Le cinéma est un médium privilégié de la monstruosité. Son grand écran, ses effets spéciaux, ses situations dramatiques exacerbées la font apparaître dans toute sa démesure, physique autant que morale1. Comme le note Éric Dufour, « le cinéma d’horreur commence avec le cinéma lui-même », quand les spectateurs de L’Arrivée d’un train en gare de la Ciotat sont pris de panique en voyant le train, qui joue ici le rôle du monstre, leur foncer dessus…2 Par la suite, le monstre fantastique incarnera le plus souvent le mal, un mal absolu, diabolique, issu de la perspective eschatologique des principaux monothéismes. C’est surtout dans l’Apocalypse de Jean que se dessine, pour Stéphane Audeguy, « le schéma fondamental du monstre »3, repris à longueur de films d’horreur et de films catastrophe par le cinéma hollywoodien : « une créature menace la Terre ; combattue par des forces positives, elle finit par être vaincue, ce qui correspond à la fin du monde (dans les deux sens du mot « fin ») »4.
Or, les monstres antiques, ceux de la mythologie grecque et romaine, ne correspondent pas à ce schéma-là. Ils sont beaucoup plus nombreux que les monstres de la Bible (tels Béhémoth, Léviathan, la Bête de l’Apocalypse), mais ils ne menacent pas l’humanité en son entier : ils l’entourent seulement, aux confins du monde connu et des temps historiques. Ils n’incarnent pas forcément le mal absolu, mais servent plutôt à définir l’homme en creux, par tout ce qu’il n’est pas5. Que peuvent dès lors apporter les monstres antiques au cinéma et aussi à la télévision ? Leur spécificité joue-t-elle comme une force de proposition innovante pour les réalisateurs ?
Dans les œuvres gréco-latines, il est possible de distinguer deux grandes catégories de monstres : le monstre physique, l’être difforme, celui dont la morphologie le place hors de l’humanité normale, et le monstre moral, celui qui a tout l’air d’un homme mais qui, par ses actes, se découvre n’en être pas vraiment un. Le premier est le plus souvent épique, tels les monstres croisés par Ulysse sur le chemin du retour. Le second est plutôt tragique, comme ces « monstres de Sénèque »6 dont a bien parlé Florence Dupont à propos de la tragédie romaine : des héros tragiques accédant par leur nefas, « crime », voire « crime contre l’humanité »7, à un nouveau statut de monstres mythologiques n’ayant plus rien d’humain. Comme il n’est pas possible d’étudier ici tous les monstres antiques représentés au cinéma, il paraît dès lors intéressant d’envisager un spécimen de chaque catégorie dans ses représentations audio-visuelles. Ce sera le cyclope Polyphème, et Médée la sorcière.
Si l’Ulisse de Mario Camerini8, réalisé en 1953, a tout du péplum italien, c’est pourtant à l’origine un projet d’Orson Welles, mis en chantier par le grand réalisateur autrichien Georg Wilhelm Pabst à partir de 1949, sous le titre d’Odissea. « Pabst prévoyait de brosser le portrait d’un soldat traumatisé au retour de la guerre, un des premiers pacifistes de la littérature occidentale dont la victoire est le triomphe du cerveau sur la force »9. Comment représenter dans un péplum un héros pacifiste, qui ne se bat pas ? C’est presque impossible, sinon à dépasser les limites du genre. Les producteurs américains renvoient Pabst, au prétexte que son scénario serait trop « fataliste, désabusé et psychanalytique »10. Exit la psychologie, place au spectacle ! Une fois de plus, le péplum s’impose comme un genre de producteurs et d’acteurs plutôt que de réalisateurs. Les producteurs sont Carlo Ponti et Dino de Laurentiis, les deux nababs italiens, soutenus par la Paramount. Les acteurs sont l’américain Kirk Douglas pour Ulysse, qui impose ses propres scénaristes, et l’italienne Silvana Mangano pour Pénélope et Circé (à la fois…). À partir d’une idée originale de Pabst, Mangano joue en effet les deux rôles de la reine qui attend Ulysse et de la magicienne qui le retient. Umberto Silvestri, un champion italien de lutte gréco-romaine, est le cyclope Polyphème. D’un côté, le héros américain réaliste de l’epic, préfigurant son rôle de Spartacus ; de l’autre, une magicienne et un Cyclope, représentants d’un fantastique mythologique affectionné par le péplum italien. C’est Mario Bava, futur grand maître du fantastique italien (le giallo), qui supervise les scènes de magie avec Circé. Mais c’est Eugen Schüfftan, le pionnier allemand des effets spéciaux, chef opérateur du Metropolis de Fritz Lang, qui signe les trucages de la scène du Cyclope11. Tout ce mélange de fortes personnalités, depuis les pionniers allemands Pabst et Schüfftan jusqu’aux Italiens Bava et Mangano ou aux Américains Welles et Douglas, aurait pu donner lieu à une synthèse géniale, mais il n’en fut rien : si le succès commercial est au rendez-vous, l’estime critique laisse à désirer, et plutôt semble-t-il à bon droit. C’est l’histoire de cette adaptation à moitié aboutie que romancera Alberto Moravia dans Il Disprezzo12, ce roman qu’adaptera ensuite Jean-Luc Godard avec Fritz Lang dans le rôle du réalisateur allemand13.
Tout au long du film, Ulysse semble désespérer d’être un vrai héros de péplum, sans jamais réussir à devenir un antihéros moderne. L’épisode du Cyclope est à cet égard éclairant14. Ulysse arrive sur l’île, dont il ne sait pas qu’elle héberge un cyclope. Un de ses compagnons remarque une empreinte de pied gigantesque et se dit que ce doit être la trace d’un dieu. Mais Ulysse lui rétorque que c’est peut-être seulement celle d’un homme avec de grands pieds. Voilà un échange qui n’était pas dans l’Odyssée. L’Ulysse de Kirk Douglas n’est pas un homme impressionnable. Il n’a pas peur du surnaturel. C’est le héros intrépide parfait, sûr de son bon sens pratique à toute épreuve. Ulysse et ses compagnons se retouvent dans une grotte où arrive bientôt Polyphème. Les compagnons courent partout. Ulysse les calme. Il n’a toujours pas peur. Il demande au Cyclope l’hospitalité, comme dans l’Odyssée, mais ce dernier préfère lui manger un compagnon, comme dans l’Odyssée aussi – à ceci près que chez Homère, ce n’était pas un mais deux compagnons que mange Polyphème, et avec un luxe de détails beaucoup plus croustillants :
ἀλλ᾽ ὅ γ᾽ ἀναΐξας ἑτάροις ἐπὶ χεῖρας ἴαλλε,
σὺν δὲ δύω μάρψας ὥς τε σκύλακας ποτὶ γαίῃ
κόπτ᾽: ἐκ δ᾽ ἐγκέφαλος χαμάδις ῥέε, δεῦε δὲ γαῖαν.
