Établir un rapport entre Mélusine, figure éminemment et presque caricaturalement médiévale, et les figures mythologiques antiques peut paraître incongru. Pourtant – j’y reviens souvent avec mes étudiants, qui découvrent la période médiévale – en dépit de l’impression qu’en donnent les livres d’histoire ou d’histoire littéraire, le Moyen Âge n’est pas soudain apparu, sans lien avec la période qui l’a précédé, l’Antiquité. On peut certes concéder que les Grandes Invasions, notamment, ont constitué une véritable et longue période de rupture ou d’acculturation, mais il n’en demeure pas moins qu’on peut observer pendant la longue période médiévale différents souvenirs de l’Antiquité.
Dès l’abord, la figure de Mélusine, que l’on représente souvent près d’une source, d’une fontaine ou dans un grand bain, convoque dans l’imaginaire différentes figures d’ondines ou de nymphes, mais je tenterai de montrer qu’elle peut être rapprochée avec profit de figures plus précises et que son histoire rencontre ce qu’on sait de différents personnages issus de l’Antiquité. Pour ce faire, je rappellerai à grands traits l’histoire de la belle Dame de Lusignan telle que la rapportent deux grands écrivains de la fin du Moyen Âge, à la charnière entre le XIVe et le XVe siècles. Jean d’Arras, en 1392, puis Coudrette, entre 1401 et 1405, ont consacré deux romans à un personnage rapidement qualifié de « fée » que Jean d’Arras a, semble-t-il, le premier nommé Mélusine. Les deux romans reprennent à peu près la même matière : l’histoire de l’union entre cette créature surnaturelle et un être humain, et la descendance fameuse qui l’a suivie. Dans cette hiérogamie – mariage qu’on veut sacré entre des êtres de natures différentes – Laurence Harf-Lancner voit l’origine d’un schéma narratif récurrent qu’elle appelle du nom de l’héroïne « schéma mélusinien »1. Ce schéma comporte différents éléments constitutifs : une rencontre entre un mortel et un être surnaturel, la conclusion d’un pacte puis la transgression de ce pacte et la découverte d’un détail monstrueux ; en général, il présente également une ou des naissances destinées à perpétuer dans le monde des vivants le lignage de l’être surnaturel. Dans les Romans de Mélusine, la rencontre a lieu alors que Mélusine erre à travers le monde en quête d’un homme qui voudra bien l’épouser après que sa mère a prononcé une malédiction à son encontre, pour la punir d’avoir causé la mort de son père, en l’enfermant dans une montagne en punition d’avoir trahi sa mère. Le futur époux, Raymondin, est interpellé par la belle, en pleine forêt, alors qu’il est au désespoir après un accident de chasse au cours duquel il a mortellement blessé son oncle. Le jeune homme croit que son destin funeste est scellé, mais Mélusine non seulement lui offre une solution immédiate pour faire passer l’accident pour une blessure de sanglier, mais encore lui propose de l’épouser à condition qu’il ne cherche jamais à savoir ce qu’elle fait le samedi puisque, selon la malédiction prononcée par la propre mère de la jeune femme, ce jour-là, Mélusine devient mi-serpente et se baigne longuement à l’écart des hommes. Elle promet également fertilité et prospérité à son bien-aimé, qui accepte le pacte. Toutefois, selon le schéma traditionnel et sous l’influence néfaste d’un jaloux, Raymondin transgresse l’interdit : il épie la belle pendant son bain du samedi et découvre son apparence métamorphique animale. Pourtant, bien que la fée sache la trahison, l’union n’est pas immédiatement rompue car le couple est solidement implanté dans le tissu social de son temps : le couple a eu dix fils dont les aînés se sont déjà illustrés lors de croisades. Leurs terres sont vastes et la fée a magiquement érigé différentes bâtisses qui honorent le nom des Lusignan. Ce n’est donc qu’en différé que le schéma se vérifie, quand l’un des fils tumultueux, Geoffroy la Grande Dent, ainsi nommé en raison de l’immense dent qui sort de sa bouche à la façon d’une défense de sanglier, cause la mort de l’un de ses frères en mettant volontairement le feu à l’abbaye que ce dernier a rejointe, voulant entrer dans les ordres. En proie à l’horreur suscitée par ce crime, Raymondin dénonce en public ce geste en l’expliquant par le caractère monstrueux de son épouse. Devant cette condamnation manifeste, Mélusine prend son envol, sous la forme d’une dragonne, pour quitter à jamais le monde des hommes, non sans avoir adressé à son époux des mots d’amour et des recommandations, notamment le curieux désir que soit mis à mort l’un de ses derniers fils, baptisé Horrible. Pour répondre à la sidération de Raymondin qui n’a jamais connu d’elle qu’un grand dévouement maternel, elle explique son vœu par le danger que représente Horrible pour le devenir de la famille et de son domaine. L’enfant sera ainsi mis à mort pour préserver l’ensemble de la lignée des Lusignan de la menace qu’il représente.
