Ces toutes dernières années, l’historiographie relative à la princesse d’Éboli connaît un nouveau souffle. En 2013, Trevor J. Dadson et Helen H. Reed eurent en effet l’excellente initiative d’éditer un ensemble de sources essentielles pour mieux connaître ce personnage haut en couleur de l’Espagne de Philippe II. L’Epistolario e historia documental de Ana de Mendoza y de la Cerda, princesa de Éboli offre un corpus de 395 documents composé de 236 lettres. Dans cette correspondance, on trouve 55 lettres privées d’Ana de Mendoza adressées à différents destinataires de son entourage familial ou politique. Les autres lettres sont des documents de type administratif, des lettres donnant essentiellement pouvoir ou autorisation pour des démarches financières, patrimoniales et juridiques. Cette abondante manne épistolaire, en grande partie inédite à ce jour, témoigne, outre de la vie quotidienne de la haute aristocratie, dans ses usages et activités politiques, de la lourde charge administrative qui incombait aux élites nobiliaires espagnoles à l’époque moderne.
Pour aborder la spécificité des correspondances féminines dans l’Espagne classique, les lettres privées constituent une matière abondante offrant une véritable mine informative pour la connaissance non seulement biographique de leur auteure mais aussi de son identité sociale et culturelle. Leur étude permettra de mesurer les enjeux à la base des échanges et, dans le cas d’Ana de Mendoza, de révéler la transformation d’une jeune fille de la haute aristocratie castillane en personnage historique1 : la Princesse d’Éboli devint sous le règne de Philippe II, c’est-à-dire dans la seconde moitié du XVIe siècle, une figure emblématique de la cour. Sa grande beauté et son intelligence lui permirent de connaître une ascension fulgurante dans l’entourage du roi avec lequel la Légende noire anti-hispanique lui prêta une liaison, en plus de celle qu’elle aurait vécue avec Antonio Pérez, le secrétaire du roi le plus influent, ce qui ne manqua pas de forger sa légende de courtisane fatale et d’intrigante2.
Après l’évocation succincte des événements structurants de sa biographie, l’analyse d’un ensemble de huit lettres envoyées à son époux entre 1557 et 15583, suivie de celle de quelques lettres adressées à des correspondants politiques, nous conduira à aborder le personnage sous la double facette de sa vie intime et de sa vie politique et d’apprécier de quelle manière la correspondance met au jour l’articulation entre la sphère privée et la sphère publique.
Ana de Mendoza y de la Cerda naquit en 1540 à Cifuentes. Fille unique, elle descendait du côté paternel de l’une des familles les plus puissantes d’Espagne qui, depuis le XIIIe siècle, occupait les plus hautes charges de l’État. Son père, le vice-roi de Catalogne don Diego Hurtado de Mendoza, jouissait du titre de second comte de Mélito et était le petit-fils du grand Cardinal Mendoza que l’on surnommait le « troisième roi » sous le règne des Rois Catholiques, lui-même étant fils du célèbre poète du XVe siècle, le marquis de Santillana. Sa mère doña Catalina de Silva était fille du comte de Cifuentes que Charles Quint nomma Président du Conseil des Ordres Militaires. De son seul mariage avec Ruy Gómez de Silva, son aîné de 24 ans, elle eut dix enfants dont seuls six survécurent, quatre garçons et deux filles prénommées également Ana. L’une épousa le grand duc de Medina Sidonia, cousin du roi, et l’autre grandit avec elle jusqu’à sa mort en 1592 dans son palais de Pastrana, transformé en geôle sur ordre du roi. Durant ses premières années à la cour de Philippe II, grâce à la fonction de secrétaire favori de son époux, elle profita d’une situation très privilégiée, ne serait-ce que par la solide amitié qu’elle partageait avec la reine Élizabeth de Valois. Le roi récompensa les époux, dans un premier temps, du titre de prince étranger « d’Éboli », puis de celui de ducs de Pastrana qui permit à l’époux d’Ana de s’élever à la dignité de Grand d’Espagne4. Entre 1560 et 1564, la princesse d’Éboli était au faîte de sa gloire courtisane, ce furent les années où sa très grande proximité avec le pouvoir inspirèrent à quelques langues malveillantes la légende des amours avec Philippe II, un des arguments très connus des détracteurs de la conduite royale visant à dénoncer à la fois la prétendue corruption morale et la politique arbitraire du souverain5. Puis les historiens peinent à expliquer pourquoi brusquement la faveur du roi s’interrompit marquant ainsi le début de la disgrâce d’Ana de Mendoza et de Ruy Gómez de Silva qui perdit le conseil royal et fut rétrogradé à la charge de majordome du prince don Carlos. En 1573, après la mort de son époux, Ana de Mendoza décida de rejoindre Pastrana et devint Sor Ana de la Madre de Dios au couvent des carmélites qu’elle avait fondé non sans mal avec l’aide de Thérèse d’Avila6. Mais son comportement temporel, jugé extravagant et peu conforme à l’austérité de l’ordre, choqua les religieuses au point que Thérèse dût intervenir personnellement dans une opération rocambolesque pour procéder au sauvetage de ses « anges ». Philippe II, qui malgré son insistance s’était refusé à assumer la tutelle de ses enfants, la pressait de rester dans son fief pour y répondre à ses obligations nobiliaires et maternelles. En 1576 cependant, sur demande expresse de son père et en dépit de ses réticences sur le bienfondé de sa présence à la cour, il finit par autoriser son retour à Madrid où elle résida non loin de l’Alcazar. Elle se rapprocha alors du puissant secrétaire royal Antonio Pérez, faisant naître ainsi les rumeurs d’une possible relation amoureuse. Son accès renouvelé aux arcanes