Qu’il s’agisse de Sorger dans Lent retour, Philipp Kobal dans La Répétition ou de Gregor Keuschnig dans L’Heure de la sensation vraie, Peter Handke a toujours mis en scène des figures de l’errance, des personnages nomades dont les trajets et les déplacements les emportent à la lisière du monde et du moi. Il s’agit en effet pour l’auteur autrichien d’explorer les frontières et les marges, ces périphéries qu’il qualifie d’espaces intermédiaires et qui entraînent les individus dans un mouvement centrifuge qui n’est pas que topographique, géographique, mais également personnel, existentiel et intime. Le roman La Perte de l’image n’échappe pas à la règle. En effet, dans ce roman, Peter Handke met en scène la banquière qui a quitté sa ville portuaire du Nord pour aller dans la Mancha où elle retrouve l’auteur qu’elle a chargé d’écrire un livre sur elle, plus précisément le récit de son voyage à travers la Sierra de Gredos effectué quelques années auparavant. Très vite, il apparaît que ce récit de voyage est indissociable d’une écriture de soi, d’une écriture intime dont le plus intérieur se situe dans les marges, à la périphérie du monde. Cette écriture, que l’on pourrait qualifier d’extime en ce sens qu’elle désigne une excentration de l’individu et de l’écriture de soi, ne se résume plus à un mouvement unilatéral d’introspection, mais se caractérise par un mouvement centrifuge. Il ne s’agit plus en effet, pour citer Albert Thibaudet, d’un « miroir de clairvoyance au repos où l’homme s’arrête de vivre pour comprendre », mais d’une « action énergique »1 se tournant vers les événements extérieurs au sujet qui se confronte alors à « la violence de l’extériorité de la surface des choses et de l’horizon des expériences »2. Ce geste qui conduit le sujet à s’extimer, à se déporter à la limite extérieure de lui-même, de l’autre, transforme l’écriture intime non plus en espace d’introversion, mais en un espace d’altroversion, de propension altruiste vers l’Autre. L’intimité ainsi projetée hors du personnage dans un espace visible, est dès lors traitée par le sujet d’écriture comme un objet situé hors de soi, dans le lieu le plus éloigné de soi, c’est-à-dire le plus extérieur, dans ce for extérieur inaccessible à l’écriture de soi traditionnelle.
Il s’agira donc de voir dans quelle mesure l’écriture centrifuge renouvelle les modalités de l’écriture de soi pour penser une identité qui ne s’exprime ni ne se comprend plus à partir des catégories habituelles du sujet. Engagé dans un mouvement d’évasion qui trace une ligne de fuite et libère le sujet des prisons solipsistes du moi, le personnage se caractérise par une transgressivité qui brise la clôture du monde et ouvre la voie à un autre rapport au monde. Loin de signifier une perte irrémédiable du sujet, ce voyage dans les contrées périphériques du monde et du soi, s’apparente alors non « pas [à] un rétrécissement, mais [à] un élargissement continu de [soi]-même, résolu et réfléchi à la fois »3. Nous retracerons donc le voyage de la protagoniste qui s’apparente à un mouvement centrifuge en ce qu’il décrit un mouvement d’excentration. Il s’agit, plus précisément, d’une évasion qui déclenche le tracé d’une « ligne de fuite » dont les propriétés créatrices4 ouvrent la voie, par le biais du rythme, à une reconfiguration du réel et du sensible. Loin de signifier une expérience extatique d’effacement et de disparition du sujet hors de soi, dans le grand Dehors, ce voyage invite avant tout à explorer l’intimité du monde.