Un grand nombre de commentateurs de l’histoire de Mélusine ont déjà montré que ce schéma se retrouve depuis bien longtemps dans la littérature et les mythes mondiaux. Même si le modèle de la « fée » semble très médiéval, il désigne avant tout des personnages dont le point commun est souvent une beauté extrême et des caractéristiques qui dépassent le cadre naturel ou rationnel. Outre sa capacité à se métamorphoser, qui aurait suffi à surprendre, Mélusine apparaît aussi douée de différentes aptitudes surnaturelles : elle bénéficie de connaissances inexplicables sur le passé et l’avenir, notamment de son époux, et elle s’avère être une bâtisseuse et une défricheuse, selon les mots de Jacques Le Goff et Emmanuel Leroy-Ladurie, dans un article célèbre sur la fée2, dont l’activité ne peut être assimilée à une œuvre humaine par son ampleur et sa rapidité. De fait, cette qualification féerique pose problème et Jean d’Arras n’hésite pas à exprimer ses réticences pour l’emploi du terme dès le début de son roman. Il conclut qu’il l’emploie, faute de mieux, mais sans savoir exactement ce qu’il recouvre, si ce n’est quelque chose de merveilleux et d’éblouissant, qui échappe à la compréhension humaine. De fait, je tâcherai de montrer ici que Mélusine fait écho à différentes figures anciennes et que son histoire présente des points communs avec celles d’êtres de l’Antiquité. Toutefois, ces convergences s’appuient avant tout sur les ambiguïtés de ces figures antiques et se logent dans l’espace précisément dessiné par les ambiguïtés de la belle Dame de Lusignan.
Le mot « fée » porte une signification incertaine : il est souvent associé au domaine de la littérature d’influence celtique, alors même qu’on a fréquemment vu dans les figures féeriques des avatars de créatures antiques, en mettant en avant une étymologie de « fée » qui dériverait du latin « fata ». Les fées présideraient ainsi à la destinée, et, en ce sens, elles ont souvent été perçues comme le souvenir des Parques antiques. De fait, comme les trois sœurs de l’Antiquité, Clotho, Lachésis et Atropos, les fées médiévales se présentent souvent par groupes de trois et ont une étrange familiarité avec la mort et la connaissance de l’avenir. Dans les Romans de Mélusine, la belle n’apparaît pas seule et elle est plusieurs fois flanquée de deux autres figures féminines. Mélusine a en effet deux sœurs : Mélior et Palestine, qui grandissent avec elle auprès de leur mère Présine, en Avalon, et ce sont peut-être elles qui apparaissent auprès de la fée lors de la rencontre avec Raymondin, à la fontaine de Soif, même si les textes restent allusifs à ce sujet. Mélusine préside à la destinée de Raymondin et de ses fils, mais également de l’ensemble du domaine et de la lignée des Lusignan. Elle distribue et retire la prospérité.
La proximité avec les Parques concerne non seulement Mélusine mais aussi un grand nombre de figures féeriques. En outre, la métamorphose de Mélusine en créature à queue de poisson, qui se baigne tous les samedis, en battant l’eau d’un large bassin de sa queue gigantesque, ainsi que l’insistance sur la beauté et la puissance de séduction de la belle, qui attire Raymondin en partie par sa voix, ne sont pas sans faire écho dans notre imaginaire actuel aux sirènes. De fait, même si les sirènes antiques se présentaient plutôt comme ailées, l’envol de la fée, lorsqu’elle quitte le monde, lui donne leur apparence, d’autant qu’au Moyen Âge les sirènes sont déjà devenues femmes-poissons. En outre, par-delà leur beauté fatale, les sirènes sont aussi, pour l’époque médiévale, des incarnations de la maternité, et on raconte différentes histoires de héros médiévaux allaités par des sirènes. Or, on sait la face maternelle et nourricière de Mélusine et on n’oublie pas que, même après avoir quitté le monde des hommes, les romans rapportent qu’elle revient allaiter ses deux plus jeunes fils. Dans l’iconographie, en outre, la sirène portant dans les bras une petite figure humaine peut faire référence à son caractère psychopompe, ce qui renvoie, concernant Mélusine, à sa nature féerique qui la place hors-temps, en sorte qu’elle accompagne les humains d’un monde à l’autre, par-delà les limites du temps d’une vie humaine.
Au-delà des convergences générales, il existe des figures antiques dont les liens semblent plus intenses avec la fée médiévale. La première que j’aborderai est celle d’Échidna dont la tête, le torse et les bras sont ceux d’une belle femme, mais qui pour le reste de son corps est un énorme et affreux serpent recouvert d’écailles aux couleurs changeantes. Scylla, souvent représentée avec des sirènes, présente un aspect proche. La mythologie la décrit comme une nymphe qui fut changée en monstre marin par Circé. Elle apparaît comme un être hybride, avec une poitrine de femme, un ventre de loup, et une queue de dauphin. Les termes de cette hybridité sont proches de celle de Mélusine, notamment par l’association d’une queue pisciforme et d’une poitrine féminine. En outre, pour Scylla comme pour Mélusine, la métamorphose est associée à une malédiction amoureuse. L’hybridité est aussi rupture entre soi et soi, puis, a fortiori, entre soi et l’autre, d’où une forme d’impossibilité de l’amour, qui s’exprime très simplement par le rejet du corps monstrueux par l’être aimé, comme une image de la difficulté à accepter l’altérité toujours radicale de l’autre dans l’amour. En outre, comme pour Mélusine, l’hybridité de Scylla est causée par une malédiction prononcée par un personnage féminin, doué de pouvoirs surnaturels : Présine, la mère de Mélusine, apparaît comme tout aussi magicienne et potentiellement malfaisante que Circé. Scylla et Mélusine s’inscrivent dans cette mesure dans un monde féminin très inquiétant et menaçant.
