Nul intérêt ne dirige ma plume : mais je suis femme,
je suis Française, elle est ma reine ! […] Je brise les
entraves que l’on oppose à mon sexe pour le défendre,
et je remplis le devoir du sujet et du citoyen,
en l’élevant contre cette injustice.
Mme de Valincourt1
Dans la préface qu’elle consacre au roman Le Collier de la reine2, Sylvie Thorel-Cailleteau écrit justement que cette œuvre « a une autonomie au sein de la série, parce qu’[elle] relate un épisode complet de l’histoire du règne de Louis XVI »3. La « série » est en réalité quadripartite et s’inscrit dans ce que l’on nomme Mémoires d’un médecin : Joseph Balsamo, écrit entre 1846 et 1849, qui relate les événements historiques de 1770 à 1774 ; Ange Pitou, rédigé entre 1849 et 1850, évoque ce qui se passe en 1789 : La Comtesse de Charny, écrit en 1852, révèle l’histoire de 1789 à 1794. Le Collier de la reine est donc le deuxième de cette série et a été rédigé entre 1849 et 1850. Elle ajoute qu’« il semble que le romancier […] s’acharne à saisir l’idée de la fin »4 : fin d’un régime, d’un système, fin des valeurs et des ordres et peut-être même, devrions-nous ajouter, la fin du roi et de la reine, comme cette dernière l’avait elle-même entr’aperçu dans Joseph Balsamo, au chapitre intitulé « Magie »5 quand le sorcier, comme il aime à se nommer, lui tend une carafe d’eau pure dans laquelle elle se voit mourir. Et, entre Joseph Balsamo publié dans le journal La Presse de 1846 à 1847 et le roman qui nous intéresse ici, Le Collier de la reine, étant diffusé lui aussi dans La Presse de 1849 à 1850, il est évident que Dumas voulait faire l’histoire de la révolution de 1848, en mélodramatisant l’épisode de ce fameux collier de diamants. Mais il échoue, ce qu’il avoue dans l’avant-propos du roman, en précisant alors qu’il l’avait déjà prédit en 1833, dans Gaule et France6, en insistant sur ces termes qu’il glose un peu : « MEURE LA ROYAUTÉ, MAIS DIEU SAUVE LE ROI ! »7. Peu importe, donc, que l’« on tombe de la vie ou du trône, c’est une pitié de s’incliner devant le sépulcre ouvert, devant la couronne brisée »8. Que l’on ne s’y méprenne cependant pas, c’est un Dumas connu et adulé par le public dont il sera question ici, un homme de lettres, clame-t-il lui-même, qui a « écrit à peu près quatre cents volumes » et qui a « fouillé bien des siècles »9. De ces siècles a surgi l’événement que l’Histoire a nommé « l’affaire du collier de la reine », c’est-à-dire cet épisode réel (1785) qui signifie pour bien des historiens le début de la chute de la monarchie et l’avènement de la Révolution Française10, comme l’avait suggéré Napoléon selon qui : « Dès le procès du collier, on peut prédire la mort de la Reine et en prévoir le moment »11. Talleyrand prophétisait alors : « Suivez donc cette histoire, du collier de diamants, elle est bien capable d’ébranler le trône de France »12. Un roman particulièrement empreint d’une nostalgie tournée vers l’Ancien Régime, comme bon nombre d’autres romans qui mettent en scène « des personnages éblouis de se retrouver debout au grand jour de la publicité »13. Et de l’aveu même de Dumas, en 1849 : « Ce que mon regard rétrospectif cherche dans le passé, c’est la société qui s’en va, qui s’évapore, qui disparaît »14, ce « passé lointain » d’avant la Révolution française (1784-1786). Par conséquent, Dumas en-quête et sonde le peu de sources existantes sur cette période afin de saisir la figure de proue qu’avait été Marie-Antoinette, fille de Marie-Thérèse d’Autriche et de l’empereur François Ier. Ces écrits ne relayent que fantasmes et préjugés qui furent exacerbés après l’affaire jugée. À travers la fictionnalisation, Dumas reconstitue une part de l’histoire nationale dans son roman historique, celle qui, après 1780, attaque les grands, montre la frustration de plus en plus prégnante d’« une population confusément consciente de la crise des représentations sociales en train de se jouer »15, note Annie Duprat, rejetant alors tout bonnement la monarchie. Ainsi revisitée, la période est récrite, mais dans quelle intention : éduquer ou manipuler ? C’est à cette question que nous souhaiterions, mais non exclusivement, apporter des éléments de réponse. Mais attention nous prévient aussi Dumas ! Fi des ragots et des mensonges, fi des rumeurs et autres pamphlets, plus question de « calomnies, semées par les ennemis, non seulement de la femme, non seulement de la reine, mais encore de la royauté »16 ; lui, le romancier, veut, de sa propre confession, faire acte d’historien « qui sera le censeur du poète »17. Et d’ailleurs, il n’hésite pas à prévenir les lecteurs de son Histoire de Louis XVI et de Marie-Antoinette que « ceux qui voudront la connaître dans tous ses détails recourront à notre roman Le Collier de la Reine, dans lequel nous croyons ne nous être pas un instant écarté de la vérité »18 alors même qu’il avait déjà insisté le 29 novembre 1848 dans son avant-propos :
Rien de hasardé sur la femme reine, rien de douteux sur la reine martyre. Faiblesse de l’humanité, orgueil royal, nous peindrons tout, c’est vrai ; mais comme ces peintres idéalistes qui savent prendre le beau côté de la ressemblance ; mais comme faisait l’artiste au nom d’Ange, quand dans sa maîtresse chérie il retrouvait une madone sainte ; entre les pamphlets infâmes et la louange exagérée, nous suivrons, triste, impartial et solennel, la ligne rêveuse de la poésie. Celle dont le bourreau a montré au peuple la tête pâle a bien acheté le droit de ne plus rougir devant la postérité19
Ut pictura poesis, aurait pu clamer Dumas, remplaçant alors poesis par historia. Mais comment s’y prend-il pour faire éclore à côté de la légende noire déjà bien ancrée dans les mentalités de l’époque, une autre légende qui tenterait de réhabiliter l’Autrichienne dans l’histoire nationale de la France ?20 Tout d’abord, en ne suivant pas ses contemporains, pour la plupart Républicains, qui attaquent le règne de Louis XVI en ternissant l’image de la reine, puis en mettant en scène les tensions romanesques qui existent entre la « femme et [la] reine » (titre du chapitre 67). Et finalement, en cristallisant l’épisode du collier de la reine, le romancier offre à ses lecteurs une nouvelle leçon d’histoire.