[Mais il s’élança, jeta les bras sur mes compagnons, et en attrapa deux d’un coup, qu’il fracassa comme des chiots contre terre : leur cervelle imbiba le sol où elle avait giclé]15.
Dans le film, en revanche, tout se passe en hors-champ, du point de vue de l’image comme du point de vue du son. Ulysse ensuite semble avoir une idée. Il offre à Polyphème du vin. Ce dernier boit, apprécie. Ulysse lui propose d’aller chercher du raisin pour en fabriquer d’autre. Le Cyclope sort et revient avec un immense panier de raisin, en se léchant comiquement les babines. Et voici qu’à toute vitesse, Ulysse et les siens pressent les grappes avec leurs pieds pour en faire du vin… Ils pressent, pressent, et le vin coule aussitôt, comme par magie… Ulysse exubérant, bouffon, a l’air de jouer un rôle d’opéra. Il danse sur le raisin, extatique. Il applaudit, encourageant Polyphème et les siens à entrer dans la danse. Polyphème applaudit à son tour en se pourléchant. Une musique de fanfare accompagne le tout. À mesure que le vin coule, le Cyclope boit, jusqu’à plus soif, jusqu’au sommeil de l’ivresse. C’est le moment de lui planter le pieu dans l’œil. Le Cyclope se met alors en colère. Mais Ulysse n’a toujours pas peur. Il le provoque. Finalement, il s’échappe avec ses compagnons par l’entrée que Polyphème vient de débloquer. Arrivé sur son bateau, il fanfaronne, criant au Cyclope qu’il est Ulysse, destructeur de Troie, fils de Laërte, roi d’Ithaque.
Que se passe-t-il chez Homère ?16 Après avoir mangé les deux compagnons d’Ulysse, le Cyclope s’assoupit, et Ulysse, impuissant, passe la nuit dans l’attente fébrile et l’expectative : que faire ? S’il tue le Cyclope, ils se retrouvent prisonniers à vie de la grotte. Le matin, le Cyclope mange deux autres compagnons et sort. Puis il revient au soir et en mange deux autres – ce qui fait six en tout. C’est alors qu’Ulysse aux mille ruses entre en scène : il lui fait boire de son vin, il lui dit qu’il s’appelle « Personne », Outis en grec. Puis le Cyclope ivre s’assoupit et on lui plante le pieu dans l’œil. Polyphème aveuglé appelle à l’aide les autres Cyclopes qui lui demandent qui en veut à sa vie. Outis, répond-il – Si c’est personne, alors…, rétorquent en s’en allant les Cyclopes, passant de outis à mètis, autre forme de la négation, mais aussi homonyme du nom signifiant la ruse, cette mètis qui est la caractéristique principale d’Ulysse… C’est son nom et sa mètis, sa ruse, qui ont abusé le Cyclope, conclut Ulysse17.
Tous ces jeux de mots vertigineux, entre Odysseus et Outis, entre outis et mètis, entre mètis (personne) et mètis (la ruse), le péplum les laisse de côté, même la ruse si célèbre d’un nom qui serait « Personne ». L’Ulysse de Kirk Douglas n’est pas le héros rusé, mais l’homme d’action, le héros pressé. Il presse ses compagnons, il presse l’action, comme il presse les grappes de raisin. La nuit n’a pas le temps de tomber dans le film. Tout va très vite, comme le demande le genre, comme le demande le héros.
En 1968, sur la chaîne italienne RAI, et deux ans plus tard en France, sur Antenne 2, un feuilleton télévisé de Franco Rossi de huit épisodes est diffusé, qui a pour titre Odissea18, adaptation assez fidèle de l’œuvre d’Homère, en Technicolor. La série est le résultat d’une coproduction à échelle européenne, comprenant notamment l’ORTF et la ZDF en plus de la RAI, et chapeautée par Dino De Laurentiis, celui-là même qui a produit Ulisse19. Le cinéma avait essayé de faire d’Ulysse un héros de péplum – la télévision s’emploie à défaire ce que le cinéma avait de toutes façons plutôt mal fait et récolte notamment les éloges de Fellini et de Rossellini20, qui emboîteront le pas de cette première tentative de péplum néo-réaliste, avec le Fellini Satyricon21 pour le premier et Socrate et Augustin d’Hippone pour le second, dans le cadre de son projet télévisuel d’Encyclopédie historique22. Retrouvant le premier titre voulu par Pabst pour son adaptation, Odissea, la série retrouve l’homme derrière le type héroïque, le réel sous le genre opératique, la vérité du texte à côté du vraisemblable générique. Et si l’Odyssée revient au foyer, à la source du texte, par la série, elle permet en même temps à la série d’en sortir par le voyage : le soap opera devient road epic. Dans Homère et Dallas23, Florence Dupont a montré combien la série télévisée peut partager certaines structures avec les épopées homériques – ce dont le cinéma, avec son format dramatique court hérité du théâtre, était moins capable. La série, elle, peut prendre le temps, ne pas presser les choses. Odissea adapte le plus fidèlement possible l’ensemble du poème, sa structure se pliant à merveille à cette idée de retour varié du même tel que l’Odyssée l’exprime : succession des îles inhospitalières, succession des femmes trop hospitalières, succession des arrivées manquées d’Ulysse, succession des reconnaissances à la fin.
La série respecte scrupuleusement le récit de l’Odyssée, jusque dans son énonciation : alternent avec l’épisode de l’antre du Cyclope des plans où le spectateur voit Ulysse raconter l’histoire à Alcinoos et sa cour dans son palais24.
