Alors que l’accès à la connaissance historique semble passer chaque fois davantage par de nouveaux véhicules tels que les séries ou la littérature historiques, au risque que la représentation du passé alors proposée n’offre qu’une version altérée et gratuite du réel, il n’est pas étonnant que de nombreux historiens, tout comme des spécialistes de littérature, s’interrogent avec acuité sur la transmission de ce passé, faite notamment par les romans historiques1. Partageant ces interrogations, nous nous sommes autorisée à nous plonger dans la littérature contemporaine, un champ éloigné de notre domaine de recherche habituel, afin d’étudier un texte, rédigé il y a une dizaine d’années, qui présente le Siècle d’Or hispanique mais également et surtout ses écrivains à travers le prisme de la fiction romanesque.
Le roman d’Alfonso Mateo-Sagasta, Ladrones de Tinta, publié en 2004 raconte en effet, en 556 pages, l’histoire d’un personnage fictif, Isidoro Montemayor, correcteur d’imprimerie, gazetier et gérant de tripot à ses heures perdues2. Au cours du mois d’août 1614, il se voit confier une mission très spéciale par Francisco de Robles, son patron. Rappelons que ce F. de Robles, dans la fiction comme dans la réalité, n’est autre que l’éditeur-libraire de la première partie du Quichotte cervantin de 16053. Sous ses ordres, Isidoro Montemayor doit découvrir, dans le roman historique, qui se cache derrière l’auteur d’une œuvre dont Robles vient d’avoir connaissance de la publication : la Segunda parte del ingenioso hidalgo don Quijote de la Mancha… Le roman est donc un exemple presque canonique d’hypertextualité pour reprendre la terminologie genetienne4. Il se fonde en effet sur un hypotexte, cette seconde partie du Quichotte publiée en 1614 par un auteur inconnu sous le pseudonyme d’Alonso Fernández de Avellaneda, un texte qui constitue son point de départ5. Il présente donc une mission pour le personnage central que n’auraient pas refusée, loin s’en faut, les éminents cervantistes du monde entier qui tentent encore à ce jour de savoir qui est ce mystérieux Alonso Fernández de Avellaneda6. Cette enquête entraîne le jeune Isidoro à la rencontre d’un nombre important de personnages référentiels et surtout des plus grands écrivains du premier tiers du XVIIe siècle. Elle sera menée dans les palais comme dans les auberges, les mancebías, les maisons de jeux, les Academias, à Madrid et à Tolède, durant un mois. Elle se double d’une seconde investigation puisque Isidoro doit également aider la comtesse de Cameros, personnage d’aristocrate inventé par l’auteur à partir d’un patronyme bien réel7, à éclaircir les circonstances du mystérieux décès de sa tante, retrouvée morte dans sa baignoire après que celle-ci a joué et perdu gros, une nuit, dans le salon de jeux de Robles où Isidoro officie. Cette deuxième enquête marque le début des amours entre Isidoro et la comtesse, une femme dont il accepte de devenir le secrétaire à la fin de l’œuvre. Cela ouvre la voie à de nouvelles aventures pour le personnage central, péripéties que Alfonso Mateo-Sagasta raconte dans un roman publié en 2006, El Gabinete de Las Maravillas8. À cette suite vient s’ajouter le troisième opus des aventures d’Isidoro, El Reino de los hombres sin amor9, publié en 2014, dans une série qui n’est pas sans rappeler le succès de la saga du Capitán Alatriste de Arturo Pérez Reverte10.
Ladrones de tinta, loin de n’avoir séduit à l’époque de sa parution que les passionnés de littérature du XVIIe, les seuls cervantistes ou autres universitaires qui en redemanderaient (même après toutes les manifestations et parutions autour des célébrations anniversaires des publications de 1605 et 1615), a connu une réception et une diffusion assez larges. Il a permis à son auteur de recevoir, en 2005, le prix International du Roman Historique de la ville de Saragosse et le prix Espartaco, prix du roman historique remis lors du festival Semana Negra de Gijón. Il a été traduit en plusieurs langues, notamment en français, sous le titre Voleurs d’encre et réédité en poche à maintes reprises entre 2005 et 201611.
L’auteur, né à Madrid en 1960, a fait des études d’Histoire et de géographie à l’Université Autonome de Madrid. Il s’est spécialisé en Histoire de l’Antiquité et du Moyen Âge, a mené des travaux d’archéologie pendant quelques années, avant d’ouvrir une librairie consacrée à l’archéologie et l’anthropologie puis de se tourner vers la littérature. Suite à la publication de Ladrones de Tinta, il a gagné d’autres prix et a publié d’autres romans historiques à succès, ce qui lui vaut d’être aujourd’hui un auteur de roman historique assez reconnu en Espagne12.
Le roman qui nous occupe, Ladrones de Tinta, nous a semblé être un point de départ intéressant pour un questionnement sur le roman historique espagnol contemporain. Il nous paraît correspondre à la définition éclairante que donne Claudie Bernard de ce sous-genre et des liens de celui-ci avec l’historiographie :
Je définirai donc le roman historique comme un roman, soit une histoire fictive (anglais story), qui traite d’Histoire effective (anglais History), c’est-à-dire qui représente une tranche d’Histoire, de passé, en transitant inévitablement par l’Histoire ou l’historiographie, et ce, en vue d’un public qui partage son Histoire contemporaine […]. Dans son essence, le roman historique se caractérise par une tension entre la vocation fictionnelle inscrite dans le substantif roman – et bien sensible dans le glissement de l’adjectif romanesque vers l’illusoire, le chimérique – et l’attraction vers une Histoire à majuscule happée depuis deux siècles par le prestige de la science (humaine), et seule bénéficiaire des dérivés historique et historien13.
Et il prend surtout pour fondement la suite apocryphe d’un texte, la première partie du Quichotte, parcourue par une interrogation profonde sur la mise en récit de l’Histoire et la distinction entre Histoire et fiction ou poésie pour reprendre les termes aristotéliciens14.
Le roman participe en outre de toute une ligne actuelle du roman historique qui recrée l’univers littéraire du XVIIe siècle ou qui prend pour sujet un fait, un personnage littéraire ou un auteur de fiction. Nous songeons par exemple à des publications comme La sombra del otro de Luis García Jambrina qui propose en 2014 une biographie romancée de Cervantès, à Amar tanta belleza de Herminia Luque, de 2015 qui se penche sur l’amitié entre María de Zayas et sa contemporaine, la dramaturge Ana Caro, ou encore à Lope, la furia del Fénix, un roman de 2016 de Blas Malo pour ne citer que quelques titres.
Nous nous proposons donc modestement, au risque d’être trop descriptive dans notre présentation (qui est une première approche d’une œuvre riche et complexe de plus de 500 pages), de réfléchir à quelques aspects du texte, notre intention étant de présenter les procédés classiques du roman historique qui y sont repris, les jeux entre Histoire et fiction proposés ainsi que les limites et les enjeux qu’ils recouvrent.
Dans un premier temps, nous souhaiterions revenir sur les différents procédés utilisés par Alfonso Mateo-Sagasta pour introduire l’Histoire majuscule dans l’histoire minuscule, des procédés qui contribuent à cette tension évoquée dans la définition de Claudie Bernard. Nous entendrons ici simplement histoire dans un sens large comme les évènements précis ou les situations générales qui touchent aussi bien des figures connues que des acteurs anonymes et leur récit15.
Le premier d’entre eux tient au dispositif liminaire du roman. En effet, dans un prologue qui multiplie les clins d’œil à l’hypotexte cervantin – il s’intitule « Al Ocioso lector » et évoque l’aide d’un ami –, le romancier ou plutôt le « je prologal » annonce n’être que l’éditeur du manuscrit d’Isidoro de Montemayor, « […] encontrado por azar entre los documentos del archivo de la Casa de Cameros »16. L’auteur reprend bien évidemment ici le fameux topos du manuscrit retrouvé, prétendant que tout ce qui suit n’est que la transcription d’un texte original. Ce recours, stratégie rhétorique, inscrit le roman dans le droit fil des fictions cervantines, elles-mêmes héritières sur ce point d’une longue tradition médiévale. Mais il ne manque pas d’ironie et renvoie à l’artifice et donc à la fiction en raison de son caractère conventionnel17. Cette pseudohistoricité, pour autant que le lecteur destinataire accepte le pacte de lecture proposé, crée pourtant l’illusion d’une rédaction contemporaine ou immédiatement postérieure aux faits rapportés et confère évidemment au récit, rendu vraisemblable, autorité et crédibilité. Un tel dispositif a, en outre, le mérite de justifier la langue utilisée dans ce qui va suivre, une langue moderne, puisque le « je » du prologue annonce avoir transcrit le manuscrit. Il installe aussi d’emblée et paradoxalement, car il est un artifice littéraire bien connu, un premier brouillage discursif vers la fiction et une forme d’ironie intertextuelle pour qui sait la voir.
