Docteur en Histoire médiévale, José Luis Corral Lafuente est Professeur des universités à l’Université de Saragosse. C’est sur l’histoire de l’Aragon que porte d’ailleurs une grande partie de ses recherches mais aussi sur l’Espagne musulmane. Il a présenté de nombreuses émissions radiophoniques et télévisuelles consacrées à l’histoire et a été, en 1992, conseiller historique de Ridley Scott pour son film 1492. Christophe Colomb. Romancier à succès, il a écrit 25 romans historiques depuis 1996. Plusieurs de ses ouvrages ont été traduits en français. C’est le cas de El Cid (Télémaque, 2005), L’héritier du Temple (HC Éditions, 2012), Le nombre de Dieu (HC Éditions, 2015) et très récemment, de l’ouvrage coécrit avec Antonio Piñero, Le trône maudit (Pocket, 2020). Il a également coécrit un ouvrage avec son fils, Alejandro Corral, intitulé Batallador (Doce Robles, 2018) et consacré au roi Alphonse Ier d’Aragon, grande figure de l’Espagne du XIIe siècle. Son tout dernier roman, La reina olvidada: la reina Petronila (1136-1174), paru en 2021 chez Doce Robles, est centré sur une femme qui fut reine d’Aragon et comtesse de Barcelone au XIIe siècle.
Économiste de formation, Alejandro Corral est l’auteur de nombreux articles dans ce domaine. Il occupe actuellement le poste de directeur de la Maison du Traducteur de Tarazona. En tant qu’auteur, il donne de nombreuses conférences et anime des ateliers d’écriture. Son premier roman, publié en 2015, est un thriller intitulé El cielo de Nueva York (Timun Mas Narrativa). Après Batallador (Doce Rocles, 2018), coécrit avec José Luis Corral, et El desafío de Florencia (Ediciones B, 2019) vient de paraître, en juillet 2021, chez Penguin Random House, son quatrième ouvrage intitulé La dama del Prado.
Docteur en Histoire Moderne de l’Université de Grenade, José Calvo Poyato a notamment travaillé sur le passage de la monarchie d’Autriche au règne des Bourbons et à la configuration du nouveau modèle d’état en Espagne au XVIIIe siècle. Après avoir mené une carrière politique, en tant que Maire de Cabra et Député, il a décidé, en 2005, de se consacrer uniquement à l’écriture. Depuis 1995, il a publié 18 romans historiques, remportant un grand succès auprès du public. Il est également membre fondateur de la revue Andalucía en la Historia. Son premier roman, intitulé El rey hechizado (Martínez Roca, 1995), était consacré à Charles II. Il s’est d’ailleurs intéressé, dans ses ouvrages, à plusieurs grandes figures de l’histoire de l’Espagne, telles que le général Prim, président du gouvernement assassiné en 1870 ou Gonzalo Fernández de Córdoba, conquérant de Naples sous le règne des Rois Catholiques. Ses deux derniers romans, La ruta infinita (HarperCollins Ibérica, 2019) et La travesía final (HarperCollins Ibérica, 2021), plongent le lecteur au cœur des grands voyages maritimes du XVIe siècle puisqu’ils sont consacrés respectivement aux explorateurs Magellan et Juan Sebastián Elcano.
Titulaire d’une thèse d’État en Littérature de l’Espagne du Siècle d’Or, Suzanne Varga-Guillou a été Professeur des Universités à l’Université d’Artois, où elle a œuvré pour la création du département d’espagnol. Elle y a enseigné principalement la littérature du Siècle d’Or et a consacré ses recherches à l’humanisme de la Renaissance et au XVIIe siècle. Parmi ses ouvrages, on peut mentionner L’amour des mythes et les mythes de l’amour (Artois Presses Université, 1999), où l’on relève son art de la formule, mais aussi quelques biographies dont deux ont été primées : Lope de Vega (Fayard, 2002), qui a obtenu le grand prix de la biographie littéraire de l’Académie française et Philippe V (Pygmalion, 2011), qui a reçu le prix Hugues-Capet. La dernière biographie en date, Sophie d’Espagne : une grande reine d’aujourd’hui, a été publiée en 2015. En 2018, Suzanne Varga a été promue au grade d’Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres.
*Cette bibliographie est limitée aux romans historiques et aux biographies que les auteurs ont publiés entre 2010 et 2021.
José Luis Corral Lafuente
El amor y la muerte, Barcelone, EDHASA, 2010.
La prisionera de Roma, Barcelone, Planeta, 2011.
El Códice del Peregrino, Barcelone, Planeta, 2012.
El médico hereje, Barcelone, Planeta, 2013.
El trono maldito, Barcelone, Planeta, 2014.
Los Austrias I. El vuelo del Águila, Barcelone, Planeta, 2016.
Los Austrias II. El tiempo en sus manos, Barcelone, Planeta, 2017.
Batallador, en collaboration avec Alejandro Corral, Barcelone, Doce Robles, 2018.
Los Austrias III. El dueño del mundo, Barcelone, Booket, 2019.
El Conquistador, Barcelone, Ediciones B, 2020.
La reina olvidada: la reina Petronila (1136-1174), Saragosse, Doce Robles 2021.
Alejandro Corral
El cielo de Nueva York, Barcelone, Planeta-Minotauro, 2015.
Batallador, en collaboration avec José Luis Corral, Saragosse, Doce Robles, 2018.
El desafío de Florencia, Barcelone, Ediciones B, 2019.
La dama del Prado, New York, Penguin Random House, 2021.
José Calvo Poyato
Sangre en la Calle del Turco, Barcelone, Plaza y Janés, 2011.
Mariana, los hilos de la libertad, Barcelone, Plaza&Janés, 2013.
El Gran Capitán, Barcelone, Plaza y Janés, 2015.
El espía del rey, Barcelone, Ediciones B, 2017.
El último tesoro visigodo, Barcelone, Ediciones B, 2019.
La ruta infinita, Madrid, HarperCollins Ibérica, 2019.
La travesía final, Madrid, HarperCollins Ibérica, 2021.
Suzanne Varga-Guillou
Philippe V, Paris, Pygmalion, 2011
12 banquets qui ont changé l'histoire, Paris, Pygmalion, 2013.
Sophie d’Espagne : une grande reine d’aujourd’hui, Paris, Pygmalion, 2015.
1. ¿Pensáis que el éxito de las novelas históricas –así como de las películas o de los cómics sobre el pasado y sus grandes figuras– se pueda únicamente explicar por “una crisis de identidad colectiva de la sociedad contemporánea”, según dice José Luis Corral? ¿Qué nos podéis decir a propósito de la cuestión de la identidad y de vuestra experiencia como autores?
[Pensez-vous que le succès des romans historiques – tout comme celui des films et des bandes dessinées sur le passé et ses grandes figures – puisse uniquement s’expliquer par cette « crise de l’identité collective de la société contemporaine » dont parle José Luis Corral ? Que pouvez-vous nous dire de la question de l’identité et de votre expérience comme auteurs ?]
José Luis Corral
Primero, quisiera dar las gracias a las organizadoras y la Universidad de Artois por la invitación a participar en este congreso. Para mí es un honor estar en Arras. En el proceso de construcción de la novela, yo soy, por una parte, historiador profesional, y por otra, novelista y esto es una contradicción. A la hora de construir identidades nacionales, existen históricamente dos puntos de vista universales que podríamos resumir en las posiciones de dos grandes filósofos griegos. Uno de ellos era Diógenes de Sinope, representante de la escuela de los Cínicos, que se consideraba como “kosmopolítês”, ciudadano del mundo. Por tanto, no tenía una identidad, no se identificaba con una nación, sino con el mundo. El segundo pensador era Aristóteles que, como supremacista, consideraba que los griegos eran superiores al resto de los seres humanos. De hecho, la contradicción es tremenda entre los dos. Diógenes es un cosmopolita y cree que todos los hombres deben ser iguales y Aristóteles dice todo lo contrario. Estas dos visiones de la identidad, personal y nacional, se han trasmitido prácticamente en esencia hasta nuestros días y así se sigue reflejando en la novela histórica, por lo menos en España.
[Je voudrais d’abord remercier les organisatrices et l’Université d’Artois de m’avoir invité à participer à ce colloque car c’est pour moi un grand honneur d’être à Arras.
Dans le processus d’élaboration du roman, je suis à la fois historien professionnel et romancier, ce qui est contradictoire. Lorsqu’il s’agit de construire des identités nationales, il y a, historiquement, deux points de vue universels qui peuvent se résumer aux positions de deux grands philosophes grecs. L’un d’eux est Diogène de Sinope, représentant de l’école des Cyniques, qui se considérait comme kosmopolítês, c’est-à-dire citoyen du monde. Il n’avait donc pas d’identité et ne s’identifiait pas à une nation mais au monde. Le second penseur était Aristote qui, comme suprématiste, considérait que les Grecs étaient supérieurs au reste du monde. Il y a donc une très grande différence entre les deux. Diogène est un cosmopolitain, il croit que tous les hommes doivent être égaux alors qu’Aristote dit tout le contraire. Or ces deux visions de l’identité, personnelle et nationale, se sont transmises pratiquement en essence jusqu’à nos jours et cela se reflète encore dans le roman historique, du moins en Espagne.]
