Au moment d’aborder l’exploration des territoires néo-grenadins et des imaginaires qui y sont associés, le bref récit El Cacique de Turmequé, rédigé vraisemblablement après 18591 par la Cubaine Gertrudis Gómez de Avellaneda et publié à la fin de sa vie, dans l’édition de ses œuvres complètes (1869-1871), constitue un objet d’étude particulier. Son intérêt, dans le cadre d’une réflexion sur le rôle joué par les voyages et les récits dans l’évolution des connaissances et perceptions de cette région du monde latino-américain, tient d’abord à la singularité du regard de l’auteur, qui n’est ni celui d’un voyageur européen, ni celui d’un auteur national. D’autre part, ce récit est la réécriture d’un texte officiel communément appelé El Carnero2, écrit par Juan Rodríguez Freyle3 qui relate, en 1636, les premiers temps de la Colonie (1579-1582), si déterminants dans l’Histoire de la Colombie. C’est d’ailleurs très explicitement que la leyenda4, d’après terminologie employée par Gertrudis Gómez de Avellaneda pour désigner son propre récit, évoque ce texte source, qu’elle ne cesse de rattacher au genre de la chronique (crónica)5, cherchant ainsi la légitimité du discours historique.
Les visions qui émergent de cette réécriture fictionnelle, ancrée dans la période antérieure à l’établissement de la Vice-Royauté de la Nouvelle-Grenade (si l’on se réfère au statut administratif de 1717), se fondent sur l’exploitation et la réélaboration d’une figure historique et légendaire, déjà présente dans El Carnero : le Métis Diego de Torres, Cacique de Turmequé, accusé d’avoir orchestré un prétendu soulèvement contre la Couronne. Dans cette perspective, le voyage ne s’entend pas comme un déplacement volontaire associé à la découverte et débouchant sur un savoir, puisqu’il suit plutôt les mouvements pendulaires de personnages en errance, entre Espagne et Nouvelle-Grenade ou, en interne, entre Santa Fe de Bogotá et Turmequé. Et c’est précisément à cet endroit que se nichent les mouvements féconds du passage à la fiction. Dans le cadre de la tension inhérente au jeu d’écriture du récit légendaire, à la fois lieu d’inscription, si ce n’est de l’Histoire, d’une histoire, et lieu de création, Gertrudis Gómez de Avellaneda vient en effet à modifier la lecture de cette période agitée, mais également certains territoires de la fiction. Cette démarche de réélaboration de la mémoire des colonies est à replacer dans son contexte de publication, qui est, rappelons-le, celui du siècle des Indépendances et de l’écriture romantique, écriture du paradoxe. Celle-ci participe du déplacement, sur le plan esthétique, de la tentative de réappropriation des territoires et des identités, mais parvient souvent difficilement à s’éloigner de l’influence des modèles européens et d’une vision très exogène de certains groupes socio-ethniques dont elle prétend décrire la triste condition.
El Cacique de Turmequé invite alors à un voyage spatio-temporel pour considérer plusieurs espaces, époques et écritures, au service d’une vision communément partagée par les auteurs du texte historique et de la fiction : celle d’une colonie non unifiée, en proie aux affres de la corruption, aux abus de pouvoir et à la violence. L’exploration de la légende subversive ouvrant la voie à de nouvelles compréhensions des rapports coloniaux passera par un bref retour sur l’exploitation des modalités de la réécriture du texte source, puis sur la transformation de l’archétype du métissage, depuis le traitement de la figure mythique qui a donné son nom à la légende avellanédine. Place sera ensuite faite à la dissolution du paysage, inextricablement liée à celle du personnage, dans l’histoire de la difficile condition du sujet colonial, paradoxalement exilé de ses propres terres néo-grenadines.
Rappelons d’abord qu’en matière de chronique El Carnero, « chronique scandaleuse » pour certains6, est loin d’être un modèle du genre. Comme le souligne Juan Manuel Cuartas7, l’écrit, malgré ce qu’il annonce, propose un rapport à l’Histoire sensiblement distinct (« simula el atacamiento de la forma de historiar típica de los cronistas de Indias »), depuis une vision de la société coloniale contée sur le mode d’anecdotes qui se multiplient (le critique parle de somme d’historielas) et qui sont à l’origine de l’irruption du lecteur dans les univers privés et individuels. Point de tout organique, de collectivité et de grandes instances unificatrices, mais plutôt un univers qui se disloque où les intérêts individuels s’affrontent. La dislocation devient donc une réponse esthétique face à l’impuissance et à l’inefficacité de l’ordre institutionnel8.
Les formes de l’émergence de l’individu dans le texte du XVIIe siècle constituaient une matière tout à fait propice pour la formation de héros romantiques en inadéquation avec leur monde. De ce fait, le rapport entre ces deux œuvres riches et complexes va bien au-delà du simple effet caution9 et de l’exploitation des informations que détiendrait le texte source. Gómez de Avellaneda a opéré une sélection en choisissant une séquence temporelle déterminée de l’histoire officielle. Elle s’appuie concrètement sur l’ensemble des chapitres XI à XV10 de El Carnero qui concernent la période de la présidence de la Real Audiencia du Nuevo Reino de Granada par Lope de Armendáriz, à partir de l’arrivée du juge Juan Bautista de Monzón à Santa Fe de Bogotá. Le récit s’ouvre et se ferme donc au rythme de l’arrivée et du départ dudit juge, fonctionnaire venu rétablir « l’ordre ». Les correspondances entre les stratégies d’écriture et l’orientation du propos sont nombreuses. Outre l’artifice rhétorique de la vérité et de l’objectivité, on y trouve la prédilection commune pour des thèmes « mineurs » sur fond de réflexions d’ordre politique, dans un cadre historique précis, qui propose la vision d’une colonie conflictuelle. La dimension morale du propos s’appuie paradoxalement sur le choix de figures subversives ou difficilement saisissables, en ce qu’elles peuvent porter en elles-mêmes des valeurs contraires et/ou ne sont pas véritablement caractérisées et donc caractérisables.
Il n’est donc pas seulement question de la reprise des faits, mais bien de celle d’un point de vue sur les faits, pour la peinture fondamentalement ambivalente d’une Nouvelle-Grenade anarchique et morcelée. Le principe de l’exploitation de l’intrigue amoureuse comme origine possible des troubles politiques et désordres qui opposent les responsables défaillants (sans remise en question apparente de la présence espagnole) offre précisément une première vision de la complexité des rapports entretenus dans la société coloniale que l’on retrouve dans le second texte. Ce dernier cite, amplifie, tronque, invente, mais prolonge toujours cette orientation. Concrètement, Gertrudiz Gómez de Avellaneda déplace l’ensemble du propos en s’intéressant uniquement à certains éléments de la genèse du conflit qui oppose d’abord le président de la Real Audiencia Lope de Armendáriz, puis ensuite et surtout le procureur (fiscal) Alonso de Orozco (incarnation de l’injustice et premier amant d’Estrella, qui cherchera ensuite à se venger de Diego de Torres, second amant de cette femme), au magistrat Juan Bautista de Monzón, incarnation de la droiture, assumant quant à lui l’ingrate fonction de visiteur (visitador). Si l’existence de la femme infidèle anonyme est à peine mentionnée dans le texte source, la légende lui octroie un nom et un véritable rôle au cœur des luttes intestines (ce qui permet notamment à l’auteur de réintroduire la subjectivité et le désir féminins, dans une stratégie de détournement du texte source)11. Une partie des complications de l’intrigue amoureuse est ainsi une invention de la Cubaine. De plus, passé le premier chapitre, la légende, qui s’inspire déjà d’un texte source modificateur de temporalité, ne présentera plus aucun indice temporel lié à un référentiel institutionnel (à titre d’exemple, à la fin du récit, la date d’arrivée des nouveaux représentants de l’autorité espagnole, venus remplacés le juge Monzón, n’apparaît pas).
