L’autoportrait est non seulement le miroir de la personnalité mais aussi l’espace même de l’introspection. « Il est bien rare que la représentation de soi que suppose l’autoportrait soit constituée pleinement en amont de l’écriture », note Dominique Viart, « elle se construit plutôt au fil du texte »1. De fait toute l’œuvre romanesque de Toussaint semble tourner autour de la question de l’image de soi et de son inscription. Dès L’Appareil-photo (1989), le récit fait miroiter aux yeux du lecteur « la révélation d’une image inédite, qui dirait l’entièreté du sujet – photographie impossible en ce qu’elle écrit non pas la lumière mais l’obscurité, non pas le sujet mais son absence »2. C’est précisément cette question de l’autoportrait problématisé et de ses techniques que nous allons étudier à travers trois ouvrages, Autoportrait (à l’étranger)3 (2000), La Main et le regard4 (2012) et Made in China5 (2017).
Au moment de la réédition d’Autoportrait (à l’étranger), en 2012, Toussaint a insisté sur l’idée que l’autoportrait est pour lui un exercice à la fois réflexif et conceptuel. Il explique dans un entretien avec Ingrid Aldenhoff :
Consciemment, je suis très intéressé par l’autoportrait. […] Disons que je me pose moins la question de la modernité, de l’avant-garde, en termes formels, et que je me pose beaucoup plus la question d’interroger concrètement la littérature à travers l’autoportrait. L’autoportrait aussi tel qu’il est considéré en peinture. Par exemple, quand Rembrandt fait des autoportraits, il parle de la peinture bien davantage que de lui-même. Certes, il se prend lui-même comme sujet d’étude, mais c’est toujours la peinture qu’il interroge, à la peinture qu’il s’ouvre. C’est comme ça que je conçois les choses : c’est à travers l’autoportrait que j’interroge la littérature6.
Dans un second entretien avec Christine Marcantier et Hugo Vitrani, Toussaint va même jusqu’à rapprocher sa tentative dans Autoportrait (à l’étranger) de certaines œuvres plastiques contemporaines :
Ce livre est plus une démarche de plasticien que d’écrivain, et la part conceptuelle d’Autoportrait (à l’étranger) me semble très grande. C’est un recueil de textes où le concept est plus important que le texte final puisque je ne parle vraiment que de broutilles, je ne raconte que des trucs totalement inintéressants, ou insignifiants, ou non édifiants. En tout cas, à dessein, j’essaie de définir des sujets minimum et donc seule compte l’écriture. Il y a là une démarche conceptuelle7.
Notons ici qu’en ré-éditant Autoportrait (à l’étranger) en 2012, au moment même où il préparait une exposition au musée du Louvre intitulée « Livre/Louvre », Toussaint a ajouté au volume un chapitre qui le met en scène aux côtés du plasticien américain Jeff Koons8. Notons d’autre part la curieuse dénégation de l’écrivain qui insiste sur le peu de valeur documentaire de son autoportrait de papier, lequel ne rassemblerait, à l’en croire, que des détails et des anecdotes sans intérêt. Il s’agit pour Toussaint de mettre en valeur son écriture résolument minimaliste et conceptuelle. Mais est-ce vraiment le cas ?
Il est vrai que Toussaint a voulu éviter dans Autoportrait (à l’étranger) « à peu près tout ce qu’on attend d’ordinaire d’un récit de voyage : l’exotisme, le pittoresque »9. En même temps, il a cherché à « marquer des repères »10, comme pour résister l’expérience du dépaysement et du décentrement qui l’emportait. Autoportrait (à l’étranger) relate en effet une série de tournées de conférences en Asie – à Tokyo, à Hong Kong, à Kyoto, à Nara, à Hanoï– avec quelques savoureux contrepoints situés en Corse ou en Tunisie. L’écrivain y insiste sur la notion de décalage, décalage horaire évidemment, mais aussi et surtout décalage culturel. Plusieurs scènes cocasses présentent l’écrivain en voyageur déphasé, démuni et désorienté, car au cours de ses déplacements en Asie une part non négligeable des échanges et du code culturel local lui échappe entièrement. Cependant, loin de provoquer une quelconque frustration chez Toussaint, cette situation le plonge dans un état second qui n’est pas sans agrément11. Si les signifiés linguistiques et culturels lui échappent, l’écrivain perçoit en revanche, avec une netteté accrue, les multiples signifiants concrets de la scène asiatique. Sans exhiber le génie sémiologique d’un Roland Barthes dans L’Empire des signes, Toussaint circule néanmoins avec une certaine jouissance dans l’incertitude ou la suspension du sens.
