Lorsque l’on croise Bruno Loth lors d’un festival de bande dessinée (tel celui d’Angoulême en janvier 2020), ce n’est pas sur le stand de son éditeur La Boite à bulles1 mais sur son propre stand d’auto-éditeur2 : un espace volontairement indépendant, automne et décoré aux couleurs vives de la CNT et du POUM. Une présence férocement libertaire au milieu des marchands du temple. Un stand que l’auteur a conçu lui-même en tant qu’hommage à la République Espagnole, à ses multiples symboles, à ses couleurs flamboyantes, à ses affiches et à ses slogans poétiques. La présence de la bande dessinée est ainsi envisagée par l’auteur de Viva l’anarchie ! : la rencontre de Makhno et Durruti3 comme le prolongement d’un combat, une porte d’entrée sociale, culturelle et artistique vers l’histoire sans fin des luttes sociales et des révolutions.
Bruno Loth appréhende ainsi la mémoire comme un acte profondément politique : une mémoire qui se doit d’être militante, humaniste et poétique, au sein de laquelle s’entrecroisent la magie, le voyage et le souvenir ; souvenirs d’une jeune fille devenue grand-mère, d’ouvriers bordelais sous l’Occupation ou tribulations picaresques et amoureuses d’un cirque ambulant à travers la Catalogne en flammes. Dans tous les cas, une mémoire active qui doit dire au présent la tragédie de l’histoire tel qu’il le note dans Les Fantômes de Ermo, récit magique d’un enfant, d’un cirque, de soldats et de rêves de liberté :
C’est une période de l’histoire qui, bien que romanesque, est assez méconnue par la plupart des gens. Pourtant, elle me parait incontournable pour comprendre le monde actuel. C’est à la fois une guerre et une révolution pour un idéal de société, pour des idées souvent utopiques pour l’époque, contre la barbarie et l’ignorance, pour la liberté individuelle4.
Et c’est bien parce que, au fil de ces nombreuses rencontres et de ces dédicaces, Bruno Loth a pris conscience que le massacre de Guernica s’efface peu à peu de nos mémoires qu’il entreprend un travail de réactualisation centrée sur une double mémoire : celle des civils morts et celle de l’œuvre de Pablo Picasso : « Je me suis rendu compte que beaucoup de gens connaissaient le tableau de Picasso, mais peu, ou mal, l’histoire de Guernica. Alors, j’ai voulu faire le lien entre les deux »5. Ainsi, au travers de Guernica, Bruno Loth confronte sa narration à plusieurs strates de mémoire, à plusieurs Guernica(s) qui s’enchevêtrent et que la bande dessinée, avec ses moyens propres, va mettre en perspective ; tel que le met en évidence cette image de couverture, première incarnation impossible et menteuse6 : la foule des paysans, des bergers et des soldats descendant la rue principale du village, une foule composée de personnes âgées, d’enfants et d’animaux déambulant sous les platanes mais au sein de laquelle le spectateur met un temps à remarquer, sur le côté, la figure de Pablo Picasso (accompagné de Dora Maar)7 dessinant sur une toile encore vierge de toute représentation. Or cette image ne peut être que fausse, puisque ni Pablo Picasso ni Dora Maar n’étaient présents à Guernica. Bruno Loth juxtapose ainsi deux histoires séparées dans le temps et dans l’espace, histoires dont la jointure reste encore, pour le lecteur, à percevoir. Or, ce n’est que dans un deuxième temps que la jonction de ces deux Guernica (celle de l’histoire en train de se faire et celle de l’œuvre en devenir) s’opère plus clairement : en observant la quatrième de couverture de l’ouvrage qui donne à voir l’incendie de la ville, ou plus exactement (ce que le lecteur comprendra plus tard) la représentation par les actualités filmées de cet incendie vue par Pablo Picasso dans une salle de cinéma. Une (re)présentation qui donnera précisément à Pablo Picasso le cadre, à la fois historique, politique et artistique, de la fresque Guernica.
L’histoire à laquelle le lecteur est ainsi convié par Bruno Loth est donc bien le passage d’une réalité historique à sa représentation sociale puis artistique, superposant la mémoire du désastre et la mémoire de l’histoire de l’art ; la « case manquante » entre les deux mémoires étant indiquée par l’un des outils majeurs de la bande dessiné tel que l’ont analysé Scott McCloud8 et Thierry Groensteen9 : l’espace inter-iconique au sein duquel l’imagination du lecteur/spectateur vient donner forme à ce qui n’est que suggéré par la narration séquentielle.
L’enchevêtrement de la mémoire historique et de la mémoire artistique est apparente dès la première page de Guernica11, qui s’articule autour d’un vide. Bruno Loth rappel ici qu’en 1936 Pablo Picasso accepte de participer au pavillon de la République Espagnole à l’Exposition Universelle de Paris12 (poussé notamment par ses amis Louis Aragon et Max Aub)13 mais n’a pas encore trouvé l’image pouvant devenir, à ces yeux, le symbole universel de la Guerre Civile et de sa lutte pour la liberté ; et c’est bien le cheminement du massacre historique vers l’œuvre de Pablo Picasso qui est l’arc narratif d’une forme de troisième Guernica : le récit de Bruno Loth. En plusieurs séquences d’un découpage précis, Bruno Loth fait ainsi alterner les séquences et les thématiques, passant de la vie quotidienne des paysans basques au sortir de l’hiver (« Enfin le dégel. Si seulement il n’y avait pas cette foutue guerre, on pourrait se croire au Paradis ! »)14 à l’atelier parisien de Pablo Picasso, développant tout particulièrement ces rapports ambigus avec les femmes. Tout d’abord Marie-Thérèse Walter15, la mère de sa fille Maya ; puis Dora Maar, qui devient ici à la fois sa muse, sa mémoire photographique et, tout particulièrement pour Guernica, sa conscience politique ; celle-ci ayant notamment décidé, dès 1933, de quitter le confort parisien d’une brillante carrière de photographe de mode afin de rejoindre l’Espagne et de documenter la misère, la pauvreté et l’exploitation du peuple. Un travail pionnier aux frontières de l’humanisme, du surréalisme et de l’engagement social tel que l’a mis fortement en lumière l’exposition récente du Centre Pompidou16.
Au cœur de cette narration alternée se met donc en place l’un des leitmotivs les plus forts de toute l’œuvre de Bruno Loth : la question de la mémoire et de sa transmission. Transmission paradoxale de la Guerre d’Espagne qui, au cœur de Dolorès17, passe d’une génération à l’autre par l’étrange retour à la parole d’une grand-mère pourtant sujette aux trous de mémoire ; mémoire brulante de l’anarchisme par la mise en perspective des destinées tragiques de l’espagnol Buenaventura Durruti et de l’ukrainien Nestor Makhno, tous deux combattants, idéologues et poètes de l’espoir ; persistance des luttes ouvrières et syndicales en France, depuis les grandes espérances du Front Populaire jusqu’à l’Occupation nazie avec Mémoires d’un ouvrier18.