Par conséquent, bien que différemment, les deux œuvres s’articulent autour d’entités singularisées, en butte aux désordres institutionnels, ou capables de les provoquer, pour mettre en lumière des mondes non unifiés.
Contrairement à El Carnero qui n’établit pas de hiérarchie entre ses nombreuses figures contre-exemplaires, El Cacique de Turmequé sélectionne ses figures historiques et feint de construire des personnages archétypaux, représentants, voire allégories, d’un monde binaire divisé entre le bien et le mal. Toutefois, dans la légende, ce sont finalement des figures mouvantes et envisageables sous plusieurs prismes qui apparaissent, selon ce que l’on nous dit d’elles.
À ce titre, les personnages de Roldán (dépositaire de l’histoire du territoire, proche du pícaro, bien que loyal) et de la versatile Estrella (sorte de Madame Bovary venue d’Espagne qui suit le gré de ses fantaisies et de ses rêveries) constituent des vecteurs de perception déterminants :
[…] su novelesca imaginación no hallaba el idilio, que había soñado, en la historia real del matrimonio, y una serie de falsos raciocinios la había convencido de que debía ser desgraciada, como víctima de un engaño del que era responsable su cónyuge12.
Ils orientent le récit, en nous donnant accès à des visions multiples, parfois contradictoires et souvent sujettes à caution. La voix (« el vociferado alzamiento »)13, les murmures et autres rumeurs sont également de véritables protagonistes :
Comenzó a circular de súbito pavoroso rumor: hablábase nada menos que de una conspiración formidable, preparada entre tinieblas y próxima a estallar cuando menos se esperase. Suponíase que la todavía numerosa raza india, saliendo al cabo de su aparente indolencia por alguna iniciativa secreta, tenía concertado el degüello de todos los españoles, comenzando la sangrienta hecatombe por los magistrados de la Real Audiencia y demás autoridades de las provincias de Nueva Granada14.
Dans ce cadre, aucune vérité absolue sur les faits ne peut être imposée, et c’est tout l’intérêt du récit qui révèle, de la sorte, l’absurdité de croyances établies, comme la façon dont des informations non vérifiées sont transmises et se trouvent à l’origine d’injustices majeures. Malgré son apparente fidélité à des sources historiques, l’œuvre n’a donc pas vocation à intégrer et à présenter de véritables « savoirs », mais bien à assouplir certaines représentations et des stéréotypes, bâtis sur des stratégies politiques et rhétoriques anciennes. En filigrane, émerge la subversion du vaste hypotexte que constituent les discours officiels fondateurs. Le regard critique, la mise en question systématique des points de vue sont précisément les moteurs de l’évolution dans la connaissance du territoire, dans l’histoire qui précède l’établissement de la Vice-Royauté, cassant ainsi le cliché du paradis établi depuis les chroniques.
Dans le tableau avellanédin de ce monde tumultueux, où « l’héroïsme et la perversité s’entrechoquent continuellement »15, l’insaisissable figure du Cacique de Turmequé, Diego de Torres, l’archétype du Métis revisité, se trouve au cœur du processus de morcellement et de démultiplication des points de vue, selon des modalités assez inhabituelles pour l’époque. Le nouvel écrit insiste sur les néfastes conséquences des conflits politiques pour ce personnage. Au-delà d’un titre trompeur qui lui confère le statut de personnage placé au centre de la diégèse, un simulacre de facture héroïque apparaît. Son portrait répond à la tendance de l’époque à dignifier et à idéaliser, par l’idéologie du blanchiment, de l’acculturation (c’est un prince chrétien) et de l’ennoblissement du héros romantique. On nous donne ainsi à voir un métissage harmonieux, incarnation des rapports idéalisés entre Métropole et Colonie, depuis le phénotype précis de ce cavalier hors pair. Sa constitution physique et sa morphologie apparaissent comme les premiers indicateurs de sa noblesse. Tous admirent ainsi :
[…] la gallarda apostura de aquel príncipe indiano de elegante talle, de negros y fulgurantes ojos, de tez ligeramente bronceada, pero admirable por su juvenil tersura, y de profusa cabellera rizada, que sombreaba, prestándole cierta gravedad melancólica, una frente altiva y espaciosa, hecha al parecer expresamente para ostentar una corona16.
Cette noblesse est ensuite développée par l’évocation d’une ascendance qui justifie également d’entrée de jeu la possession d’un territoire ancestral :
Aquel jinete celebrado llevaba en sus venas sangre regia americana, pues nació del himeneo del conquistador don Juan de Torres, con una princesa, hija del soberano de Tunja, la cual le llevó en dote el principado o cacicazgo de Turmequé 17.
Cependant, si l’on replace le précédent tableau dans l’économie générale de la relativité et de la fausseté des points de vue, on ne peut que relever la fonction paradoxale d’une telle présentation. Non individualisant, car très général, le portrait repose sur la vision chimérique et instable de l’Espagnole Estrella, dont toutes les rêveries sont invalidées par la valeur morale conférée à ce personnage féminin adultère (on notera la suggestivité du nom, Estrella, étoile certes brillante, mais également filante, preuve incarnée que ce tout ce qui brille n’est pas or). Contrairement aux stratégies d’élaboration des héros romantiques, le portrait fictionnel du Métis Diego de Torres ne constitue en rien l’annonce d’une essence confirmée ultérieurement par des actions nobles et avérées. Sa temporalité n’est pas associée à « une forme d’épistémè », il n’est pas « une construction progressive couronnée par une conclusion » qui témoigne de la « foi en la possibilité de cerner un personnage par l’écriture »18. Tantôt envisagé comme victime d’une injustice, tantôt rebelle en puissance (à titre d’exemple, « Hizo la calavera de promover cierto alzamiento de indios »19, dira un inconnu en Espagne, alors que le narrateur peut parler de « fingido alzamiento »)20, il semble n’être qu’une imposture en tant que héros unifié. Le lecteur, n’a accès à lui que depuis le regard des autres, et ne trouve pas de mises en scène de ses actions (si ce n’est dans les chapitres VII et VIII qui ne concernent que son enfermement et son évasion)21. De la réalité de son action politique, on ignore donc tout. En cela, la légende n’invente rien par rapport au texte source qui associe même clairement la prétendue conspiration de Turmequé à des manœuvres d’Orozco : « Dio principio el fiscal a sus intentos dando orden de que sonase una voz de un gran alzamiento, tomando por causa de él a don Diego de Torre [sic], cacique de Turmequé »)22. Dans la réécriture, nous n’avons plus accès qu’à des gloses et interprétations d’agissements supposés, mais jamais représentés.