Il apparaît dès les premières pages du livre que la protagoniste est engagée dans un processus de déliaison. Elle affirme au début du roman sa position de marginale et d’exilée dans cette contrée qui l’entraîne hors de l’histoire et de l’ordre familial et communautaire :
Voilà longtemps qu’elle n’avait presque plus de parents. Et quand ils existaient encore, le temps les avait eux aussi chassés de son esprit. Elle devait avoir encore un demi-frère – « où ça ? » – « je ne sais pas » – un loueur de caravanes, ou un technicien spécialisé dans les microprocesseurs, ou les deux ?5
Cette défaillance de la filiation affecte plus largement ses ancêtres et la communauté de sens qu’ils représentent, en tant que légataires d’une tradition et d’une expérience communes diffusées par les récits de ses grands-parents6. Aussi ne peut-elle que constater la lente érosion de la mémoire qui la rattache à une communauté devenue simple objet de commémoration avec tout ce que ce « culte des anciens » implique de déférence et de distance. L’étiolement progressif et inévitable de cet héritage constitue le point de départ de son voyage :
Puis les silhouettes de ces aïeux s’étaient estompées au fil du temps. Une fois encore, tout s’était passé progressivement. Par un matin d’été ou d’hiver, elle s’aperçut que ses morts adorés ne constituaient qu’une partie des milliards et des milliards d’humains qui, depuis la nuit des temps, s’étaient instillés, insinués, infiltrés dans le sol, s’étaient émiettés ou dispersés aux quatre vents, qui n’étaient plus là, qu’on ne pouvait plus rappeler à soi, qu’aucun amour ne pouvait ramener à la vie, qui étaient désormais à tout jamais soustraits à nos désirs. Ils se manifestent bien encore de temps à autre dans ses rêves, comme avant, mais seulement comme ça, en cohue, sous la mention « autres participants » : et, contrairement à jadis, ces visites qu’ils lui rendaient ne signifiaient plus « en toutes saintes circonstances »7.
Dans ce roman, l’héroïne a perdu le contrôle de l’espace de sens qu’elle habitait et entame alors une errance synonyme d’oubli de soi, du monde, de l’histoire. Elle nous explique en effet, au début de l’œuvre, que la « deuxième mort de ses ancêtres »8, c’est-à-dire leur disparition hors de la mémoire (individuelle et collective), semblable à celle subie par son « petit et grand pays natal » constitue un soulagement pour elle. Elle se sent libérée de ses forces, de ces présences spectrales qui hantaient son quotidien et dont elle souligne la puissance d’aliénation synonyme de dépossession de soi et de l’autre, de toute authenticité (« ce genre de forces […] ne rendaient-elles pas tyrannique et sans égards ? »)9.
À travers ce voyage, le roman trace une ligne de fuite qui, en raison du déracinement, met en scène une crise de l’identité et un déficit de l’articulation à une communauté qui pousse le protagoniste à fuir cette appartenance douloureuse. Aliéné à l’ordre social, à l’ordre du savoir, à l’ordre des pères, engagé dans un processus de redéfinition de soi incertain, le personnage handkéen vit dans un état d’insécurité ontologique permanent dont la solution semble être l’évasion dont Levinas dit qu’elle désigne le « besoin de sortir de soi-même, c’est-à-dire de briser l’enchaînement du moi à soi »10. Celle-ci en effet, en tant qu’arrachement à l’existence indéterminée, en tant que moyen de dénouer le lien essentiel de l’existant à son existence, apparaît comme cette nécessité qui peut seule permettre au sujet de devenir effectivement un sujet singulier, une différence. Produire de la différence, ne plus être pris dans les simulations, les simulacres, le système des faux-moi, des constructions imaginaires qui finissent par piéger complètement le sujet qui s’y abandonne, tels sont les enjeux principaux de ce voyage dans le récit.
Le voyage s’apparente alors à une pratique d’abandon, mais une pratique qui se double de ce que Daniel Klébaner appelle le « désir flottant ». Les raisons de ce voyage restent en effet obscures et le choix de cette destination relève de l’indifférence. Elle s’est décidée pour le Sud, « pourtant, voilà bien longtemps qu’il n’y avait plus rien à attendre des suds, quels qu’ils fussent, et cette remarque valait aussi bien pour la mer et toutes les autres destinations – très bien aussi – y compris l’Himalaya et le voyage sur la lune »11. Ce passage manifeste l’état d’une désorientation, d’un décentrement de l’individu en proie à une insécurité ontologique qu’elle éprouve dans toute son intensité :
La nuit était encore profonde, et dehors, le gel crépitait sur les vitres. […] D’une pièce à l’autre – et il y avait beaucoup de pièces –, le vide presque complet composait une image changeante : ici, l’occupante avait quitté les lieux depuis bien longtemps, et pour toujours ; […] là, le vestibule déserté portait les traces d’une fuite12.
Ce voyage semble n’avoir aucun objet spécifique pour l’orienter. La lune qui se reflète dans sa tasse avant de disparaître aussitôt, qu’elle cherche à attraper mais qui « lui échappait à chaque fois », exprime ce désir indéterminé au cœur du voyage, ce « désir positif [qui] reste toujours sur le presque de la fusion avec l’objet de son désir […], qui demeure le presque lui-même. C’est un presque désir. Il est l’inachèvement, mais aussi l’inachevé »13. Il s’agit d’un état mélancolique du désir qui offre au moi de s’embarquer avec chaque, et donc n’importe quel objet ou événement. Nous avons là un désir indéterminé, correspondant parfaitement au sujet handkéen, un sujet sans ancrages, sans généalogie, « neutre » et finalement disponible aux choses du monde. Le rapport au monde du personnage est alors délié, au sens où il ne relève plus d’un calcul, d’un projet ou de l’appropriation, mais d’une forme d’ouverture aux événements.