Circé, elle-même, présente des traits communs avec Mélusine. Elle est une femme- oiseau, comme cette Mélusine ailée qui quitte le monde des hommes. Circé est kirkos, c’est-à-dire faucon ou épervier, oiseaux qui sont familiers à l’époque médiévale et qu’on trouve dans la légende mélusinienne puisque Mélior, l’une des sœurs de Mélusine, est emprisonnée au Château de l’épervier et ne pourra être délivrée que par un homme capable de veiller l’oiseau pendant trois jours et trois nuits. En outre, même si elles ne l’affectent pas elle-même, comme c’est le cas pour Mélusine qui se transforme tous les samedis, Circé sait opérer des métamorphoses, comme avec Scylla, mais également comme avec les compagnons d’Ulysse qui deviennent des porcs. Là encore, le sanglier mélusinien, cochon sauvage, n’est guère loin !
Toujours dans l’entourage de Scylla, Lamia, qui passe parfois pour sa mère, présente des points communs avec Mélusine. Elle fut l’amante de Zeus et encourut la jalousie d’Héra, qui tua ses enfants et égara son esprit en empêchant ses paupières de pouvoir se fermer, afin qu’elle n’ait plus de repos. Cette malédiction rappelle l’histoire médiévale d’union entre une femme et un « chevalier-faé », dans le lai anonyme de Tydorel. L’enfant de cette union, Tydorel, ne peut fermer les paupières et est ainsi privé de sommeil. Il y aurait donc un lien entre le mariage sacré unissant des êtres de deux natures différentes et ce type de malédiction. Pour Lamia, devenue folle, elle prend une apparence monstrueuse : elle aussi a un buste de femme et un corps de serpent. Elle se terre en outre dans une caverne, ce qui n’est pas sans rappeler le puissant imaginaire chtonien lié à Mélusine : Mélusine enferme son père dans une montagne, elle apparaît près d’une source qui coule à côté d’un rocher de taille impressionnante, et son fils Geoffrey devra poursuivre un géant dans les entrailles de la terre pour accéder à l’histoire de sa mère, représentée sur une fresque souterraine. Enfin, par jalousie envers les autres mères, Lamia sort parfois pour dévorer un jeune enfant. Or cette figure d’ogresse, en apparence éloignée de la figure maternelle de Mélusine, n’est plus si loin quand, au moment de quitter le monde, la fée demande qu’on mette à mort son fils Horrible et qu’elle en donne le moyen précis : Horrible sera étouffé dans une cave par des gaz produits par un incendie.
Ainsi, l’apparence de la belle et son histoire viennent croiser celles de différentes figures antiques. L’impression d’une ascendance mythologique antique de cette fée, qui ne semble pas issue d’un pur folklore celtique comme d’autres fées médiévales, est également renforcée par la proximité d’autres signes convergents. Ainsi, les fils de la fée ont souvent été rapprochés de géants et, plus encore, de cyclopes en raison des différentes tares physiques dont ils souffrent et dont la récurrence oculaire a marqué les esprits. Telle Échidna, Mélusine a des descendants qui n’ont parfois qu’un œil, comme son fils Renaud, mais, plus généralement, ce sont toutes sortes de difformités oculaires qui frappent les fils de la fée : Urien a un œil rouge et d’imposantes oreilles, Guy a un œil plus haut que l’autre, et Horrible trois yeux dont l’un au milieu du front. Outre une apparence proche de celle des cyclopes, les fils de Mélusine partagent avec eux la force et le pouvoir, et le fait de faire partie d’une lignée de bâtisseurs.
La proximité avec d’autres figures antiques s’opère non plus au niveau de l’apparence, mais essentiellement autour de motifs ou de mythèmes communs entre leurs histoires et celle de la fée. C’est dans ce sens, par exemple, que certains commentateurs ont rapproché l’histoire de Mélusine et Raymondin de celle d’Orphée et Eurydice, en mettant en avant qu’il s’agissait de deux histoires d’amour extrême, par-delà la mort, qui imposaient aux amoureux une séparation brutale suivie du désespoir de l’amant. Mélusine a encore pu être rapprochée d’une Gorgone, en particulier de Méduse. On dit que sa tête était entourée de serpents, qu’elle avait de grosses défenses pareilles à celles de sangliers et des mains de bronze, autant d’animaux auxquels fait référence la légende mélusinienne. Des ailes d’or devaient lui permettre de voler, comme des ailes apparaissent pour Mélusine quand il s’agit de quitter le monde, en sautant d’une fenêtre de son palais. Comme Mélusine et ses sœurs, les Gorgones sont trois : toutefois, au rebours des filles de Présine qui rivalisent de beauté, les Gorgones sont tour à tour connues pour leur beauté ou pour leur laideur. On dit parfois qu’elles n’ont qu’un œil et qu’elles figent par leur regard. On retrouve là l’importance cruciale de la question scopique dans la légende mélusinienne, comme en atteste le fait que la scène de transgression du pacte amoureux par le regard soit au centre du plus grand nombre de programmes iconographiques pour l’illustration des romans médiévaux : pour Elinas, le père de Mélusine, il ne faut pas voir son épouse en couches ; pour Raymondin, l’époux de la fée, il ne faut pas voir Mélusine le samedi. Les deux hommes transgressent l’interdit et perdent en conséquence non seulement leur bien-aimée, mais encore la prospérité qu’elle leur assurait. Comme en souvenir de ce tabou, différents fils de Mélusine souffrent de tares qui touchent leurs yeux.