Une mémoire qui, dans Guernica, est d’abord celle d’une absence, tel que le donne à entendre ce dialogue entre la mère d’un soldat et Garaitz, la jeune mère promenant son enfant : « Vous avez des nouvelles de vos fils ? / Mon Dieu ! Toujours pas… et toi, ton Diego t’a écrit ? / Non, je n’ai rien reçu… Je vais à la gare lui poster une lettre ! »19 Une communication qui passe donc par l’écriture (puis, plus tard par le cinéma) : tout d’abord sur un mode intime avec la lettre d’amour écrite par une jeune mère à son mari parti combattre au côté des républicains et décrivant la vie quotidienne de Guernica : « Ici, à Gernika, tout est calme. Et, à part les soldats dans les rues, rien ne semble avoir changé »20, l’enfant qui grandi, les familles se déchirant au sujet de l’engagement politique : « Les fils de Maria-Pilar sont tous les deux partis au front. L’un chez les Nationaux et l’autre chez les Républicains. »21, puis, pour la première fois, la présence récurrente de la presse (que nous retrouverons, par la suite, dans l’atelier même de Pablo Picasso à Paris) et qui commence, ici, par la presse basque22 dont une case met en avant les gros titres du journal Eguna acheté par un très jeune combattant : « Dans le fracas de la bataille basque, nos guerriers ont la puissance, la fermeté et l’énergie »23.
Les premières pages de Guernica nous donnent donc à voir une ville, des combats et une lettre d’amour (détruite plus tard par les bombardements) qui vont devoir, d’une manière ou d’une autre, atteindre Pablo Picasso pour devenir le symbole de l’Espagne en lutte. C’est bien ce chemin sinueux qui mène de la réalité à sa représentation, de l’histoire à l’art (bien plus qu’à « l’histoire de l’art ») que cherche à dessiner Bruno Loth, tout en partageant avec Pablo Picasso les accueils que peut représenter, pour le peintre comme pour l’auteur de bande dessinée engagée, une œuvre profondément politique ; tel qu’il le met en scène à travers la déception de Marie-Thérèse Walter face aux premières prises de positions anti-fascistes contenues dans Songes et Mensonges de Franco24 : « Se moquer de Franco ne le fera pas tomber de cheval » ; ce à quoi Pablo Picasso répond : « Je sais, Marie-Té. Je n’arrive pas à trouver une idée à la hauteur de cette commande. »25 Bruno Loth développe ainsi un jeu complexe entre la création, la liberté et le désir, puisque, pour Pablo Picasso, l’art, la liberté et le désir ont clairement la même origine : l’immédiateté, l’impulsion, voir la pulsion sexuelle que rien ne devrait venir entraver tel qu’il l’affirme ici : « Plus j’y réfléchis, moins j’ai envie. L’art, c’est comme l’amour, il faut l’envie ! Ma peinture est spontanée »26, mettant à nu la contradiction artistique et sociale à laquelle Pablo Picasso doit faire face au regard de son engagement au près du pavillon républicain : comment créer une œuvre sincère et vivante à partir d’une commande avant tout politique ?
Ici, Bruno Loth utilise brillamment les ressources spécifiques de la bande dessinée pour offrir une réponse à lire entre les lignes et entre les cases : une succession de plusieurs cases parisiennes mettant en scène Pablo Picasso avec, précisément en leur centre, la béance tragique de l’histoire en train de se faire sans lui, ailleurs, en Espagne. Les deux premières cases s’inscrivent ainsi dans l’appartement de Pablo Picasso et dessinent les contradictions entre la liberté du désir et les contraintes de la création : un drôle de dessin d’enfant réalisé par sa fille Maya27, portrait naïf à la très longue chevelure et à la tête disproportionnée sur un corps minuscule, suivi immédiatement du visage inquiet de Marie-Thérèse Walter suggérant qu’il pourrait bien être en train de penser, lui, à une autre femme… « brune, cette fois »28. Ici, les liens consubstantiels entre désirs et création passent par deux formes de liberté : la totale liberté des enfants29 face au dessin, tel que le met notamment en évidence Emmanuel Pernoud dans L’Invention du dessin d’enfant en France à l’aube des avant-gardes30, et dans la liberté de l’amour… y compris ‘de l’autre femme’ que nous voyons, en effet, apparaitre sous la forme de Dora Maar quelques pages plus loin ; réponse aux inquiétudes de Marie-Thérèse Walter tout comme appel à la peinture pour Pablo Picasso. Mais, entre ces deux images de femmes, s’intercale sur six longues pages la description minutieuse de Guernica quelques heures avant le terrible bombardement, temps suspendu et prélude au désastre qui séparent ainsi deux visions du monde: le classicisme paisible et familiale de Marie-Thérèse Walter, d’un côté ; l’intense engagement politique de Dora Maar, de l’autre, dont l’apparition dans l’atelier, posant magnifiquement nue, se trouve justement précédée par les soubresauts de l’Histoire la plus immédiate, ici donnée à voir par la une de l’Humanité matérialisant les tensions sociales (À propos de l’embauche et du débauchage), politiques (Doriot-La Rocque) et internationales (Contrôle ou affamement de l’Espagne ?)31 qui vont bientôt mener à la Seconde Guerre Mondiale.
À travers la présence tout à la fois charnelle, artistique et politique de Dora Maar, ce sont donc bien les cauchemars d’un monde en crise qui pénètrent, presque par effraction, dans l’atelier du peintre et perturbent son processus de création, tel que Pablo Picasso le constate lui-même, entre désir d’échapper aux temps présent et engagement déjà consenti pour la République Espagnole : « Je leur ai promis de réaliser quelque chose. Je sais, mais… c’est toi qui me viens à l’esprit. Ton corps. Ton visage. Tes formes. Tes pensées. Envie de te peindre toi, et rien d’autre ! »32 Et c’est ici que Bruno Loth propose une mise en scène intensément érotique du politique, créant en une seule case un raccourci de l’histoire, de la guerre et du désir : posé sur une table basse et occupant les deux tiers de l’espace, la une de L’Humanité33 se trouve encadrée, au sommet, par le genou et la main délicate de Dora Maar tenant un fume-cigarette, et, à la base, par le texte placé dans une bulle : « Pablo, tu devrais lire cet article. Il parle de la Guerre d’Espagne. Si ça t’intéresse encore. Peut-être y trouveras-tu l’inspiration pour la toile que t’a demandée le gouvernement espagnol ? »34 En quelques traits, les tensions politiques, érotiques et artistiques de Guernica se mettent donc en place autour de la figure clef de Dora Maar : amoureuse et messagère du réel, compagne, photographe et conscience politique, proche (par son travail et son engagement) des surréalistes, de Georges Bataille comme des engagements révolutionnaires du Groupe Octobre35.
Formant le premier tiers de Guernica, cette alternance entre la liberté de la peinture et les contraintes de l’engagement se conclue brutalement par l’irruption du massacre, tel que le donne à voir la juxtaposition de plusieurs cases se faisant face sur deux pages opposées, leur proximité comme leur béance assurant la transition de Paris vers Guernica, laissant voir pour le lecteur la naissance de la mort et d’une œuvre à venir. La première case, sur la page de gauche, trace les traits d’un Pablo Picasso doutant encore de ces recherches : « Ça fait des mois que je cherche une idée. Et rien ne vient de vraiment bien », ce à quoi Dora Maar lui répond, reprenant une formule célèbre datant de 192636 : « Tu es Picasso, non ? Alors, arrête de chercher ; trouve »37. La seconde case, sur la page de droite, décrit les préparatifs militaires de la Légion Condor sur la base allemande de Burgos. Une phrase se détache sur l’un des avions de combat en plein ciel : « Son objectif est le pont de Renteria à Guernica. »38 Ce que Pablo Picasso cherche encore, le lecteur est, lui, amené à le percevoir en juxtaposant ces fragments de textes: « chercher », « trouve » puis enfin « objectif Guernica », trouvant par lui-même la réponse à un rébus que lui a implicitement tendu la narration.
