Le roman de Michèle Gazier, Silencieuse, est traversé par un silence pesant qui prend différentes formes. C’est d’abord celui, apparemment paisible, d’un village français du Midi. C’est ensuite le silence de certains personnages : celui menaçant d’un homme, Louis, qui cherche à se couper du monde, celui d’un artiste, Hans, qui ne sait pas – ou ne veut pas – poser des mots sur son œuvre, celui d’un universitaire, Claude, qui ne parvient pas à trouver la justesse des mots écrits, celui d’une jeune femme, Annie, qui marche dans la nuit portée par son désir et surtout, celui d’une mère inquiète, Sofia, devant son enfant, Valentina, qui ne sait pas maîtriser le langage verbal et qui s’abandonne à des cris qui traversent son corps. Ce silence intime, exploré dans un lieu spécifique, le village, et incarné dans de multiples figures humaines, est à l’image d’un silence plus universel. Il symbolise un questionnement : comment parler d’une période sombre de l’Histoire dont chacun porte une trace ? Ce silence pesant laisse sourdre des failles qui conduiront à des révélations. L’ensemble du roman est donc construit sur une intrigue qui parviendra à sa résolution mais le point de vue de l’enfant, silencieuse, restera toujours énigmatique, même si sa mère sera parvenue à mieux la comprendre et commencera, peut-être, un chemin avec sa fille qui pourrait conduire celle-ci vers une forme de résilience. Mais s’agit-il vraiment de résilience ? et de quel traumatisme ? Cette mère a-t-elle souffert du régime nazi ou du terrorisme allemand des années 60-70 ? Le propos de Boris Cyrulnik, au sujet de la résilience, peut alors accompagner notre démarche d’analyse :
D’habitude, un enfant n’est pas un survivant, c’est un vivant qui remplit son monde psychique par le simple fait de s’épanouir et d’apprendre à vivre. Un nouveau-né qui a failli mourir de toxicose et qui a survécu grâce à la réhydratation n’est un survivant que dans l’esprit des adultes puisqu’un bébé n’a pas conscience d’avoir frôlé la mort. En revanche après l’âge de six ans, quand son développement lui permet de se représenter la mort, il comprend qu’il a failli succomber. Dès lors, cette représentation imprime en lui un psychisme de survivant. Cette situation n’est pas rare. Elle permet de comprendre comment un événement réel dans le monde extérieur (guerre ou famine) inscrit dans le monde intérieur de l’enfant une trace émotionnelle qui prend sens, sous le regard des autres, et façonne un intime sentiment de soi : « Je suis celui qui en a réchappé »1.
Le roman interroge cet « intime sentiment de soi », construit sur une brisure, un trauma qui a laissé des traces et qui fait de chacun « un survivant » même s’il n’a pas participé directement à l’action de guerre (qu’elle soit sur le champ de bataille ou dans l’acte terroriste). À la fin du roman, le chercheur, lui, a sans doute trouvé un sens à son travail universitaire à travers cette expérience, mais le roman laisse l’interprétation ouverte. De quelle manière Michèle Gazier tresse-t-elle les fils de ces rencontres, de ces silences et de ces modes d’expression pour dire la difficulté à exprimer les traces de l’Histoire ? C’est ce que nous proposons d’explorer. Pour ce faire, nous allons observer d’abord le cadre de l’action qui repose sur une dichotomie entre isolement et surinterprétation des signes. Ensuite, nous verrons comment l’irruption de la figure de l’enfant s’impose, à plusieurs niveaux, comme une force transgressive. Enfin, nous comprendrons comment l’œuvre expose une réflexion sur la manière dont l’enfant se fait révélateur du poids de l’Histoire.
Le lieu de la fiction est un village français. Il est caractérisé suffisamment pour que le lecteur puisse le situer géographiquement et historiquement. Le roman commence par la narration de l’arrivée d’un personnage « au milieu de l’hiver 2000, quelques semaines à peine après la tempête »2. La précision initiale ancre la résistance de ce village face à la force naturelle et en appelle au souvenir du lecteur. Le narrateur évoque la place où l’acacia maigrichon a tenu, les rues étroites et vides, les commerces modestes. Peu à peu le cadre se dessine, en étant associé à certains personnages, produisant un effet de réel évident.
Ainsi, Le Blondin a loué la maison des Simonin : « une presque ruine, tout en hauteur, en escaliers, un peu à l’écart »3 avec un « jardin cerné de pierres sèches ». Comme si le choix du lieu révélait quelque chose de l’humain. Le narrateur le caractérise en mobilisant la parole des habitants : « Tous avaient pensé que ce type-là était un gogo, un paumé, une sorte de beatnik »4, puis l’auteur savoure le caractère indéfini du « on » – cette parole qui circule sans que l’on en connaisse la source mais qui fait commun autour de clichés – : « Ce n’était pas avec lui qu’on allait faire tourner le commerce local »5, elle glisse subtilement du discours rapporté au discours indirect libre. Annie, la caissière, entre déjà dans l’intimité du Blondin en sachant ce qu’il a acheté (pas de vin, pas de Ricard) ; mais surtout en ayant vu ses beaux yeux, ce qu’elle ne révèle pas aux autres. Le lecteur se glisse ainsi dans la pensée de certains personnages, ceux qui savent regarder et ressentir puisqu’Annie6, 28 ans, le trouve « troublant »7. Elle va entretenir ensuite une relation amoureuse avec cet homme et pense : « Dans un village, on fait comme en ville, mais en douce »8 puis, du point de vue du narrateur, « Pour elle il serait Louis. Sans nom de famille »9.
