Pour Laurent Demoulin
« Prenons-nous en flagrant délit de création. »
Francis Ponge, Méthodes1
« Un tableau est peint dans le noir. La mémoire remplace la vue.
C’est elle qui juge, sans le voir, si ce qui est peint doit être conservé, effacé, ou recommencé. C’est lorsqu’il le regarde pour la première fois que son auteur signe l’achèvement du tableau ».
Édouard Levé, Œuvres2
L’on ne connaît que rarement les chaises sur lesquelles les auteurs rédigent leurs chefs-d’œuvre – presque jamais de leur vivant, du moins. Les coulisses de la création, les manuscrits, le bureau, les objets fétiches, appartiennent à un autre temps, le temps de l’archive, qui est celui de l’avenir3, un avenir qui se déploie traditionnellement à travers ce que l’on appelle la postérité. Or, c’est un Jean-Philippe Toussaint toujours bien vivant qui nous donne à lire comme à voir, emblématique des coulisses de sa création, La Chaise4.
Opuscule publié à l’occasion de l’exposition « Jean-Philippe Toussaint décoratif » au Musée des arts décoratifs et du design de Bordeaux (2019), ce texte vient s’ajouter à ces œuvres au statut générique indéfinissable dans lesquelles l’auteur belge se met en scène en sa qualité d’écrivain et/ou de cinéaste : Autoportrait (à l’étranger) (2000), Mes bureaux (2005), La Mélancolie de Zidane (2006), « Le Mans » (2010), La Main et le regard (2010), L’Urgence et la patience (2011), Football (2015), Made in China (2017). Ce type de texte, de plus en plus fréquent dans sa production, interroge de manière singulière la relation que nouent aujourd’hui la réalité et la fiction, le virtuel et l’actuel, l’objet littéraire, la figure de l’écrivain et l’image qu’ils (se) renvoient.
À travers l’analyse de ce qui pourrait paraître n’être qu’une œuvre de circonstance5, il devient possible de comprendre la manière dont la mise en scène littérale du processus de création constitue chez Toussaint une véritable manière d’être au monde. En ce sens, La Chaise n’est pas seulement un objectif de vie que l’écrivain s’assigne avec sa légèreté coutumière, elle constitue également un art poétique, presque un manifeste de ce que représente la signature Toussaint.
Prenons les deux premières phrases de l’opuscule :
On le sait, les trois choses que l’honnête homme doit avoir fait au moins une fois dans sa vie sont 1) faire un enfant 2) planter un arbre 3) écrire un livre. On sait moins qu’il devrait également créer une chaise (p. 9).
Exposé en ouverture comme un impératif dont il ne sera plus question ensuite, ce savoir prétendument partagé relève d’un emprunt dont la source demeure obscure : l’origine de cette maxime est prêtée soit à la sagesse orientale, soit à l’écrivain cubain José Martí ; toutefois, dans ce dernier cas, il semble s’agir d’une déclaration orale qui n’a pas été consignée et qui, dès lors, se pare d’un nimbe de légende. La maxime se trouve ensuite reprise par Ernest Hemingway qui, servant ostensiblement de modèle à Jean-Philippe Toussaint, lui a ajouté une quatrième injonction : « fight a bull », « défier un taureau ». La variation Hemingway ne représente néanmoins pas une source plus identifiable : il s’agit d’un de ces propos rapportés que l’on attache à une figure publique sans s’assurer qu’elle les ait bel et bien prononcés. Et l’écrivain belge d’élever la maxime en adage par le biais d’un très impersonnel « On le sait » inaugural. Désinvolture dans les usages de seconde main ? Certainement6. Mais pas uniquement.
S’il nous faudra revenir sur cet emprunt anonyme, il convient de nous interroger dans un premier temps sur l’ajout propre à l’auteur de La Télévision, le choix de cet objet commun qui, en tant qu’objet de création, devient sujet du livre : la chaise. L’on connaît la prédilection de l’écrivain belge pour ce que Marguerite Duras avait appelé « la vie matérielle »7, ces objets qui, chez Toussaint, constituent souvent le moyeu autour desquels tourne la machine narrative déployée dans les romans : la salle de bain (plus particulièrement la baignoire), l’appareil-photo, la télévision, la clé USB ou encore le flacon d’acide chlorhydrique dans Faire l’amour.
Le philosophe italien Remo Bodei8 montre en quoi l’investissement affectif et symbolique – à titre individuel ou collectif – à l’endroit des objets les mue en choses. Dès l’instant où l’homme projette des idées ou des désirs sur un objet, celui-ci s’individualise et devient le reflet d’une subjectivité singulière ou d’un imaginaire collectif. Cet aspect est déterminant chez Toussaint – et ce depuis La Salle de bain, où le mobilier de l’hôtel plongé dans la nuit subit une personnification : « Les meubles présentaient des formes humaines, plusieurs chaises me fixaient »9. Le souci de la chaise – ou plus généralement du siège – est un motif qui traverse toute son œuvre.