« L’espace intensif », pour reprendre le concept deleuzien, désigne alors ce lieu où se tisse la trame des devenirs, soumettant la banquière à une logique régressive qui surgit dès le début de son voyage. Quelques jours avant son départ, elle se rend, au cours d’une « flânerie qui faisait déjà partie de son voyage », dans une forêt en lisière du port fluvial où elle habitait. Bien que familière, cette promenade lui présente un tout autre aspect. Quelques semaines avant, un ouragan avait éclaté, décimant toute la région si bien qu’« à chaque nouvelle visite, […] les bois lui avaient paru plus dévastés qu’auparavant »14. Cette expérience la confronte à l’angoisse existentielle du chaos et surtout de l’altérité du grand Dehors, illimité, indéterminé et frappé par la catastrophe qui, partout, menace de faire sombrer le monde dans le néant. Cet état de dépossession et de désorientation transforme le personnage en un sujet sans destination, engagé dans une pratique de l’espace défonctionnalisé, qui n’obéit plus au modèle de perception géométrisé qui domine l’appréhension occidentale de l’espace, mais bien plutôt à un « devenir nomade » qui exprimerait également une coïncidence entre le mouvement d’une écriture privée de centre et le parcours désorienté d’un moi aléatoire au sein d’un espace flottant et décentré. La protagoniste en fait l’expérience la plus douloureuse lors de la première étape de son voyage dans la Sierra de Gredos. Arrivée à Nuevo Bazar, elle subit l’agression sensorielle de la ville et commence à « entendre le fracas assourdissant qui montait de la dépression, tout en bas, à sentir la poussière lui rentrer dans les yeux, les chardons et les herbes de la steppe lui cingler le visage »15, à la suite de quoi : « elle ne se demanda plus seulement : « où suis-je ici ? », mais plutôt : « où ai-je mis les pieds ? »16. Elle constate alors que « cette contrée qu’elle connaissait fort bien s’était transformée en quelque chose de fondamentalement différent. Comme si tout était à l’envers ; bouleversé, sens dessus dessous. Comme si […] on n’était plus ‘ici’, à Nuevo Bazar, mais : aux antipodes ? Sur une planète inconnue ? »17.
Se soustrayant à toute détermination topographique et géographique, cet espace est traversé par des forces, des intensités optiques, tactiles qui révèlent à la banquière sa texture (« les points d’eau scintillant, couleur de bronze, ses buissons d’églantier oscillant au vent – leurs rameaux arqués, chargés de petits capitules purpurins étincelants se détachaient sur le ciel du soir »18). Autant d’éléments qui le rattachent à l’espace « lisse » tel que le définissent Deleuze et Guattari.
Espace d’affects, plus que de propriétés. […] dans le lisse des matériaux signalent des forces ou servent de symptômes. C’est un espace intensif, plutôt qu’extensif, de distances et non de mesures. […] La perception y est faite de symptômes et d’évaluations […]. C’est pourquoi ce qui occupe l’espace lisse, ce sont les intensités, les vents et les bruits, les forces et les qualités tactiles et sonores19.
Errant dans un lieu sans points d’ancrage et à la dérive, le sujet handkéen se trouve donc livré à la contingence du monde, à l’hypervisualité et à l’abondance de signes qui aliènent la banquière et entraînent la perte de toute authenticité. La protagoniste fait alors l’expérience de la désorientation pure, de l’absence de toute cardinalité, l’expérience d’un rapport à l’espace qui n’est plus normé, autrement dit déterminé par les distances et les directions topographiques, mais qui se caractérise par la seule logique de l’intensité.
