Jusqu’à la déclaration de l’indépendance du Pérou en 1821, les Français ont rarement eu l’occasion d’y mener des recherches scientifiques, hormis l’épisode bien connu de la première mission géodésique des académiciens au niveau de l’équateur entre 1735 et 1745. La mission confiée au naturaliste Joseph Dombey est moins restée dans les mémoires. Peut-être parce qu’elle avait en France un arrière-goût d’inachevé ? Si cette mission concernait avant tout l’histoire naturelle, ses membres se sont pourtant intéressé à d’autres champs d’études, en particulier l’archéologie, champs d’étude assez nouveau dans le contexte américain. Nous nous intéresserons donc ici à ce rôle en quelque sorte pionnier joué par Dombey et, plus globalement à ce que cet épisode nous dit de ces précoces activités américanistes entreprises sur le terrain péruvien. Cet essai s’articulera autour des trois temps de l’expédition : la préparation, le déroulement et les suites de ce voyage scientifique.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, il convient de dire un mot des sources disponibles pour retracer cette histoire. Les sources d’archives utiles pour documenter cette expédition se trouvent réparties entre quelques institutions. En premier lieu au Muséum national d’Histoire naturelle, où se trouve ce qui subsiste des notes de Dombey, ainsi que ses lettres adressées à Antoine-Laurent de Jussieu et à André Thouin, garde du Jardin du Roi. L’herbier collecté par le naturaliste est également une source importante d’informations. Outre sa valeur scientifique et documentaire intrinsèque, il permet de trouver des éléments complémentaires sur l’itinéraire emprunté par l’explorateur1. Car dans les années ayant suivi son retour Dombey semble avoir détruit, de dépit, une grande partie de ses notes de terrain : les lacunes et les zones d’ombre demeurent encore nombreuses. D’autres fonds importants sont conservés aux Archives nationales. On y trouve en premier lieu une autre partie des archives du Muséum national d’Histoire naturelle qui, elles ont été versées à notre institution dans les premières décennies du 20e siècle2. Y sont également conservées dans le fonds des archives de la Maison du Roi les lettres reçues par le comte d’Angiviller, par Vergennes ou Calonne3. Enfin, les papiers de Turgot peuvent éventuellement apporter quelques compléments concernant le contexte général de la mission4.
À peine nommé contrôleur général des finances par le roi Louis XVI, Turgot fut confronté à une grave crise sociale liée à la pénurie de certaines produits alimentaires, en particulier le blé – base de l’alimentation en France. Déjà par le passé, on avait recherché à pallier certaines déficiences ou à compléter l’éventail des ressources végétales disponibles par l’adaptation sous nos climats de plantes collectées aux quatre coins du monde : au Moyen-orient, en Chine, en Afrique et bien entendu aux Amériques. Ainsi au début du siècle le Père Louis Feuillée, qui avait eu l’occasion de se rendre sur le rivage pacifique de l’Amérique du Sud, avait publié une Histoire des plantes médicinales les plus employées dans les royaumes d’Amérique du Sud, du Pérou et du Chili, dans laquelle il suggérait l’acclimatation du quinoa en France5. Dans cette même perspective, Turgot forma alors le projet d’organiser une expédition au Pérou afin d’en déterminer les richesses naturelles (alimentaires, mais aussi médicinales – notamment la quinquina – ou minérales, telles le platine). La Couronne d’Espagne ––alliée de la France à ce moment-là–– donna son accord de principe, mais il était bien entendu hors de question de laisser des Français s’y rendre seuls. Ce fut donc une expédition conjointe franco-espagnole qui fut montée, comme l’avait été quarante ans auparavant la mission pour mesurer un arc de méridien à l’Équateur.
Turgot demanda à Bernard de Jussieu, l’un des membres de cette prestigieuse famille de naturalistes, de lui proposer un nom pour effectuer ce voyage ; ce dernier lui suggéra un jeune médecin naturaliste, Joseph Dombey (né à Mâcon en 1742). Dès lors, la formation et les instructions que ce dernier reçut furent bien entendu essentiellement axées sur l’histoire naturelle6. Néanmoins, l’abbé Jean-Jacques Barthélémy, garde du cabinet des Antiques du Roi, rédigea à son intention en 1777 des instructions portant sur l’histoire et les monuments antérieurs à la Conquête espagnole. On savait alors bien peu de choses de la civilisation inca révélée mais aussitôt abattue par Francisco Pizarro et ses compagnons. Quelques chroniques rédigées peu de temps après la conquête ou durant la période coloniale (Garcilaso de la Vega) avaient été traduites en français, mais ces ouvrages ne donnaient qu’une vague idée de l’histoire et de la culture matérielle des populations indigènes. De même, quelques objets antiques rapportés par des voyageurs, des navigateurs ou des négociants circulaient en France parmi les amateurs. Le cabinet du roi en comportait bien-sûr quelques-uns, collectés par les académiciens quelques décennies auparavant7, mais ce sont surtout quelques rares amateurs qui pouvaient se vanter d’en posséder. Le collectionneur-naturaliste sud-américain Pedro Franco Dávila en comptait quelques-uns dans sa formidable collection, dispersée à Paris lors d’une grande vente aux enchères en 17678. Le chevalier de Robien, président du parlement de Bretagne, décrivait dans le catalogue de son cabinet plusieurs artificialia provenant du Nouveau-monde, dont quelques pièces péruviennes9. Jean-Jacques Lefranc, marquis de Pompignan, magistrat à Montauban (et poète de renom) possédait une très importante bibliothèque et une belle collection de médailles et d’antiques ; dans la promesse de legs qu’il rédigea en 1784 à l’intention des États de la province du Languedoc, il évoquait « une curieuse collection d’antiquités péruviennes, indiennes, chinoises10 ». Enfin, citons le catalogue de la vente du cabinet d’un certain Picart, en 1779 à Paris, qui mentionnait quelques vases péruviens (probablement de style Chimu)11. Quelques exemples qui, sans être exhaustifs, indiquent clairement que si bien peu de ces vestiges des cultures matérielles du Pérou antique étaient visibles en France à cette époque, ils attisaient la curiosité et la convoitise des amateurs. L’abbé Barthélémy vit par conséquent dans ce projet de voyage au Pérou une perspective inespérée d’obtenir des renseignements voire des artefacts susceptibles d’enrichir le cabinet du roi. Ses instructions et ses orientations de recherches sur ce que l’on définirait aujourd’hui comme de l’archéologie et de l’ethnographie, sont assez éclairantes sur l’état des connaissances dans ce domaine à ce moment-là, ses questionnements et les moyens suggérés pour y répondre. Dans ce texte, Barthélémy faisait référence à l’expédition réalisée par La Condamine, Bouguer, Godin et Jussieu en Équateur quelques décennies auparavant, qui s’était déjà intéressée aux vestiges archéologiques et en avait rapporté quelques témoignages pour le cabinet du Roi. Barthélémy recommandait par exemple : « Les vases d’argile doivent être d’une mince valeur ; mais comme ils représentent pour l’ordinaire une tête d’Indien, il serait bon d’en avoir deux ou trois pour former une idée générale de la manière de dessiner de ces peuples »12. Cette référence aux « têtes d’Indien » fait possiblement référence aux fameux « vases-portraits » mochicas ou à des équivalents – nettement plus rustiques – produits par leurs successeurs Chimus sur la côte nord du Pérou, ce qui laisserait peut-être supposer que la garde du cabinet royal en avait vu chez quelque collectionneur. Ces objets ne permettaient pas seulement de connaître – supposément – l’apparence physique de ces populations indigènes, ils pouvaient contribuer à cerner leur culture matérielle, leurs techniques de fabrication, qu’il s’agît d’objets précieux ou bien d’artefacts infiniment plus humbles :
On découvre dans les mêmes tombeaux de petites figures de divinités en or et en argent dont le travail est surprenant : elles sont creuses, d’une seule pièce, et sans la moindre soudure ; d’ailleurs, l’or ou l’argent, mince comme une feuille de papier, paraît si fragile qu’on ne conçoit pas qu’on ait pu les évider ou les jeter en moule. Il faudrait tâcher d’en acquérir une ou deux. En général, il ne faut pas négliger tous les petits ouvrages qui attestent l’intelligence et l’industrie des anciens Péruviens13.