Lorsque, à l’entame de la « Présentation » du ciné-roman La Patinoire, paru en 2019, Toussaint évoque la simultanéité de conception du scénario du film et de La Télévision, il désigne un fauteuil bien précis comme détail présent dans les deux œuvres. À bien y réfléchir, cependant, même le lecteur / spectateur le plus assidu et chevronné aurait éprouvé des difficultés à identifier ce point commun matériel. Pourtant, Toussaint pare ce siège du luxe et du lustre de la pièce de collection, en précisant qu’il s’agit d’« un authentique fauteuil Marcel Breuer (le Stahlrohrsessel B3) », et insiste sur la parenté que celui-ci établit entre le film de 1999 et le roman de 1997 :
Ce fauteuil, je l’évoque dans mon livre La Télévision, et c’est ce même fauteuil que j’ai choisi pour le metteur en scène de La Patinoire, tissant ainsi un lien secret, intime et quasi spatio-temporel entre La Patinoire et La Télévision10.
L’anecdote avait été évoquée une première fois près de quinze ans plus tôt, dans le premier volume consacré aux coulisses de la création toussaintienne, paru en italien sous le titre Mes bureaux. Luoghi dove scrivo, où l’auteur précisait que le siège en question était la fameuse « chaise Wassily », qui tient son nom du destinataire du second exemplaire du siège réalisé par Breuer, Vassily Kandinsky.
Le « lien secret » n’intrique pas seulement La Patinoire et La Télévision, dans la mesure où l’écrivain belge convoque la très réelle chaise Wassily qui trônait « dans un angle » de l’appartement berlinois qu’il occupait au moment de la rédaction du roman et de la concomitante rêverie qui l’amènerait bientôt à écrire le scénario du film de 1999. Rien qui n’ébranle fondamentalement la conception occidentale de la mimésis, quoique se manifeste ici une forme de provocation puisque Toussaint lui-même se met non à citer l’intégralité de ses sources d’inspiration, mais à en choisir délibérément une, pour la faire ensuite résonner d’une œuvre à l’autre.
Ce qui constitue une précision a priori superflue – la source d’inspiration réelle d’un détail commun aux deux œuvres écrites à Berlin – gagne, à mesure des reprises par Toussaint, en puissance vibratoire : de cinq lignes dans Mes bureaux, assorties d’un dessin au pastel (daté de 1997) de la célèbre œuvre de Breuer, à une vingtaine de lignes déployées dans la « Présentation » du ciné-roman11. L’écrivain ne nous fait plus un dessin : seuls les mots lui servent à planter l’envers du décor. Mais, dans La Chaise, voilà Toussaint qui se remet à nous faire un dessin : sans doute parce que nous n’avions pas encore compris ; quelque chose nous avait échappé…
Si Toussaint lui-même reconnaît que les romans sont « des chimères d’images, de souvenirs, de fantasmes et de mots »13, il s’avère surtout conscient de leur capacité à rendre fiction et réalité indistincts.
Ce réseau d’influences multiples, de sources autobiographiques variées, qui se mêlent, se superposent, se tressent et s’agglomèrent jusqu’à ce qu’on ne puisse plus distinguer le vrai du faux, le fictionnel de l’autobiographique, se nourrit autant de rêve que de mémoire, de désir que de réalité14.
L’auteur de La Réticence anticipe les attentes des lecteurs, des journalistes et des critiques ; il n’attend pas qu’on lui pose la question des référents réels ou des secrets du laboratoire de création, il en sert les morceaux choisis en ligne, à la portée de tous, une sélection de ses manuscrits. Il s’agit là d’ailleurs du mouvement toussaintien par excellence : Mes bureaux, en 2005, délivrait déjà un bon nombre d’anecdotes personnelles à grand renfort de dessins et de photographies représentant les machines à écrire, les ordinateurs, les tables et bureaux, les mains, les vestes mais aussi et surtout les chaises. Tous ces éléments exhibent les coulisses mais, plus encore, mettent en scène la présence-absence du corps de l’écrivain.
Ainsi que Roland Barthes l’écrivait au sujet du passage à l’écrit des interventions orales15, c’est la dimension physique qui se perd dans l’apparente maîtrise d’une rédaction qui retouche, corrige, jusqu’à donner au texte la prétention d’une cohérence sans faille, sans hésitation ni repentir. Or, le monde (hyper)médiatique réclame que la cohérence déborde le seul cadre de l’œuvre écrite et que le monde fictionnel – ou plus généralement le monde du texte – corresponde à l’image que le texte semble en dessiner. Ainsi, l’industrieuse chaise métonymique de Toussaint rend écho à l’image du « siège » élaborée par Balzac dans la préface à La Peau de chagrin : « Involontairement [les lecteurs] dessinent, dans leur pensée, une figure, bâtissent un homme, le supposent jeune ou vieux, grand ou petit, aimable ou méchant. L’auteur une fois peint, tout est dit. Leur siège est fait16. » La pression est immense, aujourd’hui, du « tout est dit » médiatique qui enferme l’auteur et le bride – sinon le brime – dans sa créativité. Nous avons déjà explicité ailleurs la façon dont Toussaint joue de sa posture dans un mouvement d’échappée belle, qui se marque tant sur le plan de la temporalité des récits que de la construction en filigrane de certaines figures qui les peuplent17.
