Nous nous proposons ici de traiter de la mémoire du franquisme dans la bande dessinée du XXIe siècle au prisme de deux disciplines croisées : l’histoire des représentations, qui sonde la manière dont les individus ou les groupes vivant à une époque donnée se représentent des concepts et objets en particulier, et l’histoire des femmes, qui étudie l’évolution de leur place dans l’histoire à travers les rapports sociaux. Nous essayons donc de faire de l’histoire des représentations des femmes, avec un sujet particulier, celui de la figuration contemporaine (entre 2000 et 2020) dans la bande dessinée (BD) des femmes engagées contre le franquisme, de 1936 à nos jours. Il nous paraît particulièrement signifiant de soulever une problématique : comment les auteurs et autrices de BD, représentent-ils, à travers la narration comme dans la constitution des images, les femmes engagées dans les luttes révolutionnaires du XXe siècle et leurs héritages ? Cette question permet d’en soulever d’autres, inhérentes aux interrogations contemporaines de la mémoire de la Guerre d’Espagne1, mais aussi essentielles pour notre temps en termes de réflexion pour l’émancipation des femmes. Quelle place est donnée aux femmes militantes espagnoles dans les travaux historiques comme dans les exercices de mémoire2 collective ? Ici, c’est le principe d’effacement des femmes de l’histoire que nous participerons à questionner.
Ce postulat sur les manquements de transmissions et d’institutionnalisations du rôle et du travail des femmes dans l’histoire a été démontré en France par l’historienne Michelle Perrot3 et la sociologue Christine Detrez4, ou dans le monde anglo-saxon par Bonnie Smith5, Nupur Chaudhuri, Sherry Katz et Mary Elisabeth Perry6. Pour le résumer, ce postulat définit que, aussi compétentes et productives qu’elles soient, les femmes ne sont pas mises en valeur au même niveau que les hommes par la science historique, puisque celle-ci, s’inscrivant dans le système patriarcal, est façonnée majoritairement par des biais masculins. Historiquement, les femmes transmettent moins leur mémoire, sont moins écoutées, moins archivées, moins étudiées, et donc, pour ce qui nous intéresse ici, moins racontées. En partie effacées des récits historiques, elles sont moins présentes que les hommes dans les chroniques mémorielles. Nous verrons donc comment la bande dessinée contemporaine s’empare ou contrecarre cet effacement des femmes de l’histoire7 lorsqu’il s’agit de traiter de la lutte contre le franquisme.
Mais surtout, en problématisant les représentations de femmes censées être des militantes politiques, engagées, actives face aux mouvements politiques de leur époque, nous voulons poser une question qui apparaît aujourd’hui fondamentale, tant pour l’histoire que pour l’histoire de l’art. De nos jours, les femmes peuvent-elles, pour les créateurs et créatrices, incarner le politique, dans les récits et les images, à égalité avec les hommes ? Peuvent-elles représenter des sujets politiques pleins et entiers et non pas des objets accessoires des récits militants ? Dans une dynamique de questionnement que nous devons à G. C. Spivak, qui se posait l’ambitieuse question de savoir si « Les Subalternes peuvent-elles parler ? »8, nous visons au fond à répondre à cette question : les femmes peuvent-elles être des incarnations révolutionnaires, complexes, vivantes et ambiguës, hors des fantasmes objectifiants9 et des allégories historiques vides d’humanité ?
Avant de commencer l’analyse critique du corpus de bandes dessinées et/ou de romans graphiques10 sélectionné, faisons un point sur la singularité de ce corpus concernant la représentation des femmes militantes politiques, ce qui participe de sa légitimité à être sondé.
Dans un premier temps, au risque de rappeler une évidence, le rôle et la place des femmes au sein du camp républicain et antifasciste durant la Guerre Civile Espagnole furent réels et importants11. Avec notamment des organisations militantes féministes autonomes prônant, entre autres, la lutte armée, comme Mujeres Libres. Cette activité politique et militaire des femmes fut médiatisée d’une façon inédite lors du déroulé du conflit lui-même, mise en scène et fantasmée sur le front comme à l’international12. Le militantisme féminin et/ou féministe durant la Guerre d’Espagne est un élément clef de l’histoire des représentations des femmes en lutte, du front domestique aux champs de bataille en passant par le travail. Les références aux images produites par le camp antifasciste lors de cette guerre (affiches, photos…) sont présentes dans les décors de plusieurs ouvrages que nous avons étudiés : Verdad13, Au cœur du rêve14, Des Espaces vides15, Hindenburg16, Dolorès17, Double 718, Sept Athlètes19, etc. Ainsi, imprégnées des images produites lors de la guerre en elle-même par les partis, les syndicats et les journalistes, mais aussi probablement conscientes des réalités historiques de l’implication armée des femmes de gauche entre 1936 et 1939, les bandes dessinées ayant pour cadre et sujet ce conflit contiennent depuis des décennies des personnages féminins engagés, ce qui n’est souvent pas le cas lorsqu’une bande dessinée choisit une période martiale pour sa diégèse. Citons comme exemples le personnage de la brigadiste Maria Wizniewska dans Les Phalanges de l’Ordre noir d’Enki Bilal et Pierre Christin, paru en 1979, celui de la jeune Dolorès de Villafranca en 1956, créée par Noël Gloesner et Marijac ou l’album Rayon Dames d’Annie Goetzinger, paru en 1995. Il nous faut par ailleurs rappeler que ces images produites lors de la guerre, notamment les affiches et les photos journalistiques, avaient déjà participé à créer des allégories et des stéréotypes concernant les femmes militantes qui semblent irriguer encore aujourd’hui nombre de récits que nous avons eus sous les yeux pour ce travail20.
Un deuxième élément vient rendre encore plus prégnante la nécessité de problématiser ces représentations : leur actualité nourrie et diversifiée. En effet, le nombre de bandes dessinées parues ces vingt dernières années en France ayant pour personnages principaux des femmes engagées contre le franquisme est frappant : Chaînes de Jorge García et Fidel Martínez (2007), Quintos d’Andreas et Isabelle Cochet (2006), Jamais je n’aurai 20 ans de Jaime Martín (2016), Insoumises de Javier Cosnava et Rubén del Rincón (2016), Asylum de Javier de Isusi (2016), Verdad de Lorena Canottiere (2017), etc. Nous pourrions en citer des dizaines, avec une accélération notable depuis 2010. Ils participent à construire et renouveler les récits, les imaginaires et les mémoires autour de l’engagement des femmes contre le franquisme. Mais comment le font-ils et avec quels résultats ?
Concernant le corpus en lui-même, selon le site de recensement participatif bibliographique en ligne Babelio, au moins 131 bandes dessinées21 ayant pour thème la Guerre Civile Espagnole ou la dictature franquiste ont été publiées en Europe et en Amérique latine. Sur ces 131 ouvrages, nous dénombrons environ 161 auteurs et dessinateurs, dont seulement 12 femmes. Seuls 18 ont comme personnage principal une femme. Bien sûr, la présence d’un personnage principal féminin ne veut rien dire en soi de la teneur féministe d’un ouvrage et, évidemment, des hommes peuvent produire des BD avec des héroïnes féministes et inversement. Mais nous pourrions questionner la relation entre la qualité de représentation des personnages féminins dans la BD et la place que les femmes créatrices de bandes dessinées ont en tant qu’autrices en général22 dans le processus de production. Car nous pouvons présupposer que lorsqu’il s’agit de militantisme et d’égalité, tout le monde ne s’empare pas des mêmes sujets. Sur les 131, nous en avons sélectionné 47 qui correspondent à notre champ d’analyse sur plusieurs points. Ils font le récit d’un engagement contre le franquisme et n’ont pas juste la guerre ou la dictature comme décor, et contiennent au moins un personnage principal ou secondaire féminin engagé contre le franquisme, ou au minimum républicain. Le corpus que nous avons étudié n’est pas exhaustif, procède d’une grande variété d’écoles esthétiques ou de genres littéraires, et est assez inégal. Il y a en effet de grandes différences entre l’œuvre poétique et libertaire de Lorena Canottiere, Verdad, et la très douteuse mise en scène de l’histoire, notamment des camps de concentration, dans Hindenburg de TieKo, Patrice Ordas et Patrick Cothias. Nous avons essayé d’analyser ces livres sans échelle de valeur mais uniquement en étudiant la manière dont ils représentent leurs personnages de femmes engagées contre le franquisme.