Si la pratique de l’autoportrait, de Rembrandt à Francis Bacon, exprime selon Toussaint une double interrogation de l’artiste sur sa personnalité et sur son art, il en va de même dans Autoportrait (à l’étranger). Cependant l’auteur met ici surtout l’accent sur sa maladresse et sur l’autodérision. Pour Toussaint un autoportrait trop maîtrisé est une imposture. Il conçoit donc Autoportrait (à l’étranger) comme une série d’instantanés ou mieux : de photos « Polaroïd »12. Sur le plan technique, l’écrivain recherche « quelque chose de pris sur le vif, de décalé, d’à peine cadré »13, écartant d’emblée « le fini, le soigné, le léché »14 même au risque d’être parfois un peu schématique et un peu flou. Aux teintes nostalgiques du sépia, Toussaint préfère aussi les couleurs crues, voire criardes, proches du « Technicolor »15. Enfin il explique que son récit part de la sphère intime mais se dirige par endroits vers l’espace de la fiction en faisant subir au vécu « de très légers infléchissements »16 pour mieux figurer les « peurs secrètes »17 ou les « désirs qui affleurent »18 au cours du voyage. Il précise en guise de préambule :
À chaque fois que je voyage m'étreint une très légère angoisse au moment du départ, angoisse parfois teintée d’un doux frisson d'exaltation. Car je sais qu’aux voyages s'associe toujours la possibilité de la mort – ou du sexe (éventualités hautement improbables évidemment, mais néanmoins jamais tout à fait à exclure)19.
On retrouve ici, dans une formulation particulièrement frappante, la dialectique du fortuit et du fatal qui hante toute l’œuvre romanesque de l’écrivain, et en particulier les ouvrages liés à ce qu’on pourrait nommer son tropisme asiatique20. Concernant la possibilité d’une rencontre avec la mort, Autoportrait (à l’étranger) ne relate cependant que de menus problèmes ou accidents de circulation, en taxi ou en scooter, dans les villes turbulentes d’Asie. Concernant la question sexuelle, l’auteur se limite en général à décrire de légers flirts avec de jeunes admiratrices, traductrices ou assistantes. Pourtant une scène frappante au cœur du livre se déroule dans une boîte de strip-tease située dans la vieille ville de Nara au Japon. Le narrateur y observe une jeune femme entièrement nue sur une estrade, assise par terre les jambes écartées face au public. Elle « s’enfonçait une petite balle de ping-pong rouge dans le vagin et la faisait sauter comme un bouchon de champagne, flop, qui retombait mollement sur son ventre et qu’elle se renfonçait dans le fion séance tenante pour réactiver son bilboquet intime »21. Puis, toujours en arborant aux lèvres « un sourire avenant de speakerine américaine »22, la jeune femme s’approche du premier rang des spectateurs et leur offre « un petit chiffon de plastique transparent pour qu’ils s’essuient les doigts si d’aventure leur venait l’envie de les enfoncer dans son con pour y fourrager un instant librement »23. Fiction ? Réalité ? Fantasme ? Cette scène détonne parmi les notations le plus souvent très anodines du livre. D’une part il est clair que Toussaint écarte ici la thématique ressassée de l’illumination spirituelle en Orient pour mettre l’accent sur le tourisme sexuel le plus cru. D’autre part on retrouve ici, comme surlignés, la main et le regard dont l’auteur parle dans d’autres contextes. « La main et le regard, il n’est jamais question que de cela dans la vie, en amour, en art », déclare l’écrivain24. La Main et le regard est d’ailleurs le titre du catalogue de l’exposition organisée par l’écrivain au Louvre en 2012. Nous allons maintenant examiner cet ouvrage de plus près pour voir comment s’y articule la problématique de l’autoportrait.
Au printemps 2012, quatre salles dans l’aile Sully du Louvre ont été consacrées à l’exposition « Livre/Louvre » qui rassemblait des photographies, des vidéos, des néons et diverses installations de Jean-Philippe Toussaint. Parmi ces œuvres, de nombreux autoportraits. Pour Toussaint, cette exposition était l’occasion de montrer les multiples facettes de son activité littéraire et photographique, plastique et filmique25. C’était aussi l’occasion idéale pour mettre en scène deux de ses idées fixes : la self-variance de l’esprit26 et son envers, occulté ou déplacé : la scène sexuelle obsessionnelle.
