Métisse, l’œuvre entière de Navid Kermani l’est indéniablement. Qu’il s’agisse de fiction, de critique littéraire ou d’essais, l’écrivain né en Allemagne de parents iraniens s’emploie à mêler ses héritages culturels. Dans le roman Große Liebe (« Grand amour », 2014), l’histoire d’un amour adolescent dans l’Allemagne des années 1980 est entremêlée d’épisodes et de citations de la poésie persane et de la mystique sufi, qui confèrent à cette histoire somme toute banale une dimension poétique et mystique inattendue. Dans son essai Ungläubiges Staunen1 (littéralement : « Émerveillement incrédule ») paru en 2015, il propose une réflexion sur l’art chrétien, depuis sa perspective de non chrétien, de musulman et orientaliste. De même, dans le recueil Zwischen Koran und Kafka (« Entre le Coran et Kafka », 2014), dont le sous-titre est programmatique « West-östliche Erkundungen » (« Explorations occidentales-orientales »), il tisse des liens entre les littératures allemande et iranienne (Hedayat et Kafka par exemple), fait découvrir à un lecteur occidental entre autres le Coran et la Passion shiite, relève la dimension mystique des œuvres de Goethe et de Kleist, en bref « Navid Kermani prend au pied de la lettre le célèbre vers de Goethe »2, issu du Divan occidental-oriental : « Celui qui se connaît lui-même et les autres / Reconnaîtra aussi ceci:/ L’Orient et l’Occident/ ne peuvent plus être séparés »3.
C’est dans son œuvre majeure Dein Name4 (« Ton nom », 2011), un roman de plus de 1200 pages, où il déploie le journal d’un écrivain allemand d’origine iranienne tel qu’il l’est lui-même, que Navid Kermani donne probablement le mieux à voir à quel point le métissage se trouve au cœur de son entreprise d’écriture. Autofiction et mise en abyme permanente de celle-ci, l’auteur fictif s’y présente à la première ou troisième personne du singulier – parfois même dans une seule et même phrase – et est nommé tantôt le « romancier », tantôt « Navid Kermani ». Faisant écho à ses autres œuvres, littéraires ou essayistes, qui sont autant de facettes d’une écriture entre deux religions et cultures, deux héritages littéraires et deux langues, le roman Dein Name présente l’élaboration d’une poétique autofictionnelle métisse. Et ce, à travers la description d’un quotidien biculturel, les lectures et exégèses orientalistes d’écrivains classiques allemands ainsi que la constitution d’une poétique à partir d’« espaces métis »5.
Dans Dein Name, l’écrivain fictif dont le travail représente la tentative désespérée de tout conserver selon le principe d’une « littérature vérité »6, entreprend de rapporter le moindre détail de son quotidien immédiat, « das Nächstliegende »7 (« ce qu’il y a de plus proche »). Ce qu’il décrit l’amène d’emblée à établir un parallèle entre sa situation et celle de Kafka (comme l’a fait aussi à plusieurs reprises l’auteur réel Navid Kermani lors d’interviews ou dans des essais), tous deux se rejoignant sur leur « identité réellement multiple »8. En cela, il ne représente nullement une exception dans la littérature allemande : « La tradition littéraire allemande », dit Navid Kermani lors d’une discussion pour le magazine littéraire allemand Literaturen, « est pleine de gens d’autres origines, de cultures métisses, d’identités ambiguës, dont la patrie n’est pas l’Allemagne en tant que nation, mais l’allemand en tant que langue »9. L’appartenance à deux cultures et à deux langues constitue le fondement de son œuvre littéraire et s’avère particulièrement créative :
L’allemand et le persan couvrent des expériences tout à fait différentes pour moi. La familiarité avec l’une engendre toujours un facteur d’étrangeté avec l’autre langue, mais je trouve cela extrêmement productif, parce que cela donne l’occasion de regarder sa propre langue de l’extérieur, ses propres mécanismes linguistiques10.
Ceci est bien manifeste dans le roman Dein Name dans la mesure où le narrateur n’a de cesse de convoquer des mots, des expressions, des vers en persan et ce, non pour donner une couleur exotique à la manière de certains récits migratoires, mais pour rendre visibles ses va-et-vient incessants entre la langue allemande et la langue persane, et nourrir ainsi sa réflexion réciproque sur les deux langues.
Une conversation entre le narrateur et sa mère iranienne en fournit un exemple caractéristique. Celle-ci se plaint « de n’être à la maison qu’une « servante », kolfat, comme on l’appelle en persan, ce qui est encore plus méprisant, en ceci s’exprime toute la présomption de la bourgeoise iranienne »11. Comme la plainte maternelle s’étend sur tout un paragraphe, le terme va être employé à plusieurs reprises avec des précisions qui permettront au lecteur non persanophone de s’approcher au plus près de sa signification. Ce qui est intéressant ici, c’est que la mère et le fils (tous deux Iraniens) passent par l’allemand pour définir les différentes désignations des domestiques en Iran. Ainsi lorsque la conversation se poursuit plus tard, le narrateur remarque sur un ton voulu objectif : « noukar est encore inférieur à kolfat et pourrait, dans certains contextes, être traduit par esclave »12. Ceci est aussitôt réfuté vivement par la mère emportée par sa fierté blessée :
La mère trouve l’équation entre noukar et esclaves horripilante – les esclaves, on les appelle bandeh et non noukar – et elle allègue la bonté avec laquelle ses parents avaient traité le personnel13.