Ainsi, avant même la bataille historique de Guernica au cœur du Pays Basque, l’œuvre de Pablo Picasso a déjà commencé rue des Grands Augustins, à Paris. Mais le chemin entre les deux Guernica est encore à tracer, à mettre en lumière et à comprendre…
La tragédie contemporaine vient donc interrompre la création et va peu à peu (au travers de circuits, d’échos, d’influences encore à définir) imposer sa forme à l’œuvre. Si, au cœur de son atelier parisien, la recherche par Pablo Picasso de l’image symbole de la Guerre d’Espagne forme l’amorce comme (plus tard) la conclusion de Guernica, l’horreur, elle, occupe les deux tiers centraux du livre, offrant une mise en scène à la fois intime et viscérale de ce 26 avril 1937, tel que le met en avant Bruno Loth :
Je voulais raconter le massacre de Guernica tel que les gens ordinaires l’avaient vécu, de l’intérieur. Me placer à hauteur d’homme. Par la suite, j’ai eu la chance de rencontrer sur place un survivant du bombardement, Luis Iriondo, qui avait 14 ans au moment de l’attaque. Avec lui nous nous sommes promenés dans Guernica, il m’a indiqué d’où étaient venus les avions ce jour-là, comment les gens se comportaient, ce qu’il y avait, avant, à chaque coin de rue40.
Le récit du massacre s’ouvre tout d’abord par la juxtaposition de deux pages que pourtant tout oppose : d’un côté les préparatifs très documentés de l’attaque à partir de la base italienne de Soria (avec notamment l’ordre en italien d’épargner la ville), à gauche41 ; et, de l’autre côté, la tranquillité paisible et quotidienne du village, à droite42. Pour l’instant, ces deux espaces sont encore séparés, mais au cours de l’attaque Bruno Loth va utiliser toutes les techniques de la narration séquentielle afin de perturber cet ordonnancement, opposant constamment la froideur de l’attaque au chaos et à la violence de la ville sous les bombes. Ainsi, l’approche puis les différents survols des bombardiers sont toujours vus à très grande distance43, figures minuscules au-dessus de la mer puis des falaises, larguant leurs bombes et faisant immédiatement demi-tour, planant maintenant au-dessus d’un petit village perdu dans les collines. Un village apparemment tranquille et bucolique si ce n’était la fumée des ruines en contre bas, mais à peine perceptible à cette hauteur. Au sein de vastes cases occupant parfois une page entière Bruno Loth met en place pour l’aviation une composition équilibrée, accentuant à chaque fois la distance physique et émotionnelle des combattants avec leur cible, alors que la destruction de Guernica, elle, déstructure la page. Ici, les cases se disloquent littéralement sous le poids des bombes, ondulent et tremblent, la foule paniquée repoussant les bordures qui explosent, à leur tour, sous la force et la peur des villageois44.
Tout au long de cette séquence de bombardement, l’approche, la présence et le danger de l’aviation ennemie se matérialisent par un leitmotiv à la fois visuel et sonore, prenant appui sur les bruits de la ville puis sur les bruits de la guerre : d’abord les conversations quotidiennes des passants et les pleures d’un bébé (accompagnés par la douce berceuse maternelle), puis une rumba diffusée à la radio, ensuite les cloches des églises qui sonnent brutalement l’alarme et emplissent toute la page de leur bourdon, puis enfin les différents cris et hurlements de la bataille : bombardements, explosions, écroulements, mitrailleuses, simples fusils, hurlements…
L’une des images les plus frappantes du début de ce désastre est, paradoxalement, une image manquante, ou plus exactement une image mentale qui n’appartient qu’au lecteur : celle de la chute de la toute première bombe sur la foule innocente rassemblée au sein de la gare de Guernica. Ici, Bruno Loth ne montre rien, ou presque, juste deux cases : la première décrit la mort imminente descendant en piquée du ciel et la deuxième la destruction, la peur et l’effroi au milieu des éclats de la grande verrière désormais pulvérisée, retombant en miettes sur les habitants. Entre les deux : le vide. Le lecteur (qui, en bande dessinée, est également le spectateur) doit donc reconstruire, par lui-même et pour lui-même, ce qui n’est donné ni à voir ni à lire, mais qu’il sait (pourtant) exister dans l’espace inter-iconique de la narration. Ici, placé au cœur même de la gare de Guernica, il doit donc créer les images probables du désastre à partir des indices (terribles mais fragmentaires) fournis par ailleurs : une seule bombe, des visages, l’effondrement des murs ; et ainsi donner une forme toute personnelle aux huit-cents à mille morts de Guernica ce jour-là. Une horreur, visuelle et narrative, entièrement originale qui provient du plus profond de l’imaginaire, de ‘notre’ imaginaire, et que la bande dessinée force à faire émerger à la surface de la lecture, invitant le lecteur à prendre une place active au sein de la narration, entremêlant de manière inextricable les images de l’auteur et les nôtres. Ici, la tragédie de Guernica (qui marque pour la première fois la destruction de civiles et non celle d’objectifs militaires) devient une co-construction entre l’artiste et le lecteur/regardeur, tel que le souhaitait justement Marcel Duchamp affirmant : « Je crois, sincèrement, que l’œuvre est autant faite par le regardeur que par l’artiste »45.
Du point de vue narratif, le récit de Bruno Loth tisse plusieurs files qui s’entrecroisent tout au long des bombardements, des destructions et des peurs. L’histoire d’amour entre Carmen (la fille du boulanger) et Txabi (le soldat républicain), qui commence comme une comédie avec un père récalcitrant se moquant du dénuement des soldats tout en offrant gratuitement une paire de chaussures (« Tu ne dois pas avoir une seule peseta sur toi ! Une armée de gueux, voilà ce que vous êtes ! »), se poursuit par une fuite éperdue dans les ruines et se termine en tragédie au moment où la jeune fille, elle-même blessée à la jambe, regarde le corps de son amant exploser au milieu de la rue, affirmant trop tard : « Ça brule de partout, on va trouver un passage pour sortir de la ville… »46. La mort d’un enfant dont il ne reste que la poupée ensanglantée au milieu des gravats, ensevelie ironiquement à côté de la boite aux lettres rouges qui devait servir à envoyer les nouvelles de sa toute jeune vie. Les tensions stratégiques au sein d’une usine d’armement : « Les Fachos sont en train d’avancer à leurs trousses. Nos garçons ont besoin d’armes et de munitions. Va-t-on pouvoir augmenter la cadence de fabrication ? »47. La course folle d’un cheval dont le corps éventré hurle de douleur. Un petit groupe d’habitants apeurés, coincés au fond d’une cave, pris de panique entre solidarité et égoïsme : « Regardez cette fumée. On va tous crever dans cette cave ! Laissez-moi passer ! »48.