Écrivaines et actrices de la Révolution française, celles qui se sont illustrées par leurs écrits ou leurs actes ont fait l’objet de nombreuses attaques. Mais c’est sans aucune comparaison avec ce qui a été dit sur/de la reine de France, Marie-Antoinette, dont l’image est omniprésente dans l’actualité politique et dans la littérature d’opposition. Annie Duprat constate même que « la débauche de pamphlets, chansons et caricatures hostiles à cette reine est sans précédent dans l’histoire de France »21. Épouse du roi, de facto, elle est déjà un personnage extraordinairement décrié depuis son arrivée en France (elle fit une pause à Strasbourg, retracée dans les Mémoires22 de la baronne d’Oberkirch). Comme reine de France (et de surcroît comme dernière reine du royaume), elle a contre elle des discours tout faits et forgés depuis plusieurs siècles à partir d’autres portraits de reines qui s’étaient mêlées de faire de la politique ou qui avaient prétendu se substituer au roi et à ses ministres. Les pamphlets et les histoires de France ont vite appris aux Français à détester leurs reines-femmes23, les précipitant dans les limbes des légendes noires : Frédégonde, Brunehaut, Isabeau de Bavière et Catherine de Médicis. La littérature historique rapproche alors les époques et les reines au moyen de formules « chocs » qui connaissent une très grande fortune : Marie-Antoinette (sous-entendu comme Catherine de Médicis) fomente « une Contre-Révolution, et même, une “Saint-Barthélemy des patriotes” »24. Les arguments avancés contre toutes ces reines étaient les mêmes : elles étaient mal élevées par leurs mères (ici, l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche trop stricte et trop autrichienne), mal conseillées, voire poussées dans les marges du pouvoir par une foule de ministres intéressés (ici, les représentants autrichiens qui l’ont accompagnée en France), mal intégrées à la vie aulique en France, royaume sans reine (la loi Salique est en vigueur depuis des siècles) ou, comme le constate le père de Philippe de Taverney, personnage fictif du Collier de la reine, le pays où règnent des favorites : « La Du Barry, majesté peu respectable »)25 ou comme ces Médicis italiennes (Catherine et Marie) que l’on a fait venir pour épouser les rois de France (ici, la dernière enfant d’une longue fratrie de Marie-Thérèse), négligées par un Roi-mari à l’instar de Henri II délaissant Catherine de Médicis pour sa maîtresse26, Diane de Poitiers, ou Anne d’Autriche, épouse du roi chasseur, Louis XIII (ici, par Louis XVI, roi timoré et sans expérience, qui attendra sept longues années pour consommer le mariage). N’oublions pas qu’à côté de ces leitmotivs outranciers diffusés par les détracteurs, Marie-Antoinette n’a pas réellement su faire face aux nouveautés que la Cour de France lui imposait pour suivre l’étiquette nationale — comme se badigeonner de rouge à paupière à la mode en France. Elle a souvent été maladroite et a multiplié les erreurs27, comme cela lui a fréquemment été reproché par sa propre mère dans leur abondante correspondance, ou par son propre frère, Ferdinand II, qui intervient dans le roman de Dumas de façon grandiloquente et brutale contrairement au Ferdinand de l’Histoire. Donnant prise à toutes sortes de ragots, elle est embarquée dans ce qui nous intéresse ici, l’affaire du collier, avant de prendre la res politica plus au sérieux en siégeant au Conseil du roi, en 1788, alors que Louis XVI est de plus en plus apathique et asthénique. La vogue pamphlétaire et les folliculaires vont jusqu’à rééditer, voire à récrire, des textes antérieurs, nous apprend Jean-Clément Martin : « Le livre Essais historiques sur la vie de Marie-Antoinette, qui avait été interdit et brûlé en 1783, est […] réédité seize fois entre 1789 et 1790, alors que dans le même temps en sont proposées six contrefaçons »28. Dumas s’est abreuvé à tous ces textes et avait lu aussi les principaux ouvrages des acteurs et des actrices de l’affaire29. Il tire de cette littérature la réflexion suivante, qui concourt à atténuer les erreurs de la reine en accentuant les rapaces de la royauté :
Un frémissement de stupeur, qui courut par toute cette foule dorée et chamarrée, l’avertit qu’une fois encore elle venait de commettre une de ses fautes contre l’étiquette ; fautes énormes aux yeux de la jalousie et de la servilité30.
En outre, il n’est pas rare de trouver dans les romans dumasiens — et cette problématique n’a toujours pas été sérieusement étudiée — ses prises de position en faveur des femmes de pouvoir ou des femmes illustres31. Si Marguerite de Valois, appelée la Reine Margot, se lamente, car privée de liberté, de « la [mauvaise] condition des femmes en général »32, une autre femme a joué le rôle de modératrice dans cette vision si blasphématoire de Marie-Antoinette, c’est Olympe de Gouges qui lui dédie ses Droits de la femme et commence son texte par un rappel capital (Dumas, nous le verrons plus loin, se référera à une autre femme proche de Marie-Antoinette, Mme Campan) :
Lorsque tout l’Empire (ici le pays) vous accusait et vous rendait responsable de ses calamités, moi seule, dans un temps de trouble et d’orage, j’ai eu la force de prendre votre défense. Je n’ai jamais pu me persuader qu’une princesse élevée au sein des grandeurs eût tous les vices de la bassesse33.