Le narrateur rend compte avec précision de la façon dont une langue est vécue, ressentie et utilisée selon les différents points de vue, mais aussi et surtout à quel point ceci dépasse un travail de traduction pur et simple, puisqu’il en va ici d’un ressenti individuel, social, culturel avant d’être aussi un ressenti linguistique. Dans sa manière d’exposer le débat, de faire dérouler sous les yeux du lecteur les différentes acceptions d’un mot, sa résonance dans tel ou tel contexte, il dépasse aussi l’impossibilité de traduire à laquelle il se heurte nécessairement.
Réciproquement, l’usage du persan lui permet de poser un regard distant sur la langue allemande. Comment traduire en effet le message d’un ami iranien signé qorbanat, une formule de politesse et de respect qui signifie littéralement « je me sacrifie à toi » ? L’impossibilité de transposer le terme en allemand va conduire le narrateur à la réflexion suivante :
Au moins en persan où les marques de vénération n’ont rien de suspect, où la soumission n’est pas un scandale et où la haute estime n’est pas une plaisanterie, on peut signer ses SMS comme Hölderlin ses lettres : « Je suis avec le plus grand respect votre admirateur le plus dévoué »14.
Conserver le terme persan pour mieux l’éclairer lui permet surtout de souligner ce que l’on ne peut pas dire en allemand, ou plutôt ce que l’on ne peut plus dire. Le narrateur passe donc par le biais de Hölderlin pour faire comprendre à un lecteur allemand que ce qui lui semble affecté peut être, dans une autre langue, de l’ordre du langage quotidien. Hölderlin s’avère en cela plus proche du persan contemporain que de l’allemand d’aujourd’hui ! De cette manière, l’oscillation entre les deux langues et leur éclairage mutuel enrichit considérablement la démarche autoréflexive du narrateur.
Ceci est particulièrement visible lors de la traduction entreprise par l’auteur fictif des mémoires de son grand-père iranien – qu’il nomme Selberlebensbeschreibung (« description de sa propre vie ») à la manière de Jean Paul – puis ceux de sa mère, tous deux rédigés en persan. Tout se passe comme si le narrateur traduisait les manuscrits au fur et à mesure qu’il en prenait connaissance. Ce procédé de traduction apparemment simultanée permet l’emploi d’une méthode critique15, c’est-à-dire qui tolère plusieurs variantes. Il inclut la définition ou la discussion d’un terme, sa signification sociale, culturelle, religieuse. Par ailleurs, il permet aussi de commenter parfois le style, le choix lexical, la lourdeur syntaxique et autorise le traducteur à reconnaître l’ignorance d’un mot ou d’une expression et à avouer ne pas traduire certains passages par ennui, par désaccord ou pour d’autres raisons. Ainsi le narrateur livre-t-il en même temps que sa traduction les réflexions qu’elle lui inspire. Au demeurant, les mémoires du grand-père traduits en allemand poussent également le narrateur-traducteur à mettre en regard deux contextes éloignés et permettent leur éclairage réciproque. Alors que le grand-père est envoyé enfant à l’école à Téhéran, il est rapporté ceci : « Il va aller à l’école, à l’école des Francs ! Les Francs, farangihâ, c’est ainsi que jusqu’à présent les Iraniens appellent les occidentaux »16. Le narrateur conserve sciemment la traduction littérale, car l’effet d’étrangeté provoqué par le terme permet non seulement de mieux comprendre le sentiment de l’enfant à cet instant précis face à une instance si nouvelle et étrangère, mais aussi de transmettre le regard iranien sur l’Occident, qu’il précisera par la suite, entre autres, à chaque reprise du terme farangihâ.
Par ailleurs, alors que le grand-père insiste sur le décalage entre un Orient archaïque et un Occident moderne, et ce en termes de confort, de technique, d’éducation etc., le narrateur dépasse ces oppositions qui lui semblent trop caricaturales pour privilégier les rapprochements, comme ici entre le Téhéran de la jeunesse de son grand-père et le Berlin du tout début des années 1930, décrit par Erich Kästner dans son roman Fabian, l’histoire d’un moraliste (1931) :
Peut-être un écrivain aurait-il créé, à partir des années qui suivirent la scolarité, un Fabian iranien, l’histoire d’un moraliste qui passe d’une occupation à une autre à travers la vie décadente d’une capitale sans y prendre part. Mais Grand-Père n’était pas écrivain17.