Toutefois, il semble y avoir un noyau mythique qui a un rayonnement particulièrement fort, alors même qu’il n’apparaît que tardivement dans l’histoire de la belle. C’est le changement radical de la tonalité et de l’image maternelle, au moment où Mélusine quitte le monde des hommes et demande la mise à mort d’Horrible. Souvent, l’image de Mélusine omet cet épisode quelque peu gênant. Pourtant, il semble bien qu’il constitue une caractéristique rattachant l’histoire de la fée à des ancêtres nombreux et ambigus. Alors qu’elle a revêtu jusque-là les traits d’une mère aimante et douce, pardonnant même le geste criminel de son fils Geoffroy qui cause la mort de l’un de ses frères et de nombreux moines dans l’incendie volontaire d’une abbaye, Mélusine demande que l’on mette Horrible à mort, en expliquant qu’il représente un danger trop grand pour son propre lignage et pour le monde. Il semblerait que la présence de sa mère soit nécessaire pour contenir les puissances de chaos d’Horrible et qu’elle soit contrainte à l’éliminer puisqu’elle ne pourra plus être là pour protéger le monde du péril qu’il encourt par sa faute. Ce schéma qui s’appuie à la fois sur un parent infanticide et sur la réponse à une menace portée par l’enfant a effectivement de nombreux échos mythologiques parmi lesquels je retiens la référence à Chronos, proposée notamment par Philippe Walter3, qui rapproche également Chronos de Mélusine au sens où ils peuvent tous deux être considérés comme des mesureurs de temps. Mélusine cherche à ramener son existence au temps d’une vie humaine et elle annonce les limites du temps des Lusignan. Elle incarne la fin d’un monde pré-chrétien au profit d’un nouvel ordre au service des valeurs chrétiennes de la croisade, par exemple. Elle est la fée de l’essor économique médiéval, de l’expansion de l’urbanisme, défricheuse et bâtisseuse. Chronos est fils de Gaïa, la Terre, et d’Ouranos, le Ciel, tout comme la nature métamorphique de Mélusine l’associe à différents éléments, l’eau et l’air, en sus de son origine chtonienne. Comme Chronos est le roi des Titans, Mélusine est la reine-mère d’un lignage de trop grands chevaliers, proches des géants. À la vue de Geoffroy, ses adversaires croient effectivement voir un géant et, par deux fois, il est le seul chevalier de taille à se mesurer aux géants qui pillent et menacent le monde des hommes, Grimaut et Gardon. En outre, la mythologie rapporte parfois que l’homme serait apparu du temps de Chronos, ce qui rappelle combien Mélusine lutte pour changer de nature : elle semble vouloir faire advenir un nouvel être, abolir la fée pour devenir humaine.
En outre, le père de Chronos, Ouranos, emprisonne ses enfants, qu’il n’aime pas, dans les entrailles de leur mère Gaïa, tout comme la transgression d’Elinas, le père de Mélusine, cause l’exclusion de sa progéniture du monde des hommes et leur vie dans le domaine, souvent qualifié d’utérin, d’Avalon. Chronos s’en prend à son père qu’il émascule pour libérer ses frères et sœurs, tout comme Mélusine commet un parricide en enfermant son père dans une montagne, afin de le punir de la transgression du pacte qui l’unissait à Présine et de la peine causée à son épouse féerique. C’est Gaïa qui a permis le crime de son fils, en lui donnant l’arme avec laquelle il le commet : de même, c’est par la révélation maternelle que le crime de Mélusine est causé. Toutefois, les motifs ne font pas que se superposer : ils s’inversent ou se croisent puisque quand Chronos cherche à libérer ses frères des entrailles de la terre, Mélusine y enferme son père. On rapporte également que Chronos est le seul parmi ses frères et sœurs à avoir une apparence « normale », et à ne pas être un cyclope, ce qui rejoint l’imaginaire mélusinien de la tare ou de la difformité physique, tant pour la fée métamorphique que pour ses enfants aux différents stigmates rappelant souvent, nous l’avons vu, ceux des cyclopes, ou pour les deux derniers fils de Mélusine dont les romans médiévaux précisent qu’ils sont exempts de toute trace physique de leur ascendance. Chronos précipite d’ailleurs finalement les Cyclopes dans le Tartare. Dans l’histoire mélusinienne, il est également question d’une beauté qui transcende les tares physiques. Tous les fils sont présentés comme ayant une beauté extrême en dépit de leurs tares, jusqu’aux derniers fils, totalement parfaits physiquement. Progressivement, la part monstrueuse du lignage a été reléguée au monde de l’invisible, comme les Cyclopes oubliés dans le Tartare. Enfin, comme dans l’histoire mélusinienne, le geste parricide est suivi d’une malédiction du coupable : Ouranos annonce à Chronos qu’il sera à son tour détrôné par son propre fils. Mélusine, elle, n’est pas maudite par son père, mais par sa mère, ce qui associe définitivement la féminité à une part d’obscurité mais aussi de puissance. La malédiction la touche directement, mais ce n’est qu’indirectement qu’on retrouve le motif du fils menaçant ses parents, au moment de la révélation concernant le caractère terrible d’Horrible. Mais, de nouveau, le modèle est brouillé puisque si Mélusine demande la mort d’Horrible ce n’est pas pour se préserver elle-même, mais précisément au moment où elle s’apprête à quitter le monde des hommes. Chronos engloutit ses enfants jusqu’au sixième, Zeus, auquel sa mère substitue une pierre. Mélusine, elle, ne sauve pas l’enfant, mais au contraire demande sa mort.