José Calvo Poyato
Para empezar, quisiera también agradecer a la Universidad de Artois y decir que estoy encantado de estar aquí. Quisiera responder a la parte de la pregunta que concierne el éxito de las novelas históricas, por lo menos para el caso de España pero no exclusivamente. Yo creo que, en esencia, el ser humano tiende a conocer su pasado, a tratar de explicarse, en un momento dado, por qué está en un sitio, por qué ha recorrido un determinado camino y conocer este camino para poder explicarse por qué está en la posición en que está. Para esto puede servir la novela histórica.
Ese papel que debería desempeñar la Historia como ciencia que se encarga de explicarnos el pasado para tratar de entender un poco mejor el presente, creo, como historiador profesional que escribe novelas históricas, que lo hemos olvidado. Nosotros los historiadores españoles hemos tenido abandonada la posibilidad de difundir la historia haciéndola asequible para un público que no tiene formación histórica. Ante esta especie de vacío dejado por los historiadores, la novela histórica ha venido a rellenar en buena medida un hueco que la historiografía no había cubierto. Este deseo de conocer el pasado del que hablé al principio e interpretar algunos acontecimientos del presente que se nos está tocando vivir es factible con la novela histórica que permite al lector acercarse a este conocimiento de modo mucho más fácil.
[Pour commencer, je voudrais aussi remercier l’Université d’Artois et dire que je suis ravi d’être ici. Je souhaiterais répondre à la partie de la question qui concerne le succès des romans historiques, du moins pour le cas de l’Espagne, mais pas exclusivement. Je crois qu’en substance, l’être humain a tendance à vouloir connaître son passé, à tenter de savoir, à un moment donné, pourquoi il se trouve là, pourquoi il a parcouru un chemin déterminé, et à vouloir connaître ce chemin pour pouvoir s’expliquer pourquoi il se trouve dans la position dans laquelle il est. C’est à ça que peut servir le roman historique.
Le rôle que devrait jouer l’histoire en tant que science chargée d’expliquer le passé pour comprendre un peu mieux le présent, je crois, en tant qu’historien professionnel écrivant des romans historiques, que nous l’avons oublié. Nous, les historiens espagnols, nous avons abandonné la possibilité de diffuser l’histoire en la rendant accessible à un public qui n’a pas de formation historique. Face à l’espèce de vide laissé par les historiens, le roman historique est venu remplir, en grande partie, cet espace que l’histoire n’avait pas couvert. Ce désir de connaître le passé que j’ai évoqué au début, et d’interpréter certains événements de ce présent que nous vivons peut être comblé par le roman historique, qui permet au lecteur d’accéder à cette connaissance beaucoup plus facilement.]
Alejandro Corral
Bonjour, je suis également très content d’être à Arras, parmi vous, d’autant plus que j’ai étudié le français à l’école mais j’avoue manquer de pratique et si vous me le permettez, je repasserai donc à l’espagnol.
Mi opinión en cuanto a esta crisis de identidad evocada antes es muy parecida a la de José Calvo Poyato. En España, en el siglo XX, tuvimos un lastre que no pasó en Europa, con la victoria del fascismo. Tuvimos cuarenta años de fascismo en España y lo que hizo fue manipular mucho la historia. Pongo dos ejemplos que se verán muy fácilmente. En España, hace unos dos años, en un programa de televisión nocturno muy famoso, entrevistaban a estudiantes de dieciséis, diecisiete, dieciocho años; un año antes de ir a la universidad tenían que hacer la prueba de acceso y les preguntaban sobre el golpe de Estado de Tejero que tuvo lugar en el año 1981, es decir hace poco tiempo. Y cuando les interrogaban sobre este acontecimiento los chicos no sabían sobre qué les estaban preguntando hasta que una chica le dijo al periodista: “Es que eso en el colegio no nos lo han explicado”. Por eso en España la novela histórica es el género más vendido porque, como decía José Calvo Poyato, hay muchos vacíos. El pueblo español, los lectores españoles, tienen la necesidad de rellenar estos huecos y el deseo de saber. El ser humano es curioso por nacimiento. Necesita saber. Pero a veces el saber también puede resultar un poco peligroso. Esta novela, Batallador, que escribimos José Luis y yo, padre e hijo, trata de un rey de Aragón que vivió hace novecientos años. Leyendo las crónicas, hemos visto que era un rey bien considerado, muy poderoso, valioso, en nuestro territorio, Aragón. Nos dimos cuenta también de que muchas crónicas indicaban que podía ser seguramente homosexual y José Luis y yo así lo reflejamos. Sin embargo, esto no nos sentó muy bien en la sociedad aragonesa ya que recibimos alguna carta amenazadora.
[Mon avis sur la crise d’identité évoquée précédemment est très proche de celui de José Calvo Poyato. En Espagne, au XXe siècle, avec le fascisme, nous avons subi le poids d’un fardeau qui n’a pas autant pesé sur l’Europe. Nous avons connu quarante ans de fascime, ce qui a engendré une grande manipulation de l’Histoire. Voici deux exemples significatifs. Il y a deux ans, en Espagne, lors d’une émission télévisée du soir très connue, on interviewait des lycéens de seize, dix-sept et dix-huit ans. Un an avant d’intégrer l’université, ils devaient passer le concours d’entrée et on les avait interrogés sur le coup d’État de Tejero qui avait eu lieu en 1981, c’est-à-dire, il y a peu de temps. Et quand on leur posait des questions sur cet événement, ces jeunes ne savaient pas de quoi on leur parlait jusqu’à ce qu’une jeune fille dise au journaliste : « Il faut dire qu’à l’école, on ne nous en a pas parlé ». C’est pour ça qu’en Espagne le roman historique est le genre le plus vendu ; comme le disait José Calvo Poyato, il y a beaucoup de blancs. Le peuple espagnol, les lecteurs espagnols, ont besoin de combler ces manques et désirent savoir. L’être humain est curieux de nature, il a besoin de savoir. Mais parfois, la connaissance peut aussi présenter des dangers. Le roman que mon père, José Luis Corral, et moi avons écrit parle d’un roi d’Aragon qui a vécu il y a neuf cents ans. En lisant les chroniques, nous avons vu qu’en Aragon, la région où nous vivons, c’était un roi respecté, très puissant, courageux. Nous nous sommes rendu compte, également que de nombreuses chroniques indiquaient qu’il était probablement homosexuel et c’est ainsi que nous l’avons représenté. Néanmoins, cela nous a porté préjudice au sein de la société aragonaise comme en témoigne une plainte que nous avons reçue.]
2. Dice Jean-Yves Tadié que a partir del último cuarto del siglo XX, “los novelistas hacen un examen de conciencia remontando ya no al pasado de una nación sino al suyo, al de su familia o al de sus antepasados” ¿Concuerda esta afirmación con vuestro propósito al escribir?
[Jean-Yves Tadié affirme qu’à partir du dernier quart du XXe siècle, « les romanciers procèdent à un examen de conscience en remontant, non plus dans le passé d’une nation, mais dans le leur, celui de leur famille, de leurs ancêtres ». Ces propos correspondent-ils à ce que vous recherchez en écrivant ?]
José Luis Corral
En mi caso no miro hacia mi interior, hacia mi familia, porque suelo escribir novelas históricas de tiempos muy remotos de la Antigüedad, de la Edad Media, alguna sobre el siglo XIX, pero no mucho más cerca de nuestro presente. Lo que me interesa es que la novela histórica intente plasmar la realidad de una época pasada pero que sirva para entender el presente, para entendernos como seres humanos. Mis novelas no son retrospectivas en mi interioridad, ni en mi personalidad, pero sí en el imaginario colectivo de un grupo, de una nación y de unas clases sociales.
[Pour ma part, je ne puise pas au fond de moi ni dans mon histoire familiale, car j’écris généralement des romans historiques portant sur des périodes très reculées dans le temps : l’Antiquité, le Moyen Âge, ou, en une occasion, le XIXe, sans me rapprocher davantage du présent. Ce qui m’intéresse, c’est que le roman historique puisse rendre compte de la réalité d’une époque révolue, mais qu’il permette aussi de comprendre le présent, pour qu’on puisse se connaître en tant qu’êtres humains. Mes romans ne sont pas une plongée rétrospective dans mon intériorité ou ma personnalité, mais dans l’imaginaire collectif d’un groupe, d’une nation, ou de certaines classes sociales.]
José Calvo Poyato
En mi opinión, a la hora de definir qué es una novela histórica, la primera cuestión que tenemos que tener presente es ¿cuál es la antigüedad del hecho que se quiere novelar que nos aleje del presente? En el caso de España se han planteado diferentes fórmulas: dos generaciones, tres generaciones, un siglo, medio siglo. Yo siempre he dicho que es conveniente, y esto es muy personal, que el hecho que se va a contar en la novela no levante sentimientos pasionales. Por ejemplo, la guerra civil española de 1936-1939 va ya camino de tener casi un siglo de antigüedad y sin embargo sigue levantando pasiones. Creo por lo tanto que el elemento subjetivo tiene que apartarse porque sino, se trata de otro tipo de novela, no de una novela histórica. Esto nos permite entrar una característica fundamental de la novela histórica: el hecho histórico no puede ser analizado subjetivamente y no tiene que alterarse.