Si le manuscrit de son grand-père lui transmet une image de l’Occident depuis une perspective iranienne vieille d’un siècle, c’est réciproquement la littérature allemande de la même époque qui l’aide à comprendre le manuscrit de son grand-père et à s’imaginer l’environnement dans lequel il évoluait. Dans le cours de poétique donné par Navid Kermani au moment de la rédaction de son roman et dont il intègre une grande partie dans ce roman lui-même – ou peut-être tire-t-il de son roman les fragments qui vont constituer son cours de poétique –, l’écrivain (réel) se dit ainsi redevable de la littérature allemande « dont l’appropriation [lui] paraît plus sensée pour un petit-fils, qui en fin de compte raconte la vie de son grand-père iranien en langue allemande [...] »18.
De plus, l’autobiographie de son grand-père iranien se trouve subtilement entremêlée tout au long du roman à la description du quotidien de l’écrivain fictif au XXIe siècle en Allemagne, et confère un cadre complexe à ce roman, car dans l’écart temporel, spatial et culturel entre ces deux trames narratives a lieu toute l’histoire migratoire de sa famille. En outre, comme le relève Torsten Hoffmann : « Le compte rendu du grand-père lu parallèlement à son propre projet d’écriture ouvre [...] des pistes de réflexion sur le récit autobiographique »19. Bien que le grand-père n’ait pas vocation à écrire de la littérature, mais à transmettre des souvenirs, son texte est aussi à sa manière une disposition narrative prise pour pallier la fugacité de toute chose au même titre que le roman lui-même et contribue en ce sens à nourrir la quête poétique qui meut ce dernier. Au fur et à mesure de l’avancée du roman, le lecteur s’habitue, comme le fait le narrateur lui-même, à passer d’une autobiographie à l’autre, d’un contexte à un autre, d’une langue à une autre, et ce qui peut paraître au départ l’oscillation entre deux cultures inconciliables inspire petit à petit l’idée d’une fusion progressive de deux dimensions. Ainsi, dès le premier niveau de lecture que représente le quotidien de cet écrivain traducteur de son aïeul, le roman transmet au lecteur, non seulement à travers les thèmes mais aussi à travers la forme choisie pour les développer, une idée de ce que peut être un métissage.
Une grande partie du roman repose sur les lectures que fait l’écrivain fictif de l’œuvre de Hölderlin et de celle de Jean Paul, deux écrivains en marge du mouvement romantique au début du XIXe siècle en Allemagne. Leurs approches très différentes de la littérature – Jean Paul est lu comme « un contre-programme »20 de Hölderlin – nourrissent peu à peu sa propre poétique autobiographique en cours d’évolution et ces deux auteurs que tout semble opposer se rencontrent en lui21, métissage là aussi : « C’est moi pour qui Hölderlin et Jean Paul sont nécessairement liés [...] »22. S’ils représentent indéniablement des « compagnons de route dans la vie de l’écrivain »23, leur lecture engendre dans le roman des réflexions poétiques très singulières, une exégèse totalement nouvelle de ces œuvres classiques, puisque le narrateur, qui est aussi orientaliste, comme Navid Kermani lui-même, lit Hölderlin et Jean Paul à la lumière de la mystique persane. « Hölderlin », écrit-il, « qui ne s’intéressait pas particulièrement à l’Orient, est le sufi de la littérature allemande »24. Cette apparente boutade, ou peut-être devrait-on dire plutôt cette intuition première, l’entraîne à tisser des liens aussi surprenants que précis, par le biais de la mystique, entre les traditions littéraires occidentale et orientale, comme l’explique Navid Kermani lors de son cours de poétique :
Sortant Hölderlin du contexte de l’Antiquité et du classicisme, je l’ai placé dans le contexte de la littérature mystique, la mystique chrétienne bien sûr, mais par son affinité avec les autres littératures mystiques également dans le contexte du sufisme25.
Ainsi, lisant une ébauche du poème « Élégie », le narrateur la commente au fur et à mesure de la façon suivante : « la poésie de Hölderlin s’envole soudain vers le XXe siècle, [citation du poème] et retourne en même temps au VIIe siècle persan après l’Hégire [suite de la citation] »26. S’il n’est pas surprenant outre mesure de relever la modernité de la poésie de Hölderlin, le rapprochement de la poésie sufi l’est en revanche totalement. Son exégèse orientaliste de Hölderlin va alors porter l’attention sur les aspects thématiques et formels qui lui rappellent la poésie sufi, et ce notamment lorsqu’il interprète de façon précise des passages du drame inachevé La Mort d’Empédocle et résume en ces termes :
Jusque dans la structure allégorique du drame, jusque dans les images centrales, dans le mépris d’une religion institutionnalisée et des représentants [...], jusque dans l’opposition entre le réel dans toute sa saleté et le correct dans toute sa propreté, La mort d’Empédocle donne l’impression d’être un poème didactique sufi [...]27.
C’est selon ce même principe analogique qu’est lu Jean Paul. Le narrateur-exégète s’arrête, lors de sa lecture du roman Siebenkäs, sur un passage où le personnage principal aperçoit le cercueil d’un enfant puis contemple un paysage :
[Jean Paul alors] plonge le regard plus profondément dans la Création que n’importe quel poète de la nature de son époque, [...] et est avant tout un mystique qui comme tout mystique reconnaît son âme dans la nature, il suffit de penser... pourquoi pas à Agha Seyyed Abolhassan Tabnejad, la pupille dans la sphère céleste et la sphère céleste dans la pupille28.