Du cadre extérieur au dévoilement de l’intime, Michèle Gazier tresse les indices qui peuvent donner des informations sur un personnage, sans parvenir à percer son mystère, sa part cachée. La capacité à connaître l’autre est liée notamment à la mémoire de son histoire familiale. Dans ce village de campagne, tout le monde connaît les histoires de ceux qui y habitent, de générations en générations, ainsi
les gens d’ici, on savait tout d’eux. Ils étaient fils ou filles d’un tel, neveux et nièces de tel autre. On connaissait leurs terres, leurs caveaux de famille, les fredaines de leurs aïeux, les leurs, les vieilles haines qui les unissaient plus sûrement que des pactes d’amour10.
Ainsi, ceux qui viennent de plus loin sont des intrus qui intriguent et constituent une population à part, parce qu’il leur manque cette inscription spatiale qui fait trace, jusqu’au point où certains signes les font entrer dans la population (la maison bien tenue, le jardin entretenu). On pense à Zola lorsqu’il précise : « Il faut applaudir, lorsque le décor exact s’impose comme le milieu nécessaire de l’œuvre, sans lequel elle resterait incomplète et ne se comprendrait plus »11. Ici, les étrangers s’inscrivent spatialement dans le paysage du village et font le choix de lieux qui sont à leur image.
Hans Glawe, « sept ans en 45 »12, est le deuxième étranger « toléré » (« pas gitans, ni arabes »)13, et il est précisé en discours indirect libre : « on savait, par la télé, que le peintre était célèbre »14. Voilà l’autre parole qui concourt à la tolérance de l’étranger : il est riche et peut consommer. « Ce boche froid et distant était donc une vedette »15. L’incompréhension de son œuvre par les habitants laisse sourdre une étrange attirance mais aussi une haine latente liée aux souvenirs de la guerre qui semblent prêts à ressurgir. Son isolement dans le village est toléré par le lien qui s’instaure avec l’homme qui lui fait les courses. La distance est posée d’emblée, entre lui et les habitants du village. Il « vivait presque reclus dans cette vaste bastide entourée de champs de jachère et de garrigue »16. Glawe précise lui-même : « Où que je sois, j’habite mon œuvre, pas un pays »17.
Cet état de fait est décrit par le personnage du chercheur, Claude Ribaute, lorsqu’il se fait narrateur et que le lecteur se glisse dans son point de vue – celui d’un sociologue qui souhaite être objectif. C’est lui qui a trouvé cette maison pour l’isolement du peintre et il vient écrire un livre sur lui à partir d’entretiens. Son point de vue va être prédominant dans la connaissance de ce lieu. Mais lorsqu’il arrive dans le village, le point de vue omniscient va décrire la maison fermée, la voiture puis son portrait va être donné par le patron du café : « C’est pas un étranger, dis, c’est le fils Ribaute, le Claude. Il a gardé sa gueule de fouine de quand il était petit. Ouais, venez voir, on dirait sa mère, la Justine »18. Le narrateur ajoute : « Claude Ribaute avait regagné sa maison sans le moindre regard pour ce nid de vipères que le pastis faisait flamber d’une vieille colère »19. C’est sans doute parce qu’il est originaire de ce village qu’il a quitté pour mener sa carrière universitaire à Paris, qu’il a cette capacité de le restituer avec minutie et clairvoyance. Cependant, il reconnaît aussi « se raconter des histoires » et « rêver des secrets ». Les souvenirs lui reviennent et surtout les agissements des autres habitants qui, comme lui, sont de passage, brouillent son objectivité. Il va se laisser gagner, « à plus de 60 ans »20, par une forme de fiction. « Il n’attendait pas des Julienniens un accueil chaleureux, pas même un signe de reconnaissance. À ses yeux, ils n’étaient guère plus que des figures peintes sur un décor »21, nous dit le narrateur.