du pouvoir s’expliquait également par sa longue amitié avec Juan de Escobedo, homme du roi et ami personnel d’Antonio Pérez. Si rien ne prouve cet épisode intime, la présence répétée et souvent longue du secrétaire chez la veuve de Ruy Gómez, tout comme les nombreux cadeaux et faveurs échangés, éveillèrent les soupçons. Tout cela ne pouvait que déplaire à la cour où très vite ses ennemis masculins la surnommèrent la hembra7 ou encore « Jézabel »8. Les intrigues politiques complexes autour d’un possible complot de don Juan d’Autriche, le demi-frère du roi, pour épouser Marie Stuart et monter sur le trône d’Angleterre ont été interprétées comme l’une des causes de l’assassinat de son secrétaire Juan de Escobedo par Antonio Pérez avec l’accord de Philippe II. Comme auteur et exécutant du meurtre, Antonio Pérez tomba en disgrâce, entraînant dans sa chute sa complice présumée, la princesse d’Éboli, qui fut enfermée pour le restant de ses jours. Elle mourut après 12 ans de captivité, principalement assignée à résidence dans son palais de Pastrana où elle fut enterrée. Pendant toutes ces années, tant son fils le duc de Pastrana que son gendre le duc de Medina Sidonia œuvrèrent en vain auprès de Philippe II pour obtenir l’ouverture légitime de son procès et dans le même temps, sinon sa libération, du moins un assouplissement des conditions de plus en plus dures de sa réclusion. L’inflexibilité du roi alimenta les projections imaginaires autour de sa relation avec Ana de Mendoza, et de leur rôle respectif dans ce que l’historiographie nomme aujourd’hui « l’affaire Escobedo ». Ce qui est sûr, c’est que le roi ne voulait plus montrer le moindre signe de libéralité envers celle qui, par sa simple présence et son renoncement au silence, entachait sa réputation et risquait de dévoiler des secrets d’État mettant ainsi en péril l’équilibre des forces politiques. Les lettres matrimoniales donnent à voir uniquement celles qu’Ana envoya à son époux. Elles s’articulent par leur contenu autour de deux thématiques : la thématique familiale et la thématique liée aux questions de santé.
Lorsqu’en 1553, la jeune Ana épousa Ruy Gómez de Silva, Sommelier de Corps du prince Philippe, elle n’avait que treize ans alors que lui en avait trente-six. La différence d’âge entre époux était très répandue dans le milieu de la haute noblesse, elle garantissait d’un côté la virginité de l’épouse et de l’autre l’expérience et la maturité protectrice de l’époux. Pendant quatre ans, les époux n’eurent pas la possibilité de se voir car Ruy Gómez accompagna le prince Philippe en Angleterre en vue de sa prochaine union avec Marie Tudor9. Ainsi, leur mariage fut ponctué de l’éloignement régulier du favori du roi ; ils firent véritablement connaissance par écrit dans un échange marqué par l’absence. Les lettres qu’Ana adressa à son époux à partir de ses dix-sept ans manifestent un profond respect et une déférence évidente : elle l’appelle Señor, avec une adresse formelle qui ajoute à la distance spatiale séparant les épistolaires, la distance morale et sociale. Les époux n’usent pas de leur prénom comme on le ferait aujourd’hui dans une correspondance de ce type, mais de leur titre. Elle termine immanquablement ses lettres par : Nuestro Señor guarde a V.m. [Vuestra merced] como yo deseo. Besa las manos a V.m. et les signe : La condesa.
Malgré ces usages qui relèvent de la politesse mondaine, d’une sociabilité aristocratique à laquelle les liens du mariage ne permettent pas de se soustraire, y compris dans le secret de la communication écrite, ces lettres autographes se caractérisent par leur tonalité naturelle. À les lire, nous avons le sentiment que l’auteure s’exprime sans apprêt, sans effet de style, avec une langue plus proche de la langue parlée que de la langue écrite10. En dépit de l’application, la syntaxe reste simple et le vocabulaire appartient au registre de la langue courante. Il s’en dégage un langage de l’intime qui suppose une forme de liberté d’expression11. L’auteure se montre sincère avec cet homme qu’en réalité elle connaît à peine et qui peu à peu l’introduit dans le monde des affaires temporelles.
Les termes de leur contrat de mariage furent fixés entre les parents de la jeune fille et, non pas son futur époux, mais le prince Philippe12. Et plus étonnant encore, c’était qu’une jeune femme de cette condition épousât un homme de moindre qualité, qui n’appartenait pas à la haute noblesse, ne possédait aucune fortune personnelle et était d’origine portugaise. Sans l’intervention du prince, le contrat n’aurait pu être concrétisé. En plus de la dote conséquente d’Ana de Mendoza, seule et unique héritière de l’imposante fortune de ses parents (100 000 ducats d’or), le prince dota les époux de 6000 ducats de rente pour établir leur majorat13. Il s’agissait d’un mariage inespéré pour le serviteur du prince qui devait le hisser à la plus haute sphère de l’aristocratie castillane par le titre de comte de Mélito accordé par le père d’Ana aux deux époux. En contrepartie, la jeune fille accéda par cette alliance à la sphère du pouvoir et disposa grâce à son époux d’une entrée directe dans un réseau courtisan dont elle profiterait sans tarder.
Le contrat stipulait que le mariage ne pouvait être consommé avant plusieurs années. En 1557, alors que Ruy Gómez accompagnait le nouveau roi Philippe II dans son grand voyage dans les terres du nord de la Monarchie hispanique14, celui-ci l’envoya à Yuste afin qu’il y rencontrât Charles Quint15. Au passage il s’arrêta à Valladolid où il put faire la connaissance physique de son épouse, une visite éclair qui permit néanmoins à la jeune Ana d’attendre le premier de ses dix enfants.