Si les objets des chambres d’hôtel ou des bureaux du je-narrateur de Toussaint se révèlent être une sorte de métempsycose ou de translatio imperii, à savoir des lieux hantés par les êtres qui les ont traversés, le sujet de l’opuscule publié à Bordeaux fonctionne comme un autoportrait pars pro toto, chargé d’un surplus de signification18, que l’auteur érige en Chaise : « je compris que la seule chose qui importait, en réalité, pour ma chaise, ce n’était pas sa forme ni même sa fonctionnalité, c’était qu’elle exprime quelque chose de moi, c’était qu’elle relève de l’autoportrait » (p. 16). Consubstantialité pleinement assumée, tant dans l’espace que dans le temps :
Lorsque j’écris, dans mes périodes d’intense activité, il m’arrive souvent de rester assis à mon bureau de sept heures à onze heures du matin, puis, dans l’après-midi, de seize heures à dix-neuf heures, soit plus de sept heures par jour. Et quand je n’écris pas, la plupart du temps, ma foi, je reste assis (p. 10).
La chaise est l’instrument de l’écriture ou de la lecture, un instrument discret, presque insignifiant, que l’on ne voit pas à proprement parler, que l’on oublie derrière soi, quand on ne s’assied pas carrément dessus. Toussaint renverse ce constat en plaidant pour la réminiscence de l’objet utilitaire : « Les meilleurs livres sont ceux dont on se souvient du fauteuil dans lequel on les a lus »19, écrivait-il dans L’Urgence et la patience. C’est l’usage qui détermine la valeur d’un siège dans la mesure où il demeure le témoin, comme une photographie, d’un « ça-a-été-là » du corps – que celui-ci appartienne au lecteur ou à l’écrivain.
En ce sens, les chaises qu’évoque Toussaint fonctionnent comme une synecdoque paradoxale de ce corps constamment fuyant, en décalage perpétuel sur le plan de la temporalité. Ce n’est donc pas un hasard si une évocation vertigineuse des sièges intervient dans ce petit essai réflexif sur la lecture intitulé « Lire Proust » (L’Urgence et la patience) : du fait de sa structure ouroborique, À la recherche du temps perdu se livre comme le parangon des interférences temporelles qui résultent des frictions entre le monde fictionnel et le processus créateur qui y a mené. Le siège, qui occupe la place centrale de ce texte, doit ainsi être considéré par excellence comme le point de contact entre les coulisses et le devant de la scène. À l’image de Proust, Toussaint se portraiture en démiurge régissant un petit univers au cœur duquel il trône.
Chez Toussaint, l’objectivité et la subjectivité inversent souvent leurs propriétés20. De ce fait, la chaise toussaintienne, en tant que chose21, se couvrant d’un vernis symbolique qui l’éloigne de sa nature de pur objet, devient chaise-chose qui absorbe l’identité de l’individu écrivain, jusqu’à constituer pour lui son « autoportrait » (p. 16, loc. cit.). Toussaint semble pourtant se rétracter quelque peu en atténuant cette valeur d’autoportrait : « Il fallait que ma chaise soit un prolongement de ma personne, une expression de ma vision du monde. Ma chaise, un codicille à un autoportrait » (p. 17).
Si la presse s’est empressée de voir dans les narrateurs des romans les avatars de l’écrivain de chair et d’os, ambiguïté que celui-ci s’est ingénié à entretenir22, nous avons récemment renversé la perspective en montrant la façon dont les récits hybrides présentent un pacte autobiographique qui se trouve constamment miné par les postures qu’adopte Toussaint23. Ainsi, l’évocation du scrabble dans La Chaise (« moi, qui suis quand même une ancienne gloire du scrabble » – p. 13) ne renvoie pas seulement à l’entretien inaugural issu de La Main et le regard24, il s’agit également d’un clin d’œil adressé au premier « autoportrait » réalisé par Toussaint, en 1988, dans le Dictionnaire des écrivains contemporains de langue française par eux-mêmes de Jérôme Garcin25. De même, le « fauteuil de coiffeur » (p. 13) dans lequel Toussaint s’installe pour y confier son crâne aux électrodes de l’équipe du professeur Steven Laureys – épisode figurant également dans La Main et le regard, et plus précisément dans la section intitulée « Coulisses »26 – crée un effet de réel autant qu’un effet comique, eu égard à la faible masse capillaire de l’écrivain, mais nous ramène à sa présence en creux : il ne se décrit pas ou feint de le faire par le biais de l’autocitation.
Usant pour élaborer La Chaise des descriptions réflexives qu’il donne à lire dans son Autoportrait (à l’étranger), qu’il baptise pour l’occasion (Autoportrait au bonnet noir et Autoportrait en joueur de boules)27, l’écrivain accole les facettes successives de sa présence, en veillant à se légitimer de Rembrandt, qui « se prend lui-même comme sujet d’étude », ajoutant immédiatement : « mais sa personne n’est qu’un prétexte, c’est son art qu’il interroge » (p. 16-17). Car se prendre pour sujet revient, selon la logique de Toussaint, à produire un art poétique : « Quand Rembrandt peint des autoportraits, c’est de peinture qu’il nous entretient, pas de lui-même » (p. 16).