On retrouve en partie ce schéma mythique dans l’histoire de Zeus, de nouveau : il n’hésite pas à engloutir sa première épouse, Métis, sur les conseils de Gaïa et Ouranos, car elle lui aurait donné un fils au cœur violent, qui serait devenu le roi des hommes et des dieux. Mélusine n’engloutit pas son époux, et sa présence terrestre protège le fils menaçant, dont elle protège également le monde. Toutefois, en décalant un peu les choses, un autre fils introduit le chaos et la violence en causant la mort de son frère : Geoffroy cause indirectement la rupture entre ses parents par son fratricide et l’engloutissement symbolique de sa mère par son père, lorsque ce dernier rend inévitable la rupture du pacte par le fait d’accuser publiquement son épouse d’être la cause du geste monstrueux du fils.
Dans la mythologie gréco-romaine, les aventures de Pélée et de Thétis comportent un schéma proche : Zeus et Poséidon qui souhaitent un enfant de Thétis renoncent quand ils apprennent que l’enfant serait plus puissant que son père. Les dieux décident alors de marier Thétis à un mortel, Pélée. Thétis conçoit un fils et, souhaitant le rendre immortel, elle le recouvre d’ambroisie, le jour, et le plonge dans les braises, la nuit. Quand il s’en aperçoit, Pélée s’oppose à ce rituel cruel, mais Thétis, heurtée par le manque de confiance de son époux, s’enfuit dans la mer. Les convergences avec l’histoire de Mélusine sont très indirectes mais intéressantes. Il est déjà question de la trop grande puissance du fils par rapport au père : dans l’histoire mélusinienne, Horrible constitue une menace à laquelle son père ne saurait faire face seul. La mère apparaît cruelle, ce qui n’est pas le cas pour Mélusine, sauf quand elle demande la mise à mort d’Horrible. Toutefois, les tares physiques des fils peuvent être conçues comme un malheur causé par leur mère et, surtout, on peut rapprocher le manque de confiance de Pélée avec la dénonciation par Raymondin de la nature monstrueuse de Mélusine.
Le conte d’« Amour et Psyché », figurant dans L’Âne d’or ou les Métamorphoses (IV-VI) d’Apulée (vers 180), se rapproche aussi de la légende mélusinienne, à la fois par le fait qu’il se situe à la frontière entre conte et mythe4, comme l’histoire de la fée, et parce qu’il narre les amours d’une mortelle et d’un dieu, scellées par un pacte. Psyché ne peut voir l’apparence de son époux qui la visite toutes les nuits. Les sœurs jalouses de la jeune mariée lui font croire que l’interdit s’explique par la monstruosité de l’époux, qu’elle devrait plutôt chercher à tuer. Psyché se laisse persuader, toutefois elle ne tue pas Amour car elle voit sa beauté extrême quand elle allume sa lampe pour commettre son forfait. Néanmoins, le serment est rompu et Amour disparaît. Différentes convergences apparaissent avec la légende mélusinienne. Il s’agit d’une hiérogamie, c’est-à-dire d’une union avec un être divin ou divinisé car, même si Mélusine n’est pas une déesse, elle partage l’immortalité des fées, lorsqu’elle rencontre Raymondin, et participe d’une autre nature que la nature humaine. L’union de Mélusine et Raymondin est également conditionnée par un pacte qui repose sur l’interdit de voir l’apparence véritable non pas du bien-aimé mais de la bien-aimée : Raymondin est ébloui par la beauté de Mélusine sous sa forme de femme, mais il ne doit pas voir l’apparence métamorphique de la fée quand le bas de son corps est celui d’une serpente, jusqu’au nombril. Dans les deux cas, la transgression repose sur un regard interdit, sur une image volée. Le pacte mélusinien est également transgressé en raison des propos d’un jaloux qui convainc Raymondin d’épier son épouse. Toutefois, ce n’est pas une beauté foudroyante que surprend Raymondin mais l’apparence monstrueuse de son épouse. Pour autant, Raymondin n’exprime aucune répugnance et, au contraire, se repent de sa transgression et craint de perdre la meilleure femme qui soit. On rejoint donc l’histoire d’Amour et Psyché car la transgression renforce l’amour de celui qui la commet. Enfin, même si cela se fait en deux temps dans l’histoire médiévale, la transgression de l’interdit conduit à la rupture des amants et à une disparition de l’être trahi dans un autre monde, inaccessible pour l’humain. Il est intéressant d’observer que, dans les deux cas, il est question d’un interdit portant sur la possibilité de poser le regard sur la beauté ou sur une beauté d’une autre nature, et sur l’acceptation du mystère que porte autrui.