Et Dumas de rappeler dans La Comtesse de Charny (1852), dont la diégèse se situe bien après l’affaire du collier :
Olympe de Gouges s’était faite l’avocat des femmes ; elle voulait qu’on leur donnât les mêmes droits qu’aux hommes, qu’elles pussent briguer la députation, discuter les lois, déclarer la paix et la guerre ; et elle avait appuyé sa prétention d’un mot sublime : « Pourquoi les femmes ne monteraient-elles pas à la tribune ? dit-elle ; elles montent bien à l’échafaud !34
Il est surprenant pour un Républicain de suivre alors, dans sa démonstration romanesque, la tradition royaliste qui défend la vertu de la reine. Pour les frères Goncourt, monarchistes de la première heure, que Dumas a rencontrés35, soupçonner que la reine ait pu, de près ou de loin, tremper dans l’intrigue, relève déjà de l’inculpation, voire du procès d’intention :
Avant d’aborder cette fatale et honteuse comédie, l’affaire du collier, il est nécessaire d’en indiquer le commencement et la préparation. Il faut montrer l’empoisonnement de l’opinion publique jusqu’à cet éclat de la prévention nationale, et dire, ne fût-ce qu’en les indiquant, toutes ces accusations anonymes et flottantes, qui ont été l’annonce, l’essai de l’accusation au grand jour et à haute voix. C’est là un des pénibles devoirs de l’historien de Marie-Antoinette. Quoi qu’il lui coûte, quoi qu’il lui répugne, il lui est ordonné de descendre un moment au scandale, et de confronter avec l’outrage de la mémoire de la Reine. Il voudrait mépriser de si misérables injures, les abandonner à leur honte, les couvrir de son silence ; mais dans une telle question, la vertu de la Reine, il est des résignations que l’histoire exige de lui, des pudeurs dont la vérité lui demande le sacrifice. Dure loi, qu’il soit besoin de redire la calomnie pour lui répondre !36
On reconnaît ici, en profondeur, l’essence même du projet d’Alexandre Dumas : romantiser une « anecdote » de l’histoire, quitte à l’étendre, en observant les pièces à conviction et ainsi redorer et défendre la reine. Plus étonnant encore, alors que Michelet peut être considéré comme le mentor du romancier sur les questions historiques, comme il le dit : « nous aimons fort à croire ce que croit Michelet »37, dans Le Collier de la reine, il s’en écarte très étrangement, voire il le contredit sur de nombreux points. Ce sont, en effet, des portraits à charge que dessine l’historien dans lesquels il attaque la reine de tous côtés (son physique, sa famille, ses amants, ses dépenses…), faisant même de Jeanne de la Motte une victime de Marie-Antoinette :
La Reine, à un autre âge, pour un homme à la mode, avait bravé, affronté le scandale, s’était fait croire coupable (et plus qu’elle ne l’était peut-être).
Il suffisait d’un mot de sa mère, de son frère, pour réveiller en elle le fond du fonds, l’intérêt autrichien38.
Mais alors pourquoi, dans ce roman, Dumas ne vogue-t-il pas sur les traces de son maître et pourquoi participe-t-il, comme on le comprend chez les royalistes Goncourt, à la réhabilitation de Marie-Antoinette ? Estelle Bédée propose très justement une hypothèse : la réhabilitation des reines et des princesses se réaliserait pour Dumas à partir du moment où « elles acquièrent le statut de martyr »39. Une seconde idée serait, comme nous l’avons dit, qu’en 1833, le romancier avait, dans une formule qu’il trouve lui-même prophétique, annoncé la mort de la royauté, mais espérait que « Dieu sauve le Roi », c’est-à-dire l’homme. Ici, entre les lignes, Dumas applique ce précepte humaniste. Il annonce par là les curieuses biographies de ces grands hommes « en robe de chambre » (1855), dont les modèles ont été puisés dans les Vies parallèles de Plutarque qui écrivait : « Nous n’écrivons pas des Histoires mais des vies, et ce n’est pas toujours par les actions les plus illustres que l’on peut mettre en lumière une vertu ou un vice »40.
Le Collier de la reine, au-delà de l’histoire événementielle, factuelle, est une forme de biographie d’une grande reine « en robe de chambre », si l’on peut dire. Dumas joue sur deux tableaux et nous paraît très nuancé contrairement à ce qu’affirme Lise Dumasy qui montre que « la figure de Marie-Antoinette concentre toute la négativité de cette histoire / Histoire »41 : elle est, certes la reine de France (un personnage publique), mais aussi, et peut-être surtout, une femme sacrifiée sur l’autel de la politique (comme les hommes d’ailleurs), comme toutes celles que Dumas a pu mettre en lumière, avec leurs vices et qualités, dans les différents ouvrages qu’il leur consacre (le chapitre 67 ne s’intitule-t-il pas justement Femme et reine ?) Rappelons-nous, nous énumérions plus haut quelques reines et autres femmes illustres. Placées à côté de Jehanne la Pucelle, à laquelle il a consacré une œuvre dithyrambique aux limites de l’hagiographie, Dumas a mis en lumière très tôt Christine de Suède, Isabelle de Bavière, Marie Stuart, la Comtesse de Salisbury, Marguerite de Valois et Catherine de Médicis (comme son contemporain Balzac). Toutes ces fictions interrogent ce double aspect chez les héroïnes dumasiennes, c’est-à-dire leur rôle de reine et leurs aspirations de femme.