L’évasion de la protagoniste est donc tout sauf le résultat d’un renoncement au monde, à l’action. Le manque ressenti dans cette mélancolie se renverse en un excès qui pousse la banquière non seulement à partir, mais également à créer de nouvelles modalités de liaison avec le monde, de nouvelles alliances, souples et non systématisées, non normées. Il faut alors souligner la puissance transgressive de cette écriture qui fait bouger les lignes, reculer les frontières et opère par ce biais un décentrement à la fois du personnage et de l’écriture. En proie à la perte de sens et à ses incertitudes identitaires, la banquière hésite à partir. Alors qu’elle se pose la question « Rester ici ! Rester ici ? », « elle [entend] distinctement l’appel d’un coucou, en plein mois de janvier, lointain écho d’un rêve », juste avant de « [rencontrer] un voisin dont l’avis de décès était affiché depuis des jours dans tous les magasins du faubourg »20. Découvrant à sa grande surprise qu’il n’était pas mort, elle se rend également compte que ce qu’elle prenait pour « l’enclos du temps plus grand » est en réalité un « souffle » qui achève de vaincre ses dernières hésitations et la convainc de partir :
L’enclos du temps plus grand : quel souffle ! Et quel souffle après coup, maintenant ! Enfin, elle était convaincue qu’elle devait partir. D’une façon ou d’une autre, elle apprendrait quelque chose. Et elle découvrirait un trésor ; simplement, ce trésor n’aurait pas d’existence concrète. Était-elle donc une chercheuse de trésors ? Oui, depuis toujours, et elle avait à chaque fois entrepris cette quête pour autrui21.
La quête se mêle alors à la fuite et lui confère toute la positivité que Deleuze voyait à l’œuvre dans le concept de « ligne de fuite » dans la mesure où il n’y a, selon lui « rien de plus actif qu’une fuite »22.
Confronté à « cet horrible en dedans-en dehors qu’est le vrai espace »23, le sujet voit se confondre intimité et immensité. L’enjeu essentiel réside donc, selon la formule de l’auteur, dans la capacité à « rendre connu l’inconnu ; arpenter l’espace de l’inconnu et l’agrandir »24. Il s’agit de prendre la mesure du monde et de s’affranchir de la pesanteur des choses. Après avoir raconté une scène d’amour avec un de ses compagnons de voyage, l’auteur et la banquière reviennent sur cette scène. Elle dit alors :
« Je ne peux rien faire de mieux que de continuer à faire ce que je fais. C’est en faisant ce que je fais, en le faisant avec rythme, en respectant consciencieusement le rythme, sans négligence, en suivant encore et toujours ce rythme qui me correspond, en le faisant vibrer, osciller, onduler, que je fais, pour toi comme pour moi, ce qu’il y a de mieux » – « Qu’est-ce que le rythme pour toi ? » (demanda l’auteur ensuite). Elle : « L’intensification de ce qui est présent »25.
Dans le roman, le contraste est fort entre les figures souvent masculines réduites à un corps de pierre, douloureux et renvoyant davantage à une dépouille, et les corps « intensifiés », comme nous avons déjà pu le voir avec la scène d’amour. Dans ces scènes, le corps féminin se voit gorgé de vie, du poids de la terre et entraîne en même temps une dépossession. Il est un corps exproprié, transgressif en cela qu’il est « [sorti] par húbris de son espace pour entrer dans un corps étranger »26. Dans un univers décimé où le seul mode d’être au monde est la survie, le rythme s’impose donc comme « la riposte des milieux au chaos » en libérant les énergies créatrices qu’il contient.
Les milieux sont ouverts dans le chaos, qui les menace d’épuisement ou d’intrusion. Mais la riposte des milieux au chaos, c’est le rythme. Ce qu’il y a de commun au chaos et au rythme, c’est l’entre-deux, entre deux milieux, rythme-chaos ou chaosmos […]. C’est dans cet entre-deux que le chaos devient rythme, non pas nécessairement, mais a une chance de le devenir. Le chaos n’est pas le contraire du rythme, c’est plutôt le milieu de tous les milieux. Il y a rythme dès qu’il y a passage transcodé d’un milieu à un autre, communication de milieux, coordination d’espaces-temps hétérogènes27.
Ce milieu intermédiaire, c’est justement le corps qui l’occupe pour opérer un partage du réel et des sens. Ce « Cuerpo del Mundo. Corps du monde »28 qu’elle découvre au terme de son périple, est en effet doté d’une puissance vibratile qui le fait entrer en résonance avec le monde et lui permet de retrouver sa concrétude, cette dimension matérielle qui est aussi, selon son étymologie29, la capacité de grandir ensemble. L’élargissement par cercles concentriques de l’être aux dimensions de l’univers indique une intime communion, un mouvement de sympathie érotique qui fait de cette forme d’être avant tout une forme d’amour, confirmant ainsi la « thèse selon laquelle les histoires d’amour sont des histoires de forme, chaque solidarisation étant une constitution de sphère, c’est-à-dire une création d’espace intérieur »30. Cette ouverture qui s’opère sur le mode d’un transfert amoureux ne doit cependant pas se réduire à un simple « mécanisme névrotique »31 élaboré à partir de la psychanalyse.