Cette donnée capitale apparaît de façon récurrente dans les lettres : elle relève du destin de la femme noble qui a pour rôle d’assurer la descendance et la transmission des biens de la famille en faisant beaucoup d’enfants (la mortalité infantile était sévère : seuls six de ses dix enfants ont survécu). La fertilité légitimait l’union des époux et assurait la respectabilité sociale de la dame. Ana de Mendoza honorait ainsi son contrat non seulement vis-à-vis de son mari mais aussi de son père le duc de Francavila, connu pour son caractère difficile, de despote domestique. Son épouse Catalina de Silva, qui supporta pendant dix-huit ans ses mauvais traitements, profita du séjour de sa fille à la cour de Valladolid où celle-ci jouissait d’un statut reconnu grâce à l’aura de son époux, pour s’éloigner du domicile conjugal. Le prétexte en était le devoir maternel l’obligeant à veiller sur l’état de santé fragile dont souffrait sa fille. Ana de Mendoza, quant à elle libérée par son mariage de la tyrannie paternelle, évoque dans ses lettres la conduite arbitraire et cruelle de ce dernier. Dans la 2e lettre, du 6 novembre 1557, elle décrit la réaction ulcérée de son père. Depuis Pastrana où il réside, ce dernier affiche en effet sa colère, non seulement contre son épouse, et sa fille, mais aussi contre son gendre qui cautionne l’éloignement de ces dames. Il se dit disposé à priver sa fille de ses serviteurs, sa femme de nourriture ; des menaces qu’Ana synthétise par un jugement méprisant et un rire moqueur : « Estas y otras cien mil niñerías dice, que, para quien no lo es, es mucho de reír ». Ce qui l’aurait sans doute terrorisé pendant l’enfance, passe dorénavant à ses yeux pour des caprices et des enfantillages. La comtesse montre son émancipation de la tutelle paternelle car depuis son mariage, elle se place sous l’autorité de son époux.
La lettre du 21 novembre 1557 prouve, quant à elle, la vivacité d’esprit de la jeune Ana et son caractère déterminé puisqu’elle y conseille à son époux d’écrire à son beau-père pour le remercier d’avoir consenti à l’éloignement de son épouse :
No me parecería mal que V.m. [Vuestra merced] le escribiese con grandes agradecimientos de haber dejado aquí a mi madre por amor de mí. En fin, que él entienda que V.m. no ha entendido otra cosa, y esto será a mi parecer remediar mucho el negocio y decirle que el duque dice que debe de ser lo que él quiere que se diga16.
Rompue aux colères de son père, elle sait comment les déjouer et manipule son mari pour l’apaiser en lui suggérant de ne pas révéler la véritable intention de la princesse Juana dans sa volonté de la garder auprès d’elle17.
No fue ésa la razón por que la princesa lo hizo, fue muchas cosas que oyó que el duque había dicho a su mujer y otras por el lugar, que por no ser para pensar cuanto más para escribir no las digo, más de decir a V.m. que el duque estaba tan desatinado y tan sin propósito que mi madre no fuera con él por cosas del mundo, no embargante que le envió a decir que como él quisiese y adonde mandase sería muy contenta de ir, todo porque si después se quedase no quedase el duque y estaban rompidos como fuera, no siendo así ni teniendo manera como echarme a mí la culpa, pues en la mía no iba mala yo, y la suya mucho. Así que pues mi madre ha tenido tanta razón, que V.m. se la cumpla con escribirle una carta con cien mil consuelos, que a fe que los ha bien menester, y por vida mía que V.m. lo haga porque será el mayor contentamiento que V.m. me puede dar y en lo que yo más pienso ver, que no deseo ver con alguno. (21 nov 1557)
Ana de Mendoza recommande à son époux d’écrire à sa belle-mère pour la consoler des maux infligés par le duc et de l’injustice subie par cet homme ingrat. À la différence de la lettre précédente dans laquelle la soumission à l’époux était manifeste, celle-ci témoigne de l’autorité d’Ana de Mendoza qui en vient à exiger de son mari qu’il s’exécute en énonçant avec précision les arguments qu’elle lui recommande d’avancer. Pour justifier sa demande, elle recourt au registre affectif et annonce le grand contentement qu’elle en tirerait18. L’angle mort de la correspondance qui nous donne à lire le seul point de vue de la comtesse ne nous permet pas d’accéder aux réponses de Ruy Gómez19. Seules les lettres de la comtesse offrent de façon implicite un aperçu de l’entente matrimoniale : Ana de Mendoza se sent en confiance et assez proche de son époux pour lui soumettre ses volontés. Loin d’être à nouveau soumise à l’emprise autoritaire de la tutelle masculine, la jeune épouse laisse entendre sa domination sur son correspondant qui agit dans le sens attendu pour, d’une part, contenter son épouse et, d’autre part, apaiser les relations familiales très difficiles de sa belle-famille. En cela, on peut dire qu’elle intégra parfaitement son rôle de gestionnaire familial en se montrant apte à favoriser les échanges et créer une meilleure harmonie à l’intérieur du cercle de ses proches, dans le strict respect des usages sociaux réservés aux femmes et aux hommes de leur condition.
Dans la 3e lettre datée du 26 novembre 1557, Ana de Mendoza s’exprime de façon très brève car sa mère étant souffrante, elle ne peut s’éloigner d’elle longtemps :
Si este correo lleva muchas cartas mías, eche V.m. la culpa a Hernando de Ochoa que me ha dicho, cien años antes que se parta, que escriba, pero yo doy por bien empleado este engaño por el contentamiento que recibo cada vez que hago esto. Yo estoy buena y, por no estarlo mi madre mucho, no será ésta más larga.