[À mon avis, pour définir le roman historique, la première question qu’il faut avoir à l’esprit c’est : à quelle distance du temps présent l’événement que l’on veut raconter doit-il se situer ? En Espagne, on a défini plusieurs périodes : deux générations, trois générations, un siècle, un demi-siècle. En ce qui me concerne, j’ai toujours considéré que l’événemement rapporté ne devait soulever aucune passion. Par exemple, la guerre civile espagnole de 1936-1939 remontera bientôt à un siècle et pourtant, elle continue à susciter des sentiments passionnels. Je crois donc que tout élément subjectif doit être écarté, sinon, il ne s’agit pas d’un roman historique mais d’un autre type de roman. Cela nous permet de poser une caractéristique fondamentale du roman historique : le fait historique ne peut pas être analysé de façon subjective et ne doit en aucun cas être altéré.]
Alejandro Corral
¿Dónde ponemos la línea? En ello coincido también con José Calvo Poyato: cuando un hecho histórico no abra heridas. Sin embargo, por mucha documentación que utilicemos, tenemos que llevar a cabo un trabajo de introspección. Porque cuando estudiamos una época del pasado y tenemos variada documentación aprendemos cómo vestía la gente, cómo comía, cuáles eran sus costumbres, sus festividades, cómo se desplazaban, cómo vivían en general, pero nos es imposible saber cómo pensaban.
[Où place-t-on la frontière ? Sur ce point, je suis aussi d’accord avec José Calvo Poyato : quand un fait historique ne rouvre pas d’anciennes blessures. Malgré cela, on a beau avoir recours à de la documentation, on doit aussi réaliser un travail d’introspection, car quand on étudie une époque du passé et que l’on dispose de plusieurs documents, on apprend comment les gens s’habillaient, comment ils mangeaient, quelles étaient leurs habitudes, comment ils se déplaçaient, comment ils vivaient d’une manière générale, mais il est impossible de savoir ce qu’ils pensaient.]
José Luis Corral
Y además a la hora de contar el pasado, nos tenemos que basar fundamentalmente en textos y los textos están manipulados desde el principio porque casi nadie escribe lo que piensa. Escribe para quedar bien, para fascinar, para enamorar, para fastidiar… Un estudio de hace cuatro o cinco años de un psicólogo norteamericano decía que una persona miente 200 veces cada día y entonces estamos ante textos de personas que mienten 200 veces cada día.
[Et en plus, quand on rapporte des événements du passé, on doit se baser uniquement sur des textes. Or ces derniers sont manipulés dès le début, car personne n’écrit ce qu’il pense. On écrit pour faire bien, pour fasciner, pour séduire, pour déranger… Une étude remontant à quatre ou cinq ans, réalisée par un psycholoque nord-américain, dit qu’une personne ment 200 fois par jour. On se trouve donc face à des textes écrits par des auteurs qui peuvent dire 200 mensonges dans une journée.]
José Calvo Poyato
El problema que tenemos los historiadores y los novelistas es ¿cómo meternos en la concepción mental que tiene la gente de otro tiempo? Pensemos que nuestra escala de valores no tiene que ver en nada con la de los hombres del siglo XVII o del XVI. Por ejemplo, la nuestra es muy materialista, el dinero está a todos los niveles lo que no era el caso del siglo XVI, en el que existían otros valores como el honor. El error que no hay que cometer es juzgar a los hombres del pasado con nuestra visión del presente.
[Le problème des historiens et des écrivains est de parvenir à se mettre dans la peau des gens d’une autre époque. Il faut bien comprendre que notre échelle de valeurs n’a rien à voir avec celle des hommes du XVIIe ou du XVIe siècle. Par exemple, nous sommes plus matérialistes et l’argent se trouve à tous les niveaux de notre échelle de valeurs, ce qui n’était pas le cas au XVIe siècle, où il existait d’autres valeurs, telles que l’honneur. L’erreur à ne pas commettre est de juger les hommes du passé avec notre conception d’aujourd’hui.]
3. José Luis Corral, José Calvo Poyato y Alejandro Corral, formáis parte de la Asociación “Escritores con la Historia” cuyo propósito principal es el reencuentro de los españoles con su Historia. A vuestro parecer, ¿a qué criterios tiene que obedecer una novela dedicada a valorar un patrimonio nacional? ¿Cuáles son las modalidades de escritura de semejante obra?
[José Luis Corral, José Calvo Poyato et Alejandro Corral, vous faites partie de l’Association « Les Écrivains et l’Histoire » ayant pour principal objectif d’amener les Espagnols à redécouvrir leur Histoire. À votre avis, à quels critères doit obéir un roman voué à valoriser un patrimoine national ? Quelles sont les modalités d’écriture d’une telle œuvre ?]
José Luis Corral
España, en los últimos decenios es un país que ha dado muchos bandazos, ha ido de un lado a otro y ahora más todavía. En este sentido los españoles hemos sido muy extremistas: o eres de un lado o eres del otro. Afortunadamente, ya no nos enfrentamos como en la Guerra Civil, ni nos perseguimos violentamente como en el franquismo, pero sigue habiendo una concepción muy extrema de la realidad española. Lo que pretendemos en “Escritores con la historia” es, con posiciones ideológicas muy diversas, plantear una historia de España en positivo. Como todas las historias de los otros países, la de España tiene muchos puntos negros y tiene bastantes aspectos positivos. En España, en los últimos cuarenta o cincuenta años e incluso más, nos hemos dedicado a destacar solo lo negativo. Nosotros queremos presentar la historia de España con una perspectiva plural, diversa, y donde no solo se destaque la Leyenda Negra sino aspectos positivos de la Historia de España.
[Au cours des dernières décennies, l’Espagne a connu de nombreux revirements. Elle est allée tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, et plus encore maintenant. De fait, les Espagnols ont toujours été extrémistes : soit on est d’un bord, soit on est de l’autre. Heureusement, aujourd’hui, nous ne nous battons plus les uns contre les autres, comme pendant la Guerre civile, et il n’y a plus de violentes répressions comme à l’époque franquiste, mais cette conception extrême de la réalité espagnole existe toujours. Ce que nous cherchons à faire, à l’association « Les écrivains et l’Histoire », avec des points de vue idéologiques très variés, c’est de dégager les points positifs de l’histoire de l’Espagne. Comme toutes les histoires des autres pays, celle de l’Espagne a de nombreux points noirs, mais elle présente aussi plusieurs aspects positifs. Au cours des quarante ou cinquante dernières années, voire au-delà, nous nous sommes attachés, en Espagne, à distinguer uniquement ce qui était négatif. Nous, nous voulons présenter l’histoire de l’Espagne selon une perspective plurielle, variée, au sein de laquelle on ne distingue pas seulement la Légende Noire mais aussi des aspects positifs de l’Histoire d’Espagne.]
José Calvo Poyato
Lo primero que diré es que estoy de acuerdo con prácticamente todo lo que ha dicho José Luis Corral. Pero me gustaría añadir un elemento de profundidad que me parece importante. Hoy, comiendo, comentábamos que en España no se escribió una historia general de España desde el principio del siglo XVII, la del Padre Mariana, hasta mediados del siglo XIX, la de Modesto Lafuente. De hecho, son dos siglos y medio sin escribir ningún español una historia general de España. Sin embargo, los franceses sí, y los británicos también, escribieron historias generales de España en el siglo XVIII y marcaron determinadas líneas de investigaciones. La historiografía española ha corrido mucho, en mi opinión demasiado, detrás de esas líneas de investigaciones que fueron marcadas en un momento de gran fastidio de la historia y eso ha tenido las consecuencias que ha dicho José Luis. Muchas veces se ha puesto en valor lo negativo y no han sido estudiados los momentos brillantes, y eso uno de los objetivos de la asociación de los “Escritores con la historia”. Por ejemplo, en mi novela La ruta infinita, se pone en valor la primera vuelta al mundo con los marineros españoles y portugueses.
[Je dirai d’abord que je suis d’accord avec pratiquement tout ce qu’a dit José Luis Corral. Mais j’aimerais évoquer une raison profonde à tout cela, qui me paraît importante. Aujourd’hui, pendant le repas, nous commentions le fait qu’en Espagne, on n’avait pas écrit d’histoire générale de l’Espagne depuis celle du Père Mariana, du début du XVIIe siècle, jusqu’à celle de Modesto Lafuente, du milieu du XIXe. Pendant deux siècles et demi, aucun Espagnol n’a écrit d’histoire générale de l’Espagne, alors que les Français et les Britanniques ont écrit des histoires générales de l’Espagne au XVIIIe siècle et ont même ouvert certaines voies de recherche. L’historiographie espagnole s’est retrouvée très loin, à mon sens trop loin, de ces voies de recherche qui ont été ouvertes à un moment de grande torpeur de l’histoire, ce qui a eu les conséquences dont José Luis a parlé. On a souvent mis en valeur ce qui était négatif et l’on n’a pas étudié les moments brillants, ce qui est l’un des objectifs de l’association « Les écrivains et l’Histoire ». Par exemple, dans mon roman La route infinie, ce qui est mis en valeur c’est le premier tour du monde avec des marins espagnols et portugais.]