Ainsi, l’inscription ou non dans le paysage du village dessine une cartographie. Elle implique une représentation schématique ainsi qu’un repérage précis, graphique et surplombant. Par nature, ce village est un endroit où l’on pourrait être anonyme car on peut rester chez soi et vivre en relative autarcie, comme ces trois hommes solitaires. Mais le village est à la fois constitué de maisons (lieux de l’intime) et de lieux de passages (lieux de socialisation) où tout le monde se connaît et se regarde. Il est fait de ruelles, d’intérieurs et de fenêtres qui traduisent la difficulté de la rencontre. Certes les personnages se croisent mais alors même que certains lieux favorisent les commérages (le commerce pour les femmes et le café pour les hommes), les personnages principaux ne parviennent pas à se dire. Chacun s’isole dans un lieu bien délimité. Surtout, ils ont choisi le village pour ne pas avoir à évoquer d’autres lieux qui s’ouvriraient sur d’autres histoires. Annie – en point de vue interne – évoque Louis : « Plus jamais ils n’avaient fait allusion à des lieux où il serait allé, ni à des voyages. Louis était un homme sans mémoire, sans passé. Un homme neuf dont il fallait se contenter »22. Et encore : « Au lieu de sourdre au bord de ses lèvres, d’être vomi dans des mots, son malheur semblait s’enfouir au plus profond de lui »23.
Or, le chercheur, lui, se promène (« Les beaux jours, il partait à pied pour de longues promenades près de la rivière ou sur les sentiers escarpés de grande randonnée que les gens du coin rivés à leur voiture n’empruntaient presque jamais »)24 et il retrouve les souvenirs de son grand-père, ou reste chez lui, travaille tard et peut voir la vie de jour et de nuit par sa fenêtre. Le point de vue surplombant de cet observateur finit par être privilégié. Alors qu’il voit passer un rôdeur et une femme la nuit, il va combler son manque de connaissance en imaginant la suite de ces traversées. Les on-dit qui circulent du bistrot à la supérette, derniers lieux de rencontre et de convivialité mentionnés, pourraient corroborer ses hypothèses ou relancer ses investigations mais il n’y va pas. N’est-il que témoin ou acteur de l’action ? Faut-il comprendre à la manière de Jean-Pierre Sarrazac parlant du théâtre ? « L’intrusion du regard étranger a interrompu le drame, transformé la scène en tableau, fixé et découpé le flux dramatique en une série d’instants prégnants »25.
Bien sûr, l’auteur du roman par le biais de son narrateur va nous transporter dans différents lieux. Le lecteur, grâce au point de vue omniscient, va accompagner ces personnages aussi bien dans des lieux extérieurs qu’intérieurs. Cependant, le retour quasi systématique au point de vue du chercheur ramène une distance en privilégiant une focale qui cherche du sens et une objectivité. Dès lors, l’ensemble de l’intrigue s’inscrit fortement dans un cadre, à l’image du personnage de l’universitaire qui regarde par la fenêtre. Ces effets de cadrage multiples agissent comme autant d’effets où zooms et plans larges alternent. Le lecteur devient lui-même cet observateur attentif prêt à s’arrêter sur un détail afin de l’interpréter, comme un chercheur penché sur un microscope. Chaque signe fait sens mais interroge aussi le caractère relatif de ces « preuves ». L’auteur insiste sur ce qui se cache ou se dévoile, en partie, derrière les rideaux tirés. Ce qui entre dans le cadre et ce qui déborde.
Notre traversée du cadre spatio-temporel rend compte aussi d’une circulation qui se fait circularité, retours réguliers aux mêmes endroits, passages systématiques aux mêmes heures. Autant de repères faussement familiers qui vont mettre en valeur de manière aigüe ce qui va déroger à la rassurante routine des jours. Le cadre spatio-temporel interroge la possibilité de changer le cours des choses. Sommes-nous condamnés à passer par les mêmes chemins, à cacher des désirs pour ne pas entrer dans de nouvelles histoires ? Comment échapper aux récits de chacun portés par tous ces regards qui se font jugements ? Faut-il tenter d’échapper au passé ou savoir l’affronter pour accepter le jugement possible ? Comme Claude Ribaute :
Il avait détesté ce lieu, l’étroitesse des mentalités, la pingrerie familiale, les indiscrétions réciproques, toutes choses dont la vie parisienne l’avait protégé. À Paris, il était un intellectuel, un professeur respecté, un homme sans autre passé que celui qu’il voulait bien déclarer26.
Les lieux, dans leur séparation, sont symboliques et, malgré la proximité, des distances se creusent entre les gens. L’auteur précise : « Avait-il soupçonné la manière dont les villageois le tiendraient à l’écart ? N’était-ce pas lui, Claude qui les tenait éloignés ? »27.
Les images que le lecteur peut s’inventer sont le reflet du silence des trois étrangers qui taisent un passé qui les submerge et qui trouvent des moyens d’expression qui ne sont peut-être que des moyens de détour pour ne pas affronter le réel28 : « Chacun avait choisi Saint-Julien-des-Sources pour refuge, cherchant et trouvant un peu, dans l’éloignement et la campagne, un lieu où respirer »29. Pourtant, Claude Ribaute n’est finalement pas dupe, mais il s’est passé cinq mois entre le début du récit et cette dernière phrase où Ribaute dit « je » dans son journal intime :
Eux et moi vivons à distance, dans deux mondes. Et pourtant je sais qu’au commencement et à la fin de nos misérables histoires individuelles, à l’orée du village et de nos existences, nous attend dans son écrin de cyprès un même cimetière où nos morts, depuis des siècles, se mélangent30.