L’architecture était un autre point important dans ces instructions :
Si M. Dombey a un dessinateur avec lui, il pourrait faire dessiner plusieurs monuments qui restent des anciens Péruviens, et qui suffisent pour donner une idée de leur architecture. Ce sont des temples, des palais, des tombeaux. Garcilaso de la Vega en cite plusieurs […]. Les monuments de Cusco sont ceux qui méritent le plus d’attention. On y voit les restes d’un temple du Soleil, et d’autres édifices dont les pierres sont d’une grandeur si énorme que, malgré la perfection de la mécanique, on aurait, dit-on, de la peine à les remuer aujourd’hui. Il faudrait avoir des dessins exacts de ces édifices, ainsi que les proportions de ces pierres, et s’informer si elles n’auraient pas été tirées de quelques carrière voisine, car c’est peut-être pour ajouter au merveilleux qu’on suppose qu’elles avaient été transportées de fort loin. Les voyageurs ont cité d’autres monuments situés dans la vallée de Pachacamac, à Tomebamba, à Guamanga, etc. Ils ne méritent peut-être pas que M. Dombey prenne la peine de se rendre en ces lieux, mais s’il y passait par hasard, il faudrait en avoir des dessins. On dit la même chose de tous les monuments un peu considérables qui se trouveront en des endroits où ses recherches le conduiront naturellement14.
Ses instructions invitaient également Dombey à s’intéresser aux langues et traditions indigènes : « Il serait important d’avoir beaucoup de mots de leurs anciennes langues, et surtout celle que l’on nomme quicheca [quechua] et qui était la langue des Incas »15. La transmission de l’histoire, des mythes et des traditions locales, si elle ne se faisait pas par l’écrit, se faisait par d’autres canaux ; Barthélémy avait sans doute lu quelque chose se rapportant un mystérieux médium :
Les Péruviens n’ont jamais connu l’écriture. On prétend qu’ils y suppléaient de deux manières. 1) par des peintures informes, à peu près semblables à celles des anciens Mexicains. S’il s’en trouvait quelque fragment, il serait bon de l’acquérir ou d’en tirer copie. 2) par des quippos, c’est-à-dire par des nœuds de laine qui, par la variété de leurs couleurs et de leurs configurations, rendaient toutes les idées de ces peuples. Ces quippos sont encore en usage chez eux. Très peu d’Indiens en connaissent parfaitement le mécanisme, et ne le révèlent à leurs enfants qu’à la fin de leur vie. S’il était possible de leur dérober ce secret, nous serions en état de juger de la portée de leur esprit et des combinaisons dont il est capable16.
D’autres personnalités encore furent invitées à fournir des orientations de recherche possibles. Signalons ainsi parmi les instructions couvrant plusieurs disciplines rédigées par Séguier, ce questionnement d’ordre anthropologique :
Y a-t-il encore des anciens habitants descendus de ceux qui sont originaires du pays que vous allez parcourir ? Y aurait quelque tradition que ces peuples eurent de la monnaye ou des pièces de métal non battues pour le commerce ? Si cela était, il faudrait tâcher d’en avoir quelqu’une. Si ce n’est du métal, avaient-ils de ces petites coquilles dont les peuples de l’Asie se servent encore pour leur petit commerce ?17
En l’état actuel de connaissance des sources disponibles, il n’apparaît pas que, de leur côté, les botanistes espagnols aient reçu d’autres instructions que celles rédigées à leur intention en 1776 par Casimiro Gómez-Ortega. Celles-ci concernaient très essentiellement leur seul domaine de spécialité, la botanique. Néanmoins, dans ses recommandations ce fonctionnaire de la couronne faisait référence aux instructions que l’année précédente Pedro Franco Dávila (alors devenu garde du cabinet royal d’histoire naturelle de Carlos III) avait fait adresser aux administrations coloniales des Amériques18. Ce document était sans doute principalement orienté vers l’histoire naturelle, néanmoins – à la lumière de la précédente collection de Dávila vendue à Paris en 1767 – on ne peut exclure qu’il ait aussi encouragé la collecte d’antiquités incas ou de tout autre artefacts produits par les gentiles (les Indiens). Plus encore, Antonio de Ulloa (qui avait fait partie de l’expédition franco-espagnole pour la mesure d’un arc de méridien en 1735), avait rédigé vers 1774 un questionnaire scientifique adressé aux autorités coloniales, lequel comportait une section spécifiquement consacrée aux antigüedades19. Les questions d’ordre archéologique y étaient très présentes. Carlos III, qui avant de monter sur le trône d’Espagne avait été roi de Naples et de Sicile était particulièrement intéressé par les vestiges archéologiques. Il est par conséquent très plausible que ces instructions aient été également communiquées aux membres de cette nouvelle expédition, les botanistes Hipolito Ruiz et José Pavón.
Enfin, pour orienter ou les aider dans leurs recherches, les membres de cette expédition pouvaient compter sur le soutien (scientifique ou pratique) de diverses personnalités présentes sur place. Ainsi, Dombey fait souvent mention dans sa correspondance de Santiago de Bordenave, chanoine de Lima, originaire du Béarn, qui avait été un grand ami du défunt Joseph de Jussieu.
Dombey, Ruiz, Pavón et leurs aides et dessinateurs s’embarquèrent à Cadix le 20 octobre 1777 et arrivèrent à Lima le 7 avril 1778. À travers les lettres et notes de Dombey, on peut en partie reconstituer son itinéraire. Catherine Lang, qui travaillait au Muséum national d’Histoire naturelle, avait pu dans les années 1980 l’affiner grâce aux notes et étiquettes jointes à l’herbier. On sait donc que l’équipe resta d’abord dans les environs de Lima. La première expérience archéologique de Dombey semble s’être située en août 1778 près de Chancay, dans l’hacienda de Torreblanca, propriété de Don Toribio Bravo de Castilla. Ce fut l’occasion d’une première collecte de vestiges préhispaniques : diverses poteries, mais aussi des fragments de tissus, des cordelettes, des fuseaux, un panier en vannerie, des momies. Il faut souligner ici l’importance des informateurs qui indiquèrent aux botanistes où il fallait creuser pour espérer trouver quelque chose. Ce n’était pas quelque chose qui s’improvisait aussi facilement, c’est un aspect de la question qu’il est important de prendre en compte lorsque l’on veut comprendre comment fonctionne une telle expédition et comment s’effectue la collecte d’informations et de données. Dans le récit de la mission Hipólito Ruiz évoque allusivement l’aide potentiellement apportée par les employés de l’hacienda : « Este caballero de Lima nos franqueó con la mayor generosidad su casa, dando orden á su Mayordomo y criados para que nos asistiese de quanto necesitasemos nuestra mansión en ella »20.
