Le genre biographique connaît ces dernières années une remarquable vitalité, dans la production littéraire comme dans la critique, ainsi qu’en témoignent pour ce dernier point l’écho toujours remarquable des travaux de François Dosse ou encore la diffusion large des études de Sabina Loriga ou d’Ann Jefferson consacrées aux liaisons dangereuses entre histoire et biographie1. Ce travail se propose d’examiner l’une des modalités de cette mode biographique, la biographie romancée, une forme qui voit le jour durant le XIXe siècle en réaction « aux pesanteurs de la biographie érudite »2. Nous pourrions dire qu’il s’agit, en ce qui concerne cette formule romanesque, de raconter la vie d’une personne ayant existé en utilisant les recours narratifs du roman. L’auteur choisit un personnage réel puis introduit à la fois des éléments avérés de sa vie et des événements, réflexions ou scènes qui sont le pur fruit de son imagination, à la manière d’un roman. Parfois désignée comme biographie fictionnelle, fiction biographique, biofiction ou encore faction3, il nous semble qu’elle peut être présentée aussi en suivant la définition donnée par le Grand Larousse, « la biographie est l’histoire écrite de la vie de quelqu’un » et celle de romancée, puisque le terme romancé définit d’après le Trésor de la langue française ce « qui emprunte la forme du roman, qui mêle à l'histoire vraie des éléments imaginés pour agrémenter la narration ».
Cette approche de la biographie romancée sera menée grâce à quelques éléments d’étude d’un riche ouvrage paru récemment, Lope. La furia del Fénix, publié en 2016 par Blas Malo4. Ce texte, prenant pour sujet la figure auctoriale majeure qu’est Lope de Vega, propose la reconstruction fictionnelle de sa vie ou plutôt d’une partie de son existence. Blas Malo, né en 1977 dans la province de Ciudad Real, a un profil que nous pourrions qualifier de plutôt atypique parmi les auteurs de fictions historiques puisqu’il s’agit d’un ingénieur des ponts et chaussés et non d’un historien ou d’un universitaire comme à l’accoutumé, ce qui pourrait témoigner, à notre sens et si besoin était, du large intérêt de la matière historique chez les auteurs non spécialistes d’une époque. Il est l’auteur de plusieurs revisitations fictionnelles du passé5 et durant quelques années, il fut également directeur des Jornadas de novela histórica de Grenade, manifestation dont il fut à l’initiative dès 2013. Comme nombre de ses écrits, Lope. La furia del Fénix est publié dans la collection histórica par la maison ediciones B, une référence en matière de roman historique. Il s’agit d’un ouvrage de 439 pages composé d’une dédicace de l’auteur à sa famille, du récit proprement dit, d’une note à l’attention du lecteur intitulée « Nota final. Lo que fue y lo que no fue » et d’une bibliographie, une structure qui laisse deviner l’alliage de fiction et de réalité.
Le récit, assumé par un narrateur omniscient anonyme, débute à Lisbonne en mai 1588, présentant Lope sur le point d’embarquer à bord de l’un des navires de la Armada Invencible. Puis à la faveur d’une analepse, ce sont les amours du poète et d’Elena Osorio qui sont racontées jusqu’à l’exil de l’écrivain et ses vies successives à Valence, Alba de Tormes, Tolède puis Séville et enfin Grenade, où se termine l’histoire à la date de juillet 1603. Si, à l’écran, le film Lope, un biopic réalisé par Andrucha Waddington en 2010 se concentrait sur les années de jeunesse du dramaturge, de 1585 – date de sa possible participation à la campagne des Azores – à 15886, ce sont à présent les années 1590-1605, pour lesquelles la documentation historique sur la vie du grand écrivain est sans doute la plus importante, qui sont traitées par la fiction écrite.
Ces moments sont profondément marqués par les tumultes amoureux et par quatre femmes, Elena Osorio, Isabel de Urbina, Micaela de Luján et Juana de Guardo, qui bouleversèrent la vie de Lope et laissèrent leur empreinte dans ses œuvres au point que l’on parle aujourd’hui du cycle de Filis, de celui de Belisa, de Camila Lucinda pour les trois premières ainsi que les détaillent les principales biographies du dramaturge7. Ce sont également, et surtout, des années intenses au niveau littéraire car le Fénix produit un grand nombre de comedias et défend sa conception d’un théâtre nouveau au cours d’une période allant jusque 1605 environ que Felipe Pedraza, grand biographe de l’auteur, a pu désigner comme « etapa de conformación de la comedia »8. Plus précisément, nous nous permettrons de rappeler ici que Lope maintient, à partir des années 1580, une relation avec la comédienne Elena Osorio, fille de Jerónimo Velázquez, autor de comedia, qui se termine par l’emprisonnement et la condamnation de l’écrivain, accusé d’avoir rédigé des pamphlets infamants contre la famille de sa maîtresse (1587). Et ce, à la suite de leur rupture et de la liaison d’Elena avec Francisco Perrenot de Granvela. Le poète est alors condamné à s’exiler de la Villa y Corte, Madrid, pour huit années (1588-1596). Avant son départ, il enlève, avec sa complicité, Isabel de Urbina, fille d’une respectable famille de chevaliers. Il se voit contraint de l'épouser et s’établit à Valence en 1589 où il y rencontre des poètes à l’influence décisive pour la construction de la comedia nueva. Mais il se met également au service des grands du royaume : le duc d’Albe, à Tolède (1590) puis à Alba de Tormes (1592-1595), sous la protection duquel il écrit notamment La Arcadia. En 1594, son épouse Isabel de Urbina meurt, ce qui semble précipiter le retour de Lope à Madrid, suite à un arrangement avec Jerónimo Velázquez. Il entre alors au service du marquis de Malpica (1596) puis du marquis de Sarriá (futur comte de Lemos) dès 1598. C’est à cette date qu’il retourne à Valence avec la Cour pour le mariage de Philippe III et qu’il épouse Juana de Guardo, fille d’un riche marchand boucher. Il maintient en parallèle une liaison durable avec Micaela Luján, une comédienne mariée avec qui il aura sept enfants. Entre 1604 et 1610, il vit entre Tolède, Madrid et l’Andalousie, se liant d’amitié avec le duc de Sessa, qu’il servira comme secrétaire à partir de 1605 et pour toute sa vie.
Pour en revenir à Lope. La furia del Fénix, dont nous discuterons la classification comme biographie romancée, il convient de signaler qu’il s’inscrit aussi dans ce sous-ensemble particulier que sont les vies d’écrivains également désignées comme biographies littéraires ou fictions d’auteur9. Un sous-ensemble complexe, situé encore davantage que la simple biographie romancée au croisement de la réalité et de la fiction. Cette catégorie, qui introduit un biographé-auteur devenu personnage, nous conduira à envisager la question du rapport étroit que tisse le genre biographique, dans son hybridité, entre d’une part la narration historique et d’autre part la réflexion critique, le récit et l’essai. Elle nous invitera également à appréhender l’approche biographique présentée à la fois comme une pratique historiographique et comme une modalité de la critique littéraire, ainsi que nous le suggère l’essai intitulé Écrire l’écrivain. Formes contemporaines de la vie d’auteur, publié en 2010 par Robert Dion et Frances Fortier, riche en concepts opératoires10.
Consciente de la nécessité de s’interroger à la fois sur les motivations du biographe, ses intentions, la relation qu’il entretient avec son sujet et, en aval du texte, sur la réception de la biographie, nous nous intéresserons à la composition de l’œuvre et au matériau narratif présenté dans le texte et particulièrement aux éléments ressortissants plutôt du fictionnel afin de tenter de mieux cerner les mécanismes d’écriture de l’ouvrage. Puis, sans toutefois prétendre à l’exhaustivité, tant le texte est dense et riche et la vie de Lope difficile à appréhender dans toute sa complexité (y compris par les spécialistes de son immense œuvre dont nous ne sommes pas), nous nous demanderons si le texte permet une meilleure connaissance de la vie, de l'œuvre et de la pensée du « biographé » et examinerons ce qu’il implique pour l’image traditionnelle de Lope et de son époque. Et ce, tant une biographie, et qui plus romancée, se construit en réaction à toute une somme de textes antérieurs qu’elle reprend ou complète voire révise, renouvelant ainsi le discours sur le personnage choisi et le passé plus ou moins lointain auquel il appartient. Enfin nous ferons quelques remarques sur la dimension métalittéraire de ce roman historique particulier, dans lequel un romancier contemporain réfléchit (à) sa pratique d’écriture en la confrontant à celle du « Phénix des Ingénieux ».