Le récit avancera ensuite sur le fond de sa disparition progressive en tant que personnage déjà initialement non agissant de manière effective. L’exploitation du motif du déguisement, au moment de sa fuite, et de sa transformation à la fin du récit, est à interpréter dans le sens d’une dissolution de l’identité, préalable à son effacement définitif. Afin d’assurer son anonymat pendant sa fuite, Diego de Torres, d’abord présenté comme un beau cavalier, toujours selon la logique d’ennoblissement du héros romantique, sera finalement transformé en paysan indien (« Don Diego fue revestido con prontitud de su disfraz de indio campesino; don Juan Bautista le dio en pocas palabras los consejos e instrucciones que juzgó convenientes »)23. Excepté une réapparition ponctuelle durant sa clandestine escapade champêtre, justifiée par l’attente de son embarquement pour l’Espagne où il ira chercher justice auprès du roi, cette forme travestie va donc quitter la scène au sein d’une diégèse qui lui octroie une sortie théâtrale à la fin du chapitre IX :
[…] plantándose, con su acostumbrada gallardía, en la montura que aguardaba, emprendió carrera tan veloz, que aún no habían cesado casi los tiernos adioses repetidos desde la ventana, y ya no percibían los oídos del visitador y sus compañeros, ni un leve rumor del ruido que producían las herraduras del caballo sobre el pedregoso pavimento24.
Ici, Diego de Torres, « mi-prince » / « mi-indien », semble à nouveau doté de tous les attributs du héros glorifié et potentiellement rebelle, qui renvoient à cet imaginaire double qu’ont contribué à construire les textes romantiques indianistes. Mais sa passivité et son statut d’objet sont mis en évidence, puisque les attributs dont on l’affuble (déguisement, arme et monture) il ne les a pas choisis. Ces sont les autres (notamment Monzón, l’instance représentant l’autorité espagnole) qui les lui assignent, pour permettre sa fuite.
Face aux images d’Épinal, qui le réifient en tant qu’objet fantasmé, s’impose ainsi la figure d’un fugitif qui disparaît de la diégèse, pour n’y revenir à la fin que sous une forme, qui, comme toujours, le prive de toute parole, et surtout marque l’approximation. C’est-à-dire la ressemblance et non l’identité (« Se parece mucho a un conocido mío » dira le mari trompé d’Estrella, parti en Espagne à la recherche du Cacique – devenu « picador de los caballos de su majestad »25 – pour se venger). Ce personnage évanescent atteste du non-lieu des images anciennes, et de la quête de formes nouvelles. Au sein d’une dynamique scripturale, où les images et les discours inextricablement liés, ne sont que chimères, du « non-lieu » du personnage en fuite au « non-sens », il n’y a qu’un pas. À la fin du récit, l’emploi du terme polysémique de « personnage », bien que d’abord lié à la question du statut social, trouve ainsi un écho tout particulier :
–No sería extraño que lo hubiese visto durante vuestra residencia en la Nueva Granada –repuso el jefe de las caballerizas–; porque habéis de saber que ese hombre era un personaje no hace mucho tiempo todavía26.
Le Cacique de Turmequé, instance du silence (ou d’un discours profondément ambivalent lorsque celui-ci est ponctuellement énoncé)27 est un être physiquement absent. Il n’est pas caractérisé et caractérisable par un portrait physique ou un discours finalement sporadique et trompeur. À notre sens, son manque de consistance et de caractérisation psychologique ne constitue pas une forme de la limite et de la superficialité du texte28. Il s’agit, bien au contraire, d’un choix esthétique porteur. D’une part, cette impénétrable personnalité morale permet d’éviter les pièges d’un psychologisme qui manierait les topiques de la représentation exogène de l’autochtonie et de l’inconfortable situation du Métis ou de l’Indien, pourtant bien visibles dans les romans indianistes de l’époque29. D’autre part, l’ancrage que ne peut trouver ce (non)personnage revisité (dépossession, perte d’identité) renvoie à celui que ne peut trouver l’écriture qui, dans cette perspective, devient une « féconde » écriture de l’aporie. Dans un récit qui cherche à faire émerger les mémoires nouvelles de réalités fragmentaires, la représentation n’a pas de lieu et n’aura jamais lieu.
Faussement inspiré des romans romantiques, le titre de cette légende instaure donc, dès le paratexte, un jeu avec le lecteur. Diego de Torres trouve sa justification et sa réelle densité, non dans ce qu’il renverrait à un héros unique, extraordinaire et omniprésent, mais parce qu’il désigne l’objet (et non le sujet) des discours. Il constitue le centre du récit en tant qu’être non saisissable par les autres et par lui-même, point de cristallisation de paroles et visions dont il s’agit de souligner la labilité, la multiplicité et les limites. Cette stratégie est résolument moderne en ce XIXe siècle, où l’interprétation du lecteur est habituellement guidée par un narrateur qui présente et représente.
Dans la mise en scène de la relation problématique de l’homme à son environnement dans les premiers temps de la colonie, les réécriture et réappropriation de l’Histoire passent, non seulement par la déconstruction des représentations de la figure du Métis, mais également par une perception/construction particulière des paysages et des territoires. La légende exploite l’absence d’ancrage dans le paysage auquel la figure centrale est associée. En creux, le non paysage devient donc un élément tout aussi signifiant que le non personnage.
À l’instar de la stratégie adoptée pour l’élaboration du portrait trompeur, une partie de l’itinéraire de Diego de Torres pourrait être envisagée comme l’endroit d’un simulacre de recréation des lieux originels de la mémoire. Comme le suggère l’allusion, bien que laconique, qui suit le récit de sa dépossession et de son arrestation, une forme de réappropriation, symbolisée par le retour du personnage dans son lieu d’origine, permettrait un ré-ancrage, en marge de la loi établie :
Hizo lo que menos debía suponerse por sus perseguidores, que fue internarse en los mismos campos de los que fueron sus dominios, y confundido entre los indios, sus vasallos –con cuya fidelidad contaba– dedicarse como ellos a las faenas campestres, beneficiando el terreno de que le habían despojado30.
La caractérisation de terrains ayant anciennement constitué les domaines du cacique contribue à suggérer que ce retour à la terre s’apparente à une plongée (« internarse ») dans le passé, bien qu’immédiat. Mais, dans cette très brève évocation, le territoire n’est pas recréé par une description qui le doterait de la fonction du paysage palimpseste, porteur de traces31. En écho à la situation initiale, le retour ponctuel n’est qu’un moyen de rappeler l’arrachement, dans un récit exclusivement centré sur la dépossession et le continuel mouvement du personnage. En réalité, nul besoin de re-conformer les lieux de la première dépossession, car la narration s’ancre déjà dans la temporalité même de l’arrachement. Dans le prolongement de la mise en scène récurrente de la manipulation des faits et des dires, l’œuvre propose donc plutôt une symbolique spatiale qui privilégie la mise en lumière des gestes d’effacement exercés sur le paysage-mémoire.
Dans ce sens, l’exception descriptive du chapitre III n’en est en réalité pas une. Si aux yeux d’Estrella le jardin solitaire luxuriant (motif romantique par excellence) est le lieu du ressourcement et de l’intimité amoureuse, facilement envisageable comme le cadre pittoresque32 et plaisant d’une l’idylle romantique33 (chimère faisant écho à la logique du portrait de Diego des Torres), on ne peut ignorer qu’il se donne également à voir comme le lieu « marqué » de la rencontre adultère et du duel qui suivra entre les deux personnages allégoriques :
En vano, empero, [Estrella] recorrió todo el jardín, llamando al uno y al otro entre desgarradores sollozos ; todo estaba desierto y silencioso… Los dos rivales habían desaparecido, cual si se les tragase la tierra, y acaso juzgara Estrella que cuanto le parecía haber ocurrido aquella fatal noche no era sino alucinación de un sueño, si de pronto, al pasar cerca del cenador, no hubieran resbalado sus delicados pies con un charco de todavía hirviente sangre. Cayó sin sentido sobre ella, y al levantarla en sus brazos la negra que la acompañaba, pudo observar, merced a la claridad de la luna, luciendo ya plenamente en lo más alto del firmamento, que el rojizo rastro llegaba hasta la misma puerta del jardín. Era evidente, por tanto, que uno de los dos contendientes había sacado por allí, regando con su sangre las huellas de su conductor34.