La couverture de La Main et le regard propose d’emblée un étrange autoportrait : l’auteur y apparaît à mi-corps, le visage détourné de l’objectif et le regard fixé vers l’arrière-plan où figure La Mort de Sardanapale (1827) de Delacroix, grande toile emblématique du romantisme et grande scène érotique s’il en est ! Sur la toile originale, inspirée par le drame célèbre de Byron, le monarque vaincu apparaît parfaitement imperturbable, plongé dans une sorte de fatalisme oriental ou de prostration mélancolique. Sur l’image photographique, en revanche, ce personnage demeure hors-champ : Sardanapale est en quelque sorte remplacé par l’écrivain planté devant la toile. Cet autoportrait photographique complexe, dans lequel le regard de l’auteur se dérobe à l’objectif, cadre en revanche avec précision, en arrière-plan, le nu célèbre, exotique et érotique, d’une esclave du harem sur le point d’être immolée. Le corps lumineux et sinueux de la victime, son regard à la fois éperdu et extasié au moment même du trépas, tout concourt à associer les deux figures d’éros et de thanatos dans cette composition à la fois frénétique et morbide. Mais s’il est assez facile de comprendre ce qu’est un autoportrait littéraire, à la fois physique et psychologique, ou un autoportrait pictural, il est beaucoup plus difficile en revanche de cerner ce qu’est un autoportrait conceptuel, à mi-chemin de la littérature et de divers arts plastiques. D’une part l’image photographique, en convoquant La Mort de Sardanapale, puis en remplaçant le monarque par l’écrivain, nous dit la prégnance du thème mélancolique chez Toussaint. D’autre part, la figure de l’esclave nous parle de la fascination anxieuse de l’auteur pour la beauté évanescente, sur le point même de disparaître, que seule l’image va préserver, ajoutant ainsi au complexe mélancolique.
La Main et le regard donne à voir d’autres autoportraits conceptuels mais il s’agit le plus souvent d’autoportraits cérébraux ou neuronaux. On trouve par exemple, à la page 93, l’image photographique d’une cabine de scanner d’imagerie par résonance magnétique (IRM). Toussaint y apparaît allongé sur le dos, avec une étiquette collée au pied où l’on peut lire ce mot : fragile. Son corps est sur le point de glisser, la tête la première, dans l’appareil, ce qui évoque à la fois le retour à l’espace utérin (eros) et le mouvement d’un cadavre vers l’incinération (thanatos). On se souvient que dans L’Appareil-photo l’espace clos, étroit, des toilettes d’une station-service, où planait une odeur d’essence et d’urine, était le lieu choisi par le narrateur pour méditer à son aise sur « l’entéléchie »27, c’est-à-dire le mouvement incessant de la pensée et l’effacement sporadique du moi dans le flux mental. Comment saisir et comment figurer, sans la trahir, la pensée vivante, mouvante, qui est un flux constant d’associations et d’images ? Pourquoi se concentrer sur une seule pensée ou une seule sensation à l’exclusion des autres ? Ces réflexions étaient reprises à la façon d’un leitmotiv dans le roman et, à chaque fois, la séquence se déroulait dans un lieu confiné – cabine de photomaton ou cabine téléphonique – qui n’était pas sans évoquer la scène utérine où l’esprit est livré à l’informel, avant l’apparition de la conscience réflexive et la constitution d’un moi autonome. L’autoportrait à l’IRM de l’exposition du Louvre évoque une problématique similaire : il s’agit de mettre en scène et en image le flux même de la pensée par un scan du cerveau, c’est-à-dire par une image numérisée, à la fois générique et fixe, tout en esquivant au final la question de l’identité.
La page 91 de La Main et le regard présente une image IRM du cerveau de Jean-Philippe Toussaint. Cette image est accompagnée d’un récit de rêve dans lequel l’écrivain, au cours d’une consultation médicale imaginaire, apprend que « d’étranges osselets de différentes tailles, tels des caillots, [freinent] la fluidité du mouvement de sa pensée »28. On reconnaît ici l’obsession de l’auteur concernant le flux mental et ses arrêts sur images. Mais, dans ce rêve, les « osselets » finissent par provoquer une pression anormale du cerveau qui, à la façon d’une tumeur en expansion, fait éclater la boîte crânienne et se « répandre la matière cérébrale dans le monde extérieur »29. On ne saurait mieux exprimer – en une seule image polysémique, comme dans les rêves – l’obsession (ou l’idée fixe) qui se déploie dans les autoportraits de Toussaint : l’entéléchie de la pensée et la self-variance de l’esprit que l’on ne saurait cerner ni contrôler.