Entre août et octobre 1778 l’équipe poussa ses explorations jusqu’à Huaura, avant de retourner à Lima. En janvier 1779 Dombey semble avoir mené de nouvelles fouilles, cette fois-ci dans une localité infiniment plus réputée : Pachacamac, site cérémoniel déjà utilisé avant l’époque incaïque et qui n’avait cessé de fonctionner jusqu’à la Conquête, voire au-delà. Le site était connu y compris en Europe par le biais des chroniques espagnoles (qui, pour certaines, avaient été traduites et publiées en France). On a vu plus haut que l’abbé Barthélémy avait mentionné ce site dans ses instructions. Dombey en exhuma des objets en métaux précieux, des céramiques, des fragments d’étoffes, des objets en bois, autant d’artefacts associés aux momies, que le climat avait bien conservés. Le 20 avril 1779 Dombey écrivait au comte d’Angiviller pour annoncer un premier envoi de spécimens botaniques et minéralogiques, ainsi que plusieurs caisses de « curiosités » ; l’ensemble de ces caisses ayant été embarquées sur le « Buen Consejo » :
Un des caissons qui vous est personnellement adressé, Monsieur, contient des vases qui sortent des tombeaux des anciens Péruviens, avec un habillement d’un Inca trouvé dans la fouille des ruines du temple du Soleil connu sous le nom de Pachacamac. Deux autres caissons de la grandeur du vôtre, Monsieur, sont, l’un pour M. Bertin le Ministre ; l’autre pour M. Lalande, de l’Académie royale des Sciences. Les quatre autres caissons sont pour le Cabinet du Roi à l’adresse de M. le Comte de Buffon. Ils contiennent des échantillons de mine d’argent et d’or, trente quatre livres de platine [...]21.
Cependant, le navire transportant les caisses de Dombey fut capturé par un corsaire anglais, la cargaison vendue à Lisbonne et rachetée par les Espagnols qui conservèrent le « vêtement inca » et ne restituèrent à la France qu’une partie de l’envoi de Dombey. Le « contenu des cinq caisses et deux caissons envoyés du Pérou par M. Dombey » dressé le 4 février 1781 lors de leur arrivée à Paris, donne quelques précisions supplémentaires. Ainsi sait-on que la caisse destinée à Bertin contenait non seulement 19 vases des anciens Péruviens mais aussi « trois coquilles de l’île de Tahiti », probable témoignage d’une expédition navale espagnole dans le Pacifique ; une autre caisse destinée à MM. Gouan22, Lalande et Rozier renfermait des échantillons de graines mais encore une vingtaine de vases péruviens ; enfin, la caisse adressée à d’Angiviller contenait « un paquet d’une toile peinte servant à un habillement péruvien, trouvée dans un tombeau, un autre de différentes étoffes et ustensiles péruviens, un autre contenant divers ajustements péruviens, une douzaine de vases... »23. Cet « habillement Inca », que Dombey avait réservé au roi et qui fut finalement gardé par l’administration espagnole, correspond probablement à celui qu’il avait déjà évoqué dans un courrier adressé au comte d’Angiviller le 20 décembre 1778 – donc avant que lui-même se rende à Pachacamac :
J’ai acquis dans mon voyage quelques vases trouvés dans les tombeaux des anciens Péruviens. J’ai aussi en mon pouvoir le vêtement d’un jeune prince de la famille des Incas. Cette pièce qui est bien conservée était depuis plus d’un siècle dans la famille d’un cacique. On la conservait comme une marque ancienne d’un pouvoir qui n’existe plus24.
En réalité cette pièce, qui est aujourd’hui au Museo de América, semble être plutôt avoir été fabriquée après la Conquête et aurait été portée par des membres de la noblesse indigène lors de fêtes et de cérémonies durant la colonie. En effet, les élites indigènes conservèrent longtemps le droit d’arborer des costumes et des armoiries rappelant leur origine prestigieuse25, mais suite à la rébellion indienne de Tupac Amaru initiée en 1780, l’inspecteur royal José Antonio de Areche promulgua une sentence interdisant désormais le port de tels insignes, dès lors considérés comme des marques ostentatoires de résistance à l’ordre colonial espagnol. Certes cette décision date de mai 1781 (donc après l’achat fait par Dombey), mais l’on peut avoir du mal à croire que ce cacique indien ait pu si facilement se laisser convaincre d’abandonner ce symbole de prestige pour lui ; nous aurions alors plutôt tendance à penser que cette méfiance de la vice-royauté vis-à-vis de ces traditions identitaires était déjà prégnante et que ce cacique considéra que le vendre au voyageur français était un bon moyen de se défaire de cet objet devenu dangereux pour lui sans pour autant le détruire.
En octobre 1779, après avoir mené seul pendant quelques mois une exploration dans les Andes centrales (à Chiuchin puis Churin), Dombey rejoignit le reste de l’équipe espagnole qui était déjà établie depuis quelques mois à Tarma, sur le piémont amazonien des Andes. Dans une lettre à Turgot de la fin de l’année 1778, le naturaliste évoquait déjà son désir de se rendre dans cette partie du Pérou, « qui est à la source du Marañon, fertile dit-on en canneliers, quinquina et où l’on cultive la cochenille. La source des Amazones nous fournira peut-être aussi l’arbre de la gomme élastique qui est connue sur les rives de ce fleuve dans les possessions portugaises »26. Cette localité était devenue stratégique dans le dispositif colonial espagnol. À la suite de nombreuses entreprises missionnaires dans la selva centrale, les franciscains étaient parvenus au milieu du XVIIIe siècle à fonder plusieurs missions regroupant quelques milliers d’habitants indigènes. Cette expansion coloniale en direction de la forêt amazonienne27 fut toutefois stoppée par la révolte indigène initiée par Juan Santos Atahualpa en 1742 : plusieurs villages et positions militaires (comme le fort de Quimiri, dans la vallée de Chanchamayo, en 1743) furent détruits, entraînant une dispersion des populations autochtones qui avaient été évangélisées et sédentarisées. Même après la disparition mystérieuse du chef de cette rébellion il fut difficile pour les autorités vice-royales de relancer la colonisation de cette région. Tarma demeurait donc une localité située sur les marches du monde « civilisé » créole, protégée par des installations militarisées en quelques points de la forêt. Alors que de nouvelles entreprises missionnaires étaient envisagées pour reconquérir cette partie du vice-royaume, la révolte lancée par Tupac Amaru en 1780 provoqua une nouvelle période d’agitation et d’inquiétude dans la région. C’est donc dans une phase d’incertitude mais aussi de reconquête territoriale (liée à l’intérêt pour les ressources naturelles locales) que s’inscrivait cet épisode de l’expédition de Dombey, Ruiz et Pavon. L’une de leurs excursions dans les environs de Tarma donna lieu, semble-t-il à une dernière fouille archéologique importante. Nous ne disposons apparemment d’aucune lettre écrite par le naturaliste français contemporaine de cette expédition, il faut alors se tourner vers le récit laissé par Hipólito Ruiz qui évoque succinctement cette exploration. Il relate qu’à deux lieues et demie de Tarma, dans l’hacienda de Huichay ils trouvèrent des structures funéraires en pierres et terre, utilisées par la gentilidad, donc par les indigènes, mais sans que l’on puisse être certain d’une utilisation préhispanique. Ruiz écrivait n’y avoir retiré que quelques éléments en argent d’usage indéfini28. Dès lors, il est difficile de comprendre sur quels éléments Ernest Théodore Hamy s’est appuyé pour écrire :
C’est pendant ce séjour que Dombey a exécuté des fouilles dans une grotte immense et fort élevée à trois lieues de Tarma, où un tombeau dont la description est perdue, lui a donné entre autres choses remarquables parvenues et conservées à Paris, divers vases de terre cuite intéressants, un sceptre en bois de chonta représentant un puma assis orné d’un décor blanchi dans les creux ; un diadème d’argent en forme de lune et deux topos du même métal29.