Une construction en mosaïque qui permet à Bruno Loth d’inclure plusieurs thématiques qui traversent, par ailleurs, l’ensemble de son œuvre : le poids de la religion, la lutte des classes, la violence, le sacrifice et la fraternité. Le catholicisme espagnol prend ainsi les traits drôles, puis tragiques, d’une vieille femme dialoguant avec son propre crucifix, reprochant dans un premier temps au Christ en croix de détourner la tête pour ne plus la regarder en face, affirmant : « Qu’ai-je fait pour mériter ça ? Tu veux me rendre folle ? »49 puis, quelques heures plus tard, au moment où son appartement explose sous les bombes : « Je n’ai plus rien à attendre de toi ! Maudit sois-tu sur ta croix ! »50 Les divisions sociales s’inscrivent, quant à elles, au sein d’une large case occupant une page entière : au fond de l’entrepôt à munitions est venu se réfugier le personnel de l’usine d’armement et cet espace confiné exacerbe les tensions : à gauche, le directeur, les contremaîtres et les ingénieurs habillés de blanc ; à droite, les ouvriers en bleus de travail ; au centre, l’imposante figure d’un homme portant un béret basque, symbole de l’impossibilité du dialogue, ou, peut-être, d’une forme d’unification face aux dangers ?51 Les enjeux militaires et les tensions politiques traversent ainsi la narration jusqu’au dénouement et la question cruciale de l’usine d’armement Astra, principale industrie de la ville fabriquant en particulier des pistolets pour l’armée, divise fortement la population : l’ingénieur en chef réclamant sa destruction, suivant en cela les consignes : « Vous le savez très bien, on va devoir faire sauter l’usine avant que les fascistes ne s’en emparent. C’est maintenant, ils vont prendre Guernica », et le directeur, affirmant entre espoir et orgueil de son outils de production : « Ne soyez pas défaitistes, Uribe ! On ne sabotera pas notre usine, pas tant que je serai le dirigeant. »52 La réalité historique est qu’en effet l’usine échappera à la destruction et que son directeur reviendra, après le bombardement, y produire des armes… pour Franco !53
La toute dernière image de ce massacre nous présente une ville en flammes, que surplombe un petit groupe de rescapés dont l’un des très jeunes soldats s’exclame : « Ma mère… où elle est maintenant ? Qu’est-ce que je peux faire, monsieur Uribe ? »54. Or, ce personnage est précisément celui que nous avions rencontré au tout début achetant le journal basque Eguna dont les gros titres indiquaient de manière faussement prémonitoire : « Dans le fracas de la bataille basque, nos guerriers ont la puissance, la fermeté et l’énergie »55 .Visiblement, « la puissance, la fermeté et l’énergie » n’ont pas suffit face à la violence, à l’acharnement et à la traitrise de l’attaque. Or, c’est précisément cette image iconique de la ville en flammes qui va traverser le temps comme l’espace pour atteindre Picasso au cœur d’une salle de cinéma et devenir Guernica, la fresque tant attendue du pavillon espagnol.
Ici, deux pages se font face et se répondent57 afin d’inaugurer la troisième partie du récit : d’un côté la destruction réelle de Guernica, incarnée par le rougeoiement des flammes, l’obscurité du ciel et le noir des bâtiments calcinés, de l’autre sa transposition à distance par le cinéma, c’est-à-dire sa (re)présentation au travers d’images en noir et blanc tirées des actualités de l’époque que Bruno Loth nous donne à voir fidèlement à partir des films Pathé, tel qu’il l’explique ici :
Pour les images de Guernica projetées dans la salle de cinéma, je me suis beaucoup documenté, j’ai cherché tous les films disponibles et j’ai trouvé en particulier une Actualités Pathé, présentée quelques jours seulement après le massacre, et que Picasso a surement dû voir à sa sortie, car il était un grand amateur de cinéma, y allant plusieurs fois par semaine58.
Toutes ces images sont donc d’authentiques images d’actualités prenant place au cœur de la narration : les maisons éventrées, le sauvetage inespéré d’un bœuf enseveli sous les gravats, les habitants cherchant nourriture et objets ; accompagnées du commentaire journalistique : « Sur ces images, l’église San Juan Ibarra, privée de son clocher pointu qui a brulé. À Guernica, tout n’est que désolation »59. Ce à quoi nous venons d’assister (en quelque sorte en direct et à hauteur d’homme au cœur de l’ouvrage) nous le voyons quelques jours plus tard représenté sur l’écran d’un cinéma parisien, selon le modèle de la diplopie, c’est-à-dire de la mise en boucle et du déjà-vu analysé par Clément Chéroux au sujet de 9/11, chaque image renvoyant les échos d’autres images quasi identiques, jusqu’à l’effacement de l’original, portant à chaque fois un peu plus loin le même message politique et médiatique : « Non seulement les mêmes photographies se répétaient d’un journal à un autre, mais chacune d’entre elles paraissait de surcroit répéter quelque chose »60.
En ce sens, Bruno Loth poursuit la mise en image du leitmotiv central de la mémoire et de sa transmission que nous avons mis en évidence précédemment : la lettre de la jeune épouse aux milieux des ruines qui n’attendra désormais jamais son mari, l’achat du journal basque par un combattant républicain ou la présence de L’Humanité au cœur de l’atelier du peintre. Mais si, dans cette confrontation des média et des multiples images de Guernica, le lecteur repère clairement l’émetteur, il lui manque encore à percevoir le récepteur, qu’il découvre finalement au centre de la page suivante : Dora Maar tenant le bras de Pablo Picasso, tous deux presque anonymes dans la foule assistant à cette séance d’actualités cinématographiques, le regard intense de Pablo Picasso au milieu des femmes élégantes, des hommes au costumes sombres et d’un jeune officier allemand en bas à gauche de l’image, portant casquette et manteau d’officier.
Bruno Loth nous donne ainsi à voir un Pablo Picasso littéralement face à l’histoire, le passage de la tragédie à l’œuvre d’art se faisant par la translation d’une image réelle (page de gauche) dans le domaine à la fois du documentaire et de la fiction (page de droite). La dernière image du massacre de Guernica devient ainsi la première image des actualités Pathé (puis, par la suite, la source de la création picturale), avant que les deux images ne se fondent sur la même planche puisque, après avoir mis face à face le peintre et Guernica, Bruno Loth fusionne les deux au sein d’une mosaïque de six cases61. De nouveau, cinq reprennent en noir et blanc et à la lettre les actualités cinématographiques de l’époque : les corps entassés dans le couvent de Santa Clara, les pompiers tentant en vain d’éteindre les incendies avec des moyens totalement inadéquates, une mère portant dans ses bras son enfant mort, les rues détruites… Au milieu de ces archives Bruno Loth fait figurer très clairement, au centre, le visage en couleur de Pablo Picasso, maintenant partie intégrante de l’histoire qu’il voit se dérouler devant ces yeux, comme illuminé de l’intérieur. Une intensité et une puissance que Bruno Loth reprend d’ailleurs expressément de plusieurs portraits de Pablo Picasso par Dora Maar elle-même, tel qu’il le raconte ici :
J’avais beaucoup de mal à trouver comment représenter toute la force du regard de Picasso, surtout à cette époque de sa vie. Beaucoup de gens connaissent son visage vers la fin, par les photos ou le cinéma, mais moins celui des années 1930. Or, Picasso possède des yeux immenses alors que je fais en général de simple points. J’ai donc trouvé la solution dans un portrait de lui par Dora Maar, qui capture très bien cette extraordinaire et fascinante concentration62.
