À l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de la publication de En el último azul de Carme Riera, en 2019, traduit du catalan au castillan en 1995 par la romancière elle-même, la prestigieuse maison d’édition espagnole Alfaguara a demandé à Antonio Muñoz Molina d’ajouter un prologue au roman. De façon intéressante, l’écrivain espagnol affirme que dès le début de la lecture, on perçoit l’ombre de Cervantès1. Le célèbre auteur du Quichotte, devenu ainsi marque de fabrique, semble synthétiser à lui seul tout l’esprit du Siècle d’or espagnol. Le rapprochement offre un raccourci prodigieusement efficace : depuis la hauteur de l’autorité littéraire universellement reconnue, Muñoz Molina cautionne la qualité littéraire d’un roman qui, à la lecture, rend bien justice à la culture espagnole du règne de Charles II, et plus largement aux grands aspects de la civilisation espagnole classique, mais sans pour autant s’inscrire, en particulier et de façon exclusive, dans le sillage de l’écriture de l’auteur du Quichotte. On le comprend, la formule utilise une « marque littéraire » dans une logique commerciale, car il faut bien faire de ce propos liminaire, à la signature elle-même prestigieuse, un espace de promotion d’une œuvre dont le sujet peut rebuter les lecteurs en quête d’exigence formelle y compris dans le divertissement. On sait comme ce genre romanesque, souvent relégué au sous-genre, peut inspirer à tort la défiance, voire le rejet de la part des défenseurs d’une littérature purement fictionnelle basée sur des constructions de l’imaginaire et de la fantaisie singulière au moyen d’une écriture affranchie des sources du passé. Avec le soutien canonique de l’incontournable et universel modèle auriséculaire, il devient possible de contourner l’idée reçue d’une hiérarchie des genres en reconnaissant au roman historique, et en l’occurrence à En el último azul sa pleine légitimité littéraire.
Mais dans le cas d’Antonio Muñoz Molina, auteur lui-même de grands romans historiques, la visée profonde se révèle sans doute toute autre : la convocation de « l’ombre de Cervantes » vient applaudir l’inventivité romanesque de Carme Riera qui parvient à réactiver des exploits littéraires du passé faisant du roman historique une belle occasion de se remémorer l’histoire de son genre, dans une composition écrite savamment orchestrée par la fantaisie et la solide connaissance du passé. En el último azul a connu un grand succès public. Outre ses multiples traductions, notamment en français par Anne Charlon et Jennifer Houdiard2, sous le titre Vers l’azur infini, il reçut plusieurs prix prestigieux tels que le Nacional de Narrativa (attribué pour la première fois à un roman catalan), le prix Josep Pla, le prix Joan Crexells, le prix Lletra d’Ors et le prix Vittorini du meilleur roman étranger en Italie.
Ces multiples reconnaissances interrogent sur les raisons d’un tel engouement national – et même international – pour un thème qui appartient au passé, pour une histoire mettant en scène une communauté dans le territoire très restreint de Palma de Majorque. Autant de questions qui amènent à réfléchir sur les motivations de la romancière dans son projet littéraire et à tenter de comprendre l’intérêt que sa lecture peut susciter chez les lecteurs contemporains au-delà du plaisir qu’elle procure. Ainsi, dans ce cadre d’une réflexion menée sur la quête d’identité et sur la reconstitution de l’histoire nationale dans le roman historique, je dégagerai la matière historique dont se saisit Carme Riera afin de questionner l’identité non seulement des Majorquins, dont elle fait elle-même partie, mais également de tous les Espagnols. Ces analyses permettront à la fois de comprendre l’ancrage du propos fictionnel dans le temps présent et de mesurer sa portée humaniste et universelle.
Dans son discours d’entrée à la Real Academia Española de la Lengua en 2012, Carme Riera choisit de parler des relations de voyage, une thématique qui lui est chère et qui traverse toute son œuvre, dont on perçoit le goût de l’ailleurs et de l’autre dans ses deux romans historiques En el último azul et Por el cielo y más allá publié chez Alfaguara en 20003.
La structure narrative de En el último azul s’articule en effet autour du voyage que rêve de faire une partie de la communauté judéo-converse de Palma de Majorque dans la seconde moitié du XVIIe siècle. L’histoire se déroule dans un espace insulaire faisant de la mer une frontière avec le monde extérieur que les uns franchissent dans un sens ou dans l’autre, en empruntant notamment les routes maritimes, et que les autres regardent avec envie dans l’attente de pouvoir un jour la traverser à leur tour.