L’épigraphe de La Chaise renvoie d’ailleurs à Monsieur qui « ne demandait pas davantage à la vie », sinon une chaise28, plaçant le petit texte de 2019 à l’enseigne du palimpseste. L’autocitation fonctionne comme un « punctum sérigraphique »29, autrement dit une accroche du lecteur dans le mouvement même de la superposition des couches de citations ou de la répétition-variation de motifs ou de phrases qui s’adressent des répons d’un texte à l’autre, mouvement de déplacement dont il convient de prendre la mesure. La structure de La Chaise est faussement simple, au même titre que la structure de la chose que construit le texte de Toussaint :
L’assise, une coque ou un baquet, d’un seul tenant, aux qualités ergonomiques. Le piètement, pas d’exigence particulière, quatre pieds droits, sans barreaux ni fioritures. Le dossier, ma veste, sculptée en bois ou moulée dans une résine à base de polyester (p. 21).
La veste, signature de Toussaint ainsi que l’avait déjà démontré Margareth Amatulli30, se caractérise, au même titre que la chaise, par son aspect itératif au sein de l’œuvre du Belge, dans une durée que l’image photographique nie habituellement, dans la mesure où celle-ci est « écrasement du Temps »31. La chose (la chaise ou la veste) joue un rôle de médiation de l’écrivain en restituant « différentes phases temporelles et spatiales » susceptibles de « retracer le potentiel de l’acte créateur » : « Le portrait du pseudo-auteur devient ainsi le lieu réel, le véritable “bureau” du texte, lieu virtuel d’écriture, intermède entre texte et image, “medium entre le sujet et l’œuvre” »32. Si l’exercice de l’écriture exorcise pour Toussaint l’inexorabilité du passage du temps, le mouvement de répétition-variation et la répétition des motifs qui jouent le rôle d’autoportrait synecdochique de l’auteur créent, selon le concept de Barthes, un, « punctum […] d’intensité »33.
À la manière de l’attention portée à son premier autoportrait textuel (Le Jour où j’ai fait ma première photo)34 ou dans la perspective similaire poursuivie par le narrateur de L’Appareil-photo, la chaise, telle qu’elle se décline textuellement et iconographiquement, se pose en indice à travers lequel s’abolit la distance entre les espaces, visant « à octroyer une continuité au temps et à revendiquer l’idée d’une création qui nie la mimésis pour se faire recréation »35. En « spatialisant le temps » à la manière de Rembrandt, si l’on suit l’analyse de Bodei36, la chaise, en sa qualité de codicille à l’autoportrait de Toussaint, transforme en simultanéité les séquences d’un processus et, les faisant jaillir d’obscurs abysses, donne à voir en pleine lumière les couleurs et les images radiographiées du temps, les strates qui ensemble forment série et s’étirent en des vagues légères sur les rives du visible :
Lorsque j’ai écrit La Salle de bain, j’ai fait un unique dessin à l’encre de mon bureau, c’est la seule image qui me reste de mon bureau de Médéa, en Algérie, où j’ai écrit le livre. En regardant l’image de plus près, je me suis rendu compte que ce dessin à l’encre, c’était un portrait, c’était déjà un autoportrait. On voit ma machine à écrire sur la table de travail, et ma veste, comme une signature, sur le dossier de la chaise (p. 19-20).
L’image princeps, alors « unique », est appelée à se répéter, empruntant diverses formes (dessins, photographies, évocations textuelles), divers avatars même, si l’on pense au fauteuil Wassily de Berlin, jusqu’à sa mention dans La Chaise : toutes les étapes de la carrière de l’auteur belge, toutes les chaises à venir, étaient déjà dans cette chaise de Médéa qui elle-même figurait déjà l’écrivain, premier autoportrait qui anticipait jusqu’à l’autoportrait que constitue la petite plaquette de 2019. Chaque facette du déploiement sérigraphique – qui se dessine davantage en coulisses, à travers des textes mettant en scène le processus de la création, textes à la diffusion parfois confidentielle – délivre ainsi une version de l’identité de l’artiste, inévitablement autre, différant du modèle réel. La Chaise pose la question de l’œuvre (et de l’assise de l’œuvre), parce qu’elle présentifie littéralement la scène d’écriture, démultipliée dans un dispositif sériel tronqué, qui s’étend à travers plusieurs livres, plusieurs médias (dessin, texte, photo) et plusieurs objets même (en particulier, la chaise et la veste) : « Étant donné le nombre d’heures que je passe assis sur une chaise, on comprendra que je veuille en soigner l’assise » (p. 17).
C’est pourquoi l’œuvre de l’écrivain veille à faire voler en éclats les distinctions entre texte et paratexte, entre coulisses de la création et devant de la scène, entre dedans et dehors, inventant des formes hybrides à partir de matériaux à la littérarité conditionnelle, comme l’entretien37. Toussaint veut aller plus loin que son modèle fétiche, Proust, qui avec la Recherche avait élaboré une savante mise en scène du processus qui mène à la création. Nous en appelons au vœu que formulait Dominique Maingueneau en conclusion de son Contre saint Proust :
Cette géométrie du « dehors » et du « dedans » appliquée au moi créateur, au texte ou à la littérature nous est apparue comme le mal même que l’on prétend dénoncer, et grâce auquel on énonce. […] Au lieu de replier les œuvres sur l’intériorité de leur créateur ou la littérature sur l’intransitivité d’un Corpus d’exception, il s’agit d’assumer l’ordre du discours, de faire pénétrer l’institution au cœur de l’énonciation, d’écarter de soi le for intérieur du créateur souverain, clé de voûte de ce dispositif38.