Un autre autoportrait frappant, intitulé « Lire la pensée »30, présente une photographie de la tête de Jean-Philippe Toussaint en gros plan, le visage détourné, le crâne couvert d’électrodes pour un électroencéphalogramme haute densité. Suivent d’autres autoportraits photographiques qui apparaissent comme autant de vues internes du cerveau de l’auteur. Ces autoportraits électro-encéphalographiques sont obtenus par tomographie par émission de positons ou bien par collage d’images-vidéos. Ils sont tous censés représenter « le flux cérébral »31, incessant et insaisissable, avec toutefois quelques « images récurrentes ou obsessionnelles »32, plus ou moins fixes33. Autrement dit, Toussaint fait subtilement glisser ici la représentation « à partir d’images réelles de l’activité cérébrale vers la fiction et le fantasme »34. En même temps ces images renvoient, comme autant de variations postmodernes, aux crânes qui figurent dans les vanités de la peinture renaissante et classique, un peu comme les célèbres crânes floutés du peintre Gerhard Richter. Mais évidemment il s’agit ici de mettre l’accent sur le mouvement du flux mental plutôt que sur le passage tragique du temps.
Michel Beaujour a observé que « l’autoportrait, genre moderne, relève également de l’archéologie »35. Ce critique donne en guise d’exemple les très nombreuses références antiques et mythologiques qui parsèment L’Âge d’homme de Michel Leiris. Ces références convoquent à chaque fois des figures allégoriques ou archétypiques qui possèdent un sens particulier pour cet auteur et qui définissent chez lui un certain complexe. Il en va de même dans La Main et le regard. Nous avons vu que Toussaint fait figurer en couverture de ce catalogue un autoportrait photographique qui cite La Mort de Sardanapale, tout en détournant l’œuvre de Delacroix au niveau du medium et du message. Cette même toile refait surface dans le corps du catalogue de l’exposition à plusieurs reprises, notamment dans la section intitulée « Mardi au Louvre », pages 178 et 179. Il s’agit ici d’une gigantesque composition photographique de 2,5m environ sur 5m, mi-documentaire mi-fictionnelle. On y voit plusieurs des grands tableaux de Delacroix qui sont accrochés dans la magnifique salle Mollien du Louvre mais ceux-ci sont accompagnés, au centre de la pièce, de petites « saynètes parallèles »36 dans lesquelles figurent les conservateurs et les techniciens du musée au travail, entourés d’échelles et d’échafaudages. Face à La Mort de Sardanapale, décroché du mur à cette occasion, on reconnaît Les Femmes d’Alger, tableau qui évoque lui aussi l’Orient et l’érotisme. Au centre de l’image, directement sur le parquet, s’élève une pyramide de quelques trois cents grands folios anciens. Ce dispositif interroge la relation mais aussi la différence de sens et d’aura, comme l’a souligné Walter Benjamin, entre les images produites par l’écriture, par la peinture et par la photographie. On peut d’ailleurs rapprocher à ce sujet La Main et le regard de Mes Bureaux (2005), un autre essai photographique de Toussaint. D’une part, comme le souligne Arcana Albright, la fonction des photographies dans ces albums n’est nullement illustrative mais constitutive : elles en sont le principe structurant. D’autre part, les textes qui accompagnent ces photos ne fonctionnent pas comme légendes ni commentaires : ce sont de brefs aperçus ou de simples citations qui renvoient aux propres romans de l’auteur. Cette relation texte/image est donc « interdépendante et dialogique »37 mais aussi « triangulaire entre texte autobiographique, photographique et fiction »38. S’y ajoute simplement, dans le cas du catalogue du Louvre, le jeu intermédial particulier de ces photographies avec des performances vidéos et des textes réalisés en néons de divers couleurs à la façon de Bruce Nauman.