Pour répondre aux problématiques posées en introduction, notre étude est divisée en trois parties, suivant un plan thématique basé sur la récurrence des motifs iconographiques. La première s’attache à analyser les figures des combattantes comme des représentations ambivalentes, entre fantasmes masculins de la femme forte et illustration d’une réelle démarche féministe. La deuxième étudie les représentations de femmes en résistance à travers la pratique du travail reproductif, de l’éthique du « care » et de « sostenibilidad de la vida ». Figure souvent jugée anodine, passive voire inutile, la femme agissant pour la « soutenabilité de la vie » peut aussi être une incarnation de la résistance. Enfin, la troisième partie s’attarde sur les représentations des risques particuliers et les conséquences spécifiques qu’affrontent en tant que femmes les personnages engagés contre le franquisme dans ces récits, et les enjeux de ces représentations. Nous ne parlerons pas dans cette étude des ouvrages biographiques car, bien qu’ils puissent présenter des figures de militantes très intéressantes (La Pasionaria, Tina Modotti, Capa, l’étoile filante) ils ne répondent pas à la même construction fictive des personnages pour ce qu’il s’agit des rapports sociaux entre les genres, puisqu’ils racontent une vie ayant eu lieu. Ils ne dépendent donc pas des mêmes outils d’analyse.
Les combattantes des milices, ces femmes en armes, militantes-soldates affirmées au milieu des hommes sont encore de nos jours une des figures favorites des artistes et des groupes politiques pour représenter la Guerre d’Espagne. Notamment en utilisant ou en s’inspirant des multiples photographies diffusées dès juillet 1936. Celle de la militante communiste Marina Ginestà, prise le 21 juillet 1936 à Barcelone par Juan Guzmán par exemple, irradie sur bien des couvertures de livres, et nous en retrouvons la trace dans notre corpus (Des Espaces vides23, Dolorès24). Une jeune femme brune de 17 ans, en chemise, cheveux au vent et fusil dans le dos regarde avec défiance et tranquillité le photographe, avec en toile de fond les toits de la ville : cette image est devenue un symbole de l’engagement féministe et révolutionnaire, mais aussi de la résistance et de la soif de liberté. Il en existe des centaines, de ces photos en noir et blanc de femmes en armes avec des uniformes dépareillés aux couleurs de leurs partis et syndicats respectifs, calots de la CNT-FAI sur la tête ou chiffons rouges autour du cou. La philosophe Simone Weil se fit aussi tirer le portrait en armes : image et récit que nous observons également dans notre corpus25. Publiés dans des revues illustrées partout dans le monde, tels Vu et Regards en France, ces clichés de femmes combattantes intriguèrent et marquèrent les esprits. Bien qu’elles fussent largement minoritaires dans les milices, les femmes devinrent les représentantes symboliques internationales de la lutte antifasciste en Espagne, notamment grâce aux photo-reporters, mais aussi grâce aux affiches de propagande, restées à travers les décennies comme des porteurs figuratifs des concepts de féminisme, d’antifascisme, de résistance ou de révolution dans certaines doxa collectives, notamment celle de la gauche. L’importance de ces œuvres graphiques dans les imaginaires des auteurs de BD est notable. Plusieurs des personnages féminins se retrouvent avec des postures et des expressions rappelant ces dessins, comme Verdad dans Verdad26 et Isabel, dès la couverture, dans Jamais je n’aurai 20 ans. Ces figures sont à mettre en liens avec les affiches de propagande créées par Cristóbal Arteche, Baltasar Lobo ou Ricard Obiols. Un type de personnage de femme engagée contre le franquisme que nous retrouvons fréquemment dans ce corpus est donc celui de la combattante.
Fig. 1. La milicienne Lulia en plein combat sur les toits dans Double 7
Beaucoup de femmes en armes et en uniformes sont visibles : Lulia et Ornella dans Double 7, Jeanne et Nicole dans Sept Athlètes, Verdad dans Verdad, Fé, Esperanza et Caridad dans Insoumises, Diane dans Hindenburg, Amélie et Aneschka dans Mattéo. Joaquina Dorado, Soledad Estorach, Eriqueta Rovira et leurs camarades dans Au cœur du rêve, etc. Nous voyons ces personnages porter les armes et se battre dans plusieurs histoires, avec des cases où elles sont les seules personnages actifs : Lulia dans Double 727, les Insoumises28, la camarade de Verdad29, Aneschka dans Mattéo30, Diane dans Hindenburg31, Nicole et Jeanne dans Sept Athlètes32. Ce peut être une incarnation très féministe car une combattante en armes s’empare d’une fonction dévolue traditionnellement aux hommes dont les femmes sont exclues par des préjugés et des discriminations sexistes, la norme étant le non accès des femmes à la violence pour le maintien de l’ordre social patriarcal. Laisser les femmes accéder à la violence (tirer avec un fusil, donc potentiellement tuer) c’est bouleverser la division des genres. Le pouvoir de violence est distribué de manière inégalitaire selon le genre pour préserver l’ordre de la domination sexuelle, celui qui a le monopole de la violence ayant le monopole du pouvoir.
Un personnage de femme combattante dans les années 1930 peut donc être un moyen de montrer une émancipation politique, en prenant une nouvelle place dans le soulèvement à travers la lutte armée, en revendiquant par l’action un statut à égalité avec les hommes. Les combattantes rompent ainsi la division habituelle du travail qui exclut les femmes des cercles de pouvoir, d’affrontements politiques et de décisions. Car dans une guerre, se battre c’est prendre un rôle actif et refuser une assignation à la prétendue passivité féminine. De plus, les personnages de 7 militantes permettent de montrer des femmes déterminées et courageuses à rebours des clichés sexistes de naturalisation de la faiblesse et de la futilité. Mais ce principe de représentation d’une émancipation féministe par les armes ne fonctionne comme discours féministe que s’il est accompagné dans le récit d’autres activités d’affranchissement de la domination masculine.
Fig. 2. La combattante Nicole à l’assaut d’un village dans Sept Athlètes
Fig. 3. Isabel s’affirme politiquement avec ses amies dans Jamais je n’aurai 20 ans
Pour faire des personnages de femmes combattantes des personnages politiques complexes, il ne faut pas seulement les montrer séduisantes, athlétiques et heureuses de tenir un fusil. Il faut, à notre sens, montrer qu’elles ont des discussions politiques, qu’elles construisent un discours argumenté. Il faut pouvoir les voir s’affirmer politiquement ailleurs que sur les champs de bataille, s’organiser entre femmes, militer, sans que leur autonomie soit déniée par le récit. Or ce type d’échanges et d’actions, même sous forme anecdotique, est beaucoup plus rare. Nous pouvons voir la combattante, personnage principal de Verdad, se construire et s’affirmer politiquement tout au long du livre, avec par exemple des discussions animées33. Ruben Uceda, en mettant en images des récits de femmes engagées, montre les multiples facettes de l’engagement féministe34. Jaime Martín montre également l’affirmation dans la lutte du personnage d’Isabel, qui prend confiance en elle grâce à ses camarades femmes du syndicat CNT, apprenant notamment à poser seule un rapport de force avec les dominants35 et définissant ses attentes face aux propositions idéologiques de son groupe36. Mais Isabel ne prendra pas les armes. Dans la bataille, les combattantes armées sont rarement représentées agissants collectivement entre femmes, à leur initiative, avec une capacité à agir : Nicole et Jeanne ont un court passage d’action autonome dans l’attaque nocturne d’un village dans Sept Athlètes37 et Lulia intervient avec les Mujeres Libres pour mettre fin aux agressions machistes d’un groupe de soldats sur des bonnes sœurs dans Double 738. Mais dans la plupart des actions militaires que nous pouvons observer, les personnages de combattantes sont montrées comme prenant beaucoup moins d’initiatives que les hommes, voire n’en prenant pas du tout.