Une première série d’éléments suggère la proximité de l’œuvre avec la biographie historique ou scientifique. L’examen de la structure externe de Lope. La furia del Fénix laisse à penser que l’auteur a souhaité rédiger un ouvrage sérieux, conforme aux canons les plus traditionnels du genre biographique. Nous retrouvons ainsi, à première vue, une division classique en chapitres : chacun correspond à un moment de vie du dramaturge, résumé en une épigraphe titulaire accompagnée dans la plupart des cas d’une date plus ou moins précise (jour, mois, année ou mois et année). Par ailleurs, le lecteur dispose, à la fin de l’œuvre, d’une bibliographie qui reprend les sources du récit : d’une part les sources primaires, c’est-à-dire les documents d’archives consultés par l’auteur, telles les minutes du procès de Lope de Vega ou encore sa correspondance qui permet de le citer directement, et d’autre part les biographies principales du poète mais également des ouvrages classiques de critique littéraire ou portant sur l’époque du dramaturge. Tout indique ainsi que le texte se fonde sur des données historiques et sur des ouvrages d’autorité.
Grâce à ces sources et comme l’a laissé entendre notre résumé de l’intrigue, l’essentiel des moments vécus réellement par Lope de Vega, repris dans les biographies les plus classiques et que nous avons rappelés, sont inscrits dans le texte, chose assez facile pour l’auteur puisqu’à en croire Felipe Pedraza le dramaturge a laissé « un rastro documental mucho más patente que el de ningún otro de nuestros grandes ingenios »11. L’ouvrage de Blas Malo suit ainsi différents types de sources : des documents de nature officielle comme des actes notariés ou juridiques, d’autres à caractère privé comme des lettres, d’autres encore de nature publique comme des écrits de type historiographique. C’est particulièrement le cas pour la première partie de Lope. La Furia del Fénix intitulée « Acto primero. Lisboa (1588) », qui revient sur la liaison de Lope avec Elena Osorio, sur son arrestation au Corral de Santa Cruz le 29 décembre 1587 et sur son procès, dont les pièces sont utilisées et présentées dans le corps même du texte, de façon plus exhaustive que certaines biographies historiques12.
Nous retrouvons également d’autres éléments tout à fait avérés de la vie de Lope dans les autres parties ou « Actos » du texte et notamment, dans l’« Acto segundo. Valencia (1589-1597) », le récit de son séjour à Valence puis à Alba de Tormes, fief de son premier grand protecteur, le duc d’Albe, Antonio Álvarez de Toledo. Lope. La furia del Fénix relate en particulier longuement l’implication de Lope dans le drame qui frappe la famille d’Albe en 1593, objet de nombreuses chroniques : l’accident mortel dont fut victime le demi-frère du duc, Diego de Toledo, au cours d’une fête de taureau à l’occasion des célébrations qui marquaient le retour du mécène de Lope sur ses terres après que l’accusation de bigamie dont il avait fait l’objet et qui avait conduit à son enfermement à Medina del Campo pendant presque trois ans avait été levée13.
L’ouvrage de Blas Malo s’arrête aussi, dans l’« Acto Tercero. Sevilla (1597-1602) » sur des faits dont les archives portent la trace pour les années 1597 et suivantes, comme la participation du dramaturge aux festivités données à Valence par le futur duc de Lerma à l’occasion du double mariage royal de Philippe III et de l’infante Isabel Clara Eugenia en 1599 dont nous avons constance grâce à la chronique de Felipe de Gauna14. Conformément à cette relation, le texte de Blas Malo raconte comment Lope de Vega, qui accompagnait son maître le marquis de Sarria lors des festivités, rendit un éloge poétique remarqué au monarque dans le cadre d’un divertissement burlesque où il représentait don Carême, vêtu sur le modèle d’un célèbre comédien italien Stefanello Bottarga15. Enfin, l’« Acto Cuarto. Granada 1602-1603 » fait retour sur le séjour de Lope en Andalousie et plus précisément à Grenade, alors qu’il accompagne la troupe de Baltasar de Pinedo qui représente ses comedias, comme il le rappellera dans une lettre au duc de Sessa rédigée en juillet 161116.
Mais, comme toute biographie, le texte de Blas Malo semble être un alliage de factuel et de fictionnel, et renfermer cette tension, inhérente au genre, entre éléments historiques et éléments littéraires. Si toute biographie porte en elle les traces de l’invention de l’auteur, cette dimension se trouve démultipliée dans le cas qui nous occupe. Dans la mesure où le biographé est lui-même un auteur, un double imaginaire s’inscrit en effet dans le texte.
D’une part celui de Blas Malo, le biographe, qui imagine tout ce que les sources historiques ont tu ou ne peuvent dire. Il dépeint par exemple les circonstances du rapt (consenti) d’Isabel de Urbina ainsi que les dialogues entre les acteurs de cet épisode rocambolesque dont nul document, ni public ni privé, ne porte la trace, mis à part la plainte déposée par la famille de la jeune femme, un document aujourd’hui perdu17. Nous pouvons lire ainsi la description de la tenue choisie par Isabel pour passer inaperçue dans la nuit madrilène, entendre les plaintes de sa mère au moment de constater sa disparition et les mots d’amour que Lope adresse à celle qui deviendra son épouse légitime, suivre les amants dans la demeure de Claudio Conde, complice du plan ourdi par Lope…18. Le récit s’éloigne alors du strictement référentiel et repose en bonne part sur l’invention de l’écrivain contemporain.
Par ailleurs, Blas Malo introduit la subjectivité du personnage central, dans une présentation des sentiments de Lope, à travers des formules telles que « quería de verdad a Isabel, su mujer »19 comportant des verbes décrivant des processus intérieurs (verbes de sentiments : odiar, amar, temer… ; verbes « de pensée » : creer, pensar, imaginarse, recordar, decirse…). Grâce à l’usage du psycho-récit, il reconstruit les pensées conscientes du poète à travers ses émotions et ses souvenirs et les transmet par l’intermédiaire du narrateur omniscient20. L’auteur de Lope. La furia del Fénix récrée également les pensées plus inconscientes du grand homme de Lettres, et tout particulièrement les cauchemars qui l’agitent. Le narrateur rapporte, en outre, le discours mental de Lope-personnage au moyen du monologue intérieur narrativisé ou discours indirect libre comme lorsque Lope a pris connaissance du manuscrit de la première partie du Quichotte et de son succès, avant même sa publication, ainsi que des attaques contre sa personne qui y figurent :
¿Cómo era posible que los que le aplaudían antes en Madrid, ahora aplaudieran al manco y tartamudo en Valladolid? Pero lo peor no era eso. Lo peor era que el recaudador encarcelado y perseguido, el de “los anteojos como huevos estrellados por pobres y miserables, se había aprovechado de él. Y así, estaba ganando una fama que no merecía […]. Respiró hondo para calmarse. “Recuérdate, Lope, a qué has venido. Olvídate de él por el momento”21.
Tout un ensemble d’éléments du texte ressortit donc davantage du littéraire et du fictionnel si l’on considère, avec Kate Hamburger, que ces éléments sont des marques claires de fictionnalité22. Toutes ces marques peuvent contribuer à créer paradoxalement un « effet de vécu » qui finalement renforcerait le sentiment d’authenticité que le lecteur recherche mais témoignent surtout à notre sens de l’importance de la réécriture de l’Histoire opérée par Blas Malo qui comble les lacunes propres à toute biographie. Comme dans nombre de biographies historiques, la fiction vient en quelque sorte au secours de l’Histoire et la rend lisible ou du moins rend lisible une vérité du biographé, ainsi que le formule clairement Daniel Madelénat : « la plénitude ou les failles secrètes de toute une vie, même mémorable, aspirent à la fiction (mise en forme et création) qui délivrera leur vérité »23.