La Main et le regard offre à la page 125 un dernier exemple d’autoportrait complexe. Jean-Philippe Toussaint y apparaît aux côtés d’un groupe d’écrivains invités pour l’occasion : Olivier Rolin, Jean Echenoz, Emmanuel Carrère, Pierre Bayard, Philippe Djian. Cette composition photographique en très grand format (environ 1,5m sur 2,25m) évoque, par la position des personnages et par la composition de la scène, le fameux Hommage à Delacroix (1864) de Fantin-Latour. On se souvient que cette toile rassemble, autour de l’autoportrait de Delacroix mis en abyme, un petit groupe d’écrivains, de critiques et de peintres voués à son culte (parmi eux, Charles Baudelaire). On retrouve évidemment l’autoportrait de Delacroix au centre de la composition photographique de Toussaint mais l’écrivain ne souhaite pas produire ici un simple pastiche de l’hommage de Fantin-Latour. D’une part Toussaint substitue la reproduction photographique aux pinceaux et aux brosses de Fantin-Latour : il utilise, pour fixer cette scène dans laquelle il souhaite figurer lui-même, un appareil photographique qu’il déclenche à distance. D’autre part il fait figurer, sur l’écran d’un ordinateur qu’il tient à ses côtés, la scène photographiée elle-même, en taille réduite, saisie sur le vif, qui est mise ainsi en abyme et qui sera ensuite reproduite en grand format photographique. Cette mise en scène spectrale de l’image photographique et de l’autoportrait, avec une double mise en abyme picturale et photographique, où figure une belle brochette d’écrivains contemporains, est un hommage et un exercice conceptuel acrobatique et virtuose qui « proclame que la littérature est bien vivante à l’ère digitale »39.
En parcourant les pages de La Main et le regard, on observe que Toussaint propose au lecteur des autoportraits conceptuels retors, cérébraux et neuronaux, plus spectraux qu’introspectifs. On observe aussi que l’autoportrait est chez Toussaint une performance et non simplement une représentation. Jouant de façon ludique avec les nouvelles technologies et les effets de miroir, l’autoportrait possède une dimension ironique puisqu’il s’agit moins de figurer l’identité du sujet que de suggérer la self-variance de l’esprit. Outre la notion de performance, la notion de série est essentielle ici. À un premier niveau on peut considérer que l’autoportrait est chez Toussaint une tentative (répétée) de suture de la mélancolie du sujet, de fixation du flux indéfini de la pensée et de l’identité par la production d’une image stable et rassurante (laquelle deviendrait, du même coup, fixe, mortelle et angoissante). Cependant, à un second niveau, on voit bien qu’il s’agit plus pour Toussaint de créer une pratique programmatique que de produire des objets définis et définitifs. Le jeu conceptuel de la performance et de la série des autoportraits fonctionne chez Toussaint selon le modèle même de l’installation plasticienne où textes et images de divers types se répondent sans résolution.
Dans Made in China, ce n’est plus par le biais d’un jeu avec le medium photographique que s’élabore l’autoportrait mais par le truchement d’une méditation sur l’image filmique. On peut définir Made in China comme le récit d’un long repérage, suivi d’un bref tournage. Mais qu’est-ce qu’un repérage ? Selon le dictionnaire, c’est l’action de déterminer la place et les contours d’un objet dans l’espace. Ici l’objet à déterminer est la Chine contemporaine, avec son décor en pleine mutation. D’autre part, toujours selon le dictionnaire, un repérage est la recherche de décors spécifiques où auront lieu des prises de vues. Ici il s’agit pour le narrateur, véritable alter ego de l’auteur, de trouver le lieu adéquat où filmer The Honey Dress, un court-métrage qui s’inspire de la conclusion d’un de ses romans précédents, Nue (2013). Contrairement à Christine Montalbetti qui situe le narrateur de Love Hotel dans une chambre d’hôtel qu’il ne quittera plus, tout en jouant très savamment avec les images culturelles, à la fois traditionnelles et contemporaines, du Japon, le narrateur de Toussaint, lui, circule constamment dehors : il cadre et quadrille sans cesse le paysage urbain de Guangzhou (Canton), caméra en main, accompagné d’une équipe technique et, parfois, de son producteur, Chen Tong. Jour après jour le narrateur cherche « le lieu et la formule » en se fiant plus ou moins au hasard pour lui fournir le décor idoine et la femme idéale pour ce très court-métrage qu’il visualise dans sa tête. Au cours de cette « plongée dans la Chine contemporaine »40, une Chine « sans arrière-plan romanesque »41 souligne l’auteur, le portrait de ville et le portrait de femme se dédoublent et se diffractent sans cesse, accompagnent ainsi le jeu de l’autoportrait de l’écrivain en réalisateur42.
