Depuis 2016, l’enseignement du Français au cours du cycle 4 ne s’articule plus autour d’œuvres littéraires présentées chronologiquement mais à travers des thèmes abordés via des supports très variés. Indirectement liée au programme d’Histoire, la littérature du Moyen Âge, grande oubliée des études de Lettres du secondaire, ne trouve sa place que dans les manuels scolaires de la classe de cinquième. Ainsi, le manuel de français de cinquième L’Envol des Lettres, des éditions Belin, propose en plus de l’étude du Lai de Bisclavret de Marie de France, qui sera l’objet de cet article, des extraits de Perceval ou le Roman du Graal, de Lancelot ou le chevalier de la charrette, de La Chanson de Roland ou encore du Lai de Lanval de Marie de France. Les récits de chevalerie proposés sont directement rattachés à la thématique « Héros et héroïsmes » tandis que Le Lai de Bisclavret, présenté dans son intégralité, sous la forme d’une séquence intitulée « Un loup-garou merveilleux », s’inscrit également dans la thématique « Imaginer des univers nouveaux ». Précédé, d’une séquence autour des Mille et une Nuits, et plus précisément d’Ali Baba et des quarante voleurs, Le Lai de Bisclavret est rattaché ici, tant par le titre donné à la séquence que par sa place dans le manuel, au genre du conte. Il se présente comme une sorte d’objet de transition entre le conte et le roman de chevalerie puisqu’il fait appel à un type de personnage connu par les enfants (le loup-garou) tout en mettant en scène, même si cela n’est pas central dans ce lai, le système féodal de l’époque. Malheureusement ce caractère double n’est pas pleinement exploité par les concepteurs du manuel qui proposent des objectifs de séquence assez vagues puisqu’il s’agit principalement d’étudier une forme littéraire brève et de comprendre un récit merveilleux du Moyen Âge. Le premier problème posé par cet intitulé repose sur la notion de forme littéraire brève qui n’est jamais explicitée par le manuel. Il est difficile d’imaginer concrètement ce qu’un élève de collège met derrière cette terminologie. Pour lui, une forme littéraire brève peut correspondre indistinctement à un poème, à une fable, à un conte ou encore à une nouvelle. De plus, comme l’a judicieusement fait remarquer Pierre-Yves Badel, dans son article « La brièveté comme esthétique et comme éthique dans les Lais de Marie de France »1, on ne parle pas de la même brièveté pour un texte comme Le Lai d’Eliduc, qui contient 1184 vers, soit 47 de plus qu’un roman comme La Mule sans frein, que pour un texte comme Le Lai du Chèvrefeuille qui n’en contient que 118. Il est évident que cette notion de brièveté, pour le niveau cinquième, est souvent basée sur l’opposition schématique de tous les genres dits courts (poésie, fable, conte) avec ce genre long que serait le roman.
Dans le manuel, le genre du lai est défini par sa forme mais non par ses thèmes. Il n’est, par exemple, question ni de la chevalerie ni de l’amour courtois qui seront pourtant des notions évoquées, à plusieurs reprises, dans l’étude du Lai de Bisclavret. Il est regrettable aussi que le manuel ne définisse pas in medias res la notion de Merveilleux, en revenant par exemple à son étymologie latine mirabilia (« choses étonnantes, admirables »). Cette approche étymologique n’est présentée, qu’à la page 111 sous l’intitulé « Histoire des mots ». Il est dit que le mot Merveille a un sens neutre au Moyen Âge et qu’il désigne une situation ou une chose étrange, qui cause un vif étonnement. Heureusement, par la suite, le manuel appelle les élèves à s’interroger sur le sens du mot Merveilleux : « Quel sens le mot ‘‘merveilleux’’ a-t-il aujourd’hui en français ? Comment pouvez-vous expliquer cet emploi ? » Dans l’esprit des collégiens, la notion de Merveilleux est presque toujours synonyme de féerie. Il est donc important de leur expliquer que le Merveilleux n’est pas réductible à cette