Ulysse raconte une histoire à la manière de la télévision : dans l’élément rassurant du foyer, dans le cadre des règles de l’hospitalité. Mais l’histoire qu’il raconte, c’est l’histoire fantastique du Cyclope, celui qui n’a que l’apparence d’un foyer, celui qui ne connaît pas les devoirs de l’hospitalité. Comme le dit Jean-Pierre Vernant :
Pour les Grecs, le propre de l’homme, ce qui le définit en tant que tel, c’est le fait de manger le pain et de boire le vin, d’avoir un certain type de nourriture et de reconnaître les lois de l’hospitalité, d’accueillir l’étranger, au lieu de le dévorer25.
Pour le moment, il fait jour dans la grotte, comme dans une maison, mais le Cyclope arrive et bouche l’entrée. Ses pas font trembler le sol, et les compagnons d’Ulysse. Le foyer accueillant devient salle obscure projetant un film fantastique. À Ulysse qui lui demande l’hospitalité, le Cyclope répond en attrapant un de ses compagnons. Alors le feuilleton d’aventures devient film d’horreur – et c’est Mario Bava, le maître du giallo, qui se charge de diriger la séquence, avec tous les effets spéciaux requis26. Le Cyclope s’est donc saisi d’un compagnon, et il le fait lentement craquer dans sa main, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Rien ne nous est épargné, ni l’image, ni le son. Polyphème se saisit ensuite d’un deuxième compagnon, déjà évanoui de peur à terre. Cette fois, il fracasse son corps contre un rocher, puis le démembre et le mange. Le spectateur, glacé, voit le corps éclater, entend les bruits de la mastication. Comme le dit éric Dufour, le giallo, à partir de Mario Bava, substitue « à l’implicite du brouillard et du hors-champ la crudité de la monstration quasi médicale du meurtre »27. Le hors-champ du péplum Ulisse passe ici dans le champ et la série retrouve la crudité de la description de l’Odyssée citée plus haut. Mario Bava s’est servi pour cette séquence de la technique du split screen28 : le filmage à part de deux plans à des échelles différentes, et leur réunion dans un seul cadre, sans couture apparente. L’acteur jouant le Cyclope peut alors paraître environ quatre fois plus grand que les autres acteurs. Le trucage est ici très bien exécuté, tout à fait transparent, et dit, au niveau technique, la synthèse réussie par la série entre le petit et le grand, la télévision et le cinéma. Tout s’est inversé par rapport à Ulisse : Ulysse et ses compagnons deviennent des éléments du foyer confrontés à la puissance aveugle, ou disons borgne puis finalement aveugle, du géant cinéma. En bref, si Ulysse est personne, et c’est Bekim Fehmiu qui le joue, un acteur albanais aussi peu connu que Kirk Douglas l’est beaucoup, le Cyclope, lui, c’est-à-dire le péplum, devient aveugle, incapable de montrer l’homme sous le type, qui n’est qu’un monstre inhumain. Comme le répond le Cyclope à Ulysse qui vient de lui dire son véritable nom : « Il était écrit, je le savais, que ce serait toi qui m’ôterais la lumière, tu étais mon destin, mais je m’imaginais un héros à l’égal de ma puissance et de ma force » – le péplum n’avait pas fait attention que ce pouvait être une petite chose comme la télévision qui allait le rendre aveugle. Comment s’y prendra dès lors le cinéma à matière antique pour retrouver la vue chez les modernes ?
L’adaptation est un phénomène constant du cinéma. Mais la tragédie peut faire peur. Il a certes existé un premier âge de l’adaptation de tragédies, au tout début du cinéma, dominé par l’esthétique du « Film d’Art », une société fondée en 1908 à la demande de la Comédie-française. Pour André Bazin, cette esthétique était vouée à l’échec :
Les malheurs d’Œdipe ou du prince de Danemark étaient au cinéma débutant comme « nos ancêtres les Gaulois » aux négrillons d’une école primaire de la brousse africaine. Si nous y trouvons aujourd’hui du charme, c’est comme à ces interprétations paganisées et naïves de la liturgie catholique par une tribu sauvage qui a mangé ses missionnaires29.
À vouloir trop imiter le théâtre, le cinéma se condamnait à rester à sa traîne. De fait, après l’époque du Film d’Art, il ne se risque plus à adapter les tragédies jusque dans les années soixante. En Allemagne, en 1910, une Médée d’Oskar Messter, de onze minutes, est tournée avec la troupe théâtrale de la Freilichtbühne Hertenstein. Il faut attendre ensuite 1957 pour trouver une nouvelle Médée à l’écran, sous la forme d’un téléfilm de la RAI. Au cinéma, dix ans de plus environ sont nécessaires pour arriver au projet avorté de Dreyer, en 1965, et au film de Pasolini, en 196930. Le constat serait le même pour Œdipe roi, Antigone, et toutes les autres tragédies antiques31. Voilà donc un objet suffisamment vierge pour la modernité cinématographique. Et la figure de Médée peut servir de figure emblématique de cette réappropriation. Le péplum la reléguait à la marge de la légende de la Toison d’or. Le poème épique de William Morris, The Life and Death of Jason (1867)32, montrait une voie poursuivie au cinéma par Don Chaffey, en 1963, avec Jason and the Argonauts33, un film aux effets spéciaux spectaculaires pour l’époque, signés Ray Harryhausen, et porté par un scénario laissant peu de place à Médée34. Avec Dreyer, Pasolini et Trier, la figure de Médée reprend ses droits sur celle de Jason, et donc la tragédie sur la légende, les pièces d’Euripide et de Sénèque sur le récit de la Toison d’or35. Le péplum était surtout une affaire d’hommes. La femme y figurait comme type générique contraignant, biaisé par le cliché misogyne de la maman et de la putain. Avec le tournant moderne du cinéma, ce cliché est condamné et déconstruit : la tragédie antique, qui donnait aux héroïnes féminines une place centrale, sert particulièrement cette nouvelle ambition d’un cinéma passant outre les genres, qu’ils soient esthétiques ou sexuels. Plus généralement, la tragédie représente de manière concentrée tous les tabous du cinéma classique, tout ce qu’il laissait en hors-champ et notamment la sexualité et la violence. Mettre de la tragédie dans le cinéma, ce sera lever en partie ces tabous.
À partir de l’Hippolyte d’Euripide, Dreyer écrit en 1965 un scénario complet, qu’il ne peut réaliser avant sa mort.
Vampyr, Jeanne d’Arc, Jour de colère, Gertrud sont complètement différents les uns des autres, en ce sens qu’ils ont chacun leur style. Si quelque chose les relie, c’est que, peu à peu, je me suis approché de plus en plus près de la tragédie. Cela, j’en suis devenu conscient, mais au départ, je ne l’ai pas fait exprès36.