D’autre part, cet imaginaire auctorial est complété par celui de Lope-auteur lui-même. Dans un jeu d’intertextualité évident, le texte fait en effet un sort aux éléments présents dans les œuvres littéraires du grand créateur auriséculaire, à travers des citations plus ou moins directes qu’il serait trop long de préciser intégralement ici. Nous noterons ainsi une reprise, dans la biographie, de certains éléments fictionnels les plus spectaculaires nés de l’imagination du Fénix comme cette scène où Isabel de Urbina s’attaque à Celia, maîtresse de son mari, et dans laquelle le lecteur plus avisé reconnaîtra aisément un passage proche d’une scène de La Dorotea24. Nous remarquerons également comment, par un procédé plus complexe, certaines œuvres de Lope sont introduites dans le texte non pas directement mais par une référence à leur possible création, en présentant leur conception ou leur écriture in fieri. Le texte présente en effet Lope-personnage imaginant Isabel l’attendant à Lisbonne au moment de son départ pour l’entreprise militaire désastreuse que l’on sait, comme s’il était en train de composer ce qui sera, dans la réalité, le poème De pechos sobre una torre, publié en 160425. Dans une sorte de réduplication ou d’emboitement assez convenu, l’imaginaire de Lope de Vega-auteur est introduit en présentant le monde imaginaire de Lope-personnage ou ses pensées. Dit plus simplement, Blas Malo puise abondamment dans les écrits de Lope qu’il convoque sous différentes formes à l’intérieur de sa production et qui deviennent des sources pour écrire son récit de vie.
Au terme de cette rapide première présentation des matériaux composant Lope. La furia del Fénix, nous pourrions dire que le texte a bien des traits de la biographie qui, selon François Dosse, « se situe en tension constante entre une volonté de reproduire un vécu réel passé selon des règles de la mimesis, et en même temps le pôle imaginatif du biographe qui doit recréer un univers perdu selon son intuition et ses capacités créatives », dans un genre « qui relève à la fois de la dimension historique et de la dimension fictionnelle »26.
Biographie donc et même biographie d’auteur mais également biographie romancée. Car en réalité il nous semble que l’ouvrage de Blas Malo va plus loin encore dans le mélange entre factuel et fictionnel que cette fusion constitutive de la biographie selon les spécialistes. L’hybridité que nous avons repérée laisse place, à mesure de la lecture, à une domination manifeste du fictionnel et du romanesque.
En effet, dans Lope. La furia del Fénix nous pouvons noter que Blas Malo reprend certaines conjectures ou hypothèses, fondées sur des sources purement littéraires ou sujettes à caution que nombre de biographies n’ont pas retenues. Ainsi dans l’ouvrage que nous examinons la présence de Lope sur le navire San Juan est-elle présentée comme bien réelle, à la faveur de longs passages descriptifs de la bataille navale à laquelle se retrouve mêlé le protagoniste. Or les documents officiels ne portent pas de trace de la présence de l’écrivain madrilène lors de cette campagne militaire. Seuls certains textes littéraires parmi lesquels El bautismo del príncipe de Marruecos, le « Prólogo del autor » de La hermosura de Angélica, ou le romance De pechos sobre una torre y font référence27. De la même manière, seul le panégyrique de Juan Pérez de Montalbán mentionne les retrouvailles de Lope de Vega et de son frère à bord du navire San Juan et le décès de Juan de Vega y Carpio en présence de son frère Félix28. Le potentiel romanesque élevé de tels épisodes, appréciés des lecteurs de romans historiques, nous aide sans doute à comprendre les choix de Blas Malo, sortes de concession au divertissement par rapport à la véracité historique.
Par ailleurs, il nous semble que l’auteur se permet, pour le même effet, un certain nombre de distorsions voire de manipulations des sources historiques, repérables pour le lecteur avisé. Nous remarquerons par exemple que l’un des fils conducteurs de l’ouvrage est la relation d’inimitié et de jalousie réciproque établie entre Lope et Miguel de Cervantès, qui a retenu particulièrement notre intérêt. Le texte de Blas Malo reprend sur ce point un élément historique complexe, connu des spécialistes des Lettres auriséculaires mais aussi du grand public et abondamment commenté. Or il nous semble que dans Lope. La furia del Fénix quelques données de ces rapports si étroits entre les deux génies du Siècle d’Or ont été transformées par l’écrivain contemporain pour rendre encore plus attrayante cette rivalité légendaire. Nous en donnerons deux exemples29 : la biographie étudiée fait ainsi mention d’une hostilité ou du moins d’une méfiance du grand dramaturge envers Cervantès, dès la participation de Lope à la campagne militaire de 1588 alors qu’en 1601 l’amitié entre les deux poètes semble encore présente. Dans un chapitre dont l’action se situe en mars 1589 nous pouvons ainsi lire le dialogue suivant entre Gaspar de Porres et Lope :
–Algunos dicen que no estuviste en la armada, que son solo mentiras para rehabilitar tu nombre. Algunos… uno lo dice sobre todo. Miguel de Cervantes. Que aunque esté en Sevilla en un empleo lucrativo, no se olvida de ti.
–Grandísimo cabrón…30.
Plus remarquable sans doute : après avoir abondamment mis en avant ces tensions, le texte de Blas Malo en propose diverses explications parmi les plus vraisemblables et les plus documentées. Mais il y ajoute un motif plus surprenant et plus romanesque : Cervantès détesterait Lope en raison de l’affront qu’il a fait subir à Isabel de Urbina, parente du Manchot de Lépante, et chercherait à venger l’outrage, en bon défenseur de l’honneur familial31. Les personnages de Cervantès et Lope deviennent alors en quelque sorte les personnages d’une comedia, d’un caso de honra, qui, aujourd’hui comme hier, plaisent au plus grand nombre, pour paraphraser une célèbre formule de Lope.
Cela va plus loin car, se détachant de toute source, l’œuvre contient en effet un très grand nombre de personnages et d’aventures tout droit sortis de l’imaginaire de l’auteur, Blas Malo. Ce dernier crée de toutes pièces le personnage d’un cousin de Micaela, écrivain rival de Lope épris de sa parente, et jaloux du dramaturge : Juan de Dios de Belloso, dont les œuvres, purement fictionnelles, sont citées et reproduites dans le texte. À partir de cette figure de rival, Blas Malo noue toute une intrigue puissamment romanesque. Après de nombreux passages décrivant comment Belloso espionne Lope, le provoque par poèmes interposés, rumine sa vengeance, cette inimitié se trouve au cœur du récit à partir du chapitre 22. Il s’ouvre in medias res sur un duel auquel participe un certain Pietro Bertucci, qui n’est autre qu’un ancien compagnon d’armes du mari de Micaela de Luján, chargé de venger l’honneur de l’époux outragé par le dramaturge. Une fois ce personnage présenté, un personnage totalement fictif, prototype de la brute sans scrupules, les chapitres suivants se centrent sur l’alliance de Juan de Belloso et de Bertucci contre Lope. Dès lors, ce sont les manœuvres de Bertucci et de Belloso pour effrayer l’écrivain et l’éloigner de sa maîtresse qui sont contées au lecteur. Le texte flirte alors avec le roman d’aventures, sous-genre dont il reprend certains traits et utilise notamment une modalité narrative hautement romanesque, celle d’un narrateur en première personne, pour une plongée dans l’âme d’un des opposants à Lope, par un savant jeu de focalisation et l’usage du monologue intérieur32.
Si la part d’invention n’est pas absente de la biographie historique, nous l’avons dit, elle est donc ici exacerbée grâce à un « effet de transposition », une notion définie par Frances Fortier et Richard Saint-Gelay comme « la reprise de traits génériques caractéristiques d’un genre donné dans des œuvres où ils semblent plus inattendus »33 , le biographique laissant place à la fiction et particulièrement au roman d’aventures.
