José Vicente Pascual est journaliste, et un auteur de romans historiques souvent primé1. Le personnage et narrateur de son roman est un esclave noir affranchi du duc de Sessa ; né vers 1518, il connaît une destinée hors-norme puisqu’il deviendra professeur de latin à l’université de Grenade, et un poète néo-latin reconnu par ses pairs. Avec talent, l’auteur réussit à donner une voix singulière au protagoniste et narrateur, qui se revendiquait poète « éthiopien ». Mais c’est aussi la lecture de deux ouvrages scientifiques récents (2016) sur Juan Latino qui a confirmé mon intérêt pour l’autobiographie romancée que Pascual propose au lecteur. Ces études s’inscrivent notamment dans le cadre des Black African Studies, et le roman qui leur est antérieur de 15 ans ouvre un certain nombre des questionnements qu’ils expriment.
À la croisée de l’histoire (micro et macro), de la fiction, du culturel, du poétique, ce roman historique de forme autobiographique déploie une riche intertextualité2. Il interroge le personnage en son contexte historique depuis le présent, comme le font les travaux scientifiques, historiques et philologiques, avec lesquels il résonne. Le choix de l’énonciation autobiographique (autodiégétique) permet à l’auteur de faire s’exprimer le poète Latino (dans un genre, le récit, et une langue, l’espagnol, qui ne sont pas ceux de ses productions) et accentue le caractère métalittéraire que peut avoir la biographie d’un écrivain3.
Je commencerai par indiquer les repères qu’offrent les sources sur le personnage, avant de le situer dans les travaux scientifiques de Martín Casares et Wright, pour étudier enfin le déploiement intertextuel qui donne au roman sa densité.
Voici, résumé brièvement, ce que les sources indiquent sur la vie de Juan de Sessa, dit « Juan Latino », et qui a servi de substrat au roman4.
Juan Latino (1518 ?-1599 ?) est un esclave noir, probablement né à Baena (peut-être amené, enfant, depuis l’Afrique, comme il l’indique lui-même). Propriété du duc de Sessa, il deviendra le compagnon d’études de l’héritier du titre (né en 1520) puis son secrétaire. Il est affranchi dans les années 1540 par son maître ; d’abord bachelier, il devient maître de latin et titulaire d’une chaire de latin/grammaire à l’université de Grenade ; il se marie avec une femme blanche de la haute société grenadine. Ses revenus propres, ajoutés à la somme que lui donne Sessa lors de son affranchissement, lui permettent d’être propriétaire de sa maison.
Il bénéficiera au long de sa vie de solides appuis, en la personne de Gonzalo Fernández de Córdoba, duc de Sessa, des archevêques Guerrero et Salvatierra, du très puissant président de la chancellerie et inquisiteur Pedro de Deza. Sur les documents officiels il signe : « Juan Latino, Magister Latinus ».
Poète néo-latin, il compose deux œuvres adressées à Philippe II : le chant épique Austrias Carmine ou Austriada (1573), à la gloire du héros de Lépante et de l’entreprise impériale de Philippe II, précédé d’une élégie au monarque. Puis, à la demande du président de la chancellerie Deza, il rédige le poème De translatione corporibus (publié en 1576), plaidant pour que les restes des Rois Catholiques demeurent à Grenade. Les deux œuvres ont obtenu une publication rapide, ce qui semble montrer les appuis en haut-lieu de l’auteur5.
C’est un modèle d’assimilation, mais aussi un cas unique : si, comme le signale Martín Casares, on trouve quelques Noirs, au Portugal, en Espagne, devenus chevaliers d’ordres militaro-religieux (et même de Saint-Jacques), il est le premier afro-européen (ou noir) qui écrivit en latin humaniste et le premier à occuper une fonction académique de ce niveau (Martín Casares, 124).
Pour ce qui est de sa présence dans l’historiographie, les sources (éléments autobiographiques, archives) sont abondantes au XVIe siècle. Très connu de ses contemporains, il est présent chez les auteurs du XVIIe siècle. Lope de Vega, au duc de Sessa, descendant du protecteur de Latino, se présente comme le « Juan Latino blanc », et se réfère assez fréquemment aux bénéfices que le poète reçut de son aïeul. Latino apparaît également dans La dama boba. Il est cité par Cervantès ; Jiménez de Enciso consacre une comedia à son histoire d’amour avec Ana Carloval (de Carvajal, dans le roman) en 1615, et Nicolás Antonio lui fait une place dans sa Bibliotheca Hispana Nova (Martín Casares, 17).
Il apparaît à nouveau chez les auteurs du XIXe siècle. Puis dans les années 1920 les archives le concernant sont étudiées par Marín Ocete. Au début du XXIe siècle, Aurelia Martín Casares exhume des sources inédites, notamment la confirmation de l’existence d’un portrait de Juan Latino, commandé par Philippe II pour la galerie des hommes illustres de l’Alcázar Real de Madrid, ou encore sur sa carrière universitaire (1546-1587), et rédige sa biographie.
À partir des années 1990 Juan Latino est présent dans les Black African Diaspora Studies6, mais dès les années 1920, le « père de l’historiographie noire », Arthur Schomburg, fait le voyage à Grenade depuis les États-Unis à la recherche de documents sur le personnage7.
La figure de Juan Latino a fait l’objet de deux publications en 2016 : l’ouvrage d’Elizabeth R. Wright, The Epic of Juan Latino: Dilemmas of Race and Religion in Renaissance Spain, et la biographie Juan Latino. Talento y destino. Un afroespañol en tiempos de Carlos V y Felipe II d’Aurelia Martín Casares.
Le second, écrit par une historienne anthropologue, publié à Grenade, met en évidence le caractère singulier du personnage, tout en le situant dans le contexte de l’esclavage noir africain en Espagne (domaine de spécialité de la chercheuse).