Une fois passé le prologue où le texte a été présenté comme un recueil de mémoires, des « memorias »18, Isidoro Montemayor prend toute la place… et la parole. Le texte se sert là d’un des traits généralement associés au nouveau roman historique : l’œuvre de Mateo-Sagasta emploie un narrateur en première personne, extra homodiégétique, témoin oculaire et acteur direct des faits racontés19. Cela renforce, d’un côté, son autorité mais ne manque pas, de l’autre, de poser problème en raison de sa parole subjective, nous y reviendrons. Le dispositif mémoriel ouvre également la possibilité d’insérer tout ce qui est du domaine de l’intime, tout le quotidien, ses détails et toutes les sensations et rêveries d’Isidoro, donnant accès à ce que tait normalement la grande Histoire, en particulier par un dispositif romanesque qui est le monologue intérieur. L’Histoire se fait ainsi en narrant la vie des petites gens, « la vie minuscule »20. On découvre l’existence des voisins d’Isidoro, la description de son logement, de son quartier, des mendiants qui y vivent, toutes ces informations produisant des « effets de réel »21 et permettant au lecteur d’imaginer les différentes scènes. La précision d’Isidoro est telle qu’on peut le suivre, presque pas à pas, sur une carte de l’époque et que toutes ses sensations sont rapportées. En ce sens, Ladrones de Tinta se situe dans la droite ligne du roman historique contemporain qui a souvent tendance à mettre en valeur les aspects émotionnels et individuels, la mémoire du passé. Les grands événements de l’Histoire et les personnages qui les accompagnent sont mis à l’écart alors que se trouvent placées au premier plan des histoires individuelles et privées.
À cela s’ajoute le fait qu’Isidoro n’écrit pas en réalité de simples mémoires destinées à être publiées mais bien un document privé avec un destinataire non identifié auquel le texte se réfère par un simple « Usted », nouveau clin d’œil intertextuel, cette fois sans doute vers le roman picaresque. Le récepteur extradiégétique est un personnage destinataire de correspondances antérieures d’Isidoro et client de ses gazettes, comme le soulignent des formules telles que « ya conoce Usted mi tendencia a desvariar, pruebas de ello ha tenido a través de las cartas o gacetas que he escrito a lo largo de estos últimos años »22. L’identité floue de ce destinataire et son éloignement géographique suggéré permettent et rendent vraisemblable le récit des événements de l’été 1614 et l’insertion de données historiques ou de type costumbristas. Tout se passe comme si Alfonso Mateo-Sagasta était bien conscient du possible problème posé par l’introduction d’informations précises sur les événements historiques ou sur la vie à la Cour dans de simples mémoires qui n’auraient pas appelé vraisemblablement de commentaires, de descriptions ou d’éclaircissements sur la vie quotidienne. Comment en effet justifier la présence des explications détaillées si ce n’est en imaginant que le récepteur premier des écrits d’Isidoro méconnaît cette réalité ? L’auteur semble ainsi s’être prémuni, par ce biais du destinataire éloigné et peu familier des usages de la Cour, contre les limites des mémoires ou d’éventuelles critiques. Il négocie avec l’encyclopédie du lecteur, imagine ainsi un destinataire avec une connaissance inférieure à celle du narrateur, une sorte de double du lecteur moderne23.
Le second dispositif est fortement lié à la construction de l’identité du personnage romanesque. Et précisément, aux métiers ou plutôt aux occupations du narrateur-personnage Isidoro Montemayor. Leur nature différente est ce qui permet l’insertion de matériaux historiques variés. Deux activités d’Isidoro lui garantissent en effet l’accès à des milieux différents qui s’inscriront dans le roman de manière vraisemblable. Son emploi comme correcteur d’imprimerie lui ouvre la porte des maisons d’écrivains, alors que son rôle dans le tripot de Robles lui donne accès, et au lecteur qui le suit avec lui, aux bas-fonds madrilènes. En ce qui concerne son troisième emploi, Isidoro déclare à de nombreuses reprises se consacrer à l’écriture de gazettes. Il note ainsi au début du texte :
todos los viernes escribía una pequeña crónica de lo sucedido durante la semana en la corte y la enviaba con ligeros retoques a tres clientes, uno de Zaragoza, otro de Ciudad Real y a Usted mismo24.
Le texte même de ces gazettes est reproduit dans la pseudo-autobiographie, une insertion matérialisée dans le corps du roman par l’usage d’une police de caractères différente. Ces collages, au nombre de trois dans le roman, contiennent un certain nombre d’informations de type historique sur les événements géopolitiques de l’été 1614 mais aussi sur les faits divers survenus à la Cour, informations dont la présence est ainsi rendue vraisemblable par cette activité. Ils permettent la mention factuelle de la date, comme le fait l’historien et donnent l’impression que le récit respecte la chronologie. Au chapitre sept, est ainsi insérée la lettre-gazette que le narrateur destine à ses clients. Elle porte la date du 16 août 1614 et informe sur la prise de La Mamora, sur les ambitions du duc d’Osuna à Naples, sur l’invasion de Juliers-Clèves par Spinola et sur la publication du Quichotte d’Avellaneda. Même procédé au chapitre 47 en date du 19 août et au chapitre 88 avec une lettre du 26 août 1614. Parfois, comme au chapitre 22, le contenu de la gaceta n’est pas repris in extenso mais résumé par Isidoro lui-même afin de ne pas lasser le lecteur destinataire extra fictionnel, d’après ce que l’on peut semble-t-il imaginer. L’écriture de ces gacetas est par ailleurs ce qui justifie la présence d’Isidoro dans les lieux de circulation des rumeurs et sa constante recherche d’informations. Il remarque du reste au chapitre 17 :
Fadrique y yo solemos acudir a los centros donde se mueve la información, las noticias, los bulos, que de todo hay, […] losas de palacio, gradas de San Felipe, mentidero de los artistas. Yo lo hago para recabar información para mis gacetas25.
Mais, là encore, un tel mécanisme sème le trouble. Alfonso Mateo-Sagasta reprend bien une pratique d’époque, sur le modèle des Avisos et gazettes de José Pellicer, auteur de chroniques hebdomadaires26. Mais ces chroniques, représentatives d’une activité journalistique primitive, passent sous silence un certain nombre de faits, les sélectionnent, les orientent et répondent davantage à une forme de propagande tant leur fidélité à la réalité contemporaine est loin d’être totale, même si plus étroite que celle des textes de fiction. Et nous nous permettrons de renvoyer sur ce point aux analyses d’Henry Ettinghausen27.
Le troisième dispositif tient à la complexité générique de l’ouvrage. Rappelons en effet que l’éditeur de la traduction française, Voleurs d’encre, le présente comme un « polar historique ». La présence d’un mystère à résoudre, d’une enquête à mener – retour à l’étymologie d’histoire – est bien évidemment un autre procédé visant à permettre l’insertion de la matière historique et d’une matière diverse. Elle aide à faire adhérer le lecteur au tableau d’une époque ainsi composé. Puisque l’on suit un personnage dans son vécu quotidien et que, qui plus est, ce vécu est une enquête, rien d’étonnant à ce qu’il parcoure un grand nombre d’espaces, fasse de nombreuses rencontres et obtienne une multiplicité d’informations dont il rend compte. Alfonso Mateo-Sagasta, après le chemin ouvert par Umberto Eco avec Le Nom de la rose, tire donc profit des traits et des mécanismes du roman policier non seulement pour tenir son lecteur en haleine mais aussi paradoxalement pour multiplier les données, les sources d’informations et les points de vue susceptibles d’alimenter, de construire, de dessiner l’arrière fond historique de son roman. Cette dimension est clairement indiquée par le texte comme lorsqu’Isidoro souligne « me quedaba un sospechoso por investigar: el mercedario Fray Gabriel Téllez »28. Comme a pu le remarquer Gilles Del Vecchio au sujet de El misterio de la cripta embrujada d’Eduardo Mendoza, ici « l’énigme, les démarches de l’enquêteur, les poursuites, la résolution de l’affaire renvoient clairement au genre policier »29. Ce mélange des influences et des sous-genres a, du reste, été considéré comme l’une des caractéristiques des représentations littéraires du passé les plus récentes. Plus précisément, dans Ladrones de tinta, l’enquête portant sur le monde littéraire, les rencontres se multiplient avec des écrivains fortement liés aux puissants de l’époque en raison des relations de clientélisme. Les mentions nombreuses aux mésaventures de ces écrivains et à leur biographie assurent également la possibilité d’insertion vraisemblable d’expériences propres au temps de la diégèse et proposent un vrai parcours littéraire à travers le Madrid de l’époque comme le faisait le premier volume de la série d’Alatriste. Isidoro rencontre ainsi Luis Vélez de Guevara, Baltasar Elisio de Medinilla, José de Valdivieso, Andrés de Almansa, Góngora, Lope de Vega, Tirso, Jerónimo de Pasamonte, Quevedo, Villamediana et bien sûr Cervantès : ces personnages historiques sont intégrés au personnel romanesque grâce à l’hybridité générique.