Par ailleurs, au-delà du matériau narratif, nous noterons que, lorsque nous dépassons la première impression transmise par la présence de dates, l’organisation du texte le rapproche des formes romanesques ou dramatiques : la structure en quatre actes est ainsi bien évidemment une reprise de la structure externe de la comédie classique et de certaines comedias nuevas. De plus, alors que, comme dans l’expérience réelle, la biographie doit raconter l’histoire du sujet en recréant l’ordre dans lequel se sont déroulés les événements, il n’en va pas de même pour le récit qui nous occupe. Un grand nombre de jeux temporels peuvent ainsi être repérés, et notamment des analepses habituellement absentes des récits de vie. Nous remarquerons par exemple la construction particulièrement soignée des chapitres 2, 3 et 4. Comme pour mieux rendre le flux du souvenir, le chapitre 2 se clôt sur la présentation de Lope se remémorant, à bord du galion San Juan, ses amours avec Elena grâce à cette formule :
Se asomó por la borda. La infinita negritud fría y salada azotaba los costados del galeón. En el horizonte se oían salvas de aviso y los faroles eran diminutas luces en la oscuridad absoluta. El aire húmedo lo envolvía todo. “Lloverá” pensó. Se dejó llevar por los golpes de mar, a un lado, a otro, mientras zarandeado, oía los susurros de las musas que lo arrastraban como sirenas a lo más oscuro de su corazón. Elena. Aún la amaba. Aún la odiaba. Recordó siete meses atrás…34.
Ces amours sont précisément relatées au chapitre 3, tout entier construit sur un retour en arrière, ainsi que l’indique la date à l’ouverture du chapitre « Madrid, 29 de diciembre de 1587 »35. Ce chapitre analeptique est suivi d’un retour au Lope se souvenant, au début du chapitre 4, qui, dans une parfaite jonction avec le chapitre 2, débute ainsi : « Océano Atlántico, 16 de julio de 1588. Lope seguía mirando la noche estrellada a ratos velada por las nubes »36. Il s’agit là d’un procédé typique de la mise en intrigue et de l’écriture romanesque, servant le suspense mais également l’humanisation du personnage dont nous traiterons plus avant.
De la même façon, on aura noté qu’alors que les biographies traditionnelles suivent le personnage de sa naissance à sa mort, dans Lope. La furia del Fénix ce n’est qu’une période de la vie du biographé qui est présentée, qui plus est de façon non complète – si tant est qu’un récit de vie puisse l’être – puisque des ellipses sont lisibles. Seul un fragment de vie, un moment particulier et restreint est proposé, à l’instar d’un grand nombre de biographies d’écrivains, dans un refus de la structure correspondant toujours plus ou moins au même modèle canonique, celui du récit chronologique et exhaustif. En se concentrant sur ces quelques années, et sur quelques moments de vie seulement, Blas Malo retient de l’existence du Phénix plusieurs épisodes significatifs. De ce fragment métonymique, de ces « lambeaux » pour reprendre une expression de Daniel Madelénat37, se dégage un parcours d’ensemble dont nous étudierons la portée plus avant. Nous remarquerons également que l’ouvrage, outre le fait qu’il ne démarre pas avec la naissance de Lope, débute in medias res, un recours hautement romanesque, pour le plus grand plaisir des lecteurs. Les premières pages du texte nous entraînent ainsi, par un incipit brusque, dans les rues de Lisbonne, à la suite d’un mystérieux Claudio, à la recherche d’un personnage présenté comme « poeta », dont il faudra attendre plusieurs pages avant de découvrir l’identité : Lope de Vega.
Nous dirons donc qu’en raison de l’importance des matériaux fictionnels et de certains recours divertissants propres au roman qu’il emploie, tout en dessinant pourtant le « je » du dramaturge, le texte semble bien s’inscrire dans cette forme particulière qu’est la biographie romancée, tant nous y retrouvons les traits – à notre sens pertinents – retenus par Carlos García Gual dans Apología de la novela histórica y otros ensayos pour la caractériser :
[La biografía novelada] se aprovecha de su libertad de ficción para ahondar en los carácteres y avanzar en su intimidad. No es que […] se despreocupe de la verdad histórica, sino que apuesta por encontrar esta verdad en la reconstrucción arriesgada de sus héroes. A partir de los datos existentes, su fantasía avanza mucho más allá de lo que admite el historiador o el cronista veraz. Y usa como materiales datos no comprobados o rechazados por la crítica de un cronista meticuloso38.
Les choix et compléments opérés par l’auteur de Lope. La furia del Fénix contribuent également à diffuser une image de Lope et du Siècle d’Or sur laquelle nous aimerions à présent nous pencher. Cet aspect nous semble fondamental car, d’après les critiques, si la biographie connaît un fort engouement, il ne s’agit plus d’ériger la figure traitée en modèle de comportement exemplaire, mais de rendre compte des différentes visions possibles d'un même personnage, ou de changements dans l’approche et le regard porté sur le biographé. Concernant la figure historique qui nous intéresse, l’on nous permettra de rappeler auparavant que cette question est d’autant plus importante pour le dramaturge qu’il a lui-même pris grand soin de moduler, de façonner sa propre image de son vivant.
Cette image a varié au fil des siècles. Jusqu’au début du XXe siècle, c’est l’image romantique d’un Lope de Vega dépeignant en toute sincérité ses sentiments dans ses poèmes qui a dominé tant on a pu confondre vie et œuvre, lire la première dans la seconde. Il apparaissait comme un homme bouillonnant, exalté, « histérico ». À partir du tricentenaire de sa mort, en 1935, une lecture plus « stylistique », centrée sur les aspects artistiques de l’œuvre s’est développée et domine encore aujourd’hui, dessinant l’image d’un Lope créateur. On sait que par la suite la défense d’un homme représentant la grandeur des lettres espagnoles et de la foi catholique a prévalu sous la dictature. Ces considérations passées laissent place aujourd’hui à une lecture post-structuraliste qui ne l’érige plus en modèle d’écrivain et ne nie pas la part autobiographique de ses œuvres mais s’intéresse davantage aux enjeux de la construction par Lope d’une image de lui-même, aux masques qu’il emploie. Plus récemment, le grand et le petit écran ont contribué à une évolution significative : les films Lope et Cervantès contra Lope (de 2016) ainsi que la série El Ministerio del Tiempo ont forgé une image rénovée de Lope39. Il apparaît comme plus humain, et dans toute sa complexité, tiraillé entre son désir de s’anoblir et sa recherche de notoriété, loin de l’idéalisation des biographies du XIXe et du début du XXe siècles. De telles productions ont ainsi fait naître un horizon d’attente chez le lecteur contemporain dont l’ouvrage de Blas Malo porte les traces.
En effet, en accord avec cette évolution, l’humanisation de Lope, grâce notamment au psycho-récit dont nous avons parlé, est lisible dans des scènes comme celle qui en fait le témoin de la mort de son frère. Selon le texte de Lope. La furia del Fénix, Juan de Vega y Carpio rend son dernier souffle dans les bras du dramaturge, un instant que le narrateur relate comme suit : « Lope lo miró a los ojos hasta el final, henchido y trastornado por la compasión, la pena y la tristeza »40 , ou encore comme lorsque la biographie romancée présente l’émotion de Lope à la mort d’une de ses filles par ces termes : « El padre que ya no lo era le cerró los ojos, agotado por tanta desgracia y antes de derrumbarse en el suelo sin fuerza alguna se repitió una y otra vez que era su soberbia la causa de todo »41.
Produisant le même effet, la vie amoureuse et sexuelle de Lope est présente en bonne part dans le texte de Blas Malo. Le récit s’ouvre sur l’image du Lope séducteur, excessif, tourmenté par ses amours puisque le poète est d’emblée présenté comme « devorador de vidas femeninas »42 dans un texte qui multiplie ce type d’épisodes. Bien évidemment, cette insistance permet d’humaniser le personnage présenté : le poète y apparaît comme gouverné par les sentiments amoureux, beaucoup plus aimable et proche de la sensibilité contemporaine que le personnage traditionnellement reflété dans certaines Histoires littéraires. Il n’apparaît pas trop intellectualisé, et l’image d’un dramaturge obsédé par son œuvre est ainsi contrebalancée.