Le début de l’intrigue entraîne le lecteur dans le vif de l’action en l’amenant à suivre les pas du jeune marin portugais João Peres qui, en pleine nuit, dans une rue du quartier juif de Palma de Majorque, cherche la maison où le capitaine Harts lui raconta avoir vécu une expérience sensuelle inoubliable avec une beauté inconnue, comme sortie des Mille et une nuits, dont on apprendra, à la fin du roman, qu’elle parvint à trouver refuge à Livourne, dans les terres italiennes, grâce à la fuite organisée sur le bateau dudit capitaine. Cet épisode de fuite remontant à une dizaine d’années auparavant sera rappelé de façon récurrente tout au long du récit car, l’último azul, tel un phare dans l’obscurantisme régnant, nourrit l’espoir des crypto-judaïsants majorquins, ces « autres » référés plus haut, d’accéder à leur tour à la voie maritime de la liberté. Au second chapitre, la narration omnisciente amorce l’histoire de cette communauté menacée dans son existence par l’un des leurs, Rafael Cortés, surnommé Costura, un orfèvre sincèrement converti au catholicisme, dont la cupidité et l’ambition guident les actes malveillants. Agissant en espion de son confesseur le père Ferrando, il dénonce par écrit la pratique occulte de ses anciens coreligionnaires provoquant ainsi leur tentative d’évasion sous l’autorité du rabbin Gabriel Valls. Des circonstances météorologiques malheureuses, combinées à une dénonciation involontaire d’une vieille femme sénile, empêchent le succès de l’entreprise en alertant les autorités civiles. Les fugitifs sont emprisonnés, spoliés de leurs biens, torturés et finalement condamnés à mort. L’ensemble du récit se structure autour de cette fuite organisée depuis Livourne par le marchand Pere Onofre Aguiló aidé de Blanca María Pires, installée sur cette « Terre promise » depuis l’embarquement réussi dix ans plus tôt.
La première partie du roman consacre 149 pages à la description de la communauté et de ses liens avec la population vieille chrétienne de l’île. C’est sans conteste la partie la plus agréable à lire, celle où la beauté de l’écriture de Carme Riera se met au service de la restitution d’une société invisible avec des personnages hauts en couleur dont on découvre les pratiques culturelles et religieuses cachées dans l’espace fermé et surveillé de la Calle. La deuxième partie, un peu plus brève, se centre, 96 pages durant, sur le voyage avorté. On y comprend comment Gabriel Valls convainc ses compagnons d’atteindre Livourne où les juifs peuvent vivre leur religion en plein jour dans une projection œcuménique idéalisée depuis une Espagne intolérante, fermée, autoritaire et cruelle à leur égard. La troisième partie, toute en tensions, déroule sur 135 pages l’emprisonnement des voyageurs dans la Casa Negra, le palais majorquin de l’Inquisition. À la douceur savoureuse et lumineuse de la première partie se substituent les ténèbres du fanatisme religieux. Enfermés, maltraités puis torturés, les 67 juifs sont jugés puis condamnés. Parmi eux, 60 sont réconciliés c’est-à-dire qu’après avoir reconnu l’erreur dont ils sont accusés, ils « bénéficient » de la mort par garrot avant d’être brûlés en place publique, et 7 sont condamnés à mourir directement sur le bûcher por haber querido mantenerse renegado y no aceptar nuestra santa religión. Le protagoniste Gabriel Valls fait partie des irréductibles. Il meurt persuadé qu’Adonaï le tient pour responsable de la mort de ceux qu’il a convaincus de prendre le large. Le dénouement tragique plonge le lecteur dans l’effroi. Si Carme Riera n’a pas jugé utile de donner à voir le spectacle institutionnel des autodafés alors qu’elle décrit la ferveur civile et religieuse qui accompagne les préparatifs, c’est sans doute pour épargner le lecteur déjà éprouvé par une narration où la montée en puissance dramatique tisse la toile d’un monde tristement dévoyé, déshumanisé. Quel besoin aurait-elle eu en outre de recréer ce qu’en son temps Francisco Garau, dans sa grande complaisance, s’est efforcé de relater dans les moindres détails dans une relation qui fut bien diffusée et se trouve aujourd’hui en accès libre sur internet ? L’Histoire ici se suffit à elle-même et la transposition fictionnelle de l’événement n’apporterait rien à un récit s’achevant sur l’annonce des condamnations et des exécutions publiques attendues avec impatience par la foule anonyme des Majorquins qui, animée par la haine et assoiffée de vengeance, aboie avec les loups.
Le roman se clôt de manière circulaire en mettant à nouveau en scène le marin João Peres, présent à l’ouverture du récit, venu rendre visite à Sebastià Palou, neveu du vice-roi déchu qui lui explique qu’il arrive trop tard pour tenter de sauver les condamnés. Lui-même, au nom de son amitié pour le marchand Pere Onofre Aguiló et Blanca María Pires a vainement essayé d’acheter les vies de Valls et de quelques-uns de ses proches. De même que l’argent envoyé de Livourne par ces deux personnages ne pourra rien changer au destin funeste des juifs de Majorque et de tous ceux qui, y compris parmi les vieux chrétiens, pleurent leur mort prochaine. En effet, la tragédie ne concerne pas seulement les protagonistes de l’histoire mais également l’ensemble de la société, marquée à tout jamais.
Pour écrire cette « historical metafiction », selon l’expression de Linda Hutcheon4, Carme Riera nous explique en note postliminaire qu’elle a consulté divers fonds d’archives, lu la bibliographie historique sur le sujet et pris conseil auprès de « spécialistes » pour s’approcher au mieux de cette période noire de l’histoire majorquine comprise entre 1687 et 16915. Au terme de quatre années d’enquêtes suivies de procès, les autorités religieuses et civiles organisèrent quatre autodafés6 dont nous avons connaissance grâce à la relation intitulée Fe triunfante7. Son auteur, le jésuite Francisco Garau apparaît sous le nom du père Amengual dans la fiction, occupé pendant toutes ces années à écrire la Vida de sor Noreta que l’épouse du vice-roi lui a commandée. Carme Riera précise en outre que ces éléments historiques posent le cadre de son histoire et inspirent très largement les personnages et la description de la vie, des coutumes, de la culture ainsi que des croyances et des pratiques religieuses des juifs convertis. Néanmoins, elle tient à revendiquer la part d’invention qui légitime la définition romanesque de son récit. À la vérité historique, elle mêle la vraisemblance de la fiction dans un équilibre subtil :
He cambiado nombres, apellidos y apodos aposta, para señalar así que mi libro no es historia sino ficción. En los dominios de la historia ningún material debe ser manipulado; en el de la novela, por muy histórica que sea, mientras se mantenga la verosimilitud, la verdad de cohesión, todo es válido y, en consecuencia, legítimo8.
