Casi todos [los temas] se pueden plantear a través de la novela histórica; además, la mezcla de la visión cultural propia de otra época contrapuesta a la actual del lector suele ser muy enriquecedora1.
Ces propos d’Olalla García à l’occasion de la parution de son roman El Taller de libros prohibidos, roman qui recrée le monde des imprimeurs - libraires d’Alcalá de Henares sous le règne de Philippe II, nous semblent venir confirmer le bien fondé de nos interrogations et invitent à analyser ce roman dans la perspective qui est celle de notre rencontre : la façon dont l’écriture romanesque, en fictionnalisant le passé, dit quelque chose du présent des lecteurs, de ce qu’ils sont ou pourraient être, de façon collective, alors même que des questionnements politiques sur l’historiographie, le passé et l’identité agitent la société espagnole.
Sans même mentionner la vie politique, il n’est qu’à songer, en effet, au succès retentissant rencontré en 2016 par l’essai Imperiofobia y leyenda negra de María Elvira Roca Barea, – lequel revient sur les regards dépréciatifs portés sur l’Espagne par ses ennemis au cours des siècles que les espagnols continueraient de subir –, mais aussi aux différentes réactions à cette publication2.
Ces débats se prolongent dans le roman historique espagnol contemporain et à travers les prises de position de certains de ses auteurs, comme ceux ayant rejoint le collectif « Escritores con la historia ». Interrogé à l’occasion du cycle de conférences d’été sur ce sous-genre, imparti en 2020 à San Lorenzo del Escorial et qui portait le titre « Novela histórica: el descubrimiento de España », le président de ce groupe, le romancier Antonio Pérez Henares a pu ainsi déclarer :
La ficción está acudiendo al rescate de la historia. Frente a los que niegan a Cortés o le regalan la autoría de la Primera Vuelta al mundo a Portugal, hay miles de españoles que nos piden conocimiento sobre el pasado, una ventana a su identidad3.
Empreinte de ces interrogations, El Taller de Libros Prohibidos est une œuvre dense de 576 pages, publiée en octobre 2018 par Olalla García, romancière née en 1973 à Madrid, docteure en Histoire, chargée de cours de littérature classique à l’Université d’Alcalá de Henares, traductrice et autrice depuis 2005 de plusieurs romans historiques revisitant l’Antiquité tardive et le Siècle d’or4. Le succès éditorial de l’ouvrage a été assez remarquable et s’est accompagné d’une traduction en portugais ainsi que d’une réédition espagnole en format de poche5.
L’intrigue en est particulièrement tortueuse et pleine de rebondissements : un narrateur anonyme hétérodiégétique relate l’histoire d’un personnage fictif, la jeune Inès Ramírez, veuve d’un libraire de la ville d’Alcalá de Henares, spécialisé également dans la reliure, qui décide, en 1572, de reprendre les activités de son mari défunt. Inès doit faire face aux bouleversements du monde de l’édition mais également aux avances de plusieurs hommes de son entourage et aux attaques contre sa réputation. Elle découvre surtout que son mari était à la recherche du manuscrit d’un ouvrage interdit depuis des siècles et que l’on croyait disparu. C’est cette œuvre qu’Inès recherche avec l’aide d’un mystérieux typographe français, Pierre Arbús, au cours d’une quête semée d’embûches et de faux semblants qui la conduira à fréquenter des personnages de tous types : imprimeurs, érudits, délinquants, nobles de haut rang.... Avant d’autres, qui ont eu connaissance de l’existence du précieux manuscrit et souhaitent le détruire, il s’agit pour elle de le retrouver et de le transmettre, avec tous les risques que comporte alors la recherche d’un ouvrage que l’on disait maudit et qui était surtout frappé d’interdiction. Par le recours au topos du manuscrit perdu, ici objet de quête, les liens du roman avec d’autres textes antérieurs à sa publication, sa dimension hypertextuelle et métalittéraire sont remarquables, tout comme l’est la mise en abyme qui s’y joue puisqu’il s’agit surtout d’un livre sur les livres, leur pouvoir et l’histoire de leur diffusion.
Que l’on nous permette de rappeler, avec l’historiographie classique sur ce sujet, que dans l’Espagne de Philippe II, monarchie et Inquisition avaient notamment pour mission commune de lutter contre toute manifestation de la Réforme protestante alors même que l’imprimerie rendait possible une diffusion massive des idées hétérodoxes et qu’une véritable « éclosion culturelle »6, pour reprendre l’expression de Jaime Moll, avait cours. La Couronne et le Saint Office mettaient toutes leurs forces dans le contrôle des livres qui circulaient à travers les royaumes hispaniques, en amont et en aval de leur publication afin d’éradiquer les idées hérétiques et les erreurs en matière de foi mais aussi d’éliminer toute forme de contestation.
Dès 1502, tous les livres ayant vocation à être reproduits en Castille devaient disposer d’une licence préalable à leur impression, concédée par des représentants de l’autorité royale ou ecclésiastique, une autorisation délivrée exclusivement par le Conseil de Castille à partir de 1554. Quant aux livres imprimés à l’étranger, ils devaient se soumettre au même contrôle avant d’obtenir l’autorisation d’être vendus dans le royaume. Renforçant l’arsenal législatif mis au point par les Rois Catholiques et par son père, la pragmatique émise le 7 septembre 1558 par Philippe II réaffirmait l’obligation de la licence d’impression pour tous livres, y compris pour les ouvrages importés ou rédigés dans une autre langue. Elle déterminait clairement les étapes de la délivrance de ces imprimatur en exigeant notamment l’impression du corps du texte préalable à celle du paratexte légal et l’examen contrastif de l’original à la version imprimée. Elle défendait également un contrôle plus pointu des ouvrages déjà publiés ou en circulation en recommandant des inspections et des visites de bibliothèques, de librairies et d’imprimeries par des représentants des autorités civiles et religieuses, pour y localiser éventuellement des titres hérétiques et punir ceux qui les détenaient. Elle confirmait que le Conseil de l’Inquisition était compétent pour l’examen des ouvrages déjà publiés et redonnait force à cette censure répressive aux mains de La Suprema (interdictions ou expurgations) qui venait s’ajouter à la censure préventive sur laquelle la Couronne avait la mainmise7. Au même moment, et outre les restrictions imposées par l’Inquisition pontificale, l’Inquisition espagnole élaborait ainsi un nouvel index de livres très limitatif, l’index de 1559 signé de l’Inquisiteur général Valdès, qui fut déterminant pour l’impression, la circulation, le commerce et l’acquisition de nombreuses œuvres dans les royaumes hispaniques8. Et ce, alors même que la surveillance des croyances et des pratiques religieuses avait bien sûr cours et que deux foyers réformistes, à Valladolid et à Séville, avaient été démantelés en 1559 et 1562 – le second lié à la découverte d’un réseau d’importation de livres réformés – conduisant à deux autos de fe9. Ce n’étaient plus alors seulement les livres qui pouvaient disparaître dans les flammes, mais également leurs diffuseurs et leurs possesseurs, une menace rarement mise à exécution et pourtant au centre de la fiction romanesque qui nous occupe.