Celui de Wright, à partir de la biographie du personnage, de l’histoire de Grenade au cours du XVIe siècle, relit son épopée latine en vers à la gloire du vainqueur de Lépante et de la politique impériale du monarque à la lumière de l’histoire récente de Grenade et du soulèvement et de la répression des morisques. L’épopée est pour elle le plaidoyer pro domo d’un homme solidement installé dans la société mais qui ressent le sort réservé à la communauté morisque comme une menace pour son propre statut, en tout cas la fin de la Grenade qui a permis son ascension, ce qui le conduit à adopter certaines stratégies scripturales. Wright estime que la répression contre les morisques et la diaspora qui résultèrent du soulèvement des Alpujarras (1568-1571), qu’elle qualifie de « first state-run ethnic cleansing campaign » (Wright, 17) ont une résonance particulière dans l’œuvre de Latino et que la lecture qu’il donne de Lépante ne peut se comprendre pleinement qu’à la lumière de cette autre guerre, présente en sous-texte. Ce postulat est contesté dans une recension par Martín Casares, qui considère que Latino, parfaitement intégré, ne pouvait s’identifier aux morisques et à leur sort après le soulèvement8.
Plus globalement, dans un dialogue entre philologie et histoire, Wright expose sa conviction qu’en étudiant la vie de Juan Latino à Grenade, et en lisant son épopée à partir de son expérience vitale : « we can cast new light on the dilemmas of race and religion that shape Spain’s imperial expansion » (Wright, 12). Pour elle, l’ascension de Latino et l’histoire des morisques de Grenade se font écho.
Là où les deux autrices, Wright et Martín Casares, se rejoignent, c’est lorsqu’elles pointent chez Latino la revendication d’une singularité qui ajoute du prix à sa voix poétique. Dans le texte à Philippe II qui précède l’épopée, il se revendique comme Éthiopien, là où ses contemporains désignent les esclaves noirs comme « Guinéens », ce qui, bien que très approximatif géographiquement, correspond mieux aux côtes occidentales où les Portugais prenaient les esclaves.
Pour Martín Casares comme pour Wright, Aethiopia, sous la plume de Latino renvoie à Homère et Pline, mais aussi au rêve d’un royaume chrétien d’Afrique (et à la légende du prêtre Jean), un substrat qui fait de l’Éthiopien un chrétien authentique. Martín Casares estime que Latino s’est parfaitement identifié au système de valeurs de la société espagnole du moment, tout en se définissant constamment comme « chrétien éthiopien », ce qui lui permettait aussi de se distancier des morisques.
Wright prolonge l’interprétation de cette identité éthiopienne et chrétienne que se donne l’auteur (Wright, p. 87 et sqs). Dans le contexte de l’euphorie qui suivit Lépante, Juan Latino, le poète de l’Austriada, chante l’expansion à venir de l’empire hispanique vers l’Orient et cet autre nouveau monde qu’est aussi l’Afrique. Wright rappelle que dans le sillage de Lépante des conseillers du monarque considèrent la possibilité d’étendre l’Empire vers l’Est, reprendre Constantinople, Jérusalem. Dans le poème, la course de la Fama virgilienne part des côtes de Grèce vers l’Italie et l’Espagne, puis vers le Nil, l’Éthiopie, l’Arabie et l’Inde. L’Éthiopie est ici présente selon un imaginaire cartographique médiéval où l’Afrique subsaharienne est associée à l’Orient, et l’Éthiopie considérée comme faisant partie de l’Inde (Wright, p. 113 et sqs). Latino chante la conquête de nouvelles terres et sujets par Philippe II, mais parle aussi de la nécessaire bienveillance envers les populations noires. Il se réfère à l’idée d’universalité de la monarchie catholique (selon l’étymologie, katholikós c’est ce qui est général, universel), une universalité qui inclut (« inclusive ») (Wright, 109), des idées que l’on trouve, en faveur des Amérindiens, chez Las Casas.
Le roman de Pascual précède ces études d’une quinzaine d’années. L’auteur avait à disposition l’essentiel des documents relatifs au personnage, hormis quelques archives mises à jour par Martín Casares. Il anticipe un certain nombre des questionnements de Wright. Celle-ci ouvre son ouvrage sur la nécessité de relier la Grenade qui vit l’ascension de Latino au projet impérial de la couronne. Pascual ouvre son roman sur un bûcher inquisitorial finiséculaire (c’est le présent de l’écriture du roman, Juan Latino est alors très âgé) dans une Grenade étriquée et périphérique pour revenir ensuite, de façon récurrente, sur le rêve brisé d’une Grenade capitale impériale et « Christianopolis », rêve dans lequel s’inscrit le protagoniste, son amour pour les humanités et son attachement à une religion universelle et intégratrice.
Publié à la fin des années 90, le roman suit certaines des caractéristiques mises en avant par Isabelle Touton pour la période. Selon elle, les romans historiques de la fin de siècle portant sur le Siècle d’Or montrent un intérêt particulier pour l’intimité des grands personnages historiques ou des marginaux réhabilités (morisques, conversos, luthériens, sorcières) et pour la culture (littérature, peinture, architecture), aux dépens du politique9. La biographie romancée de José Vicente Pascual s’inscrit dans cette tendance, par le choix d’un personnage à l’intersection de diverses marginalités, et par l’importance de la poésie, dans le sujet et l’énonciation. Elle n’exclut cependant pas le politique, touchant à des questions reprises par les Post-Colonial Studies10.
On se trouve face à une autobiographie romancée de format classique, dont le protagoniste, à la fois intégré à l’élite intellectuelle et « oiseau rare » comme le qualifiait son protecteur le duc de Sessa, en raison de la conjonction de sa couleur, de son passé d’esclave, de son savoir et de son statut social, induit presque nécessairement un regard décentré, depuis la marge sociale et géographique (« Aethiopum terris venit ») de son origine, depuis une marge ethnique. Ajoutons que dans la Grenade finiséculaire et périphérique qui voit le protagoniste rédiger son autobiographie, son savoir et sa vision humanistes en font, encore une fois, un oiseau rare dans une société appauvrie, ignorante, essentiellement composée de vieux chrétiens parmi les plus indigents et les moins instruits (le narrateur insiste sur ce point).
Par le biais de l’énonciation autobiographique, l’auteur choisit de faire entendre la voix du personnage, celle, unique, d’un poète néo-latin venu d’Éthiopie, qui s’exprime dans la Grenade périphérique et timorée des années 1590, et fait revivre par une écriture mélancolique les années de gloire d’une cité qui s’ouvrait à un destin impérial et où il était possible qu’un affranchi noir devienne professeur d’université.