Ainsi assume-t-elle pleinement ses choix d’éclairer certains aspects de la réalité historique plutôt que d’autres, de raccourcir et d’accélérer le temps de la narration au profit du suspense et du plaisir de lecture. Dans la lignée d’une production romanesque post-moderne, son attachement à raconter une histoire l’emporte sur la volonté clairement idéologique de participer à une littérature de combat dans un espace culturel dont elle est elle-même originaire9.
Pour aborder la question de l’identité des Majorquins mis en scène dans En el último azul, Carme Riera se focalise sur certains personnages au détriment d’autres secondaires dont la caractérisation se limite le plus souvent à une dimension fonctionnelle dans la trame narrative. Sa fabrication des personnages dénote une attention constante à ne pas tomber dans le stéréotype au point que certains d’entre eux sont habités par le doute et même l’ambivalence. C’est le cas de Gabriel Valls qui, au terme d’un long processus de déconstruction personnelle, en vient à se dénoncer lui-même comme l’auteur de la tentative de fuite. On est loin alors du patriarche charismatique de la première partie qui tenait des réunions secrètes dans son jardin pour y enseigner la loi sacrée. La conviction de suivre la volonté de Dieu s’étiole à la faveur du questionnement sur lui-même, sur sa capacité à mener son peuple vers la lumière. L’échec du voyage le fait s’interroger sur le choix d’Adonaï de les abandonner au moment où ils avaient le plus besoin de sa protection :
¿Por qué?... ¿Por qué? […] Y si fuera verdad que Adonay solo existiera en la tozudez de su pueblo y Dios Padre en la misma tozudez de sus enemigos? Si fuésemos hombres antes que cristianos o judíos, si nos sintiésemos como tales, nos respetaríamos en lugar de aniquilarnos y viviríamos en paz. Pero ¿está dispuesto él a renunciar a las creencias que hasta ahora han dado sentido a su vida y le han hecho ser respetado por la comunidad, por encima, incluso, de todos los demás? No; o quizá sí, pero solo para salvar a su hijo de las iras de Elohim, de las iras de Dios Padre10.
Ces questionnements que Gabriel Valls exprime au plus profond de soi, dans un moment de grande solitude et d’égarement religieux, révèlent par la réponse à la dernière question l’attachement ontologique à la vérité de la loi divine. Car celle-ci constitue son identité sociale et morale, elle fait converger sa vocation intérieure avec son engagement auprès des siens et donne toute sa cohérence à son existence. Par le détour du doute, le rabbin en vient à réaffirmer ce qui l’identifie. Lorsque la voix narrative annonce la condamnation de son fils, on comprend que rien ne pourra le dévoyer de son chemin et qu’il préférera être brûlé vif plutôt que de renoncer à ce qu’il est. Son sacrifice final le réhabilite entièrement. La foi inébranlable en la justice d’Adonaï parvient à le maintenir dans une dimension exemplaire. Loin de l’aliénation que cherchent à provoquer les oppresseurs dans une humiliation croissante depuis l’arrestation jusqu’au procès, il garde son intégrité, il reste fidèle à lui-même et aux siens en sauvant l’honneur déchu de tous les persécutés.
La finesse psychologique dont fait preuve Carme Riera n’est pas réservée aux victimes, elle gratifie également certains personnages de l’autre camp de scrupules face à la situation. Loin de toute vision manichéenne qui affaiblirait le propos général et la vraisemblance de la reconstitution historique, la romancière montre la complexité des enjeux sociaux et économiques. Pour exemple, il suffit de voir l’embarras - voire le mécontentement - que provoque la nouvelle de l’arrestation collective : le gouverneur de la prison s’adresse à Gabriel Valls en ces termes :
Os traigo una buena noticia […]. Me han dicho de muy buena fuente que el Virrey y el presidente del Gran i General Consell han dirigido un memorial al Rey quejándose de vuestro apresamiento y de las confiscaciones que pueden causar la ruina de Mallorca11.
L’arrestation des partenaires économiques de la ville menace la stabilité marchande de l’ensemble du royaume. En plus des conséquences dramatiques que cela peut entraîner, il en va de la réputation des autorités locales. Le vice-roi tentera en vain de défendre la cause des convertis de Majorque auprès de Charles II. En l’absence de ses meilleurs conseillers, rapporte-t-il, aucune décision n’est prise pour contrecarrer l’autorité de la curie qui, depuis la chaire, dénonce et admoneste durement et ouvertement la complicité des civils, et surtout du vice-roi, dans la tentative de fuite des « falsos cristianos »12. Les enjeux de pouvoir se révèlent dans les réseaux clientélistes et les luttes de préséance au sein de la société majorquine. L’île semble offrir à une échelle locale, ce que traverse l’Espagne à l’échelle de la Monarchie hispanique : le spectacle d’une société viciée, enfermée dans ses logiques de fonctionnement délétères qui l’éloignent d’un modèle d’harmonie heureuse tel que Livourne la projette.