Alejandro Corral
Tienen los dos razón en que España hubo décadas completas en las que no se ha escrito historia general de España. Y eso, además de darle valor a los elementos positivos, ha hecho que aún hoy en día, en el siglo XXI, o estás conmigo o estás contra mí. Yo, en comparación con el grupo “Escritores con la historia” soy un aprendiz. Ellos, además de contar los aspectos negativos y ahora resaltar los positivos están teniendo mucho éxito con eventos multitudinarios en diferentes ciudades, porque la gente se da cuenta que están contando la verdad.
[Ils ont raison tous les deux. Pendant des décennies entières, on n’a pas écrit d’histoire générale de l’Espagne, ce qui a eu pour conséquence, outre le fait de donner de la valeur aux éléments positifs, d’engendrer, encore aujourd’hui, au XXIe siècle, deux positions : soit tu es avec moi, soit tu es contre moi. Par rapport au groupe « Les écrivains et l’Histoire », je suis encore novice. Outre le fait qu’ils rapportent les aspects négatifs et mettent aujourd’hui en évidence les éléments positifs, ils remportent beaucoup de succès lors de manifestations réunissant énormément de monde dans différentes villes, car les gens se rendent compte qu’ils racontent la vérité.]
José Luis Corral
Nuestra verdad.
[Notre vérité.]
4. ¿Cómo una novela puede exaltar la historia nacional sin desarrollar una ideología nacionalista?
[Comment un roman peut-il exalter l’histoire nationale sans développer une idéologie nationaliste ?]
José Luis Corral
En mi caso, no soy nacionalista. No soy aristotélico sino del bando de Diógenes de Sinope. Prefiero ir a tomar una copa con un buen ciudadano de Australia que con un mal español y creo más en la ideología de los seres humanos porque las naciones son construcciones políticas y en muchas ocasiones, construcciones coyunturales. Es muy fácil imponer un hecho nacional. Consiste en controlar tres aspectos fundamentales: los medios de comunicación, la justicia y la enseñanza. Los seres humanos somos muy gregarios, y si nos educan con estos tres grandes pilares que suelen estar en manos del poder, es fácil que nos convenzan de un hecho nacional. En mi país, eso está ocurriendo en Cataluña y en el país Vasco, pero también está ocurriendo que hay gente que nos está vendiendo una España atávica desde los tiempos de Adán y Eva, como si las naciones existieran desde el origen del tiempo. Para que vean que la construcción del hecho nacional es algo aleatorio, esto es un esquema de la península Ibérica. Vamos a poner las fronteras entre España y Portugal en los últimos dos mil años. Y ahora las fronteras de España y Portugal en los últimos mil años, podemos hacer lo mismo para Francia. Pero todo esto es construcción política artificial. Sin duda José Calvo Poyato no estará de acuerdo con ello.
[Pour ma part, je ne suis pas nationaliste. Je ne suis pas aristotélicien non plus; je me situe plutôt du côté de Diogène de Sinope. Je préfère aller prendre un verre avec un bon citoyen australien qu’avec un mauvais Espagnol et je crois davantage à l’idéologie des êtres humains car les nations sont des constructions politiques et, souvent, des constructions conjoncturelles. Il est très facile d’imposer un fait national. Cela consiste à contrôler trois éléments fondamentaux : les moyens de communication, la justice et l’enseignement. Nous, les êtres humains, nous sommes très grégaires, et si on nous éduque avec ces trois grands piliers, qui sont souvent aux mains du pouvoir, on peut aisément nous convaincre d’un fait national. Dans mon pays, c’est ce qui se passe en Catalogne et au Pays Basque, mais il arrive aussi que certains nous vendent une Espagne atavique depuis l’époque d’Adam et d’Ève, comme si les nations avaient existé dans le temps. Pour que vous voyiez que la construction du fait national est quelque chose d’aléatoire, je vais vous faire un schéma de la péninsule Ibérique. Voici les frontières entre l’Espagne et le Portugal au cours des deux mille dernières années, puis celles des mille dernières années. On voit bien à quel point elles ont évolué et on pourrait faire de même pour la France. Mais tout cela n’est qu’une construction politique artificielle. Mais José Calvo Poyato ne sera sans doute pas d’accord avec moi.]
José Calvo Poyato
Creo que hay que animar el debate. Yo no estoy totalmente de acuerdo. Para mí, las naciones son una realidad, no podemos prescindir de ellas. Es cierto que se han ido construyendo con cambios fronterizos continuos, pero la realidad del presente no puede ignorarse. Por lo tanto, yo creo que tenemos que ser conscientes de que una realidad puede ser cambiante o es cambiante pero que está ahí hasta siempre y no podemos negarla. Con respecto a la pregunta y al eventual carácter nacional de una novela histórica, me parece que es una aventura tan grande que es prácticamente imposible. Se puede construir una novela sobre un personaje, el gran capitán Gonzalo Fernández de Córdoba, o sobre Felipe V, como la que escribí en el 92. Pero es muy difícil escribir este tipo de novela porque tendría que hacerse sobre un personaje, un acontecimiento, sobre un momento histórico concreto y creo que poniendo en valor estos elementos puede uno no caer en un modelo nacionalista. Vuelvo a La ruta infinita donde se habla de gente de distintos países, griegos, cartógrafos portugueses, bombarderos, artilleros alemanes, incluso hay un francés en la tripulación del primer viaje.
[Je crois qu’il faut animer le débat. Je ne suis pas tout à fait d’accord. Pour moi, les nations sont une réalité, nous ne pouvons pas les ignorer. Il est vrai qu’elles se sont construites moyennant des changements de frontières continuels, mais la réalité présente ne peut être ignorée. Il me semble donc qu’il faut être conscient qu’une réalité peut être changeante ou est changeante, mais qu’elle existe pour toujours et que l’on ne peut pas la contester. Concernant la question de l’éventuel caractère national d’un roman historique, il me semble que l’entreprise est tellement grande que c’est pratiquement impossible. Il est posible de construire un roman à partir d’un personnage, tel que le grand capitaine Gonzalo Fernández de Córdoba ou Philippe V, comme celui que j’ai écrit en 92. Mais il est très difficile d’écrire un roman nationaliste car s’il doit porter sur un personnage, un événement ou un moment historique concret, on a toutes les chances, en mettant en valeur ces éléments, de ne pas tomber dans un modèle nationaliste. Pour en revenir à La route infinie, on y trouve des gens de différents pays, des Grecs, des cartographes portugais, des bombardiers, des artilleurs allemands,… Il y a même un Français dans l’équipage du premier voyage.]
Alejandro Corral
Antes de responder a la pregunta, quisiera decir que cuando uno lee historia, cuando aprende historia, se da cuenta de que, a lo largo de la historia de la humanidad, de las construcciones de naciones y fronteras, todas las muertes, todas las tensiones, los conflictos y los dramas son por fronteras, y por banderas. Yo viví un año en Polonia, acabé la facultad ahí, en el norte de Polonia. Allí había españoles, franceses, alemanes, italianos, coreanos, portugueses, estadounidenses, gente de Sudamérica, y cada uno con su ideología estuvimos conviviendo juntos durante diez meses y nos dimos cuenta de que todos éramos iguales, a pesar de nuestras diferencias. Y respondiendo a la pregunta, para completar lo que han dicho mis compañeros, se puede hacer nacionalismo de una forma muy sutil. En La catedral del mar, que se publicó en España hace unos años y se tradujo al francés, aparece el término “confederación catalanoaragonesa”, pero es algo que jamás existió. Hace años, hubo una construcción política que es la Corona de Aragón, el reino de Aragón más el condado de Barcelona y se llamaba Corona de Aragón y no de otra manera. Se trata simplemente de una nota de pie de página pero esto es hacer nacionalismo en una novela de 600 páginas.
[Avant de répondre à la question, je voudrais dire que quand on lit l’histoire, quand on l’apprend, on se rend compte que dans l’histoire de l’humanité, de la construction des nations et des frontières, toutes les morts, toutes les tensions, les conflits et les drames sont liés aux frontières et aux drapeaux. J’ai vécu une année en Pologne, dans le Nord, où j’ai fini mes études universitaires. Là-bas, il y avait des Espagnols, des Français, des Allemands, des Italiens, des Coréens, des Portugais, des Nord-Américains, des Sud-Américains ayant chacun leurs propres idées ; nous avons vécu ensemble pendant dix mois et nous avons réalisé que nous étions tous égaux, malgré nos différences. Pour répondre à la question et compléter ce qu’ont dit mes amis, on peut faire du nationalisme de façon très subtile. Dans La cathédrale de la mer, paru en Espagne il y a quelques années et traduit en français, on trouve le terme de confédération catalano-aragonaise, or c’est quelque chose qui n’a jamais existé. Il y a des années, est née cette construction politique entre les rois d’Aragon et les comtes de Barcelone qu’est la Couronne d’Aragon et on l’appelait ainsi et pas autrement. Il ne s’agit que d’une note de bas de page mais cela revient à faire du nationalisme dans un roman de 600 pages.]
5. En vuestras obras, se nota la presencia de un importante paratexto/peritexto: bibliografía, nota del autor, epígrafes, epílogos, mapas,… ¿Qué representan para vosotros estos elementos, cómo los seleccionáis y los elaboráis?