Au cœur de cette enquête, se trouve le dialogue propre au romanesque. C’est ce que retient J. Y Tadié : « le dialogue est essentiel au roman, non à l’Histoire […] qui est entièrement récit ou discours explicatif »30. Isidoro s’entretient ainsi non seulement avec ses amis, auprès desquels il se rend avant tout pour satisfaire des besoins aussi vitaux que s’alimenter, mais il échange aussi avec des informateurs ou acteurs clés de son enquête, toujours bien renseignés. Ce n’est donc pas la présentation du narrateur, ou l’implicite, mais bien un dialogue explicite qui fait entrer l’Histoire dans le roman : l’actualité, ce qui est pour nous Histoire, est directement discutée au sein du texte, ce qui ce qui ne manque pas là encore de jeter le trouble si l’on pense à notre méconnaissance de l’oralité du temps avec Paul Veyne pour qui « même le roman historique documenté hurle le faux dès que les personnages ouvrent la bouche »31.
Grâce à ces techniques et malgré leurs limites, le roman contribue toutefois à la diffusion de l’Histoire. Il évoque le sort des différents territoires de la Couronne, le problème de la pureté de sang, de l’hidalguía et les impostures qu’ils nourrissent, l’oubli des campagnes et l’augmentation du bandolerismo, les conditions désastreuses des tercios, l’expansion des academias littéraires et le mécénat des grands, les maladies de l’époque comme la mélancolie ou la peste. Il y a bien, grâce au roman, une transmission d’un très grand nombre d’informations, un travail de divulgation historique grâce à une reconstruction minutieuse de l’époque. Cet aspect est d’ailleurs confirmé par l’existence d’une Guía Didáctica publiée par l’éditeur Debolsillo, guide dans lequel on peut lire de sommaires informations biographiques sur les personnages historiques du roman ainsi que sur le contexte historique32.
Nous pourrions même dire que l’ouvrage d’Alfonso Mateo-Sagasta ne vient pas réécrire un pan de l’Histoire connu mais vient plutôt combler les blancs de l’historiographie. D’abord à travers l’énigme littéraire, philologique qui permet de présenter en effet ce qu’a pu être le débat autour de cette publication du Quichotte apocryphe mais aussi la face ordinaire des grands écrivains, leur intimité et celle de leurs familles, leurs actions quotidiennes dont nous n’avons que des traces partielles et fragmentées dans l’historiographie classique. Sur ce point, le roman écrit l’histoire telle qu’elle aurait pu être. Ensuite, grâce au dispositif mémoriel et à l’accès au for intérieur qu’il permet, le texte romanesque dit aussi ce qu’est la vie d’un hidalgo de l’époque dans tous ses détails, dans ses rêves, ses aspirations, ses croyances. En ce sens, nous dirons avec Blanche Cerquiglini que
La fiction permet mieux que l’Histoire de dire l’individu, de le faire vivre. Elle l’incarne, lui donne vie, lui donne chair. On est du côté du réalisme. Plus encore, la fiction humanise l’Histoire : par le détail concret, le petit fait vrai. Il y a là un paradoxe : la fiction est plus vraie que l’Histoire. Par l’imaginaire, l’invention le fantasme, elle capte mieux l’humain dans sa complexité33.
Toutefois, dès lors que nous nous intéressons encore davantage à ce que la fiction fait de ou à l’Histoire, nous percevons les limites du roman historique pour dire la vérité de l’Histoire, ou pour le dire autrement, les conséquences, sur la réception, de la coprésence au sein du texte des énoncés fictionnels et des énoncés référentiels.
L’image du Siècle d’Or transmise par le roman, pour reprendre le titre de la précieuse thèse d’Isabelle Touton sur le roman espagnol34, nous paraît parfois réductrice ou discutable, le romanesque conduisant semble-t-il à transformer, à forcer le trait sur de nombreux points et reprenant ses droits. Non pas que nous reprochions des inexactitudes ou inventions, le roman n’étant pas, du reste, tenu à dire le vrai. Mais des exagérations et la répétition de certains propos interpellent. Nous en proposerons deux exemples. Tout d’abord, si l’on peut comprendre que l’auteur peut avoir voulu rappeler les conditions sanitaires ou les connaissances médicales du passé, il y a une véritable insistance sur les fonctions et réalités du corps : rien ne nous est épargné sur les odeurs perçues par le personnage central. Le constant rappel des gestes matinaux d’Isidoro, et en particulier les plus triviaux, nous a semblé dessiner de façon exagérée l’image d’une époque marquée par des problèmes d’hygiène. À d’innombrables reprises Isidoro nous informe de ses problèmes digestifs ou signale « tuve una imperiosa necesidad de orinar », « oriné por la ventana, vacié el orinal »35. Dans le même ordre idée, on peut se demander s’il était vraiment nécessaire, sauf à faire primer l’importance d’un divertissement peu exigeant, d’insérer une scène mémorable, et non dénuée d’un certain type d’humour pour certains, au cours de laquelle un religieux soigne les hémorroïdes d’Isidoro tout en revenant sur les accusations d’homosexualité dont Cervantès a fait l’objet, soupçonné d’avoir été l’amant d’Hassan Baja et d’avoir de ce fait bénéficié de sa clémence lors de ses tentatives d’évasion en Alger…36
De la même façon, nous avons signalé la présence d’une relation amoureuse entre Isidoro et la comtesse de Cameros, autour d’une seconde intrigue qui offre la possibilité d’un lien entre le personnage et la haute noblesse et l’accès du premier aux palais de Madrid. Mais en introduisant avec ce couple la dimension amoureuse indispensable à tout roman, n’y a-t-il pas un risque de faire prendre pour fréquent ce qui était rarissime et totalement contraire au système de valeurs de l’époque : la relation d’un hidalgo avec une comtesse ? Le lecteur peu averti ne risque-t-il pas de donner à des traits de fiction un certificat d’authenticité historique ? Et ce d’autant plus s’il ne perçoit pas que derrière cette histoire, et notamment le détail d’un mouchoir taché de sang que s’échangent les amants, se cache l’intrigue d’une comedia de Lope El Perro del Hortelano, la fiction étant clairement la source du roman historique dans ce cas.
L’intertextualité implicite est, du reste, omniprésente dans l’œuvre et le roman regorge d’emprunts à d’autres fictions ou genres s’en rapprochant. Un soldat rapporte par exemple à Isidoro une anecdote sur Alonso de Contreras, devenu personnage intradiégétique mais sans que le texte ne signale qu’il s’agit là d’un emprunt à l’autobiographie de Contreras, effectivement publiée après 163037. Le roman raconte encore comment Isidoro a accompagné celui qui n’était alors connu que comme Fray Gabriel Telléz, Tirso de Molina, a « celebrar una fiesta en un cigarral »38 et donne tous les détails de ces festivités sans dire qu’il s’agit là d’une reprise de Los Cigarrales des Toledo, l’œuvre du mercédaire publiée en 1624. En se gardant bien de signaler ces réutilisations dans un ouvrage qui se présente comme historique, l’auteur contribue au brouillage générique que nous évoquions, et le lecteur risque bien de prendre pour réel ce qui n’est que fictif, et qui provient même d’une source fictionnelle première. Le jeu se complique encore et avec lui le risque, car la fiction en arrive même à faire croire que le personnage d’Isidoro, fictif, a pu jouer un rôle dans la publication d’œuvres bien réelles ou sur des faits historiques, introduisant la temporalité future dans le texte. Ainsi Isidoro en vient-il à dire à Tirso « no estaría mal que escribiera sobre estos encuentros tan ilustrativos de la nobleza toledana »39 et même à lui suggérer son pseudonyme40. Ou plus remarquable encore, tout le texte laisse entendre que l’enquête et le vécu d’Isidoro sont à l’origine des choix auctoriaux de Cervantès pour la seconde partie du Quichotte, comme la présence du personnage avellanédien d’Álvaro Tarfe dans le chapitre 72 du roman de 1615. Isidoro raconte en effet que Cervantès
Luego me enseñó unas notas que tenía preparadas para contestar a Avellaneda en el prólogo de su Segunda parte y yo le dije que donde mejor podía hacerlo era en el mismo texto de la obra, que fuesen el verdadero don Quijote y Sancho quienes juzgaran a sus imitadores y desmintieran esas historias como obras de un pobre demente. “¿Cuál es el personaje más importante del Quijote de Avellaneda ? –le pregunté–. ¿Don Álvaro Tarfe? Pues si Avellaneda ha hecho uso de Quijote y de Sancho, bien puede usted utilizar a don Álvaro para levantar acta de su perfidia”41.