Comme le dit Maurice Drouzy dans son introduction au scénario de Dreyer, ce mouvement vers le tragique passe chez le réalisateur par l’infléchissement de ses héroïnes féminines vers l’ambiguïté et la révolte37. La première, Jeanne d’Arc, était la martyre majuscule, tout entière victime. La dernière, Gertrud, est une héroïne déjà en partie tragique, ni tout à fait bonne ni tout à fait mauvaise.
Gertrud reconnaît que l’homme doit vivre aussi pour ce qui l’intéresse, pour son travail, mais elle est quand même jalouse de son métier, elle ne veut pas que celui-ci prenne la place qu’elle estime lui revenir, à elle38.
Dans sa monographie sur Dreyer, Jean Sémolué raconte : « Pour me définir Gertrud, en 1964, Dreyer utilisait le mot grec hybris »39. Avec Gertrud, et plus encore avec Medea, la femme n’est plus seulement victime chez Dreyer. Mais ce qu’elle perd en passion (et nous pensons aussi à la Passion de Jeanne d’Arc), elle le gagne en action : elle se révolte, assumant sa part de faute, une faute intériorisée, proche de devenir péché, mais toujours en partie justifiée par la lâcheté et la mesquinerie des hommes. Le parcours de Dreyer part ainsi du christianisme moderne pour aboutir à la tragédie antique. Dans son scénario de Médée, il joue la tragédie contre le martyrologe de ses premiers films. Contrairement aux héroïnes martyres de Jeanne d’Arc ou de Dies irae, sa Médée, à l’instar de celle d’Euripide, se révolte et sacrifie ses enfants dans un geste de révolte désespéré. Cependant, Euripide et Dreyer ne se rejoignent plus sur un point : Dreyer refuse la plainte à son héroïne et semble finalement concrétiser une idée de Sören Kierkegaard qui distingue dans Ou bien… ou bien ce qu’est l’Antigone antique de ce que serait une Antigone moderne. L’Antigone antique se révoltait en plein jour, en se plaignant, s’étendant sur ses raisons. Et l’Antigone moderne ?
Sa vie ne s’épanouit pas comme celle de sa sœur grecque, elle n’est pas tournée vers le dehors, mais vers le dedans ; la scène ne se passe pas dans le monde extérieur, mais dans le for intérieur ; c’est une scène de l’esprit40.
La Médée de Dreyer intériorise de même sa révolte.
À la fin de la tragédie d’Euripide, le chœur entendait Médée hors scène, à l’intérieur de la maison, passer ses enfants au fil de l’épée. Puis le spectateur la retrouvait prête à s’envoler sur son char. Euripide sacrifiait alors à l’usage de la méchanè, une grue hissant un personnage un peu au-dessus de ce que les Grecs appelaient la skénè, le mur s’élevant derrière les acteurs. Médée, donc, se retrouvait sur le haut de la skénè, un endroit appelé théologéion, c’est-à-dire « lieu d’où parlent les dieux ». Ce faisant, elle devenait un peu dea ex machina, déesse hors la loi humaine, et même, chez Sénèque, où le crime a lieu sur scène, nouveau « monstre mythologique », comme le dit Florence Dupont41.
Le final de Dreyer est assez différent42. Il commence dans la chambre des enfants. Médée les tient embrassés. Elle leur dit :
J’ai parlé de vous au médecin, je lui ai dit que vous étiez pâles et il m’a ordonné de vous donner ce médicament. Si vous êtes raisonnables et le buvez alors vous grandirez et serez beaux et forts43.
L’aîné répond, dans le style de l’ironie tragique : « Comme papa ! » Les deux enfants boivent puis meurent en silence pendant que Médée leur chante une berceuse. La mort des enfants chez Euripide était violente mais hors-champ ; chez Dreyer elle est dans le champ, mais très douce. Dreyer refuse d’adopter la violence pathétique d’Euripide. Certes, il montre ce que ce dernier cachait dans le hors-scène, ou plutôt à l’intérieur de la skénè. Cependant, il ne montre pas la même chose : Médée n’utilise pas cette fois une épée mais du poison, quelque chose qui tue de l’intérieur, et la berceuse introduit une sourdine au pathos tragique. Cependant, comme le dit Véronique Tacquin à propos de Gertrud, « loin de correspondre à un affadissement, le refus des normes du pathétique paroxystique accroît l’effet tragique »44. Dreyer « accentue dans ses derniers films l’impression d’une tension latente, à la limite indéfiniment différable »45. Lors d’une soirée, quelqu’un apprenait à Gertrud, l’héroïne éponyme, que son amant, pour qui elle était prête à tout abandonner, la trompait. Aussitôt après, elle devait « prendre sur elle » pour chanter un air devant une grande assemblée tandis que son traître d’amant l’accompagnait au piano. Or, d’une manière proche de l’ironie tragique, le texte que chantait Gertrud évoquait le pardon d’une femme à un homme… Ce paroxysme retenu se retrouve tel quel dans la berceuse de Médée à ses enfants. Et une nouvelle fois, la parole est relayée par du chant, un chant à l’ironie tragique, qui cache la mort derrière le sommeil. Ce genre de chants est une métonymie du travail de Dreyer, qui construit de la beauté sur de la souffrance retenue. Le pédagogue entre ensuite dans la chambre avec deux coffres. La nourrice apparaît à son tour. Elle prépare les deux coffres censés recevoir les deux enfants. Quatre esclaves « transportent ceux-ci jusqu’à une porte que le pédagogue leur ouvre. Cette porte se trouve à l’arrière de la maison et à travers elle on aperçoit les prairies descendant vers la baie »46. Après une dernière confrontation avec Jason, Médée et la nourrice rejoignent les enfants, portés dans un coffre sur le navire d’Égée, en passant par la porte derrière la maison, qui s’ouvre de nouveau sur les collines et la mer au loin. Chez Euripide, Médée s’envolait au-dessus de la skénè. Chez Dreyer, passant par la porte de derrière, elle tombe dans la profondeur du plan. Il y avait déjà eu de tels types de plans à double fond dans Gertrud. Une porte derrière l’héroïne s’ouvrait soudain sur une seconde pièce, meublée d’un piano. C’était le moment où Gertrud venait d’apprendre la trahison de l’amant, le moment où elle était priée de chanter avec lui au piano : à l’arrière-plan, un domestique ouvrait une porte, et c’est comme si Gertrud tombait dedans, comme si le fond l’aspirait. Dans Medea, de même, les deux dimensions s’ouvrent sur une troisième qui est un au-delà de la mort. Le théologéion où Médée se tenait chez Euripide, avec ses enfants morts, prend ici la forme de ce lieu derrière les autres, signe d’un au-delà immanent, sans espoir de transcendance.