La dimension fantasmagorique et onirique de la première vision de la protagoniste s’oppose à la réalité du sol. Ce lieu, dont la description est d’entrée de jeu invalidée et niée (puisqu’il s’agit encore des chimères d’Estrella) se transforme en trainée. Deux expressions en rappellent la présence dans la redondance (par la couleur puis la forme : « rojizo rastro » / « sangre » « huellas ») et indiquent le mouvement. La ligne dessinée pour dire les faits témoigne d’une chronologie de deux manières. Le sang frais n’est pas seulement signifiant par la linéarité du dessin, il devient également signe tactile. Sa matière glissante provoque le déséquilibre d’Estrella : paysage et personnages font alors corps dans l’histoire d’une chute. La construction de ce cadre du duel entre Alonso de Orozco et Diego de Torres, ne sert qu’à introduire la dynamique d’effacement. À l’ouverture du chapitre suivant, la voix narrative signale en effet que le sang de ce qu’elle présente toujours comme une « histoire vraie »35 est ensuite effacé (« aquella noche […] que su previsora esclava supo aprovechar para enarenar por sí misma la parte del jardín donde las manchas de sangre revelaban la escena de que había sido teatro »)36. C’est bien la néantisation de la trace qui ferme l’espace narratif consacré à l’évocation du lieu. Si le récit rappelle à nouveau fonction signifiante de la tâche (« revelaban »), c’est pour mettre davantage en évidence l’opération de son occultation, ainsi que les implications de sa disparition.
Plus la trace est signifiante, plus elle doit être effacée. Fait hautement significatif, c’est alors l’esclave d’Estrella qui l’efface, en enfouissant la tâche de sang sous une couche de sable. Elle des-inscrit donc la mémoire. Le personnage avait d’ailleurs été dressé comme une figure de la trahison, de mèche avec l’intriguant Orozco voulant se venger d’Estrella37. La marque transformait pourtant le site en lieu témoin (symbole du conflit entre deux personnages allégoriques, Orozco ou l’Espagne conquérante et Diego de Torres ou l’Amérique plurielle). Plus qu’elle ne cherche à relater l’histoire des faits (à ce moment de la narration, on ne sait pas véritablement à qui appartient le sang versé, ni qui est victime ou bourreau), l’évocation de la disparition volontaire de cette trace semble avoir pour vocation de signifier tout autant l’existence d’un passé tu, que celle de l’acte d’occultation. La légende dit avant tout l’Histoire lacunaire.
La question de l’opacification, ici symbolisée par un acte paysager cohérent avec l’ensemble de la narration courte, se pose tout au long du récit. La mise en scène de la torture de Roldán, personnage opaque mais représentant incarné de la mémoire du territoire, s’inscrit ainsi comme un prolongement de la destruction du paysage. Avec lui, la destruction du « corps » de la mémoire, alors déformée, émerge38. Le brouillage de l’Histoire se donne aussi à voir et à lire, dans l’enjeu de l’interprétation de traces écrites. Toujours ambivalentes, leur valeur est mise en question. Plus implicitement, l’interprétation ou l’application d’une loi que l’on suppose également écrite, dans le cadre du système juridique des colonies, participe de cet élan où paysages, corps et écritures sont les enjeux de la manipulation39.
De surcroît, lorsque le paysage n’est pas déformé ou effacé par les personnages, il est tout bonnement occulté par la voix narrative. Mis à part quelques formules renvoyant au jardin, à la champêtre région de Tunja-Turmequé ou au ciel lors de l’évasion du cacique, les lieux concrets de la nature n’existent pas au-delà de leur simple mention, par ailleurs ponctuelle.
Dans son ensemble, le récit fait presque l’économie totale de l’art de la description qu’elle soit paysagère ou non. Bien souvent, le lecteur ne sait pas où les faits se passent concrètement, si ce n’est dans l’une des trois zones envisagées (la péninsule caractérisée par une omniprésence fantomatique) et les deux ensembles (où le récit se déroule de facto) qui constituent le territoire américain de la Nouvelle-Grenade exclusivement réduit à la capitale Santa Fe de Bogotá et à la région de Tunja-Turmequé. Ces zones sont désignées par de simples toponymes, ou par des termes et périphrases génériques qui renvoient à des entités géopolitiques et ethniques (par exemple : « la madre patria », « países recientemente conquistados, y convertidos ya, en teatro de inmorales y sangrientos dramas », ou encore « parte de los dominios que poseían los reyes y príncipes indígenas »)40. Qu’il s’agisse d’un tout (España/Nueva Granada), ou d’une de ses parties, le champ évoqué devient la métaphore de certaines formes du pouvoir ou de son exercice, mais s’incarne difficilement dans de véritables lieux. Lorsqu’un endroit plus précis est nommé, il est cependant relativement difficile de se le représenter comme le révèlent ces formules minimales, génériques et laconiques « paradero », « paraje » ou encore « sitios »41. C’est alors que, réduit à cette essence locative première, le lieu indéterminé peut devenir simple point (« puntos ») ou, au contraire, se dissoudre sous une vague forme qui lui fait perdre sa force de localisation42. En nul lieu, ou dans tous les lieux, rien n’est stationnaire sur le sol de la Nouvelle-Grenade, dont la physionomie est elle-même indiscernable. Toujours plus abstrait et indiscernable, le lieu peut même être l’endroit paradoxal que l’on ne saurait localiser, l’endroit où l’on n’est pas (« el sitio en que pudiera ocultarse »)43. Impossible d’avoir accès à ces points géographiques toujours plus lointains. Tout ceci marque un pas supplémentaire dans la dynamique d’inscription-effacement du récit. La propension de la narration à faire disparaître le lieu, faisant fi des habituelles modalités descriptives, perturbe en partie l’horizon d’attente du lecteur de romans romantiques.
Dans ce (non)cadre, la figure de Diego de Torres, déjà balancée et insaisissable dans sa représentation, est littéralement projetée et éjectée, au point de n’être plus jamais localisable. Figure fantomatique, il est personnage virtuel dépourvu d’un lieu réel. Dans le déchaînement des fantaisies, tous types de lieux virtuels lui sont alors attribués, et le chemin qu’il prend ne revêt plus aucune traçabilité. On ne le trouvera plus dans « aucun port » :
Don Diego se guardó bien, en los primeros días que siguieron su evasión, de presentarse en ningún puerto para facilitar su embarco para España, pues era casi seguro que, suponiéndole esta intención, hubiesen tomado las autoridades medidas perentorias para su captura en tales puntos44.