En un sens, on peut dire que Made in China est une ré-écriture de L’Appareil-photo où la Chine se substitue à l’Angleterre comme espace de déplacement ou, pour mieux dire, comme espace de décentrement du sujet43. Certes le medium filmique remplace ici le medium photographique mais on retrouve dans ces pages la même hantise de l’autoportrait problématique. Comme le note Alice Richir, les dispositifs optiques (miroirs, vitres, films, etc.) chargés de refléter l’image du protagoniste dans la fiction n’en livrent jamais qu’un « portrait trouble ou déserté », mettant ainsi en relief « la part d’indicible qui échappe à la figuration »44. Made in China offre un autoportrait brouillé et brouillon de l’auteur, tout comme Autoportrait (à l’étranger). Cependant ce roman marque un tournant et ressortit d’une nouvelle esthétique. Le narrateur affirme y avoir enfin échappé au confort quasi-utérin de la création en vase clos – le film en studio et sur scénario, ou le roman lettré et léché – pour faire face au réel en acceptant l’imprévu et l’improvisation. Il souhaite désormais laisser entrer pleinement la vie et le chaos dans une œuvre ouverte à tous les vents :
[...] quand on tourne un film en Chine, c’est comme si une fenêtre s’ouvrait à l’improviste dans la pièce où on travaille […]. C’est le tourbillon du monde extérieur, bruyant, brouillon, imprévisible, qui fait irruption dans notre travail et qui bouscule l’action du film qu’on est en train de tourner, s’insinue dans les décors, se glisse entre les personnages, avec son tohu-bohu, ses couleurs, ses odeurs, son chaos […]45.
Made in China marquerait donc le passage d’une esthétique de la catastrophe, de l’échec ou du fiasco, si prégnante dans les premiers romans, à une esthétique du hasard, de l’imprévu et du chaos, ce qui n’est évidemment pas du tout la même chose. Le narrateur explique :
Il m’importait moins de mener à bien, selon des critères connus et définis au préalable, un film idéal, qui aurait en quelque sorte préexisté dans mon esprit à sa réalisation, que de rester disponible et de me mettre en adéquation avec la situation que j’allais trouver46.
Cependant Made in China s’achève sur la mise en scène longuement préméditée d’un fantasme : le défilé d’une mannequin de mode nue dans une « robe de miel » translucide, défilé inspiré par une scène mémorable du roman précédent, Nue (2013). Ici Toussaint cherche à saisir par le film une image particulière du corps érotique féminin, rayonnant comme une apparition de nature archétypique47, mais aussi « une durée romanesque autonome »48 qui est proprement celle du rêve éveillé.
On sait que chaque récit, chez Toussaint, est marqué par la hantise de la fin. Sylvie Loignon souligne qu’une telle hantise correspond, de façon caractéristique, à la mélancolie comme deuil inachevé ou impossible49. Dans Made in China, le narrateur ne semble jamais certain que le tournage de The Honey Dress pourra avoir lieu : il lui faut trouver au pied levé une équipe complète, un lieu emblématique où filmer la scène imaginée, et enfin une mannequin qui accepte de poser le corps entièrement enduit d’une substance collante dorée. Il lui faut aussi contourner plusieurs règlements bureaucratiques chinois – sans parler du montage financier du projet qui semble, au départ, très compromis. Finalement, après bien des tracas et bien des tractations, tout se met en place : la caméra tourne, la jeune mannequin s’avance sous les feux de la rampe50 mais, comme dans Nue, elle s’effondre au bout de quelques pas piquée par un essaim d’abeilles – des abeilles évidemment factices pour les besoins du tournage...
« Belle comme un désastre » : tel pourrait être le titre de la séquence filmée par le narrateur. Il faut voir dans cette scène ambiguë et incongrue l’exorcisme d’un sempiternel scénario mélancolique. En effet, sous l’apparent échec, comment ne pas noter le succès de l’entreprise paradoxale de Toussaint ? Filmer, avec succès, le fiasco. Figurer, avec brio, le hasard. Tel est le spectacle auquel nous convie la conclusion de Made in China. En détaillant le making of du court-métrage dans son roman et le tournage de cette séquence ultime, Toussaint nous livre de nouveau un autoportrait retors, à la fois conceptuel et intermédial, tour à tour démiurgique et aléatoire, où s’ajustent l’écriture et le film, la main et le regard51.
[1] Dominique VIART, « L’Écrivain au miroir », SCÉRÉN-CNDP, 2003, p. 1. Disponible en ligne. Consulté le 19 mai 2021.
https://is.muni.cz/el/phil/jaro2009/FJ0B639/um/7870771/VIART-_L_ecrivain_au_miroir__2003_.pdf
[2] Sylvie LOIGNON, « Comment finir ? La mélancolie de Jean-Philippe Toussaint », Textyles n 38, 2010, Bruxelles, Le Cri, p. 89-98, p. 90.
[3] Jean-Philippe TOUSSAINT, Autoportrait (à l’étranger), Paris, Éditions de Minuit, 2000, coll. « Double » 2012.