[Dans vos œuvres, on note la présence d’un important paratexte/péritexte : bibliographie, note de l’auteur, épigraphes, épilogues, cartes,… Que représentent ces éléments pour vous, comment les sélectionnez-vous et comment les élaborez-vous ?]
José Luis Corral
Yo creo que una novela histórica no es historia sino novela, pero estamos de acuerdo todos en esta mesa en que una novela histórica no puede alterar los hechos reconocidos. El señor de los anillos no es una novela histórica, aunque algunos creen que es una novela sobre la Edad Media. Una novela histórica tiene que basarse en los hechos. Te puedes incluso inventar personajes que no han existido pero hay una cuestión fundamental: aunque inventes hechos, tienen que ser verosímiles. Yo intento que mis novelas históricas se sostengan en dos pilares: un pilar que es la recreación histórico-arqueológica del pasado –los hechos, los vestidos, la comida, los edificios, los grandes personajes históricos, que sean reconocibles y lo más próximos posible a la realidad que yo entiendo como historiador. Por eso utilizo todo tipo de documentos, documentos arqueológicos, paisajísticos, crónicas, haciendo un análisis historiográfico de todo ello para sacar mis conclusiones. Y utilizo un segundo pilar, más complejo, más difícil, que es el pilar que he llamado “buscar el espíritu de una época”, intentar acercarme a esta época para evitar el presentismo al que se refería José Calvo Poyato, no analizar en la novela el pasado con ojos del presente sino intentar ver el espíritu de dicha época. Finalmente, en cuanto a la cuestión de la documentación, el lector español, y también el francés, son muy exigentes, buscan cualquier pequeño detalle para ver si te pueden pillar. Pongo la bibliografía, los textos, las crónicas, incluso los gráficos, porque para mi primera novela del año 1996 llamada El salón dorado, una novela que cuenta el viaje de un personaje imaginario desde Ucrania, Constantinopla, Roma, hasta al-Ándalus, había gente que me escribía porque no podía localizar Constantinopla. No sabían que se trataba de Estambul y me decían que si hubiera puesto un mapa se hubieran ubicado mejor. Por eso, ahora, incluyo mapas y la bibliografía que sirve para cotejar y comprobar.
[Un roman historique n’est pas un livre d’histoire mais un roman. Néanmoins, nous sommes tous d’accord à cette table sur le fait qu’un roman historique ne peut altérer les faits avérés. Le seigneur des anneaux n’est pas un roman historique, bien que certains croient que c’est un roman sur le Moyen Âge. Un roman historique doit être basé sur les faits. On peut inventer des personnages qui n’ont pas existé mais il faut respecter un élément fondamental : même si l’on invente des faits, il doivent être vraisemblables. En ce qui me concerne, je fais en sorte que mes romans historiques reposent sur deux piliers : je m’appuie d’abord sur la recréation historico-archéologique du passé – les faits, les vêtements, la nourriture, les bâtiments, les grands personnages historiques doivent être reconnaissables et le plus proche possible de la réalité telle que je la conçois comme historien. C’est pour cette raison que j’utilise toutes sortes de documents, des documents archéologiques, paysagers ou des chroniques, en les analysant d’un point de vue historiographique pour en tirer mes conclusions. Je m’appuie, en second lieu, sur un élément plus complexe, plus difficile à échaffauder, que j’ai appelé « la quête de l’esprit de l’époque » ; cela consiste à se rapprocher le plus possible de cette époque pour éviter ce présentisme dont a parlé José Calvo Poyato, afin de ne pas porter, dans le roman, un regard du présent sur le passé, mais de capter l’esprit de ladite époque. Enfin, concernant la question de la documentation, le lecteur espagnol, de même que le français, est très exigeant ; il scrute les moindres détails pour voir s’il peut vous prendre en défaut. J’ajoute une bibliographie, des textes, des chroniques, voire même des graphiques, parce que pour mon premier roman, de 1996, intitulé Le salon doré, un roman qui raconte le voyage d’un personnage imaginaire depuis l’Ukraine, Constantinople, Rome, jusqu’à al-Andalus, il y avait des gens qui m’écrivaient qu’ils ne savaient pas où se trouvait Constantinople. Ils ne savaient pas qu’il s’agissait d’Istambul et me disaient que si j’avais mis une carte, ils auraient pu mieux s’y retrouver. Voilà pourquoi, maintenant, j’insère des cartes. Quant à la bibliographie, elle sert à comparer et à vérifier.]
José Calvo Poyato
En cuanto a la nota de autor y la bibliografía, una novela histórica tiene que documentarse, como ya se dijo, para recrear el ambiente de una época. Pero hay un momento en que el hecho histórico no te da ninguna pista y ahí es donde tiene que aparecer el novelista. Es como una especie de lluvia que se está esperando, una lluvia de primavera. Quien escribe novela histórica y los hechos no se alteran, va forzado por los hechos. En España, hay quien piensa que escribir novela histórica es muy fácil porque los hechos están allí y solo hay que recogerlos. Yo siempre he dicho que cómo se mantiene la atención del lector porque al final si se sabe algo de historia se sabe cómo termina la novela. Imaginen ustedes una novela negra donde antes de empezar sabemos quién es el asesino, está muerta. No es fácil. Quiero también señalar que la nota de autor es importante porque en ella puede uno explicar qué hay de ficción que no responde estrictamente a conceptos históricos. A mí, algún lector me ha recriminado diciéndome que se había creído que todo era historia y verdad. Y yo respondo en la misma forma que lo que he escrito es una novela y no un libro de historia. Yo suelo también colocar bibliografía porque decía antes que la novela histórica es una fórmula muy habitual para llegar al conocimiento del pasado, y el que quiera profundizar en el conocimiento del pasado puede utilizarla. No hay que olvidar que al final somos profesores.
[En ce qui concerne la note d’auteur et la bibliographie, un roman historique doit être documenté, comme on l’a dit, pour pouvoir recréer l’ambiance d’une époque. Cependant, il arrive que le fait historique n’apporte aucune piste et c’est là que le romancier doit intervenir. C’est comme une sorte de pluie que l’on attend, une pluie printannière. Celui qui écrit un roman historique et n’altère pas les faits, est contraint par les faits. En Espagne, il y a des gens qui pensent qu’écrire un roman historique est très facile car les faits sont là et il n’y a qu’à les reprendre. J’ai toujours répondu « comment, alors, maintient-on l’attention du lecteur dans la mesure où, si on a quelques notions d’histoire, on sait comment se termine le roman ? ». Imaginez un roman policier où on sait à l’avance qui est l’assassin, il est foutu. Ce n’est pas facile. Je voudrais aussi préciser que la note d’auteur est importante car on peut y indiquer ce qui relève de la fiction et ne correspond pas strictement aux concepts historiques. Un des mes lecteurs m’a fait des reproches en me disant qu’il pensait que tout était historique et vrai. Je réponds toujours pareil en disant que ce que j’ai écrit est un roman et non un livre d’histoire. Je mets aussi systématiquement une bibliographie car je disais tout à l’heure que le roman historique est la forme la plus courante pour accéder à la connaissance du passé, et que celui qui veut approfondir ses connaissances du passé peut y recourir. Il ne faut pas oublier que nous sommes des professeurs en fin de compte.]
Alejandro Corral
He escrito dos novelas históricas, El desafío de Florencia sobre un encuentro entre Leonardo Da Vinci y Miguel Ángel hace quinientos años y Batallador, a medias con José Luis Corral, sobre un rey aragonés de hace novecientos años. En el segundo caso, el problema era que la documentación a la que teníamos acceso era prácticamente nula. Había años enteros en los que no sabíamos lo que había pasado y además, la información que encontrábamos a veces era muy contradictoria. El rey de Aragón, Alfonso I el Batallador, tuvo que casarse con la reina de León. Ese matrimonio acabó muy mal. Las crónicas de León contaron del rey de Aragón que era un monarca malvado, asesino, perverso, violento, violador, saqueador, ladrón. Sin embargo, las crónicas de Aragón, del otro lado de la frontera, decían que era un rey valeroso, un buen hombre, generoso, amable ¿Qué versión nos creemos? Con la novela sobre Leonardo Da Vinci y Miguel Ángel, tuve menos problemas. Había mucha más documentación porque unos cincuenta años antes de que ellos estuvieran en Florencia se había inventado la imprenta. ¿Y cómo trabajo yo esa documentación? Yo intento que sea lo más fácil, lo más asequible para el lector tratando de integrar todo. Ya lo explicaré con un ejemplo. Las crónicas, la documentación, dicen que los dos hombres eran rivales artísticos, eran enemigos públicos, que cada vez que intercambiaban palabras, cada vez que coincidían en una sala acababan casi en las manos y siempre estallaba una acalorada discusión. La anécdota que encontré, que plasmé en el libro fue la siguiente: andaba un grupo de jóvenes florentinos estudiantes que tenían entre 13 y 16 años más o menos en Florencia, donde no había universidad ya que al principio del XVI, estaba en Pisa, pero en Florencia, había una multitud de escuelas. Esos chicos y esas chicas estaban debatiendo sobre un pasaje de La divina comedia, en la calle, al lado de una iglesia, y como no llegaban a un acuerdo pidieron su opinión a Leonardo Da Vinci que pasaba por allí y se les dio. Luego pasó por allí Miguel Ángel y le pidieron también su opinión. Ahí tenía yo el escenario perfecto para poner una fuente histórica y una discusión que relatara la enemistad entre ellos. Luego, cuando escribí esta escena me pasó algo extraño porque salí a la calle, en Zaragoza, en el siglo XXI, y me dije que los chicos del colegio no tenían discusiones sobre el Quijote o La divina comedia en la calle.