Armée d’une profonde connaissance des forces qui travaillaient les réseaux sociaux de l’époque, Carme Riera dessine les traits de ses personnages sans jamais tomber dans l’invraisemblance historique. La cupidité dont fait preuve Costura à l’heure de dénoncer les siens est tout aussi vraisemblable que l’ambition qui pousse le père Ferrando à exiger de lui des preuves écrites de sa dénonciation afin de gagner la reconnaissance de ses supérieurs hiérarchiques et obtenir ainsi le poste de recteur du collège du Montesión. Une charge que convoite, tout autant que lui, son frère jésuite le père Amengual, double fictionnel du jésuite Francisco Garau, également qualificateur du Saint-Office et recteur dudit collège. La concurrence des deux compagnons sur le même poste tourne en ridicule les faits et gestes des deux personnages dans leurs courses aux bons points. L’intéressement et la médiocrité du père Ferrando n’a d’égal que la vanité boursoufflée du père Amengual qui, jusque dans la cellule pestilentielle de Gabriel Valls, s’enorgueillit des prouesses de sa plume et savoure, à l’avance, l’idée qu’il a lui-même formulée auprès de l’Inquisiteur d’inspirer la conversion du guide spirituel d’une communauté juive qui peu à peu lâche prise sous les assauts inquisitoriaux.
El hecho de que Valls se convirtiera gracias al Triunfo de la Fe sería para él el mejor regalo que jamás Dios Nuestro Señor podría otorgarle, exceptuando el cargo de rector13.
L’ironie finale cantonne les deux personnages dans la petitesse de leur fatuité avec l’annonce que le poste a été attribué à quelqu’un d’autre. Carme Riera préfère contourner ici la vérité historique pour augmenter la dimension tristement comique de ces deux pantins, pris dans une pantomime générale où l’esprit humain semble avoir déserté. Si le manque de profondeur de ces personnages les fait passer pour des collaborateurs de la persécution des juifs, le personnage de l’Inquisiteur qui a la charge de juge au procès, en revanche, est glaçante car elle témoigne du racisme ambiant enraciné non seulement dans un sentiment de supériorité étayé à tous les niveaux du pouvoir institutionnel espagnol, mais également dans une vision religieuse extrêmement fermée où l’autre est irréductiblement associé à l’ennemi.
Dans cette galerie de personnages qui s’anime sous nos yeux, Carme Riera augmente encore le degré de vraisemblance des protagonistes en nous laissant accéder à leurs pensées. Au gré de nombreux passages en italiques, la voix narrative s’efface pour laisser la parole aux uns et aux autres. Si cela permet de comprendre la duplicité et même l’hypocrisie de certains personnages, ce procédé permet surtout de nous rapprocher d’eux, de nous identifier à leurs tourments. Comprendre leurs motivations profondes, connaître leurs sentiments et leur vision du monde nous les rend plus réels. Leur épaisseur humaine gagne à la connaissance de leur for intérieur et nous permet de mieux sonder leur identité. Car, comprendre ce que ressentent les opprimés, qu’ils soient juifs ou esclaves maures, fonde l’éthos de ce roman. Les traits communs qu’on leur attribue, en plus de la suspicion religieuse avec laquelle on les regarde, relèvent du mensonge et de la trahison. Par essence, ils incarnent le mal aux yeux des Chrétiens et méritent d’être collectivement soumis. L’injustice de leur traitement nous apparaît d’autant plus visible que nous avons accès à l’envers de leur parole publique, à ce que les représentants de l’autorité ne sauraient entendre ni reconnaître. Le champ lexical de la vision domine le texte, il faut dire que les préjugés à la fois personnels et officiels avec lesquels les uns regardent les autres rendent impossible toute communication ouverte. Le regard condamne l’autre sans même prendre la peine d’essayer de le comprendre, d’où une société profondément divisée et brutale dans ses représentations et ses actes.