seule idée. Ce point étymologique apparaissant trop tardivement, l’enseignant sera dans l’obligation d’utiliser cette explication bien plus tôt dans son étude du Lai de Bisclavret, notamment pour interroger l’élève sur sa propre conception du Merveilleux. De plus, si le manuel propose, pour chaque extrait du lai, des objectifs et des questions en lien avec cette notion de Merveilleux (exemples : p. 108 Étudier les éléments magiques du récit merveilleux, p. 110 Comprendre ce qu’on appelle « merveilleux » au Moyen Âge ?, p. 112 Comprendre la résolution d’un récit merveilleux), il est évident qu’il est impossible, à partir de ce seul lai, de faire une typologie du Merveilleux au Moyen Âge. Le manuel ne met d’ailleurs pas en relation Le Lai de Bisclavret avec des textes de la même époque qui utiliseraient d’autres types de Merveilleux. Il présente néanmoins, à la suite de l’étude de ce texte, un dossier EPI autour des animaux fabuleux avec comme documents principaux un extrait de « La Serre » du Bestiaire de Pierre de Beauvais et une miniature tirée du Livre des propriétés des choses de Barthélémy l’anglais. Bien souvent, l’élève de collège ne considérera pas le loup-garou de ce lai comme un élément du merveilleux médiéval, au même titre que le Graal ou Excalibur, puisqu’il renvoie à quelque chose qu’il connaît déjà dans d’autres contextes. Il aura souvent tendance à évoquer, comme personnages proches de Bisclavret, les loups de contes comme Le Petit Chaperon rouge ou Les Trois petits cochons qui, s’ils sont anthropomorphes, ne renvoient pas directement à ce personnage d’homme métamorphosé en loup. L’un des buts de l’enseignant sera donc de lui faire comprendre que le traitement du motif du loup-garou chez Marie de France est radicalement différent de que l’on peut trouver dans les contes de fées.
Avant de rentrer dans l’étude du texte, le manuel L’Envol des Lettres présente, dans une double page introductive, une courte biographie de Marie de France mais aussi une définition du genre du lai qui, comme nous avons pu le voir précédemment, ne s’intéresse pas aux thèmes traités par le genre. Les explications présentées sont donc très succinctes. Il est, par exemple, dit que le mot lai a une origine celtique et qu’il veut dire probablement « chant » mais aussi que Marie a composé ses lais à partir d’un fonds de légendes celtiques et populaires appelé matière de Bretagne. Il semble important de préciser aux élèves ce que signifie le terme celtique et à quoi correspond la Bretagne évoquée ici. Le manque de précisions géographiques est assez problématique puisque les collégiens n’ont, pour la plupart, aucune idée de la véritable signification de tous ces mots. Bien que le cycle du roi Arthur fasse partie, comme il est également dit dans le manuel, de la matière de Bretagne, aucun exemple de texte n’est proposé aux élèves qui connaissent, en général, par le biais de séries télévisées telles que Kaamelot ou Merlin mais aussi de films comme le récent Le roi Arthur, la légende d’Excalibur de Guy Ritchie, les noms de la plupart des chevaliers de la Table ronde. Si le manuel L’Envol des Lettre propose, par la suite, une séquence autour des valeurs et exploits des chevaliers, à travers, entre autres, des extraits de romans de Chrétien de Troyes (Perceval et Lancelot), il omet d’évoquer, dans sa présentation des lais, l’importance du motif de la chevalerie, ce qui est en soi problématique puisque les élèves se demanderont quels sont les sujets traités par ce genre littéraire inconnu. Il ne dit rien non plus des emprunts de Marie de France à la culture antique alors que celle-ci est également connue pour ses fables inspirées d’Ésope. Les informations données, forcément lacunaires, permettent néanmoins à l’élève de comprendre quelques spécificités propres au genre du lai. Les lais sont donc présentés comme des histoires, racontées en musique, qui se