Structuré en trois parties, dont les titres reprennent, dans une forme de collage, des extraits de la pragmatique de Philippe II que nous évoquions, El Taller de los libros prohibidos comporte deux annexes ou appendices : l’un, un index onomastique, liste les personnages tout en fournissant des indications sur leur caractère fictionnel ou réel, l’autre est un glossaire incluant des termes aujourd’hui inusités, propres à l’univers typographique ou employés dans le roman dans un sens différent de leur sens actuel10. Le caractère hybride de l’ouvrage, mélange de retour vers le passé historique et d’invention romanesque est ainsi posé d’emblée.
Le roman El Taller de los libros prohibidos, que nous pourrions qualifier de polar historique11, aborde donc, au moyen d’une intrigue assez peu originale, les pratiques de diffusion et contrôle des idées et de l’écrit, les dangers qui guettaient non seulement les artisans travaillant dans un des métiers-clés du siècle de la Réforme, l’imprimerie, mais également les lecteurs de certains ouvrages. Plus largement, la question de ce que nous appellerions aujourd’hui liberté de conscience et d’expression est au cœur du texte, qui traite en particulier un thème fondamental de l’historiographie de l’Espagne moderne et contemporaine, la censure inquisitoriale ayant constitué historiquement, avec la question de la tolérance religieuse, « uno de los temas que más ha atormentado la memoria conflictiva de los españoles »12.
À l’heure où le roman historique a tant de poids en Espagne, où la question de l’image d’une nation transmise par la fiction est discutée, où l’on invite le lecteur contemporain à se libérer d’une image négative du passé forgée par les étrangers et les Espagnols ux-mêmes, comment et pourquoi la fiction aborde-t-elle cette question sensible ? Quelle image du passé le roman dessine-t-il ? Contribue-t-il à forger une identité collective en revenant sur l’histoire culturelle de l’Espagne ? Si comme le note Christine Di Benedetto, reprenant les conclusions d’Isabelle Touton dans sa thèse sur l’image du Siècle d’or dans le roman historique contemporain, « le roman historique dont la diégèse se déroule au Siècle d’or, bien que lointain, a d’une certaine manière une implication sur le présent car il dénote un positionnement idéologique de la société dans laquelle il est créé et lu »13, que nous dit-il des préoccupations collectives dans l’Espagne actuelle ?
Nous tenterons d’apporter quelques modestes éléments de réponse à ces interrogations en examinant certains aspects du roman. Dans un premier temps nous analyserons le pan d’Histoire « saisi par la fiction » en nous penchant sur la façon dont est construit le personnel romanesque, pour une récupération d’un passé historique méconnu. Puis nous tenterons de montrer comment l’auteure semble dessiner l’image d’un monde sombre, d’un royaume fermé et largement contrôlé avant de voir que, se libérant d’une forme de schématisme, le roman reconstitue une mémoire nuancée.
Il apparaît premièrement que les personnages, et en particulier les figures fictionnelles centrales du roman, méritent toute notre attention. Notons tout d’abord que le texte se penche sur le sort de deux personnages ou plutôt de deux « vies minuscules », dont il reconstitue ou crée l’Histoire, redonnant ainsi toute sa place à des voix tues par l’historiographie traditionnelle ou peu traitées par celle-là.
En effet, le personnage de Pierre Arbús, l’adjuvant d’Inès Ramirez s’avère la recréation ou transposition romanesque d’un homme bien réel, dont la figure historique est traitée dans un ouvrage historiographique particulier. Olalla García écrit en effet à partir de l’étude du chercheur anglais Clive Griffin consacrée au monde des employés typographes étrangers dans l’imprimerie espagnole : Journeymen-Printers, heresy, and the Inquisition in Sixteenth-Century Spain, ouvrage de 2005, traduit en espagnol en 2009 qui renouvelait l’approche classique des historiens de l’Inquisition et des historiens du livre14. L’analyse de procès inquisitoriaux menée par Griffin présente en effet le sort du « vrai » Pierre Arbús, un artisan typographe français mêlé aux procès instruits entre 1569 et 1572 contre différents travailleurs de l’édition de Barcelone et d’Alcalá de Henares15. Cette source n’est pas explicitement citée car comme le dit Claudie Bernard
pour représenter l’Histoire passée, le romancier transpose largement, parfois même, […], littéralement l’Histoire écrite - mais sans le dire : il la démarque, la paraphrase, la cite sans guillemets ni références […]. La reconnaissance de sa dette érudite certifierait certes le sérieux, voire la pseudo-scientificité du roman ; mais, en mettant en évidence les relais livresques qui s’y superposent, elle compromettrait la crédibilité « réaliste » de l’univers mis en scène16.
Ce choix appelle à notre sens plusieurs remarques. Il est à noter que la romancière sélectionne un personnage peu connu, ce qui ainsi lui offre, d’une part, une plus grande marge de manœuvre pour l’invention romanesque qui entoure le personnage dans l’enquête, toute inventée, qui le lie au personnage féminin. Dans la construction du personnage de Pierre, l’auteure allie subtilement Histoire et littérature, faisant oublier les sources historiques en les fondant dans le récit et remplissant les vides laissés par elles.
D’autre part, ce parti-pris permet l’introduction d’un collectif précis : celui des employés étrangers dans l’imprimerie espagnole du XVIe siècle, objet de procès inquisitoriaux, soupçonnés très souvent à tort de croyances non orthodoxes et de diffuser les thèses luthériennes, dont le sort et les aventures réelles sont incarnées par le personnage et ses proches. Pierre est en effet lié à tout un réseau d’hommes dont la documentation historique porte la trace et qui sont des figures actancielles du roman ou y sont mentionnées, comme Adriaan de Alkmaart, Claudi Bornat, Étienne Carrier, Benoît Doucet, Guillaume Herlin ainsi qu’Isabelle et Pierre Régnier17. La fiction narrative vient appuyer ce que la documentation historique et son analyse rigoureuse par diverses études récentes ont pu mettre au jour, c’est à dire le contrôle sévère imposé aux travailleurs français de l’édition, l’absence véritable de foyers de protestantisme nourris par les étrangers en Catalogne et le fait que même si le nombre d’immigrés français accusés de suivre les idées luthériennes fut remarquable dans les procès inquisitoriaux, ils étaient pourtant majoritairement catholiques, avaient peu de préoccupations religieuses et étaient issus d’une émigration avant tout économique18.
Avec le personnage masculin, il ne s’agit pas de prendre pour figure centrale un héros mais bien un homme simple aux prises avec l’Histoire, Pierre Arbús pouvant être considéré comme héros de la marge et comme figure de l’altérité dans la Castille du XVIe siècle. Dans le cas qui nous occupe, le roman historique, sur le modèle de la micro-histoire développée par Carlos Ginzburg et Giovanni Levi puise des acteurs chez les « petits », les obscurs, les sans grade, les marginaux, les opprimés »19. Pierre Arbús, personnage « factionnel », pourrait ainsi aider à redonner voix aux délaissés de l’Histoire, à transmettre, par son histoire, un passé méconnu, celle d’un ensemble de procès contre le luthéranisme moins connu que d’autres, celle d’hommes pris dans une politique qui dépasse et nie quelque part leur individualité. Le roman se situe ainsi dans la continuité des ouvrages fictifs ou historiques espagnols qui, depuis la fin des années 1960, réhabilitent la mémoire des oubliés de l’Histoire et est plus précisément proche du roman de Miguel Delibes, El Hereje, publié en 1998, qui prenait pour sujet et personnage central un luthérien de Valladolid condamné au bûcher, Cipriano de Salcedo20. Et ce, même s’il est vrai que El Taller de libros prohibidos ne dessine pas la mémoire d’une minorité religieuse mais reconfigure le souvenir de ceux qui se sont retrouvés pris dans les tourments de l’Histoire.