Une des manières de complexifier le récit dans sa dimension féministe peut être de montrer les personnages de femmes engagées faire face au sexisme sur le champ de bataille (Sept Athlètes39, Mattéo40, Chaînes41), dans les organisations politiques (Au cœur du rêve42, Double 743) ou dans la société en général (Double 744, Verdad45), et de voir la réponse qu’elles y apportent.
Fig. 4. Aneschka fait face au sexisme d’un camarade sur le front dans Mattéo
Si les actes sexistes sont bien présents d’une manière problématisée (il y a une confrontation et non pas seulement une affirmation), cela reste accessoire, voire négligeable, dans certains récits, notamment sur la question de l’exclusion des femmes du front en 1937, qui est pourtant un sujet politique complexe. Leurs réponses sont souvent présentées comme des provocations humoristiques plus que la mise en scène d’une réponse féministe argumentée qui permettrait de faire passer un message. Certaines œuvres tentent néanmoins de montrer des dynamiques de sororité dans le récit, au sens d’une solidarité politique entre femmes, qui s’affranchit des normes sociales les poussant à se liguer contre elles-mêmes pour obtenir l’assentiment des hommes (Verdad46, Insoumises47, Double 748, Sept Athlètes49).
Fig. 5. Action collective entre femmes sur le front dans Insoumises
Nous les voyons ainsi se soutenir dans la lutte, avec une forme de tendresse encensée comme donneuse de force, et non pas comme monstration d’une prétendue faiblesse. La dimension politique de cette solidarité féminine prend une ampleur notable dans des moments clefs, comme lorsqu’une petite fille, voyant l’indépendance et l’autonomie de Verdad, se promet de lui ressembler adulte50 ou quand dans Chaînes les femmes prisonnières se retrouvent en cachette pour chanter et danser51. Mais sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, le corpus est très inégal dans l’édification de personnages féminins complexes. La question du couple et de la sexualité, un point crucial de l’émancipation féministe, est ainsi très rarement présentée de manière diverse et nuancée. Seuls deux ouvrages montrent leurs héroïnes politiser leur relation de couple et leur sexualité, notamment en s’opposant aux injonctions de leur partenaire masculins, Verdad52 et Au cœur du rêve53, et en mettant leurs propres désirs sur le devant de la scène. La plupart des autres personnages sont toujours étonnamment consentantes pour tomber amoureuses du héros en quelques cases. Une passivité qui n’est pas signe d’une caractérisation très complète ou aboutie lorsqu’il s’agit de représenter des femmes.
Donc, si montrer des femmes en armes est un motif récurrent de notre corpus, construire une narration de qualité pour accompagner cette idée d’illustration d’une émancipation féministe est beaucoup plus rare. Si nous avons sélectionné des extraits qui montrent une volonté nette de certains artistes de faire exister des personnages de femmes engagées et déterminées, peu d’ouvrages utilisant la figure de la combattante arrivent à en faire une protagoniste au caractère complexe avec une réflexion féministe critique accompagnant son combat. Si nous utilisons l’outil méthodologique appelé le test de Bechdel54, soit d’avoir au moins deux femmes nommées (nom/prénom) dans l’œuvre, que ces deux femmes parlent ensemble, et qu’elles parlent de quelque chose qui est sans rapport avec un homme, bien peu d’ouvrages montrant des combattantes le réussissent. Seuls Verdad, Au cœur du rêve et Insoumises proposent plusieurs personnages féminins caractérisés, acolytes voire antagonistes. Double 7 valide le test de justesse (une discussion de quatre cases entre Lulia et Ornella) et Sept Athlètes, malgré une scène (muette) de combat autonome avec Nicole et Jeanne, qui ne les fait jamais échanger des idées entre elles. Un constat se dessine alors : plusieurs personnages féminins de combattantes ne sont placées là que pour que les lecteurs s’en émerveillent, qu’ils les admirent physiquement, qu’ils les désirent.
Fig. 6. Verdad s’oppose aux injonctions de son conjoint et s’émancipe dans Verdad
Ces représentations utilisent le phénomène d’objectivation sexuelle du corps féminin pour fonctionner. Ces personnages sont là pour séduire le regardeur masculin. Ils peuvent, derrière l’apparence de femmes fortes, n’être simplement que des fantasmes masculins. Elles sont alors en premier lieu des love interest, des partenaires amoureux potentiels du héros, et ne sont là que pour lui faire vivre une histoire d’amour ou un moment érotique (un des deux rôles classiques assignés aux femmes dans la fiction avec celui de mère). C’est notamment le cas pour Aneschka55 et Amélie56 dans Mattéo, même si la situation change dans le tome suivant. Le traitement des histoires d’amour dans ce corpus peut être très imprégné des stéréotypes hollywoodiens pour certains plans de cases. Les scènes de baisers et de sexe dans Double 7 sont par exemple extrêmement mélodramatiques57. En deuxième lieu, nous retrouvons le personnage de la femme forte qu’on est fier de posséder en tant qu’homme. Une femme présentée comme si originale dans son statut (ici la combattante) qu’elle en devient femme trophée, femme d’exception, qui ne fait que renforcer les qualifications de l’homme aux yeux des autres mâles, s’il parvient à la séduire. Pour reprendre les mots de l’anthropologue Mélanie Gourarier, nous sommes ici dans la dynamique « séduire les femmes pour s’apprécier entre hommes »58. Le personnage de la femme forte peut être aussi une image à dimension érotique qui vise un lectorat exclusivement masculin et hétérosexuel. Le champ de la BD érotique est historiquement rempli de femmes fortes, cela n’en fait pas pour autant une littérature féministe59. Nous observons d’ailleurs que de nombreux dessinateurs du corpus ont des coups de crayons qui rappellent les codes de la BD érotique, notamment à Kim, TieKo, Miguel Francisco ou Rubén. Nous tenons à préciser que nous ne nous inscrivons pas dans une condamnation systématique de l’érotisme, qui serait, selon certains courants féministes, continuellement misogyne60. L’érotisme est un aspect clef de l’imagination humaine qui a le droit d’exister dans n’importe quelle œuvre, même lorsqu’elle met en scène un désir masculino-centré sur le corps des femmes. Il n’en reste pas moins signifiant sur le plan de la caractérisation des personnages féminins et il faut questionner comment il est fait et quelles informations il transmet. Il serait notamment illusoire de ne pas analyser sa dimension misogyne dans certaines œuvres, où les personnages féminins sont toujours réduits à leur corps, leur apparence, et au silence, quand les personnages masculins, eux, réfléchissent, évoluent et parlent. Dans notre corpus présentant des combattantes, il est clair que l’érotisme ne travaille que le corps des femmes, jamais celui des hommes. Ce sont les femmes combattantes, et uniquement elles, qui sont sexualisées. Ce sont elles qui sont représentées nues dans des positions suggestives, jamais les hommes (Double 761, Sept Athlètes62), et les gros plans sur leurs fesses ou leurs seins ne manquent pas (Insoumises63, Mattéo64) même en pleine scène de bataille (Sept Athlètes65, Hindenburg66). S’il n’est pas problématique en soit de sexualiser les femmes, n’est-il pas discutable de ne sexualiser que les femmes ? Surtout quand on veut représenter des femmes émancipées qui assument leurs désirs ? En ne sexualisant qu’elles, notamment lorsqu’il n’y a qu’un seul personnage féminin – qui ne parle jamais de politique mais qui tient un fusil –, n’est-il pas un peu réducteur de ne lui assigner que le rôle de se laisser séduire et la fonction de faire jouir les hommes ? De plus, la nudité des femmes doit-elle être uniquement érotique, quand celle des hommes peut-être banale ou humoristique ? Verdad seule est montrée nue sans être érotisée, ayant alors pleinement possession de son corps, notamment après avoir perdu un bras à la guerre67. Des tentatives de changements de ces codes sont à noter : dans Asylum, la jeune Marina fantasme sur un fessier d’homme dénudé68 ou une scène de sexe entre femmes dans Insoumises69.