C’est donc bien ce choc visuel et politique des actualités Pathé (c’est-à-dire la force d’une transmission à distance de la mémoire) qui donne à Pablo Picasso l’impulsion d’une œuvre restée jusque-là en devenir. Œuvre dont Bruno Loth a pris soin, par ailleurs, de semer les prémisses au cœur même du massacre de Guernica : image du cheval abattu en pleine rue dont la tête hurlante deviendra le centre obscur de la fresque ; image du bœuf sortant des ruines dont les yeux diffractés par le cubisme observeront, terrorisés, la foule des morts ; image de la mère et de l’enfant supplicié reprenant exactement cette pose à gauche de la toile ; image du soldat meurtrie dont l’arme tombée au sol deviendra une épée brisée (symbole immémorial de toutes les guerres) ; image de la vieille femme à la lanterne devenant ce bras éclairant la toile depuis la droite ; cadavres jonchant les rues et qui viendront, à leur tour, s’accumuler au pied de l’œuvre… Images prémonitoires qui sont très vraisemblablement, selon Bruno Loth, celles que Picasso a lui-même vues ce jour-là, dans une salle de cinéma parisienne, confronté à l’horreur de l’actualité la plus sanglante.
La grammaire spécifique de la bande dessinée est ainsi utilisée pour construire une séquence narrative s’étalant largement sur six pages63, mettant en scène le passage d’un régime d’images à un autre, d’une mémoire de Guernica à l’autre : tout d’abord la destruction réelle de la ville puis sa diffusion dans une salle de cinéma ; ensuite le regard de Pablo Picasso lui-même, désormais partie intégrante des horreurs qu’il observe sur l’écran ; et enfin les grandes manifestations du Premier Mai 1937 dont les points levés et les bannières scandent des slogans que Pablo Picasso perçoit jusque dans son atelier en ouvrant grande la fenêtre : « Union des Syndicats CGT Région Parisienne. Pour Sauver l’Espagne & la Paix du Monde. Unité Internationale »64, rétorquant à Dora Maar qui le protège : « Laisse ouvert, Dora, j’étouffe ! »65. En terminant précisément cette séquence par les cris du peuple qui, littéralement, envahissent l’espace de création, Bruno Loth donne voix à l’urgence d’un appel auquel Pablo Picasso ne peut plus se soustraire, une revendication de lutte et de fraternité à laquelle il va devoir, enfin, donner un visage, une forme, un tableau… et plus exactement, une fresque, tel que Pablo Picasso l’affirme ici : « Et je vois cette toile : immense, une fresque ! Plus grande que tout ce que j’ai produit jusqu’à aujourd’hui »66.
Bruno Loth met ainsi en scène un artiste à l’écoute des fracas du monde, un peintre « face » à l’histoire plus qu’un peintre d’histoire, Pablo Picasso ayant toujours refusé d’être un artiste au service de la politique (au sens où André Breton mettra consciemment la révolution surréaliste au service de la révolution trotskiste à partir de 1938). Son portrait échevelé d’un Joseph Staline jeune en couverture des Lettres Françaises de mars 1953, juste après la mort du dictateur, sera un tel choque pour les militants du Parti Communiste (comme pour le commanditaire du portrait, son ami Louis Aragon) que Pablo Picasso conservera par-là intacte toute son indépendance, son ironie et sa liberté de création.
Après les doutes et les errances de la première partie, le sujet tant recherché est donc enfin là, apporté conjointement par le cinéma, la presse et les manifestations populaires du Premier Mai, Dora Maar faisant, encore une fois, figure d’intermédiaire politique en apportant les nouvelles du monde extérieur au sein de l’atelier (« Je t’ai monté le journal. Il y a des photos »)67, insistant particulièrement sur la présence fracassante de la photographie, puisque la même image vue précédemment dans la salle de cinéma se retrouve cette fois-ci en une du quotidien Le Soir.
Désormais, le dernier tiers du Guernica de Bruno Loth se déroulera intégralement dans l’atelier des Grands Augustins, suivant pas à pas la naissance de l’œuvre, entremêlant de nouveau l’histoire, la politique et le désir de création. Si, comme l’analyse William Proweller dans « Picasso’s Guernica: A Study in Visual Metaphor »68, les emprunts de Pablo Picasso à la presse et à son esthétique sont fondamentaux pour Guernica, depuis l’utilisation du noir et blanc jusqu’au format même de la fresque, Bruno Loth pose d’emblée la question de l’écart avec cet hyper-réalisme documentaire69, Pablo Picasso tenant le quotidien entre ces main mais affirmant : « Le réalisme des photos nous éblouit, nous aveugle. La peinture doit allez plus loin. »70 Et ce ‘plus loin’ Pablo Picasso va le trouver dans le recours à l’horizon mythologique tel qu’il l’affirme dans la case suivante. Une case complexe construite tout en longueur au sein de laquelle viennent prendre place sans interruption, à gauche, les esquisses préparatoires à Guernica flottant autour du peintre, puis Pablo Picasso et Dora Maar s’entrelaçant, bondissant, les mots des amants courant comme les paroles d’une chanson au centre : « Des images tournent dans ma tête. J’y vois des allégories mythologiques. […] Je vois une mère tenant son enfant mort. Je vois un cheval agonisant. Un taureau émergeant des ruines », et enfin, à l’extrême droite de la case, Pablo Picasso affirmant avec force, les bras levés en signe de victoire : « Je l’appellerai Guernica ! ». Face au scepticisme de Dora Maar (« Tout ce symbolisme, tu es sur ? »), Pablo Picasso répond justement en convoquant la force universelle des symboles : « Mais oui, les anciens utilisaient les symboles dans leurs peintures pour expliquer le christianisme aux masses. Et c’est ce que je veux faire, frapper les esprits ! »71 . Plusieurs cases nous montrent ensuite Pablo Picasso hésitant, cherchant notamment comment incarner la violence au centre du tableau, éliminant tour à tour les symboles les plus facilement politiques (un soleil éclatant, une gerbe de blé portée par un combattant, la faucille du paysan) au profit de cet angoissant œil-électrique qui illumine froidement le massacre en contre bas et fait basculer Guernica d’une œuvre de propagande vers une œuvre métaphysique, affirmant en conclusion : « De toute façon, Guernica n’a rien à voir avec le soleil. Guernica, c’est l’ombre funèbre. Je n’utiliserais que les couleurs de l’ombre et celle du sang ! »72.
Et chacune de ces hésitations, chacun de ces tracés, effacements ou repentirs vient prendre place sous l’œil photographique de Dora Maar qui, comme une archéologue, scrute les couches successives de l’œuvre : « Justement. Je vais prendre ton travail en photo, étape par étape »73, rajoutant ainsi une couche de mémoire à la mémoire des deux Guernica, tout en offrant à Pablo Picasso la perspective indispensable sur son œuvre : « C’est exactement ce qu’il me fallait, Dora ! Tes photos me donnent le recul qu’il me manque, ici ! »74.