Pour parvenir à miner de l’intérieur la polarité entre le dedans et le dehors, Toussaint multiplie à cet égard ce que Jacques Derrida appelle les « effets de signature »39, qui ont pour fonction d’authentifier l’autoportrait que l’écrivain entend réaliser.
« Aujourd’hui, on fait des autoportraits avec son téléphone – mais avec une chaise ? C’est quoi, un autoportrait avec une chaise ? » (p. 19). Au sein de l’opuscule, l’iconographie de Toussaint s’inscrit dans un dispositif réflexif où, à travers le texte et sa chose-chaise, et en opérant un passage de la représentation à la figuration, il oriente les modalités de sa construction en tant qu’auteur, en pratiquant ainsi une forme particulière d’autobiographie : c’est le larvatus prodeo de Descartes, c’est la transsubstantiation de l’objet qui devient la chose-chaise de Toussaint, partie intégrante de son être au monde (« il fallait que ma chaise transcende sa nature de chaise pour dire quelque chose de spécifique de moi ». p. 17). Tel le peintre comme le conçoit Merleau-Ponty, c’est l’écrivain qui « naît dans les choses comme par concentration et venue à soi du visible » – et le texte de ne référer à quelque objet empirique « qu’à condition d’être d’abord “autofiguratif” »40.
Merleau-Ponty poursuit en affirmant que le tableau « n’est spectacle de quelque chose qu’en étant “spectacle de rien”, en “crevant la peau des choses” pour montrer comment les choses se font choses et le monde monde ». Autrement dit, il met au jour ce qui du monde n’est pas représentation mais advenue d’une forme sui generis. Le philosophe français ajoute encore : « Apollinaire disait qu’il y a dans un poème des phrases qui ne semblent pas avoir été créées, qui semblent s’être formées »41. De la même manière, par la figure de la chaise qu’il fait émerger à travers un réseau sérigraphique, Toussaint ne donne rien à voir sinon l’expérience de la création elle-même. La Chaise de Toussaint est semblable à la ligne de Paul Klee, qui « n’imite plus le visible mais “rend visible” »42. Une sorte de dévoilement qui révèle l’aura propre aux traces de la création de l’œuvre littéraire : le moment de la création est unique ; ses traces en assurent l’authenticité. Toussaint, à l’évidence, n’agit pas en peintre, quoiqu’il se réclame de Rembrandt, mais en écrivain. La Chaise, dévoilant – à sa façon (l’écrivain belge étant toujours moitié goguenard, moitié grave) – les coulisses de la création, bâtit la représentation d’un objet – selon un principe sérigraphique qui affecte la perception du temps et de l’espace – et, à travers celle-ci, tend à capturer le déjà-là de l’œuvre.
Il s’agit en effet de créer une expérience textuelle qui parviendra à concilier la reproductibilité et l’aura de l’expérience unique (un voyage authentique dans le laboratoire de la création) que l’on n’accorde qu’à quelques privilégiés (la plaquette La Chaise – comme, du reste, la publication italienne intitulée Mes bureaux – ne connaît d’ailleurs pas un tirage semblable aux œuvres publiées chez Minuit). Pour ce faire, Toussaint convoque, sans le dire, le travail de Francis Ponge. Comme le poète français, l’écrivain belge se refuse à verser dans le métadiscours d’un art poétique pour embrasser pleinement la dimension performative du texte : créer littéralement une chaise – textuelle (et dessinée), lieutenance de l’écrivain lui-même. En ce sens, le texte intitulé La Chaise constitue autant un autoportrait qu’une représentation du monde. La « chaise en mots » (p. 10) doit donc « transcende[r] sa nature de chaise pour dire quelque chose de spécifique de » (p. 17) … Toussaint lui-même.
Pour ce dernier, la chaise, au même titre que le sont la peinture et le football, est « cosa mentale »43 : « Non, faire une chaise, dans mon esprit, n’a rien de manuel. J’entends créer, conceptuellement, une chaise. C’est le concept qui m’intéresse. Ma chaise est avant tout mentale, c’est une pure abstraction. » (p. 10). L’ostéopathe s’avère par conséquent incompétent et même le designer ne lui sera d’aucun secours, puisque seul l’écrivain peut parvenir à un résultat parfait (« L’idéal pour le dos, l’optimal pour le cul » – p. 15) : « Pour arriver à l’assise idéale, j’ai décidé de consulter un ostéopathe. J’avais envie de réfléchir avec un spécialiste de ce que pourrait être d’un point de vue ergonomique, la chaise idéale pour un écrivain » (p. 11). Mais de quelles qualités ergonomiques s’agit-il, en définitive, sinon d’une variation sur la consécutive cartésienne « Cogito ergo sum » ? La chaise idéale révèle quelque chose du je qui en est l’auteur.
La chose-chaise est donc à la base d’une « Ur-ikonographie sur le fond de laquelle toutes les icono-graphies s’appuient »44 ; à prendre consistance, elle devient une icône tangible de l’écrivain. La chose-chaise, dont le dossier est constitué de la veste de l’écrivain, marque doublement la présence-absence du corps lisant ou écrivant :
Ma veste était devenue ma griffe, mon sceau, mon blason, mon empreinte ou mon paraphe. Posée ainsi, sur le dossier d’une chaise, elle était autant le signe d’une absence que la marque de ma présence à la table de travail (p. 20).