Quand le père Taverney, dans une discussion houleuse avec son fils, tente de définir les termes par synonymie, les phrases sont à comprendre comme la signature d’une double mort : « Qu’est-ce que la royauté, […] ? une couronne ; on n’y touche pas, à cela, peste ! Qu’est-ce que la reine ? une femme. Oh ! une femme, c’est différent, on y touche »42. Double mort, parce que royaliste (il mourra dans le roman d’apoplexie qui est la privation d’oxygène du cerveau, symbole de la décapitation) et parce qu’il « touche » (avec cette idée de « souiller » physiquement et moralement) aux valeurs de la femme, à cause de quoi il ne pouvait qu’être qu’éliminé brutalement de la trilogie des Mémoires d’un médecin. Le règne du père (des pères ?) est fini : symboliquement la Révolution est en marche. Le fils, lui, sous le choc des propos paternels, répond : « On y touche ! s’écria Philippe rougissant à la fois de colère et de mépris, accompagnant ces paroles d’un geste si superbe, que nulle femme n’eût pu le voir sans l’aimer, nulle reine sans l’adorer »43. L’amant de la reine, Olivier de Charny, concurrent direct de Philippe de Taverney, ne s’écrie-t-il pas quand il voit la fausse reine (la prostituée Oliva) avec le cardinal de Rohan dans les bois de Versailles : « Qu’est-ce qu’une reine ? une femme »44. Notons à ce moment précis que ces deux hommes amoureux de la reine sont tous les deux des personnages fictifs45 contrairement à tous les autres acteurs de ce theatrum mundi, comme si les amours de Marie-Antoinette n’étaient pour Dumas que de douces fables lui permettant alors de sublimer ce qu’elle sera capable de faire pour eux deux à la fin du roman.
Cette tension entre les figures de reine et de femme pourrait nous laisser croire que Dumas souhaiterait que l’on sauvât la femme qui se cache sous les traits de la reine. Et si l’on en croit Jehan Buridan, personnage fictif de la pièce de théâtre La Tour de Nesle, qui clame que reginam interficere nolite timere bonum est (« Ne craignez pas de tuer une reine, cela est quelquefois bon »), peut-être que le romancier, lui, imagine un destin tout autre pour la femme qui laisserait s’épanouir ses désirs et ses envies. Ainsi la reine Marguerite de Bourgogne, toujours dans ce même drame, ne suggère-t-elle pas cette idée quand elle répond à son amant Philippe : « Je vous retrouverai au milieu d’eux [les courtisans] […] mon seigneur, mon véritable seigneur et maître, mon roi, qui seriez le seul, si c’était l’amour qui fît la royauté »46. L’idée avait été aussi celle des frères Goncourt : « Une reine, pour le peuple comme pour les gens éclairés et, mon Dieu, comme pour nous-même, sera toujours plus qu’une femme ; Marie-Antoinette, à malheurs égaux, parlera toujours plus qu’une bourgeoise à la mémoire des hommes »47.
C’est dans cette optique que, Le Collier de la reine peut dès lors être envisagé comme une réhabilitation, car le roman rapproche les valeurs de la reine et de la femme, comme le souligne le narrateur quand Philippe de Taverney, un amoureux éconduit, se trouve face à elle. Toutes ces valeurs semblent être liées dans ce portrait élogieux de la reine :
Elle était belle de cet éclat royal qui confondait autour de son trône les amis de la royauté et les adorateurs de la femme, elle avait la puissance de la beauté, et qu’on nous pardonne cette inversion de l’idée, elle avait aussi la beauté de la puissance48.
Ainsi dès le début de l’œuvre, alors que la reine est sortie et se voit refuser l’accès à Versailles, demande-t-elle audience le lendemain au roi, où elle lui déclare : « — Sire, répondit Marie-Antoinette, une reine de France ne ment pas49 ! ». Le ton est donné : sa fonction de reine ne lui permet pas de ne pas dire la vérité et cette réplique, placée au seuil de l’histoire de l’escroquerie, met le lecteur dans une certaine disposition d’esprit en prévision de l’enquête qui sera menée pour connaître le/la/les coupable(s). Bien plus, rapportées au discours direct, les paroles de la reine sont sans ambiguïté. Elle accuse de sa propre voix les « espions » et autres émissaires royaux. Quant au roi, elle n’hésite pas à le qualifier d’homme « peu galant » :
– Ah ! vous n’étiez pas rentrée, dit le roi d’un air sombre ; alors, j’avais donc raison
– Sire, vous tirez, je vous en demande pardon, de ce que je viens de dire une solution d’arithméticien, mais non une conclusion de galant homme.
– En quoi, madame ?
– En ceci que, pour vous assurer si je rentrais tôt ou tard, vous n’aviez besoin ni de fermer votre porte, ni de donner vos consignes, mais seulement de venir me trouver et de me demander : « À quelle heure êtes-vous rentrée, madame ? »
– Oh ! fit le roi50.
Le narrateur rapproche alors son rôle de reine de celui de son sexe pour souligner la « violence » des soupçons du roi envers son épouse. Première étape de la réhabilitation : Marie-Antoinette, reine ou femme, est insoupçonnable !
– Il ne vous est plus permis de douter, monsieur ; vos espions avaient été trompés ou gagnés, vos portes forcées ou ouvertes, votre appréhension combattue, vos soupçons dissipés. Je vous voyais honteux d’avoir usé de violence envers une femme dans son droit. Je pouvais continuer à jouir de ma victoire. Mais je trouve vos procédés honteux pour un roi, malséants pour un gentilhomme, et je ne veux pas me refuser la satisfaction de vous le dire51.
Elle y parvient si bien que la parole du roi est passée sous silence, le plaçant dans une position qui montre le pouvoir de la reine :
Le roi épousseta son jabot en homme qui médite une réplique. — Oh ! vous avez beau faire, monsieur, dit la reine en secouant la tête, vous n’arriverez pas à excuser votre conduite envers moi52.