Le récit se présente comme une autobiographie confidentielle, que Juan Latino fait imprimer en un très petit nombre d’exemplaires destinés à ses proches, face à son autobiographie officielle, intitulée Aethiopum terris venit, autobiographie que le vrai Latino n’écrivit pas davantage, mais dont le titre est extrait de son poème à Philippe II.
La construction fait alterner présent de l’écriture, le protagoniste et narrateur est alors très âgé, et passé reconstruit chronologiquement (avec des flash forward). L’accroche, l’incipit, voit se télescoper la répression inquisitoriale (le bûcher) et un imaginaire du décentrement : « Hace dos semanas que los alguaciles de la Chancillería capturaron a una ninfa en los jardines sombríos de la Alhambra… » et dans la phrase suivante : « La ninfa ardió ayer, a 21 días del mes de enero del año del Señor de 1594 » (JL, 11)11.
Ce personnage de la nymphe reste en quelque sorte en suspension : s’agit-il d’une simple muette trouvée nue dans les jardins ? Elle s’exprime par des sons qui semblent un chant d’oiseau. S’agit-il d’une nymphe, ce qui en ferait le seul élément littéralement merveilleux de l’ouvrage ? Elle ouvre le fil conducteur ou réseau sémantique de la différence, qui apparaît dans la figure du noir, de l’esclave, du morisque, des persécutés par l’Inquisition, comme la nymphe et les sodomites (ou présumés tels, parce que la population est travaillée par des prêches enfiévrés et voit des sodomites partout, qu’elle s’empresse de dénoncer), ou encore de personnages habités par un projet qui les mène aux marges de la folie. La nymphe renvoie également au substrat pré-chrétien ou non-chrétien, et à ces êtres fantastiques dont on murmure qu’ils visitent Grenade, fantasme persistant dans une société crispée, et qui permet à l’auteur de revenir sur les changements opérés dans la ville redevenue chrétienne un siècle plus tôt, puis frappée par une guerre du pouvoir contre les morisques.
Deux épigraphes sont placées en tête de l’ouvrage : les vers de Cervantès « Pues al cielo no le plugo/que salieses tan ladino/como el negro Juan Latino », extraits du paratexte de la première partie de Don Quichotte et une citation d’un écrivain grenadin, Antonio Enrique, fondateur et théoricien du courant de la « Literatura de la diferencia », extraite de son roman historique sur Grenade12. Un réseau sémantique de la différence donc, qui ne se limite pas à la couleur noire du protagoniste, et l’indication également que Grenade est l’autre sujet du roman.
José Vicente Pascual reconstruit le parcours vital du personnage depuis la prime enfance. Il ne contredit pas les sources disponibles, mais prend quelques libertés avec la chronologie, à des fins d’efficacité poétique, et invente un certain nombre de personnages qui se confrontent au protagoniste et enrichissent le projet romanesque.
Pour l’enfance, étant donné le manque de sources, l’auteur prend littéralement ce qui n’est peut-être qu’une métaphore « Aethiopum terris venit », dans la présentation que Juan Latino fait de lui-même dans son élégie à Philippe II. Dans la version de Pascual, le personnage ne naît pas en Espagne, l’arrivée depuis l’ « Éthiopie », c’est-à-dire la côté africaine, étant poétiquement plus riche13. Puis il s’inspire de ce que l’on sait du parcours des esclaves noirs à partir de leur arrivée en Espagne. Il n’invente pas pour suppléer le manque de données biographiques ; il raconte au singulier ce qu’est la vie d’un jeune esclave amené d’Afrique, avec le parcours habituel, des côtes africaines à l’Algarve, puis Moguer, et Séville (JL, 42). Là, il dépeint le sort particulièrement dur dévolu aux Noirs, selon une hiérarchie des couleurs de l’esclavage qui allait des captifs de Turquie, aux métis, Nord-Africains puis Noirs (negros ou bozales), ceux de moindre valeur, qui étaient rapidement instruits dans des couvents éloignés des villes, puis vendus. C’est ainsi que Juan Latino, comme la plupart de ses congénères, dès qu’il a passé l’âge d’une instruction rudimentaire, est voué aux durs travaux des champs dans la propriété des Fernández de Córdoba, à Baena (JL, 39). Il a alors onze ans mais, repéré pour ses aptitudes à l’étude, il est choisi comme compagnon du jeune Gonzalo Fernández de Córdoba.
Comme un certain nombre d’esclaves, lorsqu’ils changent de lieu et de maître, il est baptisé à plusieurs reprises, cinq ! Le dernier baptême a lieu quand il entre au service de Gonzalo. On se méfie en effet de ces « hommes sans âme » (JL, 53).
Son amour du savoir, des lettres latines notamment, ne fait que se renforcer lors des deux années d’étude aux côtés de son maître, en même temps que se noue entre les deux enfants une sincère affection. Dans le roman, Gonzalo encourage Juan dans son goût pour l’étude et la poésie (qu’il ne partage pas), s’engage à le garder auprès de lui. Puis vient l’installation à Grenade, et le titre de bachelier.
À partir de ce moment, l’auteur peut s’appuyer sur des sources, parfois choisir de s’en distancier et « inventer », au service d’un projet littéraire. Ainsi, Pascual fait le choix de vieillir Latino et Sessa de quelques années afin qu’ils puissent côtoyer Charles V lors de son séjour à Grenade, ce qui permet l’incarnation de cet humanisme impérial que le narrateur regrette tant au soir de sa vie. L’anachronisme permet d’ancrer davantage l’œuvre de latinisation des élites grenadines à laquelle contribue le protagoniste dans le projet plus vaste de l’empereur.
Latino est souvent montré en interaction avec ses pairs, lettrés et poètes. Le roman est une ode à l’humanisme fécond des premières années du règne de Charles. Fidèle aux sources, le roman relate l’examen au terme duquel Latino obtient son diplôme de bachelier, et qui porte sur Mena, Villena, Santillana et les grammaires latines de Nebrija et Mártir de Anglería. Lucide, le narrateur indique que les éloges des examinateurs s’adressent davantage à son protecteur qu’à son propre talent.