Consistance octroyée à la présence-absence de l’écrivain, œuvre et faire-œuvre tout uniment, la chaise, bardée de sa veste, agit comme une signature.
De surcroît, la répétition anaphorique du présentatif « Voilà » au moment de l’explicit, faisant de la veste « l’élément manquant » (p. 20), parachève à la fois le texte et la chose conceptuelle, conjoignant la pensée et l’être au sein de ce présent infinitif résultant du paradoxe temporel qui se révèle à exposer le processus créateur : « Voilà, c’est fait, j’ai fait la chaise. Et, si le réel vous intéresse, on peut même lancer la fabrication » (p. 21). Dans le sillage de Ponge, Toussaint veille à élaborer l’équivalent verbal d’un objet du monde matériel susceptible de fonctionner comme une signature en creux, peut-être même doublement en creux. « Un poète […] ne donne la parole à rien du monde muet qu’aussitôt […] il ne produise œuvre-objet qui y rentre, je veux dire dans le monde muet ; qui, objectivement, s’y re-insère »45. Et Derrida de commenter : « Donc il faut bien signer mais c’est aussi bien de ne pas signer, d’écrire des choses enfin qui soient des choses, dignes de se passer de votre signature. » Car, en définitive, ça passe « à travers la signature »46. Or, ce qui se passe de signature dans La Chaise, c’est l’absence du corps qui, pourtant, a été marqué par le siège dans lequel Toussaint a lu ou écrit. Témoin de sa propre absence par nécessité, l’écrivain nous invite à relever les marques de sa présence physique (métonymiques, palimpsestes, sérigraphiques) toujours déjà passée, toujours à revenir.
[1] Francis PONGE, Méthodes, Paris, Gallimard, « Folio essais », 1961, p. 21.
[2] Édouard LEVÉ, Œuvres, Paris, P.O.L., « #formatpoche », 2015, p. 82.
[3] Voir Jacques DERRIDA, Mal d’archive, Paris, Galilée, 1995, p. 60-61, entre autres.
[4] Jean-Philippe TOUSSAINT, La Chaise, Bordeaux, Musée des arts décoratifs et du design, 2019, p. 9. Toutes les références entre parenthèses renvoient à cette édition.
[5] Ce texte, à tirage limité (200 exemplaires), était vendu pendant la durée de l’exposition (19 juin-21 octobre 2019), dont le vernissage s’inscrivait dans le programme du colloque international « Lire, voir, penser l’œuvre de Jean-Philippe Toussaint », organisé à Bordeaux par Jean-Michel Devésa, en partenariat avec la Librairie Mollat (18-21 juin 2019).
[6] Au sujet des citations approximatives chez Toussaint, les exemples de Freud (voir Christophe MEURÉE, « Fortune et nouveau souffle du “sentiment océanique”, de Romain Rolland et Sigmund Freud jusqu’à Jean-Philippe Toussaint », in Les Lettres romanes, « De l’esthésiologie », Corentin LAHOUSTE & Charline LAMBERT [dir.], vol. 72, n°3-4, 2018, p. 11-26) ou de Lamartine (voir C. MEURÉE & Maxime THIRY, « Autoportrait de l’écrivain en éternel décalé : Jean-Philippe Toussaint au prisme de Jeff Koons », in Textyles, n°53, 2018, p. 153-166) s’avèrent significatifs dans la mesure où la désinvolture apparente de la référence se révèle in fine porteuse de sens vis-à-vis du travail d’interprétation de l’œuvre. Il convient également de se reporter au livre de Sarah L. GLASCO, Parody and Palimpsest. Intertextuality, Language, and the Ludic in the Novels of Jean-Philippe Toussaint, New York, Peter Lang, 2015.
[7] Marguerite DURAS, La Vie matérielle [1987], in Œuvres complètes IV, Gilles PHILIPPE (éd.), Paris, Gallimard, « Pléiade », 2014, p. 305-395.
[8] Remo BODEI, La vita delle cose, Rome-Bari, Laterza, 2009.
[9] J.-P. TOUSSAINT, La Salle de bain, [1985], Paris, Éditions de Minuit, « Double », 2005, p. 67. Au sujet de l’articulation entre la subjectivité et les objets au sein des non-lieux du contemporain, voir Maria Giovanna PETRILLO, Le Malaise de l’homme contemporain dans l’œuvre de Jean-Philippe Toussaint, Fasano-Paris, Schena-Alain Baudry, 2013, en particulier p. 137-227.
[10] J.-P. TOUSSAINT, La Patinoire, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2019, p. 5. Si Jérôme Meizoz, dans son analyse de La Télévision, a raison de considérer le « for intérieur comme laboratoire de la création » chez Toussaint (Jérôme MEIZOZ, La Littérature « en personne ». Scène médiatique et formes d’incarnation, Genève, Slatkine, 2016, p. 130), l’on perçoit bien que l’écrivain belge déplace les coordonnées de ce for intérieur selon une visée esthétique qui renouvelle singulièrement le concept de posture cher au chercheur suisse.