Il faut affirmer, bien au contraire, que le transfert est la source formelle de processus créatifs qui animent l’exode de l’être humain vers l’espace ouvert. Nous ne transférons pas tant des affects incorrigibles sur des tierces personnes que des expériences précoces de l’espace sur de nouveaux lieux, et des mouvements primaires sur des théâtres lointains32.
Que le sujet handkéen éprouve son intimité la plus intense dans l’immensité du cosmos imprime au mouvement centrifuge une dynamique spiriforme. Celle-ci traverse La Perte de l’image et s’impose d’ailleurs comme figure métatextuelle puisqu’elle constitue la structure d’ensemble du récit. La « flânerie » qu’elle effectue à la lisière du bois et que nous avons déjà évoquée confirme cette idée car cette promenade lui donne l’impression de « [se déplacer] ainsi qu’elle l’avait tout à l’heure dans le verger qui entourait sa propriété, en décrivant des spirales qui allaient s’élargissant, pour recevoir l’impulsion du départ »33. Suivant un mouvement progressif d’amplification, le roman reprend un certain nombre d’éléments ou de figures que l’auteur conçoit comme ses « cartes à jouer ». Ainsi chaque épisode ou image narrative précédant le départ de la banquière préfigure-t-il, comme « en miniature », la traversée de la Sierra. Les lieux explorés par la jeune femme dans une série de cercles concentriques qui l’éloignent peu à peu de sa maison, représentent chaque fois « comme un avant-goût en modèle réduit de cette montagne qu’elle allait devoir franchir au cours de son voyage de trois jours »34. Le jardin, le verger, la forêt, la rangée de stalagmites au pied de l’escalier qui mène à la gare, les deux racines de marronnier à la périphérie de la ville sont autant de « seuils (Schwellen) » qui reproduisent physiquement, « en modèle réduit », le relief de la Sierra et ses dangers, et introduisent peu à peu les éléments de la fable utopique d’Hondareda. Ce principe de répétition et de variation d’un ensemble déterminé d’images et de motifs s’explique par la force énergétique qui se dégage des images qui l’emportent dans leur devenir :
De même qu’elle vivait par ce devenir-image, à tous les sens du terme, elle vivait aussi pour lui. Et son corps de réserve […] n’était jamais chargé d’aucune mission belliqueuse, bien au contraire. Il suffisait qu’une seule image de ce genre se mette en mouvement, et la mette en mouvement elle aussi, pour que la journée tout entière s’inscrive sous le signe de la paix. Ces images, quoique dépeuplées et sans événement, traitaient de l’amour, d’un amour, d’une forme d’amour. Et elles l’avaient traversée depuis l’enfance, certains jours moins nombreuses, certains jours par essaims entiers d’étoiles filantes. […] Certes, l’image individuelle, en tant qu’objet, appartenait à l’univers personnel de chacun. Mais l’image en tant que telle était universelle. Elle allait bien au-delà de lui, d’elle, d’eux. En vertu de l’image, qui était ouverte tout en ouvrant au monde, les êtres étaient réunis, solidaires35.
De ce point de vue, le massif montagneux de la Sierra de Gredos s’apparente à ce que Bertrand Westphal appelle « l’espace de l’hyperbate, c’est-à-dire celui où l’individu déploie un supplément de vérité à l’abri des yeux du monde, des prescriptions du code »36. Dé-métriser l’espace revient donc avant tout à ouvrir l’espace et le corps pour en libérer toutes les potentialités de reconfiguration sensible et esthétique. Il est en ce sens transgressif au sens premier et étymologique du terme. Bertrand Westphal nous rappelle en effet que cette notion signifie avant tout un dépassement de la mesure et que « [transgresser] dérive du latin transgredi, dont le sens était à l’origine spatial » puisque, « [chez] les Romains, on transgressait lorsque l’on passait de l’autre côté d’une borne ou d’un fleuve »37. Surtout, le critique français nous explique que la « transgressio était aussi une figure de rhétorique (chez Cicéron), que l’on traduirait aujourd’hui par ‘hyperbate’ »38. À la manière de cette figure consistant à ajouter un élément qui briserait la clôture d’une construction, le voyage transgressif décrit un mouvement expansif engendré par une vérité excédentaire qu’il recèle en lui. Cette vérité intime qui repousse et transgresse les frontières n’est cependant pas une plongée dans les profondeurs de l’être et de la terre, mais une dilatation vers les marges, à la manière de ces cristaux qui « ne deviennent et ne grandissent que par les bords, sur les bords »39, engagés dans un mouvement qui les fait « non plus s’enfoncer, mais glisser tout le long, de telle manière que l’ancienne profondeur ne soit plus rien, réduite au sens inverse de la surface »40.