Ce cheminement parmi quelques figures et quelques histoires de l’Antiquité montrent dans quelle mesure la figure mélusinienne, qui semble essentiellement médiévale, peut se comprendre dans un réseau de significations qui dépassent largement le seul cadre médiéval. Cela prouve, une fois encore, qu’il n’y a pas de rupture radicale entre l’Antiquité et le Moyen Âge, même quand on observe une des figures qui comporte beaucoup de caractéristiques irréductiblement médiévales : rencontre d’une créature féerique, christianisation d’un souvenir du paganisme, invention d’un ancêtre lignager totémique, brouillage du genre du récit rapportant l’aventure… Toutefois, si la critique ne considère que marginalement les ancêtres antiques de Mélusine, c’est qu’il est très malaisé de dessiner une filiation avec certitude tant on ignore beaucoup de la lecture et du simple accès du Moyen Âge à une grande partie des sources antiques. Pour les figures et histoires que nous avons rencontrées, nous avons quelques indications : Ovide, qui parle de Scylla, de Circé ou des Gorgones, était connu au moins depuis le XIIe siècle, et on lit Apulée au XIVe siècle. Pour autant, rien n’indique que Jean d’Arras ou Coudrette se soit directement inspiré de sources antiques.
De surcroît, ce qui empêche les commentateurs de pousser trop loin la question de l’inspiration médiévale est également l’ampleur des divergences et des inversions des hypothétiques sources antiques. J’en examinerai quelques-unes, en prenant à rebours certains des exemples de convergences observés précédemment, pour lesquels j’avais déjà mis en lumière quelques écarts. Dans le conte d’« Amour et Psyché », Psyché, repentante, va reconquérir son bien-aimé, qui, sensible à sa démarche, lui offrira l’immortalité et une éternité d’amour. Dans la légende mélusinienne, dans une certaine mesure, on trouve la même chose puisque la rupture du pacte est retardée par le fait que Raymondin se repente immédiatement de la transgression. Il faudra une seconde trahison pour que la rupture soit consommée. Dans un premier temps, on observe que Mélusine est sensible comme l’est Amour au repentir de son bien-aimé. Toutefois, il y a bien une seconde transgression et la rupture des amants qui, précisément, prive non plus celui qui a trahi, mais celui qui l’a été, du salut, soit, au XIVe siècle, de la seule forme véritable d’immortalité, puisque l’extrême longévité féerique n’est rien au regard du salut en Dieu, auquel aspire Mélusine et qu’elle estime ne pouvoir atteindre que dans le mariage avec un mortel et par une mort tout humaine. L’inversion du motif est complexe au sens où la privation du salut correspond à une privation de la mort : Mélusine est dans cette curieuse position des êtres du monde pré-chrétien qui n’aspirent qu’à offrir leur âme à Dieu, c’est-à-dire à mourir, ce qui est bien différent des héros de l’Antiquité.
En outre, une autre inversion majeure à laquelle nous avons déjà été sensible, et que présente la légende mélusinienne au regard du conte d’« Amour et Psyché », est l’inversion des rôles masculins et féminins : investir la femme d’une charge magique et inquiétante, en faire un avatar du serpent et la revêtir d’une beauté trompeuse ne surprend guère dans un contexte judéo-chrétien qui nous y a habitués, mais faire d’une femme l’ancêtre d’un lignage et de sa puissance est plus surprenant. Montrer une femme qui cherche à sauver son âme et un homme faible trop sensible au discours d’autrui est intéressant dans le contexte médiéval. Ce renversement des pôles du masculin et du féminin est encore sensible dans le rapprochement avec l’histoire de Chronos : dans le récit antique, c’est un fils qui s’en prend à son père, dans le récit médiéval, une fille. On pourra voir là encore une preuve de l’image inquiétante des femmes durant la période. Toutefois, il faudrait nuancer le propos car la légende mélusinienne est à la fois l’histoire d’une malédiction et d’une rédemption qui se cristalliseront particulièrement bien dans une figure féminine, incarnant la morale courtoise de rachat par l’amour et les vertus chrétiennes, dans un monde aux mœurs refondées autour de figures féminines. En ce qui concerne le rapprochement avec Chronos, il apparaît aussi que la place des personnages dans la fratrie a une influence : Chronos est le plus jeune et un mâle, tandis que Mélusine est, chez Jean d’Arras, l’aînée et de sexe féminin (chez Coudrette, elle est la plus jeune). Cette double nuance peut être comprise comme l’expression d’un contraste important de perspectives : Chronos met fin à un ordre du monde qu’il conteste, à un ordre ancien, Mélusine est à l’origine d’un lignage. L’un clôt un temps tandis que l’autre en ouvre un autre : le choix d’une héroïne engage le récit du côté de la fécondité et de l’avenir.