Outre ces éléments, le choix même d’une intrigue portant sur les années de vie amoureuse tumultueuse de Lope et non sur l’époque de sa conversion finale est aussi un choix qui éloigne peut-être de l’image d’un Lope « nacional y católico », représentant l’essence de l’âme espagnole et doté d’une fervente religiosité. Le dramaturge n’est plus dépeint dans sa perfection idéale et le texte est sur ce point dans la ligne de la nouvelle biographie. Grâce à la présentation de la vie intime qu’autorise la biographie romancée, il y a bien, semble-t-il, une démythification qui humanise, conformément au projet de Blas Malo. Il ne manque en effet pas d’indiquer dans une entrevue qu’il perçoit Lope comme un homme complexe, une humanité et une complexité qui ont motivé sa prise de plume. Il remarque notamment
poco a poco descubrí que debajo del mito había un hombre contradictorio, incansable, un mentiroso, un ladrón, un aventurero, un soldado, un fugitivo, un cristiano piadoso, un adúltero. Un hombre mortal, como todos nosotros43.
Ce changement de perception, de façon générale, va jusqu’à une forme de remythification car il ne s’agit plus de décrire un héros de carton-pâte mais un homme, un être humain avec ses qualités et ses défauts, ses faiblesses et ses contradictions, ses doutes et ses changements, capable de ressentir les effets des plus basses passions. Il s’agit presque de le transformer en personnage de l’épopée du quotidien, « la épica de la cotidianeidad »44 comme a pu le noter Carlos González Reigosa, pour la figure du Cid dans les fictions contemporaines.
Mais cette humanisation s’accompagne par endroits d’exagérations et d’un sentimentalisme exacerbé, simplificateur, peut-être un peu trop romanesque. Le recours au registre pathétique utilisé pour émouvoir le lecteur, faire naître la compassion et présenter Lope comme un homme comme les autres est parfois si marqué et convenu, reposant dans le texte sur des mises en scène, des hyperboles et des images attendues, qu’il déréalise en certains moments la figure de l’auteur et devient presque contre-productif. C’est le cas notamment lorsque le texte relate la mort d’Isabel de Urbina et la souffrance de Lope au cours de cette agonie au moyen d’exclamations, d’apostrophes et d’interjections mais aussi par le biais de la présentation des émotions et des lamentations de l’écrivain dans une scène qui est un véritable tableau vivant. Les éléments et indications topiques y abondent comme l’arrivée attendue du médecin et l’attente, pleine d’angoisse, de son verdict, l’indication du silence chargé de crainte, le portrait de la mourante sur son lit, l’image des draps maculés de sang : autant de lieux communs qui pourraient donner en quelque sorte l’impression d’une scène littéraire trop bien construite, peu authentique45.
En outre, nous pouvons nous demander si l’image de Lope mujeriego mentionnée plus haut ne renforce pas dangereusement le cliché d’un Lope coureur de jupons et inconstant en amour, image qui paraît certes conforme à la réalité et qui prévalait du vivant de l’auteur, qu’il a sans doute lui-même diffusée mais à laquelle il risque de se réduire. Les premières pages de l’ouvrage, présentant Lope à Lisbonne sur le point de s’embarquer pour l’Invincible Armada, sont consacrées à la description d’une scène très crue avec une prostituée46. Elle semble être inspirée d’un épisode réel, à en croire une allusion présente dans une lettre adressée au duc de Sessa dans laquelle le dramaturge revient rétrospectivement sur ce moment de sa vie47. Mais pourquoi, si ce n’est pour satisfaire les lecteurs friands de ce genre de scène, décrire leur union en détail et surtout pourquoi multiplier à l’envi la présentation de ces relations physiques après avoir présenté Lope comme un « semental indomable »48 ? La même question pouvait brûler les lèvres des spectateurs de El Ministerio del Tiempo : sous prétexte de « presentar la faceta privada de Lope, un seductor empedernido »49, selon le réalisateur Javier Olivares, l’un des personnages tiendra sur Lope les propos suivants : « Este tío ha raptado a su mujer, va a tener catorce hijos de media docena de mujeres distintas. No sé cómo escribió tanto si se pasó la vida follando... »50.
À trop vouloir rapprocher Lope du lecteur (ou du téléspectateur), sous couvert de didactisme ou de démythification, c’est bien la simplification abusive qui semble menacer. Car Blas Malo paraît contribuer à transmettre également une image de Lope comme un être totalement déraisonnable, auteur passionné et peu réfléchi, obsédé par son désir de postérité, de « fama », composant pendant des nuits entières sans effort, réactivant ainsi les vieux stéréotypes romantiques et le mythe du génie prolifique et inspiré. Le narrateur lui-même emploie à plusieurs reprises l’adjectif « loco » comme au moment de signaler le mariage de Lope avec Isabel de Urbina, qualifiant la figure centrale de la sorte : « un poeta loco y desbocado »51 . L’idée de démesure, déjà présente dans le qualificatif « loco », est reprise par des formules comme « es que en su cabeza solo había entendimiento para el exceso »52. C’est du reste cette image d’être excessif que met en avant Blas Malo dans les entrevues que nous avons pu lire. Il déclare ainsi à propos du dramaturge : « lo cierto es que era un hombre de excesos. Sin término medio, para lo mejor y para lo peor de sí mismo »53.
Le mythe du poète humble qui reprend dans son œuvre la simplicité du peuple et défend la pureté de la langue nationale contre les excès des écrivains cultos est même réactivé dans la biographie romancée de Blas Malo, qui dessine un portrait de Lope qui n’est pas vraiment, sur ce point, tout en nuances et qui paraît négliger le fait que la poésie de Lope était particulièrement élaborée. C’est ce que suggèrent des passages comme ce dialogue entre Gaspar de Porras et Lope :
–Toda esa gente, toda ella, te necesita. ¡Sí, es eso! Te necesitan para que des forma a sus sueños y esperanzas. Ellos no pueden, ellos siempre pierden. Siempre. Y nosotros, también. Pero tus letras, ¡nunca! Eres del pueblo.
–Siempre lo he sido. No como otros.
–¡Eso es! No como esos que retuercen las frases y las llenan de palabras que nadie entiende. Esos, Lope, que te envidian54.
À force de divertir le lectorat avec les armes du roman d’aventures, nous pourrions nous demander si le texte ne gommerait pas la singularité de l’écrivain et ne laisserait pas de côté des points fondamentaux, comme certains traits décisifs de l’apport de Lope à la rénovation du théâtre. Le savoir transmis par la biographie romancée laisserait ainsi à désirer pour le lecteur érudit. Nous en donnerons plusieurs preuves, même si nous ne pouvons exiger du texte qu’il soit un essai littéraire : le petit nombre de citations directes des productions poétiques de Lope, le texte contenant même plus de citations de Cervantès que de Lope, l’absence de mentions approfondies des liens noués par Lope avec les poètes valenciens, relations pourtant capitales pour l’émergence de la nouvelle formule dramatique élaborée par Lope et la tendance à ne pas exposer clairement la révolution représentée par la proposition théâtrale du Fénix, jamais nettement détaillée. Une série de réflexions autour de la comedia nueva est bien présente dans le texte mais surtout, semble-t-il, pour insister sur les oppositions et animosités qu’elle engendre. Du reste, Blas Malo reprend dans son ouvrage les tensions entre Lope et Cervantès, comme nous l’avons vu, ainsi que celles entre le Phénix et Góngora. Mais il y a en particulier une véritable présentation hyperbolique de cette animosité, comme pour satisfaire à un public friand de rivalités et peu soucieux des enjeux complexes de la relation entre les auteurs, comme pour mieux faire accepter au lecteur l’identification Lope de Vega/personnage de don Quichotte qui se profile dans les derniers mots du texte et que nombre d’études ont défendu, au risque de minimiser le génie créateur de Cervantès.
Enfin, nous dirons que si le texte étudié propose une redéfinition de l’image de Lope, il offre aussi une vision particulière du Siècle d’Or confirmant que la biographie peut être, selon François Dosse, « une entrée privilégiée dans la restitution d’une époque avec ses rêves et ses angoisses »55, une conception que Blas Malo expose de la sorte « creo que la novela histórica es un medio magnífico para acercar una historia que, en general, se nos ha presentado como aburrida a los lectores »56.