Des événements se sont déroulés et il semblerait bien qu’un seul personnage ait eu la capacité de cristalliser ce changement : l’enfant dans son comportement radical.
Au sein de cette inertie spatiale, synonyme de retrait du monde pour Ribaute, l’arrivée d’une enfant accompagnée de sa mère, devient l’élément déclencheur d’un bouleversement. D’autant qu’elle circule librement d’un espace à un autre, qu’elle disparaît de la surveillance de sa tante et qu’on la retrouve cachée dans le jardin de Louis parce qu’elle a sauté par-dessus le mur. Surtout, cette enfant a la capacité de changer les adultes.
Valentina est née le 14 février. Elle est la fille de René, frère aîné d’Annie, et de Sofia, une italienne de Turin. Elle a presque quatre ans. Elle sort d’une coqueluche et tousse. Sofia, sa mère, dit : « Saint-Julien, ce n’était pas tout à fait la montagne, une vallée haute tout de même, quelque cinq cents mètres au-dessus de la mer. Parfait pour les bronches »31. Voilà une venue bien motivée.
Son arrivée trouble Annie, sa tante, qui ne l’a jamais vue et réveille son désir d’enfant (« elle était restée avec ce désir au creux du ventre, au creux des bras »)32. Surtout, elle imagine avant son arrivée que cette enfant va combler le silence de la maison vide où des vieillards sont morts. Elle va amener de la vie, du son, par son rire : « Oui, elle allait accueillir une petite fille et c’était du bonheur »33. Ensuite, l’enfant arrive « petite fille blonde au visage d’ange »34, fillette silencieuse « perdue dans la contemplation des acacias roses de la place »35. « Elle était sauvage avait dit Sofia »36, « Ses yeux d’un gris changeant étaient toujours tournés vers des ailleurs inaccessibles »37. « Valentina ne répondait à aucune injonction, pas même à son prénom. Et pourtant entre elle et sa mère on sentait un magnétisme, une sorte d’accord primitif »38, « son silence était rayonnant »39. Dès son arrivée, l’attitude de Valentina intrigue et attire Annie mais aussi les autres habitants du village. Sa mère va l’expliquer :
Valentina a un problème de communication. Mais elle comprend deux langues, mon italien et le français de son père. Elle ne parle pas. Du moins pas aux gens. Il ne faut pas s’en offusquer ni s’en étonner. Elle est silencieuse comme d’autres sont bavards. Par mesure de protection40.
Ainsi, malgré son silence, elle comprend deux langues et fait le pont entre deux cultures. Ce qui lui manque, les mots, est compensé par son attention aux choses. Par ailleurs, au bout de trois jours, l’enfant vient se blottir contre Annie devant sa mère étonnée. La chaleur de son corps touche Annie. Et celle-ci se réjouit de cette présence dans sa maison à l’étage au-dessus, en écoutant les petits pieds sur le plancher et peut raconter à Louis la « présence magnétique » et ce qu’elle a de commun avec Louis : « une sorte de mystère, de poésie »41. Dès le premier soir où elle en parle à Louis, le silence de Valentina vient souligner la « mélancolie »42 de Louis.
Claude Ribaute, lui, observe cette arrivée comme un nouveau spectacle : « Une nouvelle pièce allait se jouer dont il ignorait encore l’intrigue. Il serait aux premières loges »43. Et parlant des habitants : « Ils n’étaient guère plus que des figures peintes sur un décor »44. En fait, il aimerait parler à Annie dont il observe les allées et venues par la fenêtre et il a maintenant un sujet : « Un enfant ou un animal de compagnie sont une très bonne entrée en matière »45.
Si Claude Ribaute ne voit, dans l’enfant, qu’un prétexte quelconque à la parole, la scène qui suit va montrer combien cette enfant peut troubler les adultes. Louis entend des pas sur la route et la démarche sautillante, elle trottine, regarde une fleur, l’arrache puis s’arrête devant lui – autant de mouvements libres d’un corps d’enfant puis :
La petite le fixe de son regard profond, étrange. Elle ne dit rien, ne sourit pas. Il se sent traversé, mis à nu. Elle reste quelques secondes sans détourner les yeux, sans ciller, impassible. Et c’est à peine s’il se rend compte qu’elle lui dit tout doucement « Tina »46.
Nous sommes page 75 et voilà que cette enfant « silencieuse » sait dire son nom et attend d’un adulte qu’il se présente de la même manière. Elle a choisi Louis, peut-être parce qu’elle a ressenti une parenté avec lui. Cette frontalité est suffisamment remarquable pour troubler Louis qui ne parvient plus à donner un nom pour se présenter, comme si toute dissimulation était vaine. Il pense ensuite aux mots qu’il écrit et qu’il cache dans un placard dérobé, et le soir il partage l’avis d’Annie qui voit dans cet enfant l’obligation « à s’interroger sur eux, leurs paroles inutiles et mensongères. Son silence était une manière de révolte et de provocation »47. La nuit même qui suit cette rencontre, le visage de l’enfant se mêle aux personnages de Glawe, comme si, par-delà le silence, sa présence était un signe, une représentation de quelque chose se rapprochant des figures torturées du sculpteur. Les mots de Louis lorsqu’il est écrivain et les œuvres de Glawe ne sauraient dire ce que le regard de l’enfant a mis au jour.