Le personnage aspire à une position socialement privilégiée, à l’ombre protectrice de Sessa et de la noblesse grenadine, une aurea mediocritas consacrée à l’enseignement, à l’étude et à la poésie (JL, 108). L’amour viendra en plus. On voit Latino participer au cercle des lettrés et poètes de la Cuadra Dorada, tertulia des Granada-Venegas, prestigieuse famille issue de la dynastie nasride ; il y côtoie Barahona de Soto, Hurtado de Mendoza, Jean de la Croix. Et puis il évoque les cours particuliers avec les élèves des meilleures familles, son activité universitaire, les liens d’affection noués avec des disciples.
L’invention romanesque s’appuie sur la naissance de l’amour entre Latino et celle qui deviendra sa femme, qui occupe environ 30 pages, et sur une histoire de haine qu’il suscite chez un autre poète néo-latin, personnage fictif, où se mêlent racisme, jalousie, sur des décennies puis dans le maelstrom de la guerre contre les morisques.
L’amour, tout d’abord. Le personnage est initié aux plaisirs de la chair par une belle servante, un peu plus âgée que lui et désirante, alors qu’il a 25 ans. Cette circonstance puis la description de sa relation amoureuse avec celle qui deviendra sa femme, Ana de Carvajal, s’inscrivent contre des écrits sur le personnage qui font du mariage la conséquence d’un viol14. Leur amour naît et croît alors que Juan est chargé pendant plusieurs mois d’enseigner le latin, la poésie et la musique à Ana, que son père souhaite marier au riche descendant de la dynastie nasride, Hernando de Valor. Le sentiment amoureux est et demeurera, jusqu’au terme de leur vie, sublimé par un commun amour de la poésie, de la beauté, de la connaissance15. Il s’accompagne aussi, chez Ana, du renoncement éclairé à la vie mondaine de l’épouse d’un homme de pouvoir. Nulle violence : l’union n’est consommée qu’après le mariage, célébré grâce à l’intervention du duc de Sessa, fâché contre le père d’Ana, son administrateur, qui n’a pas daigné l’entretenir de son projet de mariage pour sa fille avec le morisque Valor et méprise Juan Latino, attaché à sa personne. Le « coup » est très bien préparé par l’esclave, qui a prévu l’arrogance du père et la fureur du duc. C’est à cette occasion que l’auteur met dans la bouche de Sessa l’expression « rara avis in terra », qui a trait à la sagesse et au savoir de Juan, à ses qualités d’obéissance et de pureté. Il situe à ce moment son émancipation, accompagnée d’un don de 6000 maravedis et de l’autorisation de se marier (JL, 141).
L’épisode met en évidence, outre la délicatesse de son amour associé à celui de la poésie et du beau, une qualité que le narrateur estime essentielle dans son ascension, la cautela : prudence, dissimulation. Il l’a apprise de son premier protecteur, un prêtre dépendant lui aussi de la faveur des puissants. Le narrateur la donne comme sa qualité première. Elle lui a permis de s’adonner à l’étude à l’ombre de ses protecteurs, qu’en bon courtisan et secrétaire il sait flatter s’il le faut. Il applique la méthode avec Sessa, l’archevêque, le président de la chancellerie, ou encore don Juan d’Autriche, qu’il est amené à côtoyer.
L’énonciation à la première personne offre un accès direct au paysage intérieur du personnage-narrateur, ainsi que les dialogues, avec Ana, amis fictionnels ou non, et personnages historiques. Les rencontres avec don Juan d’Autriche, comme auparavant avec Sessa (et comme dans le choix d’Ana, entre le politique Valor et le poétique Juan), mettent face à face l’homme de pouvoir et d’action et l’homme de lettres. Don Juan d’Autriche mène la lutte contre les morisques et, le soir, se plaît à convier Latino, curieux de son parcours, désireux de profiter de son savoir. Leurs discussions sont une incarnation du débat sur les armes et les lettres. Latino parle de l’application à l’étude, de l’enseignement fécond reçu de maîtres comme Vives, « los afanes de aprender e indagar el mundo », bref, de sa vie heureuse (JL, 194).
Outre l’interaction avec des personnages que le Latino historique côtoya, l’auteur crée des personnages fictifs, caractérisés par une démesure qui fait écho au siècle qui fut le leur. Dans la vie de Latino, le premier est García Biedma : prêtre attaché à la maison des Fernández de Córdoba à Baena, c’est lui qui présente Juan aux maîtres pour en faire le compagnon d’études de Gonzalo. C’est donc lui qui l’arrache au dur labeur de la terre et qui, tel l’aveugle avec Lazarillo, le dote d’un vade-mecum pour la vie, en lui conseillant pour grandir grâce à la faveur d’un maître la cautela, prudence, dissimulation, dont l’esclave comme le sage ne doit pas se départir. Juan réussit là où lui échoue : García Biedma, condamné à demeurer à Baena quand la famille du duc part à Grenade, meurt désespéré. En proie à la folie et au blasphème, il finit par se pendre.
Le prêtre Delavalle est le seul personnage que Latino désigne réellement du nom d’ami, même s’il entretient des liens d’affection avec Sessa, l’archevêque Salvatierra, Jean de la Croix, certains de ses élèves. Bonhomme, tolérant, cet ancien aventurier participa à une folle expédition de conquête des déserts de Libye ! (JL, 150-156). Sur le mode fictionnel et privé, il incarne la soif d’aventures qui caractérisait les Espagnols.
León Roque de Santiago, poète néo-latin comme le protagoniste, lui voue une haine solide. Les ingrédients en sont le racisme (il le traite de « mono amaestrado »), l’envie envers un poète mieux en vue, et le clientélisme. Le personnage est un proche de Hernando de Valor, à qui Ana de Carvajal préfère Juan Latino comme époux. La relation de haine entre Roque et Latino est, avec l’histoire d’amour, l’autre grand ingrédient romanesque du texte. Elle prend comme cadre la guerre des Alpujarras : Valor, représentant de la haute noblesse andalouse, est aussi celui qui, des années plus tard, rejoindra la rébellion des morisques sous le nom d’Aben Humeya. Bien que vieux chrétien, Roque restera proche de Valor durant la rébellion. Il profitera de l’extrême confusion de la période pour se venger et venger son protecteur en fomentant un complot pour atteindre Latino en la personne de son disciple préféré, lequel sera arrêté, torturé et brûlé pour tentative d’assassinat de l’aide de camp de don Juan d’Autriche (JL, 35). Des années plus tard, Roque, à l’agonie, et après des années d’absence, racontera à Juan Latino son curieux destin d’errance dans l’Est de l’Europe, au milieu de hordes sauvages (JL, 270-276).