transmettaient, à l’origine, à l’oral et qui sont devenus, sous la plume de Marie de France, des contes en vers, bien que le manuel occulte également cette spécificité pour présenter des traductions en prose. Cette introduction, pour le moins superficielle, manque également d’ouverture interdisciplinaire. À travers la question de la tradition orale, les troubadours et les trouvères auraient, en effet, pu être évoqués, et faire ainsi écho au programme du cours de Musique. Ils ne seront convoqués qu’à la page 118, dans un exercice intitulé « Mettre en voix le lai de ‘‘Bisclavret’’ à la manière d’un trouvère » qui ne présente que peu d’intérêt puisque le texte proposé est en prose et non en vers. En se concentrant principalement sur la figure de Marie de France, comme l’indique le titre en gras de la page 104 « La première femme écrivain d’expression française », les concepteurs du manuel ont oublié d’élaborer une définition étendue du genre du lai. Aucune distinction n’est faite, par exemple, entre lais lyriques et lais narratifs. Or s’il est un peu difficile, surtout au niveau cinquième, d’évoquer cette distinction, il semble intéressant de montrer aux élèves que le lai n’est pas forcément un récit d’aventure, comme Bisclavret, et peut être appréhendé de différentes manières. C’est pour cette raison que je donne à mes élèves, en parallèle de l’étude de Bisclavret, d’autres lais à lire notamment Le Lai du Chèvrefeuille et le Lai du Rossignol qui se présentent, avant tout, comme des histoires d’amour dénuées d’éléments merveilleux. L’étude, même succincte, de ces deux lais me permet d’évoquer le thème de l’amour courtois défini à la page 108 du manuel L’Envol des lettres en ces termes : « L’amour courtois ou fine amor, désigne au Moyen Âge un engagement qui unit l’amant à sa dame, le plus souvent hors mariage, et reproduit les liens de vassalité de la société féodale. La dame se comporte comme un suzerain ». Dans l’extrait du texte proposé aux pages 108 et 109, Bisclavret avoue à sa femme qu’il se métamorphose en loup-garou avant de se faire trahir par celle-ci. Le passage ne me semble pas être la meilleure des illustrations de la notion d’amour courtois bien que la dame emploie, dans le texte, des termes propres à la fin’amor : « Je vous donne mon amour et ma personne. Faites de moi votre amie ». Si les élèves auront perçu, pour la plupart, que l’une des composantes majeures de l’amour courtois est le respect du chevalier envers la dame, l’absence de réciprocité entrave ici quelque peu sa définition. De plus, les deux personnages sont déjà mariés, ce qui n’est pas le cas dans la majorité des histoires de ce type. Le thème de l’amour courtois aurait trouvé, en mon sens, une meilleure illustration dans Le Lai du Chèvrefeuille ou dans Le Lai des deux amants.
Les concepteurs du manuel introduisent donc des notions qui ne collent pas parfaitement au texte étudié bien qu’elles soient fondamentales pour la compréhension des œuvres du Moyen Âge. Ainsi, à la page 106, une définition de la société féodale, sans lien avec le premier extrait du texte présenté, nous est donné. Il est dit que la société féodale repose sur des relations d’obligation réciproque entre suzerains et vassaux, que le vassal doit obéissance et fidélité à son suzerain qui, en échange, lui offre sa protection et une terre appelée fief et que le roi domine cette société en devenant le suzerain des plus grands seigneurs. Le premier extrait de Bisclavet ne traite pas de la société féodale puisqu’il y est simplement question des interrogations de la femme de Bisclavret qui demande à son époux où il se rend chaque semaine durant trois jours. De plus, aucune définition des mots suzerain et vassal n’est proposée. Bien que le programme d’Histoire de cinquième traite de la société féodale, il est possible que les élèves n’aient pas encore étudié ce point au moment où le professeur de français