Signalons que parmi les poteries supposément découvertes dans cette grotte, Hamy évoquait un vase anthropomorphe inca30, dont le frère jumeau se trouve au Museo de América : la similitude entre les deux est telle qu’ils ne peuvent avoir qu’une origine commune, donc avoir été collectés par Dombey et séparés au moment du partage des collections en Espagne en 1785 ; ces deux vases d’époque inca auraient donc été trouvés ensemble. Il est curieux que Ruiz n’en dise rien dans son récit de la fouille de ce lieu funéraire. Le sceptre en bois31 est maintenant identifié comme provenant de Pachacamac ; une identification à un site côtier paraît effectivement plus vraisemblable. La seule mention que Dombey ait faite relativement à ses trouvailles archéologiques à Tarma vient un peu plus jeter le trouble. Dans les archives de la mission conservées dans le fonds de la Maison du roi, se trouve un descriptif de vingt caisses confiées aux autorités coloniales de Lima par le naturaliste français avant son départ pour le Chili (donc avant 1782). La caisse numéro 7 contient des « vases trouvés dans les tombeaux des anciens Péruviens » ; Dombey précise en bas du document :
Nota. Dans le caisson 6 ou 7 est un diadème d’argent en forme de lune et deux topos, ornements de femme, rencontrés dans un sépulcre remarquable à 3 lieues de Tarma. Le vêtement d’un Inca envoyé en 1779 à SM.T.C et pris par les Anglais sortait du même sépulcre32.
Or, nous avons vu que Dombey avait affirmé dans plusieurs lettres antérieures que ce vêtement avait été découvert à Pachacamac. Il s’agit évidemment d’une confusion (d’autant plus certainement qu’il n’était pas encore allé à Tarma lorsqu’il expédia cette pièce), mais alors que penser du reste de l’information ? La description de certains de ces objets laisse perplexe quant à leur association à cette supposée découverte dans les environs de Tarma. La question concernant cet épisode archéologique demeure donc elle aussi en suspens.
Après son retour à Lima et un séjour de quelques mois dans la capitale, Dombey et ses compagnons espagnols se rendirent à Huanuco en avril 1780, effectuant diverses excursions dans cette région, également proche de la forêt, mais plus au nord cette fois-ci. Les conditions de vie et de travail sur place s’avérèrent non seulement pénibles mais même parfois effrayantes. En effet ils se trouvaient dans cette région assez isolée lorsque qu’éclata la révolte indienne menée par José Gabriel Condorcanqui, plus connu sous le nom de Tupac Amaru II. Dans cette atmosphère d’hostilité, la moindre alarme pouvait tourner à la panique :
Lorsque le 1er août à la nuit tombante, en me retirant dans mon logis chargé de plantes, je fis la rencontre de deux péons coupeurs de cascarillas, qui me dirent avec les expressions de la plus grande terreur, qu’ils venaient de faire la rencontre de plus de deux cents sauvages. C’étaient assuraient-ils des chunchos armés d’arcs et de flèches et nous devions être attaqués dans la nuit33.
Aussitôt toute l’équipe prit la fuite et se sépara en cours de route, empruntant de nuit des chemins extrêmement difficiles. Beaucoup de peur pour ce qui se révéla être une fausse alerte : « ce bruit avait été publié à dessein par deux coquins pour profiter du désordre et piller les maison »34.
De retour à Lima en mars 1781, les Espagnols repartirent pour Huaura et Pativilca, sans Dombey ; on ignore tout de ses propres activités pour le reste de l’année 1781. Ils se retrouvèrent ensuite afin de s’embarquer à la fin de l’année 1781 pour le Chili où ils demeurèrent jusque fin 1783. De retour au Callao en novembre 1783, Dombey commença à préparer son retour en Europe, pour quitter définitivement le Pérou le 14 avril 1784.
Le voyage de retour fut bien plus mouvementé et éprouvant que le naturaliste pouvait s’y attendre. Du fait d’avaries diverses du navire, Dombey dut patienter un long moment à Rio de Janeiro et n’arriva à Cadix qu’en février 1785. Durant son long périple de retour, il décrivit dans plusieurs lettres ses collectes archéologiques et ethnographiques. Déjà dans un courrier adressé à Thouin depuis Rio de Janeiro il annonçait : « J’ai une grande quantité de vases rencontrés dans les tombeaux des Incas et autres Péruviens ; quelques ustensiles d’or et d’argent mais en petite quantité ; des armes des Indiens, leurs flèches empoisonnées [...] »35. Puis peu après son arrivée à Cadix :
J’espère présenter ou faire présenter au Roy deux vases fort minces d’argent représentant fort grossièrement des Péruviens et un diadème d’une Pallas. Le tout fort curieux […]. J’ai également quelques petites idoles d’or et d’argent des mêmes peuples, plusieurs en terre fort grossière, mais ma collection de huaqueros ou vases péruviens excédera le nombre de trois à quatre cents, parmi lesquels de fort curieux, surtout pour ceux qui entendent l’histoire du Pérou36.
Une partie au moins de tous ces objets avaient été exhumés par le biais de fouilles menées par Dombey lui-même ; il l’évoque allusivement dans certains de ses courriers : « J’ose me flatter que pour ce que j’ai fait extraire des sépultures des Indiens, le Roy d’Espagne seul peut compéter avec moi » ; « J’ai beaucoup dépensé pour faire creuser »37. Mais c’est sans doute surtout par achat que Dombey avait pu obtenir la majorité de ces pièces. Effectuer des fouilles archéologiques demandait du temps, un savoir-faire et une connaissance des lieux propices aux trouvailles dont le Français ne disposait pas. Il l’avait déjà souligné durant son séjour au Pérou en exprimant son dépit après avoir appris que son « vêtement inca » était tombé aux mains des Espagnols : « Quant aux curiosités il n’est pas facile de les remplacer ; le hasard seul les procure. Je m’étais défait jusqu’aux draps de lit achetés à Paris pour mon mariage pour acquérir le vêtement de l’Inca que j’avais envoyé à M. le comte d’Angiviller pour être présenté au Roi »38. Puis à son arrivée à Cadix, en évoquant des poteries antiques il ajoutait : « Cependant les vases que j’avais obtenus de M. le marquis de Casa-Concha et dont une partie sont au pouvoir de M. de la Lande, étaient plus beaux »39. Certaines de ces acquisitions avaient d’ailleurs été faites avec le concours financier de ses amis au Pérou :
Je vous avoue avec vérité, Monsieur, que quoique mes appointements ne me permissent pas de rien acheter (puisqu’ils ont toujours été trop modiques pour mon entretien), je n’ai pas laissé d’acheter pour le Roi les curiosités qui me tombaient sous la main. Don Estevan de Urrutia et Don Juan de Bordenave m’ont souvent avancé des sommes considérables pour cet objet [...]40.
