Ce recueil, qui est la résultante d’une Journée d’Études organisée en mars 2021 à l’Université d’Artois, est la concrétisation d’un projet pensé il y a bien longtemps et a donc un cheminement intellectuel tout en étant, bien entendu, le fruit d’un rendez-vous scientifique autour du thème de la science, des hommes de sciences et des ingénieurs dans l’Espagne et l’Amérique espagnole à l’époque des Lumières. Nous remercions ici les contributeurs ainsi que l’équipe de la revue L’Entre-deux qui s’attache toujours à nous proposer des publications de qualité aux thématiques diverses et qui permet à de jeunes chercheurs de faire leurs classes dans le monde académique.
À travers les présents Actes, nous tentons de faire un tour d’horizon des nouvelles problématiques que proposent les chercheurs de plusieurs pays dont les travaux nous permettent de constater le dynamisme et la régénération de la recherche. Les articles, par leur hétérogénéité et par leur grande qualité, nous font voyager à travers le temps et l’espace en nous permettant de circuler entre les deux rives de l’Atlantique. Neuf chercheurs ont participé à ce numéro, en provenance non seulement de différentes universités françaises, mais aussi d’autres universités européennes, pour certaines espagnoles et italiennes. Où en sommes-nous dans cette problématique et où allons-nous ? C’est autour de ce questionnement central et transversal que les articles de ce volume se situent, sans oublier les transferts culturels, qui se déploient à cette époque, ou encore la circulation des techniques et des conclusions scientifiques.
La méthode de cet opus, notre méthode, insiste sur deux analyses : celle des contextes de départ et d’accueil des transferts, et celle de ses vecteurs, les voyageurs scientifiques, comme La Condamine, Malaspina ou Humboldt, les médecins, comme le Docteur Flores, les botanistes, comme Cavanilles. D’autres vecteurs encore sont à mentionner comme les capacités techniques (architecturales, mathématiques, astronomiques etc…) des corps d’Armée, initiées par des hommes incontournables comme Jorge Juan, et celles en particulier d’un nouveau corps d’élite scientifique, les ingénieurs militaires (trans)portant connaissance et savoirs de l’Europe vers les territoires d’outremer. Ceci en présupposant la présence de points d’intersection où se déploient les relations et les échanges à étudier, c’est-à-dire la mise en relation des transferts de compétences. Tous ces hommes, quasiment, figures emblématiques de l’Espagne éclairée, restés oubliés ou anonymes prennent en compte l’expérience de leur vécu comme témoignage de la véracité des faits relatés.
Le XVIIIe siècle, uni aux Lumières et à l’entrée de nos sociétés dans de nouveaux régimes politiques s’ouvre aux idées de liberté et de progrès. La philosophie et la littérature liées à l’instruction qui devaient éclairer les esprits, y compris ceux du peuple, sont amplement relayées et associées à ces avancées tant espérées. La science, les sciences sont, par conséquent, indissociables de l’Humanisme tant en Europe que dans le monde hispanique, où elles ont été défendues sous la plume d’hommes tels que Mayans ou Feijoo.
Les Lumières retiennent donc en leur sein des hommes illustres pour qui le progrès est indissociable de la Science dans tous ses versants : de la médecine qui permet de prolonger la vie des hommes, à l’architecture qui permet d’améliorer l’urbanisme des cités, leur salubrité, en passant par l’ingénierie, l’astronomie, l’optique ou les sciences maritimes qui améliorent la navigation et facilitent les expéditions démultipliées en ce siècle. Grâce aux voyageurs européens, des plantes rares et des spécimens inconnus alimentent aussi la botanique, longtemps discipline auxiliaire de la médecine. Avec le concours des Français, Hollandais, Scandinaves et Espagnols, la botanique fonctionne désormais comme une science autonome, qui entend expliquer le fonctionnement du règne végétal en nommant, triant et classant les plantes. De nouvelles réflexions dues aux découvertes scientifiques innovantes osent alors remettre en cause des pensées immuables depuis l’Antiquité ou les premiers pères de l’Église. Réflexions, pensées, résultats qui vont se réaliser dans de nouvelles institutions et s’appliquer à plus ou moins brève échéance mais qui vont aller de pair avec un phénomène majeur de l’époque : la circulation du livre, diffuseur essentiel de la pensée. Livre qui devient fondamental, qui émule au sein de l’Europe éclairée les capacités des hommes créant ainsi des liens réels dans les communautés scientifiques diverses poussant les uns et les autres à progresser en copiant, en améliorant et en traduisant les ouvrages essentiels.
Grâce à une approche nouvelle et à partir d’un corpus fertile, ce volume propose de réveiller la curiosité scientifique caractéristique du XVIIIe siècle, qui concerne l’espace dans sa totalité, c’est-à-dire aussi bien la montagne, la ville que la campagne. Cherchant aussi à mettre en relief les réseaux scientifiques, les articles s’organisent autour d’une trame rythmée par un dialogue entre sciences, politique et arts et permettent d’étudier les liens qui unissent une inspiration commune aux savants à travers les partages de savoir-faire, les façons d’expérimenter les découvertes tout comme certaines habitudes de confrontation au sein de collaborations plus ou moins fructueuses qui gagnent souvent en sociabilité, en universalité, et en transculturalité.
Nicolas DE RIBAS et Marie-Hélène GARCIA
Université d’Artois, Textes & Cultures, UR 4028