aura commencé son étude des lais. Il est donc préférable de l’évoquer rapidement puisqu’il sert, comme nous avons pu le voir, à la page suivante, à expliquer la notion d’amour courtois. Si l’articulation entre points historiques et texte littéraire est parfois maladroite, le manuel a néanmoins le mérite de rendre ludique l’étude des œuvres du Moyen Âge. Ainsi, à la page 105, intitulé « Entrer dans la séquence », une brève étude de l’introduction du Lai de Bisclavret en vers et en ancien français est présentée aux élèves. Bien qu’aucune question de repérage grammatical ne soit donnée ici, les élèves sont cependant appelés à lire le texte à haute voix. Cette invitation à la découverte de l’Ancien Français, mise en exergue par la phrase impérative « Préparez-vous à remonter le temps », leur permet de se rendre compte que la langue n’est pas une entité figée et qu’elle est appelée, encore aujourd’hui, à évoluer. La traduction en français moderne de cette introduction incite également les élèves à interroger, même si cela est très bref, certaines évolutions phonétiques telles que le mot beste devenu bête, le –s– ayant disparu ici au profit d’un accent circonflexe, ou encore la transformation du –u– en –o–, de humes à hommes. Le manuel les invite ensuite à trouver le mot manquant de la traduction en français moderne dans le texte en ancien français. Les élèves auront repéré le mot garwalf et ses variantes garvalf et garval. Ils auront perçu que gar renvoie au garou de loup-garou avant même d’avoir traité la question 5 qui leur demande de chercher le sens du mot anglais werewolf pour trouver le mot manquant à la traduction en français moderne. Il est dommage que le manuel, plutôt que de faire rechercher aux élèves le sens du mot anglais werewolf, ne propose pas une étude étymologique succincte du mot loup-garou en montrant, par exemple, que wolf vient du vieux francique wulf qui veut dire « loup ». La traduction en français moderne, mise en vis-à-vis, aide les collégiens à mieux comprendre le sens premier du texte même si cela se fait au détriment de la forme, la question de la versification n’étant évoquée qu’à la page 105 avec l’extrait de l’introduction du lai en ancien français. Si les questions de la page 105 ont le mérite de leur faire découvrir la forme originale des lais, c’est-à-dire des récits en vers pourvus de rimes (bretan, norman, oïr, avenir), il est regrettable qu’aucune question sur le type de vers utilisé par Marie de France ne soit posée, les élèves étant, pour la plupart, capables même sur le texte en ancien français, de repérer des octosyllabes.
Dans le manuel, le lai de Marie de France, présenté dans son intégralité, est scindé en quatre parties. Dans la première « Un secret inavouable », la femme de Bisclavret interroge son mari sur ses mystérieuses disparitions, dans la deuxième « Une révélation aux conséquences terribles », Bisclavret, après avoir avoué à sa femme qu’il est un loup-garou, est trahi par celle-ci qui cache ses vêtements afin qu’il ne puisse plus redevenir humain, dans la troisième « Un comportement inattendu », le roi rencontre Bisclavret dans la forêt, l’épargne et le fait venir dans son château, et enfin dans « Un retour glorieux », qui est le dénouement du lai, Bisclavret redevient humain et punit sa femme dont la descendance féminine sera condamnée à venir au monde sans nez. Si le découpage du manuel est cohérent (même si, à mon sens, les deux premiers extraits auraient pu en former un seul), les questions qu’il propose n’invitent que trop peu à la réflexion. C’est notamment le cas des questions de type comparatif qui font appel à du simple repérage textuel et ne prennent pas en compte la complexité des œuvres. Les élèves sont ainsi appelés à comparer le deuxième extrait du Lai de Bisclavret avec un passage du Satiricon de Pétrone présentant la confrontation de Nicéros avec l’un de ses hommes métamorphosé