Une artiste et une femme qui, par ailleurs, fascine Pablo Picasso par son talent propre (photographe déjà largement reconnue auprès des surréalistes)75 et dont il note, très légèrement ironique : « Heureusement que tu n’es pas peintre... Avec ton intelligence et ton sens artistique, tu me ferais de l’ombre ! »76. Remarque prémonitoire puisque, comme l’a bien mis en lumière l’exposition récente au Centre Pompidou77, Dora Maar reprendra en effet grâce à Pablo Picasso le chemin de la peinture (sa formation initiale) à partir de 1936, avant de s’y consacrer exclusivement à partir de 1944, inventant notamment dans des années 1970 un étonnant mélange de peinture et de photographie, traçant de vastes formes abstraites et lyriques directement sur la pellicule, manière de conclure son cheminement en inscrivant le geste pictural au cœur même de la matière photographique.
Pablo Picasso voit ainsi clairement en Dora Maar à la fois sa muse, sa conscience politique et l’instrument de sa gloire. La toute dernière case nous présentant justement Pablo Picasso juché sur un escarbot devant la fresque presque achevée, Dora Maar le fixant en contre plongée, tout à fait conscient de prendre la pose à la fois pour la femme aimée et pour l’éternité : « Souriez, Maestro », « T’es marrante, je me concentre ! »78.
En conclusion du double fil narratif tissé tout au long de Guernica entre le massacre et la peinture, Bruno Loth choisit, dans les dernières pages, de mettre face à face, enfin, le tableau achevé le 4 juin 1937 et une terrible photo d’archive des ruines80, terminant l’ouvrage par une nouvelle confrontation entre l’œuvre et l’histoire, tout en inversant, cette fois-ci, l’ordre présent dans l’introduction. Une confrontation dont les deux formats à l’italienne se répondent tel que Bruno Loth le met en lumière ici :
Je voulais bien sûr que mon livre épouse la forme exacte de la fresque de Picasso, même si c’est un format qui n’est pas facile à vendre. Les libraires ne savent pas trop comment le mettre en avant et les lecteurs ne savent jamais comment le ranger dans leurs bibliothèques !81
Mais cette fin n’en est pas tout à fait une, puisqu’il reste encore une page dans laquelle Pablo Picasso fait part de sa déception, ou du moins de son scepticisme, face à la postérité de son œuvre. Au moment de l’inauguration du pavillon espagnol de l’Exposition Universelle, le 22 juin 1937 (soit presque un mois après l’ouverture officielle de l’Exposition elle-même), l’un des organisateurs concède ainsi : « Effectivement, mon chère Pablo, à cause de ce retard d’un mois, nous n’avons pas le succès attendu. Mais vous avez vu ! Votre fresque est l’œuvre centrale du pavillon… »82. Ce à quoi Pablo Picasso répond, amusé et peut être très légèrement jaloux : « Mouais ! La toile de Miro83 n’est pas mal placée, non plus… » Puis enfin la toute dernière case de l’ouvrage nous montre Pablo Picasso et Paul Éluard quittant l’Exposition, Paul Éluard affirmant de manière élégante : « Bah ! La presse ne parle que des pavillons d’Allemagne et d’URSS. L’Espagne est loin des préoccupations des Français ! », et Pablo Picasso de lui répondre : « Je ne me fais aucune illusion à ce sujet, Paul, Guernica est presque déjà oublié… Allons rejoindre Nusch et Dora, tu veux ? »84. La vie amoureuse et la vie quotidienne reprennent ainsi leur place face à l’engagement politique, tout en faisant écho aux interrogations initiales de Bruno Loth affirmant, avec force, la nécessité toujours contemporaine de Guernica comme geste de mémoire !
Au travers d’un peintre doutant à chaque instant de sa création et de son importance face à l’histoire, Bruno Loth nous donne à voir un artiste profondément humaniste, incertain et ouvert à toutes les influences. Une figure bien différente de celles imaginées notamment par Nick Bertozzi ou par Julie Birmant et Clément Oubrerie. Dans Le Salon85, basé sur le légendaire salon artistique que tenaient à Paris Gertrude et Leo Stein, l’auteur New Yorkais Nick Bertozzi dresse le portrait d’un Pablo Picasso jouisseur, iconoclaste et destructeur, imaginant en 1907 une incroyable histoire de meurtre à l’absinthe au cœur des derniers tableaux (supposés magiques) rapportés des iles par Paul Gauguin. Le Salon se présente ainsi comme un étrange chassé-croisée entre l’alcool, les pigments et les visions délirantes des jeunes Tahitiennes ; un jeu de piste shamanique (auquel participent joyeusement Georges Braque, Éric Satie, Guillaume Apollinaire ou Alice B. Toklas) donnant, au passage, naissance au cubisme et aux insultes d’Henri Matisse, affirmant lors d’une soirée en l’honneur de Pablo Picasso : « Ce petit con arrogant a transformé l’art à jamais. Comment vais-je réussir à le surpasser ? »86.
Se déroulant à la même époque et suivant pas à pas la vie de Pablo Picasso depuis son arrivée à Paris en 1900 (pour l’Exposition Universelle, déjà) jusqu’au début des années 1910, le Pablo87 de Julie Birmant et Clément Oubrerie est l’histoire touchante d’une naissance artistique et humaine vue au travers des yeux d’une vielle femme, Fernande Olivier88 : première amoureuse et compagne, muse créatrice à la charnière du cubisme, modèle pour Les Demoiselles d’Avignon, mais aussi femme nourricière faisant vivre un jeune peintre fauché grâce à son travail très bien rémunéré de modèle (Pablo Picasso la forcera d’ailleurs à l’abandonner). Au travers de Fernande Olivier, Julie Birmant et Clément Oubrerie nous confrontent à un personnage à la fois érotique et maternel, une femme profondément indépendante qui quittera Pablo Picasso en 1909 sur un coup de tête et finira misérablement, abandonnée et pauvre au milieu des années 1960. C’est l’époque magique du Bateau Lavoir, de la rencontre avec les poètes Guillaume Apollinaire et Max Jacob, de la découverte des arts premiers, et Pablo Picasso prend, ici, les traits d’un jeune homme presque naïf dont les douces aquarelles de Clément Oubrerie laissent percevoir, peu à peu, l’affirmation en artiste démiurge… et la disparition de « la belle Fernande ».
Aussi éloigné du jeu littéraire de Nick Bertozzi que de la fresque romantique de Julie Birmant et Clément Oubrerie, Bruno Loth choisit l’équilibre entre deux représentations et deux mémoires de Guernica, celles de la réalité et celles du tableau, créant chemin faisant une troisième mémoire qu’il destine à notre monde oublieux des luttes et des espoirs de la République Espagnole. Une mémoire de Guernica, des Guernica(s), pour le temps présent.
[1] Éditeur militant offrant une place prédominante à une littérature de combat et une bande dessinée d’investigation de grande qualité, au travers notamment des œuvres de Clément Baloup, Céline Wagner, Nadar, Nicolas Pitz…
[2] Autodidacte de formation, ce n’est que vers l’âge de 40 ans que Bruno Loth se lance dans la rédaction de sa première bande dessinée, Les Fantômes d’Ermo, qu’il édite de manière complètement indépendante en fascicules, avant d’être repris en volume par La Boite à bulles. Mais, très attaché à son indépendance financière, Bruno Loth conserve la possibilité de vendre par lui-même ses ouvrages sur les festivals, conservant ainsi son statut de coéditeur.