Les lettres auxquelles il est fait référence ont pu être envoyées groupées à Ruy Gómez par l’intermédiaire d’un ministre qui se trouvait de passage à Valladolid avant de rejoindre le roi et sa suite dans les Pays-Bas. Ce qui frappe ici c’est qu’alors qu’on pourrait s’attendre à une communication pratique – étant donnée la brièveté de la missive –, son auteure se livre à une confidence concernant le plaisir que lui procure l’écriture de ces lettres. Le moment où elle les compose signifie un dialogue entre époux, dans une confidentialité qui renforce les liens du mariage et, partant, de la collaboration maritale. Si rien n’exprime clairement le sentiment amoureux – dont on ne sait par ailleurs s’il existe vraiment –, Ana de Mendoza évoque au moins la douceur des retrouvailles par le biais des lettres. La parole partagée dans l’espace de l’écriture se charge d’une force émotionnelle que la distance et la difficulté matérielle de la correspondance intensifient. À la différence des autres lettres qui s’appliquent à maintenir le correspondant dans l’actualité des événements et, de façon distanciée, à permettre de « vivre ensemble » malgré l’éloignement physique, cette troisième lettre se distingue par sa dimension de commentaire : comme s’il s’agissait d’une réflexion en marge de la correspondance. La brève confidence justifie à elle seule l’existence de cette lettre. Elle actualise le lien affectif entre époux en le nourrissant de son manque informatif. En traduisant la présence fidèle et loyale de son auteure, la lettre se pose comme garante de l’attachement réciproque et, en même temps, comme moyen d’en réinvestir la charge affective20. Les conditions de son envoi expliquent ce luxe de la brièveté et de la légèreté du propos. Le lot de lettres qu’allait transmettre Ochoa à Ruy Gómez offre une occasion précieuse de s’adonner à une certaine frivolité dans la correspondance puisque les multiples lettres précédentes assurent le relais informatif. Et l’on comprend alors le plaisir de la comtesse à se livrer à l’improvisation, à l’entière spontanéité dans un échange qui, pour une fois, s’affranchit de l’écriture pragmatique.
Dans la 7e lettre du corpus, datée du 13 janvier 1558, la comtesse obéit à nouveau à la concision épistolaire :
Ayer escribí a V.m. y, por no parecerlo, lo torno a hacer ahora para solo decir cómo estoy Buena y con el mayor deseo del mundo de saber otro tanto de V.m., que alguna que no lo he sabido puédolo desear con mucha razón.
Malgré la fréquence des lettres qui pouvait être journalière, comme on le voit ici, la durée de l’envoi supposait une temporalité décalée. Dans ce cas, les lettres nécessitaient plusieurs semaines avant d’arriver à bon port. On comprend bien la volonté de la comtesse de tranquilliser au plus vite son mari, installé dans un temps de la réception où l’information délivrée peut bien sûr être caduque. Il existe sans doute là une tension entre le temps de l’écriture du présent qui se projette dans une temporalité différente, dans un espace-temps où ce présent de l’écriture devient passé. Cette donnée temporelle infléchit le contenu de l’énoncé en lui donnant une durabilité singulière : si Ana de Mendoza évoque dans la 3e lettre el romadizo, c’est-à-dire le rhume auquel elle a été sujette, c’est bien parce qu’il la rendue fragile pendant plusieurs jours et qu’elle est en mesure de rassurer son époux sur son complet rétablissement. De même que dans la 5e lettre du 23 décembre elle précise qu’elle souffre de mélancolie :
De mí no tengo qué decir, sino que estoy buena de salud, aunque algo melárchica, no sé si eché la culpa a verme en términos que haya de hacer mi testamento por fuerza21.
On comprend que sa tristesse lui vient d’un état de santé très critique qui lui a fait penser qu’elle devait écrire son testament. Quelques semaines plus tard, depuis Simancas, où sous la contrainte paternelle elle réside désormais avec sa mère, elle réitère les nouvelles mitigées sur sa santé :
El correo está tan de prisa que no me da lugar para decir más de como ando un poco mal dispuesta. Creo que es entrada de mes; por eso no hay de qué tener pena si no es la que yo me paso22.
Néanmoins, une lettre de la duchesse, datée du 22 janvier 1558, affirme à propos de cet état critique dans lequel se trouve sa fille qu’elle souffre de mélancolie et non de douleurs liées au cycle menstruel comme celle-ci l’a expliqué succinctement à son époux23. Cette précision révèle l’inquiétude et sans doute l’impuissance d’une mère à aider sa fille comme elle le souhaiterait. Ces lettres échangées dans un temps très court – parfois précipité comme le souligne la lettre citée au-dessus – en viennent à mentionner l’essentiel : l’état de santé qui conditionne la préservation de la vie personnelle, familiale et sociale.
Dans la dernière lettre non datée du corpus, écrite à Simancas, la comtesse témoigne non seulement de données temporelles dans la pratique épistolaire mais également de données spatiales. L’écriture se fait en plein air, à l’occasion d’une promenade forcée avec sa mère dans un jardin qui, loin de lui apporter les délices attendues, ne fait que renforcer son aversion pour la campagne, cet espace désert qui l’éloigne de la vie bouillonnante et agitée de la cour et la plonge dans un sentiment de solitude. Le temps s’étire dans le mouvement lent suggéré par la marche, par la vie paisible, favorisant une sorte d’ennui qui transparaît dans le présent de la rédaction. La nature semble renforcer ici son état mélancolique24 :
Ésta [carta] escribo desde una huerta donde me ha sacado mi madre por fuerza, y según lo mal que me he hallado en ella no sale nada verdadero lo que se dice del campo, que es dar alegría a quien no la tiene, ni menos la piensa tener hasta que Dios quiera que se cumplan otras verdades que V.m. me prometió, que según se van pasando los días he miedo que me falten25.