Enfin, la troisième grande raison qui a pu détourner les commentateurs d’un examen trop approfondi de l’inspiration antique des auteurs médiévaux est également la grande différence dans le statut des récits. Mélusine est d’abord l’héroïne d’un roman qui se présente comme historique, selon l’acception médiévale : il s’agit de remonter le temps pour inventer l’ancêtre d’un lignage et ainsi remotiver sa valeur. On le comprend, il ne s’agit pas d’Histoire au sens moderne, mais d’un appui du réel sur la légende ou sur le mythe. On hésite entre les deux termes tant la figure mélusinienne est ancrée dans un espace géographique et une époque précise. Cette coloration légendaire de son histoire est renforcée par la mention de preuves de l’existence de la fée dans le réel, depuis les bâtisses qu’elle a édifiées en Poitou jusqu’à l’empreinte de son pied laissé dans la pierre au moment de son envol, en passant par l’existence de ses nombreux descendants Lusignan. Pourtant, les convergences que nous avons mises en lumière rappellent surtout la nature mythologique, voire franchement mythique, de la belle de Lusignan. La filiation dont il a été question n’est pas objective ou linéaire, elle est davantage un avatar, la concentration de symboles ou d’archétypes, hérités de mythes plus que d’une mythologie précise. Mélusine rencontre des figures antiques au sens où elle pose les mêmes questions ou utilise les mêmes métaphores pour s’interroger sur l’amour, sur les rapports entre le féminin et le masculin, entre parents et enfants, ou sur Dieu et ses créatures, sur la mort et le devenir de l’âme, sur la contemplation de la beauté, sur l’interdit ou la transgression, l’union de l’âme et de l’amour divin, par exemple. On comprend que l’histoire de Mélusine fait toucher à des fondements mythiques et à des fantasmes très profonds, ce qui explique qu’elle puisse rencontrer différentes figures, notamment issues de l’Antiquité, et que, qui plus est, l’ambiguïté soit l’un des traits qu’elle partage avec ses différents prédécesseurs, tant la psyché comporte intrinsèquement différents degrés de paradoxes.
Ce qui nous retiendra encore un peu ici, dans le contexte d’études et de recherches littéraires, est la façon dont s’élabore cette catégorie spécifique du mythe qu’est le mythe littéraire. Il semble que Mélusine soit à la croisée du mythe comme invariant psychique et de l’histoire littéraire, c’est pourquoi il semble légitime de l’aborder sous l’angle de la mythologie comparée. Pourtant, il faut rappeler que la méthodologie même de la mythologie comparée pose de nombreuses questions et ne va pas de soi. Étudier l’histoire de Mélusine sous l’angle de la mythologie comparée a permis de mettre en lumière, non seulement les sources antiques que nous avons évoquées ici, mais aussi d’autres modèles, plus éloignés. Parmi les plus anciens, les premiers textes qui rapportent l’histoire d’une union entre un humain et un être surnaturel datent vraisemblablement des IVe-Ve siècles ; on peut évoquer ceux consacrés aux amours de Pururavas et de la nymphe Urvaçi, dans toute la poésie brahmanique : la nymphe, momentanément exilée du ciel, s’éprend de Pururavas qui le lui rend bien. Ils filent le parfait amour en respectant un pacte : Urvaçi doit garder deux agneaux qu’elle considérera comme ses enfants, auprès d’elle, et Pururavas ne doit pas la laisser le voir dans sa nudité. Mais les Gandharva, qui désirent qu’Urvaçi regagne le ciel, volent les deux agneaux et, tandis que Pururavas s’élance, en pleine nuit et nu, à la poursuite des ravisseurs, ils produisent un éclair qui conduit Urvaçi à briser le second aspect du pacte. La nymphe disparaît alors, au comble du désespoir. Toutefois, à la différence des aventures de Raymondin, Pururavas parvient, au prix de puissants efforts, à retrouver sa bien-aimée qui lui donne un fils, puis quatre autres pendant les quatre années qui suivent. Enfin, Pururavas obtient la grâce des Gandharva et est élevé jusqu’au royaume céleste où il vit dans la félicité avec Urvaçi. Toujours dans le domaine indien du Mahabharata, sans doute daté des VIIIe-IXe siècles avant J.-C., on peut considérer la relation du roi Santanu et de la déesse Ganga. Ayant revêtu l’apparence d’une jeune femme d’une beauté sans pareille, Ganga épouse le roi Santanu, à la condition qu’il ne la questionnera jamais sur ses actes. En effet, elle vient sur Terre afin de donner naissance à sept enfants qu’elle tuera en les noyant dans le fleuve, dès la naissance. En apparence, ce geste paraît bien curieux. En réalité, ces enfants sont autant de personnes célestes qui avaient subi une malédiction qui les condamnait à s’incarner. Afin de réaliser le présage, tout en en ménageant les victimes, Ganga vient sur terre et procrée. Le supplice des personnes divines ne dure pas longtemps. Après avoir été tuées par leur mère, elles sont retournées au ciel. Le roi garde le silence pour sept enfants, mais au moment où Ganga s’apprête à noyer le huitième, il ne peut s’empêcher de l’interroger sur ses actes. Elle lui explique qui elle est, mais le quitte immédiatement avec le dernier enfant, qu’elle rendra cependant à son père, lorsqu’il aura atteint l’adolescence.
