison de leurs feuilles qui se rétractent lors d’un contact ou d’un mouvement, il n’y a pas d’expérimentations artistiques concernant le toucher et le végétal. Le tactile est pourtant un vaste champ d’expérience en arts, notamment dans la conception d’interfaces haptiques en design10 et dans le domaine du land art. Or, à notre connaissance, l’exploration du toucher végétal ne semble pas avoir été menée.
Par ailleurs, très peu d’artistes combinent l’auditif et le tactile pour développer de nouvelles relations avec les plantes. L’installation artistique « Akousmaflore » de Grégory Laserre et Anaïs met den Ancxt en est une exception. Comme l’expliquent les deux artistes :
Akousmaflore est un jardin composé de véritables plantes musicales réactives à nos frôlements. Chaque plante s’éveille au moindre contact humain par un langage, un caractère sonore. Sensibles à notre énergie électrostatique, les plantes réagissent au toucher et à notre proximité. Ainsi, lorsque les spectateurs les caressent ou les effleurent, celles-ci se mettent à chanter11.
Les artistes jouent le rôle de traducteurs interspécifiques dans ce cas-ci pour donner une voix « unique » à chaque plante, ce qui permet au spectateur de reconnaître une plante comme individu et par là même d’établir un rapport avec elle.
Contrairement à l’interaction tactile qui se résume à l’acte d’arracher la plante, de couper la fleur ou de faire une greffe, cette exposition permet de concevoir la plante comme sujet capable de perception. Mais les plantes demeurent en pot, suspendues en l’air dans une galerie d’art, ce qui a pour effet de limiter la capacité de la plante de croître et de se mouvoir. D’autre part, le visiteur de l’exposition touche la plante comme s’il s’agissait d’un bouton sans vraiment prêter attention aux touchers différents ; c’est un simple contact et c’est tout. Le déclenchement sonore ne suscite pas vraiment de réflexion sur le geste, la vision des artistes semble très anthropomorphique, comme le montre bien l’usage du verbe ‘chanter’ dans la citation plus haut.
Il faut d’abord rappeler que ce projet avait un double objectif : un objectif « scientifique » puisqu’il s’agissait de proposer une autre manière d’identifier les plantes à partir du toucher et du son, autrement dit d’ajouter des éléments tactiles et sonores aux caractéristiques botaniques pour en donner une définition plus complète ; et un objectif lié à l’exploration du registre sensible, visant à nommer les sensations ressenties au toucher, à les traduire en sons, à identifier les connotations associées aux terminologies tactile et auditive.
La tension entre sensibilité et scientificité (caractère de ce qui est scientifique) s’est traduite par un souci de rigueur, visible notamment dans la création de modèles systématiques, d’où la prolifération de catégories, de listes, de matrices, etc. La réflexion au sujet du vocabulaire à employer a également été au cœur du projet : dans quelle mesure doit-on emprunter aux scientifiques leur vocabulaire, très spécifique, ou bien doit-on opter pour la vulgarisation, afin de s’assurer que le plus grand nombre comprenne le discours ? Nous avons remarqué que la création lexicale propre au discours scientifique émane souvent de l’observation minutieuse des plantes et qu’elle n’est pas liée à la sensation humaine (échinulé par exemple « se dit d’un organe couvert de très petites pointes fines et raides »)12. Nous avons donc décidé de privilégier les termes qui étaient en rapport direct avec une sensation tactile ou auditive : les termes de ‘gluant’, ‘piquant’, ‘doux’, ‘duveteux’, ‘rêche’ évoquent une image dans l’esprit des promeneurs et des promeneuses. D’ailleurs, ils sont souvent connotés : le gluant engendre un geste de répulsion, tandis que le duveteux suscite une émotion agréable, sans compter que chacun.e associe certaines connotations à partir d’expériences personnelles vécues. C’est donc en nous situant à mi-chemin entre scientificité et sensibilité que nous avons délimité les catégories de descripteurs.
À plusieurs reprises au cours des différentes explorations, nous avons senti la nécessité de revenir vers les plantes, de les toucher, de les écouter, de laisser notre sensibilité s’affiner à leur contact. Un peu comme si celles-ci exerçaient une pression sur nous, qui contrebalançait notre désir de scientificité.
Notre objectif était d’augmenter le spectre des aspects sonores ou auditifs liés au végétal en « ouvrant les sens », pour reprendre les mots de Kenneth White13. Selon lui, en effet, la démarche géopoétique combine les dimensions sensible et intellectuelle. Même s’il n’évoque pas la dimension végétale, il va de soi que celle-ci joue un rôle fondamental dans notre rapport au monde dans la mesure où nos fonctions de base (respirer, manger, se soigner…) sont assurées grâce aux plantes. Le but de la géopoétique étant d’intensifier le lien entre l’être humain et la terre, est-il possible d’intensifier le lien entre l’être humain et la plante en accentuant la dimension sensible de l’interaction ? C’est ce que nous avons expérimenté sur nous-mêmes dans un premier temps ; et nous nous sommes aperçus que nous en savions très peu finalement sur les dimensions sensibles. Bien souvent, la vue « cache » les autres sens : elle est le sens prédominant dans nos sociétés occidentales, nous sommes tellement habitués à observer visuellement les plantes que les autres sens s’en trouvent délaissés.