en loup-garou. Ils doivent montrer en quoi la littérature médiévale puise ses sources dans l’héritage de la littérature antique. Les élèves repèrent facilement les points communs entre les deux textes (l’homme enlève ses vêtements avant de se métamorphoser en loup-garou) et peuvent interpréter le texte de Pétrone en référence à celui de Marie de France mais cette comparaison, trop peu étoffée, s’arrête là. Dans le texte de Pétrone, le loup-garou entre dans une ferme et saigne tout le bétail. Il est représenté comme une créature sanguinaire, ce que n’est pas le personnage de Bisclavret. Sans doute, aurait-il fallu mettre un extrait plus long du texte de Pétrone dans son intégralité puisqu’il est impossible de savoir, après avoir lu le passage proposé par le manuel, si le loup-garou est ou non dangereux. Marie de France donne une interprétation nouvelle du mythe du loup-garou qui la met à distance des textes antiques auxquels elle se réfère mais aussi des autres représentations qui ont pu en être données au Moyen Âge. Son Bisclavret, pour reprendre les propos tenus par Francis Dubost, dans son article « Les motifs du merveilleux dans les Lais de Marie de France »2, renvoie aux formes les plus archaïques du motif, et relève en même temps d’une volonté évidente d’en atténuer la sauvagerie primitive, celle qui est associée d’ordinaire à la phase animale. À la page 110, un court extrait du Livre des Merveilles de Gervais de Tilbury est mis en relation avec le texte de Marie de France et permet enfin aux élèves de mieux se rendre compte de l’originalité de l’autrice. Si la question posée par le manuel « Quelle image singulière du loup-garou Marie de France donne-t-elle dans ce lai ? » mérite d’être reformulée, elle est l’une des seules qui invite l’élève à développer une réflexion personnelle. La plupart des questions proposées, dans le manuel, sont des questions de repérages textuels (exemples : Faites la liste de toutes les informations que donne Bisclavret sur sa transformation. Quel est le plan de l’épouse ? Quel personnage devient son complice et pourquoi ?) qui permettent seulement à l’enseignant de voir si les collégiens comprennent ce qu’ils lisent. Effectivement, au collège, en niveau cinquième, et notamment dans des établissements de type REP, il ne fait nul doute que la compréhension littérale des textes est l’attente principale des enseignants de Lettres. Les questions doivent être perpétuellement reformulées afin que les élèves les plus en difficulté, mais également ceux appartenant au dispositif ULIS et inclus en cours de français, puissent comprendre le sens des textes. Les références historiques demandées, qu’elles soient connues ou non par les élèves, n’entachent pas la compréhension globale du texte qu’ils résument d’ailleurs de cette façon : « Bisclavret, c’est l’histoire d’un chevalier loup-garou trahi par sa femme, qui est sauvé par le roi et qui finit par se venger de sa femme en lui arrachant le nez ». L’avant-dernier extrait du texte « Un comportement inattendu » introduit de nombreuses notions qui en appellent aux connaissances personnelles de l’élève qui doit reconnaître les activités pratiquées par les nobles du Moyen Âge mais aussi faire le lien entre le comportement du loup et la cérémonie de l’adoubement (questions 1 et 3 p. 111 : Quelles activités pratiquées par les nobles du Moyen Âge sont mises en scène dans cet extrait ? À quelle cérémonie féodale le comportement du loup vous fait-il penser ? Justifiez votre réponse en relevant le champ lexical de la féodalité). Mais, finalement ce sont moins les connaissances que le bon sens et la logique des élèves qui sont ici mis à contribution puisque les deux illustrations proposées par le manuel (une scène de chasse et l’adoubement de Galaad) leur permettent de trouver la réponse à ces questions sans qu’ils aient, pour autant, les connaissances historiques requises.