Par de tels procédés, pour qui peut les percevoir, le lien fondamental entre roman historique et fictions antérieures est clairement mis au jour et la porosité des frontières entre les mondes réel et fictif soulignée.
C’est pourquoi, et ce sera notre dernier point, il nous semble que le texte étudié requière un lecteur qui soit capable de discerner une autre dimension du roman, puisque ce dernier ne se contente pas, en réalité, de présenter des aventures plaisantes dans un décor historique.
Il propose en effet une véritable réflexion sur l’écriture de fiction au XVIIe siècle, en prenant pour point de départ la publication de la seconde partie apocryphe du Quichotte, en présentant également la genèse textuelle du Quichotte cervantin de 1615 et en se fondant sur une intertextualité marquée. En cherchant à lever le voile sur l’identité d’Avellaneda, Isidoro, nous l’avons dit, interroge les auteurs sur les ennemis de Cervantès, ce qui conduit à des échanges sur la valeur même du Quichotte de 1605, sur les autres productions fictionnelles publiées avant 1615 et plus largement sur la question qui anime le texte cervantin lui-même : ce que doit être une bonne fiction en prose et, au-delà, ce que doit apporter la littérature de fiction quel que soit le genre. Une réflexion esthétique autour du roman, de la comedia, de la poésie et sur la différence entre littérature de création et littérature de consommation notamment, parcourt le texte fictionnel, témoignant de cette interrogation profonde qui a bel et bien agité le monde des lettres au cours du règne de Philippe III. Le Cervantès recréé par le roman s’interroge ainsi face à Isidoro :
los tiempos están cambiando […] Los genios se pierden, el arte se manufactura, los hay que pintan en talleres […] los hay que escriben obras en serie […] ¿Desde cuándo el público ha de ser juez de los poetas?42,
alors que Lope confiera quelques chapitres
plus tard « escribo como lo hago porque es lo que la gente quiere, lo que
le gusta »43. Il
s’agit là d’une claire reprise, par la fiction, des propos tenus par le
narrateur dans la nouvelle La Prudente venganza
« demás que yo he pensado que tienen las novelas los mismos preceptos que
las comedias cuyo fin es haber dado su autor contento y gusto al pueblo aunque
se ahorque el arte »44.
Or comment ne pas voir que ces réflexions, à la dimension métatextuelle marquée, peuvent renvoyer au roman que le lecteur est en train de lire ? Nous entendons ici métatextuel dans le sens le plus commun que lui donne Laurent Lepaludier dans son ouvrage de 2012 Métatextualité et métafiction :
Le texte de fiction sera métatextuel s’il invite à une prise de conscience critique de lui-même ou d’autres textes. La métatextualité appelle l’attention du lecteur sur le fonctionnement de l’artifice de la fiction, sa création, sa réception et participation aux systèmes de signification de la culture45.
En insérant dans son roman ce type de questionnement sur les œuvres, sur leur réception et sur le monde du livre, l’écrivain interroge sans nul doute la pratique romanesque de son temps et sa propre pratique. Car les réflexions sur la littérature et son public ainsi que le débat autour de la littérature comme pur objet de consommation, s’ils ne sont pas propres au type de textes qui nous occupent aujourd’hui, sont bien des questions susceptibles de toucher encore davantage un auteur et un lecteur de romans historiques au sujet desquels les critiques ne cessent de se demander, en suivant leur expansion éditoriale, si elle implique ou non une dévaluation esthétique.
Au-delà des interrogations sur la valeur esthétique des romans, l’intrigue renvoie en miroir à un problème actuel, comme si malgré le passage du temps et un contexte différent, les défis posés aux écrivains à quatre siècles d’écart étaient presque similaires. Le titre du roman et tout son contenu mettent en effet l’accent sur les questions d’autorité, d’appropriation et d’influences des auteurs, sur le fait que les motifs littéraires, les intrigues, les mots circulent d’un texte à l’autre : ils posent la question des sources. Le titre Ladrones de Tinta diffère en effet des titres plus dénotatifs adoptés généralement par les romans historiques. Habituellement, ces titres reprennent le nom propre du personnage historique ou fictif qui est le sujet du récit, ou font une référence directe à l’époque recréée. Dans le roman qui est étudié, ce titre semble renvoyer aux problèmes posés par l’autorité, l’imitation, la propriété intellectuelle au moment de la révolution de l’imprimerie. Tous les auteurs rencontrés par Isidoro sont en effet à leur manière des voleurs d’encre puisqu’ils avouent copier leurs prédécesseurs. Le roman montre l’importance pour le XVIIe siècle de la question des suites, des imitations sans qu’on puisse alors parler de plagiat et invite à une réflexion autour de la question de l’appropriation. Or cette question continue de se poser différemment ou se renouvelle au moment de la révolution qu’est Internet, et ce titre, puisque nous avons vu que la dimension intertextuelle et même hypertextuelle du roman était remarquable, pourrait bien valoir aussi pour Mateo-Sagasta lui-même. Dans ce jeu, se dessine une conception de la littérature comme mouvement, comme brassage. Le texte se rapproche ainsi des romans réflexifs qui, d’après Michael Boyd, dans son ouvrage The Reflexive Novel: Fiction as Critique, se caractérisent non pas par une recherche du reflet de la réalité mais bien plutôt par leur condition introspective. Ce qui y est remarquable est le regard porté par la fiction elle-même sur ses propres procédés d’écriture et d’élaboration46.
En outre, le roman s’interroge sur les liens entre Histoire et fiction. Comme dans un chapitre où Tirso revient sur sa comedia El vergonzoso en Palacio et déclare :
yo escribo una comedia, no historia. En poesía vale todo. El duque de Coimbra ya no es el duque de Coimbra cuando yo escribo sobre él, sino mi personaje, me pertenece como me pertenece la vida y el destino que yo le doy en mi obra47,
ou lorsqu’Isidoro envisage clairement la possibilité de transformer, de falsifier l’Histoire pour les besoins de la fiction ou pour faire œuvre de propagande. Il suggère ainsi à Lope de forcer l’Histoire pour l’utiliser comme sujet d’une intrigue afin de faire l’éloge de Rodrigo Téllez Girón (ce sera Funteovejuna) et n’hésite pas à annoncer « se me ocurre que bastaría con ajustar un poco los hechos. Estará de acuerdo conmigo en que la historia está al servicio de la poesía y no al revés »48.
Le roman, par la voix du narrateur-personnage, ne cesse de revenir directement sur cette question de la transmission du passé et, en particulier, quand Isidoro fait retour sur la rédaction de son manuscrit puisqu’il y a dans l’ouvrage une vraie mise en scène de la narration, de l’acte de narrer grâce à l’usage de la première personne. Le discours d’Isidoro se fait aveu, réflexion personnelle, pensée individuelle sur ses propos. Il se montre réfléchissant, sélectionnant, percevant les faits. Il s’excuse ainsi au chapitre 79 :
espero que me disculpe si a veces me excedo en las explicaciones, pero me temo que padezco el mal del cortesano, esa especie de absurdo engreimiento que incita a creer que lo que ocurre en Madrid no se repite en ningún otro sitio49.
Qui plus est, Isidoro apparaît comme une source d’information problématique car subjective, ce qui laisse à penser qu’il existe d’autres visions, d’autres versions des faits, autant que de narrateurs potentiels. Il s’agit en outre d’une voix faillible voire parfois peu informée ou mal informée, peu digne de foi. En dehors des personnages qui dialoguent avec lui, le personnage central ne donne pas toujours ses sources, introduisant certaines informations par un simple « cuentan que », et ne dispose pas d’informations fiables remarquant par exemple « no puedo asegurarlo », « qué sé yo ». Il va même jusqu’à préciser à la fin de ses mémoires « unas páginas más y habré cumplido mi propósito, le habré contado toda la historia tal y como sucedió, o al menos como yo la viví »50 ce qui jette in fine le doute sur tout son récit et, à un autre niveau, sur le caractère historique de l’écriture de Mateo-Sagasta. À moins que ce ne soit pour mieux rappeler que tout n’est que littérature…
D’ailleurs, lorsqu’Isidoro lui-même revient sur l’écriture de ses gazettes et donc de ce qui devrait être proche d’un discours historique, le doute s’installe. Il ne manque pas de reconnaître de nouveau la part de subjectivité dont sont empreints ses travaux. Isidoro révèle en effet les conditions et les pratiques qui président à l’élaboration de ses gazettes ainsi que les choix peu scientifiques qui guident son travail. Il annonce par exemple :
me puse a trabajar. En primer lugar, ordené mis notas en orden cronológico. Podría hacerlo por temas o lugares pero lo cierto es que prefiero en otro sistema y tengo comprobado que mis lectores también. Da más variedad al relato y eso lo agradecen mucho51.