Il faut un autre élément déclencheur : des personnes ont vandalisé les sculptures de Glawe et la vue de ces formes bouleverse Louis :
Louis debout dans la nuit noire face à cette armée d’ombres totémiques violentée pleurait sur sa vie [...]. Pour la première fois depuis sa retraite campagnarde, il avait le sentiment que son silence était une lâcheté48.
La présence de l’enfant est révélatrice, parce qu’elle est sauvage, belle, libre et prisonnière à la fois. Elle est une sorte de hors-temps et ne rappelle pas chacun à sa propre enfance ou à son désir d’enfant mais bien à quelque chose de profond qui a à voir avec une révolte intérieure, difficilement formulable et qui renvoie les adultes à leurs faiblesses. Elle n’a que quatre ans mais elle est peut-être porteuse d’une Histoire qui la précède et dont elle n’a pas tout à fait conscience.
Ribaute est fasciné à son tour. Alors même que le chercheur souhaite l’objectivité, il considère qu’elle est porteuse d’un secret que les adultes ne peuvent pas toucher. Elle cristallise un rapport au passé qu’elle ne peut pas formuler avec des mots : « Sous sa blondeur gracieuse, elle m’apparaissait comme une boule de violence, de refus »49.
Par ailleurs, très concrètement, elle tisse du lien entre les adultes par les dialogues qui s’instaurent entre eux à cause d’elle. Ainsi Annie vient chercher Ribaute quand l’enfant s’est cachée dans le jardin de Louis. Ribaute finit par aller boire un verre chez Louis pour lui raconter la scène. Elle est presque le prétexte d’une rencontre qu’ils souhaitaient sans oser le faire, comme « deux ours feignant de s’ignorer »50. Alors même qu’elle n’a pas parlé le jour où Ribaute l’a trouvée dans le jardin, elle s’adresse à lui lorsqu’elle passe sous sa fenêtre avec sa mère. Un « coucou » qui fait rougir Ribaute qui reconnaît : « J’étais flattée que cette gamine étrange m’ait choisi, mais par manque de pratique je n’avais rien à lui dire »51.
Elle est le point de focale qui les rassemble et les renvoie en même temps profondément à eux-mêmes. Cependant, ce retour à eux-mêmes n’est pas tant un retour à leur propre enfance que le lien à l’enfant qu’ils n’avaient pas soupçonné. Louis cultive avec joie des artichauts pour elle. Annie et Ribaute attendent impatiemment le retour de l’enfant.
Mais, finalement, cette enfant ne joue pas avec d’autres enfants, elle est elle aussi en dehors du monde. Elle traduit une souffrance. Le sociologue interprète le silence de cette enfant comme un rapport à une violence contenue, tout son corps est traversé par l’impossibilité de dire, mais il voit aussi sa main :
Valentina et son silence, Valentina et sa petite main qui désigne tout ce qu’elle désire. La main de Valentina est bavarde. Elle parle pour elle en signes et en silence52.
Et lorsqu’il la voit se tordre dans la rue, il ne bouge pas et retourne ensuite à son bureau : « Je suis resté là, figé, bouleversé par cette violence qui avait traversé le corps de l’enfant. Une violence sauvage, brute, sans rien pour la canaliser » et il retourne écrire : « l’art comme moyen de canaliser la violence que la langue ne peut exprimer »53.
La manière de communiquer paradoxale de Valentina est une forme de détour, une autre manière d’être au monde qui renvoie chacun à quelque chose d’intime. Sa main qui se fait signe nous désigne ses désirs comme le sculpteur travaille la matière pour la façonner, à l’image de ses rêves et de ses cauchemars.
L’arrivée de l’enfant provoque des bouleversements car elle cristallise, par son silence, le rapport à la mémoire et à l’impossibilité de cohabiter avec le passé, en ce sens elle est proche des œuvres de Glawe :
Cette œuvre torturée qui était la sienne, une forme de cri, voire de hurlement silencieux, s’enracinait dans le même terreau de la mémoire que le leur. Les uns et les autres demeuraient victimes d’une situation – la guerre, l’Occupation, les camps – à laquelle ils n’avaient jamais participé, mais qu’ils subissaient. Les Français du village avaient ainsi hérité de la haine du boche et lui, le boche, de la culpabilité de son peuple. La seule différence, certes de taille, étant que les uns s’abîmaient dans la bêtise alors que lui faisait fleurir ses peines et ses douleurs. Arrachant à sa mémoire ces lambeaux de terreur, ces brassées de souffrance, ces avalanches de cadavres qui hantaient ses jours et ses nuits, il vomissait sur le papier, la toile, le sable, la pierre, le fer, où il les laissait se tordre, s’ériger, se cabrer et finalement exister hors de lui54.