Pour ce qui est du personnage d’Inès, il s’agit d’un personnage purement fictif mais hautement vraisemblable à notre sens. Sa double caractérisation, veuve et liée à une entreprise commerciale, permet d’aborder différents aspects de la condition féminine. En effet, son rôle et sa volonté de poursuivre seule l’activité professionnelle de son défunt mari assurent la mise en avant d’une catégorie de femmes, les travailleuses de l’imprimerie dans l’Espagne du Siècle d’or, un collectif dont l’étude a fait l’objet de travaux historiques récents après que les histoires du livre et de l’imprimerie ont longtemps ignoré ou sous-estimé la participation des veuves, des épouses et des filles d’imprimeurs-libraires dans l’entreprise éditoriale21. Olalla García transpose du reste dans la fiction des figures féminines réelles comme María Ramírez, femme du libraire Juan García qui reprendra l’atelier de son mari à sa mort en 158722, dans une volonté de transmission d’un savoir historique sur les femmes dans le monde éditorial clairement assumée. La romancière a pu reconnaître que
En la Alcalá de la época había mujeres que eran libreras, y se mencionan en la novela, y mujeres impresoras. […]. Aquí había un entorno donde podía servirme para llevar las riendas de la historia, de un modo que fuera fiel a la historia real. Hubo poquitas, pero existieron23.
En outre, le roman reconstitue aussi grâce à une partie du personnel romanesque, une réalité mal connue ou ignorée, celle de la vie et de l’œuvre des imprimeurs et des libraires castillans, groupes socio-professionnel au cœur de la politique culturelle et religieuse mais aussi économique du royaume de Philippe II24. Il introduit la transposition fictionnelle d’artisans réels officiant à Alcalá comme Sebastián Martínez et d’autres dont il présente le quotidien25. Cette reconstitution, très minutieuse, se fait au moyen de passages descriptifs qui expliquent les difficultés ordinaires de cette corporation, le labeur de ces hommes, l’organisation et le fonctionnement interne des ateliers d’impression. De telles descriptions, assumées par le narrateur, peuvent sembler, pour le lecteur averti, quelque peu pesantes par leur didactisme et leur aspect technique. Mais elles peuvent garantir l’attrait du lecteur moins savant qui est parfaitement plongé dans cet univers fascinant et se voit transmettre un savoir nouveau.
Le roman reprend enfin des éléments historiques précis et en particulier deux épisodes qui ont touché ces collectifs et leurs activités dans la cité qui est alors la capitale de l’industrie éditoriale du royaume de Castille : en 1572, des instructions royales décidèrent l’organisation de visites auprès des libraires afin de s’assurer de la conformité des missels et des bréviaires mis en vente dans la péninsule à la nouvelle norme des livres liturgiques décidée par Rome (le Nuevo Rezado)26. Cette visite s’accompagna, pour une cité comme Alcalá, où elle eut lieu le 26 aout 1572, de la confiscation d’un grand nombre d’ouvrages ne répondant pas aux nouvelles exigences. La visite des imprimeries de la ville se déroula, elle, le 15 décembre 1572 conformément à une provision de Philippe II datée du 12 novembre de la même année et adressée aux autorités de différentes villes de Castille et aux recteurs de leurs universités dans laquelle le monarque émettait le souhait de connaître la situation des imprimeries27.
El Taller de libros prohibidos donc semble être autre chose que le simple écho d’une histoire déjà écrite et bien connue par le public non historien et participe de la construction d’une image du passé espagnol par la récupération d’un passé méconnu. La littérature se met au service de l’Histoire pour en offrir une représentation incarnée pour la préservation de la mémoire.
Cette revisitation fictionnelle d’un passé peu traité par l’historiographie traditionnelle s’accompagne d’éléments qui paraissent viser à insister sur le poids de l’intransigeance religieuse, de la répression et du contrôle dans différentes sphères et à différentes échelles.
La romancière s’emploie à mettre en avant l’activité répressive dans le monde éditorial, tant de la part de l’institution inquisitoriale que des autorités civiles. La recherche d’un manuscrit perdu, la librairie et l’atelier de reliure dont hérite Inès, la présentation de ses relations professionnelles permettent ainsi d’introduire de façon vraisemblable la question de la censure pesant sur les ouvrages et celle du contrôle des librairies. Le texte ne cesse de revenir sur les difficultés et la désolation auxquelles sont confrontés ces artisans en proie à une « telaraña burocrática »28.
Le roman met donc en fiction des processus de construction d’identité si l’on veut bien considérer la censure, dispositif mis en place pour protéger ou définir les valeurs d’une société, comme « une instance structurante qui modèle les identités collectives et en préserve les normes communes et la continuité », en participant du faire et de l’être d’un groupe social29.
À ces actions contre les possibles véhicules d’une pensée hérétique s’ajoutent les actes contre les personnes. À travers le personnage de Pierre, le lecteur ne cesse d’être confronté aux répercussions tragiques des procès imputés à ses proches, ainsi que sur la peur qui l’habite. Pierre Arbús est constamment présenté comme un homme attaché au catholicisme, sans le moindre attrait pour les idées protestantes ainsi qu’il l’affirme au début du roman. « Homme au mauvais endroit au mauvais moment », selon une formule de C. Griffin au sujet du modèle historique30, il est pourtant dépeint comme un homme traqué par l’Inquisition et menacé. Pour ce faire, la romancière utilise plusieurs techniques romanesques et narratives.
Tout d’abord, les conséquences des poursuites inquisitoriales sont présentes dans le roman grâce à un procédé formel particulier : de nombreuses analepses. Elles constituent, certes, un élément plaisant pour garantir le suspense romanesque, l’intérêt du lecteur qui ignore au départ, grâce au début in medias res du roman, qui est le mystérieux vagabond présenté dans les premières pages. Le procédé cinématographique de flashback invite à découper le temps à la manière d’un feuilleton. Le lecteur découvre ainsi l’H/histoire de façon moins monotone.
Mais ces fragmentations séquencées ancrent aussi en lui, par la démarche de reconstitution des faits auquel il participe, le passé du personnage qui ne passe pas. Car ces analepses sont également insérées pour montrer quels sont ces événements dramatiques et comment ils hantent le présent du personnage, qui ressasse des souvenirs douloureux. En effet, grâce à un jeu constant de retours en arrière, on découvre, par bribes, le passé de cet homme et perçoit ainsi ce qui a pu se jouer pour cette émigration mais aussi les difficultés à se débarrasser d’un tel passé. Le lecteur doit revenir plusieurs fois en arrière, par la reconstitution de dialogues et de rencontres qui permettent de comprendre que Pierre Arbús était l’employé d’un patron, Pierre Régnier, soupçonné de luthéranisme, condamné par l’Inquisition, tout comme ses amis de l’époque. Il est invité à remonter 4 ans avant le temps de la diégèse au moment où le frère de Pierre l’avertit des suspicions de l’Inquisition et lui conseille de quitter son emploi31. Puis trois ans auparavant, au moment de la condamnation des époux Régnier et du départ de Pierre pour une autre imprimerie32.