Il souligne ses accommodements, les transformations, sélections et arrangements qu’il opère avec l’actualité, avec les faits bruts. Il avoue transiger, changer pour satisfaire au goût de son lecteur, dans de nombreux commentaires historiographiques. Il déclare ainsi « para un gacetillero, no hay nada peor que una semana sin noticias. Siempre queda la posibilidad de inventarse alguna muerte o algún duelo »52. Ou fait remarquer après qu’un acteur lui a raconté comment il s’était battu dans son jeune temps « recreé la pelea de Valenzuela en Italia como si hubiera sucedido ayer en mi presencia»53. Par ce biais, Mateo-Sagasta ne rappellerait-il pas que la parole historique doit être questionnée dans son rapport à la vérité ? En effet, comme le note Christian Zonza, « le roman révèle bien souvent la conception que le romancier se fait de l’Histoire, comme si la fiction se servait de l’Histoire pour en dénoncer les insuffisances et les limites »54. Ladrones de Tinta pourrait être, en ce sens, qualifié de métahistorique ou, avec Linda Hutcheon, de « métafiction historiographique postmoderne » c’est-à-dire une fiction narcissique, dans laquelle il y a une réflexion consciente sur l’art de narrer et dans laquelle on met en évidence l’artificialité du discours historique ou l’incapacité de connaître l’Histoire dans sa totalité55.
Enfin, le choix d’une action se déroulant au Siècle d’Or permet sans doute à l’auteur d’inviter ses lecteurs à réfléchir sur leur propre temps. Temps de l’intrigue et temps de l’écriture sont rapprochés par le choix que fait l’auteur de dépeindre une société de la superficialité, du culte de l’instant, de présenter un certain nombre des intrigues, des travers de la Cour de l’époque, ce qui est loin d’être anodin en 2004. Loin de mettre en avant les qualités du héros ou de toute une nation, le courage, la force, la loyauté propres à un âge d’Or, ce sont plutôt les réflexions sur la décadence de l’Espagne qui abondent, notamment lorsque le personnage-narrateur se réfère au duc de Lerma « quien metía la mano en las arcas de la corona como en su propio bolsillo »56 ou au monarque. Il souligne en effet « yo iba a contestar que al rey lo que se le da bien es cazar, montar dianas y salir en rogativa hasta el monasterio de Atocha »57. À cela s’ajoute la présentation des tromperies, de l’hypocrisie, comme quand le héros annonce qu’il va acheter son titre de noblesse. Si, comme le souligne Jean-Yves Tadié il y a dans le roman historique « une activité politique aussi puisque notre époque est visée par le récit, qui en apparence, prend ses distances avec elle »58, il est possible que ces allusions désenchantées à la fraude, la corruption et aux lacunes du gouvernement, en contraste avec l’époque dorée des lettres, soit à mettre en relation avec le moment de publication du roman, époque désenchantée elle aussi. Comme le note Christine Di Benedetto reprenant les conclusions d’Isabelle Touton,
le roman historique dont la diégèse se déroule au Siècle d’Or, bien que lointain, a d’une certaine manière une implication sur le présent car il dénote un positionnement idéologique de la société dans laquelle il est créé et lu59,
et c’est ce positionnement entre légende rose, apologétique, créée par le franquisme, et légende noire qu’il faudrait regarder de plus près.
Nous retiendrons donc quelques aspects d’une œuvre riche et dense, qui se prête en réalité à une lecture populaire comme à une lecture plus savante, selon notamment que l’on en perçoit ou non les renvois intertextuels. Malgré les exagérations repérées et les clins d’œil parfois faciles pour un lecteur avisé, elle demeure un texte plaisant, dans lequel la distorsion historique reste limitée. Il s’agit d’un roman éloigné d’une représentation fantaisiste du passé, qui semble souligner que la représentation littéraire du passé passe d’abord par la reprise d’un discours fictionnel sur ce passé et qu’elle est plus complète en se fondant sur un personnage totalement fictif. Un texte qui, par toutes les suggestions d’Isidoro aux auteurs et par son vécu – à la source duquel se trouvent des fictions –, joue de la perméabilité entre Histoire et fiction. Et cela dans un brouillage remarquable, qui fait du réel et du présent de la vie fictive du héros le futur de certaines représentations artistiques qui existent bel et bien dans la vie réelle du lecteur. Autrement dit, il démontre, par le romanesque, que la fiction nourrit l’Histoire et réciproquement.
Quoi qu’il en soit, le roman d’Alfonso Mateo-Sagasta transmet l’image d’une époque et, au-delà, une réflexion sur le passé qui aide à comprendre, au présent, l’Homme. Le texte délivre ainsi un savoir sur l’Homme au-delà du savoir historique et un savoir sur sa perception et sa relation au temps, l’éternel sujet du roman. Comme le note Antoine Lilti dans l’introduction au numéro de la revue des Annales consacré aux « Savoirs de la littérature » :
La question du savoir proprement historique de la littérature peut être pensée de façon renouvelée. Il ne s’agit pas d’opposer la fiction et l’Histoire autour de la représentation de la réalité empirique des faits mais plutôt de montrer comment la littérature permet de penser l’historicité de l’expérience humaine dans son rapport au temps, à l’attente, à la guerre ou à la mort60.
Quoi qu’il en soit, le roman d’Alfonso Mateo-Sagasta transmet l’image d’une époque et, au-delà, une réflexion sur le passé qui aide à comprendre, au présent, l’Homme. Le texte délivre ainsi un savoir sur l’Homme au-delà du savoir historique et un savoir sur sa perception et sa relation au temps, l’éternel sujet du roman. Comme le note Antoine Lilti dans l’introduction au numéro de la revue des Annales consacré aux « Savoirs de la littérature » :
La question du savoir proprement historique de la littérature peut être pensée de façon renouvelée. Il ne s’agit pas d’opposer la fiction et l’Histoire autour de la représentation de la réalité empirique des faits mais plutôt de montrer comment la littérature permet de penser l’historicité de l’expérience humaine dans son rapport au temps, à l’attente, à la guerre ou à la mort61.
[1] Un numéro de la revue Le débat, intitulé « La Culture du passé », porte en particulier la trace de ce questionnement. Voir notamment Pierre NORA, « Présentation », Le débat, 177, 2013/5, p. 3-5.
[2] Alfonso Mateo-Sagasta, Ladrones de tinta, Barcelone, Ediciones B, 2004. Nous citerons dans l’édition Barcelona, Debolsillo, 2014, sous la forme Ladrones suivie du numéro de chapitre et de page.
[3] Franciso de Robles est en effet celui qui a financé l’édition du texte et s’occupe de la vente des exemplaires, l’impression ayant été confiée à l’imprimerie de Juan de la Cuesta. Cf. Roger Chartier, « La presse et les fontes : Don Quichotte dans l’imprimerie », conférence tenue par l’auteur lors de la deuxième session de l’École de l’Institut d’Histoire du livre, septembre 2002, [en ligne], http://ihl.enssib.fr/la-presse-et-les-fontes-don-quichote-dans-l-imprimerie, et également La main de l’auteur et l’esprit de l’imprimeur, Paris, Gallimard, collection « Folio Histoire », 2015, et en particulier « Les préliminaires de ‘Don Quichotte’ », p. 149-165. On trouvera d’important éléments dans les travaux dirigés par Anne Cayuela sur la matérialité du livre au XVIIe siècle dans Anne Cayuela (éd.), Edición y literatura en España (siglos XVI y XVII), Saragosse, Prensa Universitaria de Zaragoza, 2012.
[4] Gérard GENETTE, Palimpsestes. La littérature au second degré (1re éd. 1982), Paris, Seuil, 1992, p. 13 : « j’entends par là toute relation unissant un texte B (que j’appellerai hypertexte) à un texte antérieur A (que j’appellerai, bien sûr, hypotexte) sur lequel il se greffe d’une manière qui n’est pas celle du commentaire ».