L’espace insulaire de Majorque permet d’assumer un discours à différentes échelles. Le roman reproduit la vie du microcosme local dont on devine aisément qu’il est le reflet fidèle de ce que l’Espagne vit au même moment sur le plan « national ». Les études sur le pouvoir et l’Inquisition, sur les minorités religieuses non seulement juives mais également musulmanes, sans compter celles de plus en plus nombreuses sur les femmes, ont contribué à augmenter notre connaissance de la mécanique de répression de l’Espagne dite « moderne ». Malgré une plus grande prise en compte des identités minoritaires dans la Monarchie hispanique, et de la conscience actuelle d’un substrat culturel dominant dans l’observation du passé, le prisme de l’historiographie promeut une appréhension des réalités abordées depuis des cadres de pensée construits par le pouvoir catholique. En effet, l’histoire s’écrit avec les traces que le temps a conservées et prend appui, le plus souvent encore, sur un prisme élitaire, depuis l’espace social et idéologique de celui qui a la possibilité de s’inscrire officiellement à la surface du passé. Ce processus d’écriture historique est lui-même interrogé dans le roman car selon les motivations qui en sont à l’origine, les discours prennent des orientations différentes14. Que ce soit le chroniqueur de la ville, Bartomeu Angelat, ou le père Amengual, chacun utilise la plume pour servir un objectif donné, leur écriture est instrumentalisée à des fins matérielles clairement énoncées. Leur démarche interroge l’écriture de l’histoire, le traitement des sources qui nous servent aujourd’hui encore à accéder aux périodes révolues de notre histoire collective. Même si ces questionnements épistémologiques structurent notre regard rétrospectif et nous invitent constamment à avancer avec prudence, en prenant en compte ces paramètres d’évaluation de l’émission et de la réception des discours, il convient de rappeler que Carme Riera s’adresse ici au grand public, non averti sur le plan de l’analyse scientifique. Aussi, cette mise en perspective de l’impossible vérité des discours officiels lui permet-elle de valoriser l’absolue sincérité des discours officieux. Les mots de ses personnages opprimés acquièrent d’autant plus d’authenticité et de force qu’ils ne sont pas audibles, qu’ils restent murés dans l’intériorité de leur conscience. L’enfermement auquel sont contraints les victimes de la Calle, dans les geôles inquisitoriales, n’est que le triste prolongement d’un enfermement que les juifs subissent déjà depuis leur conversion forcée. La prison du corps trouve son écho dans les espaces fermés du ghetto, puis de la ville, prise elle-même dans les limites physiques de l’île, rendant d’autant plus compréhensible le désir d’exil. La libération de soi passe alors par celle de la parole. Gabriel Valls en a parfaitement conscience, lui qui décide de parler, de se dévoiler, de livrer sa vérité au juge inquisitorial. Son exil vers la liberté se fera dans la mort à l’inverse des réconciliés qui meurent bâillonnés dans le mensonge de leur repentir.
Carme Riera participe de cette geste historienne de quête d’un passé immergé dans les profondeurs de la mémoire collective. L’épaisseur des couches de sédiments historiques rend difficile l’approche souterraine, c’est pourquoi il faut parfois avoir recours à l’imagination pour combler la rareté informative induite par la béance documentaire. Sait-on vraiment ce que pensaient les judéo-convers en dehors des paroles lâchées sous la contrainte inquisitoriale ? Comment vivaient-ils dans un système de contrôle qui leur interdisait d’assumer pleinement leur identité ? Si le degré d’intégration de la censure catholique variait selon les situations individuelles et selon les statuts sociaux, obligeant chacun à composer de manière plus ou moins élaborée avec les règles de comportement collectif qui lui étaient imposées, il n’en reste aucun vestige. Aucune source, sinon celle de la répression, ne nous permet d’accéder clairement à la voix de ces condamnés au silence.
C’est encore par le personnage de Gabriel Valls que Carme Riera nous livre l’introspection la plus efficace à nous faire entendre une identité muselée depuis plusieurs siècles. L’écriture sonde la conscience du rabbin pour ramener à la surface de notre connaissance le fondement d’une identité bafouée. Ainsi devient-il également notre guide dans la nuit de la méconnaissance ou pire de l’ignorance.
L’île de Majorque est présentée dans ce sens comme l’ancienne Terre promise, celle où la tolérance religieuse autorisait une société multiculturelle et religieuse :
Por eso, si a alguien pertenecía esta tierra, esta isla querida, un pequeño paraíso surgido como un milagro en medio del mar, reino cerrado como Arca de Alianza, Tierra de Promisión, la única Tierra de Promisión posible, como aseguraba su padre en los momentos más bajos, era a ellos, a los judíos, y también a aquellos que se llamaban Bennàsser, Arrom, Alomar, Aimerich, Maimó, aunque todos los que conocía con estos apellidos le mirarían como a un demente y le obligarían a callar a las malas, si se atreviera a decirles que podían sentirse orgullosos de descender de los moros, de moros honrados, gentes de paz y no de piratas […] No de los moracos, sino de los que eran señores de esta tierras, señores que señoreaban esta tierra, los moros que les permitieron vivir en paz y practicar su religión durante tantos años. Pero nunca más volverá a insinuar nada de todo esto a nadie que se llame Benàsser o Arron, o Massutí, o Aimerich, por muy amigo que pueda ser, por mucho afecto que le tenga y crea que la confidencia habrá de unirles más, al pensar en un pasado común mucho más glorioso que los tiempos en que les había tocado vivir15.
Si le présent des juifs est condamné, leur passé l’est tout autant. Par la censure que la communauté s’impose elle aussi à elle-même, dans une soumission complète aux injonctions catholiques, c’est l’identité qui est niée. En attentant au chapitre de leur histoire concernant le peuplement de leur île, les chrétiens Majorquins renoncent à une histoire qui a contribué à façonner leur identité. Il est temps de reconquérir cette vérité fondatrice, cette connaissance de soi et des autres sans laquelle tous les Majorquins ne peuvent vivre pleinement ensemble16.
La motivation première de Carme Riera est de récupérer, par la fiction romanesque, un pan d’Histoire douloureux et ainsi demander pardon aux descendants des juifs persécutés presque exactement 400 ans plus tôt. Elle s’en explique dans une note finale :
En el último azul no tiene, aunque pueda parecerlo, ninguna intención polémica. No pretende hurgar en viejas heridas ni abrir tampoco otras nuevas, haciendo referencia a la intolerancia de buena parte de la sociedad mallorquina contra un grupo de mallorquines de procedencia judía, ya que quizá aún peores que los hechos de 1691 fueron sus trágicas consecuencias, que marginaron y humillaron durante siglos hasta hoy mismo a los descendientes de aquellos mártires judíos quemados en los autos de fe. A todos ellos, me parece que los mallorquines de buena voluntad debemos pedir perdón. Esa es también una de las motivaciones de la novela. Barcelona 10 de enero de 199417.