Dans Les Cinq Sens. Philosophie des corps mêlés, le philosophe Michel Serres explique que « [l]’abstraction coupe le corps sentant, retranche le goût, l’odorat et le tact, ne garde que la vue et l’ouïe, intuition et entendement. Abstraire signifie moins quitter le corps que le déchirer en morceaux : analyse »14. Notre intention ici n’est pas de diviser les trois sens les plus importants du projet, à savoir la vue, le toucher, et l’auditif, pour en faire un corps « déchiré ». Mais il nous semble important d’identifier le rôle de chaque sens afin de mieux comprendre les différents enjeux lorsqu’il est question de rencontrer les plantes, d’interagir avec elles. En même temps, nous nous intéressons à la porosité sensorielle, c’est-à-dire au moment où les limites entre les corps s’estompent et où l’on se demande : qui touche qui ? qui entend qui ? qui voit qui ?
La vue est souvent considérée comme le sens dominant chez l’être humain, celui qui permet de construire un monde à partir d’un ensemble d’observations d’après le modèle phénoménologique occidental15. Dans le cas des plantes, il est particulièrement intéressant de constater que cette dominance du visible comme modèle de la compréhension, de la clarté, de l’évidence a mené à un certain aveuglement. Comme l’affirme le botaniste Francis Hallé, nous ne voyons plus la présence quasiment constante des plantes dans notre environnement quotidien comme les herbes tenaces qui poussent dans le gravier, ou les feuilles d’érable sur le trottoir en automne. Si nous commençons par le rôle de la vue dans le projet Méta-botanica, c’est pour nous demander s’il est possible de « re-voir » les plantes selon d’autres modèles phénoménologiques, comme celui de la visite chez Michel Serres où le corps « excède toujours son site, par déplacement »16. Comment raconter ce corps qui visite les plantes sans tomber dans un modèle du voir comme analyse, comme découpage, comme maîtrise de la matière végétale ?
Dans le cadre du projet Méta-botanica, la vue n’a pas pu être écartée ; elle se présente même comme le sens premier pour observer la situation des plantes, leur apparence, la position des feuilles à toucher, le danger potentiel avec des épines apparentes. Seulement, il s’agit d’utiliser la vue comme outil de curiosité pour explorer n’importe quelle plante. L’approche suppose d’arpenter, d’affiner le regard, pour aller chercher des plantes qui se cachent entre les autres. C’est le cas de Pilosella aurantiaca, qui forme des tapis dans les gazons qui sont souvent tondus et qui était présente dans tous les sites étudiés. Comme si elle était toujours là, mais invisible.
Figure 1: photo de Pilosella aurantiaca
Grâce à l’observation, la sélection de plantes classées peut être organisée sous la forme d’une arborescence pour trouver ou proposer des catégories et regroupements, une méthode qui rejoint l’approche scientifique de classification. Les feuilles similaires peuvent être comparées entre elles, pour arriver à une collection de formes dans le lieu étudié. Leur taille peut être un élément à noter pour caractériser le geste par la suite. Par ailleurs, nous pouvons nous demander si une particularité tactile intéressante se retrouve uniquement dans l’espèce ou aussi dans le genre ou la famille.
Il importe néanmoins de faire attention aux points suivants :
- La vue s’avère assez pauvre pour saisir toutes les dimensions tactiles et donc le toucher s’impose pour définir les caractéristiques plus précises. Par ailleurs, le toucher permet parfois de découvrir par surprise une caractéristique invisible (comme la pilosité par exemple). Si l’on regarde un Lamium galeobdolon ou un Rubus parviflorus, on ne peut apprécier son léger duvet qu’en le touchant.
Figure 2 : photo de Rubus parviflorus
- Certaines plantes ont des bords dentelés qui n’ont que peu d’impact au toucher. Se limiter à la vue engendre dans ce cas une erreur d’interprétation basée sur l’exagération de cette caractéristique. (ex: Sambucus ebulus L.).
- La prédominance de la vue a tendance à privilégier l’instant présent, alors qu’il importe de considérer l’évolution de la plante dans le temps. (Par ex: Les nouvelles pousses de Eriobotrya japonica ont un aspect feutré alors que les feuilles matures sont dures, lisses et nervurées).