C’est dit, et la fermeté de cette dernière réplique s’adresse aussi au lecteur, celui qui tentera de suivre les calomnies et autres rumeurs : « Oh ! non, calomnies, calomnies ! que tous ces bruits vagues qui commençaient à circuler dans le peuple, et auxquels les intérêts, les haines ou les intrigues de la cour donnaient seuls quelque consistance »53. Le roi revient cependant à la charge, mais cette fois-ci en diffractant les différents rôles de Marie-Antoinette :
– Voulez-vous me prouver que vous avez raison de disparaître avec eux (les gentilshommes qui l’accompagnent) dans Paris, comme des masques dans un bal, et de ne plus reparaître que dans la nuit, scandaleusement tard, tandis que ma lampe s’est épuisée au travail et que tout le monde dort ? Vous avez parlé de la dignité du mariage, de la majesté du trône et de votre qualité de mère. Est-ce d’une épouse, est-ce d’une reine, est-ce d’une mère ce que vous avez fait là ?54
En femme qui connaît sa rhétorique, le personnage de Marie-Antoinette retourne la situation, et accable le roi, tout en répondant à ses questions. Dumas fait donc jouer le bon rôle à la reine, et permet, avec brio, d’introduire non seulement le personnage de Jeanne de La Motte Valois, mais de faire de la reine, une reine « philosophe »55 (le terme est de Dumas) et une femme généreuse, attentive aux malheureux d’une royauté déchue, fût-ce celle des Valois que Dumas exècre pourtant.
Je suis allée à Paris vérifier de moi-même que le roi de France, ce père de la grande famille, ce roi philosophe, ce soutien moral de toutes les consciences, lui qui a nourri les pauvres étrangers, réchauffé les mendiants et mérité l’amour du peuple par sa bienfaisance; j’ai voulu vérifier, dis-je, que le roi laissait mourir de faim, croupir dans l’oubli, exposé à toutes les attaques du vice et de la misère, quelqu’un de sa famille, en tant que roi: un des descendants enfin d’un des rois qui ont gouverné la France56.
Ces quelques exemples sont significatifs de la manière dont Alexandre Dumas, dès le début et jusqu’à la fin du roman, tiendra un discours sur Marie-Antoinette plus nuancé et moins belliqueux. Il reprend d’ailleurs à son compte une anecdote des Mémoires de Mme Campan57, qui honore la reine et va à l’encontre d’un des préjugés les plus tenaces (elle ruine les caisses de l’État). En effet, à propos de ce fameux collier, elle refuse « de pendre à [s]on col un million et demi quand les coffres du roi sont vides, quand le roi est forcé de mesurer ses secours et de dire aux pauvres : “Je n’ai plus d’argent, Dieu vous assiste !” »58. Le romancier ira jusqu’à donner une nouvelle explication au titre de son roman à partir de ce qu’il a lu dans les Mémoires de Mme Campan, comme s’il voulait atténuer l’affaire en modifiant son aspect. « Le collier de la reine » n’est plus l’affaire dans laquelle on a accusé la reine, mais le navire que le roi de France a acheté grâce à sa bienfaitrice, son épouse, sa reine :
Et de ce pas, ajouta le roi, je vais commander mon vaisseau de ligne, et le baptiser « Le Collier de la Reine ». Vous en serez la marraine, madame ; puis je l’enverrai à La Pérouse. Le roi baisa la main de sa femme59.
Un autre moyen de détourner le regard des lecteurs et des lectrices de la mauvaiseté prétendue de la reine est d’annoncer sa mort, dans une vision téléologique et en rapprochant encore un peu plus son rôle de reine et ce qu’elle est.
La reine fut toujours femme, elle se glorifiait d’être aimée. Certaines âmes ont cette aspiration vers la sympathie de tous ceux qui les entourent : ce ne sont pas les âmes les moins généreuses en ce monde. Hélas ! il viendra un moment, pauvre reine, où ce sourire qu’on te reproche envers les gens qui t’aiment, tu l’adresseras en vain aux gens qui ne t’aiment plus60.
L’Histoire est respectée — la chronologie reprend ses droits : la reine mourra, elle est condamnée, mais le roman donne une nouvelle respiration à la grande Histoire, car, affirme Dumas dans ses Mémoires : « il me paraissait permis de violer l’histoire, pourvu qu’on lui fît un enfant »61. Et même si le romancier prétend qu’il ne s’est « pas un instant écarté de la vérité »62 dans Le Collier de la reine (il suit l’Histoire in fine), il réitère cependant ce principe fondamental des tensions entre Histoire et roman, à propos du portrait qu’il dessine de Monsieur de Calonne63 : « l’histoire le lui [à son lecteur] a fait assez connaître, mais le roman, qui dessine moins exactement les perspectives et les grands traits, donne peut-être un détail plus satisfaisant à l’imagination »64. Nous pensons que ce sont ces détails dévoilés dans le roman qui pourront faire toute la différence entre « l’éducation » et « la manipulation » du lecteur (c’est l’histoire qui fait connaître les acteurs de l’histoire). Dumas est assurément, à en croire ses propos et ceux de ses contemporains, un écrivain qui veut « instruire » ses lecteurs, conférant alors au discours sur l’histoire (ou historique) un « rôle éducatif » et une autonomie certaine. Dans leur journal, les Goncourt, à la date de 1863, écrivent : « J’entends, ce soir, des hommes au cabaret racontant Charles IX d’après La Reine Margot. Alexandre Dumas a été véritablement le professeur d’histoire de masse »65.
Du jour où nous avons mis la main à la plume, écrit-il dans Les Compagnons de Jéhu, – […] nous avons eu un double but : instruire et amuser. Et nous disons instruire d’abord ; car l’amusement, chez nous, n’a été qu’un masque à l’instruction. Avons-nous réussi ? Nous le croyons. […] Nous avons la prétention d’avoir, sur ces cinq siècles et demi, appris à la France autant d’histoire qu’aucun historien66.