En 1987, le scénario de Dreyer devient un film, ou plutôt un téléfilm, réalisé par un nouveau grand nom du cinéma danois : Lars von Trier47. Le téléfilm commence sur cet avertissement :
This is not an attempt to make a Dreyer film, but with due reverence for the material – a personal interpretation and homage to the master.
[Cette œuvre n’est pas une tentative de faire un film de Dreyer, mais une interprétation personnelle et un hommage au réalisateur.]
En effet, Lars von Trier prend un certain nombre de libertés avec le scénario de Dreyer. Le Kammerspiel dreyerien (« film de chambre », « théâtre d’intérieur ») est transposé au-dehors, dans une nature aux teintes ocres, éteintes, artificiellement atténuées à la paint box48 : landes désolées battues par les vents, plages s’étendant à perte de vue le long d’une mer sombre, marais perdus dans un brouillard infranchissable. « Medea est un film de paysage »49, dira le réalisateur. Les personnages de sa Medea seront le plus souvent pris, en effet, dans un paysage qui les dépasse, les englobe, les menace et les perd. Chez Dreyer, la caméra cherchait à percer le secret des visages, notamment à travers son usage des gros plans ; chez Trier, elle regarde de loin les personnages se perdre dans une nature morbide et moribonde. Pour l’infanticide final, Lars von Trier ne fait pas le choix de l’empoisonnement, mais de la pendaison50. Médée arrive avec ses enfants devant un arbre décharné et isolé au milieu d’un paysage de landes éventées. Plus tard, l’aîné endormi se réveille et dit : « I know what is to happen [Je sais ce qui va arriver] ». Médée passe une corde à l’une des branches. Le cadet demande ce qu’elle veut suspendre. « Something I love [Quelque chose que j’aime] », répond-elle. Le cadet s’en va courir dans les champs, mais l’aîné le rattrape et le conduit devant l’arbre. Médée pend le cadet. L’aîné l’aide en tirant sur ses pieds. Puis c’est au tour de ce dernier. Il attache lui-même la corde qui lui est destinée tandis que Médée le soulève pour qu’il soit à hauteur. Médée tire maintenant sur l’aîné pendu, tout en pleurant. De cette scène, Lars von Trier dit :
J’ai choisi de rendre les choses plus dramatiques. Je pense que ma version a globalement plus de mordant. Le meurtre des enfants par pendaison me semblait plus efficace et plus cohérent. On les tue ou on ne les tue pas51.
Le choix de Trier est révélateur d’une attirance pour un pathétique mélodramatique poussé jusqu’à la limite du supportable. Non seulement les enfants savent qu’ils vont mourir, mais l’aîné va jusqu’à aider sa mère dans son entreprise. Les enfants de Dreyer mouraient dans leur sommeil. Les enfants de Trier meurent en spectacle, s’accrochant à un arbre, se donnant la mort en martyrs sans cause. Ainsi, par-delà le Dreyer tragique des derniers films, Trier retrouve le mélodrame de ses premiers films.
La Medea de Pasolini, sortie en 1969, est l’œuvre centrale d’une trilogie tragique, le deuxième opus d’un cycle commencé avec Edipo re52, en 1967, et terminé par le documentaire Appunti per un’Orestiade africana53, en 1970. Pour Médée, le réalisateur choisit de déplier toute la légende plutôt que de condenser la tragédie seule comme Dreyer. L’œuvre en vient même à fonctionner sur cette tension entre ouverture légendaire à l’épopée de la Toison d’or et clôture dramatique, âge d’or mythique et tragédie du héros, temps des récits et temps du théâtre. La structure narrative d’ensemble repose en effet sur le passage entre la Colchide mythique, sacrée, de Médée et la Corinthe tragique, profane, de Jason54. La première moitié est principalement consacrée au mythe de la Toison d’or qui constituait l’arrière-plan légendaire de la tragédie d’Euripide. Sous le tragique, Pasolini retrouve le mythique. C’est une partie largement muette qui met en scène la vie traditionnelle de Médée avant son départ avec Jason. L’histoire racontée par Pasolini renvoie autant aux développements romains de Sénèque et d’Ovide qu’à Euripide. Médée est jouée par Maria Callas, la diva grecque, la femme de l’artifice, de la parole chantée plutôt que dite. Pasolini fait de la chanteuse d’opéra une actrice de film presque muet, mais le contre-emploi se comprend : en deçà ou au-delà de la parole normale, technique, c’est toujours un autre monde que le nôtre qui est visé. À l’opposé de Maria Callas, il y a Giuseppe Gentile, l’acteur qui joue Jason. C’est un athlète, un champion de triple saut médaillé aux JO de 1968. Ce n’est pas un acteur. Il ne sait pas jouer. Devant Médée, il semble toujours un peu fat. Jason n’est pas une voix qui chante ou se tait, mais un corps qui bouge. Il ne maîtrise pas le sacré, mais le physique. Il est l’Italien, l’homme de la technique, l’homme d’après le mythe, en face de la Grecque.
Mais voici que, dans la seconde partie, la Grecque se retrouve en Italie… La tragédie stricto sensu commence en effet quand Jason emmène Médée à Corinthe, qui n’est autre que la Piazza dei Miracoli à Pise… Le spectateur passe des grottes de Cappadoce à un palais de la Renaissance. Le montage découpait les premières en autant de lieux du sacré ; pour le second, il va se faire plus transparent, synthétisant un espace en fait multiple : l’intérieur du palais est tourné en studio à Cinecittà ; l’extérieur, c’est-à-dire la cour du palais, avec son beau gazon égal, découpant rationnellement l’espace, est celui de la Piazza dei Miracoli ; de l’autre côté des remparts s’élève la maison de Médée, abandonnée par Jason : cette maison se trouve en réalité devant la citadelle d’Alep, en Syrie, comme un morceau de Colchide adossé à Corinthe ; enfin, l’arrière-plan de la maison, la mer qui s’étend en contrebas, est celle de Marechiare di Anzio, près de Rome. Pour la Colchide, Pasolini démultipliait un lieu unique ; pour Corinthe, il synthétise un lieu multiple. La caméra devient statique, soumise à un appauvrissement stylistique accompagnant l’appauvrissement du sacré. Des plans fixes filment en champs et contrechamps des dialogues aussi proliférants qu’ils étaient absents dans la première partie. Accompagnant Jason, Médée est passé du sacré au profane. Mais le passage inverse est-il possible ? Le dernier mot de Médée est pour dire que « plus rien n’est possible désormais ». Jason a appauvri le mythe jusqu’à la tragédie et Médée n’a pu que lui emboîter le pas en tuant ses enfants.