Dans une autre tradition, la figure de Mélusine se rapproche également, par la menace qu’elle fait peser sur Horrible, du personnage de Lilith, forme de première Ève tentatrice. Car Lilith est une sorte de démon femelle nocturne, doté d’ailes et de longs cheveux, parfois femme-serpent ailé, qui met en péril les femmes en couches dont elle dévore les enfants. On voit que la métamorphose et la mise à mort de son fils pourraient faire de Mélusine une figure familière : Mélusine et Lilith partagent une forme de sacralité féminine primordiale, ainsi qu’un caractère profondément ambigu : à la fois aériennes et chtoniennes, dévoratrices et fécondes… Derrière Lilith, on a souvent considéré que se dessinait la silhouette d’Ishtar/Innana, la déesse du Moyen-Orient. Ishtar/Innana est une forme de déesse de l’amour qui revêt un aspect hermaphrodite, comme peut le faire Mélusine avec son corps métamorphosé dont la queue de serpent évoque pour certains commentateurs un phallus, faisant de la belle un être double. Ishtar/Innana est au centre de différents rituels rappelant le mariage sacré d’un dieu et d’un mortel.
Enfin, plus loin encore des traditions judéo-chrétiennes et de leurs ancêtres, on trouve des figures féminines qui rappellent la Belle de Lusignan comme Cihuacoatl, la femme serpent aztèque, déesse de la maternité et de la fertilité. Cela souligne combien la figure de Mélusine s’élabore à partir d’antécédents littéraires et culturels, mais surtout d’un imaginaire très universel, se cristallisant dans certaines images, autour de certains mythèmes. Il est impossible, dans l’état actuel des connaissances au moins, de suivre une filiation précise de ces figures et cette aporie salutaire ramène nécessairement le critique vers le travail d’analyse minutieuse de la figure. Cela engage la prise de conscience de l’épaisseur propre de la figure mélusinienne et du caractère irréductible de toute grande figure de la littérature. Identifier un intertexte, des ancêtres, des doubles ou des sœurs de Mélusine, attire l’attention vers ce qui, dans l’héroïne médiévale, les déborde ou les contrarie, vers la matière mystérieuse de la fée. Au plan de la recherche, cela souligne que le savoir, la culture doivent toujours dialoguer avec la pensée et la sensibilité.
[1] Laurence HARF-LANCNER, Les Fées au Moyen Âge, « Morgane et Mélusine, La naissance des fées », Paris, Champion, 1984, puis Le Monde des fées dans l’occident médiéval, Paris, Hachette littérature, « Vie quotidienne », 2003, passim.
[2] Jacques LE GOFF et Emmanuel LEROY-LADURIE, « Mélusine maternelle et défricheuse », Annales, 1971, p. 587-622, repris dans Pour un autre Moyen Âge, Paris, Gallimard, 1977, p. 307-331.
[3] Philippe WALTER, La Fée Mélusine, le serpent et l’oiseau, Paris, Imago, 2008, p. 46.
[4] Voir Véronique GÉLY, L’Invention d’un mythe : Psyché – Allégorie et fiction du siècle de Platon au temps de La Fontaine, Paris, H. Champion, 2006.
Résumé
La très médiévale Mélusine fait écho à différentes figures anciennes et son histoire présente des points communs avec celles d’êtres de l’Antiquité. Mais ces convergences s’appuient avant tout sur les ambiguïtés de ces figures antiques et se logent dans l’espace dessiné par les propres ambiguïtés de la fée. Certaines ressemblances s’appuient sur l’apparence (Parques, sirènes, Échidna, Scylla, Circé ou Lamia) ; d’autres concernent des motifs ou des mythèmes (les histoires de Chronos, de Pélée et Thétis ou d’Amour et Psyché). Toutefois, malgré les ressemblances, les romans de Mélusine sont en contradiction avec certains modèles antiques, notamment sur la répartition du masculin et du féminin, mais aussi concernant le statut du récit. La question fondamentale semble être celle de la définition du mythe, y compris littéraire.
Abstract
The deeply medieval Melusine echoes several ancient characters and her story seems connected with the ones of creatures of the Ancient world. Nevertheless, the feeling of convergence relies above all on the characters’ ambiguities and expresses itself in the very ambiguity of the fairy. Some similarities depend on appearances (the three fates, mermaids, Échidna, Scylla, Circe or Lamia) ; other ones concern parts of the story (Chronos, Peleas and Thetis or Eros and Psyche). But, in spite of the similarities, the melusinian novels contradict certain ancient models, in particular in the distribution between masculine and feminine roles, but also concerning the story’s perception. The core question seems to be the definition of myth, espicially of litterary myth.
Myriam WHITE-LE GOFF
Univ. Artois, EA 4028, Textes & Cultures, Arras, F-62000, France
GÉLY, Véronique, L’Invention d’un mythe : Psyché – Allégorie et fiction du siècle de Platon au temps de La Fontaine, Paris, H. Champion, 2006.
HARF-LANCNER, Laurence, Les Fées au Moyen Âge, « Morgane et Mélusine, La naissance des fées », Paris, Champion, 1984.
—, Le Monde des fées dans l’occident médiéval, Paris, Hachette littérature, « Vie quotidienne », 2003.
LE GOFF, Jacques et LEROY-LADURIE, Emmanuel, « Mélusine maternelle et défricheuse », Annales, 1971, p. 587-622 [repris dans Pour un autre Moyen Âge, Paris, Gallimard, 1977, p. 307-331].
WALTER, Philippe, La Fée Mélusine, le serpent et l’oiseau, Paris, Imago, 2008.