Le manuel a tendance, malgré des rappels historiques et étymologiques assez fréquents qui aident les élèves à bien contextualiser l’œuvre comme l’encadré « Repères » de la page 112 sur la justice au Moyen Âge qui explique le sens de l’expression soumettre à la question ou l’encadré « Histoire des mots » de la page 107 qui revient sur l’étymologie de l’adverbe noblement, à s’intéresser davantage aux différentes représentations de la figure du loup-garou (de l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui) qu’au genre du lai. Ainsi la question 6 de la page 109 « Cherchez le mythe grec dans lequel un roi cruel est transformé en loup par Zeus : dans quelle œuvre de la littérature latine ce mythe est-il raconté ? Quel est son auteur ? » permet de réactualiser, chez les élèves, d’anciennes connaissances puisque Les Métamorphoses d’Ovide sont, souvent, étudiées en sixième. Si les élèves ne connaissent pas, pour la plupart, le mythe de Lycaon, le terme de lycanthropie ne leur est pas inconnu. Il est donc, intéressant, une fois de plus, de s’appuyer sur leurs connaissances personnelles puisque l’on trouve dans de nombreux films, séries et même jeux-vidéos ce terme. En définitive, Le Lai de Bisclavret pourrait très bien figurer avec Le Satiricon, Les Métamorphoses ou encore Le Livre des merveilles, dans un corpus de textes autour de la figure du monstre qui est l’un des grands objets d’études des programmes de sixième en français. Cette insistance sur la figure du monstre se retrouve aussi dans tous les exercices d’écriture proposés par le manuel. Ainsi, dans la question 7 de la page 109, on propose aux élèves d’imaginer la description du processus de métamorphose de Bisclavret en loup-garou en s’inspirant du roman de J.K Rowling Le Prisonnier d’Azkaban, tandis que la question 6 de la page 113 leur demande d’imaginer ce que Bisclavret a ressenti lorsqu’il était enfermé dans son corps de loup. Le dossier sur les bestiaires fabuleux, des pages 120 à 127, qui invite les élèves à créer eux-mêmes leur propre créature hybride, prolonge cette étude de la figure du monstre à travers le temps en présentant, à travers des textes et des œuvres d’art, de l’Antiquité et du Moyen Âge, les personnages mythologiques de la sirène et du Phénix. Les comparaisons assez judicieuses permettent aux élèves de mieux comprendre cette idée de synthèse entre l’héritage antique et la pensée chrétienne évoquée à la page 125, à travers l’étude de textes de Pline l’Ancien et de Jean de Mandeville autour de la représentation du Phénix. Si je n’ai pas, dans ma pratique pédagogique, utilisé ce dossier, qui m’éloignait un peu trop du genre du lai et ne m’aurait pas permis d’introduire ma séquence suivante sur Yvain ou le chevalier au lion, je reconnais qu’il pourrait être intéressant de l’exploiter pour développer un peu plus cette question des sources antiques trop peu évoquée dans le dossier liminaire sur les lais.
En définitive, l’étude du Lai de Bisclavret donne la possibilité au professeur d’introduire, de manière ponctuelle, des notions historiques et culturelles propres au Moyen Âge. L’enseignant pourra d’ailleurs s’appuyer sur les exercices « les mots du Moyen Âge » de la page 117 pour s’assurer que le vocabulaire de la féodalité a bien été compris. Mais qu’auront retenu les élèves, qui ont étudié Le Lai de Bisclavret et lu Le Lai du Chèvrefeuille et Le Lai du Rossignol, de ce genre littéraire ? Si on leur demande de résumer en une ou deux phrases ce qu’est un lai, nous retrouvons souvent des réponses similaires. Peu d’élèves évoquent sa forme (la versification, les octosyllabes chez Marie de France), son origine (celtique) mais la plupart se rappellent qu’il s’agit d’un chant du Moyen Âge. Ils évoquent la figure du chevalier qui vit des aventures extraordinaires, comme Bisclavret, mais aussi la notion d’amour courtois. Ils parlent du Merveilleux tout en montrant avec les exemples du Lai du Chèvrefeuille et du Lai du Rossignol, que celui-ci n’est pas présent dans tous les lais. Il est évident que pour les élèves du dispositif ULIS, toutes ces notions historiques sont difficilement compréhensibles. Les textes doivent donc être travaillés, en amont, avec les auxiliaires de vie scolaire qui les aident à produire de brefs résumés, avant chaque cours, afin de pouvoir suivre et répondre aux questions comme les autres élèves. La projection d’un film d’animation, que l’on trouve sur youtube, d’à peine cinq minutes, avec des playmobils, reprenant, dans son intégralité, l’histoire du Lai de Bisclavret, est aussi un bon outil pour les aider à comprendre non pas tant le contexte du texte que son sens premier. Pour ce qui est du travail d’expression écrite, je demande, en général, aux élèves d’imaginer, un autre dénouement à l’histoire de Bisclavret. S’ils décident, en général, de venger le héros en faisant tuer la femme et le chevalier, d’autres imaginent une fin tragique pour le personnage, tué en général par le chevalier ami de sa femme ou par le roi. Bien qu’il soit difficile de réutiliser, pour cet exercice, le vocabulaire de la féodalité, il est néanmoins appréciable de voir que certains élèves utilisent, dans leurs dialogues, des termes vus en classe comme sire, dame ou ami. Finalement, on trouve très peu d’anachronismes dans les copies des élèves qui essaient de rester au plus près du texte original quitte, parfois, à en proposer une quasi copie. C’est, bien évidemment, ce que font les élèves les plus en difficulté. Les collégiens comprennent les particularités du genre mais les occultent assez rapidement. Cela est, sans doute, dû au fait que la version du texte retenue par les concepteurs du manuel soit en prose. Néanmoins cette étude, à travers l’exemple du Lai de Bisclavret, me semble être une bonne introduction au roman de chevalerie où seront développés, de manière plus conséquente, les thèmes des valeurs chevaleresques et de l’amour courtois.