Même au cours de son voyage de retour Dombey s’était efforcé de compléter ses collections. Ainsi lorsqu’il évoqua le diadème et les deux vases fins en argent, ces pièces n’étaient pas encore en sa possession :
Ces sortes de curiosités sont devenues fort rares. J’avais offert pour ces trois morceaux 1500 [pesos?] mais je fus refusé ; la personne à qui ils appartiennent s’est embarquée avec nous et ayant eu le bonheur de lui rendre quelques services, je suis venu à bout de me les faire promettre : j’espère qu’ils seront en mon pouvoir avant huit jours41.
Nous trouvons un indice marquant de ces probables acquisitions dans un autre document. Simultanément au retour de Dombey à bord du navire « El Peruano », une partie importante des collectes scientifiques réalisées par les botanistes espagnols Ruiz et Pavón étaient embarquées sur le « San Pedro de Alcantara ». Apparemment, le navire excessivement chargé, subit diverses avaries et dut lui aussi faire une escale à Rio pour réparation. Sa traversée de l’océan Atlantique s’acheva dramatiquement : en février 1786 le navire heurta des récifs au large du Portugal et sombra avec une partie de ses passagers et sa cargaison42. Du fait de cette perte considérable, les autorités espagnoles firent jouer l’une des clauses de l’accord passé avec les Français avant le début de l’expédition, à savoir le partage des collectes qui seraient faites par Joseph Dombey. Peu avant son départ du Pérou, celui-ci avait écrit à André Thouin pour lui annoncer qu’il lui envoyait la « raison des 73 caisses embarquées sur « El Peruano »43 , mais c’est à Cadix que l’on procéda à une inspection minutieuse de ce chargement, révélant ainsi des provenances d’objets archéologiques et ethnographiques absolument pas mentionnées par Dombey dans sa correspondance. Dès lors, de larges extraits de cet inventaire méritent d’être donnés ici :
Cajón n°2 : Un lio de pañuelos de vicuña, un pañuelo de algodon, tres mantas de Oteiti44 de corteza de arbol de una sola pieza cada una. Una cajita de cedro con un pedazo de bestido de un Inca que se encontró en el Templo de Pachacamac en el año de 1780. Las flechas envenenadas de que se sirven los indios del Marañon y otras 23 sin él. Una cajita con el veneno que ponen los Indios a las flechas. Una acha de cobre que estaba en la misma huaca referida (huaca de los Indios del corregimiento de Paucatamón45 cerca del Cuzco). Una manta grande, sobrecama de Otuta. Otra manta de Otuta menos fina que la antecedente. Un pedazo pequeño de goma de huarango (Mimosa) hallado en la sepultura de una mujer, y de la cual goma usan actualmente las de las provincias de Chancay para arreglar y adornar sus cabellos. Un alfiler de cobre con que sujetan las ropas las Indias de Tarma, hallado en la sepultura de una de ellas. 18 huacaros46.
Cajón n°3 : 14 huacaros de diversas figuras entre las cuales hay algunas de idolos del corregimiento de Lamtaget, los unos, otros del de Ica, Pachachama [Pachachamac] y Chancay. Un idolo pequeño de barro hallado en Pachachamac. Siete modedas de plata augerada que servían de adornos, halladas en una sepultura debajo de una cueva muy grande a tres leguas de la ciudad de Tarma ; y otras tres monedas mas pequeñas desfiguradas por la antiguedad. Siete guacaros [huacos] de barro, los tres de ellos con la figura de idolos, de las escabaciones hechas con el Cuzco. 18 guacaros.
Cajón n°4 : Los adornos compuestos de varios frutos indeterminados por Mr Dombey, de que usan los Indios bravos del Marañon, para ponerlos al cuello. Un adorno en figura de media luna para ponerle el pecho y defenderse de las felchas y de que usan los de las islas de Oteita. 30 huacaros con diversas figuras entre las cuales hay algunas de idolos hallados en diferentes escavaciones. Dos peines hechos de la madera de Guayacan o Markea y dos tablitas de la misma madera. Dos bolas formadas de la misma madera.
[…]
Cajón n°18 : Una orza o cantara grande y otra mediana de barro halladas en un sepulcro en Chancay. 25 guacaros de diferentes tamaños y figura sacados de varias excavaciones del corregimiento de Lambayeta47.
La référence à des localités où Dombey ne s’est apparemment pas rendu (Ica, Cusco, Lambayeque) tend à corroborer l’hypothèse selon laquelle Dombey aurait acheté un grand nombre d’objets archéologiques pour compléter les quelques trouvailles faites à l’occasion de ses propres fouilles. L’analyse des céramiques rapportées montrent qu’il s’agit dans leur majorité de cultures préincas de la côte nord du Pérou, région que Dombey n’avait pas visitée. Sans pour autant établir un lien direct entre Dombey et un autre acteur majeur de l’archéologie péruvienne de cette fin du XVIIIe siècle, il nous apparaît intéressant de souligner que la période de présence de Dombey au Pérou ainsi que l’origine septentrionale d’une grande partie de ses collections d’artefacts préhispaniques ne sont pas sans rappeler le rôle joué par Jaime Baltazar Martinez Compañon, évêque de Trujillo, dans la collecte pionnière d’objets préhispaniques à des fins documentaires et historiques. Lorsque cet ecclésiastique effectua une visite pastorale de son diocèse (entre 1782 et 1785) il trouva à Trujillo une copie des instructions envoyées par la Couronne d’Espagne en 1774, donc celles rédigées par Ulloa48. Il forma alors le projet de réunir des informations dans les domaines les plus divers sur son diocèse49. Dans ce cadre-là il fit exécuter des dessins illustrant ce que l’on pourrait comprendre comme le patrimoine naturel et culturel de la région de Trujillo ; il réunit également de nombreuses collections archéologiques qu’il expédia en Espagne entre 1788 et 1790. Nous n’irons pas jusqu’à prétendre que les collections rapportées par Dombey sont une partie de celles de Martinez Compañon, mais elles s’inscrivent toutes les deux dans le même cadre contextuel : à savoir d’intenses fouilles des tertres funéraires de la côte nord réalisées dans ces années-là, entraînant la circulation d’un grand nombre d’antiquités dans le pays à cette époque. Pour que ces objets soient parvenus jusqu’à Lima (où Dombey en fit vraisemblablement l’acquisition), cela implique nécessairement qu’il y avait déjà une demande locale pour ce genre d’objets puisqu’il y avait encore très peu de voyageurs étrangers susceptibles de constituer une clientèle suffisante. L’émulation des Lumières en Europe et les réformes bourboniennes espagnoles exercèrent une influence certainement non négligeable en Amérique espagnole, favorisant les activités locales d’amateurs d’antiquités et de collectionneurs. Dombey lui-même mentionnait le marquis de Casa Concha de qui il avait obtenu quelques pièces, ainsi que cet autre – non identifié – dont il espérait la cession de quelques antiquités précieuses. Dans un essai justement consacré à Martinez Compañon, son « musée » et plus largement à l’émergence d’un intérêt local pour les antiquités préhispaniques, Lisa Trever et Joanne Pillsbury citent les noms de collectionneurs créoles : Ortiz de Zevallos, Pedro Bravo de Lagunas y Castillo50. Sans aller ici plus loin sur cette question, signalons enfin que parmi les objets rapportés par Dombey se trouvaient aussi des objets de la forêt péruvienne, de Californie51 et de Tahiti, ce qui renforce cette idée de circulation très précoce des objets exotiques dans un embryon de « marché de la curiosité ».