[J’ai écrit deux romans historiques. Le défi de Florence, sur une rencontre entre Léonard de Vinci et Michel-Ange il y a cinq cents ans et Le Batailleur, à quatre mains avec José Luis Corral, sur un roi aragonais d’il y a neuf cents ans. Dans le second cas, le problème était que la documentation à laquelle nous avions accès était pratiquement nulle. Il y avait des années entières pour lesquelles nous ne savions rien de ce qui s’était passé et en outre, l’information que nous trouvions était parfois très contradictoire. Le roi d’Aragon, le Batailleur, avait dû se marier avec la reine de León. Ce mariage s’était très mal terminé. Les chroniques de León disaient du roi d’Aragon que c’était un roi mauvais, assassin, pervers, violent, violeur, saccageur, voleur. Cependant, les chroniques d’Aragon, de l’autre côté de la frontière, disaient que c’était un roi courageux, un homme bon, généreux, aimable. À quelle version fallait-il accorder du crédit ? Avec le roman sur Léonard de Vinci et Michel-Ange, j’ai eu moins de problèmes. Il y avait beaucoup plus de documentation car quelques cinquante ans avant qu’ils se trouvent à Florence, on avait inventé l’imprimerie. Comment je travaille cette documentation ? Je m’arrange pour que ce soit le plus facile, le plus accesible pour le lecteur, en essayant de tout intégrer. Je vous le montrerai à travers un exemple. Les chroniques, la documentation, disent que les deux hommes étaient des rivaux artistiques, des ennemis publics, et que chaque fois qu’ils échangeaient quelques mots, chaque fois qu’ils se retrouvaient dans la même salle, ils en venaient presque aux mains et cela se terminait toujours par une discussion houleuse. L’anecdote que j’ai trouvée et que j’ai intégrée dans le livre est la suivante : un groupe de jeunes étudiants florentins qui avaient à peu près entre 13 et 16 ans, se promenaient dans Florence, où il n’y avait pas d’université car au XVIe siècle, elle se trouvait à Pise. Toutefois, à Florence, il y avait des écoles. Ces garçons et ces filles débattaient, dans la rue, près d’une église, sur un passage de La divine comédie, et comme ils n’étaient pas d’accord, ils demandèrent son avis à Léonard de Vinci qui passait par là et il le leur donna. Puis Michel-Ange passa aussi par là et ils lui demandèrent son avis. J’avais là le scénario parfait pour utiliser une source historique et développer une discussion traduisant l’inimitié entre les deux hommes. Ensuite, après avoir écrit cette scène, j’ai eu un sentiment étrange en me retrouvant dans les rues de Saragosse, car je me suis dit qu’au XXIe siècle les élèves ne discutaient pas du Quichotte ou de La divine comédie dans la rue.]
Partiendo de la idea de la restitución del espíritu de la época quisiera saber si utilizáis textos literarios u otras formas artísticas para llevarla a cabo.
[Au sujet de la reconstitution de l’esprit de l’époque, je voudrais savoir si vous utilisez des textes littéraires ou d’autres formes artistiques pour la mener à bien]
José Luis Corral
Tanto para mis libros de historia como en mis novelas utilizo todo tipo de fuentes y evidentemente mucho la literatura porque entiendo que para captar el espíritu de una época se capta muy bien con la literatura porque es la opinión, el punto de vista, la reflexión, de un intelectual de la época. Yo creo que se entiende mejor la España de 1600 con el Quijote que con un libro de cuentas de un ayuntamiento de la época. Por ejemplo, en mis novelas sobre el mundo andalusí he leído muchísimo a los poetas andalusíes. Para mí la literatura es fundamental.
[Que ce soit pour mes livres d’histoire ou mes romans, j’utilise tout type de sources, et évidemment, j’ai énormément recours à la littérature car je considère qu’on parvient parfaitement à saisir l’esprit d’une époque avec la littérature car elle représente l’avis, le point de vue d’un intellectuel de l’époque. Je pense qu’on comprend mieux l’Espagne de 1600 avec le Quichotte qu’avec un livre de comptes d’une municipalité de l’époque. Par exemple, pour mes romans sur le monde andalou, j’ai beaucoup lu les poètes d’al-Andalus. Pour moi, la littérature est fondamentale.]
José Calvo Poyato
Yo también creo que la literatura es fundamental para construir este espíritu de la época. Yo decía antes que la escala de valores de la gente de otra época tenía poco que ver con la escala de valores nuestra, eso nos lo puede contar la literatura. Hay una obra de Calderón de la Barca El alcalde de Zalamea en la que Pedro Crespo dice solamente con media docena de versos: “Al rey la hacienda y la vida / se ha de dar, pero el honor / es patrimonio del alma, / y el alma sólo es de Dios…”. Pues está estableciendo su escala de valores: el dinero, la vida, pero por encima el honor. Nos está diciendo uno de los grandes autores del momento, poniéndolo en boca de uno de sus personajes, qué conceptos tienen los españoles del honor en el siglo XVII. Si uno ignora la literatura de la época está ignorando una gran parte del espíritu de dicha época.
[Je crois aussi que la littérature est fondamentale pour reconstituer l’esprit de l’époque. Je disais tout à l’heure que l’échelle de valeurs des gens d’une autre époque n’avait pas grand chose à voir avec notre échelle de valeurs, et c’est ce que peut nous montrer la littérature. Il y a une œuvre de Calderón, L’alcade de Zalamea, où Pedro Crespo, dit seulement, en une demi-douzaine de vers : « Au roi, les biens et la vie / doivent être donnés, mais l’honneur / est le patrimoine de l’âme / et l’âme n’appartient qu’à Dieu… ». Eh bien il établit là son échelle de valeurs : l’argent, la vie, mais au-dessus, l’honneur. L’un des grands auteurs de l’époque nous dit, à travers la bouche de l’un de ses personnages, quelle conception les Espagnols du XVIIe siècle ont de l’honneur. Si on ignore la littérature, on ignore une grande partie de l’esprit de l’époque.]
Alejandro Corral
En mi caso recurrí para El desafío de Florencia, al Príncipe de Maquiavelo, porque era contemporáneo de ellos para hablar de la estructura social, los sistemas de gobierno, la formación social de las ciudades. En cuanto a los sentimientos, las emociones de las personas de hace quinientos años, es imposible saber cómo sentían, cómo pensaban, y entonces recurrí a los escritos de Leonardo, y también a los poemas de Miguel Ángel.
[Dans mon cas, pour Le défi de Florence, j’ai utilisé, pour parler de la structure sociale, des systèmes de gouvernement et de la formation sociale des villes, Le prince de Machiavel, car c’était un contemporain des personnages. Quant aux sentiments, aux émotions des personnes d’il y a cinq cents ans, il est impossible de savoir ce qu’ils ressentaient, et j’ai donc eu recours aux écrits de Léonard ainsi qu’aux poèmes de Michel-Ange.]
José Calvo Poyato
En La ruta infinita hay un episodio en que hay un momento de calma y los barcos están parados y hay un tipo que está leyendo la Tragicomedia de Calixto y Melibea. De pronto, el capellán del barco le dice ¿qué está leyendo? y cuando ve que está leyendo la Tragedia de Calixto y Melibea la tira al mar diciendo: “Ese libro no debe leerse”. Esta escena nos enseña la intolerancia del clero en la época. Además, a través de la literatura se pueden contar muchas cosas: que hay un hombre que sabe leer, que hay un capellán a bordo…
[Dans La route infinie, il y a un épisode où, pendant un moment de calme où les bateaux sont à l’arrêt, un type est en train de lire la Tragédie de Calixte et Mélibée. Soudain, le chapelain du bateau lui demande ce qu’il lit et quand il voit qu’il s’agit de la Tragédie de Calixte et Mélibée, il la jette à l’eau en disant : « Il ne faut pas lire ce livre ». Cette scène nous montre l’intolérance du clergé de l’époque. En outre, à travers la littérature, on peut raconter beaucoup de choses : qu’il y a à bord un homme qui sait lire, qu’il y a un chapelain…]
Y a-t-il parfois malgré la documentation, malgré vos recherches, des scènes que vous aimeriez écrire et que vous ne pouvez pas parce que vous ne parvenez pas à les imaginer ?
[A pesar de la documentación y de vuestras investigaciones, ¿hay escenas que no podéis escribir, aunque os gustaría, pero que no escribís porque no conseguís imaginarlas?]
José Luis Corral
Si no te puedes imaginar una escena, mejor que te dediques a otra cosa porque no eres novelista. Sí que es verdad que hay escenas imaginarias que a veces se hacen más complicadas. Yo escribí una novela, El Cid, traducida al francés, en la que hay escenas en que Rodrigo conversa con su esposa Jimena y tuve bastantes dificultades para intentar viajar al siglo XI y construir un diálogo entre un guerrero castellano tan controvertido como el Cid y una mujer tan poco conocida como Jimena.