[5] Alonso Fernández de Avellaneda, Segundo tomo del ingenioso hidalgo Don Quixote de la Mancha, que contiene su tercera salida, y es la quinta parte de sus aventuras, en Tarragona por Felipe Roberto, 1614. Le texte est publié sans autorisation d’impresion et sans privilège royal. Il en existe plusieurs éditions modernes récentes : Fernando Garcia Salinero (éd.), El ingenioso hidalgo don Quijote de la Mancha, Madrid, Castalia, 1971 ; Martin De Riquer (éd.), Don Quijote de la Mancha, Madrid, Espasa-Calpe, 1972 ; Alfredo Rodríguez López Vázquez (éd.), El Quijote apócrifo, Madrid, Cátedra, 2011 ; Luis Gómez Canseco (éd.), Segundo tomo del ingenioso hidalgo don Quijote de la Mancha, Madrid, Real Academia Española –Centro para la Edición de los Clásicos Españoles, 2014 ; Milagros Rodríguez Cáceres et Felipe B. Pedraza Jiménez (éd.), Segundo tomo de el ingenioso hidalgo don Quijote de la Mancha, Ciudad Real, Diputación Provincial de Ciudad Real, 2014 ; Enrique Suarez de Figaredo (éd.), « El Quijote apocrifo », Lemir: Revista de Literatura Española Medieval y del Renacimiento, 18, 2014.
[6] Nous retiendrons en particulier les travaux de Michel MONER, « Cervantes y Avellaneda: un cuento de nunca acabar (‘Don Quijote’, I, 20 / ‘Don Quijote’ de Avellaneda, 21) », in Jean-Pierre Étienvre et Leonardo ROMERO (éd.), La recepción del texto literario, Jaca, Universidad de Zaragoza y Casa de Velázquez, 1988, p. 51-59 ; L. Gómez Canseco, «Introducción» à son édition de A. Fernández de Avellaneda, El ingenioso hidalgo don Quijote de la Mancha, Madrid, Biblioteca Nueva, 2000, p. 29-60; Alfonso Martín Jiménez, El “Quijote” de Cervantes y el “Quijote” de Pasamonte. Una imitación recíproca. La Vida de Pasamonte y Avellaneda, Alcalá de Henares, Centro de Estudios Cervantinos, 2001 ; Id., Cervantes y Pasamonte. La réplica cervantina al “Quijote” de Avellaneda, Madrid, Biblioteca Nueva, 2005 ; David Álvarez Roblin, De l’imposture à la création : le « Guzmán » et le « Quichotte » apocryphes, Madrid, Casa de Velázquez, 2014.
[7] Différentes chroniques mentionnent la seigneurie de los Cameros ou de Cameros, dans la Rioja, liée aux familles de Haro puis Ramírez de Arellano. Voir en particulier Esther González Crespo, « Los Arellano y el señorío de Los Cameros en la Baja Edad Media », En la España Medieval, Madrid, 1982, vol. II, p. 395-410.
[8] A. Mateo-Sagasta, El gabinete de las maravillas, Barcelone, Ediciones B, 2006.
[9] Id., El reino de los hombres sin amor, Barcelone, Grijalbo, 2014.
[10] Rappelons les titres de cette série déjà parus, tous aux éditions Alfaguara, Madrid : El capitán Alatriste, 1996 ; Limpieza de sangre, 1997 ; El sol de Breda, 1998 ; El oro del rey, 2000 ; El caballero del jubón amarillo, 2003 ; Corsarios de Levante, 2006 ; El puente de los asesinos, 2011. Tous les romans mettent en scène les aventures de l’ancien soldat Diego Alatriste et du jeune narrateur Iñigo Balboa entre 1623 et 1628.
[11] Voleurs d’encre, Denise Laroutis (trad.), Paris, Rivages thriller, 2008. La traduction italienne date de 2010 : Ladri di inchiostro, Roberta Bovaia (trad.), Milan, Tropea. Pour la version originale espagnole, on compte pas moins de 6 rééditions : Ediciones B, 2005 ; Zeta Bolsillo, 2006, Círculo de Lectores, 2007 ; B de Bolsillo, 2012 Debolsillo, 2014 ; Debolsillo 2016.
[12] Il est devenu jury des prix cités plus haut et a notamment obtenu en 2011 le prix Caja Granada de novela pour le roman historique Caminarás con el sol. La page de l’auteur est consultable à l’adresse http://www.alfonsomateosagasta.es/index.html.
[13] Claudie BERNARD, « Si l’histoire m’était contée… », in Aude Déruelle et Alain TASSEL (coords.), Problèmes du roman historique, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 15-25.
[14] Rappelons cette distinction fondamentale pour le Stagirite, qui alimentera les débats et réflexions des écrivains du baroque : « […] la différence entre l’historien et le poète ne vient pas du fait que l’un s’exprime en vers ou l’autre en prose (on pourrait mettre l’œuvre d’Hérodote en vers, et elle n’en serait pas moins de l’histoire en vers qu’en prose) ; mais elle vient de ce fait que l’un dit ce qui a eu lieu, l’autre ce à quoi l’on peut s’attendre. Voilà pourquoi la poésie est une chose plus philosophique et plus noble que l’histoire : la poésie dit plutôt le général, l’histoire le particulier. Le général, c’est telle ou telle chose qu’il arrive à tel ou tel de dire ou de faire, conformément à la vraisemblance ou à la nécessité ; c’est le but visé par la poésie, même si par la suite elle attribue des noms aux personnages. Le particulier, c’est ce qu’a fait Alcibiade, ou ce qui lui est arrivé », Aristote, Poétique, Michel MAGNIEN (éd et trad.) Paris, Librairie Générale Française, Le Livre de Poche, collection classiques de poche, 1990, p. 98.
[15] Nous suivons en cela la définition du Dictionnaire Robert, 2011 : histoire « connaissance et récit des événements du passé, des faits relatifs à l’évolution de l’humanité (d’un groupe social, d’une activité humaine), qui sont dignes ou jugés dignes de mémoire ; les événements, les faits ainsi relatés ». Le Petit Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, Robert, 2011, p. 1239.
[16] Ladrones, « Al ocioso lector », p. 9-10, p. 9.
[17] Sur ce lieu commun hérité du Moyen Âge et si diffusé au XVIIe siècle, voir en particulier les études reprises dans Jan Herman et Fernand HallyN (éd.), Le Topos du manuscrit trouvé, Louvam-Pans, Peeters, 1999. On retiendra en particulier l’usage fait de ce procédé par Alessandro MANZONI avec l’emploi du sous-titre « Histoire milanaise du XVIIe siècle découverte et remaniée par Alessandro Manzoni » pour Les fiancés (1re éd. 1842), Yves BRANCA (trad.), Paris, Gallimard, collection Folio Classique, 1995. Umberto Eco le reprendra en clin d’œil teinté d’ironie intertextuelle dans Le nom de la rose en intitulant l’avant-propos au lecteur « un manuscrit, naturellement ». Umberto ECO, Le Nom de la rose (1ère éd. 1980), Jean-Noël SCHIFANO (trad.), Paris, Grasset, collection Le livre de poche, 1982, p. 7. Rien d’étonnant à ce qu’il réapparaisse chez A. Pérez Reverte lorsqu’une note finale de l’éditeur fictif annonce que l’auteur a pu s’être servi des mémoires d’Inigo Balboa en ces termes « El autor de esta serie de novelas basadas casi íntegramente en el manuscrito original, Papeles del alférez Balboa, de 478 páginas, Madrid, sin fecha, que aparecieron en una subasta de Londres en 1951 » (Arturo Pérez Reverte, El sol de Breda, Madrid, Alfaguara, 1998, p. 254).
[18] Ladrones, « Al ocioso lector », p. 9-10, p. 9.
[19] Cette technique, comme dans nombre de romans contemporains, s’éloigne de celle employée dans le modèle classique du roman historique, l’œuvre de W. Scott. Cette dernière utilisait un narrateur en troisième personne, un narrateur objectif qui se proposait de restituer fidèlement, scientifiquement les faits, comme chacun sait.
[20] Pour reprendre le titre de l’ouvrage de Pierre Michon, Vies minuscules, Paris, Gallimard, 1984.
[21] Roland BARTHES, « L’effet de réel », Littérature et réalité, Paris, Seuil, Points, 1982, p. 81-90.
[22] Ladrones, chapitre 1, p. 14.
[23] Nous reprenons ici bien évidemment la théorie de la coopération textuelle exposée par U. ECO dans Lector in Fabula, Le rôle du lecteur ou la coopération interprétative dans les textes narratifs (1979), Myriem Bouzaher (trad.), Paris, Grasset, 1985.