Deux autres flashbacks informent par ailleurs le lecteur du danger précis qui pèse sur le personnage, la femme de son ancien patron ayant rédigé une lettre l’accusant du péché nefando. Cette lettre est en possession d’Enrique Formiel, un libraire castillan, qui exige de lui, pour la lui rendre et faire ainsi disparaître toute menace, de récupérer le mystérieux manuscrit possédé par le mari d’Inès, ce qui explique sa présence à Alcalá et son rapprochement avec la jeune veuve.
Toutes ces distorsions temporelles mettent en évidence non seulement la réalité historique des procès inquisitoriaux contre le monde des livres à Barcelone mais également la portée des événements passés sur la vie de Pierre à Alcalá. Il a dû non seulement tout quitter en raison de ces menaces, entreprendre un voyage d’exil quasi forcé mais en outre, il subit encore au présent les conséquences des poursuites passées.
Ce poids du passé est également exposé dans le roman grâce à l’introduction de la vie intime et affective du personnage : les angoisses de Pierre et la nécessité de dissimulation qui le hantent sont rendus lisibles au moyen de la focalisation interne. Ce procédé narratif rend lisible la subjectivité, l’intériorité du personnage, tout son quotidien et toutes ses sensations et rêveries, donnant accès à ce que tait ou ne peut dire normalement la grande Histoire, notamment par des formules comme celles-ci « el miedo dominaba su vida, en trabajo y en el descanso, en el sueño y en la vigilia »33. La volonté propre de l’Inquisition de diffuser et de cultiver une image terrible, effrayante, « cette pédagogie de la peur » selon l’expression de Jean Delumeau semble ainsi avoir particulièrement fonctionné chez Pierre et être reprise dans le roman qui recrée, en s’appuyant sur l’iconographie et les discours macabres du Siècle d’or, la terreur face à cette institution34. Elle passe aussi par la présentation des cauchemars du héros, comme celui-ci :
Corría descalzo por un desierto que le abrazaba las plantas de los pies. Sabía que no había escapatoria. Había estado allí muchas veces. Y siempre acababa del mismo modo. La tierra se resquebrajaba a su alrededor. Ante él se abría una sima de fuego rugiente. Y de allí salía una mujer; una mujer calcinada que gritaba su nombre, con el cuerpo y la voz en llamas, y extendía hacia él los brazos para arrastrarlo consigo al abismo35.
Par ailleurs, Inès est présentée, elle aussi, comme un personnage hanté et effrayé par l’action de contrôle des autorités civiles sur son activité professionnelle, ainsi qu’en témoigne ce que plusieurs spécialistes signalent comme trait caractéristique du nouveau roman historique, c’est à dire une intensification des éléments affectifs36. Toujours à la faveur de la restitution de l’intériorité de la jeune veuve, le lecteur prend notamment connaissance de son cauchemar dans lequel les autorités civiles deviennent des personnages diaboliques faisant naître peur et ruine, vision imaginaire intime dont on ne manquera pas de repérer le parallèle avec le rêve de Pierre :
le asaltaron sueños breves y agitados, en que el corregidor regresaba portando en la mano no sus varas, sino una espada flamígera. Tenía los ojos negros como las simas del infierno y lo acompañaban sombras que desprendían un penetrante olor a azufre37.
Au-delà de ce traitement de la censure dans son sens strict, le texte fictionnel met aussi l’accent sur la fermeture et le contrôle dans un sens plus large et sur les normes qui régissent la société de l’époque.
Le roman montre ainsi comment Inès est en proie aux limites imposées aux femmes. Elle est en effet confrontée à une autre forme de censure, plus diffuse, si avec Marie - Aline Barrachina on entend ce terme en se souvenant de son premier sens, à l’époque romaine, comme
le processus par lequel une instance plus ou moins définie, formellement constituée ou au contraire diffuse et se confondant avec la vox populi ou opinion commune s’arroge le droit de frapper d’ignominie toute déviance par rapport à la norme implicite d’une société donnée38.
Son personnage permet de rappeler les limitations et contraintes qui pesaient à l’époque sur les femmes, et en particulier sur les femmes veuves. Cela passe par les commentaires que lui adressent les personnages masculins qui la côtoient, comme l’un d’entre eux qui lui recommande « volved a casa Inès, a rezar por el alma de vuestro esposo como es vuestro deber »39. Ces réactions dessinent en creux, la conception traditionnelle de la veuve idéale. Elles sont renforcées par les commentaires directs du même type, prononcés par l’entourage proche ou plus lointain d’Inès – une palette de personnages féminins – , des injonctions qui soulignent combien les femmes de l’époque semblent avoir intégré, intériorisé ces normes jusqu’à les défendre.
Par ailleurs, grâce au choix d’une héroïne qui, en raison de son activité professionnelle, doit multiplier les rencontres avec les hommes, le roman présente les réactions des individus masculins face à cette fonction. Ils ne cessent de lui rappeler directement ou de souligner entre eux ou pour eux-mêmes, l’incapacité ou l’illégitimité d’une femme à diriger un négoce et donc l’infériorité féminine, à l’instar de son cousin qui lui déclare « ¿Quién te crees que eres, dime ? una criatura insignificante, hecha para la obediencia y el silencio »40. Le roman rappelle ainsi, au risque de la caricature, combien la femme était tenue au silence dans l’Espagne d’alors. C’est, du reste, la parole de l’autre sur Inès qui est sans cesse reprise dans les deux premières parties du roman, la femme n’étant finalement dans un premier temps que ce que l’on dit d’elle.
Le retentissement des dispositifs de contrôle s’expose enfin au moyen d’un engagement énonciatif fort. Dans le roman, un mystérieux narrateur hétérodiégétique, dont l’usage du passé nous permet de le situer dans la postérité floue des faits racontés, « alterne récit distancié, chronologique, proche d’un chroniqueur et écriture de l’intériorité du personnage »41 – comme a pu le souligner I. Touton pour d’autres romans et pour El Hereje en particulier – mais est également une voix porteuse d’un jugement sur l’activité inquisitoriale et celle des autorités civiles. Aussi retrouvons - nous de nombreux passages dans lesquels le narrateur commente sans nuance la surveillance des autorités, en focalisation zéro. Cette voix ne cesse en effet de souligner les effets du contrôle inquisitorial et royal dans des formules comme « todo tipógrafo asentado en la Corona de Castilla debía hacer frente a una legislación entorpecedora y opresiva »42 ou encore « las acciones del “prudente y bien amado” rey Felipe parecían encaminadas a reducir el pensamiento de sus súbditos a una sola doctrina, a un solo dogma, a un solo libro »43 soulignant, en parlant du monarque, « su afán por controlar los libros circulantes en sus dominios – y través de ellos, el pensamiento y la opinión de sus súbditos – »44. L’image de Philippe II ainsi transmise semble proche de celle diffusée par une partie des écrits du XIXe siècle dans lesquels il paraît « enfermé dans une intransigeance implacable »45.