Les trois personnages incarnent des destins singuliers, avec une part de folie, d’aventure, de désir de richesse ou de conquête (au moins d’une ascension sociale). Sans doute représentent-ils, tels un Lope de Aguirre immortalisé par le film de Werner Herzog, la démesure d’une époque16.
Comme cela est fréquent dans les romans sur le Siècle d’Or, la tension entre grandeur et crise est patente dans le roman de José Vicente Pascual17. Elle est palpable dans l’histoire locale, celle de Grenade, et se décline plus largement sur le mode impérialisme intégrateur /impérialisme excluant.
L’intégration, c’est la destinée de Latino, c’est aussi le rayonnement de membres de la famille nasride au sein de la haute aristocratie andalouse, comme les Granada Venegas ou Hernando de Valor.
Cet impérialisme intégrateur est associé à l’humanisme curieux, ouvert sur les textes classiques et le désir de savoir : la défense de l’humanisme est très présente dans le discours du narrateur. Elle fait figure d’anachronisme face au pouvoir central fermé, rétréci, et au statut présent de Grenade, devenue périphérique, brisée par la guerre, vidée de tout ce qui supposait richesse, échange, amour de la science.
Le roman offre une vision de Grenade sur un siècle, avec pour point de départ l’épopée du « Grand Capitaine », l’aïeul du protecteur de Latino. Pour des raisons poétiques, l’auteur procède à des arrangements avec la chronologie : il maintient en vie les parents de son protecteur, morts dans sa prime enfance. Sa grand-mère maternelle, la veuve du Grand Capitaine, Gonzalo Fernández de Córdoba, « veuve la plus respectée d’Espagne » est assez présente également dans le roman. Le prêtre qui l’assiste lors de son agonie demande au jeune esclave d’être présent toutes les nuits dans sa chambre pour éloigner le diable (elle se croit possédée). Cette importance donnée à la veuve et à la fille du Grand Capitaine permet de convoquer cette figure et de relier Latino et sa famille à l’entreprise des Rois Catholiques, à la reconquête et conquête en Europe et sur d’autres continents.
De même, on l’a dit, l’auteur prend des libertés avec l’âge du duc et de Latino lors du séjour de Charles V à Grenade, en 1526. Le duc avait six ans, le protagoniste deux de plus. Dans le roman, Latino est déjà secrétaire personnel du duc de Sessa, qui a un accès privilégié à l’empereur et participe du rêve impérial et du projet pour Grenade qui l’anime alors.
Entre le présent de la narration et la figure du Grand Capitaine c’est un siècle d’histoire de Grenade qui est mis en perspective, depuis les Rois Catholiques. Cette histoire mentionne notamment les travaux d’urbanisme, puisqu’il s’agit de remodeler la ville selon le pouvoir catholique, avec l’étape cruciale de la présence de Charles V et d’Isabelle (1626), leur séjour de six mois, qui entraîne la création de l’université, du collège de la cathédrale, de la Maison de la Doctrine dans l’Albaicin. L’empereur représente l’alliance des armes et des lettres, de la Bible, de la poésie classique latine et des arts. Et surtout, il y a ce projet, qui l’anima un temps : faire de Grenade une seconde Rome, la capitale de l’empire, la Christianopolis (JL, 81). L’autobiographie de Latino suit l’évolution de Grenade et de l’Espagne au cours de ce siècle, associant le règne de Charles au rayonnement humaniste et érasmiste, à une foi tolérante (sans taire la féroce répression contre les convers, comme la famille de l’exilé Vives, JL, 110-112) et à la poésie, puis celui de Philippe II à une bureaucratisation croissante de l’empire et l’obsession pour la foi (JL, 146). La Grenade dans laquelle le personnage écrit, à la toute fin du siècle, est une ville stérile peuplée d’aristocrates, de soldats, de prêtres et surtout de pauvres, tous incultes et apeurés : « antes pobres que herejes » (JL, 253). Il se souvient d’une ville multiculturelle, dynamique et tolérante, alors que dans le présent, il assiste, avec le lecteur, à une succession d’exécutions sur le bûcher. Le narrateur mentionne Alonso del Castillo, écrivain morisque, humaniste, très apprécié par l’archevêque Guerrero, mais pointé du doigt au moment de la rébellion en tant que propagateur d’idées hérétiques18.
Le soulèvement des morisques est un moment charnière, qui occupe environ 60 pages. Latino assiste à une réunion inquiète au début du mouvement, chez le duc de Sessa (JL, 170-179), et observe les dissensions déjà perceptibles entre Sessa et Mondéjar, qui sera plus tard désavoué et remplacé par don Juan d’Autriche. À l’occasion de cette rencontre, Latino écrit son orgueil d’avoir pu croître sous la protection de cet homme admirable, « por haberle servido y por ser yo … hoja de aquella rama ». Un voyage dans un village proche de Grenade dans les derniers jours du conflit est l’occasion de décrire les horreurs de la guerre (pendus, récit du curé du village, qui parle de ses ouailles, tous nouveaux chrétiens, qui ne se sont pas soulevés et vivent dans la terreur). Puis une entrevue de Latino avec l’un de ses protecteurs, le redoutable président de la chancellerie Juan de Deza, chantre de la répression anti-morisque, replace cette guerre dans le cadre plus vaste des périls qu’affronte la Monarchie Catholique, en Europe et ailleurs.
Le roman de Pascual anticipe l’un des vœux de Martín Casares : la couleur de Juan Latino est l’élément qui suscite l’étude du personnage, mais ne doit pas être le seul, ni même le plus marquant. Il se caractérise au moins autant par la liberté, la pensée critique, le défi social, le savoir19.
Martín Casares estime à environ 10% la population esclave dans les villes du Sud de l’Espagne, Nord-Africains et Noirs, essentiellement. Jusqu’à ce que ce leur soit interdit, en 1560, les morisques qui possédaient des esclaves portaient leur choix sur les Noirs. Elle parle de stigmate du Noir, car la couleur de la peau fait que même libérés ils sont assimilés à l’esclavage et demeurent pauvres, souvent mendiants, et pratiquent une « endogamie de couleur »20.