Au-delà des parallèles faits entre la dimension mystique du texte de Jean Paul et la poésie sufi, tout se passe comme si le narrateur faisait avant tout dialoguer deux traditions littéraires. « Il fait œuvre de médiation, non de polarisation », est-il souligné dans un éloge prononcé en l’honneur de Navid Kermani29. De cette manière, il donne un élan nouveau à la lecture traditionnelle de Hölderlin et de Jean Paul, ou pour le dire avec Gérard Genette, la relance dans « un nouveau circuit de sens »30.
Le narrateur-exégète justifie sa perspective novatrice en alléguant les caractéristiques communes à toutes mystiques, qu’elles soient arabe, chrétienne ou autre, confortant ainsi sa lecture comparative aussi surprenante soit-elle au premier abord : « même si Hölderlin ne pouvait pas savoir grand-chose du sufisme, n’avait en rien besoin d’en savoir quelque chose puisqu’il s’agit des motifs de toutes les traditions mystiques »31. Et il ajoute quant à la façon commune d’aborder un des sujets centraux, celui de la mort : « Hölderlin puisait donc effectivement à la même source que Sohrawardi ou al-Halladj qui célébraient leur anéantissement physique comme une fête »32. Les citations exactes du texte de Hölderlin illustrent le propos et contribuent à convaincre le lecteur de la justesse de ces éclaircissements nouveaux qui vont jusqu’à établir des liens entre des mots, des concepts précis, comme cette fois dans la correspondance de Hölderlin avec la femme qu’il aime d’un amour impossible :
Et dans toutes les traditions mystiques, est décrit avec des images similaires l’état durant lequel le « perdant », fâqid, comme les mystiques islamiques nommaient celui qui vivait cette expérience, devenait dans la perte de soi « celui qui trouve », wâdjid33.
S’ensuit un extrait du roman épistolaire de Hölderlin, Hypérion, qui illustre au mot près ce qui vient d’être relevé :
Il est une éclipse de toute existence, un silence de notre être où il nous semble avoir tout trouvé, [...] une nuit de l’âme où nul reflet d’étoile, pas même un bois pourri ne nous éclaire34.
Paradoxalement, sa lecture hybride repose sur un fondement commun. Dans son cours de poétique, Navid Kermani ne manque pas de revenir sur les différences entre les traditions mystiques, sur les nuances à considérer à l’intérieur d’une même tradition ainsi que sur l’écart à prendre également en compte entre expérience mystique et production esthétique35.Néanmoins, ces deux traditions, si éloignées qu’elles soient, s’avèrent pourtant parentes. Le narrateur de Dein Name le relève, par exemple, comme suit :
Le lexique de l’anéantissement, la dénudation, la pureté et le vide, que Grand-père entendait tous les vendredis auprès de Pir [professeur] Arbab et lisait chaque soir dans le Masnavi de Rûmî, Hölderlin le connaissait des cantiques de sa propre église36.
Ici sont rapprochées deux expériences religieuses à deux époques fort différentes, dans des contextes tout aussi radicalement différents, à travers leur vocabulaire commun, comme si finalement la mystique sufi et le piétisme parlaient depuis toujours une seule et même langue que l’interprétation métisse du narrateur venait rappeler.
Au-delà de la parenté entre deux traditions mystiques exploitée pour appréhender Hölderlin et Jean Paul sous un nouveau jour, il en va aussi de la réciprocité du regard posé sur l’une et l’autre. Alors que le narrateur semble retranscrire en temps réel une conversation téléphonique avec un ami musicien iranien proche de la mort, il fait une digression sur un terme persan qu’il vient de traduire :
Il était conscient de sa propre évanescence – comme Grand-père, le musicien utilise ce mercredi 2 juin 2010 à 10h18 le concept mystique fanâ, que la littérature spécialisée traduit par le terme de Maître Eckhart « Entwerden » (anéantissement) –37.
Plusieurs époques se superposent ici : le XIIe siècle du sufisme, le XIVe siècle du mystique rhénan Maître Eckhart, le début du XXe siècle en Iran, celle, non indiquée, de la traduction de la mystique persane en allemand, ainsi que l’époque contemporaine. Mais ce qui importe surtout, c’est que, non content de la traduction qu’il vient de donner spontanément, le narrateur reprenne le terme en persan et passe par sa traduction « officielle », qui est elle-même un emprunt à la mystique rhénane. C’est un concept mystique allemand qui vient donc éclairer le concept mystique persan en question, et par conséquent ici l’état d’esprit de son ami iranien. Ce même terme fanâ est ensuite repris dans sa dualité avec le terme baghâ, la durée, – « ce n’est qu’en comprenant l’évanescence que tu comprends la durée (baghâ ), la mort comme messagère de la vie »38 – ce qui permet au narrateur d’éclaircir cette fois des propos trouvés chez Hölderlin. Les allers-retours semblent se générer les uns les autres à l’infini et engendrer de nouveaux liens, le tout dans une parfaite cohérence. Car si, de manière générale, Navid Kermani comprend l’idéalisme allemand, dont l’œuvre de Hölderlin est redevable, « dans la structure de la pensée comme un projet mystique »39, la justification qu’il livre alors donne à voir aussi la cohésion de sa propre quête poétique : « Tout ce qui se réfléchit doit sortir de soi-même et donc se perdre pour se retrouver, d’où l’inévitable division de la conscience de soi en objet et sujet. »40 Car il s’agit bien ici, comme dans tout le reste du roman, d’un Moi qui, prenant conscience de sa propre fugacité, et cherchant à s’y opposer par tous les moyens, commence aussi à prendre pleinement conscience de lui-même. C’est justement cette pleine conscience de soi qui va se chercher dans le roman à travers une poétique métisse.