Carme Riera se refuse ici à employer le terme Chuetas qui sert d’ordinaire à désigner les descendants des quinze condamnés du dernier autodafé de 1691 dont les noms ont marqué pendant plusieurs siècles les lignages familiaux du signe de l’infamie. Même si le terme a été banalisé dans la langue majorquine, il n’en demeure pas moins, par l’origine de son signifié « porc », une insulte contre les descendants des juifs condamnés au XVIIe siècle. Rappelons à cet égard que jusqu’à leur destruction en 1813, les sambenitos indiquant les noms des condamnés qui les portaient étaient exposés à la vue de tous les chrétiens dans le cloître de l’église de Saint-Dominique, jouxtant le palais de l’Inquisition18. Ainsi l’opprobre jeté sur les noms des familles fut-il perpétué de façon posthume. C’est le cas des noms Cortés, Aquilò et Valls notamment que portent les protagonistes de En el último azul.
Le roman donne un visage et une voix à ces juifs majorquins dont le destin funeste a déterminé non seulement celui de leurs descendants mais également de tous les Majorquins en construisant de façon pérenne une ligne de démarcation, sorte de mur de la haine, entre les populations. Un mur de la honte qu’il est grand temps d’abattre complètement par l’acte de pacification que signifie le pardon qu’appelle Carme Riera de sa plume.
Au moyen de la vérité historique et de la puissance évocatrice de la vraisemblance fictionnelle, Carme Riera s’occupe de réparer le présent, de combler les béances mémorielles héritées du passé pour mieux soigner les blessures restées ouvertes malgré le passage du temps. Par ce geste altruiste de redonner visage aux oubliés du passé, elle fait acte de résilience tout à la fois personnelle et collective. En récupérant l’humanité des « autres », des victimes pluriséculaires d’un antijudaïsme à la fois étatique et social, l’écriture romanesque travaille à la réconciliation des peuples. Si les mots traduisent la réalité, ils ont aussi le pouvoir de la changer et de soigner ici une identité fracturée. Le message de tolérance que construit Carme Riera dépasse les frontières naturelles de Majorque et s’intègre dans un discours de la globalité. Car comment ne pas voir, au-delà du particularisme historique dont il est question dans le roman, un magnifique appel à relire les positions et les faits discriminatoires et sectaires du passé ?
L’édition spéciale anniversaire de En el último azul en 2019 met en lumière toute l’acuité philosophique ainsi que l’actualité politique de son propos. Même si Carme Riera ne l’évoque pas explicitement, son discours humaniste résonne fortement en regard notamment de la création du parti d’extrême droite Vox, en 2013, dont la montée fulgurante et la conquête de 12 sièges au Parlement andalou en 2018 témoigne d’une montée de violence raciste à l’encontre des musulmans issus de l’immigration en Espagne19. Là encore, une minorité polarise des comportements de rejet qu’une certaine méconnaissance du passé récent, marqué par le franquisme, et plus lointain marqué par l’expulsion de 1609, contribue à exacerber. Pour veiller à l’équilibre des sociétés et déjouer les pièges du populisme qui menace l’Europe toute entière, il est plus que temps, sur le plan individuel et collectif, de se réapproprier l’histoire y compris la plus déshonorante afin de nous munir d’outils indispensables pour penser le monde et surtout le réenchanter.
[1] « Desde que empieza uno a leer En el último azul percibe la sombra de Cervantes: el más propenso a lo novelesco y hasta novelero del arte de la novela, el de historias de navegaciones por el Mediterráneo y de aventuras misteriosas y personajes de lealtades fronterizas, como El amante liberal, o La señora Cornelia, o tantas narraciones intercaladas en Persiles, o el del retrato del Cautivo en el Quijote de 1605, y sobre todo el de la historia del morisco Ricote y la bella morisca aventurera Ana Félix de 1615. Los hechos en los que se basa Riera para su novela suceden en la segunda mitad del siglo XVII, pero el espíritu de Cervantes vibra en ellos doblemente : en la fascinación por las navegaciones mediterráneas y los personajes a caballo entre diversos mundos, lealtades y lenguas; y también en la melancolia de la persecución, la expulsión y la pérdida, y en el retrato de una sociedad obsesionada por la ortodoxia y la pureza de sangre en la que, sin salir del sitio en el que uno ha nacido ni perder la lengua en la que ha hablado siempre, uno se convierte en un extranjero. A Cervantes le gustaba contar lo cotidiano y lo vulgar de la vida diaria, y situar a sus personajes en lugares para él tan poco literarios como las llanuras y las ventas manchegas. Pero también, como a cualquier novelista, y como a Carme Riera, lo seducía la fascinación de las tramas llenas de sorpresas, de los encuentros misteriosos, de los pasadizos secretos que conducen a las habitaciones de mujeres más deseables todavía porque las envuelve un enigma », Carme RIERA, En el último azul, Madrid, Alfaguara, 2019, p. 12.