Dans Le Sphinx rouge (1866), il réaffirme : « Notre prétention, en faisant du roman historique, est non seulement d’amuser une classe de nos lecteurs qui sait, mais encore d’instruire une autre qui ne sait pas, et c’est pour celle-là particulièrement que nous écrivons »67. Le développement romanesque de ces détails concourt alors à créer autour des personnages soit un discours encomiastique ou, au contraire, calomniateur. Nombreux furent donc les hommes de lettres qui propagèrent ces détails de l’histoire articulant récit historique et récit de fiction, créant ainsi légende noire ou dorée, mais à coup sûr partisane. S’exhume de ce rapport complexe l’idéologie de Dumas, qui se situe alors dans un « hors-texte ». Dans une formule très juste, Jean Cocteau condense cette pensée dans Le Passé défini (1951) : « Relu les Mousquetaires et Vingt ans après. Je me demande si Dumas n’est pas le seul historien véritable. Ce qu’il invente a l’air vrai. Le vrai des autres a l’air faux et il l’est à coup sûr. Tandis qu’il y a des chances pour que Dumas tombe juste »68. Et Dumas de conclure pour nous :
Mais pour que le bandeau se soit épaissi de la sorte aux yeux du roi ; pour que la reine, si clairvoyante et si nette dans ses aperçus, se soit montrée aussi aveugle que son époux sur la conduite du ministre (toujours Calonne), l’histoire, on devrait plutôt dire le roman, c’est ici qu’il est le bienvenu, va donner quelques détails indispensables69.
On aperçoit, in fine, ce qui faisait l’originalité du Collier de la reine d’Alexandre Dumas. Contrairement à ses contemporains et aux textes critiques et blasphématoires qui attaquent l’image de la reine Marie-Antoinette, il tente, dans une perpétuelle tension entre roman et histoire, toute maîtrisée et qui est, selon Serge Jongué, davantage une « rupture de discours qu[‘] une articulation réalisée dans l’organisation du texte »70, d’apprendre au lecteur à déplacer sa vision, en imaginant une autre voie historique qui trouverait son fondement dans les méandres du roman historique. D’autres aspects auraient pu (et sans doute dû) être envisagés pour étayer notre hypothèse. Par exemple l’image qu’il dresse, a contrario, de Jeanne de La Motte Valois, qu’il n’hésite pas, dans une vision particulièrement chrétienne, à animaliser en serpent tentateur (elle est la vipère dans toute sa splendeur). Est-il aussi sincère avec la courtisane alors même qu’il méprise la branche des Valois depuis l’usurpation du pouvoir par Philippe VI (1293-1350) jusqu’à Henri III qui aurait, selon ses dires, apporté la syphilis en France ? Une autre voie aurait pu nous conduire, aussi, à saisir l’image du double, car il n’a pas été question ici du double maléfique de Marie-Antoinette, Nicole Legay d’Oliva qui, embauchée par Jeanne de La Motte Valois, va jouer un rôle important dans cette affaire du collier de la reine :
Elle vit entrer dans la bibliothèque une forme voilée, que dévoila le commis, et qui, reconnue, fit pousser un cri d’effroi à la reine. C’était Oliva, vêtue de l’un des costumes les plus aimés de Marie-Antoinette. […] c’était Marie-Antoinette elle-même, moins le sang des Césars, que remplaçait le fluide plébéien mobile de toutes les voluptés de monsieur Beausire. La reine crut se voir dans une glace oppose ; elle dévora des yeux cette apparition71.
En fin de compte, le romancier ne nous tend-il pas dans un jeu de reflets, un autre miroir où l’on verrait une Marie-Antoinette à la Dumas ?
[1] Madame Levacher de Valincourt, Les Élans du cœur et de la raison, ou justice rendue à la reine, dédié aux François, Paris, Baudoin, imprimeur de l’Assemblée nationale, 1789, 22 pages.
[2] Alexandre Dumas, Le Collier de la reine [1849-50], Sylvie Thorel-Cailleteau (éd.), Paris, Gallimard, coll. « Folio Classique », 1033 pages. Nos références renverront à cette édition.
[3] Ibid., p. I. Cependant, pour qu’il n’y ait pas de malentendu, il est à noter que Marie-Antoinette apparaît dans trois des quatre romans qui appartiennent au cycle révolutionnaire. Dans le premier, Joseph Balsamo, elle est encore la jeune fille fraîchement arrivée en France, fiancée au futur Louis XVI ; dans le deuxième, celui qui nous intéresse, elle est la princesse fière et sûre d’elle ; enfin, dans Ange Pitou, l’image est celle de la reine hautaine et résolue, « au sourcil froncé ».
[4] Ibid., p. II.
[5] Alexandre Dumas, Mémoires d’un médecin. Joseph Balsamo. Le Collier de la Reine, Judith Lyon-Caen (éd.), Paris, Gallimard, « Quarto », 2012, p. 139-147.
[6] Alexandre Dumas, Gaule et France (1833), U. Canet et A. Guyot (éd.), Paris, 1833.
[7] Ibid., p. 375 ; Le Collier de la reine, op.cit., p 10.
[8] Ibid., p. 11.
[9] Ibid., p. 10.
[10] Dans ses Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, suivis de souvenirs et anecdotes historiques sur les règnes de Louis XIV, de Louis XV et de Louis XVI, t. 2, Paris, Baudoin frères, 1823, madame Campan accuse clairement la politique de Louis XVI et les conseils qu’il reçoit et écoute : « Moment funeste ! où la reine se trouva, par cette faute si impolitique, en jugement avec un sujet contre lequel le pouvoir seul du roi eût dû agir. De faux principes d’équité, l’ignorance et la haine avaient combiné, dans le désordre de conseils mal tenus, une marche à la fois attentatoire à l’autorité royale et à la morale publique », p. 287-288.
[11] Dumas écrira à propos de Napoléon, il « est l’homme qui sépara le monde féodal du monde démocratique », Le Collier de la reine, op.cit., p. 244.
[12] Ces deux citations ont été données par Frances Mossiker, Le Collier de la reine, Paris, Juillard, 1963, p. 9.
[13] Le Collier de la reine, op.cit., p. 10.
[14] Alexandre DUMAS, Les Mille et Un Fantômes précédé de La Femme au collier de velours, Anne-Marie Callet-Bianco (éd.), Paris, Gallimard, coll. « Folio Classique », 2006, p. 243.
[15] « L’affaire du collier de la reine », dans L’Événement : images, représentation, mémoire, Paris, Créaphis, 2003, p. 19.