Dans le roman que j’écris, quelqu’un, qui est souvent appelé romancier, sinon père, mari, ami, voisin ou voyageur d’affaire, de temps à autre petit-fils, régulièrement chroniqueur, puis encore orientaliste, durant un an le numéro dix et dans quelques passages Navid Kermani, donne un cours de poétique à Francfort le mardi 11 mai 201041.
L’écrivain fictif, s’efforçant de se présenter toujours sous ses multiples facettes, n’a de cesse d’entremêler dans son roman la pluralité de fils narratifs qui correspondent à celles-ci, dont la chronique de sa vie d’écrivain et de son quotidien au XXIe siècle, son projet d’écrire un livre des morts (dans des passages en italique, il rend hommage à de récents défunts), sa traduction des mémoires familiaux, ses lectures-exégèses notamment de Hölderlin et Jean Paul, ses reportages, car il est aussi journaliste, ses correspondances ainsi que la majeure partie du cours de poétique que l’écrivain réel Navid Kermani donne à Francfort en 2010 et dans lequel il décrit l’élaboration de son roman en cours (la phrase citée plus haut est d’ailleurs aussi la phrase introductive de ce cours). De cette manière, il crée ce que Almut Todorow nomme « un espace métis », qu’elle définit comme suit à partir de la littérature de migration en général :
La littérature de la migration parle des transitions, confrontations et zones de transbordement dans les constellations mentales et dans les espaces cognitifs et linguistiques historiques et culturels qui se recoupent, étrangers l’un à l’autre, pour créer de nouveaux espaces métis et intermédiaires42.
Non seulement l’espace métis créé par Navid Kermani dans son roman implique l’emploi de plusieurs langues et puise à plusieurs cultures et traditions religieuses et littéraires, mais il orchestre aussi une grande polyphonie. Celle-ci se manifeste dans une large palette de styles, de tons, de formes narratives et discursives : dans la retranscription des paroles du narrateur, de son grand-père, de sa mère, des auteurs qu’il lit, de son éditeur, des amis et connaissances, d’un de ses frères, de lecteurs qui commentent son roman etc. S’il y a bien métissage ici, c’est que toutes ces facettes énoncées se mêlent dans le roman sans jamais donner l’impression d’un montage, d’une hétérogénéité ou d’une étrangeté, au contraire tout contribue à la cohésion, à l’harmonie, de cette prose.
Ainsi, alors que l’écrivain fictif récite une prière lors de funérailles, afin de maîtriser son émotion, il donne une interprétation phonétique et philologique aux termes et formules prononcés, décrit les effets physiques et psychiques que ceux-ci produisent en lui. Dépassant la dimension seulement subjective, il établit aussi des liens entre les traditions religieuses en rapprochant par exemple les résonances respectives du /âh/ de Allâh et du Om indien43. Il y mêle également l’histoire du poète mystique sufi al-Halladj dont le destin est étroitement lié à une des formules récitées et expliquées, il décrit le comportement du fils de la défunte et livre des réflexions et des hypothèses sur le rituel prescrit pour des obsèques. Les phrases en persan et en arabe donnent clairement un rythme et une structure à ce passage qui s’étend sur plusieurs pages, lui conférant toute sa cohérence et tout son sens. Ainsi le métissage des langues entraîne-t-il d’autres métissages qui contribuent peu à peu à l’élaboration de la poétique du roman jusqu’à ce que toutes ces dimensions ne fassent plus qu’un dans le protocole de sa vie.
Réfléchissant au projet narratif qu’il est en train d’ébaucher, très rapidement dans le roman, le romancier fictif « pense avoir compris qu’il s’agit en cela de tout et se creuse la tête pour savoir en quoi consiste ce tout »44. Partant des deux réservoirs linguistiques à sa disposition, l’allemand et le persan, il engage une poétique métisse comprise ici comme une dialectique. Dialectique notamment entre le sacré et le profane pour nommer tout d’abord la plus évidente – plusieurs comptes rendus du roman sont intitulés non sans raison « Le sacré et la machine à laver » –, mais aussi dans ses lectures de Jean Paul et Hölderlin, tous deux élaborant leur œuvre selon une dialectique propre, et qu’il interprète comme décrivant, à eux-mêmes et dans leurs poétiques contraires et complémentaires, une nouvelle dialectique qui nourrit la sienne :
Et ainsi se rencontrent Hölderlin et Jean Paul qui sont aussi peu semblables que s’il s’agissait de deux poètes d’époques, de langues et de cultures différentes, ainsi se rencontrent-ils tels deux courbes elliptiques qui finissent par former un cercle : ce n’est pas le monde qu’ils représentent, c’est le Moi qui est le monde, ou pour reprendre des termes d’histoire littéraire le vieux motif du voyage de l’âme à travers le ciel (chez Hölderlin) ou la terre (chez Jean Paul) jusqu’à soi-même45.