L’image du Siècle d’Or diffusée par le texte semble assez conforme à la tendance, repérée chez les écrivains contemporains, qui consiste à mettre en avant une époque marquée par les contrastes et la complexité ainsi que par un système de croyance différent du nôtre. Comme l’indique Isabel Touton dans ses travaux portant précisément sur l’image du Siècle d’Or dans le roman historique espagnol contemporain, ce moment historique « siendo una época que se asocia con la superstición y la hechicería, lo demoníaco y lo milagroso, da pie a relatos que se distinguen frecuentemente por sus dimensiones fantásticas »57. C’est le cas dans l’ouvrage qui nous occupe où la part belle est laissée aux songes, aux prophéties, à l’astrologie : les cauchemars affreux qui tourmentent Lope se révèlent ainsi annonciateurs des décès de ses proches, le récit de la mort de Diego de Toledo s’accompagne de la présentation de mauvais présages lus dans l’observation des astres, les prédictions d’une gitane diseuse de bonne aventure se réalisent, pour ne citer que quelques exemples du texte.
Lope. La furia del Fénix dessine également les contours plus généraux d’une époque mais nous semble le faire quelquefois un peu rapidement. En effet, s’il est indéniable que le texte, très bien documenté, transmet un certain nombre d’éléments historiques et possède une portée didactique, la simplification déjà repérée pour le personnage est présente quand il s’agit de dépeindre certains aspects des années charnières entre les XVIe et XVIIe siècles. C’est le cas lorsque les événements politiques sont abordés. Ainsi, au moment de référer les événements de la Invencible Armada le narrateur rapporte-t-il : « los rebeldes de Holanda y Zelanda solo miran por sí, y los protestantes de Alemania no pueden detenernos, ni por mar, ni por tierra! el rey de Dinamarca está muerto, y la reina inglesa no puede tener ayuda de Escocia »58, ce qui semble un peu court pour rendre compte du jeu des puissances. De même, le narrateur reste parfois très vague comme lorsqu’il note « hidalgos y ricos hombres de sombreros de altas alas hablaban con entusiasmo del devenir de la guerra de Flandes…. »59. Une réactivation de certains lieux communs est bien lisible comme lorsque, à la faveur d’une promenade de Lope dans Séville, un personnage se lance dans cette juxtaposition de clichés : « deberías ver la actividad que hay cuando llega la flota de Indias: la ciudad enloquece, los carros cargados de oro y plata marchan escoltados por hombres de armas hasta la Casa de Contratación »60. Au contraire et presque paradoxalement, dès lors qu’il s’agit de présenter vêtements, intérieurs des demeures ou encore distractions nobles, le roman est précis et semble tout à fait fidèle à la connaissance historique.
Image renouvelée du personnage et présentation de la complexité de son époque donc, à travers un texte qui dessine également une image de l’auteur et de la littérature : il nous semble en effet que le récit biographique en allant vers autrui permette à l’auteur réel de s’interroger sur son identité et sur son activité créatrice. Dans un article intitulé « Naissance moderne et renaissance contemporaine des fictions biographiques », Dominique Viart a pu montrer comment ce type d’œuvre obéit parfois à une logique du décentrement et plus particulièrement au décentrement biographique, qui fait en sorte que l'auteur parle de lui-même en prétendant parler d'autrui, une logique bien présente dans Lope. La furia del Fénix61. Blas Malo a pu ainsi déclarer :
la vida de Lope de Vega me ha mostrado aspectos de la mía propia sobre los que pensar y meditar, por ser coincidentes. Querer ser escritor, esforzarse a pesar de los contratiempos, compaginar literatura y familia, escribir por las noches por ser el único momento disponible con tranquilidad… 62
Nous comprenons mieux, dès lors, pourquoi Le Lope fictionnel ne semble savoir prendre la plume que la nuit…
Plus sérieusement, le texte porte une réflexion sur la difficulté à écrire une biographie, qui plus est pour un auteur dont vie et œuvre étaient tant mêlées. On devine qu’une interrogation sur les données à retenir pour une histoire de vie mais aussi sur le sort à réserver au matériau possiblement autobiographique parcourt cette biographie romancée. Le texte reprend en effet des épisodes de la vie de Lope au statut problématique selon certains biographes du dramaturge ainsi que nous l’avons signalé plus haut. Si Lope. La furia del Fénix présente comme avérés des moments de la vie de Lope pour lesquels les sources historiques sont imprécises, peu fiables ou contradictoires pour sans doute satisfaire au goût du lectorat pour les épisodes rocambolesques ou romanesques, ce sont parfois ces imprécisions ou ce manque de fiabilité qui sont mises en valeur pour d’autres pans de l’existence du dramaturge. Et ce, car l’auteur au sein du texte ne manque pas de signaler l’existence de réserves ou d’interrogations. Il n’est qu’à songer à la participation de Lope à cette entreprise militaire fondamentale que fut la Invencible Armada. Dans le corps même du texte de Blas Malo, la possibilité que les faits ne se soient pas produits, leur statut entre fictionnels et factuels est discuté par les personnages eux-mêmes, à l’intérieur de la fiction. En signalant les différentes versions d’un même fait, le récit met en relief sa démarche biographique. L’auteur va même plus loin car il pointe du doigt le fait que l’écriture construit l’image d’un être, et a fortiori d’un écrivain en rappelant précisément tout le travail d’élaboration de son propre mythe mené par Lope de Vega. Au chapitre 7, nous pouvons ainsi lire « algunos dicen que no estuviste en la Armada, que son solo mentiras para rehabilitar tu nombre »63. Cette élaboration n’est finalement pas différente du travail de Blas Malo qui passe lui aussi par la littérature pour construire l’image du dramaturge.
Il appert donc que la biographie de Lope permet à l’auteur de se projeter dans son roman et d’y laisser percevoir un approfondissement de ses propres interrogations. Écrire la vie de Lope de Vega, lui qui a tant mêlé réalité et fiction, est donc écrire une biographie par antonomase : sa vie est précisément à l’image de la biographie romancée qui cherche à rendre compte d’une vie par la fiction et transforme la vie en fiction : Lope-personnage a d’ailleurs une formule, proche de celles de l’Arte Nuevo de hacer comedias que Blas Malo aurait pu faire sienne « sé!, que mis mundos son reales y la realidad es ficción. Que vida y muerte se confunden, señor. Que tras la tramoya la pasión fingida es vida verdadera »64.
Daniel Madelénat a pu noter de façon particulièrement éclairante qu’
En ce quart de siècle, du soft au hard, d’un pastel àune eau-forte, la galaxie biographoïde s’est déployée avec son noyau de « vies » historiques ou littéraires qui brouillent la frontière entre les assertions documentées et les affabulations oniriques : pour répondre a une demande soutenue d’infotainment (du vrai, du réel, mais ludique et distrayant)65.
Avec ces quelques pistes à approfondir sur Lope. La furia del Fénix, il s’agissait de proposer un exemple récent de cet univers de la biographie romancée. Dans ce récit qui mêle finalement le vrai, le vraisemblable et le légendaire, il y a une mise à distance de la biographie savante fondée sur le strict matériau documentaire, et une inscription incontestable de la suprématie de l’écriture fictionnelle sur le matériau référentiel au point que le qualificatif de biographie romancée s’impose pour le désigner. En bonne « fiction biographique », l’ouvrage ne cherche pas à restituer, à travers une narration historique, la chronologie des événements d’une vie. Il s’éloigne des biographies traditionnelles qui présentaient la cohérence d’un destin et propose plutôt une présentation de l’écrivain dans sa complexité, même si parfois peu nuancée, cherchant à livrer quelques clés d’une existence marquée toute entière par le souci de l’image de soi et des traces qu’en garderait la postérité.
[1] François DOSSE, Le Pari biographique. Écrire une vie, (1re éd 2005), Paris, Éd. La Découverte, 2011 ; Sabina LORIGA, Le Petit X. De la biographie à l'histoire, Paris, Seuil, 2010 ; Ann JEFERSON, Le Défi biographique : la littérature en question, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Les Littéraires », 2012.
[2] Daniel MADELÉNAT, La Biographie, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Littératures Modernes », 1984, p. 166.
[3] La première expression a été employée par Dorrit Cohn dès 1997 dans « Vies fictionnelles, vies historiques : limites et cas limites », Littérature, 105, 1997. p. 24-48 ; D. MADELÉNAT emploie pour sa part la seconde formule dans « La biographie aujourd’hui : frontières et résistances », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, 52, mai 2000, p. 153-168 alors qu’Alain Buisine publie un article intitulé précisément « Biofictions », Revue des sciences humaines, 224, 1991, p. 7-13. Quant au terme faction, il s’agit d’un néologisme employé par la critique anglo-saxonne pour désigner des formes narratives hybrides, entre le fact et la fiction.