Dans le roman, on n’oublie jamais que Latino est noir, mais conformément au vœu de Martín Casares, la couleur n’occulte pas d’autres caractéristiques du personnage. Elle est présente dans le regard des autres : rejet haineux de León Roque de Santiago, insultes qu’il lui adresse ; curiosité plutôt bienveillante, comme celle de la cuisinière des Fernández de Córdoba. Pour le prêtre qui assiste María Manrique, veuve du Grand Capitaine, dans son agonie et requiert la présence du jeune Juan, sa couleur, sa piété, son savoir en font « un maravilloso portento, que manifiesta el poder de Dios » (JL, 99). Finalement, comme le dit Latino à don Juan d’Autriche, au cours de sa vie, il a plutôt rencontré la bienveillance et le respect de ses (dis)semblables. Son ami l’archevêque Salvatierra, autre cul-terreux mais blanc, sauvé par l’étude comme lui, comparait leurs deux parcours : « Mirad lo que pueden las letras que, a faltarnos estas, vos no saliéredes de una caballeriza ni yo del campo tras un arado » (JL, 248, attesté).
La fierté d’être noir, présente dans l’épopée Austriada, et bien étudiée par Martín Casares et Wright, apparaît dans le roman notamment lors d’une rencontre entre Latino et don Juan d’Autriche. L’œuvre du poète Latino résonne dans la bouche du personnage qui exprime l’orgueil d’appartenir à la race de la reine Candace d’Éthiopie, du Phénix, lui aussi éthiopien, fils du roi Agénor. Et puis c’est également la présence du noir dans la Bible (JL, 208-10). Autant de références à la sagesse, à la piété, au pouvoir noirs, antérieurs à la traite21. Latino se dit avec amertume, dans le contexte de la guerre, que s’il n’avait pas eu la chance d’être protégé par des puissants, sa couleur de peau l’aurait assimilé aux morisques.
Dans la Grenade impériale où le savoir humaniste est prisé, Latino est singulier par sa couleur, son origine ethnique et sociale, et aussi son savoir, mais grâce à lui il s’insère dans une élite intellectuelle, culturelle, poétique. Dans la Grenade où le règne de l’ignorance est devenu le garant de l’orthodoxie, son savoir se trouve dévalué et son talent l’isole. Il lui reste la satisfaction de considérer ses sept enfants encore vivants, de diverses couleurs, et leur descendance métissée :
[…] con otras mujeres y otros hombres que llevarán en su rostro y en la color de sus cabellos y piel la marca de todas las razas que por esta tierra de Dios han pululado durante siglos. Mestizos, descendientes de mulatos, mezcla y remezcla de altivos castellanos, sabios hebreos, valerosos moriscos y elegantes egipcianos […] y toda memoria y toda diferencia quedará disuelta como tímido reguero de canalón en las aguas obcecadas de la la lluvia […] Escribo para mí y para esa estirpe más afable e instruida, menos guerreadora y mucho menos fanática que ha de ocupar nuestra tierra dentro de mucho tiempo, cuando las ideas fraternales de respeto, civilización y amor al Altísimo […] sean una luminosa realidad (JL, 145).
Le personnage de Juan Latino, en raison d’un destin singulier, constitue un beau candidat à une biographie romancée. Un auteur hispano-américain l’eût traité en déconstruisant et en démythifiant le récit historique. Ce n’est pas ce que fait le roman de Pascual : dans une facture classique, il associe parcours individuel et destinée collective, faisant l’éloge de ce qu’on pourrait appeler l’impérialisme humaniste du jeune Charles V et déplorant la monarchie répressive et bureaucratique de Philippe II. L’auteur tire profit d’une tension chez son personnage et narrateur entre une sorte d’intersectionnalité de la marginalité (couleur, origine sociale, géographique) et une intégration à une élite intellectuelle et sociale. Cela lui permet de s’associer aux questionnements des Post-Colonial Studies, avec une attention particulière portée au sort des esclaves, mais aussi des morisques, au statut fragile. Le destin de Latino est mis en perspective dans l’histoire de Grenade, depuis l’enthousiasme conquérant des Rois Catholiques, le catholicisme intégrateur et universel de Charles jusqu’à l’affrontement avec les morisques et l’appauvrissement général.
La situation énonciative, où fusionnent la parole d’un poète néo-latin, conscient du prix que son origine « éthiopienne » donne à sa voix et à son chant, et celle de l’auteur, permet de rapprocher humanisme universel et multiculturel et inquiétudes du Post-Colonial. Cette voix poétique est pour beaucoup dans le sentiment d’étrangeté qui s’installe parfois, comme dans ce passage à propos des descendants mélancoliques de Daud aben Daud. Émissaire des morisques auprès des ottomans pour leur demander d’appuyer leur soulèvement, il est arrêté, s’évade, puis mourra affligé de mélancolie. Ses enfants seront « les hommes tristes », des marins andalous tournés vers la Berbérie, dans le rêve suspendu de voir les vaisseaux turcs22. Le réseau sémantique de la différence et de l’étrangeté parcourt le texte. Cette biographie romancée est un bel exemple de l’intertextualité qui préside au genre. Soucieuse des sources historiques, elle est « littéraire » par la place de l’invention fictionnelle et aussi, parfois, de l’étrangeté poétique. Elle s’associe aux questionnements du temps présent en résonnant avec les études culturelles et philologiques, dont elle anticipe des hypothèses.
[1] Première édition, Grenade, Comares, 1998, puis 2003, et 2007 (édition de référence). Le roman a connu une adaptation théâtrale : Juan Latino. Compañía de Tito Junco Martínez, Cuba-Argentina (2000/2004) (source : http://escritoresreconditosmistral.blogspot.com/2018/09/jose-vicente-pascual.html, consulté le 13.03.20). L’auteur, né en 1956 à Madrid, a vécu plusieurs décennies à Grenade. Il a publié depuis les années 70 des recueils de récits et des romans, historiques notamment, sur différentes époques, le Siècle d’Or, mais aussi la Pax Romana (La diosa de barro), il est auteur d’un texte qui traite du féminicide à Ciudad Juárez, Las vírgenes del desierto. Lauréat du prix Azorín, du prix Café Gijón, il a reçu le prix Hislibris pour La hermandad de la nieve, et en 2013, le prix Hispania du roman historique pour Almirante en tierra firme. En 2016, pour La isla de los lobos, le prix Valencia Alfons el Magnanim de Narrativa lui a été décerné, avec le commentaire suivant de Víctor del Árbol, membre du jury : « Con la imaginación de García Márquez y la prosa de Carpentier, JVP demuestra que quedan orillas por descubrir en literatura ».