[3] Bruno LOTH et Corentin LOTH, Viva l’anarchie ! : la rencontre de Makhno et Durruti, Saint-Avertin, La Boite à bulles, 2020.
[4] Bruno LOTH, Les Fantômes de Ermo, Saint-Avertin, La Boite à bulles, 2017, p. 153.
[5] Conversation personnelle de l’auteur avec Bruno Loth (Amiens, 2020).
[6] Bruno LOTH et Corentin LOTH, Guernica, Saint-Avertin, La Boite à bulles, 2019.
[7] Dora Maar (1907-1997) : photographe et peintre française. Après des études à l’Académie Julian et à l’École des Beaux-Arts, Dora Maar se lance au début des années 1930 dans la photographie, avec une double dimension commerciale et artistique. Engagée politiquement, proche du groupe Octobre, de Georges Bataille et des surréalistes, elle fait en 1936 la rencontre de Pablo Picasso, par l’intermédiaire de Paul Éluard. Suite à leur séparation en 1943, elle entame une longue analyse avec Jacques Lacan, puis se consacre exclusivement à la peinture.
[8] Scott McCLOUD, Understanding Comics, The Invisible Art, New York, HarperCollins, 1994.
[9] Thierry GROENSTEEN, Système de la bande dessinée, Paris, PUF, 2011.
[10] B. LOTH et C. LOTH, Guernica, op. cit., p. 7.
[12] Exposition qui, avec cent quatre-vingt-dix pavillons nationaux, résume en elle-même les tensions politiques menant à la Seconde Guerre Mondiale, puisque sont notamment présents, face à face, le pavillon de l’Allemagne Nazie surmontée de l’aigle et celui de L’Union Soviétique stalinienne, surmonté de L’Ouvrier et la Kolkhozienne, couple de paysans brandissant le marteau et la faucille.
[13] Max Aub (1903-1972) : auteur dramatique, romancier, essayiste et critique espagnol. Il a notamment publié les romans Luis Álvarez Petreña (1934), Las buenas intenciones (1954), La calle de Valverde (1961), ainsi que les recueils de nouvelles Crímenes ejemplares (1957), Cuentos mexicanos (1959), La verdadera historia de la muerte de Francisco Franco y otros cuentos (1960).
[14] B. LOTH et C. LOTH, Guernica, op. cit., p. 7.
[15] Marie-Thérèse Walter (1909-1977) : compagne de Pablo Picasso entre 1927 et 1935 et mère de leur fille Maya. Figure calme au traits classiques, elle est notamment représentée dans Buste de jeune fille (1926), Le Rêve (1932) et Femme couchée avec un livre (1939). Elle se suicide en 1977, quatre ans après la mort de Picasso.
[16] Damarice AMAO, Amanda MADDOX et Karolina ZIEBINSKA-LEWANDOWSKA (éd.), Dora Maar, Paris, Centre Georges Pompidou, 2019.
[17] Bruno LOTH, Dolorès, Saint-Avertin, La Boite à bulles, 2016.
[18] Bruno LOTH, Mémoires d’un ouvrier : avant-guerre et sous l’Occupation, Saint-Avertin, La Boite à bulles, 2016.
[19] B. LOTH et C. LOTH, Guernica, op. cit., p. 24.
[20] Ibid., p. 11.
[21] Ibid.
[22] Une presse que nous retrouvons également dans Les Fantômes de Ermo, p. 64, avec le journal Solidaridad Obrera, mettant en garde sur les risques d’un possible coup d’état et lu par un groupe d’anarchistes à la terrasse d’un café de Barcelone.
[23] B. LOTH et C. LOTH, Guernica, op. cit., p. 13.
[24] Le Songe et Mensonge de Franco (1937) : série de deux lithographies comprenant neuf images chacune, accompagnant un poème en prose également de Picasso. Première œuvre ouvertement politique, Le Songe et Mensonge de Franco ridiculise la figure de Franco sous la forme d’un cavalier instable et dénonce, sur un mode comique, les valeurs conservatrices de la culture espagnole.
[25] B. LOTH et C. LOTH, Guernica, op. cit., p. 7.
[26] Ibid.
[27] Maya Widmaier-Picasso (née en 1935) : critique et historienne de l’art. Fille de Picasso et de Marie-Thérèse Walter, Maya fut représentée dans de nombreuses œuvres entre 1935 et 1944, notamment la série Maya à la poupée.
[28] B. LOTH et C. LOTH, Guernica, op. cit., p. 7.
[29] Une problématique qui poursuivra Pablo Picasso jusqu’à la fin de ses jours, puisque l’une de ses œuvres ultimes, datée de mai 1972, et intitulé Mousquetaire et enfant, met face à face, pour la dernière fois, un enfant tirant la barbe du mousquetaire, double récurrent de l’artiste vers la fin de sa vie.
[30] Emmanuel PERNOUD, L’Invention du dessin d’enfant en France à l’aube des avant-gardes, Paris, Hazan, 2015.
[31] B. LOTH et C. LOTH, Guernica, op. cit., p. 14.
[32] Ibid., p. 15.
[33] Présence qui n’est pas sans rappeler le rôle déterminant joué par les coupures de presse dans la naissance des papiers collés chez Georges Braque, Juan Gris et Pablo Picasso à partir de 1912.
[35] Groupe Octobre (1932-1936) : troupe de théâtre issue de la Fédération du Théâtre Ouvrier de France, dont le but était révolutionnaire, apportant le marxisme au plus proche du peuple, jouant notamment des spectacles d’agit-prop écrits par Jacques Prévert lors des meetings politiques, dans les rues et dans les usines en grève : La Bataille de Fontenoy (1932), Vive la presse (1932), La Famille Tuyau de Poêle (1933), ou le Tableau des Merveilles (1935), mis en scène directement dans les grands magasins parisiens en grève.
[36] « On me prend d’habitude pour un chercheur. Je ne cherche pas, je trouve », Pablo PICASSO, Propos sur l’art, Paris, Gallimard, 1998.
[37] B. LOTH et C. LOTH, Guernica, op. cit., p. 16.
[38] Ibid., p. 17.
[39] Ibid., p. 27.
[40] Conversation de l’auteur avec Bruno Loth (Amiens, 2020).
[41] B. LOTH et C. LOTH, Guernica, op. cit., p. 18.
[42] Ibid., p. 19.
[43] Ibid., p. 29, 31, 34, 39.
[44] Ibid., p. 30.
[45] Francis NAUMANN, Marcel Duchamp, l’ère de la reproduction mécanisée, Paris, Hazan, 1999.
[46] B. LOTH et C. LOTH, Guernica, op. cit., p. 49.
[47] Ibid., p. 26.
[48] Ibid., p. 54.
[50] Ibid., p. 40.
[51] Ibid., p. 41.
[52] Ibid., p. 51.
[53] Conversation de l’auteur avec Bruno Loth (Amiens, 2020).
[54] B. LOTH et C. LOTH, Guernica, op. cit., p. 58.