Quand l’humain commence à toucher les feuilles des plantes, il se rend compte rapidement que les feuilles induisent des gestes particuliers. L’agilité de la main, ainsi que la feuille, amène une prise particulière, ou ce que James Gibson appelle « une affordance physique »17. En effet, le toucher s’effectue par la pression, le mouvement de la peau et la stimulation des capteurs. Le pouce et l’index coordonnés permettent de saisir les bords de la feuille opposés en même temps, afin de mieux identifier leur configuration dentelée, lisse ou crénelée. La douceur inhérente à la surface de certaines feuilles suscite quant à elle l’ouverture de la main pour faire glisser toute la surface de la paume à la surface supérieure de la feuille. Si une branche comporte de multiples feuilles, elle aura tendance à être empoignée et occasionnera un glissement vers soi. De la même façon, constater l’adhérence d’une plante lisse entraînera le geste de tirer la feuille à l’aide d’une pression constante entre le pouce et l’index.
Selon la taille et la forme des feuilles (ou groupe de feuilles), une chorégraphie de la main s’impose. De mini-séquences concernant différentes parties végétales peuvent se succéder pour en explorer toutes les caractéristiques. Dans le cas d’une feuille moyenne, les cinq doigts permettent de saisir la feuille, mais seul le pouce effectue le toucher en mouvement.
Figure 3 : planche contact main-feuille
Figure 4 : graphique des actions du toucher
Le toucher regroupe donc différentes actions : on peut plisser une feuille épaisse pour entendre l’effet produit, mais un geste et un contact plus fermes sont parfois nécessaires pour tester son adhérence. Pour saisir une plante (comme certaines ronces), qui a une feuille à la fois piquante et douce en dessous, lisse et rugueuse au-dessus, il est nécessaire de mélanger plusieurs descripteurs contradictoires.
La main touche, mais aussi les pas … Certaines plantes peuvent être sans intérêt tactile à première vue, mais leur situation peut les rendre vraiment intéressantes. Par exemple, en forêt, Gaultheria shalom Purdh longe le chemin. C’est une plante résistante au piétinement, donc qui persiste là. En marchant, on la frotte avec les bas de pantalon.
Le son est un effet de l’expérience. En touchant les feuilles des plantes, des sonorités émergent. Il est intéressant de pouvoir les enregistrer pour capter une partie de l’expérience, une trace tangible, que l’on pourra alors analyser afin d’établir des relations entre les sonorités et les dimensions du toucher.
Pour la caractérisation tactile des plantes, la difficulté a été de capter ces dimensions et de les enregistrer pour avoir une trace, la photographie ou le dessin n’offrant pas la possibilité de rendre compte de cette expérience. De plus, il n’a pas été toujours possible de rester plusieurs heures avec la plante pour la dessiner et la caractériser. Le son devenait donc un média intéressant pour capter une certaine réalité de cette expérience.
Figure 5 : photos avec son
Ancistrachne numaeensis (bal)
Berberis repens
Pilosella-aurantiaca
Différents enregistrements de la sonorité du geste ont été conduits comme méthode de capture de l’expérience tactile. Au début de l’expérimentation, un microphone de type directionnel a été utilisé pour capter les mouvements de l’air. Ce procédé d’enregistrement a été ensuite abandonné, les bruits parasites nuisant aux enregistrements. La pollution sonore d’origine humaine, la présence d’une rivière ou les sons des insectes venant butiner les fleurs interféraient dans les prises de sons.
Par ailleurs, les feuilles molles n’émettent pas forcément des sons très forts et significatifs, mais des vibrations sont émises à leur contact. Quand on touche une feuille, une vibration se transmet à l’ensemble de la plante. L’installation d’un microphone de contact sur la tige ou à la base des feuilles a donc rapidement été privilégiée pour capter l’expérience du toucher et sa nature vibratoire, sans interférence18.
Trois approches complémentaires se sont imposées :
1) Une approche référentielle qui cherche à identifier la source du son, la plante en référence et sa caractéristique audible ;
2) Une approche non contextualisée qui observe le son pour lui-même, dans une écoute de la texture sonore en tant que fait indépendant ;
3) Une approche du son en tant qu’effet sonore, autrement dit qui cherche à caractériser certaines particularités, notamment en termes d’effet produit sur l’auditeur entrant en interaction avec la plante.
Écoute référentielle :
- Établir une correspondance entre le son et la dimension tactile ;
- Capacité de distinguer une feuille pileuse d’une feuille piquante ou d’une feuille lisse.
Écoute non contextuelle :
- Déterminer la nature du son ;
- Capacité de noter les variations entre différentes feuilles pileuses pour déceler la nature du grain.
Écoute des effets (médian, phénoménologique) :
- Déterminer l’effet produit par un geste en fonction d’une caractéristique de la plante.
Exemple : l’effet de crissement produit par une feuille lisse et linéaire.
Pour classer les sons et les regrouper selon une écoute comparative, l’un des défis était de transmettre des sensations tactiles avec le son. Par ailleurs, plusieurs questions se sont posées : à l’écoute des enregistrements (et sans microscope), peut-on observer les différences de pilosité entre certaines plantes pour préciser leurs caractéristiques ? Peut-on déceler dans certains effets produits, notamment le crissement, des propriétés de la surface, notamment la présence de cire ? Peut-on fragmenter, puis recomposer les sons pour faciliter la compréhension des caractéristiques tactiles ?