L’évocation du conseil donné par Ruy Gómez de prendre l’air et de goûter aux bienfaits du grand air prouve que son mari, inquiet pour son épouse, tente de lui apporter secours malgré l’irréductible éloignement physique. L’apathie enlise la jeune femme dans un rejet du monde où rien ne semble plus trouver grâce à ses yeux. Nous avons connaissance de la préoccupation de Ruy Gómez pour l’état de sa jeune épouse dès les premières années du mariage. Le 23 juillet 1555, le duc d’Albe lui témoigne de son amitié en tentant de le réconforter sur la question de la santé fragile d’Ana : « Plega a Dios dar a v.m. en esto el contentamiento que desea ; edad tiene para estar mala y buena sesenta veces y de esto en su edad no tenéis que pensar pena »26. Ces lettres périphériques permettent de connaître les réactions de Ruy Gómez dont nous ne disposons d’aucune lettre adressée à sa jeune épouse. Elles ouvrent le champ de la réception en posant le point de vue de l’autre, du destinataire, réduisant ainsi le caractère autobiographique des lettres d’Ana de Mendoza27.
Les lettres adressées à des interlocuteurs politiques s’élèvent au nombre de 47. Dans l’une d’elles, Ana de Mendoza écrit ses condoléances à la reine de France Catherine de Médicis pour la perte de sa fille Élizabeth de Valois, morte le 4 octobre 1568. Il ne fait pas de doute qu’Ana de Mendoza partagea sincèrement ce deuil puisque, sous les encouragements de la reine de France, elle devint la plus proche amie espagnole de la jeune souveraine28.
D’emblée ce qui fait contraste avec les lettres examinées précédemment, c’est que la destinataire est une femme, la seule en réalité à qui elle s’adresse dans tout le corpus de lettres comme si l’ensemble de ses interlocuteurs se limitait au monde masculin. On imagine aisément que des phénomènes de conservation archivistique, soumis à des pratiques de pouvoir, expliquent cette béance documentaire sur sa correspondance spécifiquement féminine. L’étude des correspondances des femmes qu’elle côtoya tout au long de son existence permettrait certainement de découvrir d’autres lettres d’Ana de Mendoza et de combler ce vide historique.
Sur le plan formel, l’écriture de cette seule et unique lettre sacrifie aux usages épistolaires de la plus haute sociabilité en optant pour l’adresse « Cristianísima señora » tel que l’exigeait l’étiquette française et la signature « Humilde criada y servidora de vuestra majestad. La princesa Ana »29. La correction et le soin apportés à l’expression relèvent de deux choses : l’aspect délicat et douloureux de la matière qui exige de la délicatesse et de la compassion, mais aussi la dignité exceptionnelle de la correspondante qui oblige à la plus haute déférence. Du coup, le contenu de la lettre est totalement compréhensible, il s’agit d’un message univoque, tel un discours, qui ne rentre pas dans une logique de dialogue sur une réalité partagée. Même si l’auteur fait état d’une correspondance existante avec la reine dont elle se dit très honorée, elle ne maintient pas un échange continu avec elle comme elle le fait avec d’autres interlocuteurs. Néanmoins, elle se permet tout de même d’évoquer la dimension intime de la perte :
A esto se allega pensar el sentimiento que V.M. [Majestad] debe tener de tan gran desastre. Plega a Dios dar a V.M. y a todos el consuelo y alivio que tan gran mal requiere, aunque no sé qué cosa pueda suceder que recompense tan gran daño como el que ha sucedido […].
Elle poursuit en lui formulant un conseil qu’elle a pu s’appliquer à elle-même ayant perdu elle aussi plusieurs enfants :
[…] procure V.M. de consolarse y valerse de su mucho seso y discreción para no dejarse llevar de la pasión, de manera que reciba detrimento en su salud y vida, que tanto es menester en el mundo.
Le chagrin met en tension les fonctions à la fois de mère et de reine. Le danger de sombrer dans la mélancolie menace son équilibre vital et politique, et fonde les inquiétudes d’une courtisane rompue aux exigences de la condition souveraine.
Cette lettre informe sur l’horizon social auquel pouvait prétendre Ana de Mendoza. Par sa famille, elle disposait d’un droit d’entrée dans les espaces de la haute aristocratie, mais c’est surtout son mariage et la proximité de Ruy Gómez avec le prince qui la hissa dans celui plus réservé du pouvoir. En témoigne de façon précise une lettre adressée conjointement à don Juan de Austria en 157030. De façon intéressante, la princesse ajoute un post-scriptum dans lequel elle ne fait que doubler le message de remerciements de son époux pour avoir embauché à son service une de leurs recommandations. En une seule phrase, dans un discours à peine plus court que celui de son époux qui s’applique pourtant à parler en leur nom, elle assume des remerciements personnels et signe, à la différence de son mari, avec son titre de princesse. La volonté s’affiche clairement de se mettre en avant au moyen de ces lignes autographes : elle revendique un statut aux côtés de son époux, et non plus derrière lui. Une sorte d’affranchissement de la soumission maritale lui permet de s’émanciper socialement et politiquement marquant ainsi un tournant dans sa pratique épistolaire31.
Dans un registre et un contexte bien différents, Ana de Mendoza écrit à plusieurs reprises à Philippe II. On est loin alors de la déférence manifestée auprès de la reine de France, la « dénivellation socio-culturelle » semble écrasée par la sociabilité courtisane qui lui assure depuis longtemps une grande proximité avec la famille royale32. Tout en sacrifiant à la civilité épistolaire, sa plume traduit en ce sens une certaine liberté de ton à l’adresse de son roi avec lequel elle a l’habitude d’échanger, si on en croit ce qu’elle avance dans une très longue missive :
Bien se acordará V.M. que le he dicho en algún papel lo que había entendido que decían Mateo Vázquez y los suyos, que perdían la gracia de V.M. los que entraban en mi casa. Después de esto ha sabido que han pasado más adelante, como a decir que Antonio Pérez mató a Escobedo por mi respeto y él tiene tales obligaciones a mi casa que, cuando yo se lo pidiera, estuviera obligado a hacerlo. Y habiendo llegado esta gente a tal, y extendídose tanto su atrevimiento y desvergüenza, está V.M. como rey y caballero obligado a que la demostración de esto sea tal que se sepa y llegue adonde ha llegado lo primero33.