Il s’agit aussi de questionner la manière dont sont dessinés les corps de femmes. Souvent, alors que les personnages masculins ont des traits précis, marqués, affirmés, qui les rendent reconnaissables immédiatement, les personnages féminins ont des visages similaires, des corps formatés, presque identiques : même leurs corps ne sont pas caractérisés et nous ne les discernons que par leurs coupes de cheveux. Les traits du visage sont toujours ceux d’une beauté symétrique et sibylline, la taille toujours fine, et fesses et seins profitent de courbes toujours généreuses. Encore une fois, cette disparité de traitement continue entre la qualité de caractérisation des personnages masculins et féminins est critiquable. La manière dont les artistes s’emparent ou non des canons de beauté de leur société relève leur liberté créatrice. Mais il est clair dans Mattéo, par exemple, qu’un homme peut être représenté comme un peu ingrat physiquement, mais politiquement complexe et toujours désirable, quand une femme sera surtout jolie, même quand elle tient un fusil.
Nous concluons cette partie sur un extrait du texte de Sophia McDougall, « Je déteste les personnages féminins forts »70, qui résume toute la complexité d’analyse de ces personnages :
Le personnage féminin fort s’accompagne d’une promesse paternaliste : elle constitue une anomalie. […] En termes narratifs, le pouvoir est bien plus important que la ‘force’. C’est lui qui détermine si un personnage fait vraiment partie de l’histoire ou n’en est qu’un accessoire. Et les personnages féminins n’ont presque jamais de pouvoir […] Elles sont toujours là pour être aimées, ou bien elles sont la fille du groupe de garçons, et elles sont toutes à peu près identiques. Elles se baladent à l’écran, bottent quelques culs pour montrer qu’on ne leur marche pas sur les pieds, balancent des vannes […] puis, avec cette discrétion toute féminine, elles se mettent gentiment à l’écart de l’axe narratif. […] Ce que je veux à la place d’un personnage féminin fort ? […] Je veux des tas de personnages féminins complexes qui peuvent être aussi bien forts que faibles, ou aucun des deux, parce qu’il existe des choses plus importantes que la force et la faiblesse. […] Et, à côté des héroïnes, je veux voir des femmes dans des rôles secondaires aussi variés que ceux des hommes : des acolytes, des mentors, des ressorts comiques, des rivales, des méchantes.
Les femmes sont souvent effacées de l’histoire des mouvements politiques car elles produisent des actions « de femmes » que la société dans son ensemble juge ensuite moins utiles que ce qu’ont accompli les hommes. Ces actes, dévalorisés par la hiérarchie des valeurs patriarcales, même dans les mouvements dits progressistes du XXe siècle, sont pourtant des actions essentielles et politiques, qui appartiennent au cadre matérialiste du travail reproductif. Ce dernier désigne des tâches qui permettent la reproduction de la force de travail : prise en charge des enfants, travail domestique (alimentation et hygiène), etc. Il vise à préserver, à prendre soin des autres. Ce travail reproductif traditionnellement assigné aux femmes dans les sociétés patriarcales est dévalorisé par les biais de jugement sexiste. Pourtant, il est essentiel au bon fonctionnement de la société. Une grille d’analyse féministe, définie conceptuellement comme éthique du « care »71 en anglais, éthique de la sollicitude en français, et plus largement le concept hispanophone de la « sostenibilidad de la vida »72, vise à revaloriser l’importance sociale de ce travail reproductif, et notamment à rendre centrale l’attention portée à autrui comme acte politique. Ainsi, la solidarité et l’entraide viennent prendre le dessus sur des qualités habituellement valorisées parce que jugées masculines, comme la compétition. En effet, prendre soin des autres, notamment de leurs besoins primaires et secondaires, c’est aussi faire en sorte que la communauté survive et donc, dans le cas qui nous intéresse, résiste. Les femmes du camp républicain qui ont continué à prendre soin des enfants, des hommes et des autres femmes dans les conditions matérielles de la guerre et de la dictature ont fait ainsi preuve d’un engagement contre le franquisme par des actes concrets de tous les jours, ont résisté sans armes. Pour reprendre les mots de la cinéaste Chantal Akerman, en situation de crise, les tâches d’alimentation et d’hygiène deviennent des « actes héroïques de la vie quotidienne »73.
Cette représentation des personnages féminins comme actrices du soin est un peu présente dans les œuvres montrant des combattantes, en introduisant notamment des questions de santé et de sollicitude sur le front : Jeanne qui insiste pour aller soigner les blessées dans Sept Athlètes74, Amélie qui soigne Mattéo et lui demande de prendre soin de lui75. Ou en montrant le rôle politique clef des infirmières militantes durant la guerre, comme dans le récit de Teresina Torrelles dans Au cœur du rêve76. Mais une autre partie de notre corpus se fait jour pour montrer d’autres personnages de femmes, résistant à l’arrière en prenant soin de la collectivité, et plus particulièrement des enfants pendant la guerre, dans l’exil ou sous la dictature. Elle n’a pas pour décor les champs de batailles et raconte donc d’autres histoires, tout aussi politiques, mais souvent dépouillées de tout idéalisme. C’est autre type de personnage, c’est celui de la mère qui se débat dans la misère et la guerre pour subvenir aux besoins de base de ses enfants et améliorer leur qualité de vie. Nous pouvons y inclure Lucía dans Les Temps mauvais de Carlos Giménez, qui lutte avec d’autres femmes dans Madrid assiégé et bombardé pour nourrir les enfants et les voisins77. C’est aussi Isabel, dans Jamais je n’aurai 20 ans, qui s’organise pour survivre sous la dictature et faire vivre sa famille, en faisant de la contrebande, en travaillant dur et en résistant à la pression accrue de l’Église catholique sur les femmes républicaines78. Ce sont aussi toutes les mères représentées dans l’exil, prenant soin des leurs quand il n’y a plus rien : c’est la Maria, dans Seule, qui doit s’occuper de sa petite fille Lola quand leur village d’Isona est bombardé, cachée avec les autres femmes et les autres enfants79, pendant que les hommes prennent les décisions sans les consulter.