[16] Le Collier de la reine, op. cit., p. 180.
[17] Ibid., p. 11.
[18] Alexandre DUMAS, Histoire de Louis XVI et Marie-Antoinette, t. 1, Paris, Dufour et Mulat, 1852, p. 233. Nous soulignons.
[19] Le Collier de la reine, op. cit., p. 11. Dumas avait-il lu Le Mémoire pour Louis René de Rohan […], Paris, Lottin, 1786, de l’avocat au Parlement Jean-Baptiste Target dans lequel on pouvait lire en guise d’introduction : « Les révolutions qui arrivent dans la destinée des grands réveillent subitement parmi les hommes toutes les passions à la fois dans les uns une joie mal dissimulée ; une affliction circonspecte dans les autres ; ici l’orgueil inquiet et attristé; ailleurs la bassesse qui se console à la vue de ces revers partout une curiosité remuante, qui va se repaissant de vérités et de mensonges, et qui ne voit, dans les événements extraordinaires, que des bruits à recueillir et des nouvelles à répandre », p. 5. Il aurait pu aussi le lire dans la Collection des chefs-d’œuvre de l’éloquence judiciaire en France, 1re série, t 7, Paris, C.L.F, Panckoucke, 1822, grâce à l’éloge que lui consacre Honoré Muraire (1750-1837) (p. 2-189) qui reproduit à la suite Le Mémoire, ibid., p. 190. La citation se trouve à la page 199.
[20] Une première réponse est apportée par Christian Delporte et Annie Duprat dans leur avant-propos au recueil L’Événement : images, représentation, mémoire, op.cit., p. 6 : « Par une étrange alchimie, les récits d’actes héroïques ou de scandales politiques […] se métamorphosent en ‘événement’ lorsqu’ils rencontrent un écho, par les images, donc par leurs représentations figurées, et qu’ils réussissent à s’inscrire dans la mémoire, voire dans les imaginaires collectifs. » Il allait donc de soi que le premier article de ce recueil fût consacré à « L’affaire du collier de la reine ».
[21] Annie Duprat, Marie-Antoinette, une reine brisée, Paris, Perrin, 2006, p. 6.
[22] Mémoires de la baronne d’Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789, Suzanne Burkard (éd.), Paris, Mercure de France, coll. « Le Temps retrouvé », 2000, 784 pages.
[23] Effectivement, les discours mêlant sans vergogne la fonction et le sexe. Catherine de Médicis et Marguerite de Valois, par exemple, avaient été attaquées sur leur stérilité.
[24] Ibid., p. 189. Plus loin, elle cite Louis Fréron qui écrit : « Il est parti, ce roi inutile, ce roi parjure, [et] cette reine scélérate qui réunit la lubricité de Messaline à la soif de sang qui dévorait Médicis », ibid., p. 207-208.
[25] Le Collier de la reine, op. cit., p. 179.
[26] Épisode magistralement représenté par Dumas dans la première partie de la trilogie de La Royale maison de Savoie, Emmanuel-Philibert. Le Page du Duc de Savoie, Montmélian, La Fontaine de Siloé, 1998.
[27] Ibid., p. 174. Marie-Antoinette frémit « de stupeur », car « une fois encore elle venait de commettre une de ses fautes contre l’étiquette ; fautes énormes aux yeux de la jalousie et de la servilité. »
[28] Jean-Clément MARTIN, La Révolte brisée. Femmes dans la Révolution française, Paris, Colin, 2008, p. 76-77.
[29] Il cite d’ailleurs ses sources, dans La Route de Varennes (1858), Paris, Nouvelles éditions Baudinières, 1978, p. 23-24 : « Et j’avais lu, d’abord, tous les historiens qui ont traité le sujet. – Classons par ordre de date, pour ne point faire de jaloux : l’abbé Georgel, Lacretelle, Thiers, Michelet, Louis Blanc ; puis tous les mémoires particuliers : madame Campan, Weber, Léonard, Bertrand de Molleville, Bouillé, Choiseul, Valory, de Moustier, de Goguelat : deux de ces derniers, de Moustier et Valory, accompagnaient le roi ; MM. de Choiseul et Goguelat vinrent le rejoindre à Varennes ; ceux-là furent donc témoins des événements. »
[30] Le Collier de la reine, op. cit., p. 174.
[31] Pour étayer notre propos, l’on relira l’épilogue de la seconde partie de la trilogie de La Royale Maison de Savoie (« Léone-Léona ») où non seulement le page s’avère être une femme, mais aussi dans laquelle Dumas laisse la parole à son narrateur, qui se fait alors moraliste au sens le plus étymologique du terme, et dit la manière dont Henri III semblait voir les femmes : « la règle du Louvre était presque aussi sévère que celle d’un couvent et le roi, s’appuyant sur la mort de Saint-Mégrin, de Bussy d’Amboise et de deux ou trois autres gentilshommes, – mort causée par leur amour exagéré pour le beau sexe –, prenait prétexte de ces événements pour tonner contre les femmes et les représenter à ses favoris, non seulement comme des êtres inférieurs, mais encore dangereux », op. cit., p. 289.
[32] Alexandre Dumas, La Reine Margot. La Dame de Monsoreau, Claude Schopp (éd.), Paris, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1992, p. 64.
[33] Olympe de Gouges, Les Droits de la femme, septembre 1791, Paris, Mille et une nuits, 2003, p. 7 sq.
[34] Alexandre Dumas, La Comtesse de Charny – Le Chevalier de Maison-Rouge, Claude Schopp (éd.), Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1990, p. 1197.
[35] Edmond et Jules de Goncourt, Journal des Goncourt, t. 1, 1851-1857, Jean-Louis CabanÈs (dir.), Paris, éd. Honoré Champion, 2005, p. 225.
[36] Edmond et Jules de Goncourt, Histoire de Marie-Antoinette, éd. ornée par Giacomelli, Paris, Charpentier, 1878, p. 187-188.