[4] J.-P. TOUSSAINT, La Main et le regard, Paris, Éditions Le Passage/ Musée du Louvre, 2012.
[5] Id., Made in China, Paris, Éditions de Minuit, 2017.
[6] Une partie du texte de l’entretien est disponible sur le site des éditions de Minuit, dans la section consacrée à Autoportrait (à l’étranger).
[7] Cet entretien télévisé, « Jean-Philippe Toussaint : en lisant, en écrivant », est disponible sur Mediapart.fr. Consulté le 19 janvier 2021.
[8] Tout comme Christine Montalbetti dans Petits Déjeuners avec quelques écrivains célèbres (Paris, P.O.L., 2008), Toussaint se positionne ici, par rapport à Jeff Koons, dans un rôle volontairement secondaire, décalé et dérisoire. Avec humour, il se présente non comme le familier de l’artiste kitsch néo-pop américain mais comme un simple témoin qui s’est glissé au milieu de la foule des fans, des assistants et des journalistes.
[9] J.-P. TOUSSAINT, Autoportrait, p. 7 et 13.
[10] Ibid., p. 118-119.
[11] Dans Made in China, Toussaint revient sur cet état de dépendance et de stupeur qu’il éprouve à l’étranger mais en soulignant ses aspects régressifs, voire infantiles. « [...] tout au long de mes séjours en Chine, je me laissais guider avec indolence par Chen Tong, en jouissant d’une sorte d’irresponsabilité quant à mes obligations sociales et à l’emploi du temps de mes journées, et je me contentais, dans le cocon abstrait de confiance dont on m’entourait, environné d’amour et de bienveillance, trimballé de place en place dans différentes voitures, de me comporter à la manière d’un très jeune enfant qui n’a pas encore appris à parler (en tout cas, pas le chinois), et qui observe le monde mystérieux, impénétrable et surnaturel qui évolue autour de lui de ses yeux perçants et attentifs […] » (p. 23).
[12] Id., Autoportrait, p. 12.
[13] Ibid.
[14] Ibid.
[15] Ibid.
[16] Ibid., p. 8.
[17] Ibid., p. 10.
[18] Ibid.
[19] Ibid., p. 27.
[20] Voir à ce propos, J.-P. TOUSSAINT, Made in China, p. 123.
[21] Id., Autoportrait, p. 81.
[22] Ibid., p. 82.
[23] Ibid.
[24] Id., La Vérité sur Marie, Paris, Éditions de Minuit, 2009, p. 58.
[25] Notons ici que le musée du Louvre avait donné carte blanche à plusieurs écrivains dans les années précédentes, par exemple Umberto Eco ou J.M.G. Le Clézio, mais ceux-ci ne se présentaient nullement eux-mêmes comme artistes.
[26] L’expression est utilisée par Paul Valéry dans ses Cahiers. « La loi fondamentale de l’esprit m’apparut en 1892 ou 93 comme impossibilité de fixation. J’ai donné le nom anglo-latin de Self-variance à cette remarquable caractéristique. La conscience est sans repos » (Paris, Éditions du CNRS, 1957-1961, C.XVI. p. 437). Valéry parle ailleurs de « la variation propre des faits mentaux » (C.III. p. 634). Pour plus de détails sur ce point, ainsi que sur la dialectique valéryenne de l’attention et de la self-variance, voir l’essai de Julien FARGES, « Paul Valéry, penseur de l’attention et de la surprise », Alter 24 , 2016, p. 169-194.
[27] J.-P. TOUSSAINT, L’Appareil-photo, Paris, Éditions de Minuit, 1988, p. 32.
[28] Id., La Main et le regard, p. 91.
[29] Ibid.
[30] Ibid., p. 172.
[31] Ibid., p. 176.
[32] Ibid.
[33] Certaines de ces images sont en fait des images génériques, retouchées et colorées ensuite par traitement numérique. Ces images sont « simplement poétiques » (Ibid.), explique l’auteur.
[34] Ibid.
[35] Michel BEAUJOUR, Miroirs d’encre. Paris, Éditions du Seuil, « Poétique », 1980, p. 204.
[36] J.-P. TOUSSAINT, La Main et le regard, p. 178.
[37] Arcana ALBRIGHT, « Textualité sans frontière : Le photolittéraire chez Jean-Philippe Toussaint », actes du colloque Photolittérature, littératie visuelle et nouvelles textualités, sous la dir. de V. LAVOIE, P. EDWARDS, J.-P. MONTIER. Paris, 26 & 27 octobre 2012, p. 316.
[38] Ibid., p. 317.