L’Inquisition est quant à elle vue comme une « ejército poderoso »46 alors que le représentant de l’autorité royale, le corregidor est présenté comme un fléau causant la désolation47, dans un retournement du discours officiel qui faisait du luthéranisme une maladie à éradiquer, conception rappelée plus tôt dans le texte romanesque48. On l’aura compris, il y là une appréciation du narrateur qui pourrait tendre à faire croire que la surveillance de l’imprimerie et le contrôle des lectures étaient propres à l’Espagne post-tridentine. Elle est en tout cas tout à fait en conformité avec la prise de position nette d’Olalla García dans la controverse mémorielle sur l’Inquisition, l’auteure ayant notamment déclaré que « la Inquisición fue una de las grandes lacras que tuvo España »49.
Par ailleurs, et si l’on considère le personnage de Pierre comme emblématique, incarnant un groupe, le roman historique traité, à la faveur de la mise en fiction de l’existence des compagnons-imprimeurs étrangers, dessine l’image d’un royaume fermé, qui discrimine les étrangers et les Français en particulier. Pierre, alors même qu’il est catholique, est ainsi confronté à la suspicion, voire à l’exclusion, une confusion ou association qui semble particulièrement ancrées chez les castillans : l’un de ses compagnons lui déclare par exemple « mi buen amigo Pierre, ya decía yo que no tenías trazas de venir de aquellos reinos descarriados » « sé que eres solo mitad francés »50. Nombre de passages du texte insistent du reste sur le rejet dont sont victimes ces hommes en raison de leur origine géographique dans une société qui, telle qu’elle est dépeinte dans la fiction, ne fait rien, majoritairement, pour favoriser leur intégration. Les interventions du narrateur soulignent ainsi une méfiance vis à vis de l’étranger dans des formules comme « la tradicional desconfianza de los españoles hacia sus vecinos norteños » ou encore « las tierras allende la frontera eran consideradas nidos de herejes »51 ; « cualquier francés por el mero hecho de serlo, era considerado un hereje potencial »52.
On comprend aisément, si l’on songe à l’intrigue et au désir de distraction des lecteurs, cette insistance sur les persécutions, les erreurs et les interdits, la peur qui semblent des recours romanesques idéaux pour plaire, pour divertir. Mais n’y a-t-il pas dans cette recréation romanesque un risque de schématisme historique même si la littérature n’est pas tenue au vrai ? S’il est certain que l’Inquisition et la censure « politique » et morale ont exercé un rôle indéniable, on peut toutefois s’interroger sur le fait que le roman semble, à première vue, réactiver avec force une vision noire de cette censure. Les intérêts de l’intrigue ne conduiraient-ils pas à une exagération menaçant presque le vraisemblable mais surtout dangereuse car simplificatrice pour l’image du XVIe siècle qui s’y transmet ? Le roman véhiculerait-il une image du Siècle d’or purement conventionnelle qui falsifierait ou manipulerait la vérité ? Il s’inscrirait alors dans la continuité de la vision étrangère sur l’histoire de l’Espagne la plus sombre, une perception qui, selon le romancier et historien José Calvo Poyato « ha hecho que con demasiada frecuencia parte de la historiografía española haya asumido planteamientos referidos, por ejemplo, a la españolidad de la Inquisición y la intolerancia religiosa como un hecho singular de nuestra historia »53.
En réalité, les choses nous semblent plus complexes que cela et le roman ne peut pas à nos yeux être considéré comme simple transmetteur sans nuances de préjugés et de simplifications historiographiques.
En premier lieu, car le texte, comme bon nombre de romans contemporains, met en avant l’image d’une femme qui refuse d’être ce que l’on voudrait qu’elle soit, qui tient tête aux différentes formes de contrôle, qui incarne une résistance aux diverses formes de censure. Inès apparaît ainsi comme personnage modèle, dont la conduite est valorisée par la voix narrative alors que le vraisemblable est respecté puisque ses actions semblent en conformité avec les études historiques sur les femmes dans le monde du livre imprimé que nous avons évoquées dans notre première partie. Ce faisant le roman dessine la représentation d’une femme bénéficiant légitimement d’un droit à la vie et à la parole et apte pour les affaires. Il s’emploie donc à extirper d’un imaginaire collectif l’idée d’un « bâillonnement » féminin au Siècle d’or et d’une incapacité des femmes pour les affaires, pour une défense de ce groupe social et pour une représentation genrée plus fidèle, semble-t-il à la réalité.
D’autre part, les personnages, par leur parcours, représentent les prises de risques et les résistances mises en œuvre pour contourner ou annuler le contrôle qui les touche, telle celle d’Inès qui n’hésite pas à relier pour l’un de ses proches l’un des ouvrages interdits de Luis de Granada El Libro de la oración y de la meditación, pourtant mis à l’index par l’Inquisition54. L’enquête au cœur du roman montre également que les deux personnages centraux sont prêts à braver les interdits pour retrouver une œuvre prohibée et en garantir la transmission. Ils sont mus par un idéal de diffusion libre de la connaissance ainsi que le souligne leurs conversations. Pierre suggère notamment à Inès de ne pas détruire le traité interdit qu’ils ont retrouvé en ces termes : « Copiémoslo, Inés. Y guardemos el duplicado a buen recaudo. En nuestras manos, y solo en las nuestras, está el evitar que esta obra desaparezca para siempre55 ». Grâce à l’usage du dialogue, propre au romanesque comme le note Jean – Yves Tadié pour qui « le dialogue est essentiel au roman, non à l’Histoire […] qui est entièrement récit ou discours explicatif »56 et l’une des caractéristiques du genre du roman historique depuis Walter Scott, l’intonation émotionnelle est ressuscitée et permet de transmettre l’attachement de Pierre et d’Inès à la circulation des idées, fussent-elles peu orthodoxes aux yeux des autorités.
En outre, les personnages centraux ne représentent pas un cas isolé, puisque l’intrigue romanesque présente d’autres esprits touchés par cette curiosité. Ainsi le roman introduit-il avec le personnage d’Alonso de Mendoza, personnage alliage lui aussi de fictionnel et de factuel, la figure d’un noble désireux d’éveiller son esprit et d’accéder à la connaissance d’ouvrages prohibés. Le texte rapporte ainsi les recherches auxquelles s’est livré cet aristocrate prêt à prendre tous les risques pour acquérir des ouvrages étrangers mis à l’index dans des formules comme :
El joven Mendoza — que siempre había sido varón de pasiones secretas y peligrosas — había acudido por ver si lograba rastrear allí alguno de esos libros prohibidos por el Santo Oficio que cruzaban las fronteras castellanas de forma subrepticia.
[…] Don Alonso de Mendoza, se había bautizado a sí mismo como Apolo. Tal apelativo resultaba más que apropiado para aquel joven ilustre, resplandeciente por su linaje y cualidades, cultivador y amante de la música y las letras, mecenas de las artes todas — quien, por cierto, también contaba con otras aficiones menos confesables; entre ellas, la lectura y colección de textos heterodoxos. Había corrido inmensos riesgos, consagrado largo tiempo y enormes sumas a recopilar los escritos de Celso, Juliano y Porfirio, los tres grandes filósofos impíos de la Antigüedad. Incluso había dedicado años de estudio a elaborar una reconstrucción parcial de Contra Christianos — perseguido con tanta saña por los emperadores y desaparecido en la hoguera […]57.