Il est étroitement associé à la double négation du lieu. Double, car le lieu déjà hypothétique, lorsqu’il est envisagé, s’avère n’être pas celui où il pourrait se trouver. Même localisé dans ses anciens domaines, le cacique, de surcroît déjà déguisé, échappe aux regards d’Estrella et de son amie45. Quant à lui, le billet transmis par l’esclave à Estrella projette le Métis dans un espace indistinct entre les deux mers46. Avec le naufrage fictif, le lecteur en vient à envisager sa disparition totale. Le mari d’Estrella évoquera ainsi :
la desgracia de nuestro joven amigo el cacique don Diego, quien después de tener la fortuna de escaparse de manos del verdugo, ha hallado la muerte entre las olas, porque se asegura el naufragio del bergantín, en que se embarcó hace pocos días con dirección a España47.
Enfin, c’est encore l’incertitude qui primera lors du dénouement. Puisque des doutes subsistent quant à l’identification de Diego de Torres par le mari d’Estrella, parti à sa recherche pour trouver vengeance48, la localisation du fugitif en Espagne n’est donc pas certaine.
Point de personnage et point de lieu donc. Vaguement située dans ces espaces, l’action s’établit par conséquent dans une sorte de non-lieu49 généralisé, afin de laisser place aux mouvements pendulaires des entités nommées et du récit lui-même. Les désignations locatives, liminaires et simples révèlent d’abord des endroits où l’on va ou que l’on laisse. Parfois gagné (atteint), ou regagné de diverses façons, le territoire est surtout abandonné, quitté de force ou par peur. Dans tous les cas, il est traversé et ne constitue jamais un point de stationnement définitif. Au-delà des impératifs de la narration courte, la diégèse, en abolissant immédiatement la question du lieu et de sa représentation, peut alors pleinement se consacrer à la mise en scène, non seulement du brouillage de l’Histoire, mais également à celle des mouvements de va-et-vient, de l’exil et de l’errance. L’urgence du dire de la pratique spatiale supplante celle de l’expression de son propre cadre. L’hyper référentialité étant exclue, ce sont ainsi de nouveaux espaces (et non des lieux d’après la distinction établie par Michel De Certeau)50, précisément générés par ce mouvement chaotique, qu’il s’agit de déployer dans l’écriture de la mise en lumière d’une mémoire trafiquée.
Revenons sur ces correspondances entre les mouvements des personnages et le nomadisme de l’énonciation elle-même. Les motivations de la mobilité et de la circulation des personnes dépendent des autorités – pour leur part, prises dans le mouvement de voyages à caractère administratif – qui s’efforcent d’en garder le contrôle. Le récit dénonce le non-sens d’un système socio-politique, depuis ce traitement littéraire de la pratique coercitive des espaces néo-grenadins, dans le cadre des relations conflictuelles entre les diverses composantes de la société coloniale. Preuve en est, cette versatilité des espaces eux-mêmes : l’indécision et l’ambigüité, valables pour des personnages qui sont des incarnations du territoire, s’appliquent logiquement à la pensée des espaces. Selon le point de vue, Tunja-Tumerqué est associé à l’opprimé ou au conspirateur, et Santa Fe à la justice ou à l’injustice, selon le crédit que l’on accorde à la légende de la conspiration. Cette versatilité est particulièrement valable pour l’Espagne : le positionnement de l’auteur, sur les formes de contrôle des colonies par la Métropole, n’est pas clairement identifiable (dénonciation de certaines injustices, opposition entre Monzón, allégorie de la justice Espagnole, et Orozco, allégorie de la cruauté, dénouement interprétable de diverses manières). Des valeurs changeantes sont donc attribuées aux trois zones, dans ce cadre instable et polysémique.
Les mouvements d’ensemble sur le territoire américain peuvent être associés à un « état général d’exil et d’enfermement », à l’origine de la détermination des pratiques de l’espace. Au sein du territoire bipolaire qu’elle dresse, la leyenda développe à loisir la mise en scène de l’exil51 (« destierro »), et en corollaire, la mise en scène des divers déplacements renvoyant à un incessant balancement. L’écriture nous offre toujours des espaces pratiqués par l’errance. Après la mise en exil initiale du magistrat Rodríguez de Mora, renvoyé en métropole par Monzón52, la mise en exil d’Estrella, par le même juge, constitue l’expérience fondatrice et centrale. À partir de ce premier acte, la récurrence de la mise en exil se donne ainsi à voir dans nombre de cas concrets ou imaginaires d’expulsions et de déplacements forcés des personnages directement ou indirectement liés à la protagoniste53. Les luttes et les vengeances personnelles qui en découleront se traduisent très concrètement autour de l’enjeu de la spatialité. À partir de ce moment, successivement, Orozco, refusant l’exil de celle qu’il aime, exprimera dans ses lettres la volonté d’expulser ou de faire disparaître Monzón du territoire de la Nouvelle-Grenade54, et œuvrera à ce que le deuxième amant, son rival, Diego de Torres, soit déplacé à la capitale et exproprié de ses terres. Puis, face à l’ampleur des désordres, la Métropole interviendra : Orozco et Zorilla seront finalement renvoyés en Castille et Monzón à Lima. Dans cette succession de mouvements sous contrainte et de mises hors des terres, dans le jeu de réactions en chaîne qui rythme El Cacique de Turmequé, le récit se donne à lire, avant tout, comme l’histoire d’une véritable bataille pour le contrôle du territoire et la possibilité de l’habiter.
Toujours intimement lié à la punition, l’exil est bien souvent associé à l’emprisonnement (en particulier de Diego de Torres et du nomade Roldán). L’enfermement constitue une variante du contrôle et de la restriction limitative, devenant alors interdiction pure et simple de se déplacer. Cette forme d’enfermement marque l’extranéité même du lieu d’ancrage, placé sous contrôle et traversé par la dépossession. La propriété (« lo propio ») est donc détournée de sa fonction première. Le cas de l’arrestation de Diego de Torres à son propre domicile constitue une forme initiale d’enfermement, laquelle précèdera l’emprisonnement véritable :
Sorprendido el cacique, cuando ni aun sospechaba posible se intentase llegar a tal extremo en la farsa creada por el odio, se encontró preso en su propio domicilio, sin que le fuera posible intentar defenderse, entrando en Santa Fe, para ser encerrado en oscuro calabozo55.
Le pouvoir de décision est toujours détenu par les instances qui incarnent l’ordre métropolitain ou local (Monzón et Orozco), comme par l’indistincte Métropole elle-même, laquelle n’hésite d’ailleurs pas à faire usage de la coercition sur ses propres représentants, comme le révèle le dénouement précédemment évoqué.
Afin de trouver une issue compensatoire face à la passivité et à l’impuissance que génère la situation d’exil ou d’enfermement, afin de faire éclater des cadres limitants, des déplacements secrets sont également effectués. Ceux-ci s’inscrivent toujours sur ce même axe reliant, dans un sens ou dans un autre, Santa Fe et Tunja-Turmequé. Ils concernent particulièrement Orozco, Roldán et le Cacique56.
Dans la narration de la lutte pour les territoires, l’exil s’inscrit donc d’abord à l’intérieur même de l’espace des Amériques, il est interne. L’impossible ancrage ne se structure pas sur une traversée, c’est-à-dire sur un itinéraire rectiligne. Il s’articule sur un incessant mouvement pendulaire entre Santa Fe de Bogotá et Turmequé/Tunja, qui est tout autant celui de la narration que celui des personnages. De concert avec le va-et-vient des protagonistes, la progression de la narration s’établit sur cette oscillation qu’elle explicite, de chapitre en chapitre, ou au sein d’un même chapitre :
Nosotros, por nuestra parte, dejaremos a la señora en su lecho, y a la negra en su prudente trabajo, para transportar por segunda vez al lector a la ciudad de Santa Fe, y presentarle, como es debido, otro personaje de esa verídica historia57.