[39] Id., « Visual Traces Of A Literary Manifesto : Jean-Philippe Toussaint’s Livre/Louvre », Contemporary French and Francophone Studies, n°18 (3), 2014, p. 306-313, p. 311.
[40] J.-P. TOUSSAINT, Made in China, p. 122.
[41] Ibid.
[42] Notons ici que le casting des mannequins/actrices pour le tournage du film s’effectue dans un premier temps à partir de « photos miniatures » (ibid., p. 103) obtenues sur un écran de smartphone, tout juste agrandies d’un coup de pouce : on retrouve ici la thématique obsédante de la main et du regard.
[43] La scène de la traversée en bateau de la Rivière des Perles fait écho, en particulier, à la traversée de la Manche dans le premier roman.
[44] Alice RICHIR, Écriture du fantasme chez Jean-Philippe Toussaint et Tanguy Viel: une diffraction littéraire de l’identité, Leiden/Boston, Brill/Rodopi, 2018, p. 263.
[45] J.-P. TOUSSAINT, Made in China, p. 84.
[46] Ibid., p.23.
[47] Le corps de la jeune femme est rendu luminescent par « les scintillements des colliers de LED » (ibid., p. 139) qu’elle porte au cou et sur la tête, à la façon d’un diadème. Le texte souligne qu’ils nimbent la jeune femme « d’une auréole de lumière fluide » (ibid., p. 185).
[48] Ibid., p. 121.
[49] Placé au centre de la fiction, le narrateur des récits de Toussaint se caractérise par une attitude passive où sa « propension à ne jamais rien brusquer, bien loin de [lui] être néfaste, [le] préparait en vérité un terrain favorable où, quand les choses [lui] paraîtraient mûres, [il pourrait] cartonner » (L’Appareil-photo, p. 14). Notons que cette thématique est présente dans Made in China mais sous un habit oriental, notamment aux pages 22-23 et 48-50. L’écrivain y présente, en s’appuyant sur les recherches de François Jullien et de Cyrille Javary, la conception chinoise traditionnelle du hasard, proche du jeu, de chaos et du vide, ainsi que celle du wu-wen (le « non-vouloir-saisir ») propre au bouddhisme zen.
[50] Pour tourner son film, le narrateur de Made in China choisit le Times Museum à peu près vide pour cause de réfection. Le texte décrit la grande salle d’exposition « vide, blanche, toute en longueur, encombrée de planches et de sacs en plastique, de pots de peintures et de bâches qui jonchaient le sol » (J.-P. TOUSSAINT, Made in China, p. 116). Ce décor n’est pas sans rappeler la photographie dans La Main et le regard où le nu érotique féminin de « La Mort de Sardanapale » apparaît dans la grande salle Mollien du Louvre, au milieu des échelles et des échafaudages.
[51] À la dernière page de Made in China une icône invite le lecteur à visionner The Honey Dress sur son ordinateur. Dans la version numérique du roman, le film The Honey Dress se déclenche automatiquement avec les dernières lignes. Toussaint joue donc astucieusement ici sur la façon dont le film peut s’emboîter dans le livre.
Résumé
Cet essai examine plusieurs autoportraits conceptuels et intermédiaux présents dans deux ouvrages de Jean-Philippe Toussaint, en détaillant quelques techniques caractéristiques employées par le romancier photographe, réalisateur et artiste plasticien. Cet essai analyse aussi les apories de ces autoportraits cérébraux et neuronaux qui se révèlent plus spectraux qu’introspectifs et qui mettent en relief la self-variance de l’esprit tout en jouant avec les notions de série et de performance. La discussion du tournage de The Honey Dress dans Made in China permet, pour conclure, de mettre au jour la tentative d’exorcisme du scénario mélancolique chez Toussaint, ainsi que son obsession démiurgique.
Abstract
This essay examines several conceptual and intermedial self-portraits present in two works of Jean-Philippe Toussaint by detailing some characteristic techniques used by the novelist, photographer, film director and visual artist. This essay also analyses the aporias of these cerebral and neuronal self-portraits which reveal themselves as more spectral than introspective, and which put into relief the self-variance of the mind while at the same time playing with the notions of series and performance. The discussion of the filming of “The Honey Dress” in Made in China brings to light Toussaint’s attempt to exorcise his melancholic scenario, and highlights his demiurgic obsession.
Bruno THIBAULT
University of Delaware
TOUSSAINT, Jean-Philippe, Autoportrait (à l’étranger), Paris, Éditions de Minuit, 2000, coll. « Double », 2012.
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