Les contournements, les failles de la répression, ses problèmes sont ainsi mis en avant. En ce sens, le roman paraît proche d’une position mesurée qui est celle de l’historien Manuel Peña Díaz pour qui s’il est impossible de conclure à l’absence d’efficacité des appareils et du système de censure, il faut reconnaître toutefois qu’il doit faire face à des « resistencias, lecturas oblicuas, ocultaciones de libros prohibidos o no permitidos »58 ainsi qu’il l’indique dans Escribir y Prohibir. Inquisición y censura en los siglos de oro.
De plus, un autre élément incite à relativiser le poids de la censure, malgré les constantes que nous avons pu repérer. Ainsi que nous l’indiquions dès nos propos liminaires, le roman est en effet marqué par une intertextualité forte. Les personnages citent et connaissent un grand nombre d’ouvrages, au-delà des ouvrages religieux. Avec l’historiographie contemporaine, le roman viendrait ainsi contrebalancer certains jugements étrangers sévères et simplificateurs comme a pu le faire Henry Kamen à travers ses travaux59.
L’objet même de la quête des personnages centraux nous invite également à nuancer non seulement l’idée d’une efficacité incontestable des dispositifs de censure en général mais également une association censure-monarchie-Inquisition espagnole. En effet, le manuscrit recherché et retrouvé par Inès et Pierre est le mystérieux traité Contre les chrétiens, de Porphyre, un philosophe grec néoplatonicien, livre composé après 270 après J.C, interdit et condamné à être détruit par trois empereurs au cours des IV et Ve siècles60. Nous n’en connaissons ni la date de composition précise, ni le contenu complet. Aujourd’hui nous pouvons seulement en avoir une idée grâce aux apologistes chrétiens qui le réfutèrent. Rien d’anodin pourtant dans le choix de ce texte comme hypotexte car son interdiction est précisément le premier acte de censure de livre opérée par l’État en faveur de l’Église chrétienne. En suggérant dans la fiction que ce texte a pu continuer à être diffusé, le roman ne viendrait il pas souligner les limites de cette censure ? Et ne montrerait-il pas que qu’elle a toujours existé et est loin d’être le propre de l’Espagne auriséculaire, ni de l’Espagne tout court ?
De ce fait, et même si le format de cette contribution ne permet pas de le démontrer plus en détail, le choix d’une action se déroulant au Siècle d’or permet sans doute à l’auteure d’inviter ses lecteurs à réfléchir sur leur propre temps à partir de la présentation d’une société aux prises avec la question du contrôle de la diffusion du texte imprimé sans pour autant céder à une vision simplificatrice.
Le texte du roman d’Olalla García met donc en avant, à l’instar du roman ultra contemporain, des figures d’arrière-plan. Se trouvent en effet au centre de l’histoire des personnages de fiction forgés à partir de documents d’archives peu connus dont le destin personnel est conditionné par l’Histoire et revêt une valeur collective. Mettant en intrigue les dispositifs même de la création de l’identité, le roman met en relief le fait que la politique religieuse menée par la monarchie espagnole conduisit à ce que des comportements ou déviances par rapport à la stricte orthodoxie, ou soupçon quant à ces conduites fussent considérés comme luthéranisme ou fussent appréciés au prisme de l’hérésie. Le roman pourrait donc bien être une mise en garde lucide, à la lumière d’une réécriture du passé national et européen, contre une limitation des libertés fondamentales, et de la liberté d’expression en particulier, au moment du bouleversement majeur dans la transmission du savoir et des idées que représente Internet61.
El Taller de libros prohibidos rappelle en même temps que la monarchie catholique espagnole n’avait pas le monopole du contrôle idéologique dans l’Europe de la modernité et que les idées et les livres ne manquèrent pas de circuler dans la Castille de la seconde moitié du XVIIe siècle. Il ne manque pas de présenter les limites d’une telle politique, n’assombrissant pas le passé mais invitant plutôt les lecteurs, dans un jeu de miroir, à construire leur futur sur les bases d’une conscience lucide de l’importance du libre contact avec les ouvrages : « cuidad los libros pues en ellos reside la vida del espíritu »62 comme le note dès les premières pages de l’œuvre le narrateur du roman.
[1] « Entrevista a la escritora Olalla García », Reeditor, 18/02/2019. URL : https://www.reeditor.com/columna/20687/19/literatura/entrevista/la/escritora/olalla/García. La parution du roman a donné lieu à la publication de plusieurs entrevues avec la romancière sur lesquelles nous nous appuierons.
[2] María Elvira ROCA BAREA, Imperiofobia y leyenda negra: Roma, Rusia, Estados Unidos y el Imperio español, Madrid, Siruela, 2016. Parmi les réponses, voir José Luis VILLACAÑAS BERLANGA, Imperiofilia y el populismo nacional-católico, Madrid, Ediciones Lengua de Trapo, 2019.
[3] « El descubrimiento de otro pasado de España a través de los mejores autores de novela histórica », Abc, 28/07/2020. URL : https://www.abc.es/cultura/abci-descubrimiento-otro-pasado-espana-traves-mejores-autores-novela-historica-202007280037_noticia.html.
[4] Olalla GarcÍa, Ardashir, rey de Persia, Madrid, Ed. Suma, 2005 (biographie romancée de ce grand roi des Perses du IIIe siècle) ; Las puertas de seda, Madrid, Ed. Espasa, 2007 (roman historique revisitant l’univers de la Perse antique ; El jardín de Hipatia, Madrid, Ed. Espasa, 2009 (fiction historique autour de l’un des disciples d’Hypathie d’Alexandrie) ; Rito de paso, Barcelone, Ed. B, 2014 (réécriture du séjour du Caravage à Malte) ; El taller de libros prohibidos, Barcelone, Ed. B, 2018 (nous citerons dans cette édition) ; Pueblo sin rey, Barcelone, Ed. B, 2020 (sur le soulèvement des Comunidades de Castilla de 1520).
[5] Id., El Taller de libros prohibidos, Barcelone, Ediciones B, B de bolsillo, 2019 et Id., A casa dos livros proibidos, Vasco GATO (trad.), Bacarena, ed. Presença, 2019.
[6] Jaime MOLL, « El impresor y el librero en el Siglo de Oro », in Francisco AsÍn RemÍrez de Esparza (éd.), Mundo del libro antiguo. (Curso de verano de El Escorial), Madrid, Editorial Complutense, 1996, p. 27-41, p. 28.
[7] Sur cet aspect on pourra se reporter à José María Alegre PeyrÓn, « La censura literaria en España en el siglo XVI », Revue Romane, 25, 1990, p. 428-44 ; José Manuel LUCÍA MEGÍAS, « La Pragmática de 1558 o la importancia del control del Estado en la imprenta española », Indagación: revista de historia y arte, 4, 1999, p. 195-220.