Claude Ribaute travaille sur l’œuvre de Glawe et cherche à comprendre d’abord comment il a puisé dans sa mémoire. La première approche qu’il entreprend repose donc sur la biographie. Il considère toutefois que tenter de mettre des mots sur l’œuvre de l’artiste est vain. Pourtant, c’est l’acte de tout chercheur et, alors qu’il est sociologue, il a décidé de mener cet autre travail qui est celui du chercheur en arts. Or, dans un premier temps, il lui semble que ses mots de chercheur ne sauront pas dire ce que l’œuvre exprime par sa matérialité, sa surface, ses aspérités en volume, que même la photo en aplat ne rend pas. Il en a été submergé en visitant l’atelier qui est l’antre de l’artiste, et là où il « vomit » son œuvre. Et pourtant, il comprend qu’il s’agit de descendre en soi-même, que toute critique garde une part de subjectivité. Il le comprend parce qu’il s’est désappris du dialogue qui est accommodement avec l’autre. Il l’a compris dans son monologue intime avec le journal. Ensuite, il va étudier l’œuvre sous l’angle des influences littéraires que l’artiste lui révèle puis enfin il va envisager le rapport à la nature non pas comme thématique mais « comme moyen d’élucidation de cette violence qui la traverse »55. Et c’est parce qu’il a ressenti la violence silencieuse de Valentina que son travail a avancé. Sa rencontre a ouvert des pistes.
Cependant, se rendre sensible aux choses n’écarte pas la possibilité de passer à côté du réel. Si Ribaute, chercheur, avance dans son travail sur l’Art, il reste sidéré lorsque Glawe lui apprend la véritable identité de Louis. La vérité lui échappe, le réel est difficile à croire. Il va s’interroger sur sa capacité à garder le secret de cette identité, un secret d’une « lourdeur écrasante »56. Ribaute ne parvient pas à comprendre le présent. Il passe une bonne soirée, seul au restaurant, alors que l’ancien terroriste se fait arrêter. Il est à côté de l’Histoire.
Ainsi, le travail du chercheur tente de mettre des mots sur l’œuvre comme l’artiste met l’art au service d’un ressenti et d’un propos. Comment l’Histoire nous touche-t-elle ? Lisons-nous le réel à la lumière de ce qui nous préoccupe ? Le sociologue ne parvient pas à trouver la juste distance quand l’enfant le touche. Michèle Gazier passe par la voix de Ribaute pour poser des questions sur l’Art et sur l’Histoire, nous faisant partager les réflexions de l’universitaire, tout en montrant la fabrique de la recherche, les doutes, les hésitations, les fulgurances ou les accommodements, les plaisirs de l’avancée de la pensée et la difficulté de la conversation ordinaire quand l’esprit est pris ailleurs. Tout son travail est difficulté à dire, comme l’enfant qui ne sait pas parler, car ils sont tous les deux tiraillés par une forme d’empêchement.
Valentina est l’incarnation de ce qui définit l’enfant : l’infans – celui qui ne parle pas. Mais son corps n’est pas en attente de ce langage, il est langage lui-même. Il dit sa fureur et sa liberté de mouvement (elle passe les murs que les adultes ont érigés. Elle touche les corps des adultes récalcitrants). Elle semble transcender la séparation et pourtant ses cris sont bien le symptôme d’une fêlure intérieure. Elle est aussi la figure de l’étranger, celui qui révèle par sa différence les tensions de ceux d’ici. Mais elle est surtout l’absence de parole incarnée : l’impossibilité de dire. Elle cristallise ce que les adultes portent aussi en eux et en ce sens elle les rassemble comme miroir de leurs frustrations qu’elle traduit par sa fuite physique. Elle fait songer à ces mots de Pierre Péju dans Enfance obscure : « Quelle trace nous reste-t-il, plus tard, de ce moment où il suffisait de désigner les choses pour que des syllabes, légères et définitives, se posent sur elles ? »57 et encore : « Accueillir l’Enfantin, c’est toujours tenter d’empêcher, désespérément peut-être, le grand massacre du passé »58.
Un seul n’a pas besoin de l’enfant, c’est l’artiste qui révèle par son œuvre sa déchirure. Il a choisi le lieu reclus. Hans Glawe, le peintre, a fui la ville pour trouver le lieu pour créer :
Hans Glawe appartenait à cette génération innocente des gens nés dans le mitan des années 1930 et qui devraient porter sur leurs épaules – du moins le croyaient-ils – le poids de la culpabilité de leurs pères, mères, oncles, tantes, cousines, aimés et haïs, qui avaient applaudi ou qui s’étaient tus devant les triomphes et les horreurs du nazisme59.
Son corps tout entier y est investi face à un matériau qui tranche, qui maltraite. En même temps, l’artiste qui travaille la trace ne cesse de chercher la confrontation entre la froideur du métal (symbole de la technique et de la guerre) et la trace du temps sur le matériau naturel (le bois séché). Entre l’expression et le corps, il puise dans la nature alors même qu’il a fait le choix d’une langue pauvre en parlant de son œuvre en français pour « en dire le moins possible et pouvoir éluder les questions plus intimes ou simplement plus pointues »60 et encore : « L’allemand demeurait cette langue tue, qui venait le visiter en silence et dans laquelle il continuait à penser et, qui sait ? à rêver »61. Son art alors est l’expression de « cris muets »62. Glawe a choisi une autre langue pour aller dans le sens de la pauvreté mais aussi de la justesse, le français pour la distance. Il ne parle pas l’allemand, la langue de son passé, peut-être la langue du crime dont il se rendrait complice. Il travaille un écart pour trouver la juste distance à poser entre le réel et l’action humaine.
Le sociologue, lui, tente d’échapper à l’émotion que peut susciter l’enfant et l’œuvre, en cherchant la cohérence de sa réflexion. Or, les extraits de ses écrits théoriques sont toujours en italique comme pour une mise à distance, voire une forme d’ironie sous-jacente, laissant entendre combien la tâche serait vaine. Il va parvenir à circonscrire l’aspect intime de son écriture dans un journal bien dissocié de son travail en cours (commencé à partir de la deuxième partie du roman). En trouvant là, un lieu « en dehors de la morale »63, qui relève du témoignage. Surtout, pour décrire a posteriori ce qu’il n’a pas vu venir, lui qui devrait avoir l’œil aiguisé de l’observateur expert : « Je sais aujourd’hui qu’on n’écrit pas pour expliquer mais pour comprendre »64. L’écart qui sépare ces deux supports d’expression (étude universitaire et journal) est bien encore une faille mais posée à distance et maintenue dans un cadre. Les mots d’adultes à l’écrit comme à l’oral sont surveillés. Pourtant le chercheur a dû dépasser les barrières de son approche pour trouver lui aussi l’expression de son cri intérieur que le travail de Glawe révélait et que le corps de Valentina exposait.
Finalement, le sens de ce travail universitaire va advenir à la fin du roman dans la lettre de la mère de l’enfant (celle qui a très peu parlé pendant le roman) que l’on peut entendre comme un long monologue. Nous ne savons pas si elle travaille, nous ne connaissons pas son passé, elle est la mère de l’enfant et sa beauté ne semble pas toucher les hommes qui lui préfèrent l’enfant. Pourtant, elle écrit magnifiquement. Le texte théorique de Ribaute l’a touchée, comme s’il s’adressait à elle. Elle considère que l’écrit de l’universitaire dépasse la simple critique de l’œuvre de Glawe par son interrogation sur la douleur de dire que le corps de son enfant cristallise. Il a trouvé les mots qui lui manquaient. La lettre, les mots et la distance semblent pourtant rapprocher la mère de son enfant.
Les vraies révélations ne peuvent se faire qu’à distance alors que les échanges rapides dans la vie sont des rencontres furtives faites de non-dit. Le sens de certains actes ne se comprend qu’a posteriori comme la main tendue de Glawe qui scelle un pacte de silence que Ribaute ne comprend pas sur le moment. Alors que Glawe lui donne sa confiance, Ribaute fait semblant de s’engager. Le silence est lourd de sens. Tout le roman est traversé par la nécessité du silence de Louis pour éviter la prison. Le silence de Ribaute lorsqu’il a fait le pacte. Le silence du peintre qui accepte de cacher Louis. On ne connaîtra pas complètement la cause de la souffrance de l’enfant mais elle semble porter celles de tout un peuple silencieux.
Alors, parfois, la parole s’échappe : les monologues de Glawe, les confidences de Louis (car Annie sait être à son écoute et vient lui raconter les histoires de village), le journal intime, la lettre finale. Un cri sourd traverse l’œuvre mais la lettre est peut-être l’espace d’une relation apaisée et la première étape vers une résilience.
Ainsi Michèle Gazier, par le biais du narrateur, expose ces divers points de vue organisés par celui de l’universitaire. Le personnage du chercheur est le gage d’une certaine objectivité ; pourtant son analyse n’est pas exempte du reflet de ses sentiments face à l’œuvre. Cependant, cette analyse de l’œuvre et de la situation politique ne porte pas de jugement moral sur les actes de chacun. L’art qui traverse (sculpture, écriture, musique – Glawe écoute des disques) est sans doute plus proche de la possibilité d’exprimer l’inexprimable avec toute sa part de non-dit.
Les portraits d’adultes sont attendus et reflètent des comportements connus (la figure de l’artiste, de l’exclu, de l’intellectuel, de la femme libre, etc.) mais l’étrangeté enfantine est porteuse d’une force transgressive (elle saute les murs, choisit l’adulte qu’elle préfère, serre dans les bras et interpelle du regard) où le corps a toute sa place. Toutefois, même si le corps est signe, il a bien fallu quelqu’un quelque part pour signaler à la police la véritable identité de Louis. Ce sont bien les mots qui décident de la sentence et du jugement. Tout comme le roman travaille la matérialité des mots, peut-être moins que les silences qui entourent les corps.
[1] Boris CYRULNIK, Un merveilleux malheur, Paris, Éditions Odile Jacob, [1999], collection « Poches », 2002, p. 47-48.
[2] Michèle GAZIER, Silencieuse, Paris, Éditions du Seuil, 2017, p. 13.
[3] Ibid., p. 14.
[4] Id.
[5] Ibid., p. 15.
[6] « Annie, la caissière de la supérette, vingt-huit ans, toujours célibataire après une histoire d’amour malheureuse avec un garçon de la ville », ibid., p. 20.
[7] Ibid., p. 15.
[8] Ibid., p. 21.
[9] Ibid., p. 23.
[10] Ibid., p. 16
[11] Émile ZOLA, Le Naturalisme au theatre (1re éd. 1881), Bruxelles, Éditions Complexes, 2003, p. 98-99.
[12] Ibid., p. 81. Et encore : « Né en 1938 en Allemagne, il appartient à cette génération ‘innocente’ qui a subi la guerre et qui en est à jamais blessée », p. 67.
[13] Ibid., p. 16.
[14] Id.
[15] Ibid., p. 17.
[16] Ibid., p. 33
[17] Ibid., p. 111.
[18] Ibid., p. 26.
[19] Ibid., p. 27.
[20] Ibid., p. 80.
[21] Ibid., p. 58.
[22] Ibid., p. 24.
[23] Ibid., p. 50.
[24] Ibid., p. 27.
[25] Jean-Pierre SARRAZAC, Jeux de rêves et autres détours, Belval, Éditions Circé, collection « Penser le théâtre », 2004, p. 54.
[26] M. GAZIER, Silencieuse, op. cit., p. 44-45.
[27] Ibid., p. 45.
[28] Certaines informations sont pourtant accessibles. Annie trouve l’entrée Claude Ribaute sur Wikipédia : « Né en 1952 à Saint-Julien-des-sources. Parents agriculteurs. Études brillantes. » Ibid., p. 37. »
[29] Ibid., p. 95.
[30] Ibid., p. 109.
[31] Ibid., p. 53.
[32] Ibid., p. 54.
[33] Ibid., p. 55.
[34] Ibid., p. 56.
[35] Id.
[36] Ibid., p. 63.
[37] Id.
[38] Id.
[39] Id.
[40] Ibid., p. 64.
[41] Ibid., p. 65.
[42] Ibid., p. 66.
[43] Ibid., p. 59.
[44] Ibid., p. 58.
[45] Ibid., p. 71.
[46] Ibid., p. 75.
[47] Ibid., p. 76.
[48] Ibid., p. 95.
[49] Ibid., p. 125.
[50] Ibid., p. 142.
[51] Ibid., p. 154.
[52] Ibid., p. 119.
[53] Ibid., p. 155.
[54] Ibid., p. 61.
[55] Ibid., p. 162.
[56] Ibid., p. 201.
[57] Pierre PÉJU, Enfance obscure, Paris, Gallimard, 2011, p. 30.
[58] Ibid., p. 48.
[59]M. GAZIER, Silencieuse, op. cit., p. 33.
[60] Ibid., p. 34.
[61] Id.
[62] Ibid., p. 35.
[63] Ibid., p. 110.
[64] Ibid., p. 113.
Résumé
Le roman de Michèle Gazier, Silencieuse, est traversé par un silence pesant qui symbolise un questionnement : comment parler d’une période sombre de l’Histoire dont chacun porte une trace ? C’est ce que nous explorons en observant d’abord le cadre de l’action – un village français – qui repose sur une dichotomie entre isolement et surinterprétation des signes. Ensuite, nous verrons comment l’irruption de la figure de l’enfant s’impose comme une force transgressive. Enfin, nous comprendrons comment l’œuvre expose une réflexion sur la manière dont l’enfant se fait révélateur du poids de l’Histoire.
Abstract
Michèle Gazier’s novel, The Silent Girl, is crossed by a heavy silence which symbolizes a questioning: how to speak about a dark period of History everyone bears a trace ? This is what we explore first observing the setting –a french village– which is based on a dichotomy between isolation and overinterpretation of signs. Then, we will see how the eruption of the child’s character imposes itself as a transgressive force. Finally, we will understand how the work puts forward a reflexion on the manner this child reveals the burden of History.
Une campagne française : entre isolement et exposition
L’irruption de l’enfance : la force transgressive
Françoise HEULOT-PETIT
Université d’Artois, EA 4028, Textes & Cultures, F-62000 Arras
CYRULNIK, Boris, Un merveilleux malheur (1re éd. 1999), Paris, Éditions Odile Jacob, collection « Poches », 2002.
GAZIER, Michèle, Silencieuse, Paris, Éditions du Seuil, 2017.
PÉJU, Pierre, Enfance obscure, Paris, Gallimard, 2011.
SARRAZAC, Jean-Pierre, Jeux de rêves et autres détours, Belval, Éditions Circé, collection « Penser le théâtre », 2004.
ZOLA, Émile, Le Naturalisme au théâtre (1re éd. 1881), Bruxelles, Éditions Complexes, 2003.