[24] Ladrones, chapitre 2, p. 17.
[25] Ibid., chapitre 17, p. 90.
[26] Le chroniqueur officiel à la Cour de Philippe IV rédigeait en effet une chronique chaque mardi. Elle était destinée à un personnage, non identifié à ce jour, qui résidait hors de la Cour, comme dans la fiction romanesque, et reprenait non seulement les faits qui s’étaient produits à Madrid mais aussi les nouvelles des territoires de la Couronne plus éloignés. Voir José Pellicer de Tovar, Avisos. 17 de mayo de 1639-29 de noviembre de 1644, Jean-Claude Chevalier et Lucien Clare (éd.), Paris, Éditions Hispaniques, 2002-2003. On retiendra également les cartas et relaciones de Andrés de Almansa et de Jerónimo de Barrionuevo : Andrés de Almansa y Mendoza, Obra periodística, Henry Ettinghausen et Manuel BORREGO (éd.), Madrid, Castalia, 2001. Jerónimo de Barrionuevo, Avisos, Antonio Paz y Meliá (éd.), Madrid, Atlas, BAE, vol. 221-222, 1969.
[27] H. Ettinghausen, Noticias del siglo XVII: relaciones españolas de sucesos naturales y sobrenaturales, Barcelone, Puvill, 1995 et « Pellicer y la prensa de su tiempo », Janus. Estudios sobre el Siglo de Oro, 1, 2012, p. 55-88. On pourra se reporter également aux conclusions présentées dans María Dolores Sáiz, Historia del periodismo en España, I. Los orígenes. El siglo XVIII, Madrid, Alianza, 1990 ; J. P. Étienvre, « Entre relación y carta: los ‘Avisos’ », in María Cruz García de Enterría et al. (éd.), Las relaciones de sucesos en España (1500-1750). Actas del Primer Coloquio Internacional (Alcalá de Henares, 8, 9 y 10 de junio de 1995), Paris, Sorbonne-Universidad de Alcalá de Henares, 1996, p. 111-121 ; Annie MOLINIÉ, « José Pellicer, cronista mayor de Felipe IV », in Homenaje a Don Antonio Domínguez Ortiz, Grenade, Universidad de Granada, 2008, t. 2, p. 573-588.
[28] Ladrones, chapitre 55, p. 310.
[29] Gilles DEL Vecchio, « L’écriture picaresque d’Eduardo Mendoza dans ‘El misterio de la cripta embrujada’ », Revue Interdisciplinaire « Textes & contextes », 2, « Varia 2008 », janvier 2009, [en ligne], https://revuesshs.u-bourgogne.fr/textes&contextes/document.php?id=709.
[30] Jean-Yves TADIÉ, « Les écrivains et le roman historique au XXe siècle », Le débat, « L’histoire saisie par la fiction », 165, 2011/3, p. 136-145, p. 137.
[31] Paul VEYNE, Comment on écrit l’histoire (1re éd. 1971), Paris, Seuil, collection points Histoire, 1996, p. 40-41.
[32] L’existence de ce supplément est signalée à la fin de l’ouvrage. Il est accessible aujourd’hui depuis le QR code présent à la fin du roman ou grâce à la page web de l’auteur. Carlos Robles Lucena, Ladrones de tinta. Guía Didáctica, Barcelona, Debolsillo, 2014.
[33] Blanche Cerquiglini, « Quand la vie est un roman », Le débat, 165, p. 146-157, p. 157.
[34] Isabelle Touton, L’image du Siècle d’Or dans le roman historique espagnol du dernier quart du XXe siècle, Thèse de Doctorat inédite, Université de Toulouse, 2004.
[35] Il serait bien trop long de rappeler ici toutes les occurrences. Cf. Ladrones, chapitre 44, p. 249 et chapitre 64, p. 344, par exemple.
[36] Ibid., chapitre 73.
[37] Ibid., chapitre 14, p. 77.
[38] Ibid., chapitre 67, p. 353.
[39] Ibid., chapitre 70, p. 371.
[40] Ibid., chapitre 71, p. 377.
[41] Ibid., chapitre 107, p. 555.
[42] Ibid., chapitre 27, p. 153.
[43] Ibid., chapitre 48, p. 276.
[44] Félix Lope de Vega, Novelas a Marcia Leonarda, Antonio Carreño (éd.), Madrid, Cátedra, 2002, p. 183.
[45] Laurent Lepaludier, « Introduction », in L. LEPALUDIER (dir.), Metatextualité et métafiction. Theorie et analyses, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 10.
[46] Michael Boyd, The Reflexive Novel : Fiction as Critique, Londres, Associated University Presses, 1983.
[47] Ladrones, chapitre 71, p. 378.
[48] Ibid., chapitre 84, p. 444.
[49] Ibid., chapitre 79, p. 417.
[50] Ibid., chapitre 107, p. 554.
[51] Ibid., chapitre 47, p. 265.
[52] Ibid., chapitre 22, p. 121.
[53] Ibid., chapitre 47, p. 267.
[54] Christian ZONZA, « Le roman historique : un ‘art de l’éloignement’ ? », Acta fabula, « Faire et refaire l’histoire », vol. 12, 6, juin-juillet 2011, URL : http://www.fabula.org/acta/document6407.php.
[55] Linda HUTCHEON, A Poetics of Postmodernism : History, Theory, Fiction, Londres–New York, Routledge, 1988.
[56] Ladrones, chapitre 35, p. 197.
[57] Ibid., chapitre 17, p. 93.
[58] J.-Y. Tadié et B. Cerquiglini, Le Roman d’hier à demain, Paris, Gallimard, collection hors-série connaissance, 2012, p. 117.
[59] Christine Di Benedetto, « Roman historique et Histoire dans le roman », Cahiers de Narratologie, 15, 2008, URL : http://journals.openedition.org/narratologie/767.
[60] Antoine Lilti, « Introduction », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2, 2010, p. 253-260, p. 257. Cet aspect reste à approfondir concernant le roman étudié.
[61] Antoine Lilti, « Introduction », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2, 2010, p. 253-260, p. 257. Cet aspect reste à approfondir concernant le roman étudié.
Résumé
Notre article s’intéresse au premier titre de la trilogie romanesque historique d’Alfonso Mateo-Sagasta : le roman Ladrones de Tinta, publié en 2004, dont l’intrigue se passe à Madrid en 1614. Il présente l’enquête d’un personnage, Isidoro chargé de retrouver le mystérieux auteur qui se cache derrière le pseudonyme d’Avellaneda, auteur de la seconde partie apocryphe du Quichotte. Nous nous attacherons à observer la façon dont la fiction recrée le Madrid de Las Letras du début du XVIIe siècle mais aussi aux limites de cette réécriture, avant de nous pencher sur les questionnements sur l’écriture de l’Histoire présents dans le roman.
Resumen
Nuestro artículo se propone estudiar el primer título de la trilogía novelesca histórica de Alfonso Mateo-Sagasta: la novela Ladrones de Tinta, publicada en 2004. Presenta la investigación de un personaje, Isidoro, encargado de descubrir quién es el misterioso autor de la segunda parte apócrifa del Quijote, en el Madrid del año 1614. Veremos con qué recursos logra el autor crear une ficción verosímil y al parecer conforme con la Historia, pero también los límites de semejante hibridación entre Historia y ficción, antes de ver que la novela contiene una profunda reflexión sobre la escritura de la Historia.
Caroline LYVET
Université d’Artois, Textes et Cultures
Almansa y Mendoza, Andrés de, Obra periodística, Henry Ettinghausen et Manuel BORREGO (éd.), Madrid, Castalia, 2001.
Álvarez Roblin, David, De l’imposture à la création : le « Guzmán » et le « Quichotte » apocryphes, Madrid, Casa de Velázquez, 2014.
Barrionuevo, Jerónimo de, Avisos, Antonio Paz y Meliá (éd.), Madrid, Atlas, BAE, vol. 221-222, 1969.
Barthes, Roland, « L’effet de réel », Littérature et réalité, Paris, Seuil, Points, 1982, p. 81-90.
Bernard, Claudie, « Si l'histoire m’était contée… », in Aude Déruelle et Alain Tassel (coord.), Problèmes du roman historique, Paris, L'Harmattan, 2008, p. 15-25.
BOYD, Michael, The Reflexive Novel : Fiction as Critique, Londres, Associated University Presses, 1983.
Cayuela, Anne (éd.), Edición y literatura en España (siglos XVI y XVII), Saragosse, Prensa Universitaria de. Zaragoza, 2012.