Il faut dire que la situation dans laquelle se trouve ici Ana de Mendoza est très critique, le clan opposé à feu son mari, et surtout son grand ennemi Mateo Vázquez qu’elle appellera plus loin « perro moro » en référence à ses origines morisques, nuisent à sa réputation en faisant circuler des rumeurs sur son compte. La première a déjà été référée au roi, dans un précédent billet auquel elle fait ici allusion : elle concerne la prétendue disgrâce du roi qui s’abat sur toute personne osant franchir le seuil de sa maison. La deuxième plus grave encore concerne le meurtre d’Escobedo dont elle dit que Mateo Vázquez l’accuse directement. D’après ses ennemis, son ascendant sur Antonio Pérez aurait poussé celui-ci à commettre l’irréparable, précipitant au-delà de leur perte, celle du roi qui continue de les protéger. Ana de Mendoza s’indigne de ces accusations fallacieuses qui ruinent sa confiance auprès du roi, son honneur et sa réputation à la cour et menace son intégrité morale et physique. Il est donc urgent que le roi mette un terme à ces propos calomnieux. Pour cela, elle fait appel à la mémoire de son époux, si dévoué à son service. Le biographe Gaspar Muro situe cette lettre, envoyée de Madrid mais non datée, dans une série de lettres et de billets échangés pendant les mois de mars et mai 1579 entre le roi, Antonio Pérez et Mateo Vázquez sur les désaccords des deux secrétaires Pérez et Vázquez, désormais rivaux dans la faveur royale. La même lettre est citée dans les fameuses Relaciones qu’Antonio Pérez écrivit et publia en France après sa fuite des geôles inquisitoriales de Madrid et son évasion de Saragosse à la faveur des rébellions aragonaises provoquées par l’intervention de l’armée du roi en 1591 afin de capturer le secrétaire déchu34. L’emprisonnement d’Ana de Mendoza eut lieu en juillet, soit quelques semaines plus tard, ce qui prouve l’échec de sa requête. Le ton impérieux de la lettre, l’emploi d’un impératif « Haced luego lo que aquí se pide… », l’insulte proférée contre l’homme de confiance du roi sont autant de signes manifestes de la panique qui agite Ana de Mendoza dans le présent de l’écriture. On peut supposer que, loin de cultiver la confiance du roi, son agressivité et son manque de respect ont pu achever de convaincre Philippe II d’ordonner son arrestation.
Dans l’une des dernières lettres qu’elle adressa à son fils Diego de Silva y Mendoza depuis sa réclusion dans le palais de Pastrana, aux alentours de fin 1591 ou début 1592, quelques semaines avant sa mort le 3 février, Ana de Mendoza fait état de son grand contentement en apprenant la bonne nouvelle concernant son fils. Les éditeurs parlent de l’attente probable d’un heureux événement pour Diego de Silva et son épouse. Son rôle de mère et d’administratrice du patrimoine lui fait savourer les joies de sa descendance et l’incite à conseiller son fils dans la gestion de ses biens :
Y cuanto a mis negocios, entiéndeme que es muy bien que hables en ellos y en lo que es humildad con su majestad, que te eches a sus pies, pues ni de ellos ni de su voluntad pienso salir. Y toda mi ruina ha sido que, teniéndola yo por norte, me pareció que la seguía y acertaba. En lo que es mendigar justicia como culpada y delincuente, eso no, que no he hecho por qué ni conoceré jamás culpa35.
Jusqu’à la fin elle clame son innocence et l’injustice dont elle est victime. Son fils peut continuer à plaider sa cause auprès du roi mais, comme elle le lui conseille, avec une grande humilité. Son heure de gloire est derrière elle depuis douze ans, aussi elle semble regretter d’avoir mis une telle confiance dans la volonté royale. Dans la suite de sa lettre, elle mentionne – dans un présent dont elle semble penser ne jamais pouvoir se libérer – les conditions terribles de sa détention : « Y así ellos y las pudriciones y nuevas invenciones de atormentar me tienen acabada y peor que muerta ». Dernièrement le roi avait ordonné en effet de doubler les grilles à ses fenêtres et de murer certaines ouvertures afin de réduire son espace vital et l’empêcher de voir l’extérieur. Sa plume abreuvée au désespoir de son enfermement restait donc son unique moyen de contact avec l’extérieur, son unique souffle de liberté.
Jusqu’à son testament scellé le 2 février 159236, l’ensemble de sa correspondance témoigne ainsi d’une très grande variété d’usages qui tous à leur manière dessinèrent le destin à la fois familial et politique du personnage historique.
À travers ces quelques lettres adressées à son époux, à la reine de France, à Philippe II et à son fils Diego, Ana de Mendoza laisse entrevoir différentes facettes de sa personnalité qui naturellement évolue au fil des années et des expériences. Dans cette correspondance apparaît d’abord la toute jeune femme attachée à ses devoirs d’épouse, particulièrement centrée sur son état de santé, sur les problèmes récurrents occasionnés par le comportement tyrannique de son père ainsi que sur ses impressions relevant de la vie quotidienne. Ces échanges épistolaires n’excèdent pas le cercle familial et sondent la matière privée. Si le corpus révèle une maîtrise de la rhétorique épistolaire attribuable à son éducation aristocratique, Ana de Mendoza n’y manque pas de spontanéité et de sincérité37 : elle dévoile dans une tonalité très vivante la part dévolue à l’intime, ce qui à l’époque touche à sa santé, son état d’esprit et ses affaires familiales et domestiques. La lecture de ses missives invite à pénétrer ce qu’aujourd’hui on appellerait sa vie privée. Cette pratique épistolaire n’est pas propre au XVIe siècle, elle s’inscrit dans une longue tradition comme le souligne Pedro Martín Baños :
Desde la Antigüedad, en las cartas familiares se refleja el alma del escritor, su experiencia y a través de su alma y su experiencia se cuela el latido de la vida y el pulso de la sociedad38.