Figure 6 : graphique des sons enregistrés
À travers cette analyse, il est possible de définir d’autres propriétés tactiles : par exemple, la capacité des feuilles à produire du son entre elles, grâce à un tiers externe, comme le vent ou l’animal. Pensons au Populus tremuloides produisant un chuintement au vent, mais aussi aux feuilles piquantes des Berberis repens qui se frottent entre elles si un animal traverse leurs branchages19.
En feuilletant un livre de botanique comme La Flore nordique du Québec et du Labrador, on remarque qu’il existe bien des termes savants pour caractériser la pilosité de la plante20. Dans certains cas, le nom de la plante est issu de ses caractéristiques pileuses et devient un indice pour l’identifier, comme Crassula Pilosa ou Bidens Pilosa, Hieracium villosum, Solanum villosum, Pennisetum villosum. Or, les adjectifs désuets et rares (comme ‘tuberculé’, ‘verruqueux’, ‘ombonné’) ne disent parfois rien aux passionnés de plantes qui veulent tout de même pouvoir identifier la texture des plantes sous leurs doigts21. Par ailleurs, les termes botaniques se réfèrent parfois à des pilosités qu’on ne peut même pas sentir avec la peau de la main, car elles ne sont perceptibles qu’avec un microscope ou une loupe. Plutôt que de réduire l’écart entre le langage et le réel, la science botanique augmente une technicité acquise grâce à un certain nombre d’outils et non pas grâce à l’expérience.
Le projet du Jardin tactile vise à trouver des descripteurs pour nommer et qualifier les différentes dimensions du toucher sans recourir à la vue comme sens dominant, sans rétablir l’observation comme modèle épistémologique. Mais comment trouver un moyen d’établir un lien entre le langage, la capacité de nommer et l’expression d’une sensation tactile ?
D’abord, j’ai choisi de revenir à l’expérience immédiate des plantes. La méthode utilisée a été de faire un inventaire des dimensions tactiles, en explorant des plantes ornementales, sauvages et comestibles. Une première liste de termes communs a été élaborée qui a permis de préciser les différences évidentes d’une plante à l’autre. Quand les termes rencontrés lors de cette première expérience ont été épuisés, il s’est avéré nécessaire de partir du langage pour ensuite aller vers les plantes. Par exemple, la définition de l’adjectif scabre (adj.) ––« un organe dont la surface ou la marge sont garnies de petites protubérances aiguës la rendant très rugueuse au toucher »–– a suscité un retour sur le terrain pour trouver une feuille « très rugueuse au toucher » comme par exemple l’Helianthus tuberosus. Ainsi, certains synonymes venaient apporter des nouvelles caractéristiques à considérer pendant les activités sur le terrain et permettaient de découvrir des dimensions non explorées de certaines plantes déjà bien connues.
Figure 7 : graphique des adjectifs du toucher
Or, la définition de termes savants a également donné lieu à des réflexions sur ce qui constitue l’expérience de telle ou telle qualité. Par exemple, l’adjectif hispide (adj.) se dit « d’un organe densément couvert de poils fins, raides et piquants », mais on peut se demander ce que signifie l’expérience piquante dans ce cas-ci. De même, la mention de particularité pileuse dans un texte botanique peut déclencher une réflexion sur la justesse de tel ou tel mot ou sur le choix de telle ou telle qualité. Tout compte fait, cette deuxième étape de recherche théorique sur les descripteurs a révélé les enjeux importants de nommer et de connaître.
Figure 8 : graphique des adjectifs du toucher et des synonymes
Quelques réflexions supplémentaires ont découlé de la tentative de faire le lien entre le langage et l’expérience tactile de la plante :
- Les descripteurs ne renvoient pas tous à la même partie de la plante et donc il peut y avoir des variations importantes dans la caractérisation de la plante selon qu’on touche la tige, la feuille, le pétale, etc.
- La pilosité peut exiger un certain mouvement de la main ou du doigt dans un sens plutôt que dans un autre (par exemple, dans le sens du poil, à rebrousse-poil). Il convient donc d’établir une liste de ces correspondances qui signalent un accord tacite entre le corps humain et la plante en question.
- Les termes permettent d’enrichir le vocabulaire pour parler des plantes, pour les découvrir, les identifier et les connaître. Mais ce vocabulaire enrichit-t-il également la façon de toucher les plantes ? S’agit-il d’inventer de nouveaux gestes en fonction des mots ? Quel est le retour sur le réel de cet enrichissement de la langue ? Dans quelle mesure le vocabulaire convoqué aide-t-il à affiner la description des sensations ?
- Enfin, le mélange d’expériences immédiates sur le terrain et de recherche théorique de descripteurs soulève la question du rôle du hasard dans l’interaction tactile avec les plantes. Qu’en est-il de la branche basse qui nous égratigne la joue sur le sentier ? Ou de la main qui effleure une vigne en passant, ce qui change la direction de la croissance de ce végétal ?