CERQUIGLINI, Blanche, « Quand la vie est un roman», Le débat, « L’histoire saisie par la fiction », 165, 2011/3, p. 146-157.
Chartier, Roger, « La presse et les fontes : Don Quichotte dans l'imprimerie », conférence tenue par l’auteur lors de la deuxième session de l'École de l'Institut d'Histoire du livre, septembre 2002, [en ligne], http://ihl.enssib.fr/la-presse-et-les-fontes-don-quichote-dans-l-imprimerie.
—, La main de l’auteur et l’esprit de l’imprimeur, Paris, Gallimard, collection folio Histoire, 2015, « Les préliminaires de ‘Don Quichotte’ », p. 149-165.
De Riquer, Martin (éd.), Don Quijote de la Mancha, Madrid, Espasa-Calpe, 1972.
DEL Vecchio, Gilles, « L’écriture picaresque d’Eduardo Mendoza dans “El misterio de la cripta embrujada” », Revue Interdisciplinaire “Textes & contextes”, 2, “Varia 2008”, janvier 2009, [en ligne], https://revuesshs.u-bourgogne.fr/textes&contextes/document.php?id=709.
Di Benedetto, Christine, « Roman historique et Histoire dans le roman », Cahiers de Narratologie, 15, 2008, URL : http://journals.openedition.org/narratologie/767.
ECO, Umberto, Le Nom de la rose (1re éd. 1980), Jean-Noël Schifano (trad.), Paris, Grasset, collection Le livre de poche, 1982.
—, Lector in Fabula, Le rôle du lecteur ou la coopération interprétative dans les textes narratifs (1re éd. 1979), Myriem Bouzaher (trad.), Paris, Grasset, 1985.
Étienvre, Jean-Pierre, « Entre relación y carta: los ‘Avisos’ », in María Cruz García de Enterría et al. (éd.), Las relaciones de sucesos en España (1500-1750). Actas del Primer Coloquio Internacional (Alcalá de Henares, 8, 9 y 10 de junio de 1995), Paris, Sorbonne-Universidad de Alcalá de Henares, 1996, p. 111-121
Ettinghausen, Henry, Noticias del siglo XVII: relaciones españolas de sucesos naturales y sobrenaturales, Barcelone, Puvill, 1995.
—, « Pellicer y la prensa de su tiempo », Janus. Estudios sobre el Siglo de Oro, 1, 2012, p. 55-88.
Fernández de Avellaneda, Alonso, Segundo tomo del ingenioso hidalgo Don Quixote de la Mancha, que contiene su tercera salida, y es la quinta parte de sus aventuras, en Tarragona por Felipe Roberto, 1614.
Garcia Salinero, Fernando (éd.), El ingenioso hidalgo don Quijote de la Mancha, Madrid, Castalia, 1971.
Genette, Gérard, Palimpsestes. La littérature au second degré (1re éd. 1982), Paris, Seuil, 1992.
Gómez Canseco, Luis, « Introducción » à l’édition d’Alonso Fernández de Avellaneda, El ingenioso hidalgo don Quijote de la Mancha, Madrid, Biblioteca Nueva, 2000, p. 29-60;
— (éd.), Segundo tomo del ingenioso hidalgo don Quijote de la Mancha, Madrid, Real Academia Española Centro para la Edición de los Clásicos Españoles, 2014.
González Crespo, Esther, « Los Arellano y el señorío de Los Cameros en la Baja Edad Media », En la España Medieval, Madrid, vol. II, 1982, p. 395-410.
Herman, Jan et Hallyn, Fernand (éd.), Le Topos du manuscrit trouvé, Louvam-Pans, Peeters, 1999.
HUTCHEON, Linda, A Poetics of Postmodernism : History, Theory, Fiction, Londres–New York, Routledge, 1988.
LEPALUDIER, Laurent, « Introduction », in L. LEPALUDIER (dir.), Metatextualité et metafiction. Theorie et analyses, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002.
LILTI, Antoine, « Introduction », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2, 2010, p. 253-260.
LOPE DE VEGA, Félix, Novelas a Marcia Leonarda, Antonio CARREÑO (éd.), Madrid, Catedra, 2002.
Manzoni, Alessandro, Les fiancés (1re éd. 1842), Yves BRANCA (trad.), Paris, Gallimard, collection Folio Classique, 1995.
Martín Jiménez, Alfonso, El “Quijote” de Cervantes y el “Quijote” de Pasamonte. Una imitación recíproca. La Vida de Pasamonte y Avellaneda, Alcalá de Henares, Centro de Estudios Cervantinos, 2001.
—, Cervantes y Pasamonte. La réplica cervantina al “Quijote” de Avellaneda, Madrid, Biblioteca Nueva, 2005.
Mateo-Sagasta, Alfonso, Ladrones de tinta, Barcelone, Ediciones B, 2004. Ediciones B, 2005 ; Zeta Bolsillo, 2006, Círculo de Lectores, 2007 ; B de Bolsillo, 2012 Debolsillo, 2014 ; Debolsillo, 2016. Voleurs d’encre, Denise Laroutis, (trad.), Paris, Rivages thriller, 2008. Ladri di inchiostro, Roberta Bovaia (trad.), Milan, Tropea, 2010.
—, El gabinete de las maravillas, Barcelone, Ediciones B, 2006.
—, El reino de los hombres sin amor, Barcelone, Grijalbo, 2014.
— http://www.alfonsomateosagasta.es, consultée le 2 septembre 2017.
Michon, Pierre, Vies minuscules, Paris, Gallimard, 1984.
MOLINIÉ, Annie, « José Pellicer, cronista mayor de Felipe IV », in Homenaje a Don Antonio Domínguez Ortiz, Grenade, Universidad de Granada, 2008, t. 2, p. 573-588.
Moner, Michel, « Cervantes y Avellaneda: un cuento de nunca acabar (‘Don Quijote’, I, 20 / ‘Don Quijote’ de Avellaneda, 21) », in Jean-Pierre Étienvre et Leonardo Romero (éd.), La recepción del texto literario, Jaca, Universidad de Zaragoza y Casa de Velázquez, 1988, p. 51-59.
Nora, Pierre, « Presentation », Le débat, « La Culture du passé », 177, 2013/5, p. 3-5.
Pellicer de Tovar, José, Avisos. 17 de mayo de 1639 -29 de noviembre de 1644, Jean-Claude Chevalier et Lucien Clare (éd.), Paris, Éditions Hispaniques, 2002-2003.
Pérez Reverte, Arturo, El capitán Alatriste, Madrid, Alfaguara, 1996.
—, Limpieza de sangre, Madrid, Alfaguara, 1997
—, El sol de Breda, Madrid, Alfaguara, 1998.
—, El oro del rey, Madrid, Alfaguara, 2000.
—, El caballero del jubón amarillo, Madrid, Alfaguara, 2003.
—, Corsarios de Levante, Madrid, Alfaguara, 2006.
—, El puente de los asesinos, Madrid, Alfaguara, 2011.
ROBLES LUCENA, Carlos, Ladrones de tinta. Guía Didáctica, Barcelone, Debolsillo, 2014.
Rodríguez Cáceres, Milagros et Pedraza Jiménez, Felipe B. (éd.), Segundo tomo de el ingenioso hidalgo don Quijote de la Mancha, Ciudad Real, Diputación Provincial de Ciudad Real, 2014.
Rodríguez López Vázquez, Alfredo (éd.), El Quijote apócrifo, Madrid, Cátedra, 2011.
Sáiz, María Dolores, Historia del periodismo en España, I. Los orígenes. El siglo XVIII, Madrid, Alianza, 1990.
SuÁrez de Figaredo, Enrique (éd.), « El Quijote apocrifo », Lemir: Revista de Literatura Española Medieval y del Renacimiento, Lemir 18, 2014.
Tadié, Jean-Yves, « Les écrivains et le roman historique au XXe siècle », Le débat, « L’histoire saisie par la fiction », 165, 2011/3, p. 136-145.
— et CERQUIGLINI, Blanche, Le Roman d’hier à demain, Paris, Gallimard, collection hors-série connaissance, 2012.
TOUTON, Isabelle, L’image du Siècle d’Or dans le roman historique espagnol du dernier quart du XXe siècle, Thèse de Doctorat inédite, Université de Toulouse, 2004.
Veyne, Paul, Comment on écrit l’histoire (1re éd. 1971), Paris, Seuil, collection points Histoire, 1996.
ZONZA, Christian, « Le roman historique : un ‘art de l’éloignement’ ? », Acta fabula, « Faire et refaire l’histoire », vol. 12, 6, juin-juillet 2011, [en ligne], http://www.fabula.org/acta/document6407.php.