[2] Voir l’ouvrage de François Dosse, qui montre la multidimensionnalité de la biographie, les tensions entre l’attention aux sources et la fiction, et la dimension herméneutique de la biographie contemporaine (F. DOSSE, Le pari biographique. Écrire une vie, Paris, La Découverte, 2011). Pour le roman historique espagnol, voir Isabelle Touton, « El Siglo de Oro bajo el prisma de la novela histórica contemporánea: aprensión e interpretación de una imagen », in Hanno Ehrlicher et Stefan Schreckenberg (dir.), El Siglo de Oro en la España contemporánea, Francfort, Madrid, Iberoamericana Vervuert, 2012, p. 195-212, qui préfère le terme d’hypertextualité (cf. p. 195).
[3] On ne peut pas parler de transposition du vécu de l’auteur dans la biographie du personnage raconté (voir Robert Dion et Frances fortier, Écrire l’écrivain. Formes contemporaines de la vie d’auteur, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2010, 194 p. [https://books-openedition-org.janus.biu.sorbonne.fr/pum/8484] sur la « biographie imaginaire », p. 19 et sqs.), mais l’énonciation permet à l’auteur de déployer un imaginaire poétique.
[4] Je suis la biographie d’Aurelia Martín Casares, Juan Latino. Talento y destino. Un afroespañol en tiempos de Carlos V y Felipe II, Grenade, Editorial Universitaria de Granada, 2016, 219 p.
[5] L’épopée a été éditée et traduite par José Antonio Sánchez Marín en 1981 (cf. Juan Latino, Austriada, [1573], trad. J. A. Sánchez Marín, Grenade, Universidad de Granada, Instituto de Historia del Derecho, 1981).
[6] Voir par exemple Jr Henry Gates Louis et Maria Wolff, « An Overview of Sources on the Life and Work of Juan Latino, the ‘Ethiopian Humanist’ », Research in African Literatures : The African Diaspora and Its Origins, vol. 29 (4), hiver 1998, p. 14-51. URL: http://links.jstor.org/sici?sici=00345210%28199824%2929%3A4%3C14%3AAOOSOT%3E2.0.CO%3B2-3.
[7] Cf. Elizabeth R. wright, The Epic of Juan Latino: Dilemmas of Race and Religion in Renaissance Spain, Toronto, University of Toronto Press, 2016, p. 181.
[8] Vid. A. MARTÍN CASARES, Review, « Elizabeth Wright: The Epic of Juan Latino: Dilemmas of Race and Religion in Renaissance Spain », Renaissance Quarterly, vol. 70 (issue 3), Fall 2017, p. 1210-1211.
[9] Voir I. TOUTON, « L’identité nationale espagnole au cœur de la reconstruction romanesque du Siècle d’Or (1980-2000) », in Rita Oliveri-Godet (dir.), Écriture et identités dans la nouvelle fiction romanesque, Rennes, Presses Universitaires, 2010, chap. 12 (édition numérisée). Elle note également une inflexion à partir de 1999 dans la production de romans historiques au sein de laquelle un certain nombre de parutions flirtent avec la biographie romancée.
[10] Étant donné le sujet choisi, on pouvait s’attendre à ce que l’ouvrage s’inscrive dans une perspective déconstructiviste, comme le fait le nouveau roman historique américain (qu’il soit anglophone ou hispanophone) qui utilise les sources pour faire exister des personnages marginaux, méconnus, ignorés par l’historiographie. Rien de post-moderne ou déconstructiviste dans ce texte, pas de métafiction, tous ces aspects étant caractéristiques du nouveau roman historique nord- et hispano-américain. Voir la synthèse de Jorge Osorio Vargas, « Novela Histórica y Extrañamiento: tensiones y pleitos entre la meta ficción y la historiografía », Crítica.cl, URL: https://critica.cl/literatura/novela-historica-y-extranamiento-tensiones-y-pleitos-entre-la-meta-ficcion-y-la-historiografia (consulté le 09.11.17).
[11] Les chiffres précédés de « JL » renvoient à la pagination du roman de Pascual.
[12] « Granada, al solsticio del siglo XVI, era una ciudad rasgada de Norte a Sur por Roma y Las Indias, y de Oriente a Poniente por Alemania y Arabia. Era pues un vértice que atraía hacia sí los eventos de la paz y de la guerra, del comercio y del arte, de la religión y la impostura », La armónica montaña [1985]. Il s’agit d’un roman historique, qualifié de « compleja obra simbólica y culturalista con vocación de novela total, que describe la historia de Granada y la vida del ser humano a través de un recorrido por la catedral de esa ciudad » par Ángel Prieto dans son Manual de literatura actual (Madrid, Castalia, 2011). Sur la « literatura de la diferencia », https://es.wikipedia.org/wiki/Literatura_de_la_diferencia (consulté le 15.04.2020)
[13] Cette hypothèse ne peut être exclue, selon Martín Casares, mais elle est peu probable. D’après la chercheuse les données statistiques montrent des taux de mortalité très élevés pour le voyage depuis l’Afrique. Par ailleurs, un bébé ou un jeune enfant n’avait pas de valeur marchande et supposait au contraire un coût. Elle cite des cas de nouveaux nés jetés par dessus bord (Cf. A. Martín Casares, Juan Latino. Talento y destino, p. 17).
[14] Notamment sous la plume d’Ambrosio de Salazar (voir E. R. Wright, op. cit., p. 180).
[15] Cette période qui précède leur mariage et s’étale sur les mois que dureront les cours, est décrite sur une trentaine de pages. On peut y lire les réflexions ou échanges suivants : « esa ventura recóndita, interior, sin forma ni territorio al igual que el paraíso, era el más sólido refugio que hombre alguno pudiese construir sobre los cimientos del corazón […] un lujo de poetas » (JL, 119), ou la déclaration d’Ana à Latino : « me descubres cada día la hermosura del mundo » (JL, 122). Dans le roman, Ana est la fille de l’administrateur de Sessa, ce que les sources ne montrent pas (Cf. A. Martín Casares).