[55] Ibid., p. 13.
[56] Ibid., p. 66.
[57] Ibid., p. 58 et 59.
[58] Conversation de l’auteur avec Bruno Loth (Amiens, 2020).
[59] B. LOTH et C. LOTH, Guernica, op. cit., p. 60.
[60] Clément CHÉROUX, Diplopie, l’image photographique à l’ère des médias globalisés : essai sur le 11 septembre 2001, Cherbourg, Le Point du Jour, 2009, p. 13.
[61] B. LOTH et C. LOTH, Guernica, op. cit., p. 62.
[62] Conversation de l’auteur avec Bruno Loth (Amiens, 2020).
[63] B. LOTH et C. LOTH, Guernica, op. cit., p. 58 à 63.
[64] Ibid., p. 63.
[65] Ibid., p. 64.
[66] In fine, la toile de Guernica fera en effet 7.50m x 3.50 m, ce qui en fera la plus grande œuvre de Pablo Picasso jusqu’à la fresque La Chute d’Icare, réalisée pour le siège de l’UNESCO à Paris en 1958, qui fera 9.10 m x 10.60 m.
[67] B. LOTH et C. LOTH, Guernica, op. cit., p. 64.
[68] William PROWELLER, « Picasso’s Guernica: A Study in Visual Metaphor », Art Journal, 30 (3), 1971, p. 240-248.
[69] Question que se pose également la bande dessinée dite « de reportage » ou « du réel » dans ses liens au journalisme, donc à l’information et à sa représentation, tel que l’on peut le voir notamment (de manières très différentes) chez Joe Sacco, Seth Tobocman, Clément Baloup ou Guy Delisle.
[70] B. LOTH et C. LOTH, Guernica, op. cit., p. 64.
[72] Ibid.
[73] Ibid., p. 65.
[74] Ibid., p. 67.
[75] Particulièrement au travers de Paul Éluard, ami intime de Picasso, dont Dora Maar fera plusieurs portraits de la femme, Nusch Éluard, en 1935.
[76] B. LOTH et C. LOTH, Guernica, op. cit., p. 67.
[77] Dora Maar, Paris, Centre Pompidou, 5 juin - 29 juillet 2019.
[78] B. LOTH et C. LOTH, Guernica, op. cit., p. 67.
[79] Ibid., p. 70.
[80] Ibid., p. 68-69.
[81] Conversation de l’auteur avec Bruno Loth (Amiens, 2020).
[82] B. LOTH et C. LOTH, Guernica, op. cit., p. 70.
[83] Il s’agit ici du Faucheur, fresque murale de six panneaux atteignant 5.5 mètres de haut et présentant un paysan catalan les bras levés, une faux dans sa main droite. Contrairement à Guernica, cette fresque est perdue depuis 1938, suite à la démolition du pavillon espagnol.
[84] B. LOTH et C. LOTH, Guernica, op. cit., p. 70.
[85] Nick BERTOZZI, Le Salon, Paris, Éditions Cambourakis, 2011.
[86] Ibid., p. 178.
[87] Julie BIRMANT et Clément OUBRERIE, Pablo, Bruxelles, Dargaud, 2017.
[88] Fernande Olivier (1881-1966) : lingère, puis modèle célèbre à Montmartre, surnommée ‘la belle Fernande’, elle fut la première compagne de Pablo Picasso entre 1904 et 1909. Sa figure accompagne notamment la naissance du cubisme. En 1988 sont publiés Souvenirs intimes, écrits pour Picasso, édition posthume de son journal et document précieux sur la vie de bohème du début du siècle.
Résumé
Justin Wadlow s’intéresse ici au roman graphique que Bruno et Corentin Loth ont consacré à la fois au massacre de Guernica pendant la Guerre d’Espagne et au célèbre tableau éponyme de Picasso. L’analyse des images et des dialogues récréés par Loth rend compte du processus de création de Picasso et de son adresse pour faire d’un tableau commandé par le gouvernement républicain une œuvre universelle. Les annexes du livre ajoutent une dimension documentaire au projet de ce dessinateur qui s’est déjà intéressé à la Guerre d’Espagne dans sa série Ermo, avec une attention particulière pour les luttes du mouvement ouvrier.
Resumen
Justin Wadlow se interesa aquí por la novela gráfica que Bruno y Corentin Loth dedican a la vez a la masacre de Guernica durante la Guerra Civil Española y al famoso cuadro homónimo de Picasso. El análisis de las imágenes y de los diálogos recreados por Loth da cuenta del proceso creativo de Picasso y de su habilidad para convertir un cuadro encargado por el gobierno republicano en una obra de alcance universal. Los apéndices del libro añaden una dimensión documental al proyecto del dibujante, que ya trató la Guerra de España en su serie Ermo, con un interés especial por las luchas del movimiento obrero.
Introduction : Bruno Loth, une mémoire militante
Plus j’y réfléchis, moins j’ai envie : l’enchevêtrement des vies et des images
Ça veut dire qu’ils vont bientôt attaquer ?: la tragédie de Guernica
Guernica, c’est l’ombre funèbre : un peintre face à l’histoire
Je ne fais aucune illusion à ce sujet : l’histoire d’un peintre face à l’histoire
Justin WADLOW
Université de Picardie Jules Verne
Centre de Recherche en Arts et en Esthétique (CRAE)
AMAO, Damarice, MADDOX, Amanda et ZIEBINSKA-LEWANDOWSKA, Karolina (éd.), Dora Maar, Paris, Centre Georges Pompidou, 2019.
BERTOZZI, Nick (2007), Le Salon, traduction de l’anglais de Christophe Grosdidier, Paris, Éditions Cambourakis, 2011.
BIRMANT, Julie et OUBRERIE, Clément, Pablo, Bruxelles, Éditions Dargaud, 2017.
CHÉROUX, Clément, Diplopie, l’image photographique à l’ère des médias globalisés : essai sur le 11 septembre 2001, Cherbourg, Le Point du Jour, 2009.
GROENSTEEN, Thierry, Système de la bande dessinée, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Formes sémiotiques », 2011.
LOTH, Bruno, Mémoires d’un ouvrier : avant-guerre et sous l’Occupation, Saint-Avertin, La Boite à bulles, 2016.
—, Dolorès, Saint-Avertin, La Boite à bulles, 2016.
—, Les Fantômes de Ermo, Saint-Avertin, La Boite à bulles, 2017.
LOTH, Bruno et LOTH, Corentin, Guernica, Saint-Avertin, La Boite à bulles, 2019.
—, Viva l’anarchie ! La rencontre de Makhno et de Durruti, Saint-Avertin, La Boite à bulles, 2020.
McCLOUD, Scott, Understanding Comics, The Invisible Art, New York, HarperCollins, 1994.
NAUMANN, Francis M., Marcel Duchamp, l’ère de la reproduction mécanisée, Paris, Hazan, 1999.
PERNOUD, Emmanuel, L’Invention du dessin d’enfant en France à l’aube des avant-gardes, Paris, Hazan, 2015.
PICASSO, Pablo, Propos sur l’art, Paris, Gallimard, coll. « Art et Artistes », 1998.
PROWELLER, William, « Picasso’s Guernica: A Study in Visual Metaphor », Art Journal, 30 (3), 1971, p. 240-248.