[8] Voir les travaux de Virgilio Pinto Crespo, Inquisición y control ideológico en la España del siglo XVI, Madrid, Taurus, 1983 et de Jesús MartÍnez de Bujanda, Index de l’Inquisition espagnole : 1551, 1554, 1559, Sherbrooke-Genève, Éditions de l’Université de Sherbrooke-Droz, 1984.
[9] Voir Raphaël Carrasco et Anita Gonzalez Raymond, « L’Inquisition après les Rois Catholiques : crise et résurrection (1517-1561) », in Raphaël CARRASCO (dir.), Aux premiers temps de l’Inquisition espagnole (1478-1561), Montpellier, Presses universitaires de l’Université Montpellier III, 2002, p. 51-132.
[10] El Taller de libros prohibidos, « Dramatis personae » p. 559-566 ; « Glosario » p. 567-571.
[11] Dans ce type d’œuvres, comme ici, « se créent des types d’enquêteurs, de policiers, en même temps qu’une époque se trouve évoquée de manière précise, grâce à une recherche approfondie » Gérard Gengembre, « Le roman historique : mensonge historique ou vérité romanesque ? », Études, 10 (413), p. 367-377. URL : https://www.cairn.info/revue-etudes-2010-10-page-367.htm.
[12] Nous reprenons là l’expression d’un des grands spécialistes de ces deux sujets : Ricardo GarcÍa CÁrcel, présentation de la conférence « La Inquisición ante la historia. Apología y crítica del Santo Oficio » donnée le 27/04/2010 à la fondation Juan March de Madrid. URL : https://www.march.es/es/madrid/conferencia/querellas-historiadores-inquisicion-ante-historia-apologia-critica-santo-oficio.
[13] Christine Di Benedetto, « Roman historique et Histoire dans le roman », Cahiers de Narratologie, 15, 2008. URL : http://narratologie.revues.org/767.
[14] Clive Griffin, Journeymen-printers, heresy, and the Inquisition in sixteenth century Spain, Oxford, Oxford University Press, 2005. Traduction espagnole : Oficiales de imprenta, herejía e Inquisición en la España del siglo XVI, Madrid, Ollero y Ramos, 2009.
[15] Ibid., p. 47, 85, 143, 147.
[16] Claudie Bernard, « Si l’histoire m’était contée… », in Aude Déruelle et Alain Tassel (dir.), Problèmes du roman historique, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 15-25, p. 22.
[17] Pour tous ces acteurs des procès inquisitoriaux voir C. Griffin, « La carrera del impresor en la Edad Moderna: Pierre Regnier, peripecias de un impresor en la Barcelona del siglo XVI », in Pedro Manuel CÁtedra GarcÍa, María Isabel de PÁiz HernÁndez, María Luisa López-Vidriero Abello (coord.), La memoria de los libros: estudios sobre la historia del escrito y de la lectura en Europa y América, Salamanque, Instituto de Historia del Libro y de la Lectura, vol. 1, 2004, p. 383-392 et Journeymen-printers, heresy, and the Inquisition in sixteenth century Spain, op. cit, p. 132-154 en particulier.
[18] Outre les travaux cités supra, on se reportera à Élisabeth Balancy, « Les immigrés français devant le tribunal de la Inquisition de Barcelone », in Les français en Espagne à l’époque moderne (XVIe- XVIIe siècles), Paris, Centre National de la Recherche Scientifique, 1990, p. 39-69 et plus récemment à Alexandra Capdevila Muntadas, « La inmigración francesa vista como un peligro a la ortodoxia católica de la Monarquía Hispánica. Cataluña en los siglos XVI y XVII », in Eliseo Serrano MartÍn et Jesús GascÓn PÉrez (coord.), Poder, sociedad, religión y tolerancia en el mundo hispánico: de Fernando el Católico al siglo XVIII, vol. 2, 2018, p. 1035-1049.
[19] Claudie BERNARD, « Si l’histoire m’était contée… », art.cit., p. 24. Sur ce point voir également Jean-Yves TadiÉ, « Les écrivains et le roman historique au XXe siècle. Esthétique et psychologie », Le Débat, 165 (3), 2011, p. 36-145, p. 136.
[20] Miguel DELIBES, El Hereje, Barcelone, Ediciones Destino, 2001 (1998). Sur cet ouvrage et sa réception voir l’article de Laurent BROCHE « Discipline historique et roman historique, entre enthousiasme et rejet. Réflexions sur les réceptions contrastées de El Hereje de Miguel Delibes et des romans médiévaux de Jeanne Bourin » publié dans ce même dossier, URL : https://www.lentre-deux.com/10.2.11.BROCHE.
[21] Nous songeons notamment à Sandra EstablÉs SusÁn, Diccionario de mujeres impresoras y libreras de España e Iberoamérica entre los siglos XV y XVIII, Saragosse, Prensas de la Universidad de Zaragoza, 2018.
[22] Sur le personnage réel, voir « Impresoras en Alcalá de Henares s. XVII » http://www.bne.es/es/Micrositios/Guias/MujeresImpresoras/index.htm ; Marina Garone Gravier et Albert Corbeto LÓpez, « Huellas invisibles sobre el papel: las impresoras antiguas en España y México (siglos XVI al XIX) », Locus: revista de historia Juiz de Fora, 2011, 17 (2), p. 103-123, p. 112 ; S. EstablÉs SusÁn, Diccionario de mujeres impresoras y libreras de España e Iberoamérica entre los siglos XV y XVIII, op. cit., p. 419.
[23] « Olalla García: “Hay un paralelismo claro entre lo que pasa con Internet hoy y la imprenta en tiempos de Felipe II” », Blog20minutos, 27/11/2018. URL : https://blogs.20minutos.es/xx-siglos/2018/11/27/olalla-García-hay-un-paralelismo-claro-entre-lo-que-pasa-con-internet-hoy-y-la-imprenta-en-tiempos-de-felipe-ii.
[24] Outre l’étude modèle de C. GRIFFIN, The Crombergers of Seville. The history of a printing and merchant dynasty, Londres, Clarendon Press, 1988 (traduction espagnole : Los Cromberger. La historia de una imprenta del siglo XVI en Sevilla y México, Madrid, Ed. cultura hispánica, 1991) ; François LÓPEZ, Jean-François BOTREL, Víctor INFANTES, Historia de la edición y de la lectura en España (1472-1914), Madrid, Fundación Germán Ruipérez, 2003 ; Pedro Manuel CÁtedra GarcÍa, María Isabel de PÁiz HernÁndez, María Luisa LÓpez-Vidriero Abello (coord.), La memoria de los libros. Estudios sobre la historia del escrito y de la lectura en Europa y América, Salamanque, Instituto de Historia del Libro y de la Lectura, 2004, vol. I ; Anne CAYUELA (éd.), Edición y literatura en España (siglos XVI y XVII), Saragosse, Prensa Universitaria de Zaragoza, 2012.
[25] Cf. l’étude centrale de Julián MartÍn Abad, La Imprenta en Alcalá de Henares (1502-1600), Madrid, Arco Libros, 1991.
[26] D’importants documents dans José GARCÍA ORO, José et María J. PORTELA SILVA, Felipe II y los libreros. Actas de las visitas a las librerías del Reino de Castilla en 1572, Madrid, Cisneros,1997 et Ramón GonzÁlez Navarro « Felipe II y la imprenta en la Universidad de Alcalá », in José MARTÍNEZ MillÁn (dir.), Felipe II (1527-1598): Europa y la monarquía católica, Madrid, Parteluz, 1998, vol. 4, p. 235-262.