Derrière l’expérience dysphorique de la dépossession de soi, se fait jour cependant un autre mode d’approche, d’apprivoisement du réel : la banquière devient « l’amie des vies étrangères »41. Délogé de son ancrage sémantique, le personnage subit au cours de ce voyage une excentration qui l’entraîne dans la mouvance des devenirs et des dynamiques métamorphiques qui brouillent les frontières entre les êtres et les différentes catégories. Aux prises avec l’indéterminé, le sujet d’écriture se déplace et se transmue dans le texte à travers la « multiplicité des résonances »42 du monde qui se déploient en orbes. Le personnage handkéen s’élève peu à peu aux dimensions de l’univers, atteignant ainsi un sentiment d’harmonie et de paix. La place que le voyage assigne à l’individu est synonyme d’ouverture et d’excentration, mais il s’agit d’une excentration qui porte le corps à la rencontre de ce qui lui est extérieur. S’établit alors un « consensus rythmique »43 permettant de restaurer une relation œcuménique perdue jusque-là dans le fond des âges. La rythmicité du corps apparaît donc tout d’abord comme un moyen de faire face au chaos du monde et de sa perception. Cette idée est incarnée par l’auteur que la banquière engage pour écrire son roman. Celui-ci, décrit comme un « chercheur des formes », un « explorateur de formes, [un] homme versé dans l’art des rythmes »44, reprend la figure du géologue-arpenteur chère à Peter Handke45 qui fouille dans les strates de la réalité la présence de formes afin d’échapper au désastre de l’informe et du chaos. Partie à la recherche de « nouvelles formes de vie », la protagoniste découvre à la dernière station de son périple la communauté des Hondaredos ainsi qu’un « rythme régulier » qui est une manière de « mettre en ordre », de « gérer les choses dans leur ensemble (‘d’un point de vue utopique, bien entendu’) ; une autre main invisible »46. Résidant dans une forme d’enclave lovée au cœur de la Sierra de Gredos, cette population imaginaire renoue avec des pratiques et un art de vivre archaïque propre aux nomades. Surtout, elle y découvre cette relation empathique avec le milieu et cette synchronie avec les devenirs du monde.
La pratique cheminatoire dans les contrées périphériques du monde permet d’exhumer des décombres du monde des rythmes premiers et originaires, une rythmicité archaïque, ancestrale et originelle, parce que synchrone avec la pulsation du monde. La dialectique pulsative du rythme, cette cadence dynamique d’une tension et d’une détente, par son retentissement dans le corps du sujet, fonde la réalité humaine. Par ce biais, l’individu retrouve en effet son appartenance, son ancrage au monde, et découvre la possibilité de « l’être total » qui ne peut s’exprimer que dans un contre-rythme, un contre-mouvement qui permet à l’individu de rentrer en résonance avec l’intimité du monde. Ce « rythme contraire »47 dont elle parle lors de la descente vers Candeleda correspond à une temporalité qui « contrastait le plus nettement avec le temps ‘normal’ des horloges et des chronomètres »48 et qui exprime bien plutôt une scansion des êtres et des choses, une prosodie du monde :
En un instant, on s’apercevait que tout Hondareda – le chaos rocheux, les habitants, les meules de foin, le lac et son canal d’écoulement, les troupeaux, les gens – avaient quelque chose d’une écriture, où les détails, ou plutôt les caractères, étaient reliés les uns aux autres, avec des intervalles, des retours à la ligne, une sorte de ponctuation ; une écriture d’une grande clarté et, à ses yeux en tout cas, d’une belle régularité.
[…] Et dans la vaste dépression de Hondareda, le rythme d’apparition des phénomènes était à peu près le suivant : Une volée de ramiers passait dans un claquement d’ailes. Une famille de perdrix au grand complet courait, filait, passait en coup de vent. Un flocon de neige tombait. Le ciel était bleu49.