Le lecteur est donc balloté d’un pôle à l’autre, dans un jeu de mise en abîme des espaces, par les mouvements imbriqués des diverses pensées, paroles et actions58. Les déplacements (mais jamais les cheminements) sont formellement marqués par les commentaires narratifs. En « spatialisant » les mouvements de l’écriture/lecture, dans ces aller-retours, le récit est également un récit balloté, un récit qui ne chemine pas. Cet aspect pendulaire implique un incessant déplacement de ce que l’on considère être le centre ou la périphérie, selon la situation et le point de vue du personnage exilé. Cette circularité errante s’étend à toute l’œuvre bipolaire qui « décentre ». Le caractère cyclique et répété de l’oscillation symbolise clairement l’impasse et l’enfermement que constituent la situation de non-lieu dans la Colonie.
Cette situation aurait pu être dépassée par l’introduction du troisième terme géographique, c’est-à-dire la possibilité d’un troisième lieu, qui revêt la forme concrète de la Péninsule, d’abord fantasmée comme lieu de justice (lieu incarné par Monzón et imaginé par Diego de Torres qui pense pouvoir trouver réparation en Espagne auprès du Roi). Pourtant, à la fin du récit, l’introduction de la troisième localité (Madrid) signifie, non pas le salut et la fin de l’enfermement dialectique, mais un exil définitif, de surcroît associé à une forme de déchéance. C’est dans cet espace que se dessine très nettement la figure du prince déchu. L’Espagne, non plus incarnée par le juste Monzón, mais par le vindicatif Orozco ou l’inconstante Estrella, avait déjà été parfois explicitement associée au lieu à l’origine de la dépossession, comme le suggérait l’allusion aux guerres dans la note qui explique le statut politique de Tunja-Turmequé59. Elle devient le cadre ultime de la mise en scène de l’aporie de l’écriture. Les derniers mots de la légende, ceux du narrateur, revêtent la forme apparente d’une morale, tout en rappelant encore l’indianité du fantasmatique cacique. Dans tous les cas, leur ambivalence achève d’entériner l’image de la Péninsule comme lieu de sanction, mais non forcément de justice, puisque la conspiration n’a jamais été prouvée : « ¿Qué pena podría imponérsele, mayor que la que sufre, al joven príncipe indiano, reducido a adiestrar los caballos del rey por el salario de una peseta al día »60. L’impossible pratique de l’espace américain n’est plus signifiée par un mouvement pendulaire, mais par la disparition finale de l’espace grenadin, placé hors du champ diégétique, au profit de la Métropole. Place est faite à l’évocation d’une géographie péninsulaire symboliquement réduite à l’indistincte maison d’un Orozco devenu dément, puis aux écuries du Roi. Il s’agit d’un retour au véritable lieu d’ancrage d’un pouvoir ambivalent, jusqu’ici envisagé depuis les Amériques, et dont Santa Fe de Bogotá était la succursale. En débouchant sur une disparition et une « délocalisation » absolue du personnage, la narration marquera jusqu’au dernier degré cette situation de non-lieu, de paratopie61 totale et de non-sens.
Au fil de ces visions de la Nouvelle-Grenade, il est évident que nous ne passons pas d’une prétendue réalité, projetée dans l’écrit historique El Carnero, à la fiction pure et dénuée de lien avec le réel. En reprenant et en jouant avec les codes propres au XIXe siècle et à l’esthétique romantique, en re-poétisant le territoire, la légende propose des modalités d’écriture tout à fait novatrices et surprenantes dans ce contexte. Le passage de la première mise en récit de l’Histoire de la Colombie des premiers temps de la colonisation, déjà complexe et fragmentaire, à une nouvelle mise en récit, non moins éloquente, montre que nous passons d’une histoire démultipliée à une autre. C’est dans cette continuité que El Cacique de Turmequé dit la relativité des réalités, le morcèlement des conditions, la violence et l’injustice à l’origine de l’établissement de la société coloniale. Le discours proposé sur la géographie, la place de la nature et le rapport au paysage font bien partie d’une réflexion plus vaste sur les fondements de la nation et les racines de la violence dans l’Histoire colombienne.
Cette réécriture de El Carnero est particulièrement intéressante à ce titre, mais aussi parce qu’elle s’inscrit dans l’ensemble des géographies imaginaires62 de Gertrudis Gómez de Avellaneda sur les Amériques coloniales. L’auteur y retravaille toujours l’archétype du Métis, figure de l’intenable condition du sujet colonial63, la symbolique et la métaphorisation des espaces, l’inscription-effacement de la trace paysagère et la manipulation de l’Histoire. Elle nous offre ainsi des fulgurances postcoloniales, avant la lettre.
[1] La première édition du texte date de 1859 et la seconde de 1884. Il est peu probable que la Cubaine ait eu en sa possession une des diverses copies manuscrites antérieures. À ce sujet, voir le prologue de Marie CRUZ, in Gertrudis GÓMEZ DE AVELLANEDA, Tradiciones, La Havane, Editorial Letras Cubanas, 1984, p. 26-27, et celui de Darío ACHURY VALENZUELA, in Juan RODRÍGUEZ FREYLE, El Carnero, Caracas, Fundación Biblioteca Ayacucho, 1979, p. LVII-LVIX.
[2] Le titre originel de l’œuvre est un long titre « programme ». On ignore l’identité de celui qui aurait pu attribuer cette seconde appellation retenue par la critique, voir D. ACHURY VALENZUELA, op. cit. p. L.
[3] Les graphies du nom de l’auteur sont nombreuses (« Tresle », dans le texte de G. Gómez de Avellaneda, mais également « Freile », « Fresle », « Freire » ou encore « Freyle »). Nous conservons « Freyle », l’appellation employée dans l’édition citée dans ce travail, qui présente l’avantage de signaler les variantes éditoriales en fonction des manuscrits, et donne ainsi une vision concrète du texte de 1859.
[4] Voir la réflexion de Mary Cruz quant à la question de l’appartenance de El Cacique de Turmequé au genre de la légende ou, plus largement, à celui de la tradición, in G. GÓMEZ DE AVELLANEDA, op. cit., p. 7-9.
[5] Voir G. GÓMEZ DE AVELLANEDA, « El Cacique de Turmequé », in Tradiciones, La Havane, Editorial Letras Cubanas, 1984, p. 325, 331, 343, 346, 353, 351 et 356.
[6] Thèse d’Antonio Gómez Restrepo (qui rapproche El Carnero de la Coronica istoria de Francesillo Zúñiga), mais discutée par D. Achury Valenzuela (voir son bilan critique in J. RODRÍGUEZ FREYLE, op. cit, p. LXIX).
[7] Voir Juan Manuel CUARTAS, « El género narrativo de El Carnero en relación con su momento histórico », Thesaurus, t. XLVI, n°3, 1991, p. 499-511.
[8] J. M. Cuartas rappelle les conditions socio-historiques de création du texte : non émergence du roman (forme unificatrice) à la période coloniale, impossibilité pour l’auteur de voir la Colonie comme une totalité, du fait de la multiplicité des expectatives, des incohérentes avec les dispositions légales, d’une non unification des politiques administratives, et des contradictions entre la pratique et les valeurs morales catholico-hispaniques : « […] la irrupción de un nuevo espacio de aprovechamiento económico implicó necesariamente la agudización de lo ‘no nacional’ », J. M. CUARTAS, ibid., p. 500-501.