Fig. 7. Maria prend soin de sa petite fille en fuyant le village dans Seule
C’est la mère de Dolorès, dans Dolorès de Bruno Loth80, qui essaye de la faire échapper à la famine et la mort pendant la retirada, tout comme celle de Marina, déterminée à emmener ses filles en France à pied, coûte que coûte dans Asylum81. Ou encore la mère de Wussi, qui doit s’exiler sans pouvoir emmener tous ses enfants dans Tante Wussi82. Ces femmes, qui portent la responsabilité de s’occuper des enfants lors de l’exil et qui font de leur mieux, apportant soin et tendresse malgré la douleur, apparaissent aussi dans Insoumises83. Elles peuplent une partie des illustrations du début de Mexique, el nombre del barco, lorsqu’elles doivent dire adieu aux enfants des familles républicaines qui fuient au Mexique84. Ces tâches particulières assignées aux femmes se retrouvent aussi dans la responsabilité d’assumer les grossesses et les naissances en temps de guerre. D’abord avec des soins médicaux assurés par des organismes politiques féministes, comme dans Au cœur du rêve, où des militantes ouvrent une maternité où sont dispensés des cours de santé et de sexualité85. Puis dans des conditions bien plus difficiles, voire dramatiques : une naissance dans un camp de réfugiés dans Asylum86, l’abandon de son bébé par une des sœurs isolées et précarisées dans Tante Wussi87 et une grossesse en prison dans Chaînes88.
Elles font aussi face au sexisme des hommes lorsqu’elles essayent de remplir ces tâches de soin et d’entraide que certains jugent inutiles, comme nous le voyons dans Asylum89. Ainsi que ne cesse de le rappeler le philosophe espagnol Paul B. Preciado90, il faut faire l’éloge des corps vulnérables, fragiles, opprimés mais qui luttent en faisant justement du constat de la fragilité collective la force de l’entraide. De même, pour la philosophe italienne Silvia Federici, c’est bien dans la sphère privée où se déroule le travail reproductif des femmes que les véritables changements de société se négocient et se propagent91. Mais si cette valorisation du travail des femmes dans la soutenabilité de la vie est essentielle pour montrer que la résistance ne se fait pas que par le fusil, cette tâche du soin peut aussi être une assignation plus ou moins sexiste des personnages aux rôles d’infirmières, où elle doivent aider les hommes par amour, avec une attention qu’ils ne leur rendront pas, comme Amélie dans Mattéo92. Dans l’iconographie de l’infirmière, nous retrouvons une dimension de femme protectrice, une figure de la mère dont le prétendu ‘instinct maternel’ se serait reporté sur le soldat blessé. Souvent montrée comme un ange gardien beau et lumineux, l’infirmière joue le rôle de la mère en prenant tendrement soin du soldat et celui de l’épouse, source de beauté et d’affection. La figure de l’infirmière est un symbole d’imbrication entre ces rôles d’épouse et de mère, le soldat blessé prenant la place de l’enfant qui a besoin de la figure féminine pour le soigner et le réconforter. Alors que l’infirmière pourrait être vue comme un personnage émancipateur puisqu’elle travaille, elle peut aussi être une représentation, comme la mère, de l’assignation de la femme à prendre soin des hommes. L’infirmière comme la mère sont souvent dans les récits de guerre des effigies du ‘care’ au service du masculin. Et si les récits n’offrent pas un caractère riche aux personnages d’épouse, elles passent aux yeux du lecteur pour des idiotes passives qui ne comprennent rien à la situation par absence totale de pensée critique, comme c’est le cas pour le personnage d’Ana dans Des Espaces vides93.
Fig. 8. La mère de Marina, déterminée à emmener ses filles en France dans Asylum
Les figures de la mère éplorée ou de l’épouse héroïque en font des victimes parfaites dans le récit hétéronormé classique. Ainsi, le personnage masculin principal a besoin d’un élément perturbateur pour avancer et que cet élément est souvent la mort d’une femme qu’il aime, au mépris de l’évolution de ce même personnage féminin. Ce type de mécanisme scénaristique, qui permet de faire avancer l'histoire du héros en blessant, violant ou tuant les personnages féminins est présent dans nombre de récits et la bande dessinée en fait partie94. Ici, nous le retrouvons par exemple avec le personnage d’Inés, fusillée enceinte dans Sept Athlètes95, mourant dans les bras de son ex-amant. Plus généralement, dans l’iconographie des conflits armés, les femmes représentent le parangon de la victime et cela pour plusieurs raisons. La première est une réalité historique, puisque que les femmes furent, lors de la Guerre Civile Espagnole, victimes à part entière du conflit. Il est donc logique que les artistes les représentent aussi comme telles. La seconde est que la mère ou l’épouse est une victime habituelle des récits de fiction car la souffrance de son personnage permet de créer une empathie rapide chez le lecteur. L’empathie collective autour de cette figure de femme qui souffre, présumée innocente et fragile, en fait un objet idéal d’illustration d’une rhétorique du pathos pour obtenir une adhésion morale ou matérielle à une cause. D’ailleurs la femme-victime est souvent une femme-mère dans l’iconographie. Le discours se porte là encore vers une dimension d’innocence bafouée par l’immoralité de l’ennemi et l’horreur de ses actes. Nous retrouvons plusieurs personnages de mères qui perdent leurs enfants (Asylum96, Insoumises97) ou de mères qui meurent, comme dans Dolorès98. La femme-victime se fait illustration de la violence des hommes et de leurs excès, sa « nature douce originelle » selon les imaginaires genrés ne pouvant qu’augmenter la gravité de l’acte qui la bafoue. Ces schèmes, bien qu’étant totalement le fruit de constructions sociales, restent encore très répandus de nos jours. Ainsi, utiliser constamment l’icône de la femme-victime c’est s’appuyer sur une figuration historique traditionnelle et moraliste de la victimisation. Les hommes n’ont-ils pas le droit, eux aussi, d’être des victimes ? C’est là la différence essentielle entre la représentation des victimes de guerre masculines ou féminines : les femmes sont montrées comme impuissantes, les hommes non. Or, préjuger de l’impuissance des femmes et de l’invulnérabilité des hommes, c’est baser son récit sur des référents sexistes.
La dimension de résistance active du travail reproductif pour rendre la vie soutenable n’a de sens que si cette tâche est politisée, questionnée et valorisée par la narration, et non pas présentée comme naturellement féminine. De même, ce n’est pas parce que ces tâches sont importantes et doivent être revalorisés politiquement, comme elles le sont dans Asylum, Jamais je n’aurai 20 ans ou même Les Temps mauvais, qu’il ne faut pas questionner cette division genrée du travail. C’est dans L’Aile brisée, la « suite » de L’Art de voler, que nous voyons le personnage de la sœur aînée remettre en question cette assignation aux tâches ménagères99. Mais ce n’est pas un personnage de femme engagée contre le franquisme.