[Si on ne peut pas imaginer une scène, il vaut mieux faire autre chose, car dans ce cas, on ne peut pas être romancier. Il est vrai qu’il y a des scènes imaginaires qui donnent parfois du fil à retordre. J’ai écrit un roman, Le Cid, traduit en français, où il y a des scènes où Rodrigue discute avec son épouse Chimène et j’ai eu pas mal de difficultés à essayer de me transporter au XIe siècle et à construire un dialogue entre un guerrier castillan aussi controversé que le Cid et une femme aussi peu connue que Chimène.]
José Calvo Poyato
Yo pienso que es muy bueno tener esa dificultad porque no se tiene información. Normalmente, la dificultad para construir la escena viene de la ausencia de datos y ahí interviene el novelista. En cuanto a La ruta infinita, la flota que manda Magallanes parte del puerto de Sevilla el 10 de agosto de 1519, baja por el Guadalquivir a San Lúcar de Barameda, para salirse al Atlántico, tarda dos días. La flota está el 12 en San Lúcar y sin embargo no sale a la mar hasta el 20 de septiembre, eso es una locura en la época. ¿Qué pasaba con los alimentos frescos? Y no tenían latas de conserva, ni frigoríficos, ¿Qué pasa durante cuarenta días con los alimentos frescos que están cargados a bordo? No sabemos por qué paró la flota cuarenta días. Ahí tiene que aparecer el novelista y como no tenemos hechos históricos, no altera nada. Ahora te inventas por qué está parada la flota.
[Je pense, pour ma part, qu’il est bon de rencontrer cette difficulté due au manque d’information. Normalement, la difficulté pour construire une scène vient de l’absence de données et c’est là qu’intervient le romancier. Concernant La route infinie, la flotte commandée par Magellan quitte le port de Séville le 10 août 1519 et descend, en deux jours, le long du Guadalquivir jusqu’à San Lúcar de Barameda pour rejoindre l’Atlantique. La flotte est à San Lúcar le 12 et pourtant, elle ne prend la mer que le 20 septembre, ce qui est une folie pour l’époque. Que se passait-il avec les aliments frais sachant qu’il n’y avait pas de boîtes de conserve ni de réfrigérateurs ? Qu’en est-il des aliments frais chargés à bord pendant quarante jours ? On ne sait pas pourquoi la flotte s’est arrêtée pendant quarante jours. C’est là que le romancier doit intervenir, et comme on n’a pas de faits historiques, il n’altère rien. Il est alors posible d’imaginer les raisons pour lesquelles la flotte est à l’arrêt.]
¿A partir de qué momento una novela puede ser considerada como histórica? Si hablamos de hechos de hace 10 o 20 años ¿la novela que los cuenta es una novela histórica o no?
[À partir de quel moment un roman peut-il être considéré comme historique ? Si l’on parle de faits d’il y a 10 ou 20 ans, le roman qui les rapporte peut-il être considéré comme historique ?]
José Luis Corral
Esta cuestión se planteó hace unos cuatro o cinco años en una asociación de jóvenes novelistas británicos. Llegaron a la conclusión de que una novela era histórica si se refería a hechos sucedidos, no sé por qué, hace 37 años, que corresponden más o menos a una generación. Es importante tener una perspectiva del tiempo. Por ejemplo, como español, tengo importantes sentimientos con la Guerra Civil al igual que los franceses con la Segunda guerra mundial. También me pregunto si, como español, podría escribir una novela ambientada en Palestina relatando la Guerra de los seis días. A mí me afecta esa guerra como ser humano y entonces es muy complicado.
[Cette question a été posée il y a quatre ou cinq ans à une association de jeunes romanciers britanniques. Il sont arrivés à la conclusion qu’un roman était historique s’il se rapportait à des faits survenus, je ne sais pas pourquoi, il y a 37 ans, ce qui correspond plus ou moins à une génération. Il est important qu’il y ait une certaine distance dans le temps. Par exemple, en tant qu’Espagnol, j’ai un très fort ressenti vis-à-vis de la Guerre civile, tout comme les Français avec la Seconde guerre mondiale. Je me demande aussi si, en tant qu’Espagnol, je pourrais écrire un roman dont l’histoire se passerait en Palestine pendant la guerre des six jours. En tant qu’être humain, c’est une guerre qui me touche beaucoup et c’est donc très compliqué.]
José Calvo Poyato
Cuando yo era niño, en la década de los sesenta del siglo pasado, hacía sesenta años que había terminado la guerra de Cuba que se acabó en el año 1898. Yo no tenía conciencia de que esa guerra levantaba tensiones, sentimientos; era una guerra de la historia de España que no se podía ver con cierta distancia en aquel entonces. Antes, decía que ya hacía más de ochenta años que había terminado la Guerra civil española pero esa sigue levantando pasiones. Quiero decir con esto que es muy difícil poner ahí una fecha al igual que los ingleses porque lo que importa es la distancia emocional con los hechos. Hay que ver cómo los contemporáneos reaccionan ante el hecho que se quiere novelar.
[Quand j’étais petit, dans les années soixante du siècle dernier, cela faisait soixante ans que la Guerre de Cuba, qui s’est achevée en 1898, était terminée. Je n’avais pas conscience que cette guerre suscitait des tensions, des sentiments ; c’était une guerre de l’histoire d’Espagne qu’on ne pouvait pas regarder, à cette époque, avec une certaine distance. Je disais auparavant que cela faisait plus de quatre-vingts ans que la Guerre civile espagnole était terminée et pourtant, elle soulève encore des passions. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il est très difficile d’avancer une date comme l’ont fait les Anglais, car ce qui importe c’est la distance émotionnelle par rapport aux faits. Il faut voir comment les contemporains réagissent face au fait que l’on veut raconter.]
Vous évoquez l’importance de contextualiser le récit. Or certaines traductions de romans comportent, pour les lecteurs étrangers, des éléments paratextuels supplémentaires qui leur permettent d’avoir accès au sens du texte et de situer les faits. Qu’en est-il de vos romans ?
[Evocáis lo importante de ofrecerle un contexto al relato. Sin embargo, algunas traducciones de novelas añaden, para los lectores extranjeros, unos elementos paratextuales que les permiten acceder al sentido del texto y situar mejor los hechos. ¿Qué sucede con vuestras novelas?]
José Luis Corral
Yo creo que hay una frase que dice en latín “traductor es traidor”. En las traducciones, introducen muchísimo el hecho nacional. Tú traduces un libro que sea la guerra de la independencia española, y habrá, para España, muchos detalles en contra de las tropas napoleónicas. Y si la traducción se hace en Inglaterra se pensará que se tratará de la guerra de independencia de Estados Unidos. Por tanto, el hecho nacional influye muchísimo.
[Je crois qu’il y a une phrase qui dit en latin que traduire c’est trahir. Dans les traductions, on introduit beaucoup d’éléments d’ordre national. Si on traduit un livre sur la guerre d’indépendance espagnole, il y aura, en Espagne, de nombreux détails contre les troupes napoléoniennes. Et si la traduction se fait en Angleterre, on pensera qu’il s’agit de la guerre d’indépendance des États Unis. L’élément national a donc énormément d’influence.]
José Calvo Poyato
Además de lo que ha dicho José Luis Corral, el trabajo de traducción tiene mucho que ver con la editorial. El editor puede decidir que se añadan mapas u otros elementos que permitan aclarar el relato. Y esto puede cambiar mucho el libro según las decisiones.
[Outre ce qu’a dit José Luis Corral, le travail de traduction a beaucoup à voir avec l’éditeur. L’éditeur peut décider d’ajouter des cartes ou d’autres éléments permettant d’éclairer le texte, ce qui, selon les décisions, peut grandement modifier le livre.]
José Luis Corral
Y no hay que olvidar que los editores quieren vender libros y entonces cambian a veces los títulos para atraer al lector. Una de mis novelas se llamaba en España El códice del peregrino y en Italia se tradujo como Il vangelo esoterico.
[Et il ne faut pas oublier que les éditeurs veulent vendre des livres. Il changent donc parfois les titres pour attirer le lecteur. L’un de mes romans s’intitulait, en Espagne, Le manuscrit du pèlerin, et en Italie, cela a été traduit par L’évangile ésotérique.]
José Calvo Poyato
A mi me pasó igual con El secreto del peregrino que se tradujo al italiano como Il segreto dil scrivano mientras que el eje central del libro era la peregrinación a Santiago de Compostela.
[Il m’est arrivé la même chose avec Le secret du pèlerin qui a été traduit en italien par Le secret du Scribe, alors que l’axe central du livre était le pélerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle.]
Alejandro Corral
Yo estoy a cargo de un centro de traductores en España y hace una semana estuvieron dos traductores, una mujer de Valencia y un hombre de Madrid, que traducían del alemán al español y viceversa. Me decían que hay palabras en alemán y expresiones que no se pueden traducir porque sólo tienen un significado en alemán. Imagino que en francés sucederá lo mismo.