[1] Pierre-Yves BADEL, « La brièveté comme esthétique dans les Lais de Marie de France », in Jean DUFOURNET (dir.), Amour et merveille : les Lais de Marie de France, Paris, Champion, 2013, p. 25-40.
[2] Francis DUBOST, « Les motifs du merveilleux dans les Lais de Marie de France » in Jean DUFOURNET (dir.), Amour et merveille : les Lais de Marie de France, Paris, Champion, 2013, p. 41-80.
Résumé
La littérature du Moyen Âge est peu abordée dans les programmes scolaires de l’enseignement secondaire. Elle ne trouve réellement sa place que dans le programme de la classe de cinquième puisque le Moyen Âge est également étudié dans le cadre du cours d’Histoire. Or si elle renvoie à un imaginaire de l’Heroic Fantasy, connu de tous, elle est déstabilisante pour des élèves qui se heurtent à la difficulté de la langue et peinent à définir le contexte socio-historique des textes qui leur sont présentés. De par la violence de ses thèmes et de certaines de ses représentations, elle est également appelée à être censurée par l’enseignant qui devra en proposer une interprétation simplifiée. Si d’un point de vue didactique, la difficulté est importante, le professeur peut néanmoins s’appuyer sur ce que les manuels scolaires proposent. À travers l’exemple du Lai de Bisclavret de Marie de France, nous interrogerons la pertinence des outils proposés par le manuel de français L’Envol des lettres des éditions Belin. Permet-il d’aborder les spécificités tant formelles que thématiques des textes ? Dépasse-t-il la simple étude littérale des œuvres du Moyen Âge ?
Abstract
The literature of the Middle Ages is little addressed in the secondary school curriculum. It only really finds its place in the curriculum of the fifth grade since the Middle Ages are also studied in the History course. Although it refers to an imaginary of Heroic Fantasy, known to all, it is destabilizing for pupils who are confronted with the difficulty of the language and struggle to define the socio-historical context of the texts presented to them. Because of the violence of its themes and some of its representations, it is also likely to be censored by the teacher, who will have to propose a simplified interpretation. Although from a didactic point of view, the difficulty is significant, the teacher can nevertheless rely on what the textbooks propose. Through the example of Lai de Bisclavret of Marie de France, we will question the relevance of the tools proposed by the French textbook L’Envol des lettres by Belin editions. Does it allow us to address the formal and thematic specificities of the texts? Does it go beyond the simple literal study of works from the Middle Ages?
Fabien DEMANGEOT
Université de Bourgogne, Laboratoire LISIT
BADEL, Pierre-Yves, « La brièveté comme esthétique dans les Lais de Marie de France », in Jean DUFOURNET (dir.), Amour et merveille : les “Lais” de Marie de France, Paris, Champion, 2013, p. 25-40.
DUBOST, Francis, « Les motifs du merveilleux dans les Lais de Marie de France » in Jean DUFOURNET (dir.), Amour et merveille : les Lais de Marie de France, Paris, Champion, 2013, p. 41-80.
RANDANNE, Florence (dir.), L’Envol des lettres. Français, 5e, cycle 4, Belin, 2016.