Nous avons déjà parlé de certaines situations particulières que peuvent vivre les femmes dans une société patriarcale lorsqu’elles s’engagent en politique, comme le sexisme des camarades dans la lutte armée, ou tout simplement en vivant en temps de guerre – le soin apporté aux autres dans des conditions difficiles. Mais il y en a d’autres, conséquences directes de l’organisation patriarcale de la société, qui mettent les femmes dans des situations complexes, auxquelles ne sont pas confrontés les hommes en temps de guerre. Il est important d’analyser les récits de notre corpus pour voir si ces histoires-là sont racontées. Le viol, par exemple, n’est abordé que dans un seul ouvrage, Verdad, qui met en scène cette menace sans voyeurisme ni complaisance mais en apportant de la profondeur à son récit. Verdad, partie poser une bombe dans le camp nationaliste, se fait arrêter au dernier moment par un soldat franquiste qui tente de la violer100 et une lutte acharnée s’engage. Le fait que les hommes exercent du pouvoir sur les femmes à travers la violence sexuelle est un point important de la confrontation hommes-femmes dans le champ du politique. Nous voyons d’ailleurs que les gardiens franquistes utilisent cette violence sexuelle pour opprimer les prisonnières politiques dans Chaînes. Mais les femmes qui sont allées se battre dans les milices racontent elles aussi la violence cruelle du sexisme à travers les mots et les gestes. Pour montrer la réalité des femmes sur le front ou à l’arrière, il faudrait aussi oser montrer cela. Un viol est également représenté dans L’Aile brisée101, qui vient nourrir tout le discours du livre sur la domination masculine en Espagne sous la dictature, mais ce n’est pas aussi politique que dans Verdad. Le harcèlement sexuel, par exemple, n’est jamais abordé dans notre corpus. Ici, lorsqu’il y a de la drague entre militant.e.s, les femmes sont toujours consentantes. Il est intéressant de se demander pourquoi le harcèlement sexuel de la part des camarades n’existe pas dans ces fictions. Dans Chaînes, une des personnages s’est fait harceler sexuellement avant de militer et la politique l’a aidée à se libérer en tant que femme102. Sinon, c’est dans L’Art de voler qu’il faut aller pour voir traiter du harcèlement sexuel sous le franquisme103, mais là il n’est pas question de femmes militantes. Si le continuum des violences sexistes sont abordées avec finesse dans Au cœur du rêve ou Chaînes, les tentatives de violences sexuelles sur les militantes ne sont jamais évoquées ailleurs que dans Chaînes et Verdad. Tout comme la gestion des grossesses et des naissances dans des conditions difficiles, ces souffrances-là, souvent jugés trop intimes, pas assez politiques, sont rarement traitées. Pourtant, elles méritent d’être racontées, au même titre que le reste.
De la même manière, les querelles politiques entre féministes sont souvent mal traitées, avec un manque de finesse, ou tout simplement montrées comme des points d’intrigue inintéressants. Nous remarquons la question de la lutte pro ou anti-abolition de la prostitution dans Au cœur du rêve104, pour ou contre l’avortement dans Insoumises105, ou du rapport de force entre féminisme et lutte des classes chez certaines militantes dans Double 7106. Chaînes aborde l’opposition entre les militantes communistes et celles des autres groupes. Mais tout cela reste la plupart du temps très anecdotique. Tout comme le récit des répressions particulières contre les femmes durant le franquisme, abordé largement dans Chaînes, mais qui sinon souvent absent des histoires, à part une case sur les femmes tondues dans Des espaces vides107.
Fig. 9. La tonte, une des conséquences spécifiques qu’affrontent les femmes lors de la répression, dans Des espaces vides
Ainsi, nous pouvons envisager qu’il reste bien des histoires à raconter. Bien des personnages à créer. Nous ne sommes qu’au début de la représentation des femmes engagées contre le franquisme, voire de la représentation des femmes engagées dans l’histoire en général, dans la bande dessinée. Nous ne pouvons qu’espérer que les années qui viennent permettent de voir naître des personnages de femmes militantes, non pas uniquement combattantes sexys ou victimes intemporelles, mais personnages multiples, complexes, ambigus, nuancés, en un mot : politiques. Non pas des personnages féminins qui ne soient là que pour servir l’histoire des personnages masculins et faire évoluer leurs émotions, leur confiance en eux, leur courage… Non pas des personnages de femmes qui soient là pour mettre les hommes en valeur, sorte d’accessoires, ou d’épisode filler, pour faire avancer un récit d’hommes dont, au fond, elles ne font pas réellement partie. De grands fossés ont été franchis ces dernières années, avec une accélération de la création de personnages de femmes engagées contre le franquisme, nous ne pouvons qu’attendre que cette dynamique se poursuive. Pour reprendre les mots de Sophia McDougall, créer des personnages de femmes politiques, c’est créer des personnages qui possèdent la liberté de n’être rien d’autre qu’eux-mêmes, sans correspondre aux attentes des schémas narratifs historiquement genrés à la défaveur des personnages de femmes, qui ne représentent pas les nuances de la réalité. Il reste à raconter beaucoup d’histoires sur la guerre d’Espagne et la dictature franquiste, et les personnages de femmes y ont toute leurs place. En racontant par exemple le rôle des femmes au travail dans les usines, à peine abordé dans Double 7108 et sinon jamais montré, ou la résistance des exilé.e.s pendant la dictature, dépeinte dans une partie d’Asylum109, qui porte en elle le potentiel de nombreuses histoires pleines d’intensité. Nous pouvons observer dans notre corpus plusieurs personnages de femmes très âgées se remémorant ou racontant leurs histoires à elles (Asylum110, Tante Wussi111, Dolorès112). Ce qui veut dire que leurs mémoires en tant que femmes ayant vécu la guerre méritent d’être racontées aux yeux de certains artistes.
Fig. 10. La transmission des mémoires de femmes dans Tante Wussi
Ainsi, ces bandes dessinées participent bien à lutter contre l’effacement systémique du rôle des femmes dans les mémoires collectives. Alors que depuis quinze ans, en Espagne, les débats idéologiques, politiques, éthiques et moraux s’interrogent sur la pertinence d’un retour sur le passé, sur la mémoire et l’oubli, et sur la place du passé dans la formation des identités collectives et politiques113, la bande dessinée a un rôle à jouer dans ces transmissions des mémoires collectives et individuelles. Elle doit ainsi être consciente des questions particulières que pose la représentation des femmes engagées contre le franquisme, dans une société encore patriarcale où l’engagement politique des femmes dans l’histoire peut être facilement mis de côté ou traité de manière superficielle. Le bilan de notre recherche est paradoxal : si des ouvrages arrivent, ou du moins essayent, à mettre en scène des personnages féminins engagées politiquement, singuliers et intéressants, ce sont encore majoritairement les figures masculines qui incarnent le politique dans ces récits historiques. Certes, les femmes ne sont plus absentes de ces récits, mais elles n’en sont pas moins secondaires la plupart du temps. Alors oui, nous sommes encore loin d’une égalité de représentation avec les hommes, et non, les femmes n’incarnent pas encore pleinement le militantisme politique dans la fiction. Bien sûr, des dynamiques contradictoires peuvent être présentes dans la même bande dessinée, avec un personnage féminin qui se veut complexe mais finit dans les mêmes ressorts scénaristiques sexistes que dans beaucoup d’autres fictions. Si un personnage de femme est raconté comme interchangeable, passif, dénier dans son autonomie, ses sentiments et son intégrité, et que ces caractéristiques sont normalisées, voire naturalisées par l’intrigue, alors il faut se questionner sur l’instrumentalisation de ces personnages par leur créateur. Heureusement, de nos jours, de très beaux récits d’engagements politiques de femmes sont remarquables dans la bande dessinée contemporaine : réjouissons nous des belles années de création qui semblent se profiler.
[1] Pour qui douterait de la pertinence d’analyser les rapports sociaux entre les genres comme l’un des ressorts fondamentaux de la dynamique sociale, voir : Joan W. SCOTT, « Le genre : une catégorie utile de l’analyse historique », essai de 1986 réédité comme un chapitre de son ouvrage De l’utilité du genre, Paris, Fayard, 2012.
[2] Nous parlerons ici d’enjeux de mémoires et pas d’enjeux d’histoire, car les récits fictifs proposent une mémoire, mais ne font pas un travail d’histoire, même s’ils sont en soi des documents historiques mobilisables par d’autres prismes.
[3] Michelle PERROT, Les Femmes ou les silences de l’histoire, Paris, Flammarion, 1998.
[4] Christine DETREZ, Les Femmes peuvent-elles être de Grands Hommes ?, Paris, Belin, 2016.