Ceci vaut également au niveau formel, puisque l’écrivain fictif élabore tout le roman selon une dialectique subtile entre hasard et construction, entre vie et littérature :
[Kermani] transforme la vie, ce qui est pensé et tu – bref : tout ce qui est dépourvu de forme – en une forme. Là où le hasard dicte le cours des choses, le narrateur identifie une structure et en elle un sens – ne serait-ce qu’esthétique – et ce comme objection à l’ultime contingence qu’est la mort46.
La poétique dialectique entreprise à différents niveaux permet en effet, à travers la mise en lumière des contraires et de leur dépassement permanent, une assimilation d’éléments aussi hétérogènes soient-ils. Comme l’indique Katrin Schuster, ce roman :
[…] dépasse les différences entre la vérité et la fiction, la vie et la mort, Moi et Lui, le christianisme et l’Islam. Un roman [...] qui s’affirme et se renie en même temps, qui ne fait que tourner sur lui-même et ce faisant appréhende le monde entier47.
C’est justement ce à quoi sa lecture et ses réflexions sur Hölderlin et Jean Paul vont mener le romancier fictif, dans la mesure où ils transmettent tous deux à son sens ce « moment ordinaire ou idéal dans le processus de création poétique : être un individu et pourtant porter en soi le tout »48. Ici, l’individu est considéré pour ce qu’il représente en soi, mais aussi comme miroir du tout, comme l’avance à juste titre Torsten Hoffmann :
À cette poésie universelle moderne correspond la représentation d’une vie qui [...] présente l’être humain dans « sa conception anthropologique complète » (Schiller), répondant ainsi à la demande de présenter et d’aborder « l’être humain dans sa totalité » par la littérature49.
De fait, dans l’aspiration infinie d’un sujet à une pleine connaissance de soi-même, le roman Dein Name actualise de façon explicite « la poétique romantique d’autoréflexion infinie de Schlegel » 50. Tel qu’il est conçu, il rappelle en effet à maints égards la conception romantique et idéaliste d’une progressive Universalpoesie (poésie universelle progressive), du moins dans la définition qu’en donne Friedrich Schlegel dans le fragment 116 de la revue L’Athenaeum :
La poésie romantique est une poésie universelle progressive. Elle n’est pas seulement destinée à réunir tous les genres séparés de la poésie et à faire se toucher poésie, philosophie et rhétorique. Elle veut et doit aussi tantôt mêler et tantôt fondre ensemble poésie et prose, génialité et critique, poésie d’art et poésie naturelle, rendre la poésie vivante et sociale, la société et la vie poétique [...]51.
Le roman démesuré de Navid Kermani, que d’aucuns rapportent à une œuvre épique, « embrasse tout » au sens où l’entend Schlegel dans ce même fragment, assimilant tous les aspects de la vie. Et l’on retrouve dans Dein Name un à un tous les éléments énoncés dans la définition de Schlegel : le narrateur fait fi des genres et formes narratives, il est pleinement acteur et écrivain de sa propre existence et ce toujours avec une distance réflexive et critique, se laissant guider par les aléas de l’existence tout en maîtrisant son récit selon le principe qu’il répète à volonté dans une boutade non dépourvue de sérieux – « Fais confiance à Dieu, mais attache bien ton chameau »52 – et poussant toujours à l’extrême le jeu entre la réalité et la fiction :
La réalité est si radicalement littérarisée et en même temps la littérature si radicalement redevable à la réalité, que les deux sphères se transcendent mutuellement53.
Tous ces moyens dignes d’une « poésie universelle moderne », tels qu’ils sont mis en œuvre dans Dein Name, ont pour objectif ultime et explicitement déclaré cette tâche qui incombe à la littérature « d’affirmer le Moi, chaque Moi unique au-delà de son anéantissement »54 et que le narrateur dit saisir dans une des œuvres poétologiques de Jean Paul mieux qu’ailleurs. Comme on peut lire un peu plus loin, « J’écris moi-même depuis quatre ans un roman qui ne fait rien d’autre que d’imprégner mon présent contre le temps »55.
Dans son Traité du Tout-Monde, Édouard Glissant nomme créolisation :
[…] la mise en contact de plusieurs cultures avec pour résultat une donnée nouvelle, totalement imprévisible par rapport à la somme ou la simple synthèse de ces éléments56.