Les termes d’un lexique de base ont été organisés afin de classer les descripteurs et de faire une liste des caractéristiques. L’ensemble des qualificatifs a été regroupé pour représenter un éventail de possibilités comme ‘duveteux’, ‘spongieux’, ‘accrochant’, ‘piquant’, ‘pileux’, ‘cireux’, ‘collant’. En fournissant un nombre limité de termes compréhensibles, le projet cherchait à encadrer l’expérience des sensations tactiles. La grille terminologique servait à organiser les expériences en termes de gradation, de relations et d’antonymie.
Figure 9 : carte-radar de caractérisation tactile de cinq plantes
Les descripteurs opposés ont été utilisés pour réaliser une carte radar (ou carte polaire). Cet outil permettait de schématiser l’importance de chaque dimension tactile de la plante, d’en relier plusieurs dimensions, tout en comparant des plantes à partir du même principe de visualisation. En se servant de la carte radar, une personne pouvait prendre conscience de ses sensations, les interroger, les différencier, les affiner en les traduisant en mots, autrement dit, en prenant conscience de ce qu’elle ressentait. Après avoir demandé à un groupe de testeurs de se servir de la carte-radar et des termes prédéfinis pour qualifier le contact avec les feuilles, les résultats ont été comparés, les différences ont été notées.
C’est ainsi qu’une relation entre le geste et le ressenti a été établie. Par exemple, en tenant compte du geste pour les plantes ayant une forte pilosité, le ressenti sera différent si l’on va dans le sens du poil ou à rebrousse-poil : deux sensations très différentes seront perçues.
On peut aussi s’interroger sur les valeurs du ressenti : entre le doux et le piquant, le premier est généralement valorisé. Y a-t-il une échelle de valeur du ressenti ? Comment classer un doux ou un piquant sur une valeur de 1 à 5 ? Autrement dit, comment établir la pondération ?
Enfin, on peut se demander si l’intention change le ressenti. Il suffit de penser à certaines plantes urticantes, comme l’ortie, qui ne piquent pas certaines personnes, ou du moins pas à certains moments. C’est un phénomène étrange, qui a donné lieu à toutes sortes d’explications et qui laisse croire que l’état d’esprit de la personne affecte la réaction qu’elle entretient avec la plante22.
Dans le cas du Jardin tactile, les outils graphiques permettent d’aller interroger un milieu végétal, de structurer la recherche pour récolter des informations sensorielles. Ils sont utilisés pour réduire l’écart entre données rationnelles et données sensibles. L’une et l’autre ne sont plus en opposition.
La visualisation de données a été explorée, pour faire de la recherche sur le terrain et classer des informations, mais aussi pour créer une tension entre les formes de représentation et la structure du végétal. Les schémas (par exemple, diagramme alluvial, rayonnant, en arc, enveloppe convexe, dendrogramme circulaire, matrice, carte radar), ont en commun avec le monde végétal d’utiliser des formes d’arborescence, entre autres.
Le projet joue donc avec les formes de représentations scientifiques. Il les adapte tantôt pour mettre à l’épreuve les outils scientifiques, tantôt pour transmuer les données abstraites en formes figuratives. Les figures géométriques tendent vers des figures plus complexes, pour représenter le monde végétal.
Le site web mettra à disposition des internautes un jardin d’expérimentation virtuel (avant de réaliser un véritable jardin tactile en plein air) afin qu’ils puissent explorer les différentes facettes du projet. Les schémas graphiques intégreront la dimension sonore à la visualisation des données en faisant jouer des enregistrements sonores lorsque l’internaute passe sa souris sur des zones spécifiques. Pour l’instant, le site web est structuré en trois niveaux ou sections :
- L’histoire et le récit du projet présentent la démarche, les essais-erreurs et les choix opérés ;
- L’expérience virtuelle permet d’expérimenter les schémas et les contenus audios ;
- Une dernière partie permet de télécharger les modèles et de tester la démarche dans une approche participative23.
Le volet virtuel du projet n’est pas seulement lié à la représentation du monde ; il cherche à créer un outil pour capter des données servant à réfléchir à la perception audio-tactile des plantes et à offrir à d’autres participants l’occasion de refaire la démarche par eux-mêmes. La « partition web des sensations tactiles et sonores » a pour but d’amener les participant.e.s à décaler leur perception habituelle du végétal de manière à ouvrir leurs sens. La dimension sensible se manifeste également sur le mode virtuel, en particulier quand on cherche à induire des sensations tactiles par le moyen de certaines interfaces haptiques24. Pour intégrer les schémas dans le jardin virtuel, on pourrait s’inspirer des plans de l’architecte paysagiste Roberto Burle Marx (1909-1994), des plans et des aménagements très graphiques, très anthropocentrés25.