[5] Bonnie SMITH, The Gender of History. Men, Women and Historical Practice, Cambridge, Harvard University Press, 2000.
[6] Nupur CHAUDHURI, Sherry KATZ et Mary Elisabeth PERRY (éd.), Contesting Archives. Finding Women in Sources, Urbana, University of Illinois Press, 2010.
[7]
Sur l’effacement des femmes de l’histoire, il est à noter que toutes les
disciplines sont concernées. Voir notamment Margaret W. ROSSITER, « L’effet
Matthieu Mathilda en sciences », Les Cahiers du CEDREF, 11,
2003, p. 21-39.
[8] Gayatri C. SPIVAK, Les Subalternes peuvent-elles parler ?, Paris, Éditions Amsterdam, 2009.
[9] Sur la théorie de l’“objectification” (ou “objectivation”) des femmes, voir notamment : Noémie RENARD, « L’objectivation sexuelle des femmes : un puissant outil du patriarcat - Introduction », blog Sexisme et Sciences humaines - Féminisme, août 2013. Pour un exemple concret, voir : Carlos GERBASE, « La femme sur les couvertures de la revue française Photo (1967-1990) : d’objet à sujet », Sociétés, 140 (2), 2018, p. 99-115.
[10] Nous ne chercherons pas ici à définir les enjeux de la différenciation de ces deux appellations, et utilisons tout le long l’expression bande dessinée.
[11] Sur ce point, voir notamment : Martha A. ACKELSBERG, Free Women of Spain: Anarchism and the Struggle for the Emancipation of Women, Indianapolis, Indiana University Press, 1991 ; Sylvie COIGNARD, Les Militantes du POUM, 1935-1980, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2015 ; Mary NASH, Rojas: las mujeres republicanas en la Guerra Civil, Barcelone, Taurus, 2016.
[12] Sur la très grande production d’images lors de la Guerre Civile Espagnole, voir notamment : Michel LEFEBVRE-PENA, Guerra gráfica. Photographes, artistes et écrivains en guerre, Paris, La Martinière, 2013, et François FONTAINE, La guerre d’Espagne. Un déluge de feu et d’images, Paris, Berg International, 2003.
[13] Lorena CANOTTIERE, Verdad, Nantes, Ici même, 2017, p. 93.
[14] Rubén UCEDA, Au cœur du rêve, été et automne 1936, Saint-Georges-d’Oléron, Éditions Libertaire, 2017, p. 94.
[15] Miguel FRANCISCO, Des Espaces vides, Paris, Delcourt, 2017, p. 126.
[16] P. COTHIAS (scénario), P. ORDAS et TIEKO (dessin), Hindenburg, tome 2 : L’Orgueil des lâches, Charnay-lès-Mâcon, Grand Angle, 2014, p. 15.
[17] Bruno LOTH, Dolorès, Saint-Avertin, La Boîte à bulles, 2016, p. 51.
[18] André JUILLARD (scénario) et YANN (dessin), Double 7, Paris, Dargaud, 2018, p. 53.
[19] Bertrand GALIC (scénario), KRIS (scénario) et David MORANCHO (dessin), Sept, tome 20 : Sept Athlètes, Paris, Delcourt, 2017, p. 16.
[20] Sur ce sujet, voir notre mémoire de M1 : « Faire fonctionner les icônes: la manipulation de la figure féminine dans les affiches de propagande de la Guerre Civile Espagnole, 1936-1939 », et celui de M2 :« L’Espagne de 1936 comme enjeu, modèle et idéal politique : imaginaires, créations et prises de position des gauches internationales, Europe et Amérique latine ».
[21] C’est le recensement gratuit le plus exhaustif que nous ayons trouvé, notamment car il est participatif et donc constamment enrichi par les internautes qui découvrent un nouvel ouvrage : « La Guerre d’Espagne dans la bande dessinée », liste créée par Pecosa en 2013.
[22] Sur cette question, voir notamment les textes en ligne du Collectif des créatrices de bandes dessinées contre le sexisme.
[23] M. FRANCISCO, op. cit., p. 126.
[24] B. LOTH, op. cit., p. 51.
[25] R. UCEDA, op. cit., p. 97-100.
[26] L. CANOTTIERE, op. cit., p. 5.
[27] A. JUILLARD et YANN, op. cit., p. 12-13.
[28] Javier COSNAVA (scénario) et Rubén DEL RINCÓN (dessin), Insoumises, Erstein, Éditions du Long Bec, 2016, p. 15-17.
[29] L. CANOTTIERE, op. cit., p. 8.
[30] Jean-Pierre GIBRAT, Mattéo : Quatrième époque, août-septembre 1936, Paris, Futuropolis, 2017, p. 44.
[31] P. COTHIAS, P. ORDAS et TIEKO, op. cit., p. 19.
[32] B. GALIC, KRIS et D. MORANCHO, op. cit., p. 24, 29, 58.
[33] L. CANOTTIERE, op. cit., p. 52.
[34] R. UCEDA, op. cit., p. 105, 107.
[35] J. MARTĺN, op. cit., p. 20.
[36] Ibid., p. 22.
[37] B. GALIC, KRIS et D. MORANCHO, op. cit., p. 38.
[38] A. JUILLARD et YANN, op. cit., p. 33-34.
[39] B. GALIC, KRIS et D. MORANCHO, op. cit., p. 21
[40] J.-P. GIBRAT, op. cit., p. 13, 37.
[41] Jorge GARCÍA (2005, scénario) et Fidel MARTÍNEZ (dessin), Chaînes, Paris, Rackham, 2007, p. 4.
[42] R. UCEDA, op. cit., p. 102.
[43] A. JUILLARD et YANN, op. cit., p. 64-65.
[44] Ibid., p. 30.
[45] L. CANOTTIERE, op. cit., p. 23.
[46] Ibid., p. 63.
[47] J. COSNAVA et R. DEL RINCÓN, op. cit., p. 20, 46.
[48] A. JUILLARD et YANN, op. cit., p. 55.
[49] B. GALIC, KRIS et D. MORANCHO, op. cit., p. 50.
[50] L. CANOTTIERE, op. cit., p. 111.
[51] J. GARCÍA et F. MARTÍNEZ, op. cit., p. 16.
[52] L. CANOTTIERE, op. cit., p. 126.
[53] R. UCEDA, op. cit., p. 108.
[54] Évidemment, ce test n’est pas rédhibitoire d’un point de vue du sexisme : il peut y avoir des œuvres sans personnages féminins qui ne sont pas sexistes, et des œuvres avec seulement des personnages féminins qui sont totalement misogynes. Ce test permet de questionner la sur-représentation des protagonistes masculins et/ou la sous-représentation de personnages féminins dans une œuvre de fiction.
[55] J.-P. GIBRAT, op. cit., p. 52.
[56] Ibid., p. 56.
[57] A. JUILLARD et YANN, op. cit., p. 43, 47.
[58] Mélanie GOURARIER, Alpha Mâle. Séduire les femmes pour s’apprécier entre hommes, Paris, Seuil, 2017.
[59] Pour un regard large porté à ce sujet, voir notamment : Henri FILIPPINI (1997), Encyclopédie de la bande dessinée érotique, Paris, La Musardine, 2011.
[60] Voir notamment le travail de l’anthropologue Agnès Giard dans ses nombreux articles sur ce sujet : « L’érotisme c’est du sexisme ? » (2012), « Être contre le sexisme, pas contre le sexe » (2019), « Haro sur les publicités ‘sexualisées’ » (2019), consultables en ligne sur son blog Les 400 culs.
[61] A. JUILLARD et YANN, op. cit., p. 47.
[62] B. GALIC, KRIS et D. MORANCHO, op. cit., p. 19.