L’autofiction métisse de Navid Kermani propose une illustration particulièrement riche de cette définition et ce à différents niveaux, puisque le métissage vécu y devient un métissage écrit. Le récit d’une migration, c’est ce que suggère aussi le roman, signifie toujours plus que les éléments qu’il entrecroise, aussi variés soient-ils. Si l’entremêlement de deux langues et de deux époques culturelles, impliquant leur éclairage mutuel, signifie un premier degré de ce métissage, la lecture qui est faite de Hölderlin et de Jean Paul dans une perspective orientaliste en propose un second qui ouvre de nouveaux horizons fertiles pour l’exégèse de ces deux écrivains, générant des allers-retours passionnants entre les mystiques chrétienne et islamique, et qui a pour mérite également de rappeler des parentés peut-être oubliées. Mais surtout l’œuvre de métissage élaborée dans ce roman entraîne et assimile de multiples dimensions dans la volonté de tout dire, d’affirmer désespérément un Moi contre la disparition et l’oubli, ouvrant en cela toujours de nouvelles perspectives (dans le roman, bon nombre d’œuvres futures de Navid Kermani sont en germe). Pour ce faire, réactualisant la poésie universelle progressive telle qu’elle se conçoit à l’époque du romantisme et de l’idéalisme en Allemagne, Navid Kermani crée dans le roman Dein Name à partir de structures anciennes une façon moderne de penser une écriture de soi, une écriture de soi métisse.
[1] Seul ouvrage de Navid Kermani traduit en français. Navid KERMANI, Incroyable christianisme, traduction française de Robert Kremer, Paris, Salvator, 2016.
[2] Navid KERMANI, Zwischen Koran und Kafka, Münich, Beck, 2014, texte du rabat.
[3] Johann Wolfgang GOETHE, Le Divan, West-östlicher Diwan, édition bilingue, traduction française de Henri Lichtenberger, Paris, Aubier, 1950, p. 301. Ce vers a été rappelé par le président allemand Christian Wulff en 2010, illustrant les paroles de Wolfgang Schäuble, alors ministre de l’Intérieur, lors de la première conférence germano-islamique en 2006, selon lesquelles « l’Islam appartient à l’Allemagne ». Cette expression connaît une longue histoire puisqu’elle va revenir dans les débats lorsque Horst Seehofer, ministre de l’Intérieur, la démentira à son arrivée au pouvoir en 2018.
[4] Navid KERMANI, Dein Name, Münich, Hanser, 2011.
[5] Almut TODOROW, « Das Streunen der gelebten Zeit », in Klaus SCHENK, Almut TODOROW et Milan TVRDÍK (dir.), Migrationsliteratur, Schreibweisen einer interkulturellen Moderne, Tübingen, Francke Verlag, 2004, p. 25-59, p. 27.
[6] N KERMANI, Dein Name, p. 131. (En français dans le texte, à la façon du « cinéma vérité ».)
[7] Ibid., p. 901.
[8] Ibid., p. 113.
[9] N. KERMANI, « Ich bin ein Teil der deutschen Literatur, so deutsch wie Kafka », Literaturen, 4, 2005, p. 26-31, p. 26.
[10] N. KERMANI, « Ich erlebe Mehrsprachigkeit als großen Reichtum », Entretien avec Klaus Hübner, Institut Goethe, Juin 2007, URL : http://www.goethe.de/lhr/prj/mac/msp/de2391179.htm.
[11] N. KERMANI, Dein Name, p. 679.
[12] Ibid., p. 701.
[13] Op. cit.
[14] N. KERMANI, Dein Name, p. 234.
[15] Sur ce sujet : Emmanuelle TERRONES, « Mehrsprachigkeit in Navid Kermanis nâmeh Dein Name », Polyphonie, 1, 2018, URL : www.polyphonie.at.
[16] N. KERMANI, Dein Name, p. 226.
[17] Ibid., p. 371.
[18] N. KERMANI, Über den Zufall, Münich, Hanser, 2012, p. 14.
[19]Torsten HOFFMANN, « Navid Kermani », Kritisches Lexikon zur deutschsprachigen Gegenwartsliteratur, 15 | mai 2014, URL : https://www.munzinger.de/document/16000000779.
[20] N KERMANI, Dein Name, p. 1052.
[21] Sur la reprise de ces deux classiques allemands dans Dein Name voir l’article : Emmanuelle TERRONES, « ‹Jean Paul, Hölderlin und der Roman, den ich schreibe›, Navid Kermanis Lektüre der Klassiker als Poiesis », in Paula WOJCIK, Stefan MATUSCHEK, Sophie PICARD et Monika WOLTING (dir.), Klassik als kulturelle Praxis. Funktional, intermedial, transkulturell, Berlin, De Gruyter, 2019, p. 547-560.
[22] N. KERMANI, Dein Name, p. 1059.
[23] Uwe RAUSCHELBACH, « Das eigene Leben erschreiben », in Mannheimer Morgen, 06 |décembre 2011, URL : http://www.morgenweb.de/nachrichten/kultur/das-eigene-leben-erschreiben-1.144808 .
[24] N. KERMANI, Dein Name, p. 181.
[25] N. KERMANI, Über den Zufall, p. 101.
[26] N. KERMANI, Dein Name, p. 296.