La forme de vie (Lebensform) pratiquée par les Hondaredos va à rebours des catégories habituelles et occidentales qui régissent la saisie du monde. Au-delà des unités de temps qui « étaient ici impossibles à définir précisément »50 ou des unités de distance (« à un jet de pierre », « à un bond de bouquetin »)51, ce constat s’applique également au principe d’identité qui ne relève plus de la loi de non-contradiction ni de la logique prédicative (de type aristotélicien). En effet, plus qu’une excentration, le sujet handkéen, au terme de son voyage centrifuge, assiste à un renversement des valeurs ontologiques qui définissent l’être à partir des coordonnées spatiales, annulant la distinction contenu-contenant et, partant, celle de frontière. En effet, si Aristote définit dans La Physique (IV), le lieu comme un « vase immobile » (aggeion ametakinêton), il affirme en même temps une logique de l’identité de la substance qui impose de dissocier la chose du lieu qu’elle occupe : si la chose, étant mobile, bouge, elle garde son identité, et le lieu la sienne. La spatialité handkéenne nous invite plutôt à considérer la conception platonicienne du lieu, la chôra, qui ne relève ni de cette logique ni de cette ontologie, puisqu’elle peut être à la fois une chose et son contraire. Elle constitue le milieu, dans toute l’ambiguïté que ce terme comprend puisqu’il désigne à la fois un centre géométrique, ainsi que la périphérie de la chose, ce qui est extérieur à elle. La frontière ne doit plus être conçue comme limen et limes, mais aussi et surtout comme un pli, un nœud chiasmatique par lequel l’intérieur et l’extérieur se rabattraient l’un sur l’autre pour n’être plus que le miroir renversé de l’autre et créer ainsi un « supplément de monde »52 où le plus intime rencontrerait l’immensité du monde.
Mouvement d’excentration suivant une trajectoire ou une spirale en expansion qui s’éloigne de plus en plus d’un centre, la force centrifuge a également en physique pour effet de dissocier deux éléments de densités différentes. Peut-être est-ce là la finalité profonde de ce processus, permettant à la banquière de se séparer de « cette partie de nous-mêmes [qui] était encore à terre, aux frontières de la mort, en pleine détresse » et d’y découvrir cette « autre partie qui célébrait sa survie en dansant, légère »53. Transgresser les frontières pour briser la clôture de l’espace et du sujet revient donc pour la protagoniste à s’affranchir du « poids du monde » (pour reprendre un titre de Peter Handke) et à faire fusionner le monde intérieur et le monde extérieur. Il n’est donc guère étonnant de voir s’achever le voyage de la banquière dans cette hétérotopie que constitue la contrée imaginaire des Hondaredos qui « [donnent] à voir la totalité du globe terrestre – ce que, auparavant, on appelait l’œcoumène, le monde habité, et, par-là, la conviction qu’il existe une communauté »54. Dans les marges, au bout de voyage centrifuge se trouve donc pour le personnage la possibilité d’une relation œcuménique avec le milieu environnant reconstituée à partir de cette « pulsation existentielle qui […] déploie notre corps en monde sur la terre, et qui simultanément […] reploie le monde en notre chair »55.
[1] Albert THIBAUDET, « Lettres et journaux », La Nouvelle Revue Française, 1er juin 1923.Albert THIBAUDET, « Lettres et journaux », La Nouvelle Revue Française, 1er juin 1923.
[2] Aline MURA-BRUNEL, « Intime/extime - Introduction », in Aline MURA-BRUNEL et Franc SCHUEREWEGEN (éd.), L’Intime, l'extime, Amsterdam, Rodopi, 2002, p. 5-6.
[3] Peter HANDKE, Mon année dans la baie de Personne, Claude-Eusèbe PORCELL (trad.), Paris, Gallimard, 1997, p. 15.
[4] Gilles DELEUZE et Félix GUATTARI, dans leur définition du concept, prennent bien soin de préciser que toute ligne de fuite, loin d’être un renoncement au monde, est avant tout « action ».
[5] Peter HANDKE, La Perte de l’image : ou Par la Sierra de Gredos, Olivier LE LAY (trad.), Paris, Gallimard, 2004, p. 13.
[6] « Son pays natal qu’elle ne connaissait par aucun de ses souvenirs, mais seulement par des récits qu’on lui avait faits » (ibid., p. 11).
[7] Ibid., p. 13-14.
[8] Ibid., p. 14.
[9] Ibid.
[10] Emmanuel LEVINAS, De l’évasion, Paris, LGF, « Le Livre de poche », 1998, p. 98.
[11] P. HANDKE, La Perte de l’image, p. 16.
[12] Ibid., p. 15-16.
[13] Daniel KLÉBANER, Poétique de la dérive, Paris, Gallimard, 1978, p. 34.
[14] P. HANDKE, La Perte de l’image, p. 61.
[15] Ibid., p. 195.
[16] Ibid.