[16] Werner Herzog, Aguirre ou la colère de Dieu [1972], film de la démesure s’il en est.
[17] Vid. I. Touton, « L’identité nationale espagnole au cœur de la reconstruction romanesque du Siècle d’Or (1980-2000) ».
[18] Voir la page qui lui est consacrée sur : http://www.cervantesvirtual.com/bib/portal/lmm/autor_alonso.shtml, consultée le 10.04.2018.
[19] Vid. A. Martín Casares, Juan Latino. Talento y destino, p. 22.
[20] Il existe, précise-t-elle, deux confréries noires à Grenade (qui, bien que pauvres, viennent en aide aux Noirs) ; les Noirs se marient entre Noirs, indépendamment de leur origine (Sénégal, Maroc, etc). La promotion sociale reste exceptionnelle (cf. A. MARTÍN CASARES, « Les Noirs libres et affranchis de Grenade », in T.F. Earle et K.J.P. Lowe, Les Africains noirs en Europe à la Renaissance, (trad. de : Black Africans in Renaissance Europe, Cambrigde University Press, 2005) Toulouse, MAT, 2010, p. 247-260).
[21] Voir E. R Wright, op. cit., p. 103.
[22] « Pero todos aseguran que dejó descendencia, y muy prolífica, y que por toda la costa de Granada y su antiguo reino vagan hoy seres lánguidos, penumbrosos, de mirada oscura y tez morena que se dedican a las faenas del mar con arcana devoción ; son gente de mar, dicen, siempre pensando en el mar y su cercano límite, siempre observando el mar como si cualquier día, por arte de quién sabe qué magia, fuese a aparecer sobre la línea de las olas el velamen desplegado de buques de berbería. Son los hijos y nietos de Daud aben Daud, y los llaman hombres tristes aunque ellos no parecen afligidos sino más bien soñadores. De día y de noche sueñan. Con el mar sueñan » (JL, 193).
Résumé
Cet article met en relation une autobiographie romancée et des études universitaires sur la vie et l’œuvre de Juan Latino, esclave noir affranchi, humaniste, professeur d’université et poète néo-latin dans la Grenade du XVIe siècle. Selon une intertextualité propre au roman historique, le texte associe sources et création littéraire ; imaginaire individuel et voix poétique avec le destin collectif. Il résonne avec les questionnements des études historiques et philologiques qu’il anticipe, notamment grâce au réseau sémantique de la différence et de l’étrangeté qui le parcourt.
Resumen
Este artículo relaciona una autobiografía novelada y estudios universitarios sobre la vida y la obra de Juan Latino, esclavo negro manumitido, humanista, catedrático de latín y autor de poesía latina en la Granada del siglo XVI. A partir de la intertextualidad propia de la novela histórica, el texto asocia fuentes documentales y creación literaria; imaginario individual y voz poética con el destino colectivo. Dialoga con los planteamientos de estudios historiográficos y filológicos, los precede incluso, en particular gracias a la red semántica de la diferencia y la extrañeza que lo recorre.
Juan Latino et la recherche. Les « Black African Studies »
La dense intertextualité de l’autobiographie romancée (ou la prescience du romanesque)
Usage des sources et imaginaire
Biographie et destinée collective
Christine MARGUET
Université de Paris 8, Laboratoire d’Études Romanes (EA 4385)
pascual, José Vicente, Juan Latino [1998], Grenade, Comares, 2007.
Dion, Robert et fortier, Frances, Écrire l’écrivain. Formes contemporaines de la vie d’auteur, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2010, 194 p. (https://books-openedition-org.janus.biu.sorbonne.fr/pum/8484)
dosse, François, Le pari biographique. Écrire une vie, Paris, La Découverte, 2011.
Gates Jr, Henry Louis et Wolff, Maria, « An Overview of Sources on the Life and Work of Juan Latino, the ‘Ethiopian Humanist’ », Research in African Literatures : The African Diaspora and Its Origins, vol. 29 (4), hiver 1998, p. 14-51. URL: http://links.jstor.org/sici?sici=00345210%28199824%2929%3A4%3C14%3AAOOSOT%3E2.0.CO%3B2-3.
latino, Juan, Austriada, [1573], trad. José Antonio Sánchez Marín, Grenade, Universidad de Granada, Instituto de Historia del Derecho, 1981.
martín casares, Aurelia, « Les Noirs libres et affranchis de Grenade », in T.F. Earle et K.J.P. Lowe, Les Africains noirs en Europe à la Renaissance, (trad. de : Black Africans in Renaissance Europe, Cambrigde University Press, 2005) Toulouse, MAT, 2010, p. 247-260.
— Juan Latino. Talento y destino. Un afroespañol en tiempos de Carlos V y Felipe II, Grenade, Editorial Universitaria de Granada, 2016, 219 p.
— Review, « Elizabeth Wright : The Epic of Juan Latino: Dilemmas of Race and Religion in Renaissance Spain », Renaissance Quarterly, vol. 70 (issue 3), Fall 2017, p. 1210-1211.
Osorio Vargas, Jorge, « Novela Histórica y Extrañamiento: tensiones y pleitos entre la meta ficción y la historiografía », Crítica.cl, https://critica.cl/literatura/novela-historica-y-extranamiento-tensiones-y-pleitos-entre-la-meta-ficcion-y-la-historiografia.
Prieto, Ángel, Manual de literatura actual, Madrid, Castalia, 2011.
touton, Isabelle, « L’identité nationale espagnole au cœur de la reconstruction romanesque du Siècle d’Or (1980-2000) », in Rita Oliveri-Godet (dir.), Écriture et identités dans la nouvelle fiction romanesque, Rennes, Presses Universitaires, 2010, chap. 12 (édition numérisée).
— « El Siglo de Oro bajo el prisma de la novela histórica contemporánea: aprensión e interpretación de una imagen », in Hanno Ehrlicher et Stefan Schreckenberg (dir.), El Siglo de Oro en la España contemporánea, Francfort, Madrid, Iberoamericana Vervuert, 2012, p. 195-212.
wright, Elizabeth R., The Epic of Juan Latino: Dilemmas of Race and Religion in Renaissance Spain, Toronto, University of Toronto Press, 2016.