[4] Blas MALO, Lope. La furia del Fénix, Barcelone, Ediciones B, 2016. Nous le citerons par la suite sous la forme Lope. La furia del Fénix, suivie du numéro de page.
[5] El Esclavo de la Al-hambra, Barcelone, Ediciones B, 2010 qui récrée la Grenade du XIVe siècle ; El Mármara en llamas, Barcelone, Ediciones B, paru en 2012 dont le sujet est le siège de Constantinople en 717-718 ; El Señor de Castilla, Barcelone, Ediciones B, 2013, autour de la dynastie Trastamare en Castille au XIVe siècle ; El Veneciano, Barcelone, Edhasa, 2018, reconstitution fictionnelle de l’occupation napoléonienne de la Sérénissime à la fin du XVIIIe siècle, et tout récemment Don Juan Manuel. El Guardián de las palabras, Barcelone, Edhasa, 2020, sur la figure du grand écrivain médiéval.
[6] Andrucha Waddington, Lope, Antena 3 Films, Espagne, 2010.
[7] C’est-à-dire celles d’Américo Castro et Hugo A. Rennert, Vida de Lope de Vega : 1562-1635, Salamanque, Anaya, 1968, celle de Suzanne Varga, Lope de Vega, Paris, Fayard, 2002, d’Ignacio Arellano et Carlos Mata, Vida y obra de Lope de Vega, Madrid, Homo Legens, 2011 ainsi que celles de José Florencio MartÍnez, Biografía de Lope de Vega. 1562-1635. Un friso literario del Siglo de Oro, Barcelone, PPU, 2011 et d’Antonio SÁnchez JimÉnez, Lope. El verso y la vida, Madrid, Cátedra, 2018.
[8] Felipe B. Pedraza, Lope de Vega. Pasiones, obra y fortuna del “Monstruo de la naturaleza”, Madrid, EDAF, 2009, p. 192 et suivantes.
[9] Sur la biographie littéraire, plusieurs ouvrages nous semblent fondamentaux : Philippe Desan et Daniel Desormeaux (dir.), Les biographies littéraires : théories, pratiques et perspectives nouvelles, Paris, Classiques Garnier, 2018 ainsi que la thèse de Charline PLUVINET publiée sous le titre Fictions en quête d’auteur, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, collection « Interférences », 2012. On se reportera également à Sophie Rabau et Sandrine Dubel (coord.), Fiction d’auteur ? Le discours biographique sur l’auteur de l’antiquité à nos jours, Paris, Champion, 2001.
[10] Robert Dion et Frances Fortier, Écrire l’écrivain. Formes contemporaines de la vie d’auteur, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. « Espace littéraire », 2010.
[11] F. B. PEDRAZA, « Imágenes sucesivas de Lope », in Irene Pardo Molina y Antonio Serrano AgullÓ (éd.), En torno al teatro del Siglo de Oro: XV Jornadas de teatro del Siglo de Oro (Almería, 5 al 15 de marzo 1998), Almería, Instituto de Estudios Almerienses, 2001, p. 211-232, p. 215.
[12] Lope. La furia del Fénix, Acto I, p. 1-75 et plus précisément chap. 3, p. 35-37 pour l’arrestation et chap. 5, p. 43-49 pour le procès.
[13] Ibid, p. 175. Nous retrouvons une allusion à ce décès tragique notamment dans la chronique de Luis Cabrera de Córdoba, Historia de Felipe II, rey de las Españas (1619), Madrid, Aribau, 1877, tome IV, livre VI, chap. X, p. 91 et Lope écrira par la suite Elegías a la muerte de don Diego de Toledo, publiées pour la première fois en 1605.
[14] Felipe de Gauna, Libro copioso y muy verdadero del casamiento y boda de las Magestades del Rey de España don Felipe tercero con Doña Margarita de Austria en su ciudad de Valencia de Aragón, Salvador Carreres y ZacarÉs (éd.), 2 t., Valence, Acción Bibliográfica Valenciana, 1926-1927, t. 1, p. 176 cité par Alejandro GarcÍa Reidy, « Ocultación y presencia autorial en las fiestas por las dobles bodas reales de 1599 » in Maud LE GUELLEC (éd.), El autor oculto en la literatura española. Siglos XIV a XVIII, Madrid, Casa de Velázquez, 2012, p 77-92, p. 87.
[15] Une confrontation des deux textes permet de remarquer leur proximité. Felipe de Gauna indique ainsi que deux chevaliers arrivent devant la Cour, « […] cual uno dellos fue conocido ser el poeta Lope de Vega, el cual venía vestido de botarga, habito italiano, que era todo de colorado, con calzas y ropillas siguidas y ropa larga de levantar de chamelote negro [...] y por el vestido que traía y arzones de la silla llevaba colgando diferentes animales de carne para comer, representando el tiempo del Carnal, como fueron muchos conexos, perdices y gallinas y otras aves colgadas por el cuello y cintura de su cuerpo, que había mucho que mirar en él », (loc. cit.), alors que nous pouvons lire dans Lope. La furia del Fénix: « Unas trompetas acallaron a los valencianos ante la plaza cuando un hombre de máscara ridícula que ocultaba sus ojos, con botarga y hábito rojo italiano por encima de sus calzas y chamelote negro con una gorra plana sobre la cabeza, pidió hablar. Avanzó a la jineta sobre una mula baya y del arzón y de su cintura, cubiertos de cascabeles, llevaba conejos, gallinas y perdices, símbolos de don Carnal. […] ¡Es Lope, majestad!- susurró Sarria […] » (p. 231).
[16] Félix Lope de Vega y Carpio, Epistolario de Lope de Vega, Agustín G. de AMEZÚA (éd.), 4 vol., Madrid, Real Academia Espanola, 1935-1943, vol. III, p. 41.
[17] Selon Anastasio Tomillo et Cristobal PÉrez Pastor, Proceso de Lope de Vega por libelos contra unos cómicos, Madrid, Real Academia de Historia, 1901, p. 239-240, il existe bien un document intitulé « Lope de Vega, Ana de Atienza y Juan de Chaves, alguacil, sobre el rapto de Isabel de Alderete ». Rappelons en effet que le second patronyme d’Isabel était Alderete.
[18] Lope. La furia del Fénix, p. 71-72.
[19] Ibid., p. 18. Nous pourrions multiplier ce type d’exemple.
[20] Pour les différentes voies d’accès à la conscience d’un personnage et notamment la notion de psycho-récit voir D. Cohn, La Transparence intérieure, (1re éd. 1978) Paris, Seuil, collection « Poétique », 1981.
[21] Lope. La furia del Fénix, p. 403. Le lecteur avisé aura reconnu la formule caricaturale employée par Lope contre Cervantès dans une lettre de 1612 au duc de Sessa : « Las academias están furiosas, en la pasada se tiraron los bonetes los licenciados. Yo leí unos versos con unos anteojos de Cervantes que parecían huevos estrellados mal hechos » F. Lope de Vega y Carpio, Epistolario de Lope de Vega, op. cit., t. III, p. 95.
[22] Kate Hamburger, Logique des genres littéraires, (1re éd. 1977), Paris, Seuil, 1986.
[23] D. MadelÉnat, « La Biographie littéraire aujourd'hui », in José Romera Castillo et Francisci Gatiérez Corbajo (dir.), Biografias literarias (1975-1997), Madrid, Visor Libros, 1998, p. 39-53, p. 47.
[24] Lope. La furia del Fénix, p. 101.
[25] Ibid, p. 78.
[26] F.Dosse, op. cit., p. 57.
[27] Sur ce point, on pourra se reporter notamment à A. SÁnchez JimÉnez, « Lope de Vega y la Armada Invencible de 1588: biografía y poses del autor », Anuario Lope de Vega, vol. 14, 2008, p. 269-289.