Le site web du projet mettra en place un plan d’aménagement et constituera un lieu d’exploration pour la création et par là même constituera un jardin de connaissances. Par exemple, la partition suivante indique la place des plantes en fonction des caractéristiques tactiles et des textures. Dans le projet actuel, la démarche de recherche comprend six partitions/plans26.
Figure 10 : proposition pour un jardin tactile (partition)
Nous nous sommes demandé au cours de la recherche-création comment tenir compte de la sensibilité de la plante elle-même : quels sont les effets du toucher sur la plante ? Doit-on la ménager ? Comment agir vis-à-vis d’elle ? Y a-t-il, également, des degrés de sensibilité chez les promeneurs et les promeneuses ? Faut-il identifier des variables chez ceux et celles qui expérimentent le végétal à partir des sens du toucher ou de l’audition ?
Selon la plante et sa nature, plusieurs questions éthiques se posent : quelles forces doit-on exercer pour saisir sa qualité tactile ? Y a-t-il différents degrés d’agression dans le fait de palper les feuilles ? Les mots d’actions (‘arracher’, ‘frôler’, etc.) caractérisent-ils suffisamment le niveau de respect à adopter ? Quelle limite ne doit-on pas dépasser si l’on veut maintenir l’intégrité de la plante ? Certaines considérations entrent en ligne de compte : par exemple, une feuille molle est plus fragile qu’une feuille dure et épaisse. Une plante épaisse peut avoir une certaine souplesse, ou être cassante (Ex : Clematis armandii Franch). On sait par ailleurs que le toucher peut altérer la croissance de la plante. Que faire, par exemple, dans le cas du Vicia cracca qui se mue et s’enroule sur ses voisines ? Est-il acceptable de le détacher et de couper les liens qui l’unit aux autres ? Il faudrait donc tenir compte des forces et des actions particulières pour chaque type de plantes, d’élaborer un répertoire des gestes les moins nuisibles pour chacune des espèces.
En valorisant la caractérisation tactile (qui pourrait sembler un exercice théorique), il est possible de reconsidérer le réel, de mieux comprendre les stratégies des plantes. Par exemple, le doux, la pilosité du point de vue de la plante, permet de garder l’humidité, d’atténuer la déshydratation et l’effet du soleil. Ce sont généralement des plantes des milieux secs, exposées au soleil, et qui ont besoin de conserver le maximum d’humidité. Les plantes des zones humides élaborent une stratégie différente, elles ont des caractéristiques lisses pour faciliter l’écoulement de l’eau et éviter la pourriture. Le strié, quant à lui, sert à faciliter le repli et le déploiement de la feuille en croissance.
L’une des difficultés inhérentes au projet d’aménagement d’un jardin vient du fait que nous ne questionnons pas suffisamment la manière dont nous contrôlons le vivant. Il importe en effet de se questionner sur la représentation du végétal et de se confronter à la longue histoire de la figuration des plantes, à l’histoire du jardin comme lieu de connaissance, si l’on pense au modèle du jardin botanique. Vers quel modèle esthétique, vers quel rapport à la nature doit-on se diriger ? Plutôt vers la tradition du jardin d’agrément, où la nature est construite et totalement maîtrisée, où les plantes sont considérées comme des sujets isolés, déplaçables ? Ou vers un modèle renouvelé de l’architecture de paysage, comme celui de Gilles Clément, où la nature est plutôt laissée à elle-même ? Il y a quelque chose d’un peu artificiel dans les jardins géométriques à la française, dans les jardins de connaissance que sont les jardins botaniques, dans l’installation de plantes en galerie, où le sujet est isolé, contrôlé, et fabriqué. Comment penser quelque chose de plus dynamique lié à la croissance, au développement de la plante, à sa propagation en fonction des milieux, de la nature du sol ? Comment penser les plantes non plus comme des sujets isolés, mais comme des groupes sociaux et des colonies ? Comment penser le substrat, le milieu, le biotope ?
[1] Cette publication est le fruit d’un dialogue entre un artiste-chercheur et deux chercheures en études végétales qui s’est déroulé sur une année et qui a d’abord fait l’objet d’une présentation lors du colloque « Sensibilités végétales ». Les passages au ‘je’ renvoient à la parole de l’artiste et les commentaires au ‘nous’ témoignent des échanges entre les trois participants au projet.
[2] Yannick GUÉGUEN, « Parcours vidéo-tactile », dans le cadre de Off-biennale, Dare-Dare, mai 2009 et « Inclusion tactile », dans le cadre de l’Écho du fleuve, Péristyle Nomade, mai 2010, Conseil des arts de Montréal, Conférence Régionale des Élus de Montréal (voir Fabien DEGLISE, « Toucher la ville pour la voir autrement », Le Devoir, 8 juillet 2010 https://www.ledevoir.com/societe/292185/toucher-la-ville-pour-la-voir-autrement.
[3] Edward HALL, La Dimension cachée, trad. Amélie Petita, Paris, Points, 1978.