[9] Terminologie de Gérard Genette énoncée pour le cas spécifique des épigraphes, voir Seuils, Paris, Edition du Seuil, 1987, p. 147-148. La stratégie de légitimation de la fiction légendaire par le discours historique de la chronique est très visible : texte source exclusivement rattaché au genre de la crónica, légitimité de l’autorité invoquée de manière ostentatoire à partir d’une rhétorique de la « vérité », exploitation de l’ancrage temporel nécessaire à l’historicité même de la légende.
[10] Voir les longs titres des chapitres in J. RODRÍGUEZ FREYLE, op. cit., p. 231, 243, 253, 269 et 283.
[11] Contrairement à J. Rodríguez Freyle qui, non sans humour, feint d’adopter le ton de la démonstration en associant beauté, péché, manque de vertu et cruauté, à l’instar des écrits de l’époque, Gertrudiz Gómez de Avellaneda justifiera un tel comportement par un manque d’éducation. Voir J. RODRÍGUEZ FREYLE, op. cit., p. 258 et G. GÓMEZ DE AVELLANEDA, El Cacique de Turmequé, op. cit., p. 309.
[12] G. GÓMEZ DE AVELLANEDA, El Cacique de Turmequé, op. cit., p. 310.
[13] Ibid., p. 325.
[14] Ibid., p. 324.
[15] Mots d’Aurelia Castillo citée par Mary CRUZ, op. cit., p. 27-28.
[16] G. GÓMEZ DE AVELLANEDA, El Cacique de Turmequé, op. cit., p. 311.
[17] Ibid., p. 312.
[18] Francine DUGAST-PORTES, « Le temps du portrait », in Jean-Yves DEBREUILLE, Kazimierz KUPISZ et Gabriel-André PEROUSE (dir.), Le Portrait littéraire, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1988, p. 235 et 243.
[19] G. GÓMEZ DE AVELLANEDA, El Cacique de Turmequé, op. cit., p. 358.
[20] Ibid., p. 356. On peut également y voir un apparent éloge du « paternalisme » espagnol, en contraste avec la cruauté des relations criollos/indígenas.
[21] Voir ibid., p. 332-340.
[22] Voir J. RODRÍGUEZ FREYLE, op. cit., p. 259-260.
[23] G. GÓMEZ DE AVELLANEDA, El Cacique de Turmequé, op. cit., p. 345-346. En tant que tel, l’usage du déguisement n’est pas une invention de Gómez de Avellaneda, le texte source est d’ailleurs à peine modifié, voir J. RODRÍGUEZ FREYLE, op. cit., p. 278.
[24] G. GÓMEZ DE AVELLANEDA, El Cacique de Turmequé, op. cit., p. 340.
[25] Ibid., p. 358.
[26] Ibid., p. 358. Bien qu’exploité de manière particulière par Gómez de Avellaneda, en soi, ce triste destin est une réalité historique dont J. Rodríguez Freyle témoigne aussi, voir op. cit, p. 278. D. Achury Valenzuela cite d’autres sources qui proposent davantage de détails, voir note n°7 in J. RODRÍGUEZ FREYLE, op. cit., p. 283.
[27] Voir, par exemple, sa lettre interprétable de diverses manières, in G. GÓMEZ DE AVELLANEDA, El Cacique de Turmequé, op. cit., p. 326.
[28] Contrairement aux affirmations d’Aurelio MITJANS, Estudio sobre el movimiento científico y literario de Cuba, La Havane, Consejo Nacional de Cultura, 1963, p. 294.
[29] Ici les images esquissées du Métis « parfait », incarnation d’une spécificité culturelle latino-américaine, chef d’une masse indistincte de vassaux indiens et victime d’oppression, ne sont qu’un leurre. En ce qui concerne les caractéristiques de l’indianisme littéraire, voir Julio RODRÍGUEZ LUIS, « Tercer avatar del indigenismo literario », in Autour de l’indigénisme, une approche littéraire de l’Amérique latine, Paris, Indigo et côté-femmes éditions, 2004.
[30] G. GÓMEZ DE AVELLANEDA, El Cacique de Turmequé, op. cit., p. 345.
[31] Contrairement à la configuration du paysage de Sab, premier roman de l’auteur. Certaines fonctions du paysage trace dans les écritures postcoloniales ont été théorisées par Edouard GLISSANT, Le discours antillais, Paris, Gallimard, 1997.
[32] Voir G. GÓMEZ DE AVELLANEDA, El Cacique de Turmequé, op. cit., p. 317. Dans Sab, le jardin semi-domestiqué est un lieu protégé et régénérateur qui se donne à voir comme le lieu d’expression d’une conception rousseauiste de la nature. Présenté par un narrateur qui se fait anthropologue, il devient également le lieu de la mémoire d’une nature encore préservée des transformations de la modernité et des vices de la civilisation.
[33] La campagne (« campiña ») remplit une fonction similaire. La nature régénératrice qui la caractérise la dissocie de l’espace urbain de Santa Fe. Elle constitue le second et seul autre cadre des rencontres amoureuses. Voir ibid., p. 346-347.
[34] Ibid., p. 319.
[35] Voir ibid., p. 320, alors que la chronique ne fait évidemment pas allusion à ce duel constitutif de l’écrit fictionnel.
[36] Ibid., p. 319-320.
[37] Voir ibid., p. 316 et 353.
[38] Voir ibid., p. 342-345. On notera toutefois un certain « optimiste » car le récit redonne une seconde vie au personnage qui se relèvera finalement et détournera certains éléments de la machine de torture, pour parvenir à ses fins.
[39] Voir ibid., p. 326, et p. 328-330.
[40] Voir notamment ibid., p. 306, 307, 326, 350, 306 et 312.
[41] Voir aussi « hogar », « casa », « morada », « una pequeña población », « calles », « cárcel », « prisión », « plaza », « iglesia », « puerto » « camino », « matorral », « la campiña », « asilo », « el paradero », « paraje », « sitios », « puntos », etc. On passe ainsi d’un ensemble des termes servant à désigner une habitation ou une zone d’habitations, à d’autres lieux plus ponctuels, tels une église, une place, la prison ou un port. Mais aucun d’eux n’est spécifié.
[42] Si le cachot se singularise par exemple, ce n’est que par son obscurité : « para ser encerrado en oscuro calabazo », « [Diego de Torres] guardó entonces cuidadosamente, es decir, en el sitio más recóndito y oscuro de su calabozo, el enorme plato destinado a su cena », ibid., p. 328 et 336.
[43] Ibid., p. 340.
[44] Ibid., p. 345.
[45] Ibid., p. 346.
[46] Ibid., p. 349.
[47] Ibid., p. 354.
[48] Ibid., p. 357.
[49] D’après la définition de Marc AUGÉ in Non-lieux, Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Éditions du Seuil, La librairie du XXe siècle, 1992, p. 100-102.
[50] La différenciation qu’effectue Michel DE CERTEAU entre le lieu, statique, et l’espace, en mouvement, est éclairante pour l’analyse du fonctionnement des textes et des discours avellanédins, voir L’invention du quotidien, « Arts de faire », Paris, Éditions Gallimard, 1990.
[51] Thématique également présente dans l’autre roman indien de l’auteur qu’est Guatimozín.
[52] G. GÓMEZ DE AVELLANEDA G., El Cacique de Turmequé, op. cit., p. 307.