[28] Selon l’auteur, Lope s’est embarqué con « un hermano que tenía alférez y había muchos años que no se veían; placer que también le duró pocas horas, porque en una refriega que tuvieron con ocho velas de holandeses, le alcanzó una bala y murió en sus brazos ». Juan PÉrez de MontalbÁn, Fama póstuma a la vida y muerte del doctor Frey Lope de Vega Carpio, Obra completa no dramática, José Enrique Laplana Gil (éd), Madrid, Fundación Antonio de Castro, Colección Biblioteca Castro, 1999, p. 909.
[29] Nous ne pouvons guère démontrer toutes les libertés prises par la fiction sur cet aspect dans le cadre de cet article mais nous espérons pouvoir le faire prochainement. L’une des meilleures études de cette rivalité littéraire nous semble être celle d’Alfonso MartÍn JimÉnez, « El manuscrito de la primera parte del Quijote y la disputa entre Cervantes y Lope de Vega », Etiópicas: revista de letras renacentistas, 2, 2006, p. 255-334.
[30] Lope. La furia del Fénix, p. 92.
[31] Ibid., p. 426.
[32] Ibid., chapitre 32, p. 343-344. Si certains critiques ont pu avancer l’idée d’un lien entre la mère de Cervantès, Léonor de Cortinas, avec la belle-sœur d’Isabel de Urbina, ou même avec sa mère, aucune démonstration fiable de ces liens familiaux ne nous semble pouvoir être retenue à ce jour ainsi que le suggère José Montero Reguera « Una amistad truncada: sobre Lope de Vega y Cervantes (esbozo de una compleja relación) », Anales del Instituto de Estudios Madrileños, 39, 1999, p. 313-336, p. 315-316.
[33] Frances FORTIER et Richard SAINT-GELAIS, « La transposition générique », Protée, vol. 31, 1, 2003, p. 3-5, p. 3.
[34] Lope. La furia del Fénix, p. 31.
[35] Ibid, p. 33
[36] Ibid, chap. 4, p. 53.
[37] D. MADELÉNAT, La Biographie, p. 172.
[38] Carlos GARCÍA GUAL, Apología de la novela histórica y otros ensayos, Barcelone, Península, 2002, p. 20.
[39] Cf. Manuel HUERGA, Cervantes contra Lope, TVE, Espagne, 2016 et Marc VIGIL, El Ministerio del Tiempo, TVE, Espagne, 2015-2017. Lope est présent dans trois épisodes de la série El Ministerio del tiempo : « Tiempo de Gloria », « Tiempo de hidalgos » et « Tiempo de Esplendor ».
[40] Lope. La furia del Fénix, p. 84.
[41] Ibid., p. 193.
[42] Ibid., p. 11.
[43] Entrevue de Blas Malo : « La vida de Lope fue escandalosa y llena de contradicciones en busca de una fama que anhelaba », blog XX siglos, 12 juin 2016, URL : https://blogs.20minutos.es/xx-siglos/2016/06/12/blas-malo-la-vida-de-lope-fue-escandalosa-y-llena-de-contradicciones-en-busca-de-una-fama-que-anhelaba.
[44] Carlos GonzÁlez Reigosa, « La épica en la narrativa actual », in Gonzalo Santonja (coord.), El Cid. Historia, literatura y leyenda, Madrid, Sociedad estatal España Nuevo Milenio, p. 197-203, p. 201.
[45] Lope. La furia del Fénix, p. 186.
[46] Ibid., p. 11-12.
[47] Il est aisé de comparer « Llegando yo mozuelo a Lisboa, cuando la jornada de Inglaterra, se apasionó una cortesana de mis partes, y yo la visité lo menos honestamente que pude; dile unos escudillos (reliquias tristes de los que había sacado de Madrid) a una vieja madre que tenía, la cual, con un melindre entre puto y grave, me dijo así: ‘No me pago cuando me huelgo’ ». Lope de Vega Y Carpio, Epistolario de Lope de Vega, op. cit., t. III, p. 69 et le dialogue entre le Lope-biographé et une prostituée : « –Aquí están mis últimos escudillos, ¡tristes testigos de Madrid ! –Guárdalos; yo no cobro a los que me placen cuando disfruto », Lope. La furia del Fénix, p. 12.
[48] Ibid., p. 28. Plusieurs scènes érotiques, assez crues avec une description étoffée des ébats de Lope sont ainsi lisibles dans le roman, dans ce qui semble être une concession au divertissement du lecteur, une forme d’érotisation pour l’attirer: cf. p. 223, p. 241, p. 328, p. 352, p. 418.
[49] Dans une entrevue en date du 20 décembre 2016 présentée en annexe à Simon Breden, « La presencia de Lope de Vega en El Ministerio del Tiempo», Anuario Lope de Vega, 24, 2018, p. 75-93, p. 88.
[50] Javier OLIVARES et Pablo OLIVARES, scénario de « Tiempo de Gloria », El Ministerio del Tiempo, Onza Entertainment et Cliffhanger, Madrid, 2015, p. 46.
[51] Lope. La furia del Fénix, p. 74.
[52] Ibid., p. 19.
[53] Entrevue de Blas Malo « Blas Malo: ‘Este es el año de Cervantes y Lope es el gran olvidado’ », Diario de Córdoba, 25 mai 2016, URL : https://www.diariocordoba.com/noticias/contraportada/blas-malo-este-es-ano-cervantes-lope-es-gran-olvidado_1043482.html.
[54] Lope. La furia del Fénix p. 199.
[55] F. Dosse, op. cit., p. 7.
[56] Entrevue de Blas Malo « Blas Malo: ‘Este es el año de Cervantes y Lope es el gran olvidado’ », art. cit.
[57] Isabelle TOUTON, « El Siglo de Oro bajo el prisma de la novela histórica contemporánea: aprensión e interpretación de una imagen », in Hanno Ehrlicher, Stefan Schreckenberg (éd.), El Siglo de Oro en la España contemporánea, Madrid-Frankfurt, Iberoamericana-Vervuert, 2011, p. 195-211, p. 198.
[58] Lope. La furia del Fénix, p. 29.
[59] Ibid., p. 134.
[60] Ibid., p. 141.
[61] Dominique VIART, « Naissance moderne et renaissance contemporaine des fictions biographiques », in Anne Marie Monluçon et Agathe Salha (éd.), Fictions biographiques XIXe-XXIe, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2007, p. 35-54.
[62] Entrevue de Blas MALO, URL : https://robertozapata.com/entrevista-a-blas-malo.
[63] Lope. La furia del Fénix, p. 92.
[64] Ibid., p. 138.
[65] D. MadelÉnat, « Moi, biographe : m’as-tu vu ? », Revue de littérature comparée, 325, 2008, p. 95-108, p. 95.
Résumé
Cet article se propose d’étudier une forme particulière de biographie romancée, la fiction d’auteur, à travers l’examen de quelques aspects d’une riche reconstitution littéraire récente de la vie de Lope de Vega, entre biographie et mythographie : Lope. La furia del Fénix de Blas Malo (2016). Nous souhaitons en examiner les différentes composantes, à l’intersection du réel et de l’imaginaire, ainsi que nous interroger sur l’image du grand homme de Lettres, dont l’existence et l’œuvre se nourrissent réciproquement, que nous livre un ouvrage marqué par une indéniable réflexion métalittéraire.
Resumen
Este artículo tiene como objetivo estudiar una forma particular de biografía novelada, la ficción de autor, examinando algunos aspectos de una rica reconstrucción literaria reciente de la vida de Lope de Vega, entre biografía y mitografía: Lope. La furia del Fénix de Blas Malo (2016). Queremos examinar sus diferentes componentes, entre lo real y lo imaginario, así como cuestionar la imagen del Fénix de los Ingenios, cuya existencia y obra se nutren una de otra, que propone el texto marcado por una innegable reflexión metaliteraria.
Au croisement de la réalité et de la fiction : le matériau du texte
Caroline LYVET
Univ. Artois, UR 4028, Textes et Cultures, F-62000 Arras, France
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Entrevue de Blas MALO : « Blas Malo : ‘Este es el año de Cervantes y Lope es el gran olvidado’ », Diario de Córdoba, 25 mai 2016, URL : https://www.diariocordoba.com/noticias/contraportada/blas-malo-este-es-ano-cervantes-lope-es-gran-olvidado_1043482.html.
Entrevue de Blas MALO, URL : https://robertozapata.com/entrevista-a-blas-malo.