Comme Euripide et au contraire de Sénèque, Pasolini a choisi de garder la mort des enfants en hors-champ55 : Médée appelle un premier enfant, le berce, et le gros plan d’un poignard dit le reste ; elle appelle ensuite le second, et la mort une nouvelle fois a lieu en hors-champ, sans que même on entende un seul cri. Au début du film, il y a eu le sacrifice rituel d’un jeune homme, et là aussi, son meurtre s’est déroulé en hors-champ, sans cri. L’infanticide n’est pas monté ni montré comme un meurtre sauvage, mais comme un retour au sacrifice initial, la seule façon pour Médée de protéger ses enfants du monde profane qui advient. Jason accourt. Il parle à Médée en plongée prononcée, les yeux tournés vers le haut. Médée lui répond en contre-plongée, les yeux tournés vers le bas. Pasolini duplique la position des protagonistes dans la pièce d’Euripide : Médée en haut, sur le théologéion ; Jason en bas, devant la skénè. La différence est que la caméra ne fait jamais de plan d’ensemble, seulement des plans rapprochés sur Jason et Médée : c’est comme s’ils appartenaient désormais à deux mondes irréconciliables.
Que conclure de ce tour d’horizon ? Dans Ulisse, l’horreur du monstre Polyphème disparaît presque complètement, du champ comme des émotions du spectateur. Il ne reste plus grand-chose dès lors de l’idée du Cyclope comme monstre : après sa fuite, Ulysse paraît presque autant le regretter lui que sa terre natale. Dans Odissea, l’horreur est de nouveau bien présente, exacerbée par la mise en scène de Mario Bava. En même temps, c’est une horreur domptée, domestiquée : la série intègre un élément du cinéma d’horreur, mais le dépasse. Comme dans l’Odyssée, le monstre est ambigu, il sert à définir en profondeur, de manière complexe, ce qui constitue l’homme et son foyer. Avec les monstres tragiques comme Médée, le cinéma classique de genre est presque forcé de laisser la place au cinéma moderne d’auteur. La figure monstrueuse, encore extérieure pour les monstres épiques comme Polyphème, devient une figure de nous-mêmes jusqu’à se renverser quasiment en son contraire : Médée en vient à représenter une humanité dominée, se révoltant contre les monstres qui l’environnent, les hommes blancs occidentaux menaçant la condition féminine chez Dreyer, les peuples autochtones chez Pasolini ou encore l’enfant délaissé chez Trier. Au-delà ou en deçà du monstre eschatologique, le monstre antique, toujours proche de l’homme, permet de réinjecter de l’ambiguïté épique ou tragique dans le cinéma : on passe dès lors d’un cinéma de genre (avec les topoï du cinéma d’horreur ou d’aventure) à un cinéma d’auteur plus singulier, en marge, voire à une télévision renouvelant à la périphérie le langage audio-visuel.
Dans 2001: A Space Odyssey56 de Stanley Kubrick, un ordinateur nommé Hal supervise le vaisseau spatial Discovery One. À la fin, il se retourne contre les astronautes et supplie le dernier survivant de ne pas le débrancher, lui faisant même part de sa peur, comme s’il était un homme conscient. Or, Hal surveille le vaisseau grâce à un œil rouge, un œil rouge unique… Et le film, comme le livre d’Arthur C. Clarke57, est sous-titré « A Space Odyssey », « une odyssée de l’espace »… Hal n’apparaît-il pas dès lors comme un nouvel avatar de Polyphème ? N’est-il pas là, comme dans l’Odyssée d’Homère déjà, pour définir en creux ce qui fait l’homme et interroger en même temps l’ambiguïté de cette définition, non plus par rapport à l’animal ou au divin mais à l’informatique et à la robotique ?
[1] Voir Éric Dufour, Le Cinéma d’horreur et ses figures, Paris, Presses Universitaires de France, « Lignes d’art », 2006 ; Id., Les Monstres au cinéma, Paris, Armand Colin, 2009.
[2] É. Dufour, Le Cinéma d’horreur et ses figures, op. cit., p. 11.
[3] Stéphane Audeguy, Les Monstres. Si loin et si proches, Paris, Gallimard, « Découvertes », 2007, p. 26.
[4] Ibid.
[5] Voir Claude Kappler, Monstres, démons et merveilles à la fin du Moyen Âge, Paris, Payot, « Bibliothèque historique », 1980, p. 205-253.
[6] Voir Florence Dupont, Les Monstres de Sénèque, Paris, Belin, « L’Antiquité au présent », 1995 ; Belin, « Poche », 2011.
[7] F. Dupont, ibid. (2011), p. 68.
[8] Mario Camerini, Ulisse/Ulysses/Odyssey of Ulysses (Ulysse), Lux, Ponti, De Laurentiis – Paramount, IT/US, 1953.
[9] Hervé Dumont, L’Antiquité au cinéma : vérités, légendes et manipulations, Paris, Nouveau monde, 2009, p. 204.
[10] Ibid.
[11] Pour les informations contenues dans ce paragraphe, voir H. Dumont, ibid.
[12] Alberto Moravia, Il Disprezzo, Milano, Bompiani, 1954 ; Le Mépris, Claude Poncet (trad.), Paris, Flammarion, 1955 ; Flammarion, « GF », 1989.
[13] Jean-Luc Godard, Le Mépris/Il Disprezzo, Georges de Beauregard, Joseph E. Levine, Carlo Ponti – Rome/ Paris Film – Les Films Concordia – Compagnia Cinematografica Champion, FR/IT, 1963.