[63] J. COSNAVA et R. DEL RINCÓN, op. cit., p. 53.
[64] J.-P. GIBRAT, op. cit., p. 53.
[65] B. GALIC, KRIS et D. MORANCHO, op. cit., p. 39.
[66] P. COTHIAS, P. ORDAS et TIEKO, op. cit., p. 22, 26, 30.
[67] L. CANOTTIERE, op. cit., p. 18, 89.
[68] Javier DE ISUSI, Asylum, Paris, Rackham, 2016, p. 51.
[69] J. COSNAVA et R. DEL RINCÓN, op. cit., p. 67-68.
[70] Sophia MCDOUGALL, « I Hate Strong Female Characters », NewStatesman, 15 août 2013.
[71] Voir notamment : Sandra LAUGIER, « Le care comme critique et comme féminisme », Travail, genre et sociétés, 26 (2), 2011, p. 183-188.
[72] Voir notamment : Amaia PÉREZ OROZCO, « La sostenibilidad de la vida en el centro... ¿y eso qué significa? », in J. ESCRIBANO et L. MORA (éd.), La ecología del trabajo: el trabajo que sostiene la vida, Albacete, Bomarzo, 2015, p. 71-100.
[73] Sandy FLITTERMAN-LEWIS, « Chantal Akerman », in Christine BARD (éd.), Dictionnaire des féministes, Paris, PUF, 2017, p. 14-16.
[74] B. GALIC, KRIS et D. MORANCHO, op. cit., p. 33.
[75] J.-P. GIBRAT, op. cit., p. 21.
[76] R. UCEDA, op. cit., p. 103.
[77] Carlos GIMÉNEZ, Les Temps mauvais, Madrid 1936-1939, Paris, Fluide Glacial, 2013, p. 113, 155, 140, 135.
[78] J. MARTÍN, op. cit., p. 69, 85, 94, 101, 112.
[79] Ricard EFA (dessin) et Denis LAPIÈRE (scénario), Seule, Paris, Futuropolis, 2018, p. 9, 12.
[80] B. LOTH, op. cit., p. 7.
[81] J. DE ISUSI, op. cit., p. 36.
[82] Tyto ALBA (dessin), et Katrin BACHER (scénario), Tante Wussi : histoire d’une famille entre deux guerres : Majorque 1936-Allemagne 1939, Paris, Steinkis Éditions, 2017, p. 42.
[83] J. COSNAVA et R. DEL RINCÓN, op. cit., p. 54.
[84] María José FERRADA (scénario) et Ana PENYAS (dessin), Mexique, el nombre del barco, Barcelone, Libros del Zorro Rojo, 2017, p. 2-4.
[85] R. UCEDA, op. cit., p. 104.
[86] J. DE ISUSI, op. cit., p. 50.
[87] T. ALBA et K. BACHER, op. cit., p. 69-70.
[88] J. GARCÍA et F. MARTÍNEZ, op. cit., p. 52.
[89] J. DE ISUSI, op. cit., p. 47-48.
[90] « La révolution qui vient place l’émancipation du corps vivant vulnérable au centre du processus de production et de reproduction politique » (Paul B. PRECIADO, « Nous étions sur le point de faire la révolution féministe… et puis le virus est arrivé », Bulb, 27 avril 2020).
[91] Silvia FEDERICI, Point zéro : propagation de la révolution. Salaire ménager, reproduction sociale, combat féministe, Paris, Éditions iXe, 2016.
[92] J.-P. GIBRAT, op. cit., p. 32.
[93] M. FRANCISCO, op. cit., p. 89.
[94] Un des concepts élaborés sur ce trope est le “syndrome de la femme dans le frigo”, qui s’intéresse particulièrement aux comics de super-héros américains.
[95] B. GALIC, KRIS et D. MORANCHO, op. cit., p. 62.
[96] J. DE ISUSI, op. cit., p. 35.
[97] J. COSNAVA et R. DEL RINCÓN, op. cit., p. 59-60.
[98] B. LOTH, op. cit., p. 16.
[99] Antonio ALTARRIBA (scénario) et KIM (dessin), L’Aile brisée, Paris, Denoël, 2016, p. 49.
[100] L. CANOTTIERE, op. cit., p. 71.
[101] A. ALTARRIBA et KIM, op. cit., p. 67-68.
[102] J. GARCÍA et F. MARTÍNEZ, op. cit., p. 2.
[103] Antonio ALTARRIBA (2009, scénario) et KIM (dessin), L’Art de voler, Paris, Denoël, 2011, p. 147.
[104] R. UCEDA, op. cit., p. 106.
[105] J. COSNAVA et R. DEL RINCÓN, op. cit., p. 75.
[106] A. JUILLARD et YANN, op. cit., p. 56.
[107] M. FRANCISCO, op. cit., p. 84. Sur les traitements judiciaires différenciées des femmes et leurs conséquences particulières en terme de punition, voir le livre de référence sur ce sujet de l’exposition «Présumées coupables, 14e-20e siècle », aux Archives Nationales en 2017 : Pierre FOURNIER et alii, Présumées coupables. Les procès faits aux femmes, Paris, L’Iconoclaste, 2016.
[108] A. JUILLARD et YANN, op. cit., p. 39.
[109] J. DE ISUSI, op. cit., p. 79.
[110] Ibid., p. 78, 81.
[111] T. ALBA et K. BACHER, op. cit., p. 9.
[112] B. LOTH, op. cit., p. 15.
[113] Aitzpea LEIZAOLA, « La mémoire de la Guerre Civile Espagnole : le poids du silence », Ethnologie française, 37 (3), 2007, p. 483-491.
Résumé
Cet article propose un exercice d’analyse d’œuvres à la croisée des enjeux de l’histoire des représentations et de l’histoire des femmes. Il questionne la représentation des femmes engagées contre le franquisme dans le roman graphique contemporain. Cela dans la double optique d’étudier si ces représentations participent ou s’opposent à l’effacement des femmes de la mémoire lorsqu’il s’agit de traiter de la lutte contre le franquisme, mais également d’analyser si les personnages de femmes peuvent, pour les créateurs et créatrices actuels, incarner le politique, dans les récits et les images, à égalité avec les hommes.
Resumen
Este artículo propone un ejercicio de análisis de novelas gráficas en la encrucijada de lo que está en juego en la historia de las representaciones y en la historia de las mujeres. Cuestiona la representación de las mujeres comprometidas contra el régimen de Franco en la novela gráfica contemporánea. Esto se hace desde la doble perspectiva de estudiar si estas representaciones participan o se oponen a que se borre de la memoria a las mujeres cuando se trata la lucha contra el régimen de Franco, pero también de analizar si los personajes femeninos pueden, para los creadores de hoy, encarnar la política, en narraciones e imágenes, en igualdad de condiciones con los hombres.
Les combattantes : illustration d’une émancipation féministe ou incarnation d’un fantasme masculin ?
Résister sans armes : la représentation de la sollicitude comme engagement opiniâtre
Flora LAFFORGUE
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
HiCSA (Histoire Culturelle et Sociale de l’Art)
ACKELSBERG, Martha A., Free Women of Spain: Anarchism and the Struggle for the Emancipation of Women, Indianapolis, Indiana University Press, 1991.
ALBA, Tyto (dessin) et BACHER, Katrin (scénario), Tante Wussi : histoire d’une famille entre deux guerres : Majorque 1936-Allemagne 1939, traduit de l’espagnol par Amaia Garmendia, Paris, Steinkis Éditions, 2017.
ALTARRIBA, Antonio (scénario) et KIM (dessin), L’Aile brisée, traduit de l’espagnol par Alexandra Carrasco, Paris, Denoël, 2016.
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