Pendant des mois Dombey se confronta à l’administration espagnole pour tenter de sauver l’ensemble de ses collectes, mais finalement rentra en France au mois d’octobre avec seulement la moitié de ses caisses. Le naturaliste remit au cabinet des Antiques du Roi une partie de ses objets archéologiques en janvier 178652, peut-être aussi quelques artefacts au jardin du Roi (par exemple des objets ethnographiques), tandis qu’il conserva le reste ou le distribua à des connaissances ou à des amateurs avisés53. Nous aurions ainsi tendance à penser que les vases péruviens présents dans la collection du marquis de Sérent à Versailles (l’ancienne collection du naturaliste Jean-Denis Fayolle) avaient été rapportés par Dombey54. Fortement éprouvé par la fatigue, les maladies et le dépit causé par la captation d’une grande partie de ses collections, il tomba dans une vive dépression qui le poussa à détruire la plupart de ses notes scientifiques prises sur le terrain. Chargé d’une nouvelle mission, aux Antilles cette fois, Dombey mourut accidentellement sur l’île de Monserrat en 1794.
Les fragments éparpillés connurent ensuite de nouvelles péripéties, qui aboutirent en fin de compte à une réunification inattendue au sein d’une seule institution. Quelques années après le début de la Révolution française, la Convention décida de la saisie des biens des personnalités condamnées ou ayant fui à l’étranger. La commission temporaire des Arts organisa alors la saisie des collections d’art et de sciences retrouvés au domicile des individus visés par cette décision. Pour Paris et ses environs, la plupart des objets extra-européens présents dans de nombreux cabinets de curiosités furent d’abord centralisés au dépôt de Nesle avant d’être redistribués à diverses institutions. Les listes des objets déposés à la maison de Nesle font ainsi apparaître les objets péruviens provenant de l’hôtel particulier d’Angiviller en 1794, ou des fuseaux et fils de coton découverts dans une sépulture péruvienne par Dombey et offerts au ministre Bertin55, ainsi que divers objets péruviens trouvés chez le comte de Noailles. La plupart de des artefacts furent ensuite affectés au nouveau cabinet des Antiques de la Bibliothèque nationale56, avant d’être déposés vers 1881 au nouveau musée d’ethnographie du Trocadéro. Quant au cabinet du marquis de Sérent, il demeura à Versailles, intégrant au début du XIXe siècle le musée de la bibliothèque municipale de Versailles, jusqu’à son dépôt au musée d’ethnographie du Trocadéro en 1934. Finalement, aujourd’hui la majeure partie des objets encore identifiables ayant été collectés par Dombey se retrouvent conservés au musée du quai Branly-Jacques Chirac. Il reste cependant à démêler l’écheveau des informations disponibles et éventuellement à redécouvrir dans ses réserves un certain nombre d’objets ayant perdu leur origine. Parmi les questions qui demeurent à élucider concernant ces collections, signalons que certaines attributions géographiques posent parfois problème ; l’identification de leur ancien propriétaire serait aussi à affiner57.
À travers cette rapide évocation de l’expédition de Joseph Dombey au Pérou, on constate que celui-ci sut non seulement mobiliser diverses compétences scientifiques, mais qu’il sut adapter ses travaux en fonction des circonstances : dépassant largement le cadre de sa formation initiale (la botanique), Dombey fut particulièrement réceptif aux recommandations relatives à l’archéologie qu’on lui adressa, si l’on en juge par le nombre impressionnant d’objets qu’il rapporta. Au-delà de ses compétences scientifiques particulières, de son adaptabilité et de ses heureuses intuitions, il convient de souligner en outre que sa contribution pionnière à l’archéologie du Pérou s’inscrit dans un contexte scientifique plus global où l’étude matérielle des cultures indigènes commençait à prendre une place croissante, tant en France qu’en Espagne : les artefacts issus des mondes lointains n’étaient plus seulement vus comme de simples curiosités mais comme des témoins de cultures à étudier. Ainsi, cette expédition en partie organisée par le gouvernement français préfigure-t-elle les nombreuses missions scientifiques lancées au siècle suivant par les ministères français de l’Instruction publique ou de la Marine58.
Enfin, les collectes de Dombey s’inscrivent dans un contexte de probable circulation croissante des objets archéologiques au Pérou : après des siècles de pillage des sites funéraires autochtones, on commençait à percevoir chez certains membres des élites créoles un début d’intérêt pour ces cultures indigènes. Les références au passé inca étaient certes déjà présentes dans l’idéologie coloniale, mais ce processus fut bien plus nettement marqué au tournant du siècle. À l’émulation savante favorisée par l’influence des Lumières européennes59 se conjuguèrent des aspirations politiques et idéologiques en faveur d’une plus grande autonomie des terres impériales ; on en trouverait notamment une illustration avec la fondation à Lima vers 1790 de la Sociedad Amantes del País. Ce mouvement ne fit que s’accentuer avec la déclaration de l’indépendance en 1821 : les cultures indigènes antérieures à la Conquête furent alors largement intégrées dans un imaginaire alimentant les discours sur l’identité nationale péruvienne60.
[1] Catherine LANG, « Joseph Dombey et l’expédition de Ruiz et Pavon: étude des itinéraires (1778–1784) » , Bulletin de la Société Botanique de France. Lettres Botaniques, volume 132, 1985, p. 259-274.
[2] Ces archives sont constituées de notes administratives, de lettres et de listes écrites par Dombey et de transcriptions faites par ou pour Ernest Hamy pour son livre consacré au voyageur naturaliste (Ernest-Théodore HAMY, Joseph Dombey - médecin, naturaliste, archéologue, explorateur du Pérou, du Chili et du Brésil (1778-1785). Sa vie, son œuvre, sa correspondance. Avec un choix de pièces relatives à sa mission, Paris, Librairie Orientale et Américaine, 1905,) ; ces documents viennent ainsi compléter le fonds conservé au MNHN. Le carton qui les réunit est coté aux Archives nationales AJ/15/511.
[3] Notamment le carton O/1/1292, où l’on trouve une autre partie importante de la correspondance de Joseph Dombey durant son séjour en Amérique du Sud et en Espagne. On trouve une transcription de nombre de ces lettres et rapports dans l’ouvrage de Hamy.
[4] En particulier dans le carton 745AP/49, où l’on trouve les notes de Turgot concernant cette expédition, ainsi qu’une série de lettres écrites par Dombey au ministre. Ces documents ont été numérisés et sont accessibles dans la « salle des inventaires virtuelle » des Archives nationales.
[5] Louis FEUILLÉE, Histoire des plantes médicinales…, Paris, Chez Jean Mariette, 1709, cité par Jean-Pierre Clément (1994).
[6] Mais apparemment pas seulement ; la formation donnée par Jussieu a pu aussi parfois toucher aux choses de l’archéologie, même si c’était de façon marginale et incidente. Ainsi dans une lettre adressée à Antoine-Laurent de Jussieu le 20 avril 1779 Dombey décrit des vases antiques collectés depuis son arrivée au Pérou « comme ceux que nous vîmes ensemble chez M. Duluc » (Ernest-Théodore HAMY, op. cit., p. 41, note 3).
[7] Encore qu’il s’agisse essentiellement – voire uniquement – d’objets découverts dans l’actuel Équateur (Pascal RIVIALE, « Les antiquités péruviennes et la curiosité américaine en France sous l’ancien Régime » , Histoire de l’Art, 21-22 (« collections et collectionneurs » ), 1993, p. 37-45).
[8] Le catalogue de cette vente était si important qu’il occupait trois volumes ; les curiosités américaines se retrouvent dans diverses sections du catalogue (Pedro DAVILA et ROMÉ DE l’ISLE, Catalogue systématique et raisonné des curiosités de la nature et de l’art, qui composent le cabinet de M. Davila, Paris, chez Briasson, 1767, 3 vol.).