[11] « È questa poltrona – la Stahlrohrsessel B3, detta anche poltrona Wassily –, che ho evocato in La televisione e che ho scelto per il regista di La Patinoire, tessendo così un legame segreto, intimo e quasi spazio-temporale fra La Patinoire e La televisione » (J.-P. TOUSSAINT, Mes bureaux. Luoghi dove scrivo, trad. Roberto Ferrucci, Venise, Amos, 2005, p. 46). Le texte de cet ouvrage, publié à seulement mille exemplaires exclusivement en langue italienne, a été récupéré par Toussaint en plusieurs occasions, notamment dans L’Urgence et la patience (« Mes bureaux », in L’Urgence et la patience, Paris, Minuit, « Double », 2012-2015, p. 15-19) et surtout dans le ciné-roman La Patinoire, où figure la description de l’appartement berlinois, avec une reprise presque littérale de la description de la publication italienne de 2005 : « […] dans un angle, un authentique fauteuil Marcel Breuer (le Stahlrohrsessel B3). Ce fauteuil, je l’évoque dans mon livre La Télévision, et c’est ce même fauteuil que j’ai choisi pour le metteur en scène de La Patinoire, tissant ainsi un lien secret, intime et quasi spatio-temporel entre La Patinoire et La Télévision » (La Patinoire, p. 5). L’écrivain agence à nouveaux frais des matériaux textuels évoquant les coulisses de la création, qui avaient déjà servi dans d’autres coulisses. À propos de l’expérience que représente Mes bureaux, voir Roberto FERRUCCI, « Dentro i luoghi creativi di Toussaint », in La Tribuna di Treviso, 12 juillet 2005, en ligne : http://ricerca.gelocal.it/tribunatreviso/archivio/tribunatreviso/2005/07/12/VT1TC_VT103.html (Consulté le 1er mars 2021).
[12] J. DERRIDA, Signéponge, Paris, Seuil, 1988, p. 37.
[13] J.-P. TOUSSAINT, L’Urgence et la patience, p. 48.
[14] Ibid., p. 53.
[15] Roland BARTHES, « De la parole à l’écriture », in Le Grain de la voix, Paris, Seuil, « Points essais », 1981, p. 9-12.
[16] Honoré de BALZAC, La Comédie humaine, t. X, Pierre-Georges CASTEX (éd.), Paris, Gallimard, « Pléiade », 1979, p. 48.
[17] C. MEURÉE & M. G. PETRILLO, « “Dire je sans le penser” : qui es-tu, Monsieur Jean-Philippe Toussaint ? », in Jean-Michel DEVÉSA (dir.), Lire, voir, penser l’œuvre de Jean-Philippe Toussaint, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2020, p. 59-68.
[18] R. BODEI, op. cit., p. 29.
[19] J.-P. TOUSSAINT, L’Urgence et la patience, p. 68.
[20] Jean BAUDRILLARD, La Société de consommation, ses mythes et ses structures, Paris, Gallimard, 1974. Voir aussi R. BODEI, op. cit., p. 21.
[21] Selon la lecture que donne Remo Bodei (op. cit., p. 44-45) du Ding heideggérien, l’objet devient chose quand il s’imprègne des qualités et des relations qui caractérisent son propriétaire, neutralisant la distinction rationnelle entre sujet et objet.
[22] À ce propos, voir C. MEURÉE & M. G. PETRILLO, « Persiste et signe : “rien de moins que Toussaint” », in Roman 20-50, « M.M.M.M. de Jean-Philippe Toussaint », dir. C. MEURÉE & M. G. PETRILLO, à paraître en 2021.
[23] C. MEURÉE & M. G. PETRILLO, « “Dire je sans le penser” », art. cité.
[24] Sylvain BOURMEAU, « Entretien », in J.-P. TOUSSAINT, La Main et le regard, Paris, Musée du Louvre-Le Passage, 2012, p. 17-24.
[25] « Jean-Philippe Toussaint est né à Bruxelles, le 29 novembre 1957. Il a fait des études d’histoire et de sciences politiques. Il fut champion du monde junior de scrabble (Cannes, 1973). Un massacre. Il a publié deux livres aux éditions de Minuit, La Salle de bain (1985) et Monsieur (1986). » (Jérôme GARCIN, Dictionnaire des écrivains contemporains de langue française par eux-mêmes, Paris, Mille et une nuits, 2004, p. 383).
[26] J.-P. TOUSSAINT, La Main et le regard, p. 173-174.
[27] Ces titres renvoient également à ceux des photographies qu’arborent les couvertures des éditions de poche de certains de ses romans, sur lesquelles on ne distingue jamais le visage de l’auteur : Autoportrait à la voiture enneigée pour L’Appareil-photo (Paris, Éditions de Minuit, « Double », 1988-2007), Autoportrait au téléviseur pour La Télévision (Paris, Éditions de Minuit, « Double », 1997-2002) ou encore Autoportrait au parapluie transparent pour Autoportrait (à l’étranger) (Paris, Éditions de Minuit, « Double », 2000-2012).
[28] J.-P. TOUSSAINT, Monsieur, Paris, Éditions de Minuit, 1986, p. 89.
[29] C. MEURÉE & M. THIRY, art. cit., p. 157.