[17] Ibid., p. 196.
[18] Ibid.
[19] Gilles DELEUZE et Félix GUATTARI, Mille plateaux, Paris, Éditions de Minuit, 2002, p. 598.
[20] P. HANDKE, La Perte de l’image, p. 68.
[21] Ibid.
[22] Gilles DELEUZE et Claire PARNET, Dialogues, Paris, Flammarion, 1997, p. 47.
[23] Henri MICHAUX, Nouvelles de l’étranger, Paris, Mercure de France, 1952, p. 91. Cité par Gaston BACHELARD, La Poétique de l’espace (1957), Paris, Presses Universitaires de France, 2012, p. 195.
[24] P. HANDKE, Die Wiederholung, Frankfurt a.M., Suhrkamp, 1986, p. 262 : « Bekanntes unbekannt machen; den Bereich des Unbekannten abschreiten und vergrößern » (je traduis).
[25] Ibid., p. 406.
[26] François HARTOG, Le Miroir d’Hérodote : essai sur la représentation de l’autre, Paris, Gallimard, 2001, p. 487.
[27] G. DELEUZE et F. GUATTARI, Mille plateaux, p. 384-385.
[28] P. HANDKE, La Perte de l’image, p. 624.
[29] Comme le fait remarquer Augustin Berque, concretus correspond en latin au participe passé de concrescere, qui signifie « grandir ensemble » (Augustin BERQUE, Écoumène : introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, 2016, p. 23).
[30] Peter SLOTERDIJK, Sphères. 1, Bulles, Olivier MANNONI (trad.), Paris, Fayard, 2010, p. 14.
[31] Ibid.
[32] Ibid., p. 15.
[33] Ibid., p. 59.
[34] P. HANDKE, La Perte de l’image, p. 71.
[35] Ibid., p. 24-25.
[36] Bertrand WESTPHAL, La Géocritique : réel, fiction, espace, Paris, Éditions de Minuit, 2007, p. 72.
[37] Ibid.
[38] Ibid.
[39] Gilles DELEUZE, Logique du sens, Paris, Éditions de Minuit, 1969, p. 19.
[40] Ibid.
[41] P. HANDKE, La Perte de l’image, p. 343.
[42] Roger CAILLOIS, Le Mythe et l’Homme, Paris, Gallimard, 1987, p. 30.
[43] Edward Twitchell HALL, La Danse de la vie : temps culturel, temps vécu (1983), Anne-Lise HACKER (trad.), Paris, Le Seuil, 1984, p. 197.
[44] P. HANDKE, La Perte de l’image, p. 19.
[45] Comme nous l’avons déjà précisé dans l’introduction, l’auteur autrichien a souvent mis en scène de telles figures. La plus connue étant le personnage de Sorger dans Lent retour.
[46] P. HANDKE, La Perte de l’image, p. 426.
[47] Ibid., p. 582.
[48] Ibid.
[49] Ibid., p. 498-499.
[50] Ibid., p. 455.
[51] Ibid.
[52] Ibid., p. 589.
[53] Ibid., p. 463.
[54] Ibid., p. 559.
[55] A. BERQUE, Écoumène, op. cit. p. 445.
Résumé
Cette contribution s’efforcera d’analyser le voyage effectué par la protagoniste du roman La Perte de l’image écrit par Peter Handke en 2002, sous l’angle d’un mouvement d’excentration. La trajectoire tracée par le personnage principal décrit en effet un mouvement qui la déporte du centre vers les marges. Elle trace une ligne de fuite qui, en la dégageant des prisons solipsistes du moi, la porte vers le Grand dehors, à la rencontre de l’immensité du monde. La transgression des frontières devient alors le moyen de reconfigurer le réel et de proposer de nouvelles modalités à l’être.
Abstrakt
Anliegen dieses Beitrags ist, die Reise der Protagonistin in Peter Handkes Roman Der Bilderverlust oder durch die Sierra de Gredos als Ausdruck einer Dezentrierung zu analysieren. Der Weg der Hauptfigur entspricht nämlich einer Bewegung, die die „Bankfrau“ vom Zentrum in die Peripherie des Raums und des Seins treibt. Dadurch zeichnet sie eine Fluchtlinie, die sie von dem solipsistischen Kerker des Ichs befreit und das Intimste in die Unermesslichkeit der Welt verlagert. Die Transgression wird zum Mittel, die Wirklichkeit zu rekonfigurieren und neue Formen des Seins zu kreieren.
Gauthier LABARTHE
Université Toulouse Jean Jaurès, CREG
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