[4] Erving GOFFMAN, Les Cadres de l’expérience, Trad. Isaac Joseph avec Michel Dartevelle et Pascale Joseph, Collection Le sens commun, 1991.
[5] Pierre SCHAEFFER, Traité des objets musicaux, Paris, Le Seuil, Pierres Vives, 1973.
[6] Michel CHION, Guide des objets sonores, Pierre Schaeffer et la recherche musicale, Paris, INA-GRM/Buchet-Chastel, Bibliothèque de Recherche Musicale, 1983, p. 34.
[7] En ce qui concerne les subtiles différences entre l’écouter, l’entendre, l’ouïr, le comprendre ou encore l’emploi en contexte de l’« entendre-ouïr », l’« entendre-comprendre », voir l’article « Qu’est-ce qu’un ‘objet musical’ ? » d’Alessandro ARBO, Les Cahiers philosophiques de Strasbourg, 28, 2010, p. 225-247.
[8] R. Murray SCHAFER, Le Paysage Sonore : le monde comme musique, Éditeur Wildproject, Collection : Domaine sauvage, 2011.
[10] Voir les travaux de László MOHOLY-NAGY, The New Vision [1928] and Abstract of an Artist. 4th ed. New York, Wittenborn, Schultz, 1947.
[12] Serge PAYETTE (dir.), La Flore nordique du Québec et du Labrador, tomes 1-3, Presses de l’Université de Laval, 2015-19.
[13] Kenneth WHITE, Le plateau de l’albatros. Introduction à la géopoétique, Paris, Grasset, 1994.
[14] Michel SERRES, Les Cinq Sens. Philosophie des corps mêlés, Paris, Grasset, 1985, p. 23.
[15] Voir par exemple, Douglas HOFSTADTER et Daniel DENNETT, The Mind’s I: Fantasies and Reflections on Self and Soul, New York, Bantam Books, 1982.
[16] M. SERRES, Les Cinq Sens, p. 336.
[17] Il est vrai que Gibson écarte les plantes de sa théorie de l’affordance physique parce qu’elles sont, d’après lui, inanimées. Toujours est-il que nous trouvons cette nootion très riche pour comprendre l’action de la feuille sur la main : « The concept of affordance is derived from these concepts of valence, invitation, and demand but with a crucial difference. The affordance of something does not change as the need of the observer changes. The observer may or may not perceive or attend to the affordance, according to his needs, but the affordance, being invariant, is always there to be perceived. An affordance is not bestowed upon an object by a need of an observer and his act of perceiving it. The object offers what it does because it is what it is » (GIBSON, The Ecological Approach to Visual Perception, Taylor & Francis, 2015 [1978], p. 130).
[18] Plus de 36 plantes ont été enregistrées et documentées pour constituer le corpus, puis analysées.
[19] Sans compter que le toucher convoque parfois des météores, comme le son de la pluie sur les feuilles larges et dures, ou le vent dans les feuilles de peuplier.
[20] Serge PAYETTE (dir.), La Flore nordique du Québec et du Labrador, tomes 1-3, Presses de l’Université de Laval, 2015-19.
[21] D’autres passionnés de botanique n’ont aucune difficulté à retenir de tels termes. Dans Encyclopédie raisonnée et poétique des herbes, Denise Le Dantec savoure ces mots descripteurs de la pilosité : « Je lisais La Petite Flore Bonnier comme d’autres lisent la Bible. Parfois passant la main sur l’herbe, j’en sentais les poils villeux, tomenteux, hispides, laineux… » (LE DANTEC, Encyclopédie raisonnée et poétique des herbes, Rennes, Éditions Apogée, 2010 [2004], p. 350.
[22] Le ressenti est souvent lié à la couleur (fleurs) et aux odeurs qu’au toucher et au son. Il pourrait être intéressant de creuser cette question du ressenti à l’aide d’une roue des émotions. https://www.harmonieintervention.com/familles-en-affaires-gestion-des-emotions/la-roue-des-emotions.
[23] Les deux projets suivants se situent dans le prolongement du premier, mais explorent davantage la dimension virtuelle. Le projet Hexplore part du scientifique pour retourner à l’expérience. Il s’agit de trouver un outil (étiquettes liées aux plantes présentes sur le site) qui fait voir les pilosités invisibles à partir de la représentation tridimensionnelle et qui fait entendre les sons émis par les plantes à partir du déclenchement par la reconnaissance d’images. Le projet Méta-botanica vise quant à lui à découvrir les structures arborescentes du végétal grâce à la programmation d’algorithmes et notamment la visualisation de la croissance des plantes associée à différentes représentations de la pilosité. À cet égard, le travail des botanistes Przemyslaw Prusinkiewicz et Aristid Lindenmayer sur la modélisation des plantes est d’un grand intérêt (voir PRUSINKIEWICZ et LINDENMAYER, The Algorithmic Beauty of Plants (The Virtual Laboratory), New York, Springer-Verlag, 1990).