[27] R. GonzÁlez Navarro, « Felipe II y la imprenta en la Universidad de Alcalá », art. cit., p. 240-241.
[28] José Manuel LUCÍA MEGÍAS, « La Pragmática de 1558 o la importancia del control del Estado en la imprenta española », art. cit., p. 209.
[29] Marie-Aline BARRACHINA « Censure, autocensure et identité nationale. Le cas du premier franquisme (1939-1945) », in Jean Domenech (éd.), Censure, autocensure et art d’écrire de l’antiquité à nos jours, Paris, Éditions Complexes, 2005, p. 259-270, p. 259.
[30] Pierre Arbús et ses compagnons étaient selon C. GRIFFIN « the wrong people in the wrong place at the wrong time », Journeymen-printers, heresy, and the Inquisition in sixteenth century Spain, op. cit, p. 2 (notre traduction).
[31] El Taller de libros prohibidos, p. 79.
[32] Ibid., p. 96.
[33] Ibid., p. 140
[34] Voir Jaime CONTRERAS, Historia de la Inquisición española (1478-1834): herejías, delitos y representación, Madrid, Arco libros, 1997 et Doris, MORENO, La invención de la Inquisición, Madrid, Fundación Carolina, Centro de Estudios Hispánicos e Iberoamericanos - Marcial Pons Historia, 2004.
[35] El Taller de libros prohibidos, p. 30.
[36] Marta Cichocka, Entre la nouvelle histoire et le nouveau roman historique- Réinventions, relectures, écritures, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 182 et suivantes.
[37] El Taller de libros prohibidos, p. 75.
[38] Marie-Aline BARRACHINA, Censure(s) et identité(s), Poitiers, Université de Poitiers, 1999, p. 8.
[39] El Taller de libros prohibidos, p. 55.
[40] Ibid., p. 226.
[41] Isabelle TOUTON, « L’identité nationale espagnole au cœur de la reconstruction romanesque du Siècle d’or (1980-2000) », in Rita OLIVIERI-GODET (dir.), Écriture et identités dans la nouvelle fiction romanesque, Rennes, PUR, 2010, p. 171-190. p. 182.
[42] El Taller de libros prohibidos, p. 41.
[43] Ibid., p. 194.
[44] Ibid., p. 41.
[45] Alexandra MERLE, « Philippe II d’Espagne : construction, diffusion et renouvellement d’une légende noire (XVIe-XIXe siècle) », Légendes noires et identités nationales en Europe, Tyrans, libertins et crétins : de la mauvaise réputation à la légende noire, Histoire culturelle de l’Europe [En ligne], 1, 2016. URL : http://www.unicaen.fr/mrsh/hce/index.php?id=160.
[46] El Taller de libros prohibidos, p. 142.
[47] « El corregidor y sus hombres había arrasado las librerías tan solo después de que se firmara aquella pragmática real. Habían actuado sin previo aviso, sin distinciones ni misericordia, como una plaga », Ibid., p. 193. C’est nous qui soulignons.
[48] « […] el miasma del luteranismo, capaz de contagiarse como una enfermedad infecciosa », Ibid., p. 16.
[49] « Olalla García: “Me gustan los personajes que son fieles a sus principios” . Entrevista a la autora de “El taller de libros prohibidos” », todoliteratura, 01/12/2019. URL : https://www.todoliteratura.es/noticia/50304/entrevistas/olalla-García:-me-gustan-los-personajes-que-son-fieles-a-sus-principios.html.
[50] El Taller de libros prohibidos, p. 67.
[51] Ibid., p. 39.
[52] Ibid. p. 16.
[53] José Calvo POYATO, « Visiones de nuestra historia », ABC 5/10/2019. URL : https://www.abc.es/opinion/abci-visiones-nuestra-historia-201910042339_noticia.html.
[54] El Taller de libros prohibidos, p. 293.
[55] Ibid., p. 439.
[56] Jean-Yves TADIÉ, « Les écrivains et le roman historique au XXe siècle », art. cit., p. 137.
[57] El Taller de libros prohibidos, p. 379-380 ; p. 513.
[58] Manuel Peña Díaz, Escribir y prohibir. Inquisición y censura en los Siglos de Oro, Madrid, Cátedra, 2015, p. 16-17.
[59] Notamment dans Henry KAMEN, « Censura y libertad, el impacto de la Inquisición sobre la cultura española », Revista de la Inquisición: (intolerancia y derechos humanos ), 7, 1998, p. 109-117.
[60] Sur ce texte, on pourra consulter Beatrice Pier Franco, « Le traité de Porphyre contre les Chrétiens », Kernos, 4, 1991, mis en ligne le 11 mars 2011, consulté le 01 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/kernos/295.
[61] C’est ce que suggère l’auteure dans une entrevue en déclarant au sujet de l’ouvrage dont il est ici question « es un libro emocionante, con misterio y a la par, desde mi punto de vista, plantea un paralelismo actual en cierto modo. Me planteé ubicarlo en esa época un poco por lo que está pasando ahora con internet… nos controlan mucho a través de las redes sociales, a través de las paginas web que visitamos. No es lo mismo ya que en dicha época era mucho peor, pero sí tiene ese pensamiento », « El taller de libros prohibidos, primera novela ambientada en Alcalá de Henares de Olalla García », Alcaláhoy, 02/11/2018, URL : https://www.Alcaláhoy.es/2018/11/02/el-taller-de-libros-prohibidos-primera-novela-ambientada-en-Alcalá-de-henares-de-olalla-García/.
[62] El Taller de libros prohibidos, p. 26.
Résumé
En faisant le choix de situer l’intrigue de El Taller de libros prohibidos (2018) en 1572 à Alcalá de Henares, cité-clé de l’édition et de l’imprimerie, Olalla García se propose de revisiter le passé méconnu d’un univers et de ses artisans au cœur des mesures de contrôle idéologique qui pèseront sur l’identité collective et son image au fil des siècles. Notre contribution examine comment le roman historique contribue à mettre en lumière des corporations oubliées, pour la préservation de la mémoire locale et collective, tout en présentant, non sans nuances, l’impact de ces décisions sur un royaume qui semble obsédé par l’idée de contamination hérétique.
Resumen
Al elegir ambientar la trama de su novela El Taller de libros prohibidos (2018) en 1572 en Alcalá de Henares, ciudad clave para la edición y la imprenta, Olalla García se propone revisitar el pasado poco conocido de un mundo y unos artesanos en el centro de las medidas de control ideológico sobre el libro impreso que pesarán sobre la identidad colectiva y su imagen a lo largo de los siglos. Nuestra contribución examina cómo la novela histórica contribuye a sacar a la luz corporaciones olvidadas, para la preservación de la memoria local y colectiva, al tiempo que presenta, no sin matices, el impacto de estas decisiones en un reino que parece obsesionado con la idea de la contaminación herética.
Le personnel romanesque entre Histoire des oubliés et fiction
L’ère du soupçon et de la censure ?
Caroline LYVET
Univ. Artois, UR 4028, Textes et Cultures, F-62000 Arras, France
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