Grâce au statut de son époux et à son habileté personnelle, Ana de Mendoza franchit le seuil d’un autre cercle de sociabilité, celui de la vie courtisane avec sa dimension politique. L’écriture de sa correspondance suit des registres plus diversifiés, davantage en conformité avec les codes de la rhétorique épistolaire médiévale : il s’agit alors de défendre ses intérêts et même son existence dans le cadre de normes sociales contraignantes. De la courtoisie aristocratique à la confidentialité politique, le lecteur suit son parcours singulier, du sommet du pouvoir avec une proximité exceptionnelle avec les plus puissants, à la déchéance extrême de la mort civile où la contraint le roi, dans un renversement complet de sa fortune. Ces lettres, en tant qu’archives directes, donnent voix et vie à la princesse d’Éboli, à son action individuelle aux prises avec un monde masculin qui laisse peu de place à l’émancipation féminine en dehors du cadre du mariage et des obligations liées à la famille. Si leur dimension de témoignage contribue sans doute à lui rendre davantage justice que ce que les représentations posthumes ont fait de son histoire, ces lettres justifient pleinement l’intérêt que suscite son parcours hors du commun.
[1] Sur la vie d’Ana de Mendoza, on pourra consulter entre autres : Gaspar MURO, Vida de la Princesa de Éboli, Madrid, Aribau, 1877 ; Manuel FERNÁNDEZ ÁLVAREZ, La princesa de Éboli, Madrid, Espasalibros, 2010. Beaucoup d’informations apparaissent également dans les biographies de ceux qui furent ses proches : Gregorio MARAÑÓN, Antonio Pérez, Madrid, Espasa-Calpe, 2006. Geoffrey PARKER, Felipe II. La biografía definitiva, Madrid, Planeta, 2013. Nous nous appuierons davantage sur la toute récente biographie coécrite par Helen H. REED et Trevor J. DADSON qui, à partir de ce corpus de lettres inédites, vise – selon les auteurs – à apporter une lumière nouvelle sur la vie d’Ana de Mendoza, en se voulant plus fidèle à la vérité des faits et plus objective : La princesa de Éboli cautiva del rey. Vida de Ana de Mendoza y de la Cerda (1540-1592), Madrid, Marcial Pons Historia, 2015. Notre réflexion de départ s’est fondée sur le corpus épistolaire, avant la publication de cette biographie, c’est pourquoi nous avons été heureuse de pouvoir compter sur ces apports dans la version écrite de cette contribution.
[2] Sur la dimension mythique du personnage historique, voir H. H. REED, La princesa…, p. 11-25.
[3] Ces lettres sont conservées aux Archives Générales de Simancas.
[4] M. FERNÁNDEZ ÁLVAREZ, op. cit., p. 101.
[5] Ces faits sont bien connus, G. Parker, à l’inverse de M. Fernández Álvarez, met en doute les relations amoureuses célèbres prêtées à la princesse, G. PARKER, op. cit., p. 675-676. Sur la Légende noire, voir l’étude pionnière de Julián JUDERÍAS, La Leyenda Negra. Estudios acerca del concepto de España en el extranjero, Salamanque, Junta de Castilla y León, Consejería de Educación y Cultura, 1997. Ricardo GARCÍA CÁRCEL, La Leyenda Negra. Historia y opinión. Madrid, Alianza, 1992; Joseph PÉREZ, La légende noire de l’Espagne, Paris, Fayard, 2009. Et tout récemment, Alexandra MERLE, « Philippe II d’Espagne : construction, diffusion et renouvellement d’une légende noire (XVIe-XIXe siècle) », in Légendes noires et identités nationales en Europe, Tyrans, libertins et crétins : de la mauvaise réputation à la légende noire, Histoire culturelle de l'Europe [en ligne], http://www.unicaen.fr/mrsh/hce/index.php?id=160, consulté le 10/07/2016.
[6] Sur les fondations du monastère et du couvent à Pastrana, voir TERESA DE JESÚS, Livre des fondations, in Jean CANAVAGGIO (dir.), Œuvres, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2012, p. 305-513, p. 387-393. La réformatrice y décrit les contrariétés occasionnées par cette fondation, p. 391 : « J’ai dû rester là-bas trois mois ; il se présenta bien des difficultés à cause des exigences de la princesse : elles n’étaient pas conformes à notre règle ; c’est pourquoi j’étais décidée à repartir sans fonder plutôt que de les accepter. Le prince Ruy Gómez, dans sa sagesse -qui était grande-, était un homme raisonnable ; il fit en sorte que sa femme se calmât ». Sur la relation conflictuelle entre les deux femmes, voir également Rosa María ALABRÚS et Ricardo GARCÍA CÁRCEL, Teresa de Jesús. La construcción de la santidad femenina, Madrid, Cátedra, 2015, p. 220.
[7] La femelle.
[8] G. PARKER, op. cit. p. 735.
[9] H. H. REED et T. J. DADSON, La princesa…, p. 75.
[10] H. H. REED et T. J. DADSON, Epistolario…, p. 25.