[9] Gauthier AUBERT, Le Président de Robien. Gentilhomme et savant dans la Bretagne des Lumières, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2001. Robien précisait que l’un de ses vases péruviens avait appartenu à M. La Falaise-Chappedelaine ; c’est chez ce dernier que Frézier vit diverses curiosités du pays que ce négociant avait rapportées de son voyage au Pérou (Amédée-François FRÉZIER, Relation du voyage de la mer du sud aux côtes du Chily et du Pérou, fait pendant les années 1712, 1713 et 1714, Paris, chez Jean-Geoffroy Nyon, 1716, p. 250). C’est ce même vase sur l’on peut voir sur une gravure du récit de voyage de Frézier.
[10] François-Albert DUFFO, J.-J. Lefranc, marquis de Pompignan, poète et magistrat (1709-1784), étude sur sa vie et sur ses œuvres, Thèse présentée à la Faculté des lettres de Toulouse, 1913, p. 437.
[11] Sur Dávila, Robien et Picart, voir Pascal RIVIALE, « Les collections ethnographiques du Nouveau-monde en France à la veille de la Révolution », Histoire(s) de l’Amérique latine, vol. 15, 2022.
[12] Toutes ces citations ont été tirées de Jean-Jacques BARTHÉLÉMY, « Instructions pour M. Dombey sur son voyage au Pérou », in Œuvres complètes, Paris, A. Belin, vol. 4, p. 432-434. Nous avions déjà évoqué ces recommandations dans un article relatif aux premières instructions archéologiques sur le Pérou (Pascal RIVIALE, « Las primeras instrucciones científicas francesas para el estudio del Perú prehispánico (siglos–XVIII y XIX) », Bulletin de l’Institut Français d’Études Andines, tome 29, n°1, 2000. p. 29-62.).
[13] Jean-Jacques BARTHÉLÉMY, loc. cit.
[14] Id.
[15] Les interrogations de Barthélémy sur les langues entraient d’ailleurs dans une perspective plus large que la stricte philologie : « si l’on démêle un jour les migrations et l’origine des différentes nations de l’Amérique, ce ne sera que par la comparaison de leurs vocabulaires » (Id.).
[16] Id.
[17] Ernest-Théodore HAMY, op. cit., p. 322.
[18] « Instrucción hecha de orden del Rey Nuestro Señor para […] hacer escoger, preparar y enviara Madrid todas las producciones curioas de Naturaleza que se encontrasen en las Tierras y pueblos de sus distritos a fin de que se coloquen en el Real Gabinete de Historia Natural que S.M. ha establecido en esta Corte para beneficio e instrucción pública »
[19] Le contenu de cette section du questionnaire a été publié dans José ALCINA FRANCH, Arqueólogos o anticuarios, Barcelone, Ediciones del Serbal, 1995, p. 79-80.
[20] Hipólito RUIZ, Relación histórica del viage a los Reynos del Peru y Chile, Edición de Jaramillo Arango, Jaime, Madrid, Real Academia de Ciencias Exactas Físicas y Naturales de Madrid, tomo I, 1952, p. 37. Il ne fait toutefois pas mention de fouilles archéologiques sur place.
[21] Archives nationales, O/1/1292, lettre de Dombey à d’Angiviller (Lima, 20 avril 1779).
[22] Gouan était un médecin de Montpellier, réputé ses travaux en botanique. Turgot avait songé à lui pour une mission similaire à celle de Dombey mais à destination de l’Orient. Archives nationales, 745AP/49, note (sans date) parmi les papiers de Turgot.
[23] Archives nationales, O/1/1292, « contenu des cinq caisses et deux caissons... » (4 février 1781). Cet envoi incluait donc non seulement le « vêtement inca » mais d’autres pièces de tissus antiques.
[24] Archives nationales, O/1/1292, lettre de Dombey à d’Angiviller (Lima, 20 décembre 1778).
[25] Une analyse détaillée de cette pièce a été publiée dans la revue du Museo de América (María Jesús JIMÉNEZ DÍAZ, « Una ‘reliquia’ inca de los inicios de la Colonia : el Uncu del Museo de América de Madrid », Anales del Museo de América, vol.10, 2002, p. 9-42. Si l’on ne peut pas totalement exclure que ce vêtement ait été découvert dans une tombe, il est en tout cas certain qu’il a été fabriqué après la Conquête. La référence au temple de Pachacamac indiquée par son ancien propriétaire pourrait l’avoir été afin de donner plus de valeur à l’objet ou bien pour brouiller les pistes et éviter ainsi de se compromettre.
[26] Archives nationales, 745AP/49, lettre de Dombey à Turgot (Lima, 20 décembre 1778).
[27] L’enjeu était important à plus d’un titre pour les autorités espagnoles : fixer et « pacifier » des groupes indigènes hostiles ; exploiter les ressources naturelles locales ; contrecarrer les incursions d’entrepreneurs portugais venant du Brésil voisin.
[28] Il s’agit du passage du récit de Ruiz intitulé « Panteón sepulcral – Monedas de plata » (Hipólito RUIZ, op. cit., p. 80-81), ce qui laisserait même supposer qu’il s’agissait en fait d’un site funéraire d’époque coloniale ancienne (sauf si le terme de “monnaie” est une extrapolation de Ruiz).
[29] Ernest-Théodore HAMY, op. cit., p. LXV.
[30] Numéro d’inventaire au MQB : 71.1878.5.30.
[31] Numéro d’inventaire au MQB : 71.1878.5.36
[32] Archives nationales, O/1/1292, « Raison des effets contenus dans les 20 caissons remis à MM. Les officiers du trésor royal de Lima pour être répétée par le gouvernement de France dans le cas que M. Dombey vint à mourir dans son voyage de Chily » (sans date).
[33] Ernest-Théodore HAMY, op. cit., p. LXII.
[34] Id.
[35] Lettre citée par à Hamy (Ibid., p 109). Les « armes des Indiens » proviennent vraisemblablement de la partie orientale (amazonienne) du Pérou.
[36] Lettre à André Thouin (Cadix, 1er mars 1785), citée par Ernest-Théodore HAMY, op. cit., p. 127-128). Il avait déjà mentionné ce nombre de 400 dans une lettre envoyée depuis Rio à Buffon (14 août 1784) Archives nationales, AJ/15/511.
[37] Lettres à Thouin depuis Rio de Janeiro (5 octobre 1784) et depuis Cadix (1er mars 1785).
[38] Lettre à Thouin (Lima, 24 novembre 1781).
[39] Id.
[40] Lettre à Antoine-Laurent de Jussieu (Lima, 2 novembre 1781), citée par Hamy (1905: 261).
[41] Lettre à André Thouin (Cadix, 1er mars 1785), citée par Ernest-Théodore Hamy, op. cit., p. 127.
[42] À partir de l’année 1985 une succession de missions d’archéologie subaquatique furent réalisées après que l’on eût localisé le navire au fond de l’océan au large du Portugal : les fouilles effectuées permirent d’exhumer les restes de plusieurs membres de l’équipage ainsi que des passagers (parmi eux des prisonniers : il s’agirait apparemment d’individus ayant participé à la rébellion de Tupac Amaru, qui après leur capture avaient été embarqués pour l’Espagne). Il est intéressant de signaler ici que parmi les autres vestiges découverts lors des fouilles de l’épave en 1988 se trouvaient des vases préhispaniques identifiés comme appartenant à la culture chimu (côte nord du Pérou) – comme la majorité des vases aujourd’hui associés aux collectes effectuées par Dombey : on peut alors supposer que Ruiz, Pavón et le Français s’étaient approvisionnés auprès des mêmes sources. Voir https://www.abc.se/~pa/mar/spa-anth.htm (page consultée le 04/04/2022).