[Je dirige un centre de traducteurs en Espagne et il y a une semaine, je parlais avec deux traducteurs, une femme de Valence et un homme de Madrid, qui traduisaient de l’allemand vers l’espagnol et vice versa. Ils me disaient que il y avait en allemand des mots et des expressions qu’on ne pouvait pas traduire car ils n’avaient de sens qu’en allemand. J’imagine qu’en français, c’est pareil.]
José Luis Corral
Hay una palabra árabe que es imposible traducir y que siempre se traduce equivocadamente –djihad– traducida al español o al francés por guerra santa. Pero no corresponde al significado de la palabra en árabe.
[Il y a un mot arabe impossible à traduire et que l’on traduit toujours de façon erronée –djihad– que l’on rend en espagnol ou en français par guerre sainte. Pourtant, cela ne correspond pas au sens du mot arabe.]
Suzanne Varga-Guillou intervient ensuite en exprimant son point de vue et en commentant ce qui a été dit :
Il y a aujourd’hui, sans l’ombre d’un doute, un véritable engouement pour l’Histoire, phénomène qui se manifeste comme un ardent besoin, un besoin d’histoire. Ce besoin a un rapport avec l’enseignement de cette matière tel qu’il s’est notamment pratiqué en France dans les écoles, mais je crois aussi que dans ce monde de déliaison d’avec les autres, on ressent l’appel de ceux qui ont disparu, qui ont besoin de nous pour vivre tout comme nous avons besoin d’eux pour les faire vivre. En outre, dans le fracas du monde dans lequel nous vivons, les silences de l’Histoire appellent à leur tour une manifestation, une substitution verbale, cinématographique ou picturale – on pense par exemple à Guernica.
Cette manifestation scientifique s’inscrit pleinement dans cette frénésie historique que nous vivons. Nous devons, en effet, examiner avec attention les formes que peuvent prendre ces reconstitutions historiques et il convient donc de ne pas faire d’amalgame, car elles divergent non seulement du point de vue de l’écriture mais appellent aussi des publics différents. Prenons, par exemple, le film récent J’accuse qui a remporté un grand succès. Or, parmi les deux millions de spectateurs qui sont allés voir ce film malgré la polémique qui l’entoure, qui a lu le manuscrit de Zola qui s’appelle Vérité ?
Concernant la question du patrimoine national et de l’idéologie nationaliste, je pense que les auteurs espagnols qui se sont exprimés avant moi sont confrontés à ces concepts depuis de nombreuses années et que cette polémique existe depuis des siècles, ce qui n’est pas tout à fait le cas de la France. M. José Calvo Poyato est non seulement auteur de romans historiques mais il a été aussi engagé politiquement en tant que membre de la Diputación de Córdoba, c’est-à-dire le parti « andalousiste ». Personnellement, je crois qu’il faut éviter d’éclabousser le passé de nos obsessions actuelles, ce que j’ai essayé de faire dans mon enseignement, car projeter ses obsessions en reconstituant l’Histoire est une manière de la trahir. Si l’instrument d’analyse de l’histoire, mais aussi de la littérature, peut être actuel et doit même l’être, il ne faut pas projeter ses propres idées sur le passé.
En réalité, la formule du genre littéraire qu’est le roman historique est paradoxale : nous sommes proches de l’oxymore. Malgré cet aspect hybride, le roman historique a un grand succès. C’est d’autant plus étonnant que ces textes n’ont aucun suspens. Pour avoir enseigné le théâtre espagnol du Siècle d’Or, je sais néanmoins que l’une des pièces les plus belles de Lope de Vega, Le chevalier d’Olmedo, qui a eu le plus grand succès, est un texte dont on connaît d’emblée le dénouement.
J’ai, pour ma part, beaucoup d’admiration pour les romans historiques, notamment ceux d’Alexandre Dumas et de Walter Scott, mais aussi pour ceux qui frôlent l’histoire. Par exemple, l’incipit de La chartreuse de Parme est un morceau d’histoire. Il en est de même du passage du cautivo (prisonnier) dans Don Quichote. Je ne vois donc pas une opposition entre littérature et Histoire mais une interaction entre ce qu’apporte l’histoire à la littérature et inversement.
Concernant mon cas personnel, j’ai beaucoup souffert, tant que j’ai eu à écrire dans un cadre strictement universitaire, en particulier pour ma thèse d’état. L’écriture universitaire est une écriture neutre et même consternante. Dès que j’ai été libre, j’ai essayé de m’exprimer de façon plaisante afin de pouvoir tenir captif le lecteur. C’est aussi le but de l’auteur de romans historiques : retenir l’attention de ceux qui lisent.
Le linguistic turn a aussi grandement pesé sur la reconstitution de la mémoire d’un passé dans des ouvrages qui devaient être scientifiques, clairs, avec un style neutre, et qui étaient, qui plus est, extrêmement longs. Je suis reconnaissante à ceux qui écrivent l’Histoire comme de la littérature, même s’il ne faut pas s’éloigner des faits.
Quand j’ai écrit Philippe V, deux ans après la sortie de l’ouvrage, j’ai reçu une lettre d’un groupe de professeurs d’histoire et de littérature du lycée français de Madrid qui s’étaient réunis pour emmener les élèves visiter la Granja. En faisant des recherches sur internet, ils étaient tombés sur mon livre et avaient décidé d’en lire des extraits à leurs élèves. Pendant 6 mois, tout le lycée avait vécu à l’heure de Philippe V, et ils avaient même écrit une pièce de théâtre. Lorsqu’ils m’ont conviée à la représentation pour que je présente la pièce et que je donne une conférence sur Philippe V, ils m’ont demandé ce que j’en pensais et s’il y avait des choses qui m’avaient gênée dans l’adaptation de mon texte. Philippe V était Duc d’Anjou et second d’une fratrie de trois princes, le Duc de Bourgogne qui devait succéder à Louis XIV, le Duc d’Anjou, futur Philippe V, et le Duc de Berry. Ces enfants étaient suffisamment rapprochés pour qu’on leur assigne la même équipe d’enseignants qui avaient eu la tâche de leur procurer la meilleure éducation possible mais en veillant à ce que l’aîné ait plus d’allant et à étouffer les ambitions du Duc d’Anjou. Lorsque ce dernier, à l’âge de seize ans trois quarts, fut amené à siéger sur le trône du plus grand empire d’Europe, il n’y avait donc pas été préparé. Louis XIV accepta alors que les trois princes, qui étaient inséparables et très unis, voyagent ensemble jusqu’à la Vila Soa, où ils devaient se séparer. Or, en s’inspirant de mon livre, les élèves du lycée français avaient recréé cette scène de la séparation, mais elle était trop douce et ne traduisait pas assez le déchirement absolu décrit par les chroniques. On ne peut donc pas être dans les pensées des personnages, comme on l’a dit, mais il est possible de reconstituer par l’écriture la scène telle qu’elle était et traduire l’arrachement de cette séparation qui allait être définitive, tel que je l’ai fait à la page 152 de mon livre.
Il faut donc reconnaître une présence de la littérature face à l’événement historique évoqué. S’il y a un besoin d’Histoire, les travaux qui apportent l’éclairage le plus intéressant sur le besoin de littérature conjugué sont ceux de l’historienne Judith Lyon-Caen dans La griffe du temps. Ce que l’histoire peut dire de la littérature. Quand je parle de ce que la littérature peut apporter à l’histoire, je retiendrai un dernier exemple. Dans Les trois mousquetaires d’Alexandre Dumas, on trouve plusieurs évocations de Louis XIII. Or aucun historien jusqu’à aujourd’hui n’a donné une version aussi complexe, juste et profonde de la personne de Louis XIII que ne l’a fait Alexandre Dumas. Il y a donc aussi des romanciers qui apportent beaucoup à l’histoire.
Pour finir, je dirais qu’on ne peut pas se mettre dans la pensée des personnages, comme cela a été dit, et que cela importe peu d’ailleurs. Le plus important, c’est qu’ils ont des voix que l’historien, attaché aux sources, doit s’efforcer de ne pas bâillonner. Pour ma part, j’ai retrouvé celle de Philippe V dans sa correspondance.
[1] Au cours de la table ronde, la traduction des questions en espagnol et des réponses des auteurs espagnols a été assurée par la traductrice assermentée Carmen Caballero. La traduction proposée ici a été réalisée à partir de la transcription de l’entretien.
Résumé
Ce texte est tiré de l’entretien avec José Luis Corral, Alejandro Corral, José Calvo Poyato et Suzanne Varga qui a eu lieu à la Médiathèque d’Arras à l’issue du colloque « À la recherche d’un passé lointain : quête d’identité et reconstitution d’une histoire nationale dans le roman historique ». Il est précédé d’une brève synthèse des principales idées qui ont été abordées lors de la manifestation scientifique.
Resumen
Este texto está sacado de la entrevista con José Luis Corral, Alejandro Corral, José Calvo Poyato y Suzanne Varga que tuvo lugar en la Médiathèque d’Arras al final del coloquio «À la recherche d’un passé lointain : quête d’identité et reconstitution d’une histoire nationale dans le roman historique». Va precedido por una breve síntesis de las principales ideas desarrolladas durante la manifestación científica.
Patricia ROCHWERT-ZUILI
Univ. Artois, UR 4028, Textes et Cultures, F-62000 Arras, France