[24] La perception tactilo-kinesthésique, que Geza Revesz a désignée en psychologie comme « haptique », résulte de la stimulation de la peau résultant des mouvements actifs d’exploration de la main entrant en contact avec des objets (Geza REVESZ, Psychology and Art of the Blind, Londres, Longmans Green, 1950).
[25] William Howard ADAMS et Roberto BURLE MARX, Roberto Burle Marx: The Unnatural Art of the Garden, Museum of Modern Art, New York, 1991.
Résumé
Alors que l’effet de la musique sur la croissance des plantes et la création de la « musique végétale » par capteurs électromagnétiques sont des phénomènes bien connus, même médiatisés, il est moins commun de croiser le toucher et l’auditif pour produire de l’art végétal. Or, la rencontre de l’art et de la botanique peut mener à de nouvelles sensibilités végétales surprenantes comme le montre bien cet entretien au sujet de Méta-Botanica de l’artiste Yannick Guéguen. Ce projet consiste à créer des œuvres qui s’inspirent des dimensions tactiles et sonores des végétaux pour susciter une écoute plus sensible au monde végétal et mieux connaître certains aspects insoupçonnés des plantes. Cette œuvre audio-tactile est basée sur des extraits sonores de plantes enregistrés par frottement, froissement, effleurement, sifflement selon les cas. Différentes variables relatives à la nature de la plante sont prises en considération : la forme des feuilles, leurs bases et leurs terminaisons, les nervures, la pilosité, les épines, etc. La recherche-création se sert de la botanique, des théories des ambiances sonores, du paysage sonore et des objets musicaux, de la géopoétique, de l’écocritique et de la philosophie environnementale.
Abstract
Whereas the effects of playing music on plant growth and the use of electromagnetic sensors to create “vegetal music” have become common, even attracting social media attention, the production of vegetal art using sound and touch is quite unique. As our interview with Méta-botanica artist Yannick Guéguen shows, new vegetal sensory awareness emerges when art meets the science of botany. This project’s artistic works combine the tactile and auditory dimensions of plants, in order to promote actively listening to the vegetal world while also revealing some surprising aspects of plants. The audio-tactile works are based on sound recordings made from touching, rubbing, lightly brushing, swishing, and crumpling plants. Different plant variables are considered: the shape of the leaves, their base and apex, their veins, fuzziness and spines, etc. This research-creation approach draws on botany, theories of ambient sound, soundscapes, and musical objects, geopoetics, ecocriticism and environmental philosophy.
Quelles sont les limites du voir quand il s’agit d’interagir avec les plantes ?
Est-ce que la plante oblige la main à toucher d’une certaine façon ?
Comment ont été choisis les adjectifs liés aux sensations tactiles ?
Quelle est la place du virtuel (numérique) dans le projet de Jardin tactile ? À quoi sert-il ?
Yannick GUÉGUEN
artiste, architecte paysagiste, La Traversée
Stéphanie POSTHUMUS
Département de Langues, lettres et cultures, Université McGill
Rachel BOUVET
Département d’études littéraires, Université du Québec à Montréal
Site web du projet Méta-botanica : https://tinyurl.com/jardintactile
Références
ADAMS, William Howard et Roberto BURLE MARX, Roberto Burle Marx: The Unnatural Art of the Garden, Museum of Modern Art, New York, 1991.
ARBO, Alessandro, « Qu’est-ce qu’un ‘objet musical’ » ? », Les Cahiers philosophiques de Strasbourg, 28, 2010, p. 225-247.
AUGOYARD, Jean-François et Henry TORGUE, A l’écoute de l’environnement : répertoire des effets sonores. Collection Habitat / Ressources, Editions Parenthèses, Marseille, 1995.
CHION, Michel, Guide des objets sonores, Pierre Schaeffer et la recherche musicale, Paris, INA-GRM/Buchet-Chastel, Bibliothèque de Recherche Musicale, 1983.
CLÉMENT, Gilles, Le Jardin en mouvement : de la vallée au jardin planétaire, Paris, Sens & Tonka, 2001.
COUPRIE, Pierre, Le Vocabulaire de l’objet sonore. Du sonore au musical, Paris, L’Harmattan, 2001.
DEGLISE, Fabien, « Toucher la ville pour la voir autrement », Le Devoir, 8 juillet 2010
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GIBSON, James J., The Ecological Approach to Visual Perception, Taylor & Francis, 2015 [1978].
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LASERRE, Gregory et Anaïs MET DEN ANCXT, « Akousmaflore : Végétaux musicaux sensibles et interactifs », scenocosme, http://www.scenocosme.com/akousmaflore.htm, consulté le 8 juin 2022.
LE DANTEC, Denise, Encyclopédie raisonnée et poétique des herbes, Rennes, Éditions Apogée, 2010 [2004].
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WHITE, Kenneth, Le plateau de l’albatros. Introduction à la géopoétique, Paris, Grasset, 1994.