[2] Carme RIERA, Vers l’azur infini, Paris, Autrement, 2012.
[3] Résumé de 4e de couverture : « A mediados del siglo XIX, partiendo de Mallorca, María Fortaleza acompaña a su hermana en un largo viaje con destino a Cuba que cambiará por completo su vida, alejándose de un entorno que la rechaza por sus orígenes judíos. Allí se casará con uno de los hombres más ricos de la sociedad cubana, en un ambiente en el que se respiran los primeros aires independentistas contra la corona española. Una novela donde el amor y la ambición tienen tanto poder como el azar », Carme RIERA, Por el cielo y más allá, Madrid, Alfaguara, 2001. Ce roman finit le cycle que l’autrice a consacré aux juifs convertis de Majorque et dont En el último azul est le premier opus.
[4] Amalia PULGARÍN, La novela histórica en la narrativa hispánica posmodernista, Madrid, Fundamentos, 1995, p. 12.
[5] Sur les processus d’écriture de l’Histoire chez Carme Riera, voir María Antonia CAMÍ-VELA, La búsqueda de la identidad en la obra literaria de Carme Riera, Madrid, pliegos, 2000, p. 108 et suiv.
[6] 7 mars, 1er mai, 6 mai et 2 juillet 1691.
[7] LA FEE TRIUNFANTE EN QUATRO AUTOS CELEBRADOS EN MALLORCA por el Santo Oficio de la Inquisicion en que han salido ochenta y ocho Reos, y de treinta y siete relajados solo huvo tres pertinaces. EXPRESSADA POR EL R. P. Francisco Garau de la Compañia de Jesus, Calificador del Santo Oficio, Rector del Colegio de Monte-Sion, etc. Y LA DEDICA A LOS ILUSTRES Magnificos Señores Jurados de la Ciudad, y Reyno de Mallorca. Mallorca Año 1755. En la Oficina de Ignacio Frau Impressor del Rey Nuestro Señor. A Costa de Mathias Fortuñy Mercader de Libros, y se venden en su Casa.
[8] En el último azul, p. 412. « J’ai volontairement transformé les noms, les prénoms et les surnoms pour qu’il soit bien clair qu’il s’agit d’une fiction et non d’un livre d’histoire. Le matériel historique ne peut être manipulé par les historiens. Dans un roman, même un roman historique, tout est permis et légitime pour maintenir la vraisemblance de l’ensemble et sa cohésion », Vers l’azur infini, p. 493.
[9] Amalia PULGARÍN, op. cit., p. 13.
[10] En el último azul, p. 313. « Pourquoi ? Pourquoi ? […] Et s’il était vrai qu’Adonaï n’existait qu’à travers l’entêtement de son peuple et Dieu le Père à travers celui de leurs ennemis ? Si nous étions des hommes avant d’être chrétiens ou juifs, si nous nous reconnaissions comme tels, nous nous respecterions au lieu de nous anéantir et nous vivrions en paix. Mais était-il prêt, lui-même, à renoncer aux croyances qui avaient jusqu’à lors donné un sens à sa vie et fait de lui un homme respecté dans sa communauté, le plus respecté de tous, le rabbin ? Non, ou peut-être seulement pour son fils, seulement pour sauver son fils de la colère de Dieu le Père et de celle du Seigneur… », Vers l’azur infini, p. 373.
[11] En el último azul, p. 321. « Je vous apporte une bonne nouvelle […]. On sait de source sûre que le vice-roi et le président du Grand Conseil de Majorque ont adressé une requête au roi pour se plaindre de votre emprisonnement et des confiscations qui peuvent causer la ruine de Majorque. », Vers l’azur infini, p. 383.
[12] En el último azul, p. 263 et Vers l’azur infini, p. 311.
[13] En el último azul, p. 358. « […] la conversion de Valls grâce au Triomphe de la foi serait le plus beau présent que Dieu pourrait lui offrir, en dehors de la charge de recteur », Vers l’azur infini, p. 426-427.
[14] María Pilar RODRÍGUEZ, « Exclusión y pertenencia : nación y responsabilidad histórica en El último azul », El espejo y la máscara. Veinticinco años de ficción narrativa en la obra de Carme Riera, ed. de Luisa Cotoner Cerdó, Barcelone, Destino, 2000, p. 241-261, p. 242-243.
[15] En el último azul, p. 93-94. « Pour cette raison, si cette terre, cette île aimée, ce petit paradis surgi comme un miracle du bleu des vagues, si ce royaume fermé comme l’arche de Noé, si cette Terre promise, la seule Terre promise possible, comme l’assurait son père dans les moments les plus difficiles, appartenait à quelqu’un, c’était à eux, aux juifs, et aussi à ceux qui s’appelaient Benàsser, Arrom, Alomar, Aimerich, Maimon… Évidemment, toutes ses connaissances issues de ces lignées, le prenant pour un fou, l’enverraient paître et le feraient taire d’un coup de bâton s’il osait leur dire qu’ils pouvaient être fiers d’être les descendants de Maures -de vrais Maures, des gens de paix et non de pirates, […] Pas des mauvais Maures, mais des seigneurs qui avaient régné sur ces terres, des Maures qui leur avaient permis de vivre et de pratiquer leur religion en paix durant tant d’années. Mais il n’oserait jamais plus insinuer cela devant un Benàsser ou un Arrom, même s’ils étaient amis, malgré toute l’estime qu’il pourrait avoir pour eux, même s’il était persuadé que la confidence devait encore resserrer leurs liens, à l’évocation d’un passé bien plus glorieux que les temps qu’il leur avait été donné de vivre. », Vers l’azur infini, p. 98-99.