[27] Ibid., p. 1137.
[28] Ibid., p. 466.
[29] Lors de la remise de l’anneau de Hölderlin en 2016, un prix récompensant un écrivain pour son travail avec ou sur l’œuvre de Hölderlin. Voir Andreas WARAUSCH, « ‹Er vermittelt statt zu polarisieren› », Hölderlin-Nürtingen, 23 | novembre 2016, URL : http://www.hoelderlin-nuertingen.de/hoelderlinring-navid-kermani.html .
[30] Gérard GENETTE, Palimpsestes, Paris, Éditions du Seuil, 1982, p. 556.
[31] N. KERMANI, Dein Name, p. 1138.
[32] Ibid., p. 1139.
[33] Ibid., p. 181.
[34] Op. cit. Pour la traduction de Hölderlin : Friedrich HÖLDERLIN, Hypérion, traduction française de Philippe Jaccottet, Paris, Gallimard, 1973, p. 97.
[35] N. KERMANI, Über den Zufall, p. 197.
[36] N. KERMANI, Dein Name, p. 1131.
[37] Ibid., p. 1152.
[38] Op. cit.
[39] N. KERMANI, Über den Zufall, p. 98.
[40] Op. cit.
[41] N. KERMANI, Dein Name, p. 1113.
[42] Almut TODOROW, op. cit., p. 27.
[43] N. KERMANI, Dein Name, p. 270.
[44] Ibid., p. 73.
[45] Ibid., Dein Name, p. 1069.
[46] Roman BUCHELI, « Das Heilige und die Waschmaschine », Neue Zürcher Zeitung, 8 | octobre 2011, URL : http://www.nzz.ch/das-heilige-und-die-waschmaschine-1.12889384.
[47] Katrin SCHUSTER, « Kritiken 2011, Dein Name von Navid Kermani », 23 | décembre 2011, URL : http://www.katrinschuster.de/2011/12/23/lekturen-2011-dein-name-von-navid-kermani/.
[48] N. KERMANI, Dein Name, p. 1140.
[49] Torsten HOFFMANN, « Navid Kermani », en ligne.
[50] N. KERMANI, Dein Name, p. 1065.
[51] Friedrich SCHLEGEL, « Fragments de l’Athenaeum », traduction française, in Philippe LACOUE-LABARTHE et Jean-Luc NANCY, L’absolu littéraire, Paris, Seuil, 1978, p. 98-178, p. 112.
[52] N. KERMANI, Dein Name, p. 1024.
[53] Torsten HOFFMANN, « Trennungsprobleme », in Torsten HOFFMANN (dir.), Text + Kritik, 217, « Navid Kermani », Janvier 2018, p. 14-22, p. 21.
[54] N. KERMANI, Dein Name, p. 1082.
[55] Ibid., p. 1121.
[56] Édouard GLISSANT, Traité du Tout-Monde, Paris, Gallimard, 1997, p. 37.
Le roman de Navid Kermani Dein Name (2011) déploie le journal d’un écrivain allemand d’origine iranienne tel qu’il l’est lui-même. À travers le récit d’une histoire familiale de migration, les traductions de manuscrits familiaux iraniens, les va-et-vient incessants entre l’allemand et le persan comme entre les traditions littéraires occidentale et orientale, notamment dans les lectures et exégèses de Hölderlin et Jean Paul à la lumière de la mystique sufi, le roman présente l’élaboration d’une poétique autofictionnelle « métisse » que cet article se propose d’observer en détail.
Zusammenfassung
Navid Kermanis Roman Dein Name (2011) kann u.a. als Tagebuch eines deutschen Schriftstellers iranischer Herkunft gelesen werden, wie er selbst einer ist. Durch die Erzählung einer Migrationsgeschichte, die Übersetzung iranischer Familienmanuskripte, das ständige Hin-und-Her zwischen Deutsch und Persisch wie zwischen den literarischen Traditionen aus Ost und West – namentlich durch seine Lektüren und Auslegungen Hölderlins und Jean Paul im Lichte des Sufismus – stellt der Roman die Erarbeitung einer „gemischten“ autofiktiven Poetik dar, die im vorliegenden Aufsatz eingehend aufgezeigt wird.
Emmanuelle TERRONES
Université de Tours, ICD EA6297
BUCHELI, Roman, « Das Heilige und die Waschmaschine », Neue Zürcher Zeitung, 8 octobre 2011, URL : https://www.nzz.ch/das-heilige-und-die-waschmaschine-1.12889384.
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HOFFMANN, Torsten, « Navid Kermani », Kritisches Lexikon zur deutschsprachigen Gegenwartsliteratur, 15 mai 2014, URL : https://www.munzinger.de/document/16000000779.
—, « Trennungsprobleme », in Torsten HOFFMANN (dir.), Text + Kritik, 217, « Navid Kermani », Janvier 2018, p. 14-22.
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—, « Ich erlebe Mehrsprachigkeit als großen Reichtum », Entretien avec Klaus Hübner, Institut Goethe, Juin 2007, URL : https://www.goethe.de/lhr/prj/mac/msp/de2391179.htm.
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