[14] La séquence se déroule de la trente-troisième à la cinquantième minute environ.
[15] Homère, Odyssée, IX, v. 288-290. Nous traduisons.
[16] Ibid., v. 105-566.
[17] Ibid., v. 403-414.
[18] Franco Rossi, Mario Bava et Piero Schivazappa, Odissea (dal Poema di Omero)/L’Odyssée/Die Odyssee/Avanturama Odiseja, Dino De Laurentiis – RAI – Jadran Film – ORTF – Bavaria – ZDF – ORF, IT/FR/DE/AT/YU, 8 épisodes, 1968-1970.
[19] Voir H. Dumont, L’Antiquité au cinéma, op. cit., p. 206.
[20] Ibid., p. 208.
[21] Frederico Fellini, Fellini Satyricon, P.E.A. (Alberto Grimaldi) – Artistes Associés, IT/FR, 1969.
[22] Roberto Rossellini, Socrate, RAI/ Orizzonte 2000 – ORTF – TVE, IT/FR/ES, 1970 ; Agostino d’Ippona (Saint Augustin), RAI, IT, 1972.
[23] Florence Dupont, Homère et Dallas : introduction à une critique anthropologique, Paris, Hachette, 1990.
[24] La séquence se situe au début du quatrième épisode, de la première à la trentième minute environ.
[25] Jean-Pierre Vernant, L’Univers, les Dieux, les Hommes, Paris, Seuil, 1999 ; Œuvres, I, Paris, Seuil, 2007, p. 77.
[26] Voir H. Dumont, L’Antiquité au cinéma, op. cit., p. 207.
[27] É. Dufour, Le Cinéma d’horreur et ses figures, op. cit., p. 31.
[28] Voir H. Dumont, L’Antiquité au cinéma, op. cit., p. 207.
[29] André Bazin, « Pour un cinéma impur, défense de l’adaptation », Esprit, janvier 1948, repris dans Qu’est-ce que le cinéma ?, Paris, Éditions du Cerf, 1975, 12e éd., 2000, p. 85.
[30] Pier Paolo Pasolini, Medea/Médée, Franco Rossellini – Pierre Kalfon – San Marco – Janus – Number One, IT/FR/DE, 1969.
[31] Voir H. Dumont, L’Antiquité au cinéma, op. cit., p. 127-177 ; Kenneth MacKinnon, Greek tragedy into film, London, Croom Helm, 1986.
[32] William Morris, The Life and Death of Jason. A Poem, London, Bell and Daldy, 1867.
[33] Don Chaffey et Ray Harryhausen, Jason and the Argonauts (Jason et les Argonautes), Morningside Worldwide Pictures – Charles H. Schneer – Columbia, GB/US, 1963.
[34] Voir Ian Christie, « Between magic and realism: Medea on film », Medea in performance: 1500‑-2000, Edith Hall, Fiona Macintosh et Oliver Taplin (éd.), Oxford, Oxford University Press, 2000, p. 144-165.
[35] Euripide, Hippolyte ; Sénèque, Médée.
[36] Carl Theodor Dreyer, Réflexions sur mon métier, Paris, Cahiers du cinéma, « Petite bibliothèque », 1997, p. 137.
[37] Maurice Drouzy, « Une mère en furie », in Carl Theodor Dreyer, Jésus de Nazareth ; Médée, Maurice Drouzy (éd. et trad.), Paris, Éditions du Cerf, « 7e art », 1986, p. 241-250.
[38] Carl Theodor Dreyer, Réflexions sur mon métier, op. cit., p. 140.
[39] Jean Sémolué, Carl Th. Dreyer. Le mystère du vrai, Paris, Cahiers du cinéma, « Auteurs », 2005, p. 144.
[40] Sören Kierkegaard, Enten‑Eller, Kjöbenhavn, Reitzel, 1843 ; Ou bien… ou bien, trad. Paul-Henri Tisseau, revue par Else-Marie Jacquet-Tisseau, dans Ou bien… ou bien, La Reprise, Stades sur le chemin de la vie, La Maladie à la mort, Régis Boyer (éd.), Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1993, p. 142.
[41] Voir F. Dupont, Les Monstres de Sénèque, op. cit.
[42] Carl Theodor Dreyer, Jésus de Nazareth ; Médée, Maurice Drouzy (éd. et trad.), op. cit., p. 270-275.
[43] C. T. Dreyer, ibid., p. 271.
[44] Véronique Tacquin, « Sur Dreyer et le neutre. De Jeanne d’Arc à Gertrud ou de la mystique à la momie », Cinergon, 6/7, 1998-1999, p. 77.
[45] Ibid., p. 78.
[46] C. T. Dreyer, Jésus de Nazareth ; Médée, op. cit., p. 272.
[47] Lars von Trier [d’après un scénario de Carl Theodor Dreyer], Medea, Bo Lech Fischer – Danmarks Radio – Sveriges Television, SE/DK, 1987.
[48] Stig Björkman, Entretiens avec Lars von Trier, Paris, Cahiers du Cinéma, 2000, p. 121.
[49] Ibid.
[50] La séquence se déroule de la soixantième à la soixante-dixième minute environ.
[51] S. Björkman, Entretiens avec Lars von Trier, op. cit., p. 118.
[52] Pier Paolo Pasolini, Edipo re (Œdipe roi), Alfredo Bini – Arco Film – Somafis, IT/MA, 1967.
[53] Pier Paolo Pasolini, Appunti per un’Orestiade africana, Gian Vittorio Baldi – I Film Dell'Orso – IDI Cinematografica – Radiotelevisione Italiana, IT, 1970.
[54] Voir Céline Gailleurd, « Médée, les dernières vibrations du sacré », L’Avant-Scène Cinéma, 573, 2008, p. 3-6.
[55] La séquence se déroule de la centième à la cent-cinquième minute.
[56] Stanley Kubrick, 2001: A Space Odyssey (2001, l’Odyssée de l’espace), Metro-Goldwyn-Mayer – Stanley Kubrick Productions, UK/US, 1968.
[57] Arthur C. Clarke, 2001: A Space Odyssey, New York, New American Library, 1968.