[16] Neuls CARBONELL : « En el último azul de Carme Riera no se agota en la etiqueta de novela histórica, y es así porque la narración constituye una revisión del pasado, una reescritura de lo que sucedió que sirve para hablar de lo que somos y que convierte la historia en el síntoma del presente », cf. « Resistir (en) la historia en El último azul », in El espejo y la máscara. Veinticinco años de ficción narrativa en la obra de Carme Riera, ed. de Luisa Cotoner Cerdó, Barcelone, Destino, 2000, p. 265-279, p. 265.
[17] En el último azul, p. 414. « Contrairement à ce qu’il pourrait sembler, Vers l’azur infini ne présente aucun intérêt polémique. Je ne prétends pas rouvrir de vieilles blessures ni en ouvrir de nouvelles en rappelant l’intolérance manifestée par une bonne partie de la société majorquine à l’encontre d’un autre groupe de Majorquins d’origine juive. En effet, et malheureusement, les conséquences des événements de 1691 furent encore plus tragiques que les faits eux-mêmes : les descendants des martyrs brûlés lors des autodafés furent humiliés et marginalisés durant des siècles. Je crois que nous, Majorquins de bonne foi, nous devons leur demander pardon à tous. C’est aussi une des intentions de ce roman. Barcelone, 10 janvier 1994. », Vers l’azur infini, p. 493.
[18] Jean-Marc THORBOIS, « Les “Chuetas” de Majorque ou les Juifs Malgré eux », Juif.org | 7 Mars 2011, URL : http://www.juif.org/le-mag/392,les-chuetas-de-majorque-ou-les-juifs-malgre-eux.php?pg=1 - comments, consulté le 4 février 2020.
[19] Sur le contexte de débat espagnol autour de l’identité, voir María Pilar RODRÍGUEZ, « Exclusión y pertenencia : nación y responsabilidad histórica en El último azul », op. cit., p. 245, en particulier la note 5.
Résumé
Dans En el último azul, Carme Riera revisite un épisode noir du passé espagnol, celui de la persécution puis de la condamnation inquisitoriale de la communauté juive de Majorque à la fin du XVIIe siècle. À travers la reconstitution fictionnelle des événements et de la parole des bâillonnés de l’Histoire, l’écrivaine majorquine cherche à « réparer » une identité fracturée en œuvrant contre l’oubli et en faveur de la réconciliation des peuples.
Resumen
En En el último azul, Carme Riera revisa un oscuro episodio del pasado español, el de la persecución y posterior condena por parte de la Inquisición de la comunidad judía de Mallorca a finales del siglo XVII. A través de la reconstrucción ficticia de los hechos y de las palabras de los amordazados por la historia, la escritora mallorquina busca «reparar» una identidad fracturada trabajando contra el olvido y a favor de la reconciliación de los pueblos.
Sarah Voinier
Univ. Artois, UR 4028, Textes et Cultures, F-62000 Arras, France
CAMÍ-VELA, María Antonia, La búsqueda de la identidad en la obra literaria de Carme Riera, Madrid, pliegos, 2000.
CARBONELL, Neuls, « Resistir (en) la historia en El último azul », in El espejo y la máscara. Veinticinco años de ficción narrativa en la obra de Carme Riera, ed. de Luisa Cotoner Cerdó, Barcelone, Destino 2000, p. 265-279.
GARAU, Francisco, LA FEE TRIUNFANTE EN QUATRO AUTOS CELEBRADOS EN MALLORCA por el Santo Oficio de la Inquisicion en que han salido ochenta y ocho Reos, y de treinta y siete relajados solo huvo tres pertinaces. EXPRESSADA POR EL R. P. […] de la Compañia de Jesus, Calificador del Santo Oficio, Rector del Colegio de Monte-Sion, etc. Y LA DEDICA A LOS ILUSTRES Magnificos Señores Jurados de la Ciudad, y Reyno de Mallorca. Mallorca, Año 1755. En la Oficina de Ignacio Frau Impressor del Rey Nuestro Señor. A Costa de Mathias Fortuñy Mercader de Libros, y se venden en su Casa.
PULGARÍN, Amalia, La novela histórica en la narrativa hispánica posmodernista, Madrid, Fundamentos, 1995.
RIERA, Carme, En el último azul (1994), Madrid, Alfaguara, 2019.
—, Vers l’azur infini, Paris, Autrement, 2012.
—, Por el cielo y más allá
RODRÍGUEZ, María Pilar, « Exclusión y pertenencia: nación y responsabilidad histórica en El último azul », in El espejo y la máscara. Veinticinco años de ficción narrativa en la obra de Carme Riera, ed. de Luisa Cotoner Cerdó, Barcelone, Destino, 2000, p. 241-261.
THORBOIS, Jean-Marc, « Les “Chuetas” de Majorque ou les Juifs Malgré eux », Juif.org | 7 Mars 2011. URL : www.juif.org/le-mag/392,les-chuetas-de-majorque-ou-les-juifs-malgre-eux.php?pg=1#comments, consulté le 4 février 2020.