[37] Alexandre Dumas, Le Drame de quatre-vingt-treize [1851], Paris, Calmann-Lévy, 1875, p. 34. Les marques d’admiration envers Michelet sont légion, particulièrement après 1846. Dans Le Docteur mystérieux [1869-1870], chapitre XXXVI, Paris, éd. Archipoche, 2014, p. 348 : « Michelet, mon maître, l’homme que j’admire le plus comme historien, et je dirai presque comme poète, au-dessus de tous ».
[38] Jules Michelet, Histoire de France, op.cit., t. XIX, préface, p. 12.
[39] Estelle BédÉe, « L’érotisme dumasien, entre conformisme et révolution(s) », dans Dumas amoureux. Formes et imaginaires de l’Éros dumasien, Julie Anselmini et Claude Schopp (dirs.), Caen, Presses Universitaires de Caen, 2020, p. 143.
[40] Plutarque, Vies parallèles, François HARTOG et al. (éd.), Paris, Gallimard, 2001, p. 1227.
[41] Dumas amoureux. Formes et imaginaires de l’Éros dumasien, op. cit., p. 283.
[42] Le Collier de la reine, op. cit., p. 179.
[43] Id.
[44] Ibid., p. 694.
[45] Il est vrai aussi que Charny est davantage inspiré de la figure d’Axel de Fersen, qui tenta de favoriser la fuite du roi et de la reine mais ne put les conduire au-delà de Varennes.
[46] Alexandre Dumas, La Tour de Nesle – Henri III et sa cour, Sylvain Ledda (éd.), Flammarion, coll. « GF », 2016, p. 207.
[47] Edmond et Jules de Goncourt Histoire de Marie-Antoinette, op. cit., p. 426.
[48] Le Collier de la reine, op. cit., p. 157.
[49] Ibid., p. 140.
[50] Ibid., p. 140-141.
[51] Id.
[52] Id.
[53] Ibid., p. 186. Dumas fournit par l’intermédiaire de Mlle de Taverney, une définition de ce bruit : « Qui est le bruit ? Eh bien ! cet être insaisissable, incompréhensible, qu’on appelle le bruit », ibid., p. 422.
[54] Ibid., p. 143.
[55] Ibid., p. 145.
[56] Ibid., p. 143-144.
[57] Mémoires de Madame Campan, première femme de chambre de Marie-Antoinette, Paris, Mercure de France, coll. « Le Temps retrouvé », 2017.
[58] Le Collier de la reine, op. cit., p. 149.
[59] Ibid., p. 151.
[60] Ibid., p. 159.
[61] Alexandre Dumas, Mes Mémoires, t. 2, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1992, p. 510.
[62] Alexandre Dumas, Histoire de Louis XVI et de Marie-Antoinette, op. cit., chapitre XIII.
[63] Charles-Alexandre de Calonne (1734-1802) est un homme politique français et ministre des finances de Louis XVI, qui, si dans un premier temps lui donna sa pleine confiance, le limogea, dans un second temps, sans réelles raisons en 1787.
[64] Le Collier de la reine, op. cit., p. 602.
[65] Edmond et Jules de Goncourt, Journal des Goncourt, t. III, 1861-1864, Jean-Louis CabanÈs (dir.), Paris, éd. Honoré Champion, 2013, p. 612.
[66] Alexandre Dumas, Les Compagnons de Jéhu [1857], Claude Schopp (éd.), Paris, Phébus, 2006, p. 421-422.
[67] Alexandre DUMAS, Le Sphinx rouge [1866], Paris, Radu Portocala (éd.), Paris, Le Cherche midi, 2018, p. 329.
[68] Jean COCTEAU, Le Passé défini, t. 1, 1951-1952, Paris, Gallimard, 1983, p. 29. Voir aussi les pages 33, 38, 80, « On se cherche à se guérir ou plutôt on imite les malades en lisant Alexandre Dumas. La Dame de Montsoreau (sic), Les Quarante-Cinq. Nous rentrons de Monte-Carlo avec Joseph Balsamo, Le Collier de la reine, Ange Pitou », 186, 267, 441.
[69] Le Collier de la reine, op. cit., p. 604-605.
[70] Serge JONGUÉ, « Histoire et fiction chez Alexandre Dumas », Europe – Revue littéraire mensuelle, 542, juin 1974, p. 94.
[71] Le Collier de la reine, op. cit., p. 859.
Résumé
Si l’Histoire a retenu la date de 1789 comme un moment de rupture, elle a oublié les petits événements qui ont mythifié/mystifié les acteurs de l’histoire – laissant cette besogne aux romanciers. Ainsi Marie-Antoinette, éclaboussée par le scandale de l’affaire du collier de la reine (1785), est-elle devenue la bête noire du royaume de France. Dans les pages du roman de Dumas, Le Collier de la reine, elle retrouve une dignité certaine, qui réhabilite son image. Aussi aimerions-nous montrer comment Dumas redessine à partir de ce scandale tout l’univers social d’avant 1789 ; de quelle manière, ensuite, il parvient à démystifier l’image « noire » de la reine pour l’élever au statut de mythe. Enfin, se faisant historien-sociologue, Dumas tente d’analyser à travers « cette tranche historique » la décadence de la noblesse française, et les conséquences de celle-ci sur son présent.
Resumen
If History has remembered the date of 1789 as a turning point, it has forgotten the small events which mythified / mystified the actors of history - leaving this task to the novelists. Thus Marie-Antoinette, embroiled in the scandal of the Queen’s Necklace Affair (1785), has become the bête noire of the Kingdom of France. In the pages of Dumas’ novel, The Queen’s Necklace, she regains a true dignity, which promotes her image. So we would like to show how Dumas redesigns from this scandal the entire social universe before 1789. How, then, does he manage to demystify the "dark" image of the queen to elevate her to a mythical status. Finally, becoming a historian-sociologist, Dumas attempts to analyze through "this historical phase" the decadence of the French nobility, and the consequences of this on its present.
Laurent ANGARD
Université de Haute-Alsace, ILLE
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