[53] Par exemple : « Por tanto, el fiscal se encontraba impensadamente con medios de satisfacer su ensañado aborrecimiento hacia el hombre que le había robado le corazón de su querida, regando, además, con su sangre el sitio de amorosas citas, y de cumplir al mismo tiempo los votos de su ciego encono contra el severo censor de sus devaneos, quien, desterrándole el objeto amado, había sido origen de sus primeros pesares, y aun de las posteriores consecuencias de aquella separación impía », ibid., p. 328.
[54] Cette mise en exil virtuelle de Monzón prend la forme indirecte de l’évocation par la voix narrative du contenu des lettres d’Orozco : « Casi no pasaba ningún día sin que se hiciese llegar a manos de Estrella cartas expresivas y largas, en las que, al mismo tiempo que pintaba los tormentos de su amante pecho, explayaba su enconado resentimiento contra don Juan Bautista, y la resolución que había tomado de no sosegar un momento hasta hacerle salir de la Nueva Granada o encontrar en ella su sepulcro », ibid., p. 315.
[55] Ibid., p. 328.
[56] Voir, par exemple, ibid., p. 325.
[57] Ibid., p. 320.
[58] Pensons aux réactions et pensées d’Estrella, située dans les environs de la campagne de Tunja-Turmequé (pensées analeptiques et synthétiques, dont la fantaisie envisage d’ailleurs tous les espaces romanesques).
[59] Voir ibid., p. 312.
[60] Ibid., p. 356.
[61] Nous associons le terme à ce qui renvoie à l’impossible « topie » ou ancrage. Dominique MAINGUENEAU explique que l’être en situation de paratopie, par exemple l’auteur, « est quelqu’un qui a perdu son lieu et doit par le déploiement de son œuvre en définir un nouveau, construire un territoire paradoxal à travers son errance même. En excès des partages sociaux, les chevaliers errants […], les picaros en tout genre, les détectives des romans policiers qui circulent entre les milieux sociaux les plus divers sont autant d’opérateurs qui articulent le dire de l’auteur et la fiction, qui matérialisent le nomadisme fondamental d’une énonciation qui déçoit tout lieu pour convertir en lieu son errance », in Le discours littéraire : paratopie et scène d’énonciation, Paris, Armand Colin, 2004, p. 103-104. Cette situation concerne d’ailleurs Gertrudis Gómez de Avellaneda elle-même, du fait de la condition des femmes de lettres au XIXe siècle, et de la place problématique de cette Cubaine en Espagne, en tant que sujet colonial.
[62] Au sens où l’entend Edward SAÏD (avec une forte connotation géopolitique qui renvoie aux limites des présupposés et représentations autour de la terre conquise et possédée physiquement comme culturellement), voir L’Orientalisme, (1971), Paris, Seuil, 1997, p. 70-71, mais également dans un sens élargi, qui inclut les déplacements opérés par les narrations.
[63] Voir les protagonistes de Sab, le mulato éponyme et la supposée indienne Martina, figures de l’exhumation de la mémoire. De plus, dès son texte informel des Memorias, rédigé après le départ de Cuba pour l’Europe (non publié de son vivant), l’auteur formulait un projet de réécriture de l’histoire incomplète des Amériques, en opérant un déplacement du regard européen, devenu marginal et exotique.
Résumé
Dans el Cacique de Turmequé, leyenda qui s’ancre aux débuts de la période coloniale et dont la source est la chronique El Carnero (1636), le référent géographique, placé au-delà de la matérialité d’un point défini, perd ses fonctions traditionnelles de représentation. Au fil du vagabondage des personnages, en particulier du Métis éponyme, aux identités refondues et sans résidence fixe, le processus de réécriture mène à un impossible ancrage en Nouvelle-Grenade, faisant du non-lieu paratopique (D. Maingueneau) le fondement d’un contre-discours face à l’Histoire officielle lacunaire.
Resumen
En el Cacique de Turmequé, leyenda que se interesa en los inicios del periodo colonial y cuya fuente es la crónica El Carnero (1636), el marco geográfico supera la materialidad de un punto definido y va perdiendo sus funciones tradicionales de representación. A lo largo del vagabundeo de los personajes sin residencia fija, en particular del mestizo epónimo, cuyas identidades se refunden, el proceso de reescritura lleva a un imposible anclaje en Nueva Granada, y el “no lugar paratópico” (D. Maingueneau) se vuelve el fundamento de un contra discurso frente a la Historia oficial incompleta.
D’une Nouvelle-Grenade morcelée à une autre
Formes évanescentes du prince déchu et réinvention du mestizo légendaire
Absence d’ancrage paysager en Nouvelle-Grenade et manipulation de l’histoire
Les mouvements pendulaires du récit : exils et enfermement dialectique
Joséphine MARIE
Paris-Est Marne-la-Vallée, LISAA (EA 4120), EMHIS
Œuvres de Gertrudis Gómez de Avellaneda
GÓMEZ DE AVELLANEDA, Gertrudis, El Cacique de Turmequé (1869-1871), in Tradiciones, Selección y prólogo de Mary Cruz, La Havane, Editorial Letras Cubanas, 1984, p. 306-358.
—, Guatimozín, último emperador de Méjico (1846), tomo V. Novelas y leyendas, La Havane, Edición Nacional del Centenario, Imprenta de Aurelio Miranda, 1914, p. 211-566.
—, Memorias (1914), in Domingo FIGAROLA CANEDA (éd.), Biografía, bibliografía e iconografía, incluyendo muchas cartas inéditas o publicadas, escritas por la gran poetisa o dirigidas a ella, y sus memorias, Notas ordenadas y publicadas por Emilia Bowhorn, Madrid, Sociedad General Española de Librería, 1929, p. 249-292.
—, Sab (1841), Madrid, Ediciones Cátedra, 2001.
Autres ouvrages cités
AUGÉ, Marc, Non-lieux, Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Seuil, La librairie du XXe siècle, 1992.
CUARTAS, Juan Manuel, « El género narrativo de El Carnero en relación con su momento histórico », Thesaurus, t XLVI, n°3, 1991, p. 499-511.
DE CERTEAU, Michel, L’invention du quotidien, « Arts de faire », Paris, Gallimard, 1990.
DUGAST-PORTES, Francine, « Le temps du portrait », in Jean-Yves DEBREUILLE, Kazimierz KUPISZ et Gabriel-André PEROUSE (dir.), Le Portrait littéraire, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1988, p. 235-250.
GENETTE, Gérard, Seuils, Paris, Seuil, 1987.
GLISSANT, Édouard, Le discours antillais, Paris, Gallimard, 1997.
MAINGUENEAU, Dominique, Le discours littéraire : Paratopie et scène d’énonciation, Paris, Armand Colin, 2004.
MITJANS, Aurelio, Estudio sobre el movimiento científico y literario de Cuba, La Havane, Consejo Nacional de Cultura, 1963.
RODRÍGUEZ FREYLE, Juan, El Carnero (1859), notas y cronología de Darío Achury Valenzuela, Caracas, Fundación Biblioteca Ayacucho, 1979.
RODRÍGUEZ LUIS, Julio, « Tercer avatar del indigenismo literario », Autour de l’indigénisme, une approche littéraire de l’Amérique latine, Paris, Indigo et côté-femmes éditions, 2004, p. 127-128.
SAÏD, Edward, L’Orientalisme (1971), Paris, Seuil, 1997.