[30] Margareth AMATULLI, « Dietro le quinte dell’opera: il dispositivo foto-letterario in Mes Bureaux. Luoghi dove scrivo di Jean-Philippe Toussaint », in Nuova corrente. Rivista di letteratura e filosofia, n° 156, juillet-décembre 2015, p. 99-121.
[31] R. BARTHES, La Chambre claire. Note sur la photographie, Paris, Cahiers du cinéma-Gallimard-Seuil, 1979, p. 150.
[32] M. AMATULLI, art. cité, p. 118, passim, notre traduction. La citation est issue de Federico FERRARI & Jean-Luc NANCY, Iconographie de l’auteur, Paris, Galilée, 2005, p. 23.
[33] R. BARTHES, La Chambre claire, p. 148.
[34] J.-P. TOUSSAINT, « Le Jour où j’ai fait ma première photo », in Bon-à-tirer, vol. 2, 15 mai 2001, en ligne : http://www.bon-a-tirer.com/volume2/jpt.html. Consulté le 1er mars 2021.
[35] M. AMATULLI, art. cité, p. 119, notre traduction.
[36] R. BODEI, op. cit., p. 106-107.
[37] Voir, à ce sujet : David MARTENS & C. MEURÉE, « Ceci n’est pas une interview. Littérarité conditionnelle de l’entretien d’écrivain », in Poétique, n°177, mai 2015, p. 113-130 ; C. MEURÉE, « “Il m’a fallu vingt ans pour écrire ce que je viens de dire là”. L’entretien comme “déplacement de la littérature” (1974-1996) », in Olivier AMMOUR-MAYEUR, Florence de CHALONGE et al. (dir.), Marguerite Duras : passages, croisements, rencontres, Paris, Classiques Garnier, 2019, p. 241-254.
[38] Dominique MAINGUENEAU, Contre saint Proust ou la fin de la littérature, Paris, Belin, 2006, p. 176.
[40] Maurice MERLEAU-PONTY, L’Œil et l’Esprit, Paris, Gallimard, « Folio essais », 1964, p. 69. Sur ce sujet, voir aussi Jacques TAMINIAUX, « Le penseur et le peintre : sur Merleau-Ponty », dans La Part de l’œil, « Art et phénoménologie », n°7, 1991, p. 39-46.
[41] Ibid.
[42] Ibid., p. 74. Merleau-Ponty rappelle d’ailleurs les mots que Klee a voulu faire graver sur sa tombe, comme indice de la transcendance du moi de l’artiste, qui résonne intensément avec la façon dont Toussaint joue du déplacement continuel : « Je suis insaisissable dans l’immanence » (Ibid., p. 87).
[44] Federico FERRARI & Jean-Luc NANCY, Iconographies de l’auteur, p. 28.
[46] J. DERRIDA, Signéponge, p. 33, pour les deux derniers extraits (les italiques sont de J. D.).
Résumé
Opuscule publié à l’occasion de l’exposition « Jean-Philippe Toussaint décoratif » au MADD de Bordeaux (2019), La Chaise vient s’ajouter à ces œuvres au statut générique indéfinissable dans lesquelles l’auteur belge se met en scène en sa qualité de créateur. Ce type de texte, de plus en plus fréquent dans sa production, en mettant en scène les coulisses de la création, interroge de manière singulière la relation que nouent aujourd’hui la réalité et la fiction, le virtuel et l’actuel, la figure de l’écrivain et l’image qu’ils (se) renvoient.
Abstract
Published as a booklet for the exhibition “Jean-Philippe Toussaint décoratif” (MADD, Bordeaux, 2019), La Chaise is Toussaint’s latest generically undefined piece which presents himself as a creator. This type of text, increasingly common in his literary production, sets onstage what is usually kept backstage, in order to question today’s relationship between reality and fiction, virtual and actual, as well as the writer and his own image.
Déplacements de chaises sur l’échiquier disposé par Toussaint
« Se signifier dans l’insignifiant […], n’est-ce pas signer ? »
Christophe MEURÉE
Archives & Musée de la Littérature, Bruxelles
Maria Giovanna PETRILLO
Université Parthénope de Naples
TOUSSAINT, Jean-Philippe, La Salle de bain, [1985] Paris, Éditions de Minuit, « Double », 2005.
—, Monsieur, Paris, Éditions de Minuit, 1986.
—, L’Appareil-photo, [1988] Paris, Éditions de Minuit, « Double », 2007.
—, La Télévision, [1997] Paris, Éditions de Minuit, « Double », 2002.
—, Autoportrait (à l’étranger), [2000] Paris, Éditions de Minuit, « Double », 2012.
—, « Le Jour où j’ai fait ma première photo », in Bon-à-tirer, vol. 2, 15 mai 2001, en ligne : http://www.bon-a-tirer.com/volume2/jpt.html.
—, Mes bureaux. Luoghi dove scrivo, trad. Roberto Ferrucci, Venise, Amos, 2005.
—, La Main et le regard, Paris, Musée du Louvre-Le Passage, 2012.
—, Nue, [2013] Paris, Éditions de Minuit, « Double », 2017.
—, L’Urgence et la patience, [2012] Paris, Éditions de Minuit, « Double », 2015.
—, Football, Paris, Éditions de Minuit, 2015.
—, La Patinoire, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2019.
—, La Chaise, Bordeaux, Musée des arts décoratifs et du design, 2019.
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