Résumé
Si les monstres de la mythologie gréco-romaine ne respectent pas le schéma apocalyptique à l’œuvre dans nombre de films catastrophes, ils permettent en revanche au cinéma et à la télévision d’introduire une ambiguïté plus profonde dans leur traitement de la monstruosité : les monstres épiques, tel le cyclope Polyphème, donnent à représenter l’instabilité de la limite entre l’humain et l’inhumain, instabilité poussée jusqu’au renversement de perspective avec les monstres tragiques comme Médée, qui en viennent à incarner ce que le monstre peut avoir de plus humain que l’humain qui le persécute… Les monstres antiques peuvent ainsi participer d’une remise en cause des modèles génériques stéréotypés au profit du cinéma d’auteur ou d’une télévision renouvelant aux marges le langage audio‑visuel.
Polyphème et le monstre de genre
Médée et le monstre d’auteur
Vivien BESSIÈRES
Université de Limoges, CeReS (EA 3648)
Sources
Camerini, Mario, Ulisse/Ulysses/Odyssey of Ulysses (Ulysse), Lux, Ponti, De Laurentiis – Paramount, IT/US, 1953.
Chaffey, Don et Harryhausen, Ray, Jason and the Argonauts (Jason et les Argonautes), Morningside Worldwide Pictures – Charles H. Schneer – Columbia, GB/US, 1963.
Clarke, Arthur C., 2001: A Space Odyssey, New York, New American Library, 1968.
Dreyer, Karl Theodor, Jésus de Nazareth ; Médée, Paris, Éditions du Cerf, « 7e art , 1986.
—, Réflexions sur mon métier, Paris, Cahiers du cinéma, « Petite bibliothèque », 1997.
Fellini, Frederico, Fellini Satyricon, P.E.A. (Alberto Grimaldi) – Artistes Associés, IT/FR, 1969.
Godard, Jean-Luc, Le Mépris/Il Disprezzo, Georges de Beauregard, Joseph E. Levine, Carlo Ponti – Rome/ Paris Film – Les Films Concordia – Compagnia Cinematografica Champion, FR/IT, 1963.
Kierkegaard, Sören, Enten‑Eller, Kjöbenhavn, Reitzel, 1843 ; Ou bien… ou bien, trad. Paul-Henri Tisseau, revue par Else-Marie Jacquet-Tisseau, dans Ou bien… ou bien, La Reprise, Stades sur le chemin de la vie, La Maladie à la mort, Régis Boyer (éd.), Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1993.
Kubrick, Stanley, 2001: A Space Odyssey (2001, l’Odyssée de l’espace), Metro-Goldwyn-Mayer – Stanley Kubrick Productions, UK/US, 1968.
Moravia, Alberto, Il Disprezzo, Milano, Bompiani, 1954 ; Le Mépris, Claude Poncet (trad.), Paris, Flammarion, 1955 ; Flammarion, « GF », 1989.
Morris, William, The Life and Death of Jason. A Poem, London, Bell and Daldy, 1867.
Pasolini, Pier Paolo, Edipo re (Œdipe roi), Alfredo BINI – Arco Film – Somafis, IT/MA, 1967.
—, Medea/Médée, Franco Rossellini – Pierre Kalfon – San Marco – Janus – Number One, IT/FR/DE, 1969.
—, Appunti per un’Orestiade africana, Gian Vittorio Baldi – I Film Dell’Orso – IDI Cinematografica – Radiotelevisione Italiana, IT, 1970.
Rossellini, Roberto, Socrate, RAI/Orizzonte 2000 – ORTF – TVE, IT/FR/ES, 1970.
—, Agostino d’Ippona (Saint Augustin), RAI, IT, 1972.
Rossi, Franco, BAVA, Mario et Schivazappa, Piero, Odissea (dal Poema di Omero)/L’Odyssée/Die Odyssee/Avanturama Odiseja, Dino De Laurentiis – RAI – Jadran Film – ORTF – Bavaria – ZDF – ORF, IT/FR/DE/AT/YU, 8 épisodes, 1968-1970.
Trier, Lars von [d’après un scénario de Carl Theodor Dreyer], Medea, Bo Lech Fischer – Danmarks Radio – Sveriges Television, SE/DK, 1987.
Critique
Audeguy, Stéphane, Les Monstres. Si loin et si proches, Paris, Gallimard, « Découvertes », 2007.
Bazin, André, « Pour un cinéma impur, défense de l’adaptation », Esprit, janvier 1948, repris dans Qu’est-ce que le cinéma ?, Paris, Éditions du Cerf, 1975, 12e éd., 2000.
Björkman, Stig, Entretiens avec Lars von Trier, Paris, Cahiers du Cinéma, 2000.
Christie, Ian, « Between magic and realism: Medea on film », in Edith Hall, Fiona Macintosh et Oliver Taplin (éd.), Medea in performance: 1500‑-2000, Oxford, Oxford University Press, 2000, p. 144-165.
Drouzy, Maurice, « Une mère en furie », in Carl Theodor Dreyer, Jésus de Nazareth ; Médée, Maurice Drouzy (éd. et trad.), Paris, Éditions du Cerf, « 7e art », 1986, p. 241-250.
Dufour, Éric, Le Cinéma d’horreur et ses figures, Paris, Presses Universitaires de France, « Lignes d’art », 2006.
—, Les Monstres au cinéma, Paris, Armand Colin, 2009.
Dumont, Hervé, L’Antiquité au cinéma : vérités, légendes et manipulations, Paris, Nouveau monde, 2009.
Dupont, Florence, Homère et Dallas : introduction à une critique anthropologique, Paris, Hachette, 1990.
—, Les Monstres de Sénèque, Paris, Belin, « L’Antiquité au présent », 1995 ; Belin, « Poche », 2011.
Gailleurd, Céline, « Médée, les dernières vibrations du sacré », L’Avant-Scène Cinéma, 573, 2008, p. 3-6.
Kappler, Claude, Monstres, démons et merveilles à la fin du Moyen Âge, Paris, Payot, « Bibliothèque historique », 1980.
MacKinnon, Kenneth, Greek tragedy into film, London, Croom Helm, 1986.
Sémolué, Jean, Carl Th. Dreyer. Le mystère du vrai, Paris, Cahiers du cinéma, « Auteurs », 2005.
Tacquin, Véronique, « Sur Dreyer et le neutre. De Jeanne d’Arc à Gertrud ou de la mystique à la momie », Cinergon, 6/7, 1998-1999.
Vernant, Jean-Pierre, L’Univers, les Dieux, les Hommes, Paris, Seuil, 1999.
—, Œuvres, Paris, Seuil, t. I, 2007.