[43] Lettre à Thouin (Lima, 24 février 1784), citée par Hamy 1905. Cette liste est aujourd’hui non localisée.
[44] Paz CABELLO CARRO (Coleccionismo americano indígena en la España del siglo XVIII, Madrid, Ediciones de Cultura Hispánica, 1989, p. 149) signale que dans les collections rapportées par Ruiz et Pavón de leur côté se trouvaient également de ces vêtements en fibres végétales de Tahiti ; ils auraient été rapportés par le capitaine Domingo de Bonachea d’une expédition dans l’océan pacifique quelques années auparavant (son navire accosta à Tahiti vers 1774-1775).
[45] Il s’agit peut-être plutôt de Paucartambo.
[46] « Huacaros » pour « huacos » , c’était – et c’est toujours – le terme populaire pour désigner les poteries préhispaniques.
[47] On peut supposer qu’il s’agit plutôt de Lambayeque (côte nord du Pérou), zone réputée pour ses sites des cultures mochica et chimu. De nombreuses huacas de cette région avaient déjà fait l’objet de pillage à l’époque. Cet inventaire contient un grand nombre de toponymes : le fonctionnaire espagnol qui le rédigea se référait vraisemblablement aux indications écrites fournies par Dombey lui-même. La transcription intégrale de cette liste se trouve dans Paz CABELLO CARRO, op. cit., p. 151-152.
[48] Paz CABELLO CARRO, op. cit., p. 156.
[49] Son projet était en fait bien plus ambitieux : au-delà de la seule perspective documentaire, l’évêque de Trujillo aspirait à contribuer au développement économique et social de son diocèse, dans le contexte des réformes engagées par la Couronne d’Espagne et le vice-roi du Pérou. Voir Emily BERQUIST SOULE, The Bishop’s Utopia: Envisioning Improvement in Colonial Peru, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2014.
[50] Lisa TREVER and Joanne PILLSBURY, « Martinez Compañon and illustrated ‘Museum’ » , in Daniela BLEICHMAR et Peter C. MANCALL, Collecting Across Culture. Material Exchanges and the Early Modern Atlantic World, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2011, p. 242.
[51] Hamy avait très tôt relevé cette anomalie parmi les objets rapportés par Dombey : « Un petit problème d’Ethnographie américaine : La Corbeille de Joseph Dombey », Journal de la société des américanistes, vol.5, 1908, p. 157-161. Selon lui, cet objet en vannerie ornée de plumes, perles de verre et de coquillages aurait été fabriqué par des Indiens de Californie. On ignore dans quelles circonstances Dombey avait pu se procurer cet artefact exogène, mais c’est un indice de plus de la circulation des objets par le biais des navires de commerce notamment, durant la période coloniale.
[52] La liste des objets remis, datée du 31 janvier 1786, compte 69 numéros, soit environ 80 pièces (certains numéros correspondant en fait à plusieurs artefacts). Archives de la Bibliothèque nationale de France, cabinet des médailles, 2011/091/ACM04-04.
[53] Parmi les bénéficiaires identifiés mentionnons Henri Bertin, ancien contrôleur général des finances de Louis XVI ; le comte d’Angiviller, intendant de la maison du Roi ; le comte de Noailles ; peut-être la Lande également.
[54] On ne voit pas sinon comment le marquis de Sérent (ou bien Fayolle, le garde de son cabinet) aurait pu se procurer un nombre aussi considérable de céramiques péruviennes, telles qu’elles apparaissent dans la liste dressée en 1792 (Riviale 2022). Sur les collections Fayolle/Sérent/d’Artois, voir le dossier dirigé par Paz NUÑEZ-REGUEIRO et Nikolaus STOLLE, « Les origines du cabinet de curiosités et d’objets d’art de la bibliothèque municipale de Versailles : aléas d’une collection de l’Ancien Régime à l’Empire (1785-1805) », La revue des musées de France. Revue du Louvre, 1, 2021, p. 60-67.
[55] Voir par exemple aux Archives nationales, F/17/1336 (Inventaires d’objets d’histoire naturelle provenant de la Commission des Arts, 1793-an III) : « Notice des objets provenant du cabinet de Bertin et déposés conformément à l’arrêté du 5 germinal au Dépôt national de la rue Beaune n°625 ». Mentionnons également les listes contenues dans le carton F/17/1190-1191 (« Dépôt de Nesle, rue de Beaune »).
[56] Dont le premier garde n’était autre que l’abbé Barthélémy (déjà responsable du cabinet du Roi), qui avait rédigé pour Dombey. D’autres objets péruviens – en plus petit nombre – furent également orientés vers le Conservatoire des arts et métiers.
[57] Il nous semble qu’à l’heure actuelle un nombre excessif d’objets est annoncé comme ayant appartenu au comte de Noailles, si l’on se réfère aux listes du dépôt de Nesle citées plus haut. Signalons que lorsque ces objets avaient été déposés au musée d’ethnographie du Trocadéro vers 1881, certains avaient alors encore leur étiquette d’origine de la main de Dombey ; celles-ci ont malheureusement disparu depuis.
[58] Sur ce point-là voir Pascal RIVIALE, Un siècle d’archéologie française au Pérou (1821-1914), Paris, L’Harmattan, 1996.
[59] En ce sens il est intéressant de signaler que lorsqu’il était encore à Madrid Dombey rédigea un « projet d’établissement de deux académies, l’une à Lima, l’autre à Mexico », Archives nationales, 745AP/49 (Madrid, 31 juillet 1777).
[60] Sur l’intégration des images incaistes dans l’imaginaire et le discours politique durant la période coloniale et après l’Indépendance voir Ramón MUJICA PINILLA (dir.), Forjando la Nación peruana. El incaísmo y los idearios políticos de la República (siglos XVIII-XX), Lima, Fondo editorial Banco de crédito del Perú, 2021.
Résumé
Durant l’expédition botanique franco-espagnole effectuée avec ses compagnons Ruiz et Pavón au Pérou et au Chili entre 1778 et 1784, Joseph Dombey a développé une activité archéologique particulièrement importante – bien plus que ce que l’on aurait pu attendre. Cet article entend faire le point sur les études et les collectes archéologiques menées par le Français dans le cadre de sa mission. Ces activités illustrent plus largement l’émergence au XVIIIe siècle de l’archéologie précolombienne comme champs d’étude scientifique, tant en Europe que dans les futures républiques latino-américaines.
Resumen
Durante la expedición botánica franco-española realizada con sus compañeros Ruiz y Pavón en el Perú y Chile entre 1778 y 1784, Joseph Dombey desarrolló una actividad arqueológica especialmente importante, mucho más de lo que cabría esperar. Este artículo pretende hacer un balance de los estudios y colecciones arqueológicas realizadas por el francés en el marco de su misión. Estas actividades ilustran más ampliamente la aparición en el siglo–XVIII de la arqueología precolombina como campo de estudio científico, tanto en Europa como en las futuras repúblicas latinoamericanas.
Pascal RIVIALE
Archives nationales, membre associé de l’Institut français d’études andines
ALCINA FRANCH, José, Arqueólogos o anticuarios, Barcelone, Ediciones del Serbal, 1995.
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