[11] Sur l’intimité des liens épistolaires, nous nous permettons de renvoyer à notre étude « L’intimité du roi face à l’exercice du pouvoir : l’exemple de Philippe II », in Paloma BRAVO et Sylvie CRINQUAND (dir.), L’intime à ses frontières, Bruxelles, E.M.E. & InterCommunications, 2012, p. 91-104.
[12] M. FERNÁNDEZ ÁLVAREZ, op. cit., p. 36 et suiv.
[13] Le fameux mayorazgo permettait à la noblesse d’assurer le maintien de la descendance par le biais de la transmission des titres et de la richesse.
[14] Le voyage du prince est raconté par un témoin direct : JUAN CRISTÓBAL CALVETE DE ESTRELLA, El felicíssimo viaje del muy alto y muy poderoso príncipe don Phelippe, J. L. Gonzalo SÁNCHEZ-MOLERO, J. MARTÍNEZ MILLÁN et S. FERNÁNDEZ CONTI et al. (éd.), Madrid, Sociedad Estatal para la Conmemoración de los Centenarios de Felipe II y Carlos V, 2001.
[15] L’abdication de Charles Quint eut lieu à Bruxelles en 1556.
[16] C’est nous qui soulignons.
[17] Juana de Austria, était la sœur de Philippe II et la régente pendant son absence de la cour.
[18] Dans le cadre limité de cette étude, nous n’aborderons pas la correspondance sous l’angle très suggestif de l’histoire des émotions. Néanmoins, les lettres donnent à voir une riche variété émotionnelle : de la joie, à la mélancolie, la princesse exprime d’une manière plus ou moins explicite son sentiment au gré des expériences et des sujets qu’elle aborde, en fonction, bien évidemment, de ses différents destinataires. Sur la question, voir María TAUSIET et James S. AMELANG (éd.) Accidentes del alma. Las emociones en la Edad Moderna, Madrid, Abada editores, 2009.
[19] Il ne reste presqu’aucune lettre de celles qu’elle reçut de ses correspondants. Voir H. H. REED et T. J. DADSON, La princesa…, p. 25.
[20] Sur ce point, voir Diego NAVARRO BONILLA, « Sentir por escrito hacia 1650 : cartas, billetes y lugares de memoria » in M. TAUSIET et J.S. AMELANG (éd.) Accidentes del alma, p. 229-254, p.242.
[21] H. H. REED et T. J. DADSON, Epistolario…, p. 76.
[22] Ibid., p. 85.
[23] Ibid., note 59 p. 85.
[24] Sur ce point, voir H. H. REED et T. J. DADSON, La princesa…, p. 107-108.
[25] H. H. REED et T. J. DADSON, Epistolario…, p. 85.
[26] H. H. REED et T. J. DADSON, La princesa…, p. 77. D’autres lettres du duc d’Albe prouvent la relation de confiance entre les deux hommes expliquant les confidences que Ruy Gómez lui fait sur son épouse et sa famille.
[27] Sur ce point, voir Pedro MARTÍN BAÑOS, « Retórica epistolar : de la carta a la autobiografía, el ensayo y la novela » in Actas de las III Jornadas de Humanidades Clásicas, Almendralejo, Febrero de 2001, p. 151-152.
[28] H. H. REED et T. J. DADSON, La princesa…, p. 136-137.
[29] H. H. REED et T. J. DADSON, Epistolario…, p. 91-92.
[30] Ibid., p. 104-105.
[31] Sur la présence politique des femmes à l’époque moderne ainsi que sur d’autres aspects de leur condition, on pourra consulter Natalie ZEMON DAVIS et Arlette FARGE (dir.), Histoire des femmes en Occident. III. XVIe-XVIIIe siècles, Paris, Plon, 1991, p. 183-190.
[32] Voir Alain BOUREAU, « La norme épistolaire, une invention médiévale », in Roger CHARTIER (dir.), La Correspondance. Les usages de la lettre au XIXe siècle, Paris, Fayard, 1991, p. 127-157.
[33] H. H. REED et T. J. DADSON, Epistolario…, p. 381.
[34] Relaciones de Antonio Pérez, secretario de Estado que fue del Rey de España don Phelippe II deste nombre. Paris, 1624, p. 15-17, cf. H. H. REED et T. J. DADSON, Epistolario, p. 381-383.
[35] H. H. REED et T. J. DADSON, Epistolario…, p. 572.
[36] Ibid., p. 574-579.
[37] Sur son éducation, voir H. H. REED et T. J. DADSON, La princesa…, p. 47-50.
[38] P. MARTÍN BAÑOS, op. cit., p. 153.
Résumé
À travers la lecture d’un corpus de lettres d’Ana de Mendoza, princesse d’Éboli, ce sont les différentes facettes d’un portrait de femme aristocratique du XVIe siècle qui se révèlent : celle, tout d’abord, d’une jeune fille aux prises avec les impératifs familiaux, celle, ensuite, d’une épouse soumise aux liens du mariage, et celle, enfin, d’une veuve courtisane interférant dans le jeu politique de l’entourage de Philippe II. Selon les destinataires, les usages de la lettre répondent à des logiques temporelles, sociales et politiques propres, sans pour autant voiler la singularité de la voix de son auteure, et de son destin historique.
Resumen
A través de la lectura de un corpus de cartas de Ana de Mendoza, princesa de Éboli, son las diferentes facetas de un retrato de mujer aristocrática del siglo XVI las que se revelan: primero, la de una muchacha enredada en los imperativos familiares, luego, la de una esposa sometida a los lazos matrimoniales, y, por fin, la de una cortesana que, siendo viuda, interfiere en el juego político del entorno de Felipe II. Según los destinatarios, los usos de la carta responden a lógicas temporales, sociales y políticas propias, sin por ello ocultar la singularidad de la voz de la autora, y de su destino histórico.
Sarah VOINIER
Univ. Artois, EA